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Date : 20130423

Dossier : T-778-12

Référence : 2013 CF 418

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2013

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

CONSEIL DES INNUS DE EKUANITSHIT

 

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
EN SA QUALITÉ DE JURISCONSULTE DU
CONSEIL PRIVÉ DE SA MAJESTÉ
POUR LE CANADA

ET

L’HONORABLE KEITH ASHFIELD, EN SA
CAPACITÉ DE MINISTRE DES PÊCHES ET
DES OCÉANS CANADA

ET

L’HONORABLE DENIS LEBEL,
EN SA CAPACITÉ DE MINISTRE
DES TRANSPORTS CANADA

ET

L’HONORABLE JOE OLIVER,
EN SA CAPACITÉ DE MINISTRE DES
RESSOURCES NATURELLES CANADA

ET

NALCOR ENERGY

ET

NEWFOUNDLAND AND LABRADOR
HYDRO-ELECTRIC CORPORATION

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   Introduction

[1]               Par cette présente demande de révision judiciaire déposée le 16 avril 2012 aux termes des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la LCF], le demandeur conteste la légalité du décret (C.P. 2012‑285) (le décret) adopté par le gouverneur en conseil, entérinant, d’une part, la réponse du gouvernement fédéral (la réponse) au « Rapport de la Commission d’examen conjoint pour le projet de centrale hydroélectrique de Nalcor dans la partie inférieure du fleuve Churchill à Terre-Neuve-et-Labrador » (le rapport de la Commission) et, d’autre part, la décision portant sur la marche à suivre connexe datée du 16 mars 2012 (la décision), prise par les autorités responsables - Pêches et Océans Canada [MPO], Ressources naturelles Canada [RNCan] et Transports Canada [TC] (collectivement appelés les AR) – aux termes du paragraphe 37(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37 [la LCEE]. Le rapport de la Commission est émis par une commission d’examen conjoint [CEC] en tant que point culminant de son évaluation environnementale (l’EE) concernant le Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill (le Projet). Le décret est rendu par le gouverneur en conseil le 12 mars 2012, aux termes du paragraphe 37(1.1) de la LCEE.

 

[2]               Le demandeur recherche, notamment, les mesures de réparation suivantes :

1.         une déclaration établissant :

a)         que le gouverneur en conseil et les AR ne se sont pas acquittés de leur obligation de consulter les Innus de Ekuanitshit (les Ekuanitshits) au sujet des éléments du Projet qui sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur leurs droits traditionnels;

b)         que le gouverneur en conseil et les AR n’ont pas cherché à prendre des mesures d’accommodement en faveur des Ekuanitshits dans un esprit de conciliation concordant avec le principe de l’honneur de la Couronne;

c)         que, malgré les exigences de l’alinéa 4(1)a) de la LCEE, le gouverneur en conseil et les AR ne possédaient pas suffisamment d’informations pour évaluer l’impact négatif important que le Projet est susceptible d’entraîner sur l’usage actuel des Ekuanitshits, à des fins traditionnelles, sur ces terres et ces ressources;

d)        que le projet mis de l’avant par Nalcor Energy (Nalcor) n’est plus celui qu’il a proposé d’évaluer sous le régime de la LCEE à cause des changements qui ont été apportés ultérieurement au processus de mise en œuvre;

e)         que le Projet et le projet de ligne de transport d’énergie entre le Labrador et l’île de Terre-Neuve (la ligne de transport d’énergie) constituent un seul et même projet aux termes de la LCEE;

f)         que le gouverneur en conseil et les AR ne possédaient pas suffisamment d’information pour évaluer les avantages économiques du Projet ou déterminer s’il existe d’autres moyens économiquement et techniquement réalisables de satisfaire les besoins énergétiques de façon moins préjudiciable sur le plan environnemental;

 

2.         une ordonnance annulant le Décret et la décision;

 

3.         une ordonnance renvoyant le rapport de la Commission au gouverneur en conseil et aux AR afin qu’ils puissent :

a)         s’acquitter de leur obligation de prendre des mesures de consultation et d’accommodement en faveur des Ekuanitshits, conformément à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, relativement aux effets négatifs possibles du Projet sur leurs droits traditionnels, et ce, d’une manière concordant avec le principe de l’honneur de la Couronne;

b)         demander que l’on fournisse de plus amples renseignements sur la nécessité et les effets négatifs du Projet;

c)         déterminer si, au vu des renseignements supplémentaires susmentionnés, les effets négatifs du Projet demeurent toujours justifiables dans les circonstances;

 

4.         un bref de prohibition interdisant aux ministres du MPO et de TC de :

a)         délivrer des permis aux termes de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 et de la Loi sur la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22;

b)         prendre toute autre décision irrévocable en leur qualité d’AR au sujet du projet;

5.         les dépens, indépendamment de l’issue de la demande.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la Cour rejette cette demande de révision judiciaire.

 

II.                Le contexte

A.                Les parties

(i)                 Le demandeur

[4]               Le Conseil des Innus de Ekuanitshit (le demandeur) est une bande d’Indiens inscrits au sens de l’article 2 de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5.

 

[5]               Le demandeur a pris part à tout le processus d’EE relatif au Projet et s’est vu accorder un financement, à même le Fonds d’aide financière aux participants de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence), afin de faciliter sa participation aux différentes étapes de l’EE.

 

 

 

(ii)               Les défendeurs

[6]               Les défendeurs sont : 1) le procureur général du Canada [PGC] nommé en remplacement du gouverneur en conseil, et tenu de donner son agrément à la réponse aux termes du paragraphe 37(1.1) de la LCEE; 2) le ministre des Pêches et des Océans; 3) le ministre des Transports; et 4) le ministre des Ressources naturelles, lesquels constituent les autorités responsables [AR] en rapport avec le Projet (les défendeurs du gouvernement); 5) Nalcor; et 6) Newfoundland and Labrador Hydro-Electric Corporation.

 

[7]               Le ministère des Pêches et des Océans du Canada [MPO] et Transports Canada [TC] reconnaissent dès le départ qu’ils constituent des AR aux fins d’approbation du Projet. Le MPO conclut que certaines composantes du Projet mèneraient à la détérioration, à la destruction ou à la perturbation de l’habitat du poisson et exigeraient de ce fait des autorisations aux termes du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14. Transports Canada juge que le Projet nécessiterait une approbation officielle aux termes du paragraphe 5(1) de la Loi sur la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22 [LPEN] parce que les barrages du Projet constituent des ouvrages au sens de cette Loi.

 

[8]               Ressources naturelles Canada devient à son tour une autorité responsable le 19 août 2011, quand le gouvernement du Canada prend la décision de fournir une aide financière à Nalcor sous la forme d’une garantie de prêt applicable à une partie du Projet.

 

[9]               Nalcor est une société d’État constituée en vertu de l’Energy Corporation Act, SNL 2007, c E‑11.01. Elle est détenue en propriété exclusive par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador (la Province) et a pour objet de [traduction] « mener des activités relatives aux ressources énergétiques de la Province, dont la production d’hydroélectricité ». Nalcor est chargée de la mise en œuvre de la politique énergétique de la Province, et elle est régie à cet égard par : l’Energy Corporation Act, précitée, la politique énergétique à long terme de la Province intitulée Focusing Our Energy (le Plan énergétique), de même que l’Electrical Power Control Act, 1994, SNL 1994, c E‑5.1.

 

B.                 Le Projet

[10]           Le projet que propose Nalcor comporte les éléments suivants :

[traduction] « des installations de production d’hydroélectricité à Gull Island aux chutes Muskrat, ainsi que des lignes de transport d’électricité interconnectées au réseau de distribution existant du Labrador. Le Projet fera l’objet d’études de mise en marché et de conception technique qui se dérouleront en même temps que l’évaluation environnementale. Dans le cadre de cette évaluation, d’autres moyens de mener à bien le Projet seront évalués, dont sa capacité, sa conception, son aménagement et ses aspects technologiques. Le Projet, dans la forme où il est actuellement prévu, est présenté et, à l’instar de n’importe quel projet, il sera nécessaire de l’optimiser en vue de refléter les occasions qu’offrent actuellement le marché et le secteur des affaires. Néanmoins, il sera fort semblable aux concepts précédents. L’optimisation fixera des détails tels que la taille et le nombre des turbines présentes dans chaque centrale, ainsi que l’ordre des travaux de construction en attendant d’avoir accès au côté sud du fleuve. Ces changements et ces améliorations seront relativement légers, et concorderont avec le processus normal qui mènera à la sanction finale du Projet. L’installation de Gull Island consistera en une centrale électrique d’une capacité d’environ 2 000 MW et elle comprendra :

 

- un barrage de 99 m de hauteur et de 1 315 m de longueur;

 

- un réservoir d’une superficie de 200 km2 et d’un niveau théorique le plus haut de 125 m au-dessus du niveau de la mer.

 

Le barrage sera une digue à enrochement à surface de béton. Le réservoir aura une longueur de 225 km et la superficie de la zone inondée sera de 85 km2 au niveau le plus haut. La centrale comprendra de quatre à six turbines Francis.

 

L’installation aux chutes Muskrat consistera en une centrale d’une capacité d’environ 800 MW et elle comprendra :

 

- un barrage en béton doté de deux sections sur les rives sud et nord du fleuve;

 

- un réservoir d’une superficie de 107 km2 dont le niveau théorique le plus haut sera de 39 m au-dessus du niveau de la mer.

 

La section nord de la digue sera haute de 32 m et longue de 180 m, tandis que la section sud sera haute de 29 m et longue de 370 m. La section nord de la digue servira d'évacuateur de crues en cas de précipitations extrêmes. Le réservoir aura une longueur de 60 km et la superficie de la zone inondée sera de l’ordre de 36 km2 au niveau le plus haut. La centrale comportera quatre ou cinq turbines à turbopropulseur ou turbines Kaplan, ou une combinaison des deux.

 

Les lignes de transport d’électricité interconnectées  comprendront :

 

- une ligne de transport d’électricité de 735 kV entre Gull Island et Churchill Falls;

 

- deux lignes de 230 kV entre les chutes Muskrat et Gull Island.

 

La ligne de 735 kV s’étendra sur 203 km et celles de 230 kV auront 60 km de longueur. Ces deux lignes seront probablement constituées de structures d’acier en treillis. Elles seront situées au nord du fleuve Churchill. Le tracé final fera l’objet d’une étude de sélection de tracé qui sera prise en compte dans l’évaluation environnementale. Il est possible que les lignes entre les chutes Muskrat et Gull Island soient installées sur des tours distinctes, ou combinées sur des structures à double circuit. (Voir l’affidavit de Stephen Chapman, pièce LC‑4, observations des défendeurs du gouvernement fédéral, vol. 1, pages 270 et 271.)

 

[11]           Le Projet a une longue histoire. Depuis 1978, trois versions différentes ont été envisagées. Deux d’entre elles comportaient des détournements de cours d’eau ainsi qu’une entente avec Hydro-Québec. Vu l’échec des négociations avec Hydro-Québec et la décision qu’il est impossible de détourner des cours d’eau en amont de Churchill Falls, Nalcor s’est concentrée sur un projet qui ne comporte pas de tels détournements. La version du Projet définie et enregistrée par Nalcor en vue d’une évaluation environnementale en novembre 2006 est telle que décrite précédemment; elle ne comporte pas de détournements de cours d’eau et vise à satisfaire les besoins d’énergie reconnus de la Province et générer de l’énergie excédentaire à des fins d’exportation.

 

C.                Le processus d’évaluation environnementale de la LCEE

[12]           Il est important de décrire les étapes qui s’appliquent à cette EE aux termes de la LCEE. Il y a cinq étapes en cause. La demande de révision judiciaire a été déposée à la conclusion de la quatrième étape.

 

[13]           Le demandeur fait valoir que la Cour doit permettre de verser dans le dossier les lettres liées à l’étape V, même si ces documents sont échangés après le dépôt de la demande. La Cour a décidé qu’il ne fallait pas les accepter dans le dossier parce que l’étape V est toujours en cours et, par-dessus tout, le dossier doit se limiter à ce qui se trouvait devant le décideur au moment du dépôt de la demande.

 

[14]           Le Projet est enregistré en novembre 2006 et les AR décident en février 2007 que la LCEE s’y applique.

 

[15]           En juin 2007, le ministre de l’Environnement renvoie l’évaluation à une commission d’examen. Comme la province de Terre-Neuve-et-Labrador conclut elle aussi qu’il est nécessaire de tenir des audiences publiques en vertu de la législation provinciale, les deux gouvernements conviennent de constituer une commission d’examen conjoint (CEC) en janvier 2009.

 

[16]           Il est important de noter que la LCEE prévoit trois types d’évaluation environnementale : un examen préalable, une étude approfondie et un examen par une commission. L’examen par une commission comporte une évaluation plus exhaustive ainsi qu’un rôle accru de la part des participants. L’évaluation est menée par la CEC après la conclusion, en janvier 2009, de l’« Entente relative à l’établissement d’une commission d’examen conjoint pour l’évaluation environnementale du Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill ». Le ministre fédéral de l’Environnement, de pair avec le ministre provincial de l’Environnement et de la Conservation et le ministre provincial des Affaires intergouvernementales, forment alors la commission constituée de cinq membres qui va être chargée de l’examen par une commission.

 

[17]           Pour mieux comprendre la portée et le degré de participation qu’exige l’EE, la Cour croit que le fait de reproduire de longs extraits de l’Entente relative à l’établissement d’une CEC, qui définissait les attributions relatives à l’EE de la Commission, permettra de mieux saisir les enjeux que soulève la présente demande. Tel qu’indique l’Entente relative à l’établissement d’une CEC :

2.0       Mise en place de la Commission

 

2.1       Une procédure est établie en vertu de la présente entente pour la mise en place d’une commission d’examen conjoint, en application des articles 40, 41 et 42 de la LCEE et de l’article 73 de l’EPA ayant pour objet l’examen du Projet.

 

3.0       Composition de la Commission

 

3.1       Le ministre de l’Environnement et le lieutenant-gouverneur en conseil de Terre-Neuve-et-Labrador établiront conjointement la Commission.

 

3.2       La Commission comprendra cinq membres.

 

4.0       Conduite de l’évaluation environnementale par la Commission

 

4.1       La Commission est investie des pouvoirs et fonctions conférés à une commission d’examen et décrits à l’article 35 de la LCEE ainsi qu’aux articles 64 et 65 de l’EPA et des règlements applicables.

 

4.2       La Commission devra réaliser l’EE de façon à s’acquitter des obligations prévues par la LCEE, l’EPA et le mandat de la Commission décrit à l’annexe 1.

 

6.0       Consignation de l’examen conjoint et du rapport

 

6.1       L’Agence tiendra un registre public de tous les documents produits, recueillis ou présentés en rapport avec l’EE du Projet à partir de la nomination des membres de la Commission jusqu’à la présentation du rapport de la Commission aux ministres. Le registre public sera tenu de façon à favoriser la consultation des documents par le public, pour assurer l’observation de l’article 55 de la LCEE et les pratiques du Ministère.

 

6.2       Dès l’achèvement de l’EE du Projet, la Commission préparera un rapport qu’elle soumettra aux ministres qui le rendront public.

 

6.3       Le rapport traitera des éléments qui doivent être examinés aux termes de l’article 16 de la LCEE et de l’article 65 de l’EPA et établira ses justifications, conclusions et recommandations concernant l’EE du Projet, y compris toutes les mesures d’atténuation et tous les programmes de suivi, et comprendra un résumé des questions soulevées par les groupes autochtones, le public, les gouvernements et les autres parties concernées. [Soulignement de la Cour]

 

6.4       Les parties conviennent de coordonner, dans la mesure du possible, le moment choisi pour annoncer les décisions concernant le Projet.

 

6.5       Après la présentation du rapport final au ministre de l’Environnement, la tenue du registre public incombera, en application de l’article 55 de la LCEE, à Pêches et Océans Canada à titre d’autorité responsable.

 

8.0       Aide financière aux participants

 

8.1       L’Agence administrera un programme d’aide financière aux participants pour favoriser la participation des groupes autochtones et du public à l’EE du Projet. [Soulignement de la Cour]

 

Partie I – Portée du Projet

 

Le promoteur propose un projet de construction d’installations hydroélectriques à Gull Island et aux chutes Muskrat et de lignes de transport d’électricité interconnectées au réseau de distribution existant du Labrador.

 

Le Projet comprend les éléments suivants, tels que décrits par le promoteur. Les dimensions ou caractéristiques précises de la proposition pourraient être modifiées en fonction des constatations de l’EE.

 

L’installation de Gull Island consiste en une centrale électrique d’une capacité d’environ 2 000 MW et comprend :

 

                     un barrage de 99 m de hauteur et 1 315 m de longueur;

                     un réservoir d’une superficie de 215 km et d’un niveau théorique le plus haut de 125 m au-dessus du niveau de la mer.

 

Le barrage sera une digue à enrochement à surface de béton. Le réservoir aura une longueur de 230 km et la superficie de la zone inondée sera de 85 km² au niveau le plus haut. La centrale comprendra cinq turbines Francis.

 

L’installation aux chutes Muskrat consistera en une centrale d’une capacité d’environ 800 MW qui comprendra :

 

                     un barrage en béton doté de deux sections sur les rives sud et nord de la rivière;

                     un réservoir d’une superficie de 100 km² dont le niveau théorique le plus haut sera de 39 m au-dessus du niveau de la mer.

 

Les sections nord et sud de la digue seront construites en béton compacté au rouleau. La section nord de la digue sera haute de 32 m et longue de 432 m, alors que la section sud sera haute de 29 m et longue de 125 m. Le réservoir aura une longueur de 60 km et la superficie de la zone inondée sera de l’ordre de 41 km² au niveau le plus haut.

 

La centrale comprendra quatre turbines à turbopropulseur ou turbines Kaplan, ou une combinaison des deux.

 

Les lignes de transport d’électricité interconnectées comprendront :

 

                     une ligne de transport d’électricité de 735 kV entre Gull Island et Churchill Falls;

                     deux lignes de 230 kV entre les chutes Muskrat et Gull Island.

 

La ligne de 735 kV s’étendra sur 203 km et celles de 230 kV auront 60 km de longueur. Ces deux lignes seront constituées de structures d’acier en treillis. Elles seront situées au nord du fleuve Churchill. Le tracé final fera l’objet d’une étude de sélection de tracé qui sera prise en compte dans l’EE et sera combiné dans des structures à double circuit.

 

Partie II – Portée de l’évaluation environnementale

 

La Commission doit tenir compte des facteurs suivants lors de l’EE du Projet tel que défini dans les paragraphes 16(1) et 16(2) de la LCEE et les articles 57 et 69 de l’EPA :

 

1.         la raison d’être du Projet;

2.         la nécessité du Projet;

3.         la justification du Projet;

4.         les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;

5.         les solutions de rechange au Projet;

6.         la mesure dans laquelle le Projet influe sur la biodiversité;

7.         la description de l’environnement actuel qui pourrait vraisemblablement être perturbé, directement ou indirectement, par le Projet, y compris la description adéquate des caractéristiques de base du secteur;

8.         la description de l’état futur probable de l’environnement pendant la durée de vie prévue du Projet, si le Projet n’était pas approuvé;

9.         les effets environnementaux du Projet, y compris les effets environnementaux découlant de défaillances, d’accidents ou d’événements fortuits qui pourraient se produire en rapport avec le Projet;

10.       les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

11.       la signification des effets environnementaux, tels que décrits aux points 9 et 10;

12.       les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du Projet y compris l’interaction entre ces mesures et les plans de gestion existants;

13.       les propositions portant sur la surveillance de la conformité environnementale;

14.       des mesures pour augmenter les effets positifs sur l’environnement;

15.       la nécessité d’un programme de suivi du Projet ainsi que ses modalités;

16.       la capacité des ressources renouvelables, risquant d’être touchées de façon importante par le Projet, de répondre aux besoins du présent et à ceux des générations futures;

17.       la mesure dans laquelle le principe de précaution est appliqué au Projet;

18.       les commentaires des Autochtones ou des groupes autochtones, du public et des parties intéressées reçus par la Commission dans le cadre l’EE;

19.       les facteurs liés aux changements climatiques, y compris les émissions de gaz à effet de serre;

20.       le programme d’information du public proposé.

 

Afin d’assister la Commission dans son analyse et l’examen des facteurs ci-haut mentionnés, outre le secrétariat créé par le Canada et Terre-Neuve-et-Labrador pour soutenir la Commission dans son travail, celle-ci pourra, tout en respectant son budget approuvé, retenir les services de spécialistes indépendants qui la renseigneront sur des questions techniques et scientifiques ou des questions liées à la connaissance traditionnelle et à la connaissance communautaire, ou l’aideront à les interpréter.

 

Considérations relatives aux droits des Autochtones

 

La Commission pourra recevoir de la part des Autochtones, des groupes ou des gouvernements autochtones des renseignements liés aux droits ancestraux et aux titres autochtones, revendiqués ou établis, dans le secteur visé par le Projet ainsi que des renseignements sur la manière dont ces droits ancestraux et titres autochtones revendiqués ou établis pourraient être touchés par les effets environnementaux possibles du Projet.

 

La Commission doit inclure dans son rapport :

 

1.                  les renseignements fournis par les Autochtone s ou les groupes autochtones en rapport avec les usages ancestraux et le caractère fondé des revendications en rapport avec les effets environnementaux que pourrait avoir le Projet sur des droits ancestraux et des titres revendiqués ou reconnus;

2.                  toute préoccupation soulevée par les Autochtones, les groupes ou les gouvernements autochtones ayant un lien avec les répercussions possibles sur les droits ancestraux et les titres autochtones revendiqués ou établis.

 

Le mandat de la Commission ne lui permet pas de se prononcer sur ou d’interpréter les éléments suivants :

 

                     t la validité ou le caractère fondé de n’importe quelle revendication des droits ancestraux et des titres autochtones ou des droits conférés par traité présentée par des groupes autochtones individuels;

                     la portée ou la nature du devoir de l’État de consulter les Autochtones, les groupes ou les gouvernements autochtones;

                     la mesure dans laquelle le Canada ou Terre-Neuve-et-Labrador ont rempli leurs devoirs respectifs de consulter et d’accommoder par rapport aux droits reconnus et affirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

                     la portée, la nature ou la signification de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Labrador. [Soulignement de la Cour]

 

Partie III – Étapes du processus d’évaluation environnementale

 

Les principales étapes de l’EE menée par la Commission sont les suivantes :

 

1.                  visite des lieux;

2.                  centres d’information publics;

3.                  présentation de l’EIE;

4.                  examen de l’EIE;

5.                  commentaires formulés par le promoteur;

6.                  recevabilité de l’EIE;

7.                  établissement du calendrier des audiences publiques;

8.                  lieu des audiences publiques;

9.                  tenue des audiences publiques;

10.              durée des audiences publiques;

11.              présentation du rapport de la Commission.

 

[18]           La version finale de l’énoncé des incidences environnementales [les Lignes directrices concernant l’EIE] est publiée par les gouvernements le 15 juillet 2008 après avoir pris en considération les observations de groupes autochtones, dont le demandeur, ainsi que d’autres intervenants entre le 19 décembre 2007 et le 27 février 2008 sur la portée du Projet et d’autres questions (voir la pièce A‑98 jointe à l’affidavit de Bennett, observations de Nalcor [ON], vol. 1, et affidavit de Chapman, aux paragraphes 71 et 99, observations des défendeurs du gouvernement fédéral, vol. 1).

 

[19]           Les Lignes directrices concernant l’EIE constituent un document de 10 800 pages qui traite de la nécessité, des solutions de rechange et des effets cumulatifs du Projet.

 

[20]           Les sujets de préoccupation dont il a été question dans l’EIE sont définis au moyen : a) des Lignes directrices concernant l’EIE; b) des consultations menées auprès des intervenants et du grand public; c) des connaissances locales et existantes sur les effets environnementaux potentiels de divers projets (dont des projets hydroélectriques); d) des observations de Nalcor décrivant l’environnement existant; et e) d’une analyse menée par l’équipe d’étude de Nalcor, formée de quinze entreprises de consultation en matière d’environnement.

 

            (Voir les pièces H, I, JJ et NN jointes à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1, pages 421, 453 et 1737)

 

[21]           Le demandeur a reçu des résumés en langage simple de l’EIE, traduits en français et dans le dialecte québécois appelé « innu-aimun » (l’innu-aimun).

            (Voir la pièce A‑398 jointe à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1)

 

[22]           Entre le 9 mars 2009 et le 15 avril 2011, la CEC mène son processus de collecte de renseignements. Elle commence par inviter le grand public et les organismes gouvernementaux à commenter le caractère adéquat de l’EIE. Le demandeur est au nombre des 52 parties qui présentent des observations détaillées (voir le document intitulé [traduction] « Commentaires juridiques sur le caractère approprié de l’énoncé des incidences environnementales du Projet de centrale de production d’énergie hydroélectrique dans la partie inférieure du fleuve Churchill », daté du 22 juin 2009 (dossier du demandeur, pièce 12, page 996, ON, vol. 3, page 490)).

            (Voir la pièce J jointe à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1, page 462)

 

[23]           Ces observations amènent la CEC à présenter des demandes d’information [DI] à Nalcor. Entre le 1er mai 2009 et le 21 mars 2010, la CEC envoie 166 DI, en cinq séries distinctes. Le processus vise à permettre à la CEC et au grand public de : a) examiner en détail l’EIE; b) présenter des demandes additionnelles d’information; et c) commenter les réponses de Nalcor aux DI.

 

            (Voir les pièces A‑251 à A‑432, K et L, pages 498 et 513 à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1 et 3)

 

[24]           Nalcor met en œuvre pour le Projet un cadre de planification appelé [traduction] « processus de contrôle ». Ce processus comporte six étapes séquentielles, allant de l’évaluation de l’opportunité à la mise hors service. Essentiellement, à chacune des six étapes, on retrouve un point de décision sur le développement ou pas du Projet. Soit que l’activité est suspendue en attendant de recevoir des renseignements additionnels, soit qu’elle passe à l’étape séquentielle suivante, ou qu’elle est abandonnée.

 

[25]           Suite à une annonce du premier ministre Williams, faite le 25 octobre 2010, au sujet d’un éventuel changement au jalonnement du Projet, il est demandé à Nalcor de fournir des renseignements additionnels sur le changement apporté au jalonnement ainsi que sur les incidences potentielles et les effets environnementaux correspondants. Les réponses DI#CEC.165 et DI#CEC.166, déposées en janvier 2011, totalisent 160 pages. La conclusion principale veut que le rejalonnement des étapes du Projet n’entraînent pas d’incidence marquée sur les effets environnementaux prévus (voir la pièce A‑549 jointe à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 11, page 2756). Ces réponses ne font aucunement référence au demandeur ou à d’autres Innus du Québec.

 

[26]           La demande relative à la ligne de transport d’énergie est déposée le 29 janvier 2009 et révisée le 15 septembre de la même année. Elle porte sur la construction et l’exploitation d’une ligne de transport d’énergie d’une longueur d’environ 1 100 km ainsi que sur l’infrastructure connexe entre le Labrador et l’île de Terre-Neuve, et elle privilégie finalement comme corridor de transport Gros-Morne et le franchissement des monts Long Range (voir le dossier du demandeur, affidavit de V. Duro, pièce 10, vol. 3, page 804).

 

[27]           Il ressort du dossier que Nalcor a déposé plus de 5 000 pages de documents additionnels à soumettre à l’examen de la CEC et des intervenants, sous forme de réponses aux DI. Treize des DI ont trait aux préoccupations précises du demandeur sur les aspects suivants : a) la consultation des Autochtones; b) les caribous, y compris les hardes des monts Red Wine et du lac Joseph; c) les mesures de surveillance et de suivi; et d) les méthodes d’étude des oiseaux aquatiques.

            (Voir les pièces A‑251, A‑432, A‑588, K, L, KK et LL jointes à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1, 3 et 8)

 

[28]           À deux reprises, la CEC invite le grand public à commenter les réponses de Nalcor aux DI. Le demandeur présente ses observations détaillées.

            (Voir les pièces K, M et N jointes à affidavit de Bennett, ON, vol. 3, pages 498 et 544, ainsi que les pièces 13 et 17 jointes à l’affidavit de Duro (dossier du demandeur, vol. 4 et 5)

 

[29]           Le 14 janvier 2011, la CEC décide que l’EIE (y compris les informations additionnelles transmises par Nalcor) suffit pour procéder à la tenue des audiences.

            (Voir la pièce A‑544 jointe à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1)

 

[30]           Le 14 janvier 2011, on informe les participants que les audiences débuteraient le 3 mars 2011. Les procédures finales concernant la tenue des audiences publiques sont diffusées le 16 février 2011, après l’examen d’observations détaillées présentées par le grand public, dont le demandeur.

 

[31]           Les audiences se déroulent sur une période de trente jours, soit du 3 mars au 15 avril 2011, dans six collectivités différentes ainsi que dans la province du Québec. On y tient des séances de nature générale, des séances communautaires ainsi que des séances portant sur des sujets précis.

            (Voir la pièce A‑1385 jointe à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 12)

 

[32]           Le demandeur, par l’entremise de ses représentants, formule ses observations orales lors de la séance communautaire tenue à Sept-Îles (Québec) le 7 avril 2011, occasion au cours de laquelle il présente un film vidéo et des documents à la CEC. Des services d’interprétation sont fournis (en français et en innu-aimun) à cette occasion.

            (Voir les pièces A-1220, A-1244, A-1280 et A-1284 jointes à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1, ainsi que les pièces 20 à 25, 28 et 43 jointes à l’affidavit de Duro, dossier du demandeur, vol. 5, 6 et 9)

 

[33]           À l’issue des trente jours d’audiences, la CEC déclare le dossier clos.

 

 

Le rapport de la Commission

[34]           Le rapport de la Commission, d’une longueur de 355 pages est communiqué aux gouvernements et au grand public les 23 et 25 août 2011, respectivement.

            (Voir le dossier du demandeur, affidavit de V. Duro, pièce 3, vol. 1, page 221)

 

[35]           Comme l’exigent la LCEE et les attributions, le rapport de la Commission contient : a) une description du processus d’EE, dont les audiences publiques; b) la raison d’être, les conclusions et les recommandations concernant la nature et l’ampleur des effets environnementaux possibles; c) des recommandations portant, notamment, les mesures d’atténuation liées à la gestion environnementale du Projet, les caribous, ainsi que les programmes de surveillance et de suivi; d) un sommaire des problèmes relevés ainsi que des commentaires et des recommandations reçus d’Autochtones ou de groupes autochtones; et e) un sommaire des questions invoquées ainsi que des commentaires et des recommandations reçus du grand public, des gouvernements et des parties intéressées.

 

La décision et la réponse du gouvernement fédéral

[36]           Conformément aux dispositions de la LCEE et de la LPE, les gouvernements publient conjointement leurs réponses et les décisions le 15 mars 2012.

 

 

            (Voir les pièces R, S et T jointes à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 3, ainsi que l’affidavit de V. Duro, dossier du demandeur, pièces 1 et 3, vol. I, pages 170 et 218)

 

[37]           La réponse décrit la participation du gouvernement fédéral au Projet de production d’énergie, le processus d’EE, ainsi que les principales questions que contient le rapport de la CEC. Elle présente aussi les conclusions du gouvernement fédéral ainsi que les motifs pour lesquels ce dernier conclut que les effets environnementaux négatifs importants du Projet de production d’énergie sont justifiés par ses avantages; elle décrit également les décisions que TC et le MPO doivent prendre aux termes de leurs lois respectives ainsi que celles qui doivent être prises aux termes de la LCEE, et elle répond à chacune des recommandations de la CEC.

            (Voir la pièce R jointe à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 1 et 3, dossier du demandeur, et l’affidavit de V. Duro, pièce 1, vol. 1, page 170)

 

[38]           Dans la décision, on conclut qu’il est nécessaire de mettre en œuvre pour la réalisation du Projet des mesures d’atténuation en vue de tenir compte, notamment, des aspects suivants : a) les oiseaux, les poissons et les mammifères et/ou leur habitat (les caribous); b) l’utilisation que font actuellement les Autochtones de terres et de ressources à des fins traditionnelles; c) les effets socioéconomiques; et d) le patrimoine physique et/ou culturel. Il a été exigé aussi que l’on mette en œuvre un programme de suivi en vue de vérifier l’exactitude de l’EE et de juger de l’efficacité des mesures prises en vue d’atténuer les effets environnementaux négatifs du Projet pour la période s’échelonnant du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2037.

            (Voir la pièce S jointe à l’affidavit de Bennett, ON, vol. 3, et l’affidavit de V. Duro, pièce 2, vol. 1, page 218)

 

III.             Les dispositions légales applicables

[39]           Les dispositions applicables de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37 et de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11, sont annexées à la présente décision.

 

IV.             Les questions en litige

[40]           La Cour formule comme suit les questions que soulève cette demande :

 

1.         La contestation, par le demandeur, de la décision relative la portée du Projet est-elle prescrite? Si non, la portée du Projet a-t-elle été déterminée conformément à l’article 15 de la LCEE?

2.         Les défendeurs du gouvernement ont-ils examiné convenablement les éléments énoncés à l’article 16 de la LCEE avant de publier leur décision et leur réponse conformément à l’article 37 de la LCEE?

3.         Le demandeur a-t-il été consulté et accommodé convenablement à l’égard du Projet?

 

V.                Norme de contrôle et analyse de la première question :

 

1.         La contestation, par le demandeur, de la décision relative la portée du Projet est-elle prescrite? Si non, la portée du Projet a-t-elle été déterminée conformément à l’article 15 de la LCEE?

 

A.                Norme de contrôle

 

[41]           La détermination de la portée d’un projet, aux termes de l’article 15 de la LCEE, est un exercice discrétionnaire qui doit être révisé selon la norme de la décision raisonnable (voir Prairie Acid Rain Coalition c Canada (Ministre des Pêches et des Océans) [Prairie Acid Rain Coalition], 2004 CF 1265, au para 42; Inverhuron & District Ratepayers Ass. c Canada (Ministre de l’Environnement) [Inverhuron], 2001 CAF 203; Bow Valley Naturalists Society c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2001 CanLII 22029 (CAF), [2001] 2 CF 461), au para 55 [Bow Valley]; Pembina Institute for Appropriate Development c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2005 CF 1123).

 

B.        Analyse

[42]           Le demandeur conteste, bien qu’indirectement, la décision prise par le ministre de l’Environnement [le ministre] relativement à la détermination de la portée du Projet aux termes de l’alinéa 15(1)b) de la LCEE, soit celle d’effectuer des EE distinctes pour le Projet et pour la ligne de transport d’énergie. Il soutient que cela est revient à [traduction] « fractionner le projet ». Citant les paragraphes 15(1) et 15(3) de la LCEE, il fait valoir que le ministre a refusé de manière déraisonnable d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont il dispose d’étendre la portée de l’EE du Projet en n’incluant pas la ligne de transport d’énergie. Cette ligne, ajoute-t-il, est un ouvrage connexe qui allait probablement être construit en liaison avec le Projet et qui en constitue maintenant un élément essentiel.

 

[43]           Selon le demandeur, le résultat inévitable du défaut [traduction] « [d’]intégrer dans la portée » la ligne de transport d’énergie est que les effets négatifs véritables du Projet proprement dit demeurent inconnus, ce qui, par ricochet, rend déraisonnable la décision des autorités responsables (prise aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LCEE) selon laquelle les effets environnementaux négatifs importants du Projet pouvaient se justifier dans les circonstances.

 

[44]           Les défendeurs répliquent que la révision judiciaire de la décision du ministre concernant la détermination de la portée est prescrite par le paragraphe 18.1(2) de la LCF et que le demandeur tente indirectement de contester cette décision par des arguments fondés sur l’alinéa 37(1)a) de la LCEE qu’il invoque et que, de toute façon, la décision de conserver la portée du Projet proposé par Nalcor était raisonnable.

 

[45]           Une décision relative à la détermination de la portée d’un projet que l’on prend aux termes de l’article 15 de la LCEE est sans conteste une décision rendue par un « office fédéral » au sens du paragraphe 18.1(2) de la LCF (voir la décision Prairie Acid Rain Coalition et les arrêts Inverhuron et Bow Valley, précités). Cela étant, il fallait que le demandeur dépose sa demande de révision judiciaire dans les 30 jours suivant la date de la première communication de la décision. Toutefois, la Cour peut, à son gré, accorder une prorogation du délai imparti pour déposer une demande de révision (voir le paragraphe 18.1(2) de la LCF).

 

[46]           À titre de question préliminaire, la Cour juge nécessaire de traiter de la pertinence de la décision rendue dans l’affaire Tzeachten First Nation c Canada (Procureur général), 2007 CF 1131 [Tzeachten 1], relativement à la demande en l’espèce. Appliquant le raisonnement formulé dans Krause c Canada, [1999] ACF no 179, le juge Lemieux a conclu : [traduction] « aucune prorogation de délai n’est requise […] quand le litige a pour objet d’obtenir réparation dans une affaire où l’obligation de consultation et d’accommodement à l’égard de réserves et d’Autochtones est mise en cause » (décision Tzeachten 1, précitée, au para 27). Le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la LCF pour le dépôt d’une demande ne s’applique pas dans de tels cas.

 

[47]           Toutefois, il faut faire une distinction entre la décision rendue dans Tzeachten 1 et celle en l’espèce car dans Tzeachten 1, il est question du droit du groupe autochtone de soumettre à une révision judiciaire le processus de consultation de la Couronne, et ce, nonobstant son défaut de déposer la demande dans le délai imparti. Ce n’est pas le cas en l’espèce car si la Cour déclare, suite à la révision judiciaire, que les décisions relatives à la détermination de la portée sont prescrites, cela n’aura pas d’incidence sur la révision judiciaire du processus de consultation offert au demandeur. Le paragraphe 18.1(2) continue de s’appliquer.

 

[48]           La décision relative à la détermination de la portée du Projet est prise par le ministre et communiquée au demandeur le 8 janvier 2009. Il importe de signaler que ce dernier est au courant de la portée du Projet depuis le mois de décembre 2007, date de la publication des Lignes directrices concernant l’EIE. Quant à la décision d’effectuer des EE distinctes pour le Projet de production d’énergie et pour la ligne de transport d’énergie, Nalcor a informé le demandeur de la portée du Projet en février 2009 et la décision a été prise en novembre 2009. Par ailleurs, la décision a été confirmée de nouveau et communiquée au demandeur à de multiples occasions par la suite, et la communication pertinente la plus récente a eu lieu le 31 janvier 2011. Cette dernière confirmation répond à une lettre du 16 décembre 2010 dans laquelle le demandeur fait part de ses préoccupations quant aux décisions relatives à la détermination de la portée du Projet à l’Agence, à la province et à la CEC. Malgré ses préoccupations, le demandeur ne dépose sa demande de révision judiciaire que le 16 avril 2012.

 

[49]           Dans la décision Harold Leighton et al c Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 2007 CF 553, aux para 33 et 34, le juge Lemieux résume les principes qui devraient guider la décision d’accorder une prorogation du délai imparti pour déposer une demande de révision judiciaire :

[33]      Accorder ou rejeter une demande de prorogation du délai prévu pour l’introduction d’une procédure de contrôle judiciaire relève d’un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé d’après les principes applicables. Ces principes sont bien établis depuis un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263, qui fait aujourd’hui jurisprudence.

 

[34]      D’après l’arrêt Grewal ainsi que d’autres arrêts de la Cour d'appel fédérale, la tâche à accomplir est la suivante :

 

• plusieurs facteurs ou considérations doivent être pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire;

 

• ces facteurs sont les suivants : (1) l’intention constante de déposer la demande, (2) l’absence de préjudice pour la partie adverse, (3) le motif du délai, (4) le bien-fondé de la demande, à savoir si elle repose sur des arguments défendables (ci-après le critère en quatre volets), et (5) tous les autres facteurs pertinents propres à l’affaire [c’est moi qui souligne], voir l’arrêt James Richardson International Ltd. c. Canada [2006] A.C.F. 180, paragraphes 33 à 35;

 

• ainsi que l’expliquait la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Jakutavicius c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. 289, ces facteurs ou considérations ne sont pas des règles qui entravent le pouvoir discrétionnaire de la Cour. Après que sont choisis les facteurs ou considérations à retenir, un poids suffisant doit être accordé à chacun d’eux;

 

• le poids à accorder à chacun des facteurs ou considérations variera selon chaque cas d’espèce (Stanfield c. Canada, 2005 CAF 107);

 

• le principal facteur à prendre en compte dans une demande de prorogation de délai est la nécessité de faire en sorte que justice soit rendue entre les parties. La prise en compte des facteurs accessoires compris dans le critère en quatre volets, à savoir l’intention constante de déposer la demande, l’existence d’arguments défendables, motif du délai et l’absence de préjudice pour la partie adverse, constitue un moyen de garantir l’accomplissement du critère principal, celui de faire en sorte que justice soit rendue entre les parties. Une prorogation de délai peut être accordée même si l’un des facteurs accessoires n’est pas respecté (Ministre du Développement des ressources humaines c. Hogervrost, 2007 CAF 41); et

 

• les facteurs compris dans le critère ne sont pas conjonctifs (arrêt Grewal, précité, pages 11 et 13).

 

[50]           La Cour reconnaît que le demandeur a des arguments à faire valoir, mais, en l’espèce, elle n’accorde pas de prorogation pour les motifs suivants. Premièrement, la contestation indirecte survient deux ans après que la décision relative à la détermination de la portée du projet de ligne de transport d’énergie a été communiquée au demandeur, et ce dernier n’a pas demandé une telle prorogation. Deuxièmement, la Cour est convaincue que tout retard attribuable à une révision judiciaire de la décision relative à la détermination de la portée du Projet causera un grave préjudice financier aux parties adverses (Nalcor et les défendeurs du gouvernement), de même qu’au grand public en général.

 

[51]           Le demandeur n’a pas présenté à la Cour une demande de prorogation du délai imparti pour contester les décisions relatives à la détermination de la portée du projet, pas plus qu’il n’explique de manière raisonnable le délai de deux ans qui s’est écoulé avant qu’il ne dépose une demande sur cette question. Cela n’est pas surprenant, car le demandeur conteste ces décisions indirectement en s’appuyant sur le paragraphe 37(1) de la LCEE. La Cour souligne que le demandeur est représenté par des avocats compétents tout au long de cette période et qu’il aurait dû contester les décisions relatives à la détermination de la portée à la première occasion, même avant de prendre part aux deux processus d’EE qui en ont découlé.

 

[52]           Puisque le demandeur a négligé de contester les décisions du ministre au sujet de la détermination de la portée du Projet, les processus d’EE se sont enclenchés. Des études ont été menées, des réunions ont eu lieu et de sérieux investissements ont été faits par les promoteurs en vue d’avancer le Projet. Comme l’expliquent les défendeurs : [traduction] « [c]hanger la portée des deux projets à ce stade-ci obligerait à tout le moins à tenir un nouveau processus d’EE, à préparer un nouvel EIE, à former de nouveau une CEC, à planifier de nouvelles audiences publiques et à faire participer une fois de plus des centaines d’intervenants, le tout en occasionnant des frais, des inconvénients et des retards considérables ».

 

                     La décision du ministre de ne pas étendre la portée du projet proposé par Nalcor était-elle raisonnable?

 

[53]           Que la contestation du demandeur au sujet de la détermination de la portée du projet soit prescrite ou pas, la Cour conclut que la décision du ministre de maintenir la portée du Projet, dans la forme où Nalcor l’a proposée, est raisonnable.

 

[54]           Aux termes de l’article 15 de la LCEE, les AR (en vertu de l’alinéa 15(1)a)) ou le ministre (en vertu de l’alinéa 15(1)b)) possèdent le pouvoir discrétionnaire de déterminer quels éléments d’un ouvrage proposé constitueront un projet en vue de l’exécution d’une EE. Dans l’arrêt Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 RCS 6, au para 39 [Mines Alerte], la Cour suprême du Canada fixe des limites à ce pouvoir discrétionnaire en arrivant à la conclusion que « […] la portée minimale du projet est celle du projet tel qu’il est proposé par le promoteur, et l’AR ou le ministre a le pouvoir de l’élargir lorsque les faits et circonstances du projet le justifient. » Les paragraphes 15(2) et (3) illustrent des situations dans lesquelles l’AR ou le ministre peut étendre la portée du projet au-delà de la description que propose le promoteur. « En somme, bien que la portée présumée du projet à évaluer soit la portée du projet tel qu’il est proposé par le promoteur, l’AR ou le ministre peut, en vertu des par. 15(2) et (3), l’élargir si les circonstances le justifient. » (Mines Alerte, précité, au para 39). Le ministre peut également étendre la portée d’un projet en vertu du paragraphe 15(1) si les conditions énoncées aux paragraphes 15(2) et (3) ne sont pas remplies.

 

[55]           L’un des préjudices que les paragraphes 15(2) et (3) visent à éviter porte le nom de « fractionnement du projet ». La Cour suprême explique qu’il se peut que l’on « fractionne le projet » quand un promoteur « […] en présent[e] une partie au lieu de la totalité, ou en présent[e] plusieurs parties d’un projet à titre de projets indépendants de façon à contourner des obligations additionnelles en matière d’évaluation […] ». Elle donne ensuite un exemple de la façon dont il est possible de recourir au fractionnement d’un projet pour « contourner des obligations additionnelles en matière d’évaluation » :

Lorsque l’AR ou le ministre décide de combiner des projets ou d’élargir la portée d’un projet en vertu des par. 15(2) ou (3), il est concevable que le projet tel qu’il est proposé par le promoteur nécessite seulement un examen préalable. Toutefois, lorsque l’AR ou le ministre prend en compte toutes les questions liées au projet tel qu’il est proposé, il se peut que celui‑ci devienne ainsi visé dans la [liste d’étude approfondie]. Il devrait alors faire l’objet d’une étude approfondie. (Mines Alerte, au para 40)

 

[56]           Autrement dit, le fractionnement d’un projet peut servir à se soustraire à une EE plus rigoureuse. En l’espèce, le demandeur soutient que Nalcor se livre à une forme de fractionnement de projet. En assujettissant le Projet et la ligne de transport d’énergie à des EE distinctes, Nalcor, selon le demandeur, dissimule l’empreinte environnementale véritable du Projet et peut donc en justifier plus facilement les effets environnementaux négatifs. Il souligne également que les effets négatifs du Projet et de la ligne de transport d’énergie sont analysés séparément, et pourtant la réponse du gouvernement tient compte de leurs effets positifs de manière cumulative.

 

[57]           Afin d’aider les AR ou le ministre à décider s’il convenait ou non d’étendre ou d’élargir la portée d’un projet au-delà du niveau avancé par un promoteur, l’Agence publiait, en février 2010, un énoncé de politique opérationnelle [EPO] intitulé « Établissement de la portée du projet et du type d’évaluation en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale ». Selon cet EPO, lorsque deux projets peuvent être considérés comme des « composantes reliées entre elles », il faut généralement déterminer leur portée ensemble. Deux projets sont des composantes reliées entre elles quand : 1) une composante est automatiquement déclenchée par une autre; 2) une composante ne peut aller de l’avant sans l’autre; ou 3) les deux font partie d’un plus grand ensemble et n’ont, si on en tient compte séparément, aucune utilité sans l’autre.

 

[58]           Le demandeur soutient que l’alinéa 15(3)b) oblige le ministre « tout au long de l’évaluation [à] se pencher sur la question de savoir s’il y a d’autres opérations susceptibles “d’être réalisées en liaison avec l’ouvrage” […] dont le promoteur propose la construction » (dossier du demandeur, vol. 2, page 3663, au paragraphe 158). Cette interprétation du paragraphe 15(3) va à l’encontre de la jurisprudence portant sur la question de la détermination de la portée. Dans l’arrêt Friends of the West Country Assn. c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 1999 CanLII 9379 (CAF), [2000] 2 CF 263, au para 14 [Sunpine], la Cour d’appel explique que « le paragraphe 15(3) n’a pas pour effet d’élargir la portée d'un projet au delà de la définition faite conformément au paragraphe 15(1) ». Autrement dit, le paragraphe 15(3) n’est pertinent que dans les cas où l’AR ou le ministre détermine au départ la portée du projet en vertu du paragraphe 15(1). Une fois que la portée du Projet arrêtée, le paragraphe 15(3) n’impose plus au ministre l’obligation de l’étendre. De l’avis de la Cour, la véritable question à poser en l’espèce est de savoir si le paragraphe 15(3) obligeait le ministre à inclure la ligne de transport d’énergie lorsqu’il a déterminé la portée du Projet. La Cour conclut que le ministre n’était pas tenu de le faire, et ce, pour les motifs qui suivent.

 

[59]           La ligne de transport d’énergie ne consistant pas une « opération – construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre – constituant un projet lié » au Projet (paragraphe 15(3) de la LCEE). Selon la jurisprudence, ces opérations sont des travaux « ayant trait à la durée de l’ouvrage en question, ou accessoire[s] à cet ouvrage qui est au cœur même du projet défini » (arrêt Sunpine, précité, au para 20). Dans Sunpine, la Cour d’appel donne quelques exemples du type d’ouvrage qu’envisage le paragraphe 15(3) :

[P]ar exemple, quelque chose d'aussi important qu'un batardeau afin de retenir les eaux lorsque la construction d'un pont exige des travaux sur le lit d'une rivière, ou bien quelque chose de moindre ampleur, telle que la construction de logements provisoires pour les employés du chantier. (Sunpine, au para 20)

 

[60]           La Cour convient avec les défendeurs que la ligne de transport d’énergie n’était pas au départ un ouvrage accessoire qui faisait partie de la durée du Projet. La ligne de transport d’énergie ne sera pas érigée en vue de réparer, d’entretenir ou de désaffecter le barrage des chutes Muskrat.

 

[61]           Les deux dispositions pertinentes sont donc les paragraphes 15(1) et (2).

 

[62]           Le paragraphe 15(2) indique clairement que l’AR ou le ministre peut étendre la portée d’un projet en vue d’inclure un ou plusieurs autres projets qui sont « liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet ». Le paragraphe 15(2) envisage clairement la situation dans laquelle un promoteur tente de faire enregistrer des projets étroitement liés en vue de la tenue d’EE distinctes au même moment où peu de temps après. Comme les défendeurs en font la remarque à la Cour, à l’époque où le Projet est enregistré en vue de son EE :

[traduction] Nalcor s’efforçait de déterminer les options de transport […] [et] n’avait pas encore décidé : a) quel marché elle exploiterait (un trajet terrestre coupant à travers le Québec en vue de joindre des marchés d’exportation, des tracés depuis le Labrador jusqu’à l’Île et au travers de celle‑ci vers des marchés d’exportation dans les Maritimes et/ou les États-Unis, ou une exploitation industrielle au Labrador); ou (l’option privilégiée) pour répondre aux besoins intérieurs de l’Île » (ON, page 3355, paragraphe 95).

 

[63]           Même si le projet de ligne de transport d’énergie faisait partie des options qui figuraient dans le Plan énergétique, aucune décision n’avait été prise à l’époque où le Projet fut enregistré.

 

[64]           Le demandeur laisse entendre que la ligne de transport d’énergie était en réalité un « fait accompli » et que Nalcor se livrait à un fractionnement de projet. Les éléments de preuve contenus dans le dossier, et plus précisément l’ordre des événements, n’étayent pas l’allégation selon laquelle Nalcor tentait de fractionner le Projet en deux. Quand le ministre prend sa décision, il applique à juste titre le paragraphe 15(1) de la LCEE en déterminant la portée du Projet comme Nalcor le proposait. Le projet de ligne de transport d’énergie n’a pas été automatiquement déclenché par le Projet. Comme le font valoir les défendeurs : [traduction] « [l]e Projet de production d’électricité était, du point de vue technique et économique, faisable en soi en vue de livrer de l’électricité et de se connecter au réseau existant du Labrador » (ON, page 3357, paragraphe 100). L’option initiale envisageait d’exploiter d’abord Gull Island en vue d’exporter l’électricité en passant par le corridor du Québec. De plus, le préjudice dont se soucie le demandeur (le fait de ne pas avoir tenu compte cumulativement des effets environnementaux du Projet avec le projet de ligne de transport d’énergie) est réglé par l’alinéa 16(1)a) de la LCEE, qui exige qu’une EE inclue « les effets environnementaux du projet […] et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets […], est susceptible de causer à l’environnement ».

 

[65]           Il est important de signaler que Nalcor enregistre le projet de ligne de transport d’énergie en vue de la tenue d’une EE distincte en janvier 2009 (deux ans après l’enregistrement du Projet). Le projet de ligne de transport d’énergie a tout d’abord fait l’objet d’un suivi dans le cadre d’un examen préalable pour être relevé au niveau de l’étude approfondie après la publication de l’arrêt Mines Alerte. Les deux projets ont toutefois été considérés comme des EE distinctes. Ces décisions ont été communiquées au grand public le 14 avril 2010. La décision de tenir des EE distinctes pour le Projet et pour la ligne de transport d’énergie était-elle raisonnable?

 

[66]           Même s’il est clair qu’en avril 2010 les deux projets demeurent étroitement liés (au point où la ligne de transport d’énergie ne peut aller de l’avant sans le Projet) que les AR auraient pu alors envisager de les joindre, la Cour conclut que la décision de tenir deux EE distinctes était néanmoins raisonnable, et ce, pour les motifs suivants. Premièrement, étant donné que le projet de ligne de transport d’énergie avait été relevé au niveau de l’étude approfondie, le préjudice que le paragraphe 15(2) visait à éviter (c’est-à-dire une EE moins rigoureuse pour l’un des projets) ne posait plus problème. De plus, l’alinéa 16(1)a) garantissait qu’il n’y avait aucun risque que les effets environnementaux des deux projets soient considérés de manière indépendante. En fait, les effets négatifs combinés des projets vont être examinés à deux reprises (une première fois dans l’EE relative au Projet, et une seconde fois dans l’EE relative à la ligne de transport d’énergie).

 

[67]           Deuxièmement, il convient de signaler que l’EE relative au Projet est déjà bien avancée quand la ligne de transport d’énergie est enregistrée, ainsi que Nalcor l’a indiqué :

[traduction] l’Entente relative à l’établissement d’une CEC était signée; les Lignes directrices concernant l’EIE avaient été publiées; Nalcor avait déposé son EIE de 11 000 pages et répondu à 165 DI. […] Le relancement de l’EE relative au Projet de production d’électricité en vue d’englober les deux projets aurait été hautement préjudiciable pour toutes les parties : a) cela aurait causé un retard considérable et beaucoup de confusion chez les intervenants; b) cela aurait obligé Nalcor à recommencer l’EIE et les études qui en faisaient partie (et qui avaient pris des années à préparer), y compris à la soumettre de nouveau à l’examen de tous les intervenants; c) cela aurait obligé Nalcor à rajuster les calendriers de construction applicables aux deux projets (ON, page 3358, paragraphe 106).

 

[68]           En bref, la Cour souscrit à l’argument des défendeurs selon lequel le fait de tenir des EE distinctes n’a causé aucun préjudice, alors que le fait de les joindre aurait gaspillé une quantité importante de travail et coûté une somme d’argent considérable. Selon la LCEE, le principal facteur est d’examiner avec soin et prudence l’effet environnemental du Projet et de la ligne de transport d’énergie et de s’assurer d’une participation sérieuse du public pendant toute la durée du processus d’EE. Le demandeur n’a pas convaincu la Cour qu’il était déraisonnable de ne pas procéder à une EE unique pour le Projet et pour la ligne de transport d’énergie. Il n’est pas clair que le fait de commencer à neuf une EE unique en avril 2010 (c’est-à-dire au moment où le projet de ligne de transport d’énergie est relevé au niveau de l’étude approfondie) aurait nettement amélioré la qualité de l’évaluation des effets environnementaux de ces projets. De là notre conclusion voulant que la décision de tenir distinctes les EE relatives au Projet et à la ligne de transport d’énergie est raisonnable, compte tenu des circonstances.

 

 

 

 

VI.       Norme de contrôle et analyse de la deuxième question :

 

2.         Les défendeurs du gouvernement ont-ils examiné convenablement les éléments énoncés à l’article 16 de la LCEE avant de publier leur  décision et leur réponse conformément à l’article 37 de la LCEE?

 

A.        Norme de contrôle

 

1.         L’article 16 de la LCEE

[69]           Dans la décision Pembina Institute for Appropriate Development c Canada (Procureur général), 2008 CF 302, au para 37 [Pembina], la juge Tremblay-Lamer résume la jurisprudence concernant la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions prises aux termes de l’article 16 de la LCEE :

Dans la mesure où les questions soulevées ont trait à l’interprétation de la LCEE, toutes les parties conviennent que celles-ci, en tant que questions de droit, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Friends of West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] C.F. 263, [1999] A.C.F. no 1515 (QL), au par. 10; Bow Valley Naturalists Society c. Canada (Ministre de Patrimoine canadien), [2001] 2 C.F. 461, [2001] A.C.F. no 18 (QL), au par. 55). Toutefois, les questions concerant [sic] l’appréciation de la portée de la preuve et des conclusions tirées de cette preuve, y compris l’importance d’un effet environnemental, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (Bow Valley, précitée, au par. 55; Inverhuron, précitée, aux para 39 et 40).

 

 

[70]           En l'espèce, la question en litige consiste à savoir si la CEC pouvait, en l’absence de certains renseignements, conclure valablement que l’impact du Projet sur l’utilisation du demandeur des terres à des fins traditionnelles serait négatif, mais non important, une fois la mise en œuvre de mesures d’atténuation. Là il s’agit clairement d’une question liée à « l’appréciation de la portée de la preuve et des conclusions tirées de cette preuve, y compris l’importance d’un effet environnemental […] ». La norme de contrôle qui s’applique à une telle question est celle de la décision raisonnable (voir Pembina, précitée, au para 37).

 

[71]           On doit aussi mentionner que bien plus récemment, dans la décision Grand Riverkeeper, Labrador Inc c Canada (Procureur général), 2012 CF 1520 [Grand Riverkeeper], le juge Near réévalue la norme de contrôle applicable à la même question dans le contexte des quatre facteurs décrits dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008 ] ACS no 9 [Dunsmuir], soit : 1) l’existence d’une clause privative; 2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante; 3) l’expertise du tribunal administratif; et 4) la nature de la question en cause (Dunsmuir, précité, au para 64). Le juge Near conclut également que la norme de contrôle qui s’applique à de telles questions est celle de la décision raisonnable (voir la décision Grand Riverkeeper, précitée, au para 40).

 

2.         Les paragraphes 37(1) et 37(1.1)

[72]           Les décisions que prennent les autorités responsables après avoir reçu un rapport d’EE sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Inverhuron, précité, au para 32). Dans l’arrêt Bow Valley, précité, au para 78, le juge Linden décrit en ces termes le degré de déférence dû à ces décisions :

La Cour doit s’assurer que les étapes prévues à la Loi sont suivies, mais elle doit, quant au fond, s’en remettre aux autorités responsables lorsqu’elles définissent la portée du projet, l’importance de l’examen préalable et l’évaluation des effets cumulatifs au vu des facteurs d’atténuation proposés. Ce n’est pas aux juges de décider quels projets doivent être autorisés, mais bien aux autorités responsables, dans la mesure où elles suivent le processus prévu par la loi.

 

[73]           C’est également ce que suggère la décision Pembina, précitée, à propos des décisions prises aux termes de l’article 37 :

L’évaluation des effets environnementaux d’un projet et des mesures d’atténuation proposées déborde du débat des politiques gouvernementales, lequel de par sa nature propre prend en compte une gamme étendue de points de vue et de facteurs additionnels que la Commission écarte d’emblée en se concentrant sur les effets environnementaux liés à un projet. En revanche, l’al. 37(1)a) autorise l’autorité responsable à approuver la mise en œuvre totale ou partielle d’un projet même si celui-ci est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs si ces effets « sont justifiables dans les circonstances ». En conséquence, c’est au décideur ultime qu’il appartient de prendre en compte des éléments plus vastes de politique affectant le public lors de l’approbation de projet. (Pembina, précitée, au para 74)

 

[74]           Les défendeurs du gouvernement souscrivent aux conclusions tirées dans l’arrêt Bow Valley : les décisions que prend le gouverneur en conseil [GC] aux termes du paragraphe 37(1.1) ne sont susceptibles de contrôle que dans les cas où le processus légal prévu pour l’EE n’a pas été suivi ou, par ailleurs, a dépassé les limites de la loi. Ils soutiennent qu’une telle interprétation de la portée du contrôle concorde avec la décision qu’a rendue la Cour suprême du Canada dans Thorne’s Hardware Ltd et al. c La Reine et al., [1983] 1 RCS 106, et ils font valoir que les motifs pour lesquels le GC a approuvé la réponse du gouvernement fédéral sont hors de la portée de la Cour.

 

[75]           Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne du blé) c Canada (Procureur général), 2009 CAF 214, au para 37, le juge Noël décrit les limites imposées à la capacité des tribunaux de réviser les décisions que prend le GC en vertu d’un pouvoir d’origine législative :

Il est bien établi en droit que lorsque le gouverneur en conseil exerce un pouvoir conféré par une loi, il doit demeurer dans les limites de la loi habilitante en ce qui a trait à l’habilitation et à la finalité. Le gouverneur en conseil est à tous les autres égards libre d’exercer son pouvoir conféré par la loi sans l’intervention de la Cour, sauf dans un cas flagrant ou lorsque la preuve établit l’absence de bonne foi (Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, p. 111; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, p. 752).

 

[76]           La Cour souscrit aux propos du juge Noël. De ce fait, elle ne peut intervenir dans les décisions que le GC et les ministres responsables ont prises aux termes des paragraphes 37(1.1) et 37(1) que si elle conclut que : 1) le processus légal prévu par la LCEE n’a pas été convenablement suivi avant que l’on prenne les décisions visées par l’article 37; 2) les décisions du GC ou des ministres responsables ont été prises sans égard à l’objet de la LCEE; ou 3) les décisions du GC ou des ministres responsables sont, dans les faits, dénuées de fondement raisonnable, ce qui équivaut à une absence de bonne foi.

 

B.        Analyse

 

                     La contestation, fondée sur l’article 16, quant au caractère suffisant des renseignements dont disposaient les défendeurs du gouvernement au moment de rédiger le rapport de la CEC et de prendre les décisions en vertu des paragraphes 37(1) et 37(1.1).

[77]           Le demandeur soutient que les défendeurs du gouvernement enfreignent l’article 16 de la LCEE en négligeant d’étudier convenablement les effets négatifs du projet sur son utilisation actuelle des terres à des fins traditionnelles. Il soutient également que la CEC n’a pas pu examiner convenablement les effets négatifs sur le demandeur parce qu’il lui manquait certains renseignements sur l’étendue et l’emplacement de son utilisation actuelle des terres en question. Tel que mentionné précédemment, le demandeur blâme Nalcor et les défendeurs du gouvernement pour l’insuffisance des renseignements présentés à la CEC.

 

[78]           Le demandeur prétend que vu le manque de renseignements sur les effets négatifs du projet sur lui et d’autres groupes autochtones du Québec, les décisions prises aux termes des paragraphes 37(1.1) et 37(1) de la LCEE étaient déraisonnables. Le gouverneur en conseil et les ministres responsables ne pouvaient pas raisonnablement conclure que les effets environnementaux négatifs du Projet étaient justifiables dans les circonstances, sans une compréhension exhaustive et détaillée la gravité de ces effets environnementaux.

 

[79]           Bien que les avocats des défendeurs du gouvernement reconnaissent que la CEC n’avait pas un tableau complet de l’usage actuel des groupes autochtones québécois (dont le demandeur) des terres situées dans le secteur visé par le Projet, ils soutiennent que la CEC détenait suffisamment de renseignements pour s’acquitter du mandat que lui conférait l’article 16 de la LCEE. Se fondant sur les renseignements dont elle disposait, la CEC signale que les activités l’utilisation menées dans le secteur visé par le Projet paraissaient être « saisonnières, sporadiques et de courte durée ». Elle a fait remarquer également qu’un grand nombre des secteurs censément utilisés par les groupes autochtones du Québec se situent en dehors du secteur visé par le Projet et qu’ils ne seraient donc pas touchés. La conclusion de la CEC sur la question se lit comme suit :

D’après l’information sur l’utilisation actuelle des terres et des ressources définie lors du processus d’évaluation environnementale, il existe des incertitudes quant à l’étendue et à l’emplacement des activités actuelles d’utilisation des terres et des ressources par les [groupes autochtones du Québec] dans la zone du projet. La Commission reconnaît que des informations supplémentaires pourraient être obtenues au cours des consultations du gouvernement. Dans la mesure où il existe une utilisation actuelle du territoire dans la zone du Projet, la Commission a conclu que les effets du Projet sur les activités d’utilisation des ressources et du territoire par les [groupes autochtones du Québec], une fois que les mesures d’atténuation proposées par Nalcor et celles qui sont recommandées par la Commission auront été mises en œuvre, seraient négatifs, mais ne seraient pas importants. (Voir à la page 3148, ON, vol. 12).

 

 

[80]           Les avocats des défendeurs du gouvernement concluent que la CEC examine convenablement l’effet que le Projet aurait sur l’utilisation actuelle des groupes autochtones du Québec et, par-dessus tout, le demandeur, des terres, ainsi que l’exige l’article 16 de la LCEE. Ils soutiennent que le gouverneur en conseil et les ministres responsables avaient en main suffisamment de renseignements sur cet aspect des effets environnementaux pour prendre une décision raisonnable aux termes des paragraphes 37(1.1) et 37(1) de la LCEE.

 

[81]           Nalcor, pour sa part, nie que les renseignements dont disposait la CEC étaient insuffisants et soutient que [traduction] « [l]e caractère raisonnable des renseignements qui ont été pris en considération lors de l’EE en vertu de l’article 16 doit être évalué en fonction du caractère raisonnable du processus d’EE, lequel offrait au demandeur de multiples occasions de fournir des renseignements pertinents » (ON, page 3364). Elle ajoute que cet argument doit aussi être rejeté s’il est convenu que le gouvernement fédéral s’est acquitté de son obligation de consultation. Enfin, elle rappelle à la Cour une récente décision du juge Near (voir la décision Grand Riverkeeper, précitée, au para 71), que la CEC concluait s’être acquitté des obligations que lui impose l’article 16.

 

[82]           La Cour convient qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans le cas présent, et ce, pour les motifs suivants. Premièrement, rien ne lui prouve qu’il y a eu manquement au processus législatif que prévoit la LCEE. Au contraire, la LCEE est suivie de près et respectée à toutes les étapes du processus.

 

[83]           Deuxièmement, comme le fait remarquer le demandeur, l’objet principal de la LCEE est de veiller à ce que l’on examine avec soin les projets avant qu’ils soient sanctionnés par les autorités fédérales, de façon à ce qu’ils ne causent pas d’effets négatifs importants (alinéa 4(1)a) de la LCEE). Le préambule de la LCEE indique clairement aussi que : « […] le gouvernement fédéral vise au développement durable par des actions de conservation et d’amélioration de la qualité de l’environnement ainsi que de promotion d’une croissance économique de nature à contribuer à la réalisation de ces fins ». Cet objectif est assujetti à la réserve que les projets qui créent des effets environnementaux négatifs importants peuvent quand même être approuvés s’ils sont justifiables à la lumière d’autres aspects (paragraphe 37(1) de la LCEE). L’examen des facteurs énumérés à l’article 16 garantit que les autorités responsables auront une bonne appréciation de l’effet environnemental négatif possible ou probable d’un projet.

 

[84]           Sur cette question la Cour conclut que la CEC détenait suffisamment de renseignements pour évaluer convenablement la probabilité que le Projet ait des effets négatifs importants sur l’utilisation actuelle du demandeur (et d’autres groupes autochtones du Québec) des terres à des fins traditionnelles. On aurait peut-être pu ajouter quelques détails sur l’étendue et l’emplacement de cette utilisation, mais la CEC possédait suffisamment de documents et de renseignements, c’est-à-dire des témoignages de membres des groupes autochtones du Québec et des documents historiques, pour conclure valablement que les activités d’utilisation des terres dans le secteur visé par le Projet sont « saisonnières, sporadiques et de courte durée ». Un examen détaillé de la documentation que Nalcor a déposée auprès de la CEC révèle que les études menées par Hydro-Québec dans le cadre du projet de La Romaine, de pair avec l’étude Comtois et l’exposé du demandeur à Sept-Îles, décrivent convenablement les liens qu’entretien le demandeur avec les caribous qui se déplacent sur une partie de l’empreinte du Projet. La Cour est également convaincue que la CEC a déployé des efforts raisonnables pour mieux comprendre l’effet du Projet sur le demandeur. Elle ne voit pas en quoi de plus amples détails auraient modifié de façon significative la conclusion ultime de la CEC dans la présente affaire.

 

[85]           La CEC examine avec soin les problèmes et signale qu’il manque certaines informations, mais elle s’est quand même dite convaincue que les effets négatifs du Projet sur l’utilisation des Autochtones du Québec des terres sises dans le secteur visé par le Projet seraient minimes après la mise en place des mesures d’atténuation proposées, notamment en rapport avec le caribou. La conclusion qu’elle tire « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au para 47). Cette conclusion signifie aussi que le GC et les AR détenaient suffisamment d’informations sur la question pour prendre leur décision aux termes des paragraphes 37(1.1.) et 37(1) de la LCEE.

 

                     Les avantages de la ligne de transport d’énergie

[86]           Le demandeur soutient que le gouvernement, dans sa réponse au rapport de la CEC, pèse de façon déraisonnable les avantages de la ligne de transport d’énergie en concluant que les effets négatifs du projet pouvaient se justifier dans les circonstances. Dans sa réponse, le gouvernement fédéral énumère, parmi les avantages du Projet, le « remplacement de centrales qui produisent des gaz à effet de serre et des polluants atmosphériques ». Le demandeur prétend que la seule centrale à laquelle le gouvernement pouvait faire référence est celle de Holyrood, située sur l’île de Terre-Neuve. Il souligne par ailleurs que l’on ne pourrait pas remplacer cette centrale sans la ligne de transport d’énergie. Il est donc déraisonnable de prendre en compte les avantages de la ligne de transport d’énergie tout en faisant abstraction de ses effets négatifs. La portée des deux projets ayant été déterminée séparément, le demandeur soutient qu’il ne faut donc pas les examiner ensemble puisque la ligne de transport d’énergie est encore en cours d’une EE et qu’il reste à l’approuver. À son avis, il était donc prématuré d’inclure les avantages de la ligne de transport d’énergie.

 

[87]           Selon le demandeur, le fait que la réponse tienne compte des avantages de la ligne de transport d’énergie prouve aussi que le Projet est changé en profondeur. Il fait valoir que le [traduction] « véritable projet » qui est en voie d’approbation et que l’on entend construire n’est pas celui qui est décrit dans le rapport de la Commission, mais plutôt celui du barrage des chutes Muskrat, de pair avec la ligne de transport d’énergie. Le barrage de Gull Island est, selon le demandeur, soit abandonné, soit repoussé à une date indéterminée. Cette situation crée un problème de taille, selon lui, puisqu’elle comporte une approbation de nature indéfinie de Gull Island. Le barrage serait suspendu au-dessus des terres, comme l’« épée de Damoclès ». Par ailleurs, les caribous de la rivière George connaissent actuellement une diminution alarmante de leur nombre, et la construction du barrage de Gull Island à une date ultérieure, sans autre évaluation, pourrait être désastreuse pour cette harde.

 

[88]           Nalcor et les défendeurs du gouvernement répliquent que rien dans la LCEE n’empêche le gouvernement de prendre en considération les avantages qu’offrent des projets liés ou non liés. Au contraire, font-ils valoir, il serait déraisonnable d’examiner un projet isolément et de faire abstraction des avantages découlant d’autres projets. Par ailleurs, Nalcor soutient que [traduction] « la réponse tient compte de la ligne de transport d’énergie, mais ne met pas exclusivement l’accent sur cette dernière » (ON, page 3366). L’analyse économique de RNCan (une étude sur laquelle le gouvernement fédéral s’est fondée) [traduction] « examine la viabilité économique du Projet de production d’électricité comme un tout, de même que comme une hypothèse qu’une ou l’autre seulement des composantes pourrait aller de l’avant […] [et elle conclut que] n’importe lequel de ces scénarios pourrait être économiquement viable » (ON, page 3366).

 

[89]           Nalcor insiste également qu’elle entend toujours donner suite au projet de Gull Island mais qu’il lui faut conclure son processus de contrôle avant d’aller plus loin. Le fait qu’à l’heure actuelle aucune date de début des travaux n’a été fixée pour le barrage de Gull Island ne signifie pas que ce dernier ne sera pas construit. Nalcor considère que le seul changement important qui est survenu tient à l’ordre de construction des deux barrages. Qui plus est, selon Nalcor, l’effet qu’aurait l’inversion de cet ordre de construction a déjà été examiné en détail dans le cadre de l’EE. Elle renvoie la Cour à la demande DI CEC 165. Nalcor invoque également l’article 24 de la LCEE à l’appui de sa position voulant qu’il n’y ait pas eu d’approbation de nature indéfinie de Gull Island. Cette disposition, selon Nalcor, est conçue pour éviter précisément la situation préjudiciable dont s’inquiète le demandeur. Si le barrage de Gull Island n’est pas construit dans un délai raisonnable, l’article 24 de la LCEE s’appliquera et il deviendra obligatoire de procéder à une nouvelle EE.

 

[90]           La Cour souscrit à l’argument des défendeurs sur cette question. En plus des éléments évoqués ci-dessus, elle ajoute ce qui suit. Aux termes de l’alinéa 16(1)a) de la LCEE, une CEC doit tenir compte des effets environnementaux cumulatifs des projets existants et futurs. La Cour considère qu’étant donné l’obligation de tenir compte dans le cadre d’une EE des effets négatifs d’un projet à venir, on peut tout également mettre dans la balance ses effets positifs. L’article 16 n’interdit pas une telle approche.

 

[91]           Les craintes du demandeur à propos de l’approbation du barrage de Gull Island constituent, fondamentalement, un argument relié à la détermination de la portée du Projet, ce qui, comme la Cour l’a déjà conclu, est prescrit dans le cas présent. Le demandeur soutient que ce barrage aurait dû être exclu ou [traduction] « supprimé de la portée » du projet. La Cour suprême du Canada a déjà décidé que la portée minimale d’un projet « est celle du projet tel qu’il est proposé par le promoteur » (voir l’arrêt Mines Alerte, précité, au para 39). Il est alors possible d’élargir la portée du Projet, mais non de la diminuer, et il est facile d’en comprendre la raison. Pourquoi un promoteur proposerait-il un projet plus étendu que celui qu’il envisage de construire? Cela ne ferait qu’alourdir davantage le processus d’EE sans aucune raison valable. Par ailleurs, l’article 24 de la LCEE empêche que l’on approuve pour une durée indéterminée n’importe quelle composante d’un projet qui ne sera pas construit dans un délai raisonnable.

 

                     La faisabilité économique et les solutions de rechange

[92]           Le demandeur fait valoir que le GC et les ministres responsables ignorent sans raison les conclusions et les recommandations de la CEC portant sur le caractère adéquat des études économiques produites par Nalcor, ainsi que sur le besoin d’examiner des solutions de rechange. La CEC conclut, à la sous-section 4.2 :

La commission en conclut que l’analyse de Nalcor qui a montré que Muskrat Falls est la solution la meilleure et la moins coûteuse pour répondre à la demande intérieure en énergie est inadéquate, et qu’une analyse indépendante des considérations économiques, énergétiques et environnementales élargies de solutions de rechange s’impose.

 

[93]           Dans sa réponse, le gouvernement fédéral note qu’il possédait deux analyses économiques (l’une effectuée par RNCan et l’autre par Manitoba Hydro International [MHI]), qui [traduction] « en conclusion, soutiennent les affirmations de Nalcor selon lesquelles le Projet est l’option la moins coûteuse pour répondre à la demande prévue en électricité » (ON, vol. 3, page 0601). Le demandeur soutient que ces études ne pouvaient pas se corroborer l’une l’autre parce que l’analyse faite par RNCan évaluait le Projet dans la forme où il avait été proposé au départ (Gull Island suivi de Muskrat), tandis que celle de MHI et Nalcor examine les chutes Muskrat de pair avec la ligne de transport d’énergie.

 

[94]           La Cour ne relève à cet égard aucune erreur susceptible de contrôle. La CEC s’est acquittée du mandat que lui confère l’alinéa 4(1)a) de la LCEE en attirant l’attention des autorités responsables sur sa conclusion voulant que l’analyse économique de Nalcor fût inadéquate. Le gouvernement fédéral a exprimé son désaccord avec la CEC parce qu’une autre analyse corroborait celle de Nalcor. La décision du gouvernement fédéral sur cette question reposait donc sur un fondement factuel raisonnable. Il est important de réitérer qu’il n’appartient pas à la Cour de décider si les analyses de Nalcor et de MHI sont correctes ou pas et de réévaluer le poids à accorder à une étude plutôt qu’à une autre, mais plutôt de déterminer si la décision du gouvernement fédéral repose sur un fondement raisonnable. Comme l’énonce le juge Sexton dans la décision Inverhuron, précitée :

Le processus d’évaluation environnementale est déjà un processus long et ardu, tant pour les défenseurs que pours (sic) les adversaires d’un projet. Faire de la juridiction de contrôle une « académie des sciences » – expression employée par mon collègue le juge Strayer (charge qu’il occupait alors) dans l’affaire Vancouver Island Peace Society c. Canada – serait à la fois contre-productif et contraire à l’économie de la Loi. (Inverhuron, précitée, au para 36.)

 

[95]           Il ressort des éléments de preuve présentés à la Cour que le gouvernement fédéral a été convenablement saisi des effets environnementaux négatifs potentiels du Projet. Par ailleurs, il justifie raisonnablement sa décision d’aller de l’avant dans ce dossier après avoir soupesé les avantages par rapport aux effets environnementaux négatifs, dans une perspective nationale. La Cour s’est penchée sur la réponse et la décision, il est clair qu’il s’agit dans les deux cas de décisions mûrement réfléchies qui mettent en équilibre des objectifs concurrentiels.

 

VII.     Norme de contrôle et analyse de la troisième question :

 

3.         Le demandeur a-t-il été consulté et accommodé convenablement à l’égard du Projet?

 

A.        Norme de contrôle

 

[96]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au para 62, la Cour suprême du Canada nous indique que, pour déterminer la norme de contrôle appropriée, la première étape consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Si c’est le cas, cela met alors fin à l’analyse et il convient de suivre la norme de contrôle établie.

 

[97]           La norme de contrôle à appliquer dans les affaires où la « conduite du gouvernement est contestée parce qu’il ne se serait pas acquitté de son obligation de consulter et d’accommoder en attendant le règlement des revendications » fait l’objet d’une première analyse dans l’arrêt Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au para 60 [Haïda]. Si l’on applique les principes établis par l’arrêt Haïda, le consensus qui se dégage de la jurisprudence est qu’une question portant sur l’existence et la teneur de l’obligation de consultation est une question de droit qui commande la norme de la décision correcte. Pour décider si, par ses efforts, la Couronne s’est acquittée de son obligation de consultation dans une situation particulière, il faut « évaluer les faits de l’espèce au vu de la teneur de l’obligation » (Première Nation de Ka’a’Gee Tu c Canada (Procureur général), 2007 CF 763, au para 91 [Ka’a’Gee]). Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit, à réviser selon la norme de la décision raisonnable.

 

[98]           Il ressort clairement des faits en l’espèce que le gouvernement fédéral comprend son obligation de consulter le demandeur au sujet du Projet. En fin de compte, la question à laquelle on doit répondre dans ce dossier consiste à savoir si le gouvernement fédéral s’est déchargé de l’obligation de la Couronne de consulter et de prendre des mesures d’accommodement en faveur du demandeur. La norme de contrôle est la décision raisonnable. La question est donc la suivante : la Couronne a-t-elle fait des efforts raisonnables pour s’acquitter de son obligation d’information et de consultation? (Voir l’arrêt Haïda, précitée, au para 62).

 

B.        Analyse

 

                     Quelle était la portée de l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne?

 

 

[99]           Pour décider si la Couronne s’est acquittée de son obligation de consultation, il faut que la Cour détermine la portée ou la teneur de cette obligation. Dans l’arrêt Haïda, précité, la Cour suprême énonce que la portée de l’obligation de consultation « dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre » (arrêt Haïda, précité, au para 39).

 

[100]       Au bas de l’échelle, c’est-à-dire là où il y a peu de preuves qui  étayent l’existence d’un droit, où l’importance du droit pour les Autochtones est minime et où l’effet possible de l’action proposée sur ce droit est restreint, l’obligation peut consister simplement à « aviser les intéressés, […] leur communiquer des renseignements et […] discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis » (arrêt Haïda, précité, au para 43). Quand l’inverse est vrai, c’est-à-dire lorsque « la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé » (arrêt Haïda, précité, au paragraphe 44), il peut alors être nécessaire de procéder à une consultation approfondie. Cette dernière peut comporter « la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision » (arrêt Haïda, précité, au para 44). Même dans les cas où l’obligation de consultation se situe au bas de l’échelle, cette obligation exige que les préoccupations des Autochtones soient prises au sérieux et, dans la mesure du possible, que l’on applique des mesures d’atténuation (Mikisew Cree First Nation c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 RCS 388, au para 64 [Mikisew]).

 

[101]       Indépendamment de l’endroit où se situe l’obligation de consultation de la Couronne sur l’échelle, « [l]a question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones. Tant que la question n’est pas réglée, le principe de l’honneur de la Couronne commande que celle-ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones » (arrêt Haïda, précité, au para 45). Dans toute consultation honorable, la volonté de répondre aux préoccupations devient un élément clé (Première Nation de Taku River Tlingit c Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, au para 25 [Taku River]).

 

[102]       Il ressort clairement aussi de la jurisprudence que la consultation n’est pas « à sens unique » et que les deux parties sont tenues d’y prendre part activement. Comme l’explique le juge Finch dans l’arrêt Halfway River First Nation c British Columbia (Ministry of Forests), 1999 BCCA 470, au para 161 [Halfway River] :

[traduction] Les peuples autochtones assument réciproquement l’obligation d’exprimer leurs intérêts et leurs préoccupations après avoir eu la possibilité d’examiner l’information fournie par la Couronne et de participer de bonne foi à la consultation de toutes les façons possibles. Ils ne peuvent faire obstacle au processus consultatif en refusant de rencontrer leurs interlocuteurs, en refusant de participer ou en imposant des conditions déraisonnables : voir Ryan et al v. Fort St. James Forest District (District Manager) (25 janvier 1994) Smithers no 7855, conf. par (1994), 40 B.C.A.C. 91.

 

L’évaluation préliminaire de la solidité de la revendication

[103]       Le demandeur a déposé un certain nombre de documents attestant l’utilisation traditionnelle des terres sises dans le secteur visé par le Projet ainsi que dans les environs pour la chasse au petit et au grand gibier, surtout le caribou. Ces documents comprennent : 1) une étude menée en 1983 par Robert Comtois, intitulée « Occupations et utilisation du territoire par les Montagnais de Mingan », à l’appui des revendications des Ekuanitshits dans le cadre du processus des revendications territoriales globales du gouvernement fédéral (les négociations du Conseil Attikamek Montagnais [CAM]); 2) une étude archéologique réalisée par Hydro‑Québec (dossier du demandeur, vol. X, page 3181); et 3) des rapports historiques et archéologiques produits par Nalcor (dossier du demandeur, vol. X, pages 3113, 3121 et 3122).

 

[104]       Le gouvernement fédéral n’a jamais remis en question la validité de la revendication des Ekuanitshits et, comme le signale le demandeur, il l’accepte en vue de la négociation d’un traité dès 1979 (les négociations du CAM). Même si Nalcor soutient au départ que les informations qu’elle détenait ne comportent aucune preuve d’un usage historique ou contemporain des terres sises dans le secteur visé par le Projet, elle a plus tard déposé un certain nombre de documents qui l’attestent. Ces documents comprennent : 1) le CAM; 2) onze mises à jour concernant les consultations menées avec les Autochtones, déposées par Nalcor auprès de la CEC; et 3) les réponses de Nalcor aux demandes d’information portant les numéros CEC.2 et 1S/2S. Au vu de ces éléments de preuve non contredits et produits, la Cour conclut que le demandeur fait une preuve prima facie solide des droits d’usage des terres dans le secteur visé par le Projet.  

 

La gravité de l’effet potentiellement néfaste

[105]       La Cour reconnaît que le caribou se situe au cœur même de la culture des Ekuanitshits. Le demandeur s’inquiète particulièrement de l’avenir des caribous vivant dans le secteur visé par le Projet ainsi que dans ses environs. Lors des audiences de la CEC, le chef Piétacho explique le respect qu’ont les membres de la Nation innue pour le caribou et l’importance qu’a cet animal pour la survie de leur Nation. Pour des raisons d’ordre historique, dont la création de la réserve de Mingan et l’imposition du système des pensionnats indiens, il y a eu une rupture avec la tradition de la chasse au caribou à laquelle s’adonnait le demandeur au Labrador. Lors des audiences de la CEC, le chef Piétacho expose que les Ekuanitshits retournent aujourd’hui au Labrador pour chasser le caribou et perpétuer les liens traditionnels qu’ils entretiennent avec cet animal.

 

[106]       Le rapport de la CEC brosse un tableau nuancé des effets potentiellement négatifs du Projet sur le caribou. En raison d’un certain nombre de facteurs, la harde des monts Red Wine est déjà une espèce en péril et on ne sait pas très bien s’il est possible, avec ou sans le Projet, de la sauver. La CEC conclut néanmoins que « compte tenu de la situation actuelle de la harde et des effets cumulatifs sur son rétablissement, le Projet causerait un effet environnemental négatif important sur la harde de caribous des monts Red Wine » (ON, vol. 12, page 3096).

 

[107]       Les Ekuanitshits ne dépendent plus du caribou pour leur survie et n’ont recommencé que depuis peu à le chasser dans le secteur visé par le Projet, mais il ne faudrait pas sous-estimer l’importance culturelle de cet animal. De plus, la Cour considère que, dans ce dossier, les mesures de réconciliation exigeaient que le gouvernement fédéral mène des consultations et prennent des mesures dans les limites de ses pouvoirs législatifs pour veiller à ce que l’on préserve cette activité traditionnelle. Cette obligation est d’autant plus évidente que la Cour reconnaît que le gouvernement fédéral est à blâmer en partie pour la rupture du demandeur avec la tradition (cf. le système des pensionnats). Comme le demandeur présente de solides arguments à première vue à l’appui de sa revendication et qu’il existe un risque élevé d’effets négatifs sur un droit important sur le plan culturel, la Cour conclut que le demandeur a droit à plus qu’un minimum de consultations. Il était nécessaire d’examiner sérieusement ses préoccupations et le Projet devait donc comprendre des mesures d’atténuation.

 

                     Les questions préliminaires

 

Une révision judiciaire est-elle prématurée?

[108]       Les défendeurs du gouvernement soutiennent que le demandeur a déposé sa demande de révision judiciaire avant la fin de la période de consultations du gouvernement fédéral. Les consultations n’ont pas pris fin au moment où le GC a rendu son décret. Selon le Cadre de consultation fédéral, le processus se situe maintenant à l’étape V : la délivrance des permis réglementaires. Les consultations vont se poursuivre jusqu’à ce que TC et le MPO délivrent des permis autorisant Nalcor à poser des gestes qui vont bloquer des cours d’eau navigables ou détruire l’habitat du poisson.

 

[109]       Les défendeurs du gouvernement s’appuient sur la décision du juge Barnes dans l’affaire Gitxaala c Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) 2012 CF 1336, au para 54 [Gitxaala], et où il conclut qu’une demande de révision judiciaire fondée sur une prétention voulant que les consultations menées par la Couronne étaient insuffisantes est prématurée si « [l]e processus de consultation n’est pas parvenu à son terme ». Dans le même paragraphe, le juge Barnes énonce aussi que dans l’arrêt Haïda, précité, la Cour suprême du Canada explique qu’il existe « diverses mesures de réparation, notamment l’ouverture d’un dialogue sérieux et, si nécessaire, la prise en compte des préoccupations des Premières nations à un stade ultérieur du processus ». Le juge Barnes conclut que les groupes des Premières Nations pourraient être entendus de nouveau si « le processus s’avère lacunaire ou superficiel » (décision Gitxaala, précitée, au para 54).

 

[110]       Le demandeur est d’avis que le processus de consultation et d’accommodement doit être évalué non seulement au moment de la délivrance des permis définitifs mais aussi lorsqu’est prise une « [traduction] “décision stratégique […] en haut lieu”, qui est susceptible d’avoir un effet sur des revendications autochtones et des droits ancestraux » (Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43 [2010] 2 RCS 650, au para 44 [Carrier Sekani]). Les décisions prises aux termes des paragraphes 37(1) et 37(1.1) ne sont pas seulement des « décisions […] en haut lieu »; elles ont pour effet d’approuver le Projet dans le cadre du processus d’EE et elles auront, par ricochet, une nette influence sur les décisions relatives à l’octroi de permis.

 

[111]       Les défendeurs du gouvernement répliquent que l’arrêt Carrier Sekani, précité, a trait à des décisions qui déclenchent l’obligation de consulter, et non celle d’évaluer le processus de consultation (arrêt Carrier Sekani, précité, au para 43). Dans le dossier devant nous, le processus de consultation a débuté longtemps avant que soient prises les décisions faisant l’objet de la présente révision. Le processus de consultation se poursuit toujours et il ne devrait pas être jugé avant qu’il soit terminé.

 

[112]       La Cour conclut qu’il est prématuré à ce stade-ci d’assujettir à une révision judiciaire le processus de consultation et d’accommodement du gouvernement fédéral, dont l’un des objectifs est de « [protéger] les intérêts autochtones jusqu’au règlement des revendications » (arrêt Haïda, précité, au para 38). Cela exige que l’on prenne des mesures de consultation et d’accommodement envers les groupes autochtones avant de porter irrévocablement préjudice aux droits qu’ils revendiquent. Il est vrai que les travaux préparatoires au Projet ont commencé, mais les mesures qui mettent véritablement en péril les droits et les intérêts du demandeur sont celles qui exigent que TC et le MPO délivrent des permis. Il est prématuré d’évaluer le processus de consultation du gouvernement fédéral avant que ces décisions soient prises. Indépendamment de cette conclusion, la Cour considère qu’il lui faut néanmoins examiner et évaluer le caractère adéquat des consultations qui se sont déroulées jusqu’au dépôt de la présente demande de révision judiciaire.

 

Les éléments constitutifs des consultations de la Couronne

[113]       Selon le demandeur, les consultations du gouvernement fédéral ont consisté en une lettre qui lui a été envoyée le 9 septembre 2009 pour solliciter des commentaires sur le rapport de la CEC. Les défendeurs du gouvernement allèguent qu’il s’agit là d’une description inexacte des consultations que le gouvernement fédéral a menées en l’espèce. Le gouvernement fédéral souligne dans son Cadre de consultation que les deuxième et troisième étapes des consultations de la Couronne se tiendraient dans le contexte du processus d’EE de la CEC. Les défendeurs du gouvernement rappellent à la Cour qu’il est aujourd’hui généralement admis que les consultations de la Couronne peuvent s’inscrire dans le processus d’EE que prévoit la LCEE (voir Québec (Procureur général) c Moses, 2010 CSC 17, [2010] 1 RCS 557, au para 45; l’arrêt Taku River, précité, aux para 2 et 22; et la décision Gitxaala, précitée, au paragraphe 50). La Cour reconnaît que les consultations menées par la CEC lors de l’EE constituaient des consultations du gouvernement fédéral.

 

Les consultations

[114]       Le demandeur participe tôt au processus d’EE relatif au Projet, c’est-à-dire à l’étape de la planification. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) et le ministère de l’Environnement et de la Conservation de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (le MECTNL) ont invité le demandeur à faire part de ses commentaires sur leur ébauche de Lignes directrices concernant l’énoncé des incidences environnementales (l’ébauche de Lignes directrices). Le demandeur répond en formulant des commentaires sur les informations que, selon lui, Nalcor devait inclure dans son EIE, en vue d’aider la Commission d’examen conjoint [la CEC] à effectuer l’EE. Le demandeur a également été invité à faire part de ses commentaires sur l’ébauche d’Entente relative à l’établissement d’une CEC et à nommer les membres de cette dernière.

 

[115]       Le demandeur reconnaît avoir participé activement au processus d’EE. Pour financer cette participation, l’Agence lui accorde le montant intégral qu’il avait demandé au départ, par l’entremise de son Fonds d’aide financière aux participants (une somme initiale de 55 850,25 $ et une somme additionnelle de 11 105,00 $ à la suite d’une autre demande, présentée plus tard au cours du processus). Grâce à cette aide financière, le demandeur a pu présenter des observations écrites sur l’EIE de Nalcor, laquelle a éclairé par la suite le processus des DI de la CEC. Les DI ont permis d’obtenir de Nalcor un certain nombre de réponses sur des questions qui préoccupaient le demandeur, dont : a) les hardes de caribou des monts Red Wine et du lac Joseph; b) les mesures de surveillance et de suivi; c) la méthode d’étude des oiseaux aquatiques; et d) les consultations des Autochtones. Le demandeur a présenté d’autres commentaires sur le caractère adéquat des réponses de Nalcor, qui, par ricochet, ont amené la CEC à présenter d’autres DI. Dans l’ensemble, les DI ont donné lieu à 250 pages d’informations supplémentaires.

(Voir les pièces A‑251, U, V et W jointes à l’affidavit de Bennett, pages 113, 681, 693 et 1061, ON, vol. 1, 3, 4 et 5)

 

[116]       Le demandeur a pu présenter ses observations orales lors de la séance d’audiences communautaires de la CEC qui, à sa demande, ont eu lieu à Sept-Îles le 7 avril 2011. Le chef Piétacho et quatre autres aînés de la collectivité ont témoigné sur l’usage des Ekuanitshits des terres touchées par le Projet. Le demandeur a également présenté un film vidéo dans lequel d’autres aînés décrivaient les voyages que faisaient traditionnellement les Ekuanitshits depuis Mingan jusqu’à un lieu aussi éloigné que « Tshishe-shastshit », au Labrador. Des services d’interprétation ont été fournis pour les débats. La Cour a pu visionner une partie du film vidéo qui avait alors été présenté et elle conclut que cet élément peut être admis dans le dossier à titre d’élément de preuve des observations du demandeur.

 

[117]       En réponse aux inquiétudes du demandeur quant aux effets néfastes du Projet sur l’utilisation qu’il faisait des terres, Nalcor a mis de l’avant un certain nombre de mesures d’atténuation. Par exemple, en ce qui concerne le caribou, Nalcor a proposé de :

- Tenir compte du moment de la construction et des autres activités et restreindre l’accès lorsque des caribous se trouvent dans la zone.

- Réduire la mortalité des animaux en affichant des limites de vitesse et en instaurant une politique interdisant le harcèlement et la chasse.

- Prévoir les horaires de travail de façon à réduire le plus possible les déplacements dans les zones désignées pendant la saison de mise bas et la période qui la suit.

- Défricher la zone rivulaire autour des réservoirs.

- Surveiller les hardes des monts Red Wine et de la rivière George pour vérifier la justesse des prédictions du projet, y compris en évaluant les effets de la modification et de la perte d’habitat, de l’accès accru et des changements à la dynamique prédateur-proie.

- Concevoir des programmes de surveillance et de suivi permettant de repérer les effets cumulés en se référant aux plans de gestion applicables et en consultant les organismes de réglementation.

- Surveiller les traversées quotidiennes et saisonnières des routes et rivières par les caribous ainsi que l’accès des véhicules.

- Soutenir le travail de télémesure visant à effectuer une surveillance des populations de caribous, de la survie des petits ainsi que des mouvements et de la distribution typiques.

- Surveiller la harde de caribous des monts Red Wine en participant de façon continue aux travaux de l’équipe de rétablissement du caribou des bois du Labrador, incluant un soutien à la surveillance par satellite GPS et aux autres travaux directement associés aux effets du projet.

- Collaborer avec l’équipe de cogestion de la harde de caribous de la rivière George pour surveiller cette harde.

(ON, vol. 12, page 3093).

 

[118]       La Cour prend note de la conclusion que la CEC tire au sujet des revendications du demandeur. Voici ce qu’on peut lire aux pages 185 et 186 du rapport de la CEC :

D’après l’information sur l’utilisation actuelle des terres et des ressources définie lors du processus d’évaluation environnementale, il existe des incertitudes quant à l’étendue et à l’emplacement des activités actuelles d’utilisation des terres et des ressources par les [groupes autochtones du Québec] dans la zone du projet. La Commission reconnaît que des informations supplémentaires pourraient être obtenues au cours des consultations du gouvernement. Dans la mesure où il existe une utilisation actuelle du territoire dans la zone du Projet, la Commission a conclu que les effets du Projet sur les activités d’utilisation des ressources et du territoire par les [groupes autochtones du Québec], une fois que les mesures d’atténuation proposées par Nalcor et celles qui sont recommandées par la Commission auront été mises en œuvre, seraient négatifs, mais ne seraient pas importants. (ON, page 3148).

 

[119]       Compte tenu de ce qui précède, il est évident que les préoccupations du demandeur ont été prises au sérieux et que, en réponse, plusieurs mesures d’atténuation ont été intégrées au Projet.

 

[120]       Le demandeur soutient toutefois que la Couronne omet de s’acquitter de son obligation de consultation à l’égard de deux sujets importants. Premièrement, elle n’a pas informé convenablement les Ekuanitshits de l’utilisation contemporaine qu’ils feraient des terres sises dans la zone visée par le Projet, ni de l’effet négatif que le Projet aurait sur leurs droits. Deuxièmement, elle a omis de prendre des mesures d’accommodement suffisantes à l’endroit du demandeur au sujet des effets négatifs prévus du Projet sur leurs droits.

 

Le défaut d'informer

[121]       La CEC conclut que le Projet n’aurait pas d’effet négatif important sur l’usage du demandeur des terres, mais qu’il subsistait des incertitudes quant à l’emplacement et à l’étendue de cet usage actuel du demandeur des terres sises dans le secteur visé par le Projet. La CEC fait remarquer que ces renseignements pourraient devenir disponibles suite aux consultations additionnelles avec le gouvernement fédéral. Le demandeur insiste pour dire que cela ne s’est pas produit.

 

[122]       Bien que les défendeurs soutiennent que les renseignements fournis lors du processus d’EE ont été suffisants pour satisfaire à l’obligation de consultation du gouvernement fédéral, ils signalent que Nalcor et le demandeur ont entrepris de nombreuses tentatives pour négocier une entente de consultation communautaire [ECC]. Cette ECC devait procurer au demandeur la possibilité de présenter des renseignements sur son usage courant des terres sises dans le secteur visé par le Projet. Les parties ne sont pas parvenues à conclure une entente, et ce, pour plusieurs raisons, dont les suivantes :

 

La méthodologie

[123]       Le demandeur croyait qu’il aurait fallu adopter une approche semblable à celle qu’Hydro-Québec avait suivie dans le projet de La Romaine. Cette approche aurait consisté, notamment, à retenir les services d’un [traduction] « expert pour réaliser une étude sur les Innus de Ekuanitshit [et] son travail aurait été soutenu par des agents de liaison avec la collectivité rémunérés par le promoteur et supervisés par un comité mixte Nalcor-Ekuanitshit » (ON, page 1402). Nalcor s’est penchée sur l’approche proposée par le demandeur, mais a finalement opté pour une approche par laquelle la collectivité embaucherait un agent de consultation financé par Nalcor qui travaillerait [traduction] « en collaboration étroite avec le personnel de Nalcor en vue de recueillir des données, de diffuser des informations et d’établir des rapports » (ON, page 1408).

 

 

 

La durée

[124]       Nalcor croyait [traduction] « que les activités décrites dans l’ébauche d’entente [pourraient] être mises en œuvre au cours d’une période de quatre mois », mais le demandeur jugeait cette estimation [traduction] « irréaliste et peu pratique » (ON, page 1408).

 

Les coûts et la portée

[125]       Nalcor proposait un budget estimatif d’environ 87 500 $ pour les activités décrites dans l’ébauche d’entente de consultation. Là encore, le demandeur considérait que cette estimation était irréaliste. Il a maintenu, tout au cours des négociations, que le genre d’études requis ressemblait plutôt aux études menées pour le projet de La Romaine. L’étude d’Hydro-Québec sur les incidences environnementales comprenait plusieurs études dont le coût estimatif totalisait 600 000 $. En raison des données découlant de l’étude Comtois et des études menées par Hydro-Québec pour le projet de La Romaine, Nalcor décide alors qu’il n’était pas nécessaire de mener une étude d’une envergure semblable pour découvrir la portée et l’emplacement de l’usage actuel à des fins traditionnelles du demandeur des terres sises dans le secteur visé par le Projet.

 

[126]       Il est clairement établi par la jurisprudence que l’obligation de consultation n’implique pas une obligation de parvenir à une entente (arrêt Haïda, précité, au para 42). Ce qu’il faut, c’est « l’intention de tenir […] un véritable processus de consultation » (arrêt Haïda, précité, au para 42). En appliquant ces principes aux négociations portant sur l’EEC, la Cour conclut que Nalcor voulait procurer au demandeur l’occasion de mettre à jour les renseignements existants sur son usage des terres sises dans le secteur visé par le Projet.

 

[127]       La Cour ne souscrit pas à la position du demandeur voulant qu’il était nécessaire dans ce dossier de mener une étude d’une aussi grande envergure que celle réalisée pour le projet de La Romaine. Il existait déjà une quantité raisonnable de renseignements sur l’usage du demandeur des terres sises dans le secteur visé par le Projet (c.-à-d., l’étude Comtois et les études d’Hydro-Québec pour le projet de La Romaine). En fait, ces renseignements, en plus des témoignages présentés lors des audiences tenues par la CEC à Sept-Îles le 7 avril, suffisaient pour que la CEC conclue que le Projet n’aurait pas d’incidence marquée sur l’usage du demandeur de ces terres. La Cour convient que la méthodologie proposée par Nalcor était raisonnable dans ce cas-ci. Le demandeur réfère la Cour aux résultats d’une étude menée par un autre groupe d’Innus du Québec, les Pakua Shipi, qui ont accepté l’offre de 87 500 $ et les paramètres de Nalcor. Il soutient avoir rejeté avec raison la proposition de Nalcor car le résultat de cette étude était peu concluant et manquait de rigueur scientifique.

 

[128]       Le demandeur prétend aussi que le processus de consultation était lacunaire, en ce que la Nation innue a bénéficié d’un traitement préférentiel, ce qui est contraire aux principes établis dans la décision Hlalt First Nation v British Columbia (Environment), 2011 BCSC 945.

 

[129]       La Cour considère qu’après avoir rejeté le montant de l’offre financière et la durée précise pour l’étude comme insuffisants, il incombait alors au demandeur de présenter une contre-proposition démontrant ainsi sa participation au processus. La Cour s’est penchée sur les lettres échangées au cours des négociations, et celles-ci dénotent que le demandeur a rejeté les offres successives de Nalcor tout en maintenant qu’il était nécessaire de mener une étude d’envergure semblable à celle concernant La Romaine. Vu la différence entre le Projet (deux barrages au Labrador) et La Romaine (quatre barrages situés dans le voisinage immédiat de la réserve du demandeur), relativement à l’incidence sur les droits de ce dernier, la Cour est d’avis que la position de ce dernier a [traduction] « [fait] obstacle au processus consultatif […] en imposant des conditions déraisonnables » (arrêt Halfway River, précité, au para 161).

 

[130]       L’étape IV du Cadre de consultation du gouvernement fédéral porte sur la période qui s’étend entre la publication du rapport de la CEC et la Décision et la réponse. Conformément au Cadre, le 9 septembre 2011 l’Agence écrit au demandeur lui demandant de commenter le rapport de la CEC dans les 45 jours suivants. Le demandeur répond à cette requête, dans le délai précisé, en transmettant un mémoire de 22 pages demandant que le gouvernement fédéral s’abstienne d’autoriser le projet :

1) avant qu’une étude sérieuse ne soit complétée sur l’utilisation historique et contemporaine par les Innus de Ekuanitshit du territoire visé par le projet, y compris les effets négatifs potentiels du projet;

 

2) plus, précisément, sans qu’une étude complète sur les effets potentiels sur la harde de caribous du Lac Joseph ne soit produite et avant qu’un programme de suivi exhaustif de la harde de caribous des monts Red Wine ne soit mis sur pied, au sujet desquels les Innus de Ekuanitshit devraient être consultés (dossier du demandeur, vol. VII, pages 2088, 2089, 2101 et 2102).

 

[131]       La Couronne n’a pas répondu à la requête du demandeur et, quatre mois plus tard, le Projet est approuvé dans le cadre du processus d’EE. La Cour convient avec le demandeur que le gouvernement fédéral aurait dû répondre à cette lettre. Comme il est mentionné plus tôt, la volonté de répondre aux préoccupations est une exigence cruciale d’une consultation honorable (arrêt Taku River, précité, au para 25). Mais cette erreur ne signifie pas pour autant que le processus de consultation, dans son ensemble, devient insuffisant. Comme le fait remarquer le juge Barnes dans la décision Gitxaala, précitée, le processus de consultation doit être raisonnable, mais n’a pas à être parfait.

 

[132]       Qui plus est, même si le gouvernement fédéral n’a pas répondu à la lettre du demandeur sur la harde du lac Joseph, les mesures d’atténuation proposées dans le rapport de la CEC et confirmées dans la décision ont répondu à ses préoccupations (voir ON, vol. 3, page 638). Nalcor a décidé de mettre l’accent sur la harde des monts Red Wine dans son EIE (c’est-à-dire, de s’en servir comme [traduction] « indicateur clé ») car il s’agissait de la harde la plus menacée. Les mesures d’atténuation qui ont été prises pour éviter de porter un grave préjudice aux caribous des monts Red Wine peuvent aussi être appliquées à la harde du lac Joseph (voir ON, vol. 8, page 1914).

 

[133]       La Cour croit qu’il y a lieu de souligner que le paragraphe 37(2) de la LCEE exige qu’une autorité responsable prenne la décision visée à l’alinéa 37(1)a) en vue de « veille[r] […] à l’application des mesures d’atténuation visées à cet alinéa ». Si le gouvernement fédéral néglige de ce faire, le demandeur peut assujettir toute décision et ne pas mettre en œuvre des mesures d’atténuation assujetties à une révision judiciaire.

 

Des mesures d’accommodement insuffisantes

[134]       Le demandeur soutient que la Couronne n’a pas établi pour quelle raison le demandeur ne devrait pas bénéficier de mesures d’accommodement semblables, par exemple, à la Nation innue. Il fait état des ententes sur les répercussions et les avantages [ERA] que Nalcor a signées en 2008 avec la Nation innue appelée « Tshash Petapen », des ententes qui incluent non seulement des possibilités d’emploi mais aussi une participation commerciale et même des redevances.

 

[135]       La Cour conclut que les mesures d’atténuation que Nalcor et la CEC ont proposées en vue d’amoindrir les effets négatifs sur les droits des Ekuanitshits satisfont dans une large mesure l’obligation du gouvernement fédéral de mener des consultations et de prendre des mesures d’accommodement dans les limites de sa compétence. La réponse du gouvernement fédéral confirme que ces mesures feront partie intégrante du Projet. [Soulignement de la Cour]

 

[136]       Les droits traditionnels du demandeur sont importants au plan culturel, mais l’incidence qu’aura le Projet sur eux ne peut être comparée à celle qu’il aura sur la Nation innue. Une différence évidente est que le Projet se situera sur les terres où vit la Nation innue et dont elle avait revendiqué le titre, ou très près de ces terres. Le Projet se répercutera forcément sur plus d’un aspect important de la vie de ces Innus.

 

[137]       En conclusion, cette demande de révision judiciaire est rejetée parce que le demandeur a été consulté d’une manière suffisante. Des mesures d’atténuation ont répondu à ses préoccupations quant à l’utilisation des terres présentes dans le secteur visé par le Projet et, en tout état de cause, la question de la détermination de la portée est prescrite. Enfin, la Cour conclut également qu’il est prématuré de soumettre le processus de consultation à une révision judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de révision judiciaire. Vu l’importance générale de certaines questions que soulevait cette demande, la Cour ordonne que les défendeurs paient conjointement 25% des dépens du demandeur.

 

« André F.J. Scott »

Juge

 


ANNEXE

 

 

Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, LC 1992, c 37

Canadian Environmental Assessment Act, SC 1992, c 37

 

Définitions

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

[…]

 

« effets environnementaux »

 

“environmental effect”

 

« effets environnementaux » Que ce soit au Canada ou à l’étranger, les changements que la réalisation d’un projet risque de causer à l’environnement — notamment à une espèce sauvage inscrite, à son habitat essentiel ou à la résidence des individus de cette espèce, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les espèces en péril — les répercussions de ces changements soit en matière sanitaire et socioéconomique, soit sur l’usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles par les autochtones, soit sur une construction, un emplacement ou une chose d’importance en matière historique, archéologique, paléontologique ou architecturale, ainsi que les changements susceptibles d’être apportés au projet du fait de l’environnement.

Definitions

 

2. (1) In this Act,

 

 

 

“environmental effect” means, in respect of a project,

 

(a) any change that the project may cause in the environment, including any change it may cause to a listed wildlife species, its critical habitat or the residences of individuals of that species, as those terms are defined in subsection 2(1) of the Species at Risk Act,

 

(b) any effect of any change referred to in paragraph (a) on

 

(i) health and socio-economic conditions,

 

(ii) physical and cultural heritage,

 

(iii) the current use of lands and resources for traditional purposes by aboriginal persons, or

 

(iv) any structure, site or thing that is of historical, archaeological, paleontological or architectural significance, or

 

(c) any change to the project that may be caused by the environment,

 

 whether any such change or effect occurs within or outside Canada;

 

Objet

 

4. (1) La présente loi a pour objet :

 

a) de veiller à ce que les projets soient étudiés avec soin et prudence avant que les autorités fédérales prennent des mesures à leur égard, afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants;

 

 

b) d’inciter ces autorités à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l’environnement et à la santé de l’économie;

 

 

b.1) de faire en sorte que les autorités responsables s’acquittent de leurs obligations afin d’éviter tout double emploi dans le processus d’évaluation environnementale;

 

 

b.2) de promouvoir la collaboration des gouvernements fédéral et provinciaux, et la coordination de leurs activités, dans le cadre du processus d’évaluation environnementale de projets;

 

b.3) de promouvoir la communication et la collaboration entre les autorités responsables et les peuples autochtones en matière d’évaluation environnementale;

 

c) de faire en sorte que les éventuels effets environnementaux négatifs importants des projets devant être réalisés dans les limites du Canada ou du territoire domanial ne débordent pas ces limites;

 

d) de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer de façon significative et en temps opportun au processus de l’évaluation environnementale.

 

Mission du gouvernement du Canada

 

(2) Pour l’application de la présente loi, le gouvernement du Canada, le ministre, l’Agence et les organismes assujettis aux dispositions de celle-ci, y compris les autorités fédérales et les autorités responsables, doivent exercer leurs pouvoirs de manière à protéger l’environnement et la santé humaine et à appliquer le principe de la prudence.

 

Purposes

 

4. (1) The purposes of this Act are

 

(a) to ensure that projects are considered in a careful and precautionary manner before federal authorities take action in connection with them, in order to ensure that such projects do not cause significant adverse environmental effects;

 

(b) to encourage responsible authorities to take actions that promote sustainable development and thereby achieve or maintain a healthy environment and a healthy economy;

 

(b.1) to ensure that responsible authorities carry out their responsibilities in a coordinated manner with a view to eliminating unnecessary duplication in the environmental assessment process;

 

(b.2) to promote cooperation and coordinated action between federal and provincial governments with respect to environmental assessment processes for projects;

 

 

(b.3) to promote communication and cooperation between responsible authorities and Aboriginal peoples with respect to environmental assessment;

 

(c) to ensure that projects that are to be carried out in Canada or on federal lands do not cause significant adverse environmental effects outside the jurisdictions in which the projects are carried out; and

 

(d) to ensure that there be opportunities for timely and meaningful public participation throughout the environmental assessment process.

 

 

Duties of the Government of Canada

 

(2) In the administration of this Act, the Government of Canada, the Minister, the Agency and all bodies subject to the provisions of this Act, including federal authorities and responsible authorities, shall exercise their powers in a manner that protects the environment and human health and applies the precautionary principle.

Détermination de la portée du projet

 

15. (1) L’autorité responsable ou, dans le cas où le projet est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, détermine la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée.

 

 

 

 

Pluralité de projets

 

(2) Dans le cadre d’une évaluation environnementale de deux ou plusieurs projets, l’autorité responsable ou, si au moins un des projets est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, peut décider que deux projets sont liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet.

 

 

 

 

 

 

Projet lié à un ouvrage

 

 

(3) Est effectuée, dans l’un ou l’autre des cas suivants, l’évaluation environnementale de toute opération — construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre — constituant un projet lié à un ouvrage :

 

 

 

 

a) l’opération est proposée par le promoteur;

 

b) l’autorité responsable ou, dans le cadre d’une médiation ou de l’examen par une commission et après consultation de cette autorité, le ministre estime l’opération susceptible d’être réalisée en liaison avec l’ouvrage.

Scope of project

 

15. (1) The scope of the project in relation to which an environmental assessment is to be conducted shall be determined by

 

(a) the responsible authority; or

 

(b) where the project is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority.

 

Same assessment for related projects

 

(2) For the purposes of conducting an environmental assessment in respect of two or more projects,

 

(a) the responsible authority, or

 

(b) where at least one of the projects is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority,

 

may determine that the projects are so closely related that they can be considered to form a single project.

 

All proposed undertakings to be considered

 

(3) Where a project is in relation to a physical work, an environmental assessment shall be conducted in respect of every construction, operation, modification, decommissioning, abandonment or other undertaking in relation to that physical work that is proposed by the proponent or that is, in the opinion of

 

(a) the responsible authority, or

 

 

(b) where the project is referred to a mediator or a review panel, the Minister, after consulting with the responsible authority,

 

likely to be carried out in relation to that physical work.

 

Éléments à examiner

 

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants :

 

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

 

b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);

 

c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;

 

d) les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

 

 

e) tout autre élément utile à l’examen préalable, à l’étude approfondie, à la médiation ou à l’examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange, — dont l’autorité responsable ou, sauf dans le cas d’un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

 

 

Éléments supplémentaires

 

(2) L’étude approfondie d’un projet et l’évaluation environnementale qui fait l’objet d’une médiation ou d’un examen par une commission portent également sur les éléments suivants :

 

a) les raisons d’être du projet;

 

b) les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;

 

 

 

c) la nécessité d’un programme de suivi du projet, ainsi que ses modalités;

 

 

d) la capacité des ressources renouvelables, risquant d’être touchées de façon importante par le projet, de répondre aux besoins du présent et à ceux des générations futures.

 

 

Obligations

 

(3) L’évaluation de la portée des éléments visés aux alinéas (1)a), b) et d) et (2)b), c) et d) incombe :

 

 

a) à l’autorité responsable;

 

b) au ministre, après consultation de l’autorité responsable, lors de la détermination du mandat du médiateur ou de la commission d’examen.

 

 

 

Situations de crise nationale

 

(4) L’évaluation environnementale d’un projet n’a pas à porter sur les effets environnementaux que sa réalisation peut entraîner en réaction à des situations de crise nationale pour lesquelles des mesures d’intervention sont prises aux termes de la Loi sur les mesures d’urgence.

Factors to be considered

 

16. (1) Every screening or comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors :

 

(a) the environmental effects of the project, including the environmental effects of malfunctions or accidents that may occur in connection with the project and any cumulative environmental effects that are likely to result from the project in combination with other projects or activities that have been or will be carried out;

 

(b) the significance of the effects referred to in paragraph (a);

 

(c) comments from the public that are received in accordance with this Act and the regulations;

 

(d) measures that are technically and economically feasible and that would mitigate any significant adverse environmental effects of the project; and

 

(e) any other matter relevant to the screening, comprehensive study, mediation or assessment by a review panel, such as the need for the project and alternatives to the project, that the responsible authority or, except in the case of a screening, the Minister after consulting with the responsible authority, may require to be considered.

 

 

Additional factors

 

(2) In addition to the factors set out in subsection (1), every comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors :

 

(a) the purpose of the project;

 

(b) alternative means of carrying out the project that are technically and economically feasible and the environmental effects of any such alternative means;

 

(c) the need for, and the requirements of, any follow-up program in respect of the project; and

 

(d) the capacity of renewable resources that are likely to be significantly affected by the project to meet the needs of the present and those of the future.

 

 

Determination of factors

 

(3) The scope of the factors to be taken into consideration pursuant to paragraphs (1)(a), (b) and (d) and (2)(b), (c) and (d) shall be determined

 

(a) by the responsible authority; or

 

(b) where a project is referred to a mediator or a review panel, by the Minister, after consulting the responsible authority, when fixing the terms of reference of the mediation or review panel.

 

Factors not included

 

(4) An environmental assessment of a project is not required to include a consideration of the environmental effects that could result from carrying out the project in response to a national emergency for which special temporary measures are taken under the Emergencies Act.

 

Autorité responsable

 

37. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) à (1.3), l’autorité responsable, après avoir pris en compte le rapport du médiateur ou de la commission ou, si le projet lui est renvoyé aux termes du paragraphe 23(1), le rapport d’étude approfondie, prend l’une des décisions suivantes :

 

 

 

a) si, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’elle estime indiquées, la réalisation du projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants ou est susceptible d’en entraîner qui sont justifiables dans les circonstances, exercer ses attributions afin de permettre la mise en œuvre totale ou partielle du projet;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

b) si, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’elle estime indiquées, la réalisation du projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux qui ne sont pas justifiables dans les circonstances, ne pas exercer les attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale et qui pourraient permettre la mise en œuvre du projet en tout ou en partie.

 

 

 

Agrément du gouverneur en conseil

 

(1.1) Une fois pris en compte le rapport du médiateur ou de la commission, l’autorité responsable est tenue d’y donner suite avec l’agrément du gouverneur en conseil, qui peut demander des précisions sur l’une ou l’autre de ses conclusions; l’autorité responsable prend alors la décision visée au titre du paragraphe (1) conformément à l’agrément.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Application du paragraphe 5(2)

 

(1.2) Lorsqu’une autorité responsable a l’obligation, en vertu du paragraphe (1.1), de donner suite au rapport qui y est visé, toute autorité fédérale dont le rôle à l’égard du projet est prévu à l’alinéa 5(2)b) peut prendre part à l’exécution de cette obligation comme si elle était une autorité responsable. S’agissant d’une autorité fédérale visée à l’alinéa b) de la définition de » autorité fédérale », au paragraphe 2(1), elle peut s’acquitter de cette obligation avec l’agrément du ministre par l’intermédiaire duquel elle rend compte de ses activités au Parlement.

 

Agrément du gouverneur en conseil

 

(1.3) L’autorité responsable à laquelle le projet est renvoyé au titre du paragraphe 23(1) ne prend la décision visée au paragraphe (1) qu’avec l’agrément du gouverneur en conseil si le projet est, selon la déclaration du ministre, susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants.

 

 

 

Précision

 

 

(2) L’autorité responsable qui prend la décision visée à l’alinéa (1)a) veille, malgré toute autre loi fédérale, lors de l’exercice des attributions qui lui sont conférées sous le régime de cette loi ou de ses règlements ou selon les autres modalités qu’elle estime indiquées, à l’application des mesures d’atténuation visées à cet alinéa.

 

 

 

 

Mesures d’atténuation — étendue des pouvoirs

 

(2.1) Les mesures d’atténuation que l’autorité responsable peut prendre en compte dans le cadre du paragraphe (1) ne se limitent pas à celles qui relèvent de la compétence législative du Parlement; elles comprennent :

 

a) les mesures d’atténuation dont elle peut assurer l’application;

 

 

b) toute autre mesure d’atténuation dont elle est convaincue qu’elle sera appliquée par une autre personne ou un autre organisme.

 

 

Application des mesures d’atténuation

 

 

(2.2) Si elle prend une décision dans le cadre de l’alinéa (1)a), l’autorité responsable veille à l’application des mesures d’atténuation qu’elle a prises en compte et qui sont visées à l’alinéa (1.1)a) de la façon qu’elle estime nécessaire, même si aucune autre loi fédérale ne lui confère de tels pouvoirs d’application.

 

 

Appui à l’autorité responsable

 

(2.3) Il incombe à l’autorité fédérale qui convient avec l’autorité responsable de mesures d’atténuation d’appuyer celle-ci, sur demande, dans l’application de ces mesures.

 

 

Interdiction de mise en œuvre

 

(3) L’autorité responsable qui prend la décision visée à l’alinéa (1)b) à l’égard d’un projet est tenue de publier un avis de cette décision dans le registre, et aucune attribution conférée sous le régime de toute autre loi fédérale ou de ses règlements ne peut être exercée de façon à permettre la mise en œuvre, en tout ou en partie, du projet.

 

 

 

Délai relatif à la prise de la décision

 

(4) L’autorité responsable ne peut prendre une décision dans le cadre du paragraphe (1) avant le trentième jour suivant le versement du rapport du médiateur ou de la commission, ou un résumé du rapport, au site Internet conformément à l’alinéa 55.1(2)p).

Decision of responsible authority

 

37. (1) Subject to subsections (1.1) to (1.3), the responsible authority shall take one of the following courses of action in respect of a project after taking into consideration the report submitted by a mediator or a review panel or, in the case of a project referred back to the responsible authority pursuant to subsection 23(1), the comprehensive study report :

 

(a) where, taking into account the implementation of any mitigation measures that the responsible authority considers appropriate,

 

(i) the project is not likely to cause significant adverse environmental effects, or

 

(ii) the project is likely to cause significant adverse environmental effects that can be justified in the circumstances,

 

the responsible authority may exercise any power or perform any duty or function that would permit the project to be carried out in whole or in part; or

 

(b) where, taking into account the implementation of any mitigation measures that the responsible authority considers appropriate, the project is likely to cause significant adverse environmental effects that cannot be justified in the circumstances, the responsible authority shall not exercise any power or perform any duty or function conferred on it by or under any Act of Parliament that would permit the project to be carried out in whole or in part.

 

Approval of Governor in Council

 

(1.1) Where a report is submitted by a mediator or review panel,

 

(a) the responsible authority shall take into consideration the report and, with the approval of the Governor in Council, respond to the report;

 

(b) the Governor in Council may, for the purpose of giving the approval referred to in paragraph (a), require the mediator or review panel to clarify any of the recommendations set out in the report; and

 

(c) the responsible authority shall take a course of action under subsection (1) that is in conformity with the approval of the Governor in Council referred to in paragraph (a).

 

Federal authority

 

(1.2) Where a response to a report is required under paragraph (1.1)(a) and there is, in addition to a responsible authority, a federal authority referred to in paragraph 5(2)(b) in relation to the project, that federal authority may act as a responsible authority for the purposes of that response. This subsection applies in the case of a federal authority within the meaning of paragraph (b) of the definition “federal authority” in subsection 2(1) if the Minister through whom the authority is accountable to Parliament agrees.

 

 

Approval of Governor in Council

 

(1.3) Where a project is referred back to a responsible authority under subsection 23(1) and the Minister issues an environmental assessment decision statement to the effect that the project is likely to cause significant adverse environmental effects, no course of action may be taken by the responsible authority under subsection (1) without the approval of the Governor in Council.

 

Responsible authority to ensure implementation of mitigation measures

 

(2) Where a responsible authority takes a course of action referred to in paragraph (1)(a), it shall, notwithstanding any other Act of Parliament, in the exercise of its powers or the performance of its duties or functions under that other Act or any regulation made there under or in any other manner that the responsible authority considers necessary, ensure that any mitigation measures referred to in that paragraph in respect of the project are implemented.

 

Mitigation measures — extent of authority

 

(2.1) Mitigation measures that may be taken into account under subsection (1) by a responsible authority are not limited to measures within the legislative authority of Parliament and include

 

 

(a) any mitigation measures whose implementation the responsible authority can ensure; and

 

(b) any other mitigation measures that it is satisfied will be implemented by another person or body.

 

 

 

Responsible authority to ensure implementation of mitigation measures

 

(2.2) When a responsible authority takes a course of action referred to in paragraph (1)(a), it shall, with respect to any mitigation measures it has taken into account and that are described in paragraph (2.1)(a), ensure their implementation in any manner that it considers necessary and, in doing so, it is not limited to its duties or powers under any other Act of Parliament.

 

Assistance of other federal authority

 

(2.3) A federal authority shall provide any assistance requested by a responsible authority in ensuring the implementation of a mitigation measure on which the federal authority and the responsible authority have agreed.

 

Prohibition : proceeding with project

 

(3) Where the responsible authority takes a course of action referred to in paragraph (1)(b) in relation to a project, the responsible authority shall publish a notice of that course of action in the Registry and, notwithstanding any other Act of Parliament, no power, duty or function conferred by or under that Act or any regulation made under it shall be exercised or performed that would permit that project to be carried out in whole or in part.

 

Time for decision

 

(4) A responsible authority shall not take any course of action under subsection (1) before the 30th day after the report submitted by a mediator or a review panel or a summary of it has been included on the Internet site in accordance with paragraph 55.1(2)(p).

 

 

Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11

The Constitution Act, 1982, Schedule B to the Canada Act 1982 (UK), 1982, c 11

 35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

 

(2) Dans la présente loi, « peuples autochtones du Canada » s'entend notamment des Indiens, des Inuit et des Métis du Canada.

 

(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.

 

(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits — ancestraux ou issus de traités — visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

 35. (1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed.

 

 

(2) In this Act, "aboriginal peoples of Canada" includes the Indian, Inuit and Métis peoples of Canada.

 

 

(3) For greater certainty, in subsection (1) "treaty rights" includes rights that now exist by way of land claims agreements or may be so acquired.

 

 

 

(4) Notwithstanding any other provision of this Act, the aboriginal and treaty rights referred to in subsection (1) are guaranteed equally to male and female persons.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-778-12

 

INTITULÉ :                                      CONSEIL DES INNUS DE EKUANITSHIT

                                                            et

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 22 JANVIER 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     LE 23 avril 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Schulze

Nick Dodd

Nathan Richards

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Letarte

Vincent Veilleux

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Maureen Killoran

Thomas Gelbman

POUR LA DÉFENDERESSE,

NALCOR ENERGY

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DIONNE SCHULZE s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE,

NALCOR ENERGY

 

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