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Date : 20130312

Dossier : T-168-12

Référence : 2013 CF 222

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

JURGEN JERRY LUKING

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               En 2008, M. Jurgen Jerry Luking a acheté un bateau de plaisance de 53 pieds, le Seasta 11 aux États-Unis pour 418 000 $ US. M. Luking a téléphoné à Transports Canada pour savoir comment immatriculer le bateau au Canada. Il a ensuite envoyé une lettre au registraire des bâtiments, lettre à laquelle il a joint une demande d’immatriculation du bateau et une copie de l’acte de vente. Il a payé les frais d’immatriculation de 250 $ et a reçu un certificat d’immatriculation.

 

[2]               En 2008, M. Luking est parti des États-Unis à bord du bateau et a navigué jusqu’à Bedwell Harbour, en Colombie-Britannique. Il s’est présenté à un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), qui lui a dit de se présenter au port plus important situé à Sidney, en Colombie-Britannique. M. Luking a dit à l’agent qu’il s’y présenterait ultérieurement. En mai 2008, M. Luking s’est rendu à Sidney à bord du bateau et s’est présenté à l’ASFC par téléphone. Selon les notes de l’agent de l’ASFC, M. Luking était [traduction] « sorti faire un tour » et n’avait rien à déclarer. L’agent a donné un numéro d’autorisation à M. Luking.

 

[3]               En juin 2008, M. Luking a reçu un avis du ministère de la Petite Entreprise et du Revenu de la Colombie-Britannique (Ministry of Small Business and Revenue) au sujet de la taxe de vente provinciale à payer à l’égard du bateau. M. Luking a dûment payé la somme de 29 260 $.

 

[4]               Par la suite, M. Luking a fait un certain nombre de déplacements au Canada. Chaque fois, il se présentait à l’ASFC. En août 2009, un agent s’est rendu compte que M. Luking ne semblait pas avoir payé de taxe sur les produits et services (TPS) relativement au bateau. Il a posé des questions à M. Luking à ce sujet. M. Luking a répondu qu’il croyait avoir déjà payé les taxes exigibles à l’égard du bateau. Il a proposé de vérifier ses dossiers et de communiquer avec l’ASFC par la suite.

 

[5]               En examinant ses dossiers, M. Luking a découvert qu’il avait payé la taxe provinciale, mais pas la TPS. Il a alors téléphoné à l’agent de l’ASFC pour expliquer la situation. L’agent lui a alors dit que son dossier avait été transféré à la Division des enquêtes criminelles.

 

[6]               En 2010, un autre agent de l’ASFC a envoyé un avis de confiscation compensatoire à M. Luking, avis qui imposait une pénalité de 166 664,96 $ – 40 % de la valeur du bateau – pour son défaut de se présenter aux douanes et de payer les droits exigibles à l’égard du bateau. Le véritable montant de la TPS exigible était considérablement plus faible : 20 883,12 $.

 

[7]               M. Luking reconnaît avoir omis de déclarer l’importation du bateau en raison d’une erreur de bonne foi. Il cherche à faire annuler la décision, prise au nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui l’oblige à payer une pénalité considérable. M. Luking soutient que le délégué du ministre l’a traité inéquitablement et a pris une décision déraisonnable.

 

[8]               Les questions en litige sont donc les suivantes :

 

            1.         Le ministre a-t-il traité M. Luking inéquitablement?

            2.         La décision du ministre est-elle déraisonnable?

 

II.        La décision contrôlée

 

[9]               La décision visée par le présent contrôle a été prise principalement par un décideur de l’ASFC qui agissait au nom du ministre. Le décideur a conclu que M. Luking avait fait une fausse déclaration en août 2009, lorsqu’il avait dit à un agent de l’ASFC qu’il avait déjà payé la TPS à l’égard du bateau. En outre, bien que M. Luking se soit toujours présenté à l’ASFC lorsqu’il entrait au Canada, il n’a jamais déclaré l’importation du navire. En fait, il a dit à l’ASFC que le bateau était immatriculé au Canada, ce qui a mené l’agent à conclure qu’il s’agissait d’un bateau canadien.

 

[10]           Le décideur a aussi souligné que M. Luking était membre du programme NEXUS durant la période pertinente. Les membres de NEXUS sont passibles de pénalités plus élevées que la normale, et ce, peu importe s’ils commettent une infraction intentionnellement ou non. M. Luking a fait remarquer qu’il n’était pas membre de NEXUS – ce que l’ASFC a admis ultérieurement –, mais le décideur a conclu que M. Luking était membre d’un autre programme, CANPASS, dont les membres ont des responsabilités semblables à ceux de NEXUS. Cette conclusion était elle aussi inexacte. Le décideur a néanmoins conclu que la pénalité imposée à M. Luking était justifiée, car ce dernier avait fait une fausse déclaration à un agent de l’ASFC en affirmant avoir payé la TPS.

 

[11]           En 2010, M. Luking a demandé de rencontrer le ministre ou un de ses délégués afin d’expliquer qu’il n’avait pas eu l’intention de violer ses obligations légales. Le décideur a proposé à M. Luking de le rencontrer, mais il dit que cela n’était pas nécessaire, car toutes les observations devaient être présentées sous forme écrite. Par la suite, M. Luking a demandé qu’on lui fournisse des exemplaires des politiques et lignes directrices de l’ASFC. Le décideur a fourni des extraits du Manuel d’exécution des douanes de l’ASFC à M. Luking. M. Luking a demandé un exemplaire intégral du manuel, mais cette demande a été rejetée.

 

[12]           En 2011, une autre décideuse de l’ASFC, de la Division des appels, a conclu que M. Luking avait tenté d’éviter de payer les droits exigibles au Canada en camouflant son bateau au moyen de [traduction] « plaques canadiennes portant un numéro d’immatriculation canadien ». Toujours selon cette décideuse, M. Luking avait aussi trompé l’agent de l’ASFC en poste à Sidney en lui disant qu’il était simplement [traduction] « sorti faire un tour ».

 

[13]           Ainsi, la décideuse a rejeté les objections soulevées par M. Luking à l’égard de la pénalité de 166 664,96 $ qui lui avait été imposée.

 

III.       Première question – Le ministre a-t-il traité M. Luking inéquitablement?

 

[14]           M. Luking affirme avoir été traité inéquitablement parce que le décideur a refusé de lui accorder une audience, car cela lui aurait permis de présenter des éléments de preuve et des observations relativement à des questions pertinentes à l’égard de la pénalité qui lui a été imposée, notamment quant au fait qu’il n’avait pas l’intention de violer la loi. M. Luking soutient que, comme il avait déclaré sous serment qu’il avait commis une erreur de bonne foi, la conclusion de la décideuse selon laquelle il avait tenté activement de tromper l’ASFC équivaut à une conclusion défavorable en matière de crédibilité, laquelle n’aurait pas dû être faite sans qu’une audience soit tenue. De plus, il n’y avait aucune raison valable de refuser de fournir un exemplaire intégral du Manuel d’exécution des douanes à M. Luking. Compte tenu de l’importance de la pénalité en cause, l’ASFC était assujettie à des exigences élevées en matière d’équité.

 

[15]           Je ne suis pas convaincu que M. Luking a été traité inéquitablement. Les décideurs de l’ASFC doivent évidemment agir équitablement, surtout lorsque leurs décisions ont des conséquences importantes. Toutefois, en l’espèce, M. Luking a eu plusieurs occasions de présenter des observations écrites. La décideuse n’a fait aucune conclusion expresse en matière de crédibilité. Elle a conclu que les déclarations de M. Luking à l’ASFC et sa conduite étaient trompeuses, mais, pour ce faire, elle a simplement soupesé les éléments de preuve dont elle disposait. De toute manière, la question de savoir si M. Luking avait trompé l’ASFC intentionnellement l’ASFC n’était qu’un des facteurs dont il fallait tenir compte. Il ne s’agissait pas du seul fondement de la décision par laquelle l’ASFC a jugé que la pénalité était appropriée.

 

[16]           Pour ce qui est du défaut de fournir un exemplaire intégral du Manuel d’exécution des douanes à M. Luking, la décideuse lui a fourni les passages pertinents. Je rejette la prétention de M. Luking selon laquelle il avait droit à plus de renseignements.

 

IV.       Deuxième question – La décision du ministre est-elle déraisonnable?

 

[17]           Puisque M. Luking reconnaît avoir violé ses obligations légales, il faut seulement se demander si le montant de la pénalité est déraisonnable. Le ministre soulève les points suivants à l’appui du montant de la pénalité :

 

            •           M. Luking a amené le bateau au Canada avec des plaques et un numéro d’immatriculation canadiens, affirmant être simplement sorti faire un [traduction] « tour »;

            •           M. Luking a déclaré faussement à un agent qu’il avait payé la TPS à l’égard du bateau;

            •           une pénalité élevée (niveau 2, c’est-à-dire 40 % de la valeur du bateau) doit être imposée lorsque des biens sont dissimulés ou camouflés ou que de fausses déclarations sont faites après leur découverte.

 

[18]           Il faut donc décider si la preuve démontre que M. Luking a dissimulé ou camoufler le bateau, s’il a trompé l’agent de l’ASFC quant au paiement de la TPS et s’il a fait d’autres fausses déclarations.

 

[19]           M. Luking admet avoir omis de déclarer explicitement l’importation du bateau. Toutefois, rien ne démontre qu’il avait dissimulé ou camouflé le bateau. En fait, il s’est dûment présenté au port de Sidney comme on lui avait demandé de le faire. M. Luking a communiqué avec l’ASFC à maintes reprises. En outre, contrairement à ce qu’a conclu la décideuse, les navires ne portent pas de plaque d’immatriculation. M. Luking n’aurait pas pu camoufler l’origine du bateau grâce à de fausses plaques. Par ailleurs, il avait dûment fait immatriculer son bateau lorsqu’il était tenu de le faire. Le fait que M. Luking ait fait immatriculer au Canada son bateau acheté aux États-Unis ne permet aucunement de conclure qu’il a camouflé l’origine du bateau.

 

[20]           Pour ce qui est de la déclaration de M. Luking au sujet du paiement de la TPS, il a simplement dit à l’agent de l’ASFC qu’il croyait l’avoir payée. Il s’est engagé à vérifier ses dossiers et, après l’avoir fait, il a communiqué avec l’ASFC pour signaler son erreur. M. Luking n’a jamais déclaré à l’ASFC qu’il avait effectivement payé la TPS, il a seulement dit qu’il croyait l’avoir fait. On ne saurait assimiler la fausse déclaration et la croyance de bonne foi qui, après vérification, s’avère erronée. La preuve ne permet pas de conclure que M. Luking a sciemment déclaré faussement qu’il avait payé la TPS.

 

[21]           Enfin, le fait que M. Luking ait dit à l’agent de l’ASFC en poste à Sidney qu’il était sorti faire un [traduction] « tour » ne démontre pas, à lui seul, qu’il avait l’intention de tromper l’agent. Au départ, M. Luking s’est présenté à Bedwell Harbour, où on lui a dit de se présenter au port de Sidney, ce qu’il a fait. Le fait qu’il s’est présenté à Sidney lors d’une sortie subséquente ne signifie pas qu’il a agi trompeusement.

 

[22]           Le ministre a attiré mon attention sur une décision récente de la Cour : Shin c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection nationale), 2012 CF 1106. Dans cette décision, le juge John O’Keefe a conclu qu’une pénalité de niveau 2 était injustifiée dans le cas d’une personne qui était incertaine des obligations que lui imposait la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl), et qui était peut-être embrouillée, en raison de difficultés linguistiques, lorsqu’on lui avait posé des questions au sujet de la montre de forte valeur qu’elle importait au Canada, et ce, même si elle avait fait une fausse déclaration au sujet du moment où elle avait acquis la montre. J’ai du mal à comprendre en quoi cette décision renforce la position du ministre. Le juge O’Keefe a clairement conclu qu’une pénalité de niveau 2 n’était pas justifiée dans ces circonstances. En l’espèce, la preuve démontre que M. Luking a agi de bonne foi et n’a pas dissimulé ou camouflé l’origine de son bateau. J’estime qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de lui imposer une pénalité de niveau 2.

 

V.        Conclusion et décision

 

[23]           L’intention de M. Luking n’a aucune pertinence à l’égard de la question de savoir s’il a violé la Loi sur les douanes (voir Leasak c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection nationale), 2006 CF 1397, au paragraphe 50). D’ailleurs, cette question n’est même pas en litige dans la présente espèce, car M. Luking a reconnu avoir contrevenu à la loi. Cependant, l’intention de M. Luking est pertinente à l’égard du montant de la pénalité.

[24]           Le Manuel d’exécution des douanes prévoit que l’absence d’intention est un facteur atténuant et que les infractions par omission sont moins coupables que les infractions par commission. Le manuel prévoit que la pénalité de niveau 1 doit être imposée lorsque : (i) des marchandises ne sont pas déclarées à l’ASFC ou l’importateur les déclare, mais fait de fausses déclarations sur leur acquisition, (ii) les marchandises ne sont pas dissimulées et (iii) une divulgation complète est faite lorsqu’elles sont découvertes. Une pénalité de niveau 2 doit être imposée lorsque : (i) des marchandises sont dissimulées ou camouflées, (ii) de fausses déclarations sont faites lors de leur découverte ou (iii) la personne a déjà fait l’objet d’une saisie.

[25]           Je n’ai pas à décider si une pénalité de niveau 1 serait appropriée dans les circonstances. Toutefois, j’estime que la décision d’imposer une pénalité de niveau 2 n’est pas raisonnable compte tenu de la preuve. En l’espèce, aucun élément de preuve ne permet raisonnablement de conclure que M. Luking a camouflé son bateau ou fait une fausse déclaration lorsque l’importation du bateau a été découverte. Rien ne permet de conclure que M. Luking a fait autre chose que déclarer, de bonne foi, qu’il croyait avoir payé la TPS. De plus, il a divulgué son erreur volontairement et rapidement.

[26]           Par conséquent, je conclus que le montant de la pénalité imposée à M. Luking est déraisonnable. Il me faut donc accueillir la demande de contrôle judiciaire, avec dépens, et ordonner qu’un autre décideur de l’ASFC réexamine la pénalité imposée à M. Luking.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens, et il est ordonné qu’un autre décideur de l’ASFC réexamine la pénalité imposée au demandeur.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-168-12

 

INTITULÉ :                                      JURGEN JERRY LUKING

                                                            c

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                           LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 12 mars 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kimberley L. Cook

POUR LE DEMANDEUR

 

Michelle Shea

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thorsteinssons LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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