Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20121206

Dossier : T‑1180‑11

Référence : 2012 CF 1436

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

MIKE ORR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Monsieur Mike Orr [« le demandeur »] sollicite par voie de requête une ordonnance de notre Cour en vertu de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, visant à ce que le chef et le conseil de la Première Nation de Fort McKay [« les défendeurs »] soient reconnus coupables d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à une ordonnance de la Cour. Il s’agit de la première phase de la procédure d’outrage au tribunal communément appelée l’étape de « justification ». Afin d’obtenir gain de cause à ce stade, le demandeur doit étayer l’outrage au tribunal au moyen d’une preuve prima facie présentée contre les défendeurs.

 

I.          Un bref résumé des faits en l’espèce

[2]               Ayant été réélu à la suite de différentes élections, le demandeur a occupé le poste de conseiller élu du conseil de bande depuis 1998 et il est également administrateur de dix sociétés appartenant à la bande. En raison d’« accusations d’agression sexuelle » portées contre lui, le demandeur a été suspendu temporairement sans solde par les défendeurs, en vertu d’une résolution datée du 13 juillet 2011. Ces accusations criminelles ont été retirées le 4 novembre 2012.

 

[3]               Le demandeur a présenté devant notre Cour une demande de contrôle judiciaire de la résolution du conseil de bande le suspendant temporairement sans solde. Dans une décision rendue le 14 novembre 2011, le juge Near a accueilli la demande de contrôle judiciaire de la résolution, l’a annulée et a ordonné que le demandeur réintègre son poste de conseiller du conseil de bande et d’administrateur des sociétés liées à la bande (des motifs modifiés ont été rendus le 5 décembre 2011).

 

[4]               Le 25 novembre 2011, les défendeurs ont interjeté appel du jugement et, le 18 janvier 2012, la Cour d’appel fédérale a accordé un sursis à l’exécution du jugement de la Cour fédérale jusqu’à ce qu’elle statue de façon définitive.

 

[5]               Le 30 octobre 2012, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel avec dépens.

 

[6]               Le 5 novembre 2012, l’avocate du demandeur a écrit à la procureure des défendeurs, lui demandant certaines informations concernant les prochaines réunions du conseil ainsi que les dépens adjugés et d’autres droits pécuniaires. Deux jours après le 5 novembre, l’avocate des Défendeurs a transmis une réponse demandant des détails quant aux dépens et autres demandes pécuniaires.

 

[7]               Le jour même, le demandeur a signé un affidavit au soutient de la présente requête sollicitant une ordonnance de justification, laquelle a été signifiée aux défendeurs et produite respectivement le 9 et le 13 novembre 2012.

 

[8]               Par lettre adressée aux défendeurs, datée du 14 novembre 2012, le demandeur a réclamé toute l’information disponible concernant la bande, ses activités commerciales et ses demandes pécuniaires.

 

[9]               Le 15 novembre 2012, un représentant des défendeurs a donné dans sa réponse au demandeur l’assurance que les meilleurs efforts seraient déployés pour fournir les renseignements demandés et lui a souligné que les réclamations monétaires devraient être transmises directement au conseil de bande et au conseil d’administration du groupe de sociétés appartenant à la bande.

 

[10]           Le 19 novembre 2012, le jour où la requête sollicitant une ordonnance de justification a été présentée, l’avocate des défendeurs a réitéré leur volonté de se conformer à la décision de la Cour. À ma demande, l’avocate des défendeurs a écrit et a signé, à cet égard, une lettre résumant les engagements de ses clients :

 

[traduction]

« Donnant suite à la demande de la Cour, nous confirmons que les défendeurs ont pris des mesures pour s’assurer de l’exécution de ce qui suit et qu’ils se sont de plus engagés, indépendamment de toute autre ordonnance judiciaire, à faire en sorte que les mesures décrites ci‑dessous soient prises au plus tard dans un délai d’une semaine à compter d’aujourd’hui (soit lundi, le 26 novembre) :

 

     le nom de M. Orr figurera sur la liste de paye de la Première Nation de Fort McKay et il recevra sa rémunération régulière pour le mois de novembre;

 

     l’adresse électronique du Fort McKay de M. Orr sera remise en service;

 

     un iPad sera fourni à M. Orr pour utilisation en relation avec les activités du conseil;

                           

     un iPhone sera fourni à M. Orr pour utilisation en relation avec les activités du conseil (l’appareil Blackberry auparavant fourni à M. Orr n’a jamais été rendu);

 

     les clés d’un bureau à la Première Nation du Fort McKay seront remises à M. Orr;

 

      une carte d’accès à l’aile du conseil sera remise à M. Orr.

 

Selon les termes de ma lettre antérieure adressée à Mme Kennedy, je comprends que le conseil s’attend à ce que M. Orr soulève les problèmes concernant la rémunération rétroactive dans le cadre de discussions à l’occasion d’une réunion du conseil. »

 

[11]           Dans les lettres échangées entre les avocats, ainsi que dans celles entre le demandeur et le représentant  de la bande, de même que dans l’affidavit déposé par les défendeurs, il est indiqué que le demandeur devrait transiger directement avec le conseil de bande et les représentants des sociétés appartement à la bande. Il a été suggéré que l’avocate du demandeur n’intervienne pas dans la recherche d’une solution concernant les enjeux résultant du jugement de la Cour d’appel fédérale.

 

II.        La règle de la justification et la jurisprudence

[12]           L’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 est ainsi libellé :

 

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

 

Droit à une audience

 

467. (1) Sous réserve de la règle 468, avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

 

 

a)   de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

 

b)     d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

 

 

c) d’être prête à présenter une défense.

 

 

Requête ex parte

 

(2) Une requête peut être présentée ex parte pour obtenir l’ordonnance visée au paragraphe (1).

 

Fardeau de preuve

 

(3) La Cour peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (1) si elle est d’avis qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché.

 

Signification de l’ordonnance

 

(4) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’ordonnance visée au paragraphe (1) et les documents à l’appui sont signifiés à personne.

 

 

 

Federal Courts Rules, SOR/98‑106

 

 

Right to a hearing

 

467. (1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court’s own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

 

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

 

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

 

(c) to be prepared to present any defence that the person may have.

 

Ex parte motion

 

(2) A motion for an order under subsection (1) may be made ex parte.

 

 

Burden of proof

 

(3) An order may be made under subsection (1) if the Court is satisfied that there is a prima facie case that contempt has been committed.

 

Service of contempt order

 

(4) An order under subsection (1) shall be personally served, together with any supporting documents, unless otherwise ordered by the Court.

 

 

[13]           La procédure d’outrage au tribunal est très grave et exige une observation rigoureuse des différentes phases énoncées dans les Règles. L’issue de ce type de procédure peut avoir des conséquences considérables pour l’auteur prétendu de l’outrage. En effet, si une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, elle risque d’être incarcérée pendant une période de moins de cinq ans, ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance. Il est également possible que cette personne ait à payer une amende, qu’elle soit tenue d’accomplir un acte ou de s’abstenir de l’accomplir et qu’elle soit condamnée aux dépens (voir l’article 472 des Règles des Cours fédérales).

 

[14]           Du début à la fin des procédures, la partie requérante doit répondre à des exigences procédurales précises. Au stade de la « justification », les éléments de preuve soumis doivent constituer une preuve prima facie qu’un outrage au tribunal a été commis. Par la suite, il appartient à la Cour d’être convaincue qu’une preuve prima facie d’outrage au tribunal a été présentée. Afin de se conformer aux règles quant à la preuve prima facie et de convaincre la Cour que la règle en matière de preuve a été respectée, la partie qui allègue qu’un outrage au tribunal a été commis « doit justifier d’une apparence de droit suffisante en démontrant que la personne qu’elle accuse d’outrage au tribunal s’est rendue coupable d’une désobéissance délibérée et obstinée ». (Voir Chaudhry c Canada, 2008 CAF 173, au paragraphe 6, 2008 CarswellNat 1339 (CAF), référant à Imperial Chemical Industries PLC c Apotex Inc, (1989), 24 CPR (3d) 176, 26 FTR 47).

 

[15]           Dans Mennes c Canada (Services correctionnels), 2001 CFPI 571, au paragraphe 5, 2001 CarswellNat 1230, le juge Pelletier, nommé plus tard à la Cour d’appel fédérale, a déclaré qu’une requête en justification « [...] requiert la preuve de l’existence d’une ordonnance ou autre acte judiciaire, la preuve de la connaissance par le défendeur de cette ordonnance ou autre acte judiciaire et la preuve d’une violation délibérée de cette ordonnance ou autre acte judiciaire [...] ». Dans une décision très élaborée et réfléchie, le juge Martineau a cité ces décisions afin de démontrer que même au stade de la justification, l’intention de la personne qui est accusée d’outrage doit être établie (voir Canadian Private Copying Collective c Fuzion Technology Corp, 2009 CF 800, aux paragraphes 54, 60 à 62, 77 CPR (4th) 1).

 

[16]           Ayant défini la preuve exigée par les Règles des Cours fédérales au stade de la justification et la façon dont ces exigences ont été appliquées en jurisprudence, nous allons maintenant examiner les faits de la présente affaire à la lumière du droit applicable.

 

III.       Analyse

[17]           Le demandeur a démontré de façon satisfaisante à la Cour qu’une ordonnance judiciaire existait et que les défendeurs en étaient au courant. Toutefois, la preuve sur laquelle le demandeur s’est appuyé ne répond pas aux critères permettant d’établir qu’une preuve prima facie d’outrage au tribunal a été présentée.

 

[18]           Le demandeur a décidé de signer un affidavit au soutien d’une requête en justification sept jours seulement après que la Cour d’appel fédérale eût rejeté l’appel. À ce moment-là, les avocats des deux parties s’échangeaient des lettres concernant la prise de mesures afin de se conformer au jugement de la Cour fédérale. La requête a été signifiée et déposée dans les jours qui ont suivi et notre Cour a entendu les avocats vingt jours après que la Cour d’appel fédérale eût rendu sa décision.

 

[19]           Un délai aussi court ne donne pas l’occasion aux parties de discuter de la façon dont il convient de se conformer à l’ordonnance de la Cour et de s’entendre à cet égard. Il existe en effet diverses façons de régler la situation car il ne s’agit finalement que d’établir le fondement des réclamations monétaires et de la documentation demandée. L’existence d’une preuve prima facie d’outrage au tribunal ne peut être établie dans ce court laps de temps.

 

[20]           Plus important encore, la preuve présentée par les défendeurs indique leur volonté de se conformer au jugement. En effet, ils ont déposé un affidavit signé par un représentant dans lequel figure un courriel des défendeurs, daté du 15 novembre 2012, transmis en réponse au courriel du demandeur daté du 14 novembre 2012, où ce dernier demandait [traduction] « toute l’information relativement à la bande et à ses activités commerciales, y compris tous les procès‑verbaux, toute la correspondance et tous les rapports financiers, etc., depuis le mois de juillet 2011 jusqu’à aujourd’hui ». La réponse était claire. Le conseil de bande a indiqué qu’il [traduction] « s’efforcerait de préparer ces documents aussitôt que possible », que « la reconstitution des activités du conseil pour les derniers 18 mois constituerait une tâche considérable » et qu’il « prendrait des mesures afin de ramener [le demandeur] sur la liste de paye, de réactiver le courrier électronique ainsi que les autres comptes ». Le conseil de bande a ajouté que le demandeur « aurait à traiter de la question de la rémunération rétroactive directement avec le conseil et le conseil d’administration du groupe de sociétés ».

 

[21]           En outre, tel que je l’ai mentionné précédemment, l’avocate des défendeurs a clairement indiqué que ses clients se conformeraient en grande partie au jugement de la Cour fédérale et qu’à cet égard le demandeur et le conseil devraient discuter de la rémunération rétroactive.

 

[22]           Cette attitude ne reflète certainement pas « une désobéissance délibérée et obstinée » à l’endroit d’un jugement ou d’un acte judiciaire de notre Cour ou « une violation délibérée de cette ordonnance ou autre acte judiciaire ». Au contraire, il s’agit d’une preuve convaincante de la volonté des défendeurs de se conformer au jugement. Je ne décèler aucune indication claire de la volonté des défendeurs de ne pas s’y conformer. Par conséquent, l’existence de la preuve prima facie démontrant qu’un outrage au tribunal a été commis n’est pas établie.

 

[23]           Après avoir entendu les deux avocates et lu les dossiers de requête, je comprends que les défendeurs ont montré une certaine inquiétude en ce qui concerne la transmission à l’avocate du demandeur de renseignements précieux et confidentiels concernant la bande et les personnes morales lui étant liées. Sans me prononcer sur ces points de vue manifestement opposés, je peux affirmer que cela ne devrait pas constituer une raison pour ne pas se conformer à un jugement de la Cour fédérale.

 

[24]           Le demandeur a le droit d’être représenté par avocat et il l’a été au cours des présentes procédures, mais il doit aussi commencer à agir de façon indépendante comme le requiert ses fonctions de conseillers. Par ailleurs, les défendeurs doivent se conformer au jugement. Leurs engagements indiquent clairement cette intention et les défendeurs ne doivent pas invoquer l’argument reposant sur l’intervention de l’avocate pour échapper à cette obligation. Il doit assurément exister un modus vivendi entre les parties montrant une qu’elles se sont rigoureusement conformées au jugement, mais il y aurait également lieu de faire valoir qu’il n’est pas essentiel d’avoir à transiger avec l’avocate du demandeur sur toutes les questions. Le demandeur doit reprendre ses importantes responsabilités en tant que conseiller de la bande et administrateur des sociétés liées à la bande. Comme il l’a fait dans le passé, le demandeur n’a nullement besoin d’une avocate pour agir en tant que conseiller et administrateur.

 

[25]           Dans une telle situation, la requête sollicitant une ordonnance de justification confirmant, prima facie, la commission d’un outrage au tribunal est rejetée. En raison de la situation particulière selon laquelle le demandeur tente de faire valoir ses droits à la suite d’un jugement rendu en sa faveur, aucuns dépens ne seront adjugés contre lui.


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.      La requête en vertu de l’article 477 des Règles des Cours fédérales est rejetée avec dépens contre le demandeur, les parties assumant leurs dépens respectifs.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1180‑11

 

INTITULÉ :                                                  MIKE ORR c
LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DE FORT

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 novembre 2012

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                  LE JUGE NOËL

 

DATE :                                                          Le 6 décembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Deborah Szatylo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

J. Trina Kondro

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Deborah Szatylo

Davis LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

J. Trina Kondro

Ackroyd LLP

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.