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Date : 20130214

Dossier : T-1260-12

Référence : 2013 CF 156

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2013

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

SAN MIGUEL BREWING
INTERNATIONAL LIMITED

 

demanderesse

 

et

 

MOLSON CANADA 2005

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le présent appel concerne le refus d’un commissaire [le commissaire] de la Commission des oppositions des marques de commerce [la Commission] d’enregistrer la marque de commerce RED HORSE et le dessin connexe à cause du risque de confusion avec la marque de commerce BLACK HORSE.

 

[2]               Il serait très facile de faire des commentaires du genre : « c’est un cheval de couleur différente » ou de raconter des blagues de chevaux et de bière, mais la Cour s’abstiendra de se livrer à de telles frivolités car il est question ici de bière, et une affaire de bière est un sujet qui ne prête pas à rire.

 

[3]               La présente affaire tombe généralement sous le coup des articles 6 et 12 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 [la Loi], et en particulier des paragraphes 6(1), 6(2) et 6(5) ainsi que de l’alinéa 12(1) d) :

6. (1) Pour l’application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l’emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

 

 (2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

 (3) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec un nom commercial, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à cette marque et les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à cette marque et les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

 

 (4) L’emploi d’un nom commercial crée de la confusion avec une marque de commerce, lorsque l’emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les marchandises liées à cette marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à l’entreprise poursuivie sous ce nom et les services liés à cette marque sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou services soient ou non de la même catégorie générale.

 

 (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

6. (1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.

 

 

 

 

 

 

 

 (2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

 

 (3) The use of a trade-mark causes confusion with a trade-name if the use of both the trade-mark and trade-name in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the trade-mark and those associated with the business carried on under the trade-name are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

 

 (4) The use of a trade-name causes confusion with a trade-mark if the use of both the trade-name and trade-mark in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with the business carried on under the trade-name and those associated with the trade-mark are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

 

 

 (5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

 

 

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

 

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l’une des marchandises ou de l’un des services à l’égard desquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer;

 

 

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

 

e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit l’adoption;

 

f) elle est une dénomination dont l’article 10.1 interdit l’adoption;

 

g) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un vin dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;

 

h) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;

 

i) elle est une marque dont l’adoption est interdite par le paragraphe 3(1) de la Loi sur les marques olympiques et paralympiques, sous réserve du paragraphe 3(3) et de l’alinéa 3(4)a) de cette loi.

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

 

 

(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;

 

 

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

 

 

 

 

(c) the name in any language of any of the wares or services in connection with which it is used or proposed to be used;

 

 

 

 

(d) confusing with a registered trade-mark;

 

 

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

 

(f) a denomination the adoption of which is prohibited by section 10.1;

 

(g) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a wine not originating in a territory indicated by the geographical indication;

 

(h) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a spirit not originating in a territory indicated by the geographical indication; and

 

(i) subject to subsection 3(3) and paragraph 3(4)(a) of the Olympic and Paralympic Marks Act, a mark the adoption of which is prohibited by subsection 3(1) of that Act.

 

II.        FAITS

[4]               La demanderesse, une société dont le siège est situé aux Philippines, a déposé en 2005 une demande d’enregistrement de la marque de commerce RED HORSE MALT LIQUOR et du dessin d’une tête de cheval, pour emploi en liaison avec de la bière, de l’ale, de la pilsner, de la stout, de la bière-bock et des boissons maltées. La description des marchandises a plus tard été modifiée en vue de supprimer de la liste les boissons maltées.

 

[5]               La défenderesse s’est opposée à la demande de marque de commerce parce qu’elle est détentrice d’un certain nombre de marques de commerce comprenant les mots BLACK HORSE. Cette marque de commerce a été délivrée à l’origine par le service des marques de commerce de Terre-Neuve, vers 1922. Elle est employée de manière constante depuis cette époque, et le principal marché de la BLACK HORSE ALE demeure la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

 

[6]               La demanderesse a déposé une preuve par affidavit au sujet de l’enregistrement des  marques de commerce (avec dessin) suivantes : LE CHEVAL BLANC, FLYING HORSE, GOLDEN HORSESHOE PREMIUM LAGER et IRON HORSE. Il y avait aussi une preuve que diverses sociétés des alcools provinciales et un magasin, le « Beer Store », offraient des produits appelés RED HORSE, BLACK HORSE, IRON HORSE BROWN, LE CHEVAL BLANC, GOLDEN HORSESHOE et IRONHORSE. La demanderesse a également déposé un affidavit du directeur de la société United Brands, son agent importateur au Canada, faisant état de ventes de bière en Alberta et en Colombie-Britannique.

 

[7]               La défenderesse a déposé deux affidavits établis par un stagiaire en droit qui avait fait des recherches dans la base de données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada en vue d’y trouver des enregistrements pour la défenderesse et qui avait aussi fait des recherches sur Internet au sujet du mot HORSE employé en liaison avec de la bière et des boissons alcoolisées brassées, ainsi qu’au sujet des mots RED BEER et RED ALE. Le dernier affidavit émanait du directeur de la propriété intellectuelle de Molson, et il confirmait la série d’enregistrements qui comprennent les mots BLACK HORSE, ainsi que l’historique de cette marque et son marché. Entre les années 2000 et 2008, Molson a vendu plus de 150 000 hectolitres de BLACK HORSE et a dépensé 13 millions de dollars pour annoncer cette marque.

 

[8]               Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire sur les affidavits, mais la défenderesse a contesté la recevabilité de certains d’entre eux.

 

[9]               La Commission a axé sa décision sur le fait de savoir si la marque de commerce RED HORSE et le dessin connexe créaient, aux termes de l’alinéa 12(1)d), de la confusion avec une marque de commerce déposée, BLACK HORSE. Les dessins-marques n’étaient pas en litige; seuls les mots l’étaient.

 

[10]           Le commissaire a passé en revue les « circonstances de l’espèce », comme il est indiqué au paragraphe 6(5) de la Loi.

 

[11]           Au sujet du caractère distinctif inhérent, le commissaire a conclu que la marque RED HORSE présente un degré de caractère distinctif supérieur, principalement à cause de son élément graphique.

 

[12]           Pour ce qui est de la mesure dans laquelle chaque marque de commerce est connue, le commissaire a conclu que BLACK HORSE, une marque employée depuis 1922, est mieux connue et que le volume des ventes de la RED HORSE est négligeable par rapport à celui de la BLACK HORSE.

 

[13]           Étant donné que la marque BLACK HORSE est employée depuis 1922 et la marque RED HORSE depuis 2005 seulement, la question de la période pendant laquelle les marques de commerce étaient en usage favorisait la marque BLACK HORSE.

 

[14]           Au sujet du genre de marchandises, de services ou d’entreprises, étant donné que les voies de commercialisation seraient les mêmes ou se chevaucheraient, le commissaire a tranché en faveur de la marque BLACK HORSE.

 

[15]           Quant à la question cruciale du degré de ressemblance entre les marques de commerce, le commissaire a conclu que la partie la plus frappante de la marque est le mot HORSE. Il a également conclu que les éléments graphiques de la demanderesse, même s’ils sont dignes de mention, ne l’emportent pas sur l’importance des mots qui dominent le centre de la marque RED HORSE et le mot unique HORSE. Le commissaire a donc conclu que les idées que suggère chaque marque sont semblables et que le degré de ressemblance entre les marques de commerce favorise la défenderesse Molson.

 

[16]           Le commissaire n’a pas jugé que le mot RED était utile dans les analyses relatives au « risque de confusion » car la demanderesse n’est pas la seule entité à avoir employé ce mot dans une marque de commerce en liaison avec de la bière.

 

[17]           Les résultats des recherches concernant le dessin d’un cheval n’ont pas été pertinents car ils n’étaient pas semblables à la marque BLACK HORSE, et il n’y avait aucune preuve que leur son était semblable à BLACK HORSE.

 

[18]           En examinant l’état du marché et les recherches axées sur les mots HORSE, BLACK HORSE et RED en liaison avec de la bière dans des sociétés des alcools et le magasin Beer Store en Ontario, le commissaire a accordé peu de poids aux éléments de preuve concernant le marché, car l’inscription de quatre marques appartenant à des tiers n’est pas une preuve très concluante.

 

[19]           En ce qui concerne l’absence de preuve de confusion, le commissaire a conclu qu’on ne pouvait tirer aucune inférence défavorable parce que les marchandises étaient vendues à des extrémités opposées du pays.

 

[20]           En formulant ses conclusions sur les motifs énoncés à l’alinéa 12(1)d) (la confusion), le commissaire conclut également que la marque BLACK HORSE était bien connue à Terre-Neuve à la date pertinente et que son caractère distinctif dans une région du Canada était suffisant pour neutraliser le caractère distinctif de l’autre marque dans une autre région.

 

III.       ANALYSE

[21]           Il y a deux questions en litige dans le présent appel :

1)         Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)         Sous réserve de la norme applicable, la marque RED HORSE crée-t-elle de la confusion avec la marque BLACK HORSE dans l’esprit du consommateur concerné?

 

A.        La norme de contrôle applicable

[22]           La norme de contrôle est influencée par le type de preuve nouvelle (s’il y en a) qui est apportée en appel conformément au paragraphe 56(5) de la Loi. En l’absence d’une preuve nouvelle, la norme de contrôle est la décision raisonnable (Groupe Procycle Inc c Chrysler Group LLC, 2010 CF 918, 377 FTR 17).

 

[23]           Cependant, si l’on apporte une preuve nouvelle, et si cette preuve est importante, la norme de contrôle applicable devient celle de la décision correcte. Le simple fait de répéter ou de compléter des éléments déjà mis en preuve n’est généralement pas suffisant pour changer la norme de contrôle (Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, au paragraphe 27, 276 FTR 40).

 

[24]           Comme l’ont résumé K. Gill et R. S. Jolliffe dans Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., feuilles mobiles, (Toronto : Thomson Carswell, 2002), à 6-48 [Fox] : [traduction] « Le simple fait de déposer de nouveaux éléments en appel n’abaisse pas forcément la norme d’appel au niveau de celle de la décision correcte. Il faut prendre en considération la qualité de ces éléments. La question concerne la mesure dans laquelle les éléments additionnels ont une force plus probante que celle des éléments dont disposait la Commission. »

Et, d’ajouter Fox : [traduction] « Si les nouveaux éléments ont peu de poids et ne consistent qu’en une simple répétition de la preuve déjà présentée, sans accroître la force probante de celle-ci, la norme de contrôle sera celle de savoir si la décision du registraire était manifestement erronée. Dans de tels cas, la présence d’une preuve nouvelle n’aura pas d’incidence sur la norme de contrôle que la Cour appliquera en appel. »

Je conviens que ces deux énoncés reflètent l’état du droit au Canada.

 

[25]           Dans l’affidavit de Bhupesh K. Choudhary qui a été déposé en appel (le second affidavit de Choudhary), la demanderesse a traité d’un commentaire relevé dans la décision du commissaire à propos de l’utilisation de la marque RED HORSE en liaison avec les marchandises et elle a présenté des informations mises à jour sur les ventes réalisées au Canada et la portée de cette marque sur le marché du Manitoba.

Il s’agit là du type d’éléments de preuve répétitifs qui, d’après Fox, n’accroissent pas la force probante de la preuve déjà présentée, et qui ne modifient donc pas la norme de contrôle.

 

[26]           La demanderesse a également déposé un affidavit d’un de ses employés, Mia Alentajan, directrice régionale des services de mise en marché. Dans cet affidavit, parmi d’autres questions portant sur le volume des ventes et les pays de vente, cette personne atteste qu’il se vend au Canada des boissons alcoolisées qui emploient le mot HORSE :

-           Iron Horse Beer, en Colombie-Britannique et en Alberta;

-           Golden Horseshoe Premium Lager, Red Leaf Smooth Red Lager;

-           Dark Horse Stout.

Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire sur cet affidavit.

 

[27]           La défenderesse s’est opposée à cet affidavit, qu’elle qualifie d’ambigu, de non applicable aux dates pertinentes et d’inadmissible parce qu’il s’agit de ouï-dire. Jamais elle ne dit que ce document est inexact.

 

[28]           La preuve n’est pas ambiguë. La date pertinente est celle à laquelle la Cour examine l’affaire (voir Park Avenue Furniture Corp c Wickes/Simmons Bedding Ltd, 130 NR 223, 37 CPR (3d) 413, à la page 422 (CAF)). Quant au ouï-dire, l’auteure de l’affidavit atteste qu’elle connaît personnellement la situation et elle indique la source de sa connaissance. La défenderesse a décidé de ne pas procéder à un contre-interrogatoire pour démontrer l’absence de connaissance ou le peu de fiabilité du fondement de la connaissance de l’auteure de l’affidavit. Dans le contexte de la présente instance, n’importe quelle lacune alléguée qui est attribuable à une allégation de ouï-dire est neutralisée par sa fiabilité et sa nécessité. Cela étant, je ne radierais pas la preuve si la défenderesse avait déposé la requête requise pour faire radier certains passages d’un affidavit.

 

[29]           La preuve est importante. Bien que l’on puisse soutenir que les mots IRON HORSE désignent une locomotive et que les mots GOLDEN HORSESHOE ont trait à une pièce d’équipement d’un cheval, les mots DARK HORSE sont manifestement pertinents, tant en ce qui concerne le simple HORSE employé seul que la couleur ou la caractéristique de couleur. Il ne s’agit pas d’une question qui a été portée à l’attention de la Commission, mais elle est importante pour la décision et elle aurait pu – et dû – influer sur celle‑ci.

 

[30]           Il existe donc une preuve nouvelle qui satisfait au seuil requis pour que la norme de contrôle de la « décision raisonnable » soit remplacée par celle de la « décision correcte ».

 

B.        La confusion – RED HORSE/BLACK HORSE

[31]           Le critère relatif à la confusion est bien résumé dans l’arrêt Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, au paragraphe 41, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece]. Il y a lieu d’examiner la marque dans son ensemble, et de ne pas considérer chaque partie de celle‑ci séparément des autres éléments. Il faut examiner la « confusion » en se fondant sur la première impression, sous l’angle de la personne ordinaire qui est à la recherche d’un produit. Il faut aussi faire preuve de bon sens; c’est-à-dire, dans le cas présent, de bon sens par rapport à un consommateur de bière. Par ailleurs, la Cour écrit dans Masterpiece :

83        Dans l’analyse d’une marque de commerce, ni l’expert, ni le tribunal ne doit considérer chaque partie de celle-ci séparément des autres éléments. Il convient plutôt d’examiner la marque telle que le consommateur la voit, à savoir comme un tout, et sur la base d’une première impression. Dans Ultravite Laboratories Ltd. c. Whitehall Laboratories Ltd., [1965] R.C.S. 734, le juge Spence, qui devait décider si les mots « DANDRESS » et « RESDAN », en liaison avec l’élimination des pellicules, créaient de la confusion, a exprimé succinctement sa pensée aux p. 737 et 738 : [traduction] « [L]e critère qu’il convient d’appliquer est celui de la personne ordinaire à la recherche d’un produit et non pas celui de la personne versée dans l’art du sens des mots. »

 

[…]

 

92        Je fais miens ces commentaires sur le témoignage d’expert et je retiens la démarche du juge Spence dans Ultravite, de la Chambre des lords dans General Electric et de la Cour d’appel d’Angleterre dans esure. Dans les affaires portant sur des marchandises ou des services offerts au grand public, par exemple des résidences pour personnes âgées, les juges doivent évidemment examiner chaque marque litigieuse globalement, mais aussi eu égard à la caractéristique dominante de chacune, sa caractéristique la plus frappante ou singulière. Ils doivent faire appel à leur bon sens et ne pas se laisser influencer par leurs « connaissances ou [leur] tempérament particuliers » pour décider s’il y aurait probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire.

 

[32]           Dans l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772, la Cour suprême a souscrit à l’idée que le consommateur (le critère décisif à appliquer dans le cas de la confusion) est un « acheteur ordinaire pressé » – ni l’acheteur prudent et diligent, ni le « crétin pressé ». La Cour a également reconnu que les tribunaux doivent aussi au consommateur une certaine confiance pour ce qui est de leur intelligence ou de leurs connaissances.

56        Quel point de vue faut-il alors adopter pour apprécier la probabilité d’une « conclusion erronée »? Ce n’est pas celui de l’acheteur prudent et diligent. Ni, par ailleurs, celui du « crétin pressé », si cher à certains avocats qui plaident en matière de commercialisation trompeuse : Morning Star Co‑Operative Society Ltd. c. Express Newspapers Ltd., [1979] F.S.R. 113 (Ch. D.), p. 117. C’est plutôt celui du consommateur mythique se situant quelque part entre ces deux extrêmes, surnommé [traduction] « l’acheteur ordinaire pressé » par le juge en chef Meredith dans une décision ontarienne de 1927 : Klotz c. Corson (1927), 33 O.W.N. 12 (C.S.), p. 13. Voir aussi Barsalou c. Darling (1882), 9 R.C.S. 677, p. 693. Dans Aliments Delisle Ltée c. Anna Beth Holdings Ltd., [1992] C.O.M.C. no 466 (QL), le registraire a dit :

 

Pour évaluer la question de la confusion, il faut examiner les marques de commerce du point de vue du consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque de l’opposante, qui pourrait tomber sur la marque de commerce de la requérante utilisée sur le marché en liaison avec ses marchandises.

 

Voir aussi American Cyanamid Co. c. Record Chemical Co., [1972] C.F. 1271 (1re inst.), p. 1276, conf. par (1973), 14 C.P.R. (2d) 127 (C.A.F.). Comme l’a expliqué le juge Cattanach dans Canadian Schenley Distilleries, p. 5 :

 

Il ne s’agit pas de l’acheteur impulsif, négligent ou distrait ni de la personne très instruite ni d’un expert. On cherche à savoir si une personne moyenne, d’intelligence ordinaire, agissant avec la prudence normale peut être trompée. Le registraire des marques de commerce ou le juge doit évaluer les attitudes et les réactions normales de telles personnes afin de mesurer la possibilité de confusion.

 

[33]           Si l’on applique ces commentaires au consommateur de bière (la « personne ordinaire » présente dans un bar ou un magasin de vente de bière ou d’alcool), je suis d’avis que le buveur de bière ordinaire est sensible au nom des marques de bière, ainsi qu’à ce qu’il connaît et apprécie. Le critère est fondé sur le consommateur-buveur de bière ordinaire – et non sur ce qui pourrait être une fiction juridique, telle que le ou la partenaire de vie non buveur ou buveuse de bière à qui l’on demande d’aller en acheter. Les extraits suivants de la décision que le juge Walsh a rendue dans l’affaire Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd c Anheuser-Busch, Inc, 68 CPR (2d) 1, aux paragraphes 20 et 21, 1982 CarswellNat 670 (C.F. 1re inst.), sont pertinents :

Bien que les couleurs et les dessins des deux étiquettes soient relativement semblables, un consommateur devrait être presque aveugle (ou peut-être avoir bu tant de bière qu’il serait frappé de cécité), pour ne pas constater immédiatement en voyant l’étiquette sur la bouteille ou la cannette, qu’on lui sert la Standard Lager de la demanderesse ou la Budweiser de la défenderesse, selon le cas.

 

[…]

 

Le deuxième facteur important des ventes est évidemment le produit lui-même et sa saveur, puisque les buveurs réguliers de bière seront fidèles à leur marque favorite.

 

[34]           Un coup d’œil aux étiquettes de la RED HORSE et de la BLACK HORSE suffit pour dissiper toute idée de confusion entre la marque RED HORSE (avec juste une tête de cheval) et la marque BLACK HORSE (avec un cheval vu de profil). Cependant, ce facteur n’est pas déterminant car il n’est pas question ici d’une affaire de violation de droit d’auteur. Comme il a été mentionné plus tôt, le commissaire n’a pas pris en considération les éléments graphiques, mais il est difficile d’en faire abstraction.

 

[35]           Pour ce qui est des mots servant de marque et de la confusion au sens du paragraphe 6(2), la question consiste à savoir s’il y a des chances qu’un consommateur-buveur de bière ordinaire, en entendant les mots RED HORSE (comme dans : « Avez-vous (servez‑vous) de la RED HORSE? »), pensera que la RED HORSE est une bière fabriquée par la même compagnie que celle qui fabrique la BLACK HORSE.

 

[36]           Rien dans la preuve ne dénote une telle confusion et, en toute logique je conclus que cela est peu probable. La Cour arrive à la même conclusion, même si le critère était la « décision raisonnable », et même en reconnaissant l’expertise de la Commission.

 

[37]           Le fait que la DARK HORSE se vende sans preuve de confusion avec la BLACK HORSE mine toute idée que Molson a obtenu cette reconnaissance nécessaire en ce qui concerne le mot HORSE utilisé en liaison avec de la bière.

 

[38]           À cela s’ajoute l’existence de la marque CHEVAL BLANC qui, même si elle a été rejetée du fait de son importance restreinte parce qu’elle peut être vendue dans des restaurants, et qu’elle est donc considérée comme une marchandise différente, montre que l’on n’associe pas automatiquement un cheval au produit de Molson.

 

[39]           Le commissaire a procédé à une analyse détaillée de chaque aspect des marques concurrentes, mais il n’a jamais fait un pas en arrière et posé la question fondamentale au sujet de la confusion, conformément au critère énoncé dans l’arrêt Masterpiece, précité, par rapport au consommateur décrit dans l’arrêt Mattel, précité, et dans la décision Carling, précitée.

 

[40]           La Commission n’a pas considéré que ce qu’elle faisait consistait, en fait, à accorder à Molson le monopole d’une marque de commerce sur le mot HORSE de n’importe quelle couleur (verte, dorée, brune, bleue, etc.) en liaison avec de la bière. L’étendue de ce monopole est déraisonnable.

 

[41]           Pour tous ces motifs, la décision de la Commission n’est ni correcte ni raisonnable.

 

IV.       CONCLUSION

[42]           L’appel sera donc accueilli. La décision de la Commission sera annulée et la demande no 1 246 654 accueillie.

 

[43]           La demanderesse aura droit à ses dépens selon le tarif habituel.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli. La décision de la Commission des oppositions des marques de commerce est annulée, et la demande no 1 246 654 accueillie. La demanderesse a droit à ses dépens au tarif habituel.

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1260-12

 

INTITULÉ :                                      SAN MIGUEL BREWING INTERNATIONAL LIMITED
et
MOLSON CANADA 2005

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 28 JANVIER 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 14 FÉVRIER 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bruce M. Green

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John S. Macera

Adele Finlayson

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OYEN WIGGS GREEN & MUTALA LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MACERA & JARZYNA, LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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