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Date : 20130226

Dossier : T‑1518‑10

Référence : 2013 CF 193

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 février 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

HARLEY‑DAVIDSON MOTOR COMPANY GROUP, LLC, H‑D MICHIGAN, LLC, HARLEY‑DAVIDSON MOTOR COMPANY, INC. et FRED DEELEY IMPORTS LIMITED

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

VAROUJIAN MANOUKIAN, ALIAS JOHNNY MANOUKIAN, ALIAS JONATHAN MANOUKIAN, ET VETEMENTS DE CUIR ORIGINAUX V.M. INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 22 septembre 2010, les demanderesses ont produit une déclaration introductive d’instance après que les défendeurs eurent mis en vente et vendu des marchandises Harley‑Davidson contrefaites. Le 23 octobre 2010, les défendeurs ont signifié et déposé une défense et, le 25 octobre 2010, les demanderesses ont déposé une réponse. Enfin, le 9 décembre 2011, les demanderesses ont présenté une requête en jugement sommaire.

 

[2]               Les demanderesses ont présenté des arguments tendant à établir que leurs droits sur les marques de commerce Harley‑Davidson (définies ci‑après), ou la violation de ces droits par les défendeurs, n’étaient pas matière à procès, et que le propriétaire des marques de commerce et ses licenciés canadiens avaient chacun droit à des dommages‑intérêts compensatoires minimaux par suite de six actes de contrefaçon, de même qu’à des dommages‑intérêts punitifs.

 

[3]               De leur côté, les défendeurs soutiennent que les demanderesses n’ont satisfait à aucun des critères qui justifieraient un jugement sommaire et réfutent toutes les allégations formulées par le principal auteur d’affidavit pour le compte des demanderesses, qui prétend avoir acheté et/ou s’être vu offrir des marchandises contrefaites par les défendeurs à six occasions différentes.

 

[4]               Compte tenu de la preuve produite et de l’analyse qui suit, je conclus que les demanderesses se sont acquittées du fardeau d’établir l’existence des faits requis pour obtenir un jugement sommaire, et que les défendeurs, qui devaient présenter leur cause sous son meilleur jour à cette fin, n’ont pas réussi à établir qu’il existait une véritable question litigieuse. Par conséquent, la requête en jugement sommaire est accueillie, mais le montant des dommages‑intérêts réclamés par les demanderesses sera réduit, comme je l’expliquerai ci‑après.

 

CONTEXTE

[5]               H‑D Michigan, LLC (MI), une société de portefeuille spécialisée en propriété intellectuelle, a été constituée sous le régime des lois de l’État du Michigan, É.‑U. Harley‑Davidson Motor Company Group, LLC (MCG) est une société à responsabilité limitée, et Harley‑Davidson Motor Company, Inc. (MCI), une personne morale; ces deux dernières ont été constituées sous le régime des lois de l’État du Wisconsin, É.‑U. Quant à Fred Deeley Imports Limited (Fred Deeley), il s’agit d’une société constituée en Colombie‑Britannique dont l’établissement principal est situé à Concord, Ontario. Ces sociétés seront collectivement appelées les « demanderesses ».

 

[6]               Vêtements de Cuir Originaux V.M. Inc. (VM Inc.) est une société constituée sous le régime des lois de la province de Québec, dont le siège est situé au 7521 et 7523 de la rue Saint‑Hubert à Montréal (établissement de la rue Saint‑Hubert). M. Varoujian Manoukian (alias Johnny Manoukian et Jonathan Manoukian) réside à Wentworth, Québec. Il est actionnaire et administrateur principal de VM Inc. Selon M. Manoukian, (page 22 de la transcription de son contre‑interrogatoire), VM Inc. a cessé ses activités il y a quelque deux ans et n’est plus inscrite comme une société du Québec; la preuve à cet égard est cependant floue. M. Manoukian et VM Inc. seront ci‑après appelés les « défendeurs ».

 

[7]               Les défendeurs louent et exploitent deux établissements sous la raison sociale Vêtements de Cuir Originaux V.M. Inc. : le premier est situé sur la rue Saint‑Hubert, et l’autre, un stand du Marché aux Puces Métropolitain, est situé au 6245, boul. Métropolitain Est, arrondissement de Saint‑Léonard (établissement du marché aux puces ).

 

[8]               MI est propriétaire de nombreuses marques de commerce déposées en liaison avec diverses marchandises, notamment des tee‑shirts, des vestes et des boucles de ceinture. Les marques de commerce suivantes, ci‑après appelées collectivement les « marques de commerce Harley‑Davidson », sont particulièrement pertinentes en l’espèce :

 

a)      HARLEY‑DAVIDSON (LMC 385,695), déposée le 14 juin 1991 pour être employée en liaison avec des marchandises diverses, y compris des tee‑shirts et des vestes;

 

b)      HARLEY‑DAVIDSON (LMC 524,013), déposée le 29 février 2000, pour être employée en liaison avec diverses marchandises, y compris des boucles de ceinture;

 

c)      MOTOR HARLEY‑DAVIDSON CYCLES et Dessin (LMC 286,290), déposée le 30 décembre 1983, pour être employée en liaison avec diverses marchandises, y compris des tee‑shirts, des vestes et des boucles de ceinture;

d)     HARLEY (LMC 701,942), déposée le 28 novembre 2007, pour être employée en liaison avec diverses marchandises, y compris des tee‑shirts.

 

[9]               MI avait le droit d’utiliser les marques de commerce Harley‑Davidson au Canada, et de céder par licence l’utilisation de ces marques, à toutes les dates pertinentes en cause; chacune d’elles est encore valide et est la propriété exclusive de MI. Ces faits n’ont pas été contestés par les défendeurs.

 

[10]           Selon une licence accordée à MCG et à MCI, filiale en pleine propriété de MCG, Fred Deeley est un distributeur de produits de marque Harley‑Davidson au Canada. Fred Deeley possède donc le droit exclusif au Canada de distribuer certaines marchandises et d’offrir certains services sous l’une ou plusieurs des marques de commerce Harley‑Davidson. Les demanderesses détiennent collectivement le droit exclusif de fabriquer une vaste gamme de produits, ou d’en céder la fabrication par licence, notamment des tee‑shirts, des vestes et des boucles de ceinture, affichant ou incorporant une ou plusieurs des marques de commerce Harley‑Davidson. Encore une fois, aucun de ces faits n’a été contesté par le défendeur.

 

PREUVE RELATIVE À LA PRÉSENTE REQUÊTE

[11]           Les demanderesses ont déposé six affidavits à l’appui de leur requête. En voici un bref résumé.

 

            i) Affidavit de John Joseph O’Keefe, établi sous serment le 16 septembre 2011

[12]           Monsieur O’Keefe est enquêteur spécialisé dans le domaine des marchandises contrefaites depuis 2001; il a suivi périodiquement des cours sur la façon de reconnaître des marchandises Harley‑Davidson authentiques. Les avocats des demanderesses ont retenu ses services afin qu’il mène une enquête sur des allégations de fabrication, de mise en vente et de vente par les défendeurs de vêtements Harley‑Davidson contrefaits. Sont annexés à cet affidavit des rapports et des photos visant à établir qu’à six occasions M. O’Keefe a pu constater que les défendeurs fabriquaient, mettaient en vente ou vendaient des marchandises contrefaites Harley‑Davidson. Voici les faits principaux relatifs à ces six occasions :

a)      11 juin 2010, établissement du marché aux puces : M. O’Keefe relate sa rencontre avec « Victor » Manoukian, qui a reconnu fabriquer des vêtements de marque Harley‑Davidson et les offrir en vente sur les marchés de gros et de détail. M. Manoukian a reconnu se livrer à ces activités de fabrication à l’établissement de la rue Saint‑Hubert. M. O’Keefe a vu quelque 40 tee‑shirts Harley‑Davidson et quelque 60 vestes Harley‑Davidson en tissu et en cuir;

 

b)      23 juillet 2010, établissement de la rue Saint‑Hubert : M. O’Keefe mentionne que seule une employée était présente et qu’il n’a vu aucun vêtement Harley‑Davidson contrefait, même si la femme lui a déclaré que l’établissement de la rue Saint‑Hubert était le meilleur endroit pour se procurer une veste de cuir Harley‑Davidson faite sur mesure par M. Manoukian;

 

c)      10 août 2010, établissement de la rue Saint‑Hubert : M. O’Keefe a remarqué qu’aucun vêtement Harley‑Davidson n’était en montre, mais il a acheté un tee‑shirt (pas de reçu, pas de taxe; carte de débit refusée) et il a fait un dépôt de 50 $ pour la mise de côté d’une veste en tissu tirée d’un gros sac à ordures (le rapport mentionne les détails suivants : pas d’apostrophe dans le nom Harley‑Davidson sur la veste; essayage de deux tailles différentes, carte de débit refusée, mais reçu du dépôt pour mise de côté obtenu). Une employée a déclaré que l’établissement du marché aux puces n’offrait plus de vêtements Harley‑Davidson étant donné qu’il y avait eu des problèmes et qu’une plainte avait été déposée. Elle a demandé à M. O’Keefe s’il était un inspecteur;

 

d)     18 août 2010, établissement de la rue Saint‑Hubert : M. O’Keefe écrit qu’il a complété l’achat de la veste de tissu pour laquelle il avait fait un dépôt (pas de taxe, pas de reçu) et que deux hommes livraient du cuir à l’étage pendant qu’il se trouvait dans l’établissement. Il n’a vu aucun autre vêtement Harley‑Davidson dans le magasin, mais l’employée lui a dit qu’il serait facile de lui confectionner une veste de cuir;

 

e)      26 août 2010, établissement du marché aux puces : M. O’Keefe mentionne qu’aucun vêtement Harley‑Davidson n’était en montre dans le magasin, mais que M. Manoukian se trouvait sur les lieux. M. O’Keefe a acheté un tee‑shirt (pas de taxe, pas de reçu), a fait un dépôt de 25 $ pour la mise de côté d’une veste et a convenu d’acheter à une date ultérieure un pull d’entraînement contrefait, avec capuchon et fermeture éclair, au comptant et sans taxes. M. O’Keefe a constaté que les vêtements Harley‑Davidson contrefaits étaient conservés dans des sacs à ordures et sur des cintres à la droite de la caisse (tous non visibles à première vue). M. Manoukian lui a dit que toutes les vestes de marque Harley‑Davidson étaient faites à l’établissement de la rue Saint‑Hubert et qu’il pouvait confectionner des vêtements Harley‑Davidson de styles divers. M. O’Keefe a vu un écran sur lequel était affichée une image numérique des produits Harley‑Davidson et il a eu l’impression que cet écran permettait de montrer les produits à des clients éventuels. M. Manoukian a offert de lui vendre une autre veste et un tee‑shirt à manches longues;

 

f)       3 septembre 2010, établissement du marché aux puces : M. O’Keefe a acheté la veste qu’il avait fait mettre de côté en plus d’un pull d’entraînement de marque Harley‑Davidson avec capuchon (au comptant); aucun de ces deux vêtements ne portait les étiquettes apposées sur le col des vêtements Harley‑Davidson authentiques. M. Manoukian lui a dit qu’il fabriquait des produits de marque Harley‑Davidson depuis cinq ans, mais qu’il ne les vendait plus dans ses établissements parce qu’il avait eu des ennuis avec la GRC. Selon M. O’Keefe, M. Manoukian a dit que Harley‑Davidson ne devrait pas permettre aux Chinois de fabriquer des vêtements et empêcher les fabricants canadiens de produire des vêtements Harley‑Davidson authentiques. M. Manoukian a déclaré qu’il s’appelait Johnny et il a dit à M. O’Keefe que ce dernier pouvait commander des produits Harley‑Davidson n’importe quand étant donné qu’il était un client connu.

 

[13]           Monsieur O’Keefe décrit ensuite trois visites qu’il a faites antérieurement dans le cadre d’une enquête sur les défendeurs pour le compte des demanderesses. Le 20 octobre 2006, il a acheté une veste Harley‑Davidson contrefaite à l’établissement du marché aux puces (payée par carte de débit); il a alors rencontré M. Manoukian qui a confirmé qu’il pouvait fabriquer une veste semblable en cuir en grande quantité et en tailles variées. Le 25 mars 2007, il a vu à l’établissement du marché aux puces différentes pièces de vêtements Harley‑Davidson contrefaits, en grande quantité, et il a demandé un prix pour l’achat de 17 vestes dans les tailles grande et très grande pour hommes; quelqu’un l’a dirigé vers M. Manoukian (Johnny) pour le traitement de sa commande (peut‑être son fils). Enfin, le 17 février 2008, il a vu quelque 80 vestes Harley‑Davidson contrefaites, dans neuf styles et modèles différents, mais aucun achat n’a été effectué à cette occasion.

 

            ii) Affidavit d’Alan Ovadia, établi sous serment le 13 septembre 2011

[14]           Monsieur Alan Ovadia est un avocat qui pratique dans les mêmes locaux que M. Daniel Ovadia. Les services de ces derniers ont quelques fois été retenus, sur une base individuelle, par le cabinet où travaille l’avocat des demanderesses, afin de signifier, à titre d’avocats indépendants, des lettres de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées. M. Alan Ovadia allègue que M. Daniel Ovadia lui a transmis, le 21 janvier 2011, un message téléphonique provenant d’un vendeur anonyme dans un marché aux puces. Selon M. Ovadia, l’« informateur » lui aurait dit que M. Manoukian vendait des marchandises Harley‑Davidson contrefaites à l’établissement du marché aux puces et que M. Manoukian cachait lesdites marchandises (tee‑shirts, montres et vestes) sous le comptoir ou dans un stand adjacent lorsque les équipes de lutte contre la contrefaçon se présentaient au marché aux puces, après quoi il les replaçaient sur les étalages.

 

[15]           L’« informateur » a déclaré que M. Manoukian fabriquait ses propres produits à l’établissement de la rue Saint‑Hubert et qu’il était associé avec un spécialiste en broderie, qu’il n’a pas nommé, travaillant au marché aux puces. L’« informateur » aurait ajouté que si aucune mesure n’était prise contre M. Manoukian, il se lancerait lui aussi dans la vente de produits illégaux.

 

            iii) Affidavit de Jennifer Ziegler, établi sous serment le 13 octobre 2011

[16]           Madame Ziegler est codirectrice du contentieux de MI depuis 2010; elle était auparavant (depuis 2005) avocate principale en droit des marques de commerce de la société. Elle a annexé à son affidavit des copies de l’enregistrement au Canada de quatre marques de commerce pertinentes et elle atteste que les défendeurs n’ont jamais obtenu de licence, de droit ou d’autre autorisation leur permettant de fabriquer des marchandises portant les marques de commerce Harley‑Davidson, et que le droit de distribuer certaines marchandises et d’offrir certains services a été accordé exclusivement à Fred Deeley.

 

[17]           Elle fait état de la réputation des demanderesses et de la clientèle qu’elles se sont bâtie relativement aux marques de commerce Harley‑Davidson, et elle aborde la question des répercussions négatives susceptibles de découler de la vente de marchandises Harley‑Davidson contrefaites. De plus, elle décrit certaines normes et pratiques touchant la fabrication, la distribution et la vente des produits Harley‑Davidson autorisés. À partir de ces normes, elle analyse les photos des vêtements achetés par M. O’Keefe et confirme que chacun de ces vêtements est contrefait. Au paragraphe 42 de son affidavit, Mme Ziegler déclare que le 27 août 2010 elle a ordonné que l’on envoie aux défendeurs une lettre de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées, ce qui a donné lieu à la remise d’une boucle de ceinture; la photo produite par M. O’Keefe confirme que cette boucle était contrefaite.

 

            iv) Affidavit de Jennifer Ziegler, établi sous serment le 25 août 2010

[18]           Dans cet affidavit, Mme Ziegler déclare que la veste achetée des défendeurs le 18 août 2010 est contrefaite, selon les photos vraisemblablement prises par M. O’Keefe, et elle cite les normes et des pratiques qui permettent d’établir l’authenticité des marchandises.

 

            v) Affidavit relatif à la signification d’une lettre par Jonathan Ruel, établi sous serment le 10 décembre 2010

[19]           Selon cet affidavit, M. Ruel s’est rendu à l’établissement du marché aux puces le 27 août 2010 afin de remettre, pour le compte des demanderesses, des lettres de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées; il était accompagné de M. Anthony Iafrate (enquêteur) et de M. Lorne M. Lipkus (avocat).

 

[20]           M. Ruel déclare qu’ils ont rencontré M. Varoujian Manoukian au stand 625, que M. Manoukian s’est nommé, qu’ils lui ont remis la lettre de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées et que M. Manoukian a remis volontairement une boucle de ceinture Harley‑Davidson en échange d’un reçu.

 

            vi) Affidavit de Jonathan Ruel établi sous serment le 24 août 2012

[21]           Monsieur Ruel précise dans cet affidavit qu’il a travaillé comme huissier pendant quelque sept ans et il fournit de plus amples renseignements sur sa visite du 27 août 2010 au Marché aux puces Métropolitain Inc. Il déclare que cet affidavit fait suite à la description par les défendeurs des circonstances ayant entouré la signification des lettres de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées dont il est question dans son affidavit, qu’il a examinée.

 

[22]           M. Ruel raconte qu’à l’un des stands où ils se sont rendus, il a entendu une conversation entre le commerçant et M. Lipkus; le commerçant s’inquiétait du fait qu’il était ciblé alors que l’auteur principal des infractions avait eu le temps de cacher la marchandise contrefaite et de la faire disparaître de son stand. Le commerçant a d’abord refusé de donner le nom de son fournisseur, mais il est ensuite allé rejoindre les membres de l’équipe de lutte contre la contrefaçon à un autre stand et, en parlant au commerçant de ce stand, il a fini par désigner leur fournisseur commun et [traduction] « a laissé échapper les chiffres “6‑2‑5” ».

 

[23]           Lorsqu’ils sont arrivés au stand 625, celui des défendeurs, M. Lipkus a parlé à M. Manoukian qui a accepté de remettre une boucle de ceinture Harley‑Davidson; à la question de savoir s’il possédait d’autres marchandises Harley‑Davidson, M. Manoukian a répondu qu’il n’en possédait pas et qu’il ne faisait pas le commerce de ce genre de produits. M. Manoukian a ensuite autorisé M. Ruel à fouiller son stand, mais il est devenu nerveux et a demandé avec insistance que M. Lipkus lui explique de quelle façon il avait obtenu son nom. M. Manoukian a finalement signé les documents de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées en présence de M. Ruel et il a accepté d’en respecter les conditions. Les membres de l’équipe ont remis à M. Manoukian un reçu et ont mis fin à leur perquisition. M. Ruel laisse entendre que les occupants du stand 625 auraient eu amplement le temps de retirer ou de cacher les articles contrefaits ou frauduleux à partir du moment où les membres de l’équipe ont commencé à remettre aux autres commerçants des lettres de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées.

 

[24]           En plus des six affidavits des demanderesses résumés ci‑dessus, les défendeurs ont déposé un affidavit de Varoujian Manoukian. Dans cet affidavit, M. Manoukian réfute catégoriquement toutes les accusations formulées par M. O’Keefe au sujet des activités de contrefaçon qui lui sont reprochées ainsi qu’à son entreprise, et il conteste la crédibilité de M. O’Keefe et de Mme Ziegler. Il nie avoir déjà rencontré M. O’Keefe ou effectué les ventes dont il est question dans l’affidavit de M. O’Keefe, et ajoute que l’établissement de la rue Saint‑Hubert n’est pas suffisamment grand pour abriter une manufacture. Il signale que M. O’Keefe a mentionné à plusieurs reprises qu’aucune marchandise Harley‑Davidson n’était en montre.

 

[25]           Monsieur Manoukian soutient en outre que les photographies prises par M. O’Keefe ne permettent d’établir aucun lien entre son magasin et les produits photographiés. Il conteste le fait qu’à un certain moment M. O’Keefe l’identifie comme étant « Victor » Manoukian, et il soutient qu’il n’est pas logique que M. O’Keefe allègue avoir vu de nombreux articles contrefaits le 26 août 2010, alors qu’aucun article n’a été saisi ni même aperçu au cours de la perquisition effectuée le 27 août 2010. Il soutient qu’il a lui‑même acquis la boucle de ceinture Harley‑Davidson (saisie contre son gré) et que rien ne l’empêchait de la revendre ensuite au marché aux puces.

 

[26]           Monsieur Manoukian a été contre‑interrogé sur son affidavit et un examen attentif de la transcription révèle que sa mémoire et sa capacité de se remémorer des faits précis sont fortement affaiblies depuis au moins les quatre dernières années. Néanmoins, il est la seule personne chargée directement de l’ensemble des activités de Vêtements de Cuir Originaux V.M. Inc. Ni la société défenderesse ni M. Manoukian ne tiennent de livres ou de registres faisant état des ventes conclues. M. Manoukian a omis ou refusé de fournir des renseignements détaillés au sujet des entrepreneurs indépendants, des employés et des bénévoles dont lui‑même ou la société défenderesse ont utilisé les services. M. Manoukian a reconnu qu’il avait lui‑même vendu des vêtements au public dans son stand du Marché aux puces Métropolitain et qu’il avait vendu en gros à des entreprises des vêtements qui étaient fabriqués par la société défenderesse.

 

[27]           Monsieur Manoukian reconnaît que la carte professionnelle, le sac à provisions et l’étiquette portant le numéro 0667 qui figurent sur les photographies jointes à l’affidavit de M. O’Keefe lui appartiennent ainsi qu’à la société défenderesse, mais il nie que les vêtements illustrés sur ces mêmes images ont été fabriqués ou vendus par les défendeurs. Il a aussi déclaré qu’il ne connaît pas M. O’Keefe, qu’il ne pourrait pas le reconnaître et que le nom John Joseph O’Keefe ne lui dit rien. Il ne possède aucun renseignement qui permettrait de confirmer qu’il se trouvait au Marché aux puces Métropolitain le 11 juin 2010 et il ne se rappelle pas avoir rencontré un certain M. O’Keefe le 23 juillet 2010 à l’établissement de la rue Saint‑Hubert.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[28]           Deux questions sont en litige dans la présente requête en jugement sommaire :

a)   Existe‑t‑il une véritable question litigieuse en ce qui a trait à la responsabilité des défendeurs?

b)   Dans la négative, quels dommages‑intérêts convient‑il d’accorder dans les circonstances?

 

ANALYSE

a) Existe‑t‑il une véritable question litigieuse en ce qui a trait à la responsabilité des défendeurs?

[29]           Les paragraphes 213 à 219 des Règles des Cours fédérales ont pour but d’autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’instruire parce qu’elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire. Selon l’article 215 des Règles, la Cour peut alors rendre un jugement sommaire :

Absence de véritable question litigieuse

215. (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

 

Somme d’argent ou point de droit

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

 

a) la somme à laquelle le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination de la somme conformément à la règle 153;

 

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

 

Pouvoirs de la Cour

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

 

a) néanmoins, trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

 

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

 

If no genuine issue for trial

 

215. (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

 

 

 

Genuine issue of amount or question of law

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

 

 

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

 

 

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

 

Powers of Court

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

 

 

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

 

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

 

 

[30]           Il ne s’agit pas de déterminer si une partie ne pourrait pas avoir gain de cause lors d’un procès, mais si le succès de la demande est tellement douteux que celle‑ci ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès : voir Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd, [1996] 2 CF 853, 111 FTR 189 (CFPI). La jurisprudence établit clairement que, pour avoir gain de cause dans une requête en jugement sommaire, la partie défenderesse ne peut se contenter de soumettre des éléments de preuve qui, s’il leur était ajouté foi, soulèveraient une question de fait litigieuse. En effet, la preuve doit être crédible et laisser voir un motif grave qui justifie la tenue d’un procès : voir NFL Enterprises L.P. c 1019491 Ontario Ltd (1998), 229 N.R. 231, 85 CPR (3d) 328 (CAF). Selon l’article 214 des Règles des Cours fédérales, la réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance; elle doit plutôt énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve qui démontrent l’existence d’une véritable question litigieuse :

Faits et éléments de preuve nécessaires

 

214. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

 

Facts and evidence required

 

214. A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.

 

 

 

[31]           La Cour a établi qu’en matière de requête en jugement sommaire, les deux parties sont tenues de présenter leur cause sous son meilleur jour et que, même si c’est à la partie requérante qu’incombe le fardeau de démontrer l’existence de tous les faits justifiant le prononcé d’un jugement sommaire, la partie défenderesse doit aussi démontrer qu’il existe une véritable question litigieuse : voir Garford Pty Ltd v Dywidag Systems International, Canada, Ltd, 2010 CF 996, 88 CPR (4th) 7, au paragraphe 6, confirmée par 2012 CAF 48, 99 CPR (4th) 392; AMR Technology Inc. v Novopharm Ltd, 2008 CF 970, 70 CPR (4th) 177, au paragraphe 8. La Cour d’appel fédérale a conclu récemment que le principe selon lequel les parties à une requête en jugement sommaire doivent présenter leur cause sous son meilleur jour empêchait le défendeur de déclarer que de nouveaux éléments de preuve pourraient être produits au procès et contredire la preuve présentée à l’appui de la requête : Sterling Lumber Company c Harrison, 2010 CAF 21, 399 NR 21, au paragraphe 8.

 

[32]           En l’espèce, la preuve soumise par les défendeurs ne concerne pas, ne contredit pas ou ne remet pas en question, de quelque façon que ce soit, l’affidavit du huissier Ruel, l’affidavit d’Alan Ovadia et les affidavits de Jennifer Ziegler; elle ne fait que mettre en doute de façon générale leur crédibilité. Par conséquent, ces affidavits constituent une preuve non contestée à l’appui de la requête en jugement sommaire des demanderesses. Nul ne conteste que les demanderesses sont propriétaires des droits sur les marques de commerce qu’elles allèguent posséder, que les vêtements achetés par M. O’Keefe sont contrefaits et que la boucle de ceinture remise par le défendeur est aussi contrefaite.

 

[33]           Il s’agit simplement de déterminer si M. O’Keefe a acheté des défendeurs les articles mentionnés dans son affidavit aux dates et de la façon précisées. De fait, les défendeurs allèguent qu’ils n’ont pas fabriqué et/ou vendu et/ou mis en vente des vestes (de cuir ou de tissu) portant les marques de commerce Harley‑Davidson, et qu’ils n’ont pas vendu et/ou mis en vente des tee‑shirts portant les marques de commerce Harley‑Davidson.

 

[34]           Les défendeurs ont tenté de discréditer la preuve des demanderesses. Celle‑ci comporte effectivement quelques incohérences et lacunes mineures. Par exemple, il semble que M. O’Keefe n’ait pas rédigé certains rapports le jour même de ses déplacements dans les locaux des défendeurs. Aucune photo et aucune vidéo ne montrent les marchandises contrefaites dans les endroits où elles auraient été vendues. L’affirmation de M. O’Keefe selon laquelle il avait reconnu que certaines marchandises offertes par les défendeurs étaient contrefaites à cause de l’absence d’apostrophe entre les mots Harley et Davidson ne s’applique pas à la majorité des marchandises qu’il prétend avoir achetées ou vues. Il est aussi vrai que l’affidavit de 2012 de M. Ruel, même s’il est très détaillé, pourrait prêter flanc à des critiques quant au moment où il a été rédigé ou à sa fiabilité étant donné le genre de renseignements détaillés qu’il comporte comparativement à l’affidavit établi sous serment à une date beaucoup plus proche des faits, soit en 2010. Il est possible de dire que les affidavits Ovadia et Ziegler constituent une preuve par ouï‑dire, du moins en partie, et que l’affidavit Ovadia, plus particulièrement, soulève des questions à cause du fait que l’« informateur » n’a pas été identifié.

 

[35]           Cela dit, j’estime que les demanderesses ont établi l’existence des faits nécessaires pour justifier une conclusion de responsabilité pour contrefaçon de marques de commerce et commercialisation trompeuse, y compris la violation des droits de MI et de Fred Deeley sur les marques de commerce en question, de même que le fait que les défendeurs mis en vente et vendu des marchandises sur lesquelles étaient reproduites au moins une des marques de commerce Harley‑Davidson, sans le consentement, ou sans une licence ou une autorisation des demanderesses, au moins depuis juin 2010. S’agissant de la preuve par ouï‑dire, il est vrai que l’article 81 des Règles sur les Cours fédérales interdit ce type de preuve dans le cadre d’une requête en jugement sommaire et qu’il autorise la Cour à tirer des conclusions défavorables lorsqu’une partie ne présente aucun témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels. Dans la décision Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada c Maple Leaf Sports & Entertainment, 2010 CF 731, [2010] ACF no 885, le juge Phelan a conclu qu’il serait contraire à l’objet des dispositions des Règles relatives au jugement sommaire d’empêcher la présentation de toute preuve par ouï‑dire, surtout lorsque cette preuve peut être admissible dans un procès (paragraphe 19). En l’espèce, la preuve par ouï‑dire ne joue pas un rôle fondamental et elle a finalement été corroborée.

 

[36]           Ne s’étant pas acquittés du fardeau qui leur incombait dans la présente requête, les défendeurs ne devraient pas pouvoir priver les demanderesses des avantages du processus de jugement sommaire et exiger la tenue d’un procès complet en raison des doutes soulevés en matière de crédibilité, particulièrement en ce qui concernait M. O’Keefe, doutes qu’il leur appartenait de dissiper. Malgré le fait que d’autres témoins auraient pu comparaître, y compris Sylvie (qui l’aidait dans le cadre des ventes) et le fils de M. Manoukian, Arman Manoukian, M. Manoukian a choisi de ne pas les faire témoigner et de ne pas produire de relevés relatifs à leur travail à la société défenderesse. La réponse des défendeurs est fondée uniquement sur les souvenirs et/ou la mémoire de M. Manoukian, dont ce dernier a reconnu les lacunes. M. Manoukian est incapable de se rappeler le nom de ses propres employés, non plus que ce soit le nom de son fils qui figure sur sa carte professionnelle; de plus, il n’a aucun souvenir des ventes qu’il a effectuées, y compris à M. O’Keefe. M. Manoukian a reconnu qu’il ne tient pas de registres des ventes qu’il effectue au marché aux puces et il a refusé de faire témoigner les gens dont il a retenu les services à l’occasion. Qui plus est, M. Manoukian n’a fourni aucun élément de preuve tendant à confirmer ses allées et venues et/ou si, le cas échéant, des ventes ont été effectuées à des clients aux dates mentionnées dans l’affidavit de M. O’Keefe.

 

[37]           Non seulement les défendeurs n’ont fourni aucune preuve visant à contredire la preuve des demanderesses et à expliquer pourquoi les témoins qui auraient pu corroborer les dires de M. Manoukian n’ont pas été convoqués, mais ils n’ont pas non plus contre‑interrogé M. O’Keefe. À l’audience, l’avocat des défendeurs a déclaré que ces derniers n’ont pas contre‑interrogé M. O’Keefe parce qu’il n’était pas libre, sans autre précision. Présentée de façon aussi vague, cette explication n’est pas suffisante et les défendeurs auraient certainement pu demander une prolongation de délai au besoin. Il leur est maintenant interdit de tenter de contester la crédibilité d’un témoin qu’ils ont choisi de ne pas contre‑interroger. Les faits relatés sous serment par M. O’Keefe sont très précis et détaillés, et ils ne sauraient être réfutés par une simple déclaration générale niant la véracité des affirmations de M. O’Keefe : voir Film City Entertainment Ltd c Golden Formosa Entertainment Ltd, 2006 CF 1149, [2006] ACF no 1514, au paragraphe 16, où l’on renvoie à Video Box Enterprises Inc. c Lam, 2006 CF 546, [2006] ACF no 676, au paragraphe 23.

 

[38]           Pour tous les motifs qui précèdent, j’estime que les défendeurs n’ont pas réussi à s’acquitter du fardeau qui leur incombait de prouver l’existence d’une véritable question litigieuse. Par conséquent, un jugement sommaire doit être rendu. Il reste simplement à établir le montant des dommages‑intérêts.

 

b) Dans la négative, quels dommages‑intérêts convient‑il d’accorder dans les circonstances?

[39]           La violation d’une marque de commerce est présumée lorsqu’une personne non admise à l’employer en vertu de la Loi sur les marques de commerce vend, distribue ou annonce des marchandises ou des services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion : Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13, paragraphe 20(1). L’article 53.2 prévoit que le plaignant qui a gain de cause peut, entre autres mesures de réparation, demander des dommages‑intérêts ou la restitution des profits. Lorsque le défendeur n’a fourni aucun document qui démontre qu’il a fabriqué et vendu des marchandises contrefaites, comme c’est le cas en l’espèce, il est de toute évidence difficile, sinon impossible, de mesurer l’étendue exacte des dommages subis. Dans de telles circonstances, la Cour a accordé des dommages‑intérêts compensatoires minimaux par activité de contrefaçon. Comme le disait le juge Pelletier dans Ragdoll Productions (UK) Ltd c Personnes inconnues, [2003] 2 CF 120, 2002 FCT 918 [Ragdoll Productions], au paragraphe 37 :

Il est toujours permis au défendeur d’établir l’étendue de son commerce de biens contrefaits et de demander que l’évaluation des dommages‑intérêts s’appuie sur les ventes réelles. Cependant, lorsque le vendeur ne tient aucun registre, il ne peut reprocher au demandeur de ne disposer d’aucune preuve de l’étendue du préjudice subi.

 

[40]           Plutôt que de comptabiliser les profits et de quantifier les dommages réels, la Cour, dans des circonstances où il aurait été difficile de faire la preuve des dommages ou des profits réels en l’absence de documents relatifs aux ventes effectuées, a accordé des dommages‑intérêts compensatoires minimaux par activité de contrefaçon :

a)   3 000 $ dans le cas de vendeurs ambulants et d’exploitants de marché aux puces;

b)   6 000 $ dans le cas de ventes effectuées dans des locaux fixes;

c)   24 000 $ dans le cas de fabricants et de distributeurs.

Ragdoll Productions, précitée, au paragraphe 35;

Oakley, Inc. c Mme Unetelle, [2000] ACF no 1388, 193 FTR 42 [Oakley], aux paragraphes 3 et 11;

Nike Canada Ltd et al c Goldstar Design Ltd et al (dossier de la Cour T‑1951‑95) (CFPI) (1997) [Nike Canada Ltd].

 

[41]           En 2007, la Cour a retenu l’idée voulant que les dommages compensatoires minimaux établis dans Nike Canada Ltd doivent être rajustés en fonction de l’inflation. En effet, la Cour a reconnu que les dommages compensatoires minimaux de 6 000 $, indexés sur l’inflation, équivalaient à quelque 7 250 $, soit une augmentation de quelque 20,83 p. 100 : voir Louis Vuitton Malletier S.A. c Yang, 2007 CF 1179, 62 CPR (4th) 362, au paragraphe 43.

 

[42]           Extrapolant en fonction du même pourcentage les dommages compensatoires minimaux à imposer dans le cas des vendeurs dans un marché aux puces, la Cour a accordé la somme de 3 625 $ dans Guccio Gucci S.p.A. c Michael Mazzei, 2012 CF 404, 101 CPR (4th) 219, au paragraphe 17.

 

[43]           La Cour a aussi accepté de multiplier le montant des dommages‑intérêts compensatoires minimaux dans les cas où on lui présentait la preuve que les activités répétées équivalaient à plus d’un acte de contrefaçon : voir Louis Vuitton Malletier S.A. c Yang, précitée, au paragraphe 43. Les tribunaux canadiens ont également conclu que, lorsque les activités de contrefaçon du défendeur portent atteinte aux droits de propriété intellectuelle de plusieurs demandeurs, chacun d’eux a droit à des dommages‑intérêts, puisque le défendeur serait tenu d’en verser à chacun d’eux s’ils faisaient exécuter leurs droits individuellement. Les dommages‑intérêts compensatoires minimaux doivent prendre en compte les dommages subis à la fois par le propriétaire de la marque de commerce et son licencié/distributeur : Louis Vuitton Malletier S.A. c Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776, 392 FTR 258, au paragraphe 134; Oakley Inc., précitée, aux paragraphes 12‑13; Louis Vuitton Malletier S.A. c Yang, précitée, au paragraphe 43.

 

[44]           Comme je l’ai mentionné au paragraphe 12, l’affidavit O’Keefe permet d’étayer au moins six incidents potentiels de contrefaçon. Les demanderesses ont décrit les deuxième, troisième et quatrième incidents (respectivement le 23 juillet 2010, le 10 août 2010 et le 18 août 2010) comme des cas de vente/d’offre de vente à partir d’une manufacture. Je ne crois pas que cette description soit appropriée ou conforme à la preuve. Il n’existe aucun élément de preuve convaincant de l’existence d’activités de fabrication à l’établissement de la rue Saint‑Hubert. Il est vrai qu’en contre‑interrogatoire M. Manoukian a reconnu que son entreprise fabriquait des vêtements de cuir et des vêtements imperméables, qu’elle les vendait en gros et qu’elle possédait à diverses époques de nombreuses machines à coudre (observations supplémentaires des demanderesses, onglet 2 (contre‑interrogatoire de M. Manoukian, aux pages 35‑38)). Cependant, comme nous l’avons mentionné, le témoignage de M. Manoukian est loin d’être fiable et M. O’Keefe n’a pas été témoin et n’a pas fait état d’activités de fabrication à l’établissement de la rue Saint‑Hubert. Il est vrai que M. O’Keefe a vu quelqu’un livrer du cuir à l’étage de l’établissement de la rue Saint‑Hubert le 18 août 2010, et que le défendeur était prêt à fabriquer des vestes sur commande. J’estime cependant que ces événements ne permettent pas de conclure que M. Manoukian se livre à la fabrication de marchandises contrefaites. Pour ces motifs, je ne crois pas que des dommages‑intérêts relatifs à la fabrication doivent être octroyés.

 

[45]           Par conséquent, j’accorderais des dommages‑intérêts compensatoires de 3 625 $ pour les événements qui se sont déroulés le 11 juin 2010, le 26 août 2010 et le 3 septembre 2010 et un montant de 7 250 $ pour les événements qui se sont déroulés le 23 juin 2010, le 10 août 2010 et le 18 août 2010. Étant donné que les demanderesses réclament en l’espèce des dommages‑intérêts pour le compte du propriétaire de la marque de commerce, MI, ainsi que du licencié/distributeur, MCI/Fred Deeley, ces montants doivent être doublés, pour un total de 65 250 $, payable conjointement et solidairement par les défendeurs.

 

[46]           L’avocat des demanderesses a aussi demandé des dommages‑intérêts punitifs et a attiré l’attention de la Cour sur la décision de ma collègue, la juge Snider, dans Louis Vuitton Malletier S.A. c Yang, précitée, où les défendeurs ont été condamnés à des dommages‑intérêts punitifs de 100 000 $.

 

[47]           Absolument rien dans la loi ne fait obstacle à l’octroi de dommages‑intérêts punitifs qui s’ajouteraient à la restitution des profits ou aux dommages‑intérêts habituellement octroyés. Comme l’a dit le juge Binnie dans l’arrêt Whiten c Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 RCS 595, au paragraphe 36, des dommages‑intérêts punitifs sont accordés :

[e]xceptionnellement, […] lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive […] choque le sens de la dignité de la cour » : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196. Ce critère limite en conséquence de tels dommages‑intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable. Parce qu’ils ont pour objet de punir le défendeur plutôt que d’indemniser le demandeur (la juste indemnité à laquelle ce dernier a droit ayant déjà été déterminée), les dommages‑intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil (indemnisation) et le droit criminel (punition).

 

 

[48]           S’appuyant sur les principes généraux élaborés dans l’arrêt Whiten, et résumés par la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse dans 2703203 Manitoba Inc. c Parks, 2006 NSSC 6, 47 CPR (4th) 276, la juge Snider a décrit comme suit les facteurs pertinents à prendre en compte :

      le fait que la conduite répréhensible a été préméditée et délibérée;

      l’intention et la motivation du défendeur;

      le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur;

      le fait que le défendeur a caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler;

      le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs;

      le fait que le défendeur a ou non tiré profit de sa conduite répréhensible.

 

Louis Vuitton Malletier S.A. c. Yang, précitée, au paragraphe 47.

 

 

[49]           Compte tenu de la preuve présentée à la Cour, je suis convaincu que des dommages‑intérêts punitifs sont justifiés en l’espèce. Comme il est indiqué de façon détaillée dans l’affidavit de M. O’Keefe, il semble que les défendeurs offraient en vente et vendaient des marchandises Harley‑Davidson contrefaites depuis longtemps, soit dès le mois d’octobre 2006. Une lettre de mise en demeure de cesser les pratiques incriminées avait été signifiée aux défendeurs pour le compte des demanderesses le 27 août 2010, à l’établissement du marché aux puces, mais les défendeurs ont quand même continué d’offrir en vente et de vendre des marchandises Harley‑Davidson contrefaites. En réalité, il semble que M. Manoukian connaissait très bien le caractère illégal de ses activités, puisqu’il a expliqué à M. O’Keefe qu’il n’offrait pas ouvertement des marchandises Harley‑Davidson parce qu’il avait eu [traduction] « des ennuis » avec la GRC (rapport no 5 de M. O’Keefe, pièce « I » de son affidavit, p. 44 du dossier de requête). Selon M. O’Keefe, les défendeurs cachaient certaines de leurs marchandises Harley‑Davidson contrefaites dans des sacs à ordures. Dans son affidavit, M. Ovadia affirme avoir été informé par l’« informateur » que M. Manoukian cachait sciemment les mêmes marchandises en dessous du comptoir ou dans un stand voisin du sien jusqu’à ce que les équipes de lutte contre la contrefaçon quittent les lieux. Il ressort à l’évidence de ce comportement que M. Manoukian, sans contredit le cerveau derrière la société défenderesse (selon un de ses employés, [traduction] « Dieu était en première position et lui en seconde » : dossier de la requête, p 28), savait qu’il agissait en violation des droits des demanderesses. Ce comportement fautif s’est poursuivi pendant de nombreuses années au mépris flagrant de la loi; il faut donc le sanctionner au moyen de dommages‑intérêts punitifs.

 

[50]           L’évaluation du montant des dommages punitifs est cependant loin d’être une science exacte. En théorie, les dommages‑intérêts punitifs doivent être établis de façon à dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle a rapportés lorsque le montant des dommages‑intérêts compensatoires ne suffit pas. Comme le soulignait le juge Binnie dans Whiten (au paragraphe 72) :

Sixièmement, il est rationnel d’utiliser les dommages‑intérêts punitifs pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages‑intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre que le coût d’un permis lui permettant d’accroître ses bénéfices tout en bafouant de façon inacceptable les droits d’autrui, d’ordre juridique ou fondés sur l’equity.

 

 

[51]           En l’espèce, les défendeurs ont agi de telle sorte qu’il est impossible d’évaluer les profits avec exactitude : ils ne tenaient pas de registres des ventes et ont refusé l’accès à leurs livres. Dans ces circonstances, il est pratiquement impossible d’établir le montant des dommages‑intérêts punitifs qui permettraient de dépouiller les défendeurs du montant des profits qui dépasse les dommages‑intérêts évalués ci‑dessus. Comme la Cour le déclarait au paragraphe 44 de la décision Louis Vuitton c Yang : « Bien qu’il semble que les demanderesses soient désavantagées quant au montant accordé, sans qu’elles y soient pour quoi que ce soit, je crois que l’octroi de dommages‑intérêts punitifs permettra de placer les parties sur un pied d’égalité et d’aboutir à un montant total des dommages‑intérêts qui est juste ». Après avoir dûment pris en compte l’ensemble de la preuve et les observations des parties, je conclus que des dommages‑intérêts punitifs de 50 000 $ devraient être octroyés de manière à sanctionner les défendeurs pour leur mépris flagrant de la loi.

 

[52]           Enfin, les demanderesses demandent l’adjudication des dépens sur la base avocat‑client. Il est bien établi que de tels dépens ne doivent être octroyés que si l’une des parties a eu un comportement répréhensible, scandaleux ou outrageant. Le rejet d’une requête en cassation d’un jugement par défaut ne justifie pas en soi l’adjudication des dépens sur la base avocat‑client. L’adjudication de dépens sur une telle base peut aussi se justifier lorsque le défendeur a violé les droits du demandeur de manière délibérée et inexcusable, en particulier dans le cas où la violation a entraîné pour celui‑ci des frais et débours de justice sensiblement plus élevés qu’ils n’auraient dû l’être.

 

[53]           L’examen du dossier m’a permis de constater que les défendeurs n’ont pas respecté un certain nombre de délais, bien qu’une explication ait été fournie dans certains cas. Cependant, j’estime que le non‑respect de ces délais témoigne d’un comportement qui ne saurait justifier l’adjudication des dépens sur la base avocat‑client. En ce qui concerne la violation injustifiable et inexcusable des droits des demanderesses, elle est sanctionnée par les dommages‑intérêts punitifs. Par conséquent, je ne suis pas prêt à attribuer des dépens avocat‑client ni à accepter le mémoire de frais soumis à l’audience de la présente requête. L’adjudication des dépens selon la colonne V du tarif « B » des Règles des Cours fédérales me semble suffisante pour compenser les honoraires et les débours plus élevés qu’a entraînés le non‑respect injustifié de certains délais par les défendeurs.

 

CONCLUSION

[54]           Les demanderesses ont donc démontré qu’elles avaient droit à la réparation demandée. Les défendeurs seront donc condamnés, conjointement et solidairement, à verser la somme de 65 250 $ au titre de dommages‑intérêts compensatoires, et la somme de 50 000 $ au titre de dommages‑intérêts punitifs. Le tout avec dépens en faveur des demanderesses, lesquels seront établis selon la colonne V du tarif « B ».

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.   Entre les demanderesses et les défendeurs, les marques de commerce canadiennes déposées LMC 385,695 (HARLEY‑DAVIDSON), LMC 524,013 (HARLEY‑DAVIDSON), LMC 286,290 (MOTOR HARLEY‑DAVIDSON CYCLES ET DESSIN) et LMC 701,942 (HARLEY) (ci‑après appelées les marques de commerce en cause) ont été contrefaites par les défendeurs en raison de la vente et de la fabrication de marchandises affichant au moins l’une des marques de commerce en cause sans le consentement ou la permission des demanderesses ou l’octroi d’une licence par celles‑ci, en violation des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (ci‑après la Loi sur les marques de commerce).

 

2.   Les défendeurs ont appelé l’attention du public sur les marchandises en cause de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre les marchandises en cause et les marchandises autorisées des demanderesses, et ce, en violation des dispositions de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce.

 

3.   Les défendeurs ont utilisé les marques de commerce en cause de manière fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques, la qualité ou la composition des marchandises en cause, ainsi que le mode de fabrication, de production ou d’exécution de ces dernières, en violation de l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce.

 

4.   Les défendeurs ont diminué la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce en cause, en violation des dispositions du paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce.

 

5.   Les défendeurs (y compris leurs dirigeants, administrateurs, employés ou mandataires, le cas échéant) doivent s’abstenir de mettre en vente, de présenter, d’annoncer, de vendre, de fabriquer, de distribuer ou d’exploiter autrement des marchandises affichant au moins l’une des marques de commerce en cause et qui ne sont pas des marchandises des demandeurs (ci‑après appelées les marchandises en cause).

 

6.   Il est interdit aux défendeurs (y compris à leurs dirigeants, administrateurs, employés ou mandataires, le cas échéant) d’appeler l’attention du public sur leurs marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre leurs marchandises et les marchandises des demanderesses, en violation des dispositions de l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, par l’utilisation des marques de commerce en cause ou toute marque de commerce dont la similitude est susceptible de créer de la confusion avec celles‑ci.

 

7.   Les défendeurs doivent remettre immédiatement aux demanderesses, ou de la manière précisée par les demanderesses, toutes les marchandises en cause qu’ils ont en leur possession, sous leur garde ou leur contrôle, où qu’elles se trouvent.

 

8.   Les demanderesses peuvent détruire les marchandises en cause que leur auront remises les défendeurs, ou en disposer, comme bon leur semble.

 

9.   Les défendeurs doivent, conjointement et solidairement, rembourser aux demanderesses les frais de camionnage, d’entreposage et de destruction des marchandises en cause.

 

10. Les défendeurs doivent, conjointement et solidairement, verser aux demanderesses des dommages‑intérêts de 65 250 $ par suite de la contrefaçon et de la commercialisation trompeuse par eux des marques de commerce en cause.

 

11. Les défendeurs doivent verser aux demanderesses des dommages‑intérêts punitifs de 50 000 $.

 

12. Les défendeurs doivent, conjointement et solidairement, verser sans délai aux demanderesses le montant des dépens établi selon la colonne V du tarif « B ».

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1518‑10

 

INTITULÉ :                                                  HARLEY‑DAVIDSON MOTOR COMPANY GROUP ET AUTRES c
VAROUJIAN MANOUKIAN ET AUTRES

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 15 octobre 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE :                                                          Le 26 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Lipkus

Georgina Starkman Danzig

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Felipe Morales

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kestenberg Siegal Lipkus LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Audet F.G. et associés

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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