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Date: 20130208

Dossier : T-735-07

Référence : 2013 CF 128

Ottawa (Ontario), le 8 février 2013

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

BODUM USA, INC.

et

PI DESIGN AG.

 

 

demanderesses

Défenderesses reconventionnelles

 

et

 

 

 

TRUDEAU CORPORATION (1889) INC.

 

 

Défenderesse

Demanderesse reconventionnelle

 

 

 

 

 

           MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le présent jugement concerne l’adjudication des dépens suite au jugement Bodum USA, Inc c Trudeau Corporation (1889) Inc, 2012 CF 1128, 105 CPR (4e) 88, en date du 26 septembre 2012. Le dossier concernait les dessins industriels correspondant à des verres à double paroi commercialisés par Bodum USA, Inc (Bodum). Bodum et PI Design AG (ensemble les demanderesses) alléguaient la contrefaçon par la défenderesse de ces dessins industriels, ainsi que la concurrence déloyale pour délit de confusion, contrairement à l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13. La compagnie Trudeau Corporation (1889) Inc. (Trudeau ou la défenderesse) s’est portée demanderesse reconventionnelle et a demandé une déclaration selon laquelle les dessins industriels en cause sont et ont toujours été invalides. Cette Cour a conclu qu’il y avait lieu de rejeter l’action des demanderesses et d’accueillir la demande reconventionnelle introduite par Trudeau. La Cour a conclu que les verres de Trudeau ne sont pas des produits contrefacteurs et que les dessins industriels des demanderesses ne rencontraient pas l’exigence du caractère original substantiel et qu’en conséquence, ils n’avaient pas droit à la protection prévue par la Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, c I-9. Cette Cour a ordonné qu’ils soient radiés du registre.

 

[2]               Les parties n’ayant pu s’entendre sur la question des dépens, l’intervention de cette Cour est nécessaire. Les parties ont soumis des observations écrites en novembre et en décembre 2012. Le présent jugement tient compte des arguments des parties ainsi que des arguments déposés en réponse.

 

[3]               Tout d’abord, il convient de rappeler que conformément au paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], cette Cour « a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les    payer. ». La Règle 400(3) énonce des facteurs dont la Cour peut tenir compte lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire relatif à l’adjudication des dépens : 

 

PARTIE 11

 

DÉPENS

 

Adjudication des dépens entre parties

 

 […]

 

Facteurs à prendre en compte

 

400. (3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

a) le résultat de l’instance;

 

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

 

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

 

d) le partage de la responsabilité;

 

e) toute offre écrite de règlement;

 

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

 

g) la charge de travail;

 

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

 

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

 

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

 

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

 

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

 

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

 

n.1) la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

 

 

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

PART 11

 

COSTS

 

Awarding of Costs Between Parties

 

 

Factors in awarding costs

 

400. (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

 

 

 

(a) the result of the proceeding;

 

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

 

(c) the importance and complexity of the issues;

 

(d) the apportionment of liability;

 

(e) any written offer to settle;

 

(f) any offer to contribute made under rule 421;

 

(g) the amount of work;

 

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

 

 

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

 

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

 

(k) whether any step in the proceeding was

 

 

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

 

 

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

 

 

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

 

 

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299;

 

 

 

(n.1) whether the expense required to have an expert witness give evidence was justified given

 

 

 

 

(i) the nature of the litigation, its public significance and any need to clarify the law,

(ii) the number, complexity or technical nature of the issues in dispute, or

(iii) the amount in dispute in the proceeding; and

 

(o) any other matter that it considers relevant.

 

 

[4]               La Cour rappelle également le principe énoncé dans l’arrêt Johnson & Johnson Inc c Boston Scientifique Ltée, 2008 CF 817 au para 3, [2008] ACF no 1022 (QL), selon lequel « [L]es dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants. Il existe un principe fondamental selon lequel l’adjudication des dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe […] ».

 

[5]               De façon générale, une partie qui a gain de cause (la défenderesse Trudeau dans le cas en l’espèce) a droit à ses dépens. Tel qu’indiqué par la Règle 407, le point de départ en matière d’adjudication des dépens est la colonne III du tableau du tarif B.

 

Demandes des parties

[6]               La défenderesse réclame l’octroi d’une somme globale de 250 000 $ à titre de dépens représentant 50% des frais d’avocat. Selon la défenderesse, ce montant est justifié vu la nature du dossier et le fait que les demanderesses n’aient pas retiré leur cause d’action en concurrence déloyale en temps opportun. Dans l’alternative, elle réclame l’octroi d’une somme globale de      151 128,54 $ à titre de dépens, correspondant aux dépens qu’elle pourrait réclamer sur la base du haut de la colonne III du tarif B, en appliquant la Règle 420, multiplié par un facteur de trois (3). Dans les deux (2) cas, la défenderesse demande le montant de 40 405,90 $ à titre de débours. La défenderesse a soumis un mémoire de frais pro forma à l’appui de ses prétentions (Observations écrites de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle sur les dépens, Onglet SP-1 ;                 G. Lagiorgia c Canada, [1987] 3 CF 28, [1987] 1 CTC 424, p 153).

 

[7]               Les demanderesses soumettent que le montant demandé par la défenderesse est disproportionné et ne correspond pas à la jurisprudence de cette Cour, compte tenu de la durée du procès et des questions soulevées au cours du litige. Les demanderesses estiment donc pour leur part qu’il n’y a pas lieu de se départir de la règle générale suggérant une attribution des dépens en fonction du milieu de la colonne III du tarif B.

 

Facteurs

Résultat de l’instance (Règle 400(3)a))

[8]               La défenderesse a obtenu gain de cause, tant sur l’action principale des demanderesses, qui fut rejetée, que sur sa demande reconventionnelle quant à l’invalidité des dessins industriels, qui fut accueillie par cette Cour.

 

Importance et complexité des questions en litige (Règle 400(3)c))

[9]               Il est vrai, comme le prétend la défenderesse, que le litige a soulevé plusieurs questions de droit, telles l’évolution du test de la contrefaçon, l’évaluation du champ de protection accordé aux dessins industriels invoqués, la distinction entre le test de contrefaçon et celui de la validité ainsi que l’importance de l’art antérieur. La Cour est néanmoins d’avis que la nature de la présente cause peut difficilement être comparée à certaines causes de brevets pharmaceutiques tant, par sa complexité, sa durée ou le nombre de témoins.

 

Offre écrite de règlement conformément à la Règle 420 (Règle 400(3)f))

[10]           La défenderesse soumet qu’elle a signifié aux demanderesses une offre écrite de règlement invitant les demanderesses à abandonner leur action, en contrepartie de quoi la défenderesse abandonnerait sa demande reconventionnelle et chaque partie paierait ses propres dépens. Les demanderesses quant à elles sont plutôt d’avis que l’offre n’en était pas une, mais était plutôt une invitation à capituler, formulée par la défenderesse.

 

[11]           Or, en l’espèce, il est important de noter que la Cour, dans une décision antérieure au procès, s’est prononcée sur cette question (Bodum USA, Inc. v Trudeau Corporation (1889) Inc., 2012 FC 240; [2012] FCJ no 268 (QL)). La décision de la Cour, rendue le 21 février 2012, est claire au paragraphe 23 que l’offre présentée par la défenderesse comportait un élément de compromis, était valide et rencontrait les exigences de la Règle 420 :

[23]  I agree with the defendant that the offer made on April 13, 2011 is clear and unequivocal, contains an element of compromise, was presented in a timely fashion, would bring the dispute between the parties to an end if accepted, and is not set to expire before the commencement of the trial. …

 

[12]           Dans ces circonstances, et sur la base du principe de la courtoisie judiciaire (judicial comity), la Cour se trouve fortement guidée et se sent liée par la décision antérieure dans ce dossier. 

 

 

 

Conduite des parties (Règle 400(3)i))

[13]           Selon la défenderesse, sa conduite a eu pour effet d’abréger la durée de l’instance. Selon elle, ses efforts pour assurer un déroulement du procès sans embûches et de façon organisée ne sont pas adéquatement reconnus par le tarif et justifient une majoration des dépens (citant Fraser River Pile & Dredge Ltd c Empire Tug Boats Ltd, [1995] ACF no 740, 96 FTR 298). Elle allègue que la durée du procès a été écourtée grâce aux efforts de ses procureurs à la préparation des témoins et de la preuve conjointe admise à l’avance. La défenderesse allègue aussi que sa charge de travail a été plus élevée (Règle 400(3)g)). 

 

[14]           Pour la défenderesse, la conduite des demanderesses a eu pour effet de prolonger la durée de l’instance dû au fait qu’elles n’ont pas retiré leur cause d’action en concurrence déloyale, malgré le fait d’avoir reconnu au dernier jour du procès que ce recours était sans fondement. Selon la défenderesse, les demanderesses n’ont jamais suggéré qu’elles allaient laisser tomber leur cause d’action en concurrence déloyale (Notes sténographiques du procès, 22 mai 2012, pp 11-12,   Onglet 3). 

 

[15]           Les demanderesses admettent qu’elles n’ont pas amendé leur acte de procédure afin d’abandonner leur argument sur la concurrence déloyale, mais insistent que la défenderesse aurait dû savoir que les demanderesses ne poursuivraient pas cet argument compte tenu du fardeau élevé et de la preuve déposée à cet égard.

 

[16]           Sur ce point, la Cour note que ce n’est qu’au dernier jour du procès que les demanderesses ont explicitement confirmé abandonner leur argument sur la concurrence déloyale. La Cour convient avec la défenderesse que le dossier aurait été d’autant plus simplifié et le procès écourté davantage si les demanderesses avaient fait part de leur intention un peu plus tôt.  En ce sens, certaines portions de témoignages auraient pu être évitées. 

 

[17]           La Cour remarque que les demanderesses ont collaboré avec la défenderesse pendant le procès et la Cour ne peut conclure que les demanderesses aient fait preuve d’une quelconque mauvaise foi. Toutefois, et contrairement aux prétentions des demanderesses, il ne revenait pas à la défenderesse de déduire et de deviner que l’argument de la concurrence déloyale ne serait pas mené à terme. Bien que certains éléments aient pu indiquer que la question de la concurrence déloyale ne se retrouverait pas au centre de l’argumentaire des demanderesses, les demanderesses ne peuvent certes reprocher à la défenderesse, dans les circonstances, d’avoir préparé sa défense. 

 

Frais d’avocat payés par la défenderesse

[18]           Finalement, selon la défenderesse, la jurisprudence de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale reconnaît que les frais d’avocat réellement payés sont un facteur que la Cour peut considérer. Pour les demanderesses, la défenderesse a fait le choix de dépenser les ressources en question pour ce dossier. Tel que mentionné antérieurement, ce serait faire fausse route que de comparer le présent dossier aux décisions dont fait référence la défenderesse. À titre d’exemple, dans la décision Eli Lilly & Co v Apotex Inc, 2011 FC 1143 au para 9, [2011] FCJ No 1425 (QL), la juge Gauthier, alors qu’elle était juge puînée, exprimait le commentaire suivant : « […] even when compared to other complex patent matters, this case was exceptionaly difficult ». Voir aussi Consorzio Del Prosciutto Di Parma c Maple Leaf Meats Inc, 2002 CAF 417 aux para 5-8, [2003] 2 CF 451; Air Canada v Toronto Port Authority, 2010 FC 1335 au para 14, [2011] FCJ No 1 (QL) ; Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 50 aux para 25 et 26, [2007] ACF no 71 (QL)). La Cour ne peut que constater que les faits en l’espèce se comparent difficilement aux affaires dont fait référence la défenderesse et que les frais d’avocats réclamés par celle-ci sont pour le moins excessifs. 

 

[19]           Il s’agit d’une affaire où il y a lieu d’accorder une somme forfaitaire. Après avoir examiné les prétentions des parties quant aux dépens, la Cour adjugera à la défenderesse un montant de 90,000 $ à titre de dépens incluant les débours et les taxes.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que les demanderesses verseront à la défenderesse la somme forfaitaire de 90,000 $ incluant les débours et les taxes. 

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        Bodum USA Inc et al

                                                            v Trudeau Corporation (1889) Inc.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Les 22-23-24-29 mai 2012

 

MOTIFS SUPPLÉMENTAIRES

DU JUGEMENT ET

JUGEMENT:                                    LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 8 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Christopher Atchinson

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Me François Guay

Me Ekaterina Tsimberis

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale de Me Atchinson

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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