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Date : 20121212

Dossier : T-1497-12

Référence : 2012 CF 1467

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 12 décembre 2012

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

HOMEAWAY.COM, INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MARTIN HRDLICKA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu des dispositions du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T‑13, en vue de faire radier la marque de commerce canadienne enregistrée sous le numéro LMC770822. Pour les motifs qui suivent, je radie l’enregistrement en question et adjuge des dépens à la demanderesse.

 

L’ENREGISTREMENT EN LITIGE

[2]               Voici les détails de la marque de commerce déposée en litige :

Numéro d’enregistrement :     LMC770822

Date d’enregistrement :          28 juin 2010

Propriétaire inscrit :                 Martin Hrdlicka

Marque de commerce :                        VRBO

Services pour lesquels la

marque est enregistrée :           Registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances.

 

 

[3]               La demande d’enregistrement a été déposée le 2 septembre 2009. Aucun emploi n’a été revendiqué; la demande reposait sur un emploi projeté au Canada. L’auteur de la demande d’enregistrement de la marque de commerce, Martin Hrdlicka, a vraisemblablement déposé une déclaration au sujet de l’emploi de la marque de commerce au Canada le 28 juin 2010; on ne trouve toutefois dans le dossier certifié fourni par le Bureau des marques de commerce qu’un formulaire de déclaration en blanc. Les parties ont devant moi avancé l’hypothèse qu’une déclaration avait peut-être été déposée par voie électronique. Cette situation révèle un des problèmes des dossiers du Bureau des marques de commerce, qui devraient contenir un compte rendu complet et exact de tout ce qui y est déposé, que ce soit par voie électronique ou autrement.

 

LES PARTIES

[4]               La demanderesse, HomeAway.com Inc., est une société du Delaware qui, à compter du 31 décembre 2010, a fusionné avec une autre société du Delaware, VRBO.com, Inc. Je suis convaincu, à la lecture de l’affidavit souscrit par Me Dickey, que la totalité du fonds de commerce et des biens de VRBO.com, Inc., y compris tous les droits conférés par la marque de commerce de VRBO.com, Inc. appartiennent maintenant à HomeAway.com, Inc.

 

[5]               Le défendeur Martin Hrdlicka est une personne physique résidant à Toronto (Ontario). Il est la personne enregistrée comme propriétaire de la marque de commerce déposée en litige. Il s’est représenté lui-même dans la présente instance.

 

MOTIFS INVOQUÉS À L’APPUI DE LA DEMANDE DE RADIATION

[6]               Les motifs invoqués à l’appui de la demande de radiation d’enregistrement sont articulés dans l’avis de demande et ils sont reproduits au paragraphe 2 du mémoire de la demanderesse :

 

                        [traduction] 

2.         La demanderesse [HomeAway.com] fait reposer la présente demande sur le fait que l’enregistrement LMC770822 est invalide et nul pour les raisons suivantes :

 

a.      Monsieur Hrdlicka n’était pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce VRBO à la date à laquelle il a déposé la demande relative à la marque VRBO sur le fondement d’un emploi projeté, c.-à-d. à la date du dépôt de la demande relative à la marque VRBO, parce que HomeAway.com a, elle-même et/ou par l’entremise de ses prédécesseurs en titre, substantiellement et continuellement employé une marque de commerce VRBO identique créant de la confusion pour des services identiques, en l’occurrence, le registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances au Canada depuis au moins le 26 mars 2003, c’est‑à‑dire depuis plus de six ans avant la date du dépôt de la demande fondée sur l’emploi projeté relativement à la marque VRBO;

 

b.      À la date de la présentation de la présente demande devant la Cour [date du dépôt de la demande devant la Cour], la marque de commerce VRBO ne distinguait pas Hrdlicka et ne pouvait être ou devenir une marque distinguant Hrdlicka parce qu’à cette date et à toutes les dates pertinentes, la marque de commerce VRBO distinguait et distingue toujours HomeAway.com et ses prédécesseurs en titre;

 

c.       L’enregistrement de la marque VRBO a été obtenu grâce à des déclarations erronées et frauduleuses portant sur des points importants étant donné que Hrdlicka n’avait pas l’intention d’employer la marque de commerce VRBO lorsqu’il a déposé la demande relative à la marque VRBO et qui n’avait pas employé la marque de commerce VRBO avant de l’enregistrer et qu’il a néanmoins déposé une déclaration de commencement d’emploi de la marque de commerce VRBO pour pouvoir faire enregistrer la demande relative à la marque VRBO.

 

LA PREUVE

[7]               La demanderesse a produit l’affidavit souscrit par Me Courtney Hicks Dickey, conseillère juridique de la société demanderesse HomeAway.com, auquel était jointes les annexes A à U inclusivement. La demanderesse a également déposé une copie certifiée du dossier du Bureau des marques de commerce concernant l’enregistrement en litige.

 

[8]               Le défendeur Martin Hrdlicka a déposé deux affidavits qu’il a lui-même souscrits. Le premier, qui était daté du 7 septembre 2012, était accompagné des annexes A et B. Le second, daté du 22 novembre 2012, était accompagné des annexes A à N.

 

[9]               Les auteurs de ces affidavits n’ont pas été contre-interrogés au sujet de leur affidavit.

 

EMPLOI

[10]           Le règlement de la présente affaire dépend de la réponse que l’on donne à la question de l’emploi, en l’occurrence l’emploi de l’acronyme VRBO comme marque de commerce pour des services consistant à offrir un registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances.

 

[11]           Le concept d’emploi est fondamental en matière de droits des marques de commerce, et ce, que la marque de commerce soit déposée ou non. Dans leur ouvrage Fox on Trade-Marks (2001, Carswell, Toronto), les auteurs déclarent, au paragraphe 5.2a) :

                        [traduction] 

C’est l’emploi et non l’enregistrement qui confère le droit à une marque de commerce au Canada ou dans un pays de l’Union. À une importante exception près, l’enregistrement sert simplement à confirmer le titre que l’emploi a déjà conféré. Dans l’arrêt Partlo c Todd, le juge en chef Ritchie explique succinctement ce principe de la confirmation du titre par l’enregistrement : [traduction] « Ce n’est pas l’enregistrement qui rend quelqu’un propriétaire d’une marque de commerce; la marque doit lui appartenir pour qu’il puisse l’enregistrer. »

 

[12]           Dans son ouvrage Intellectual Property Law (2e éd., Irwin Law, Toronto), le professeur Vaver écrit, aux pages 471 et 472 :

                        [traduction] 

Sans « emploi », une marque de commerce n’a aucune valeur. Elle ne peut être enregistrée et, si elle est enregistrée, elle peut être radiée. Quiconque détient une marque qui n’est pas employée ne peut et ne veut probablement pas investir dans cette marque. Il peut souhaiter simplement jouer l’empêcheur de tourner en rond et empêcher ses concurrents de l’utiliser ou encore se lancer dans une entreprise consistant à vendre des marques plutôt que des biens ou des services. Rien de tout cela ne mérite d’être encouragé et le système considère ces individus comme des indésirables.

 

[13]           Le paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce définit en quoi consiste l’emploi au sens de la Loi :

4(2)      Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

 

[14]           Comme nous le verrons plus loin, l’emploi de la marque de commerce en litige, VRBO, consiste à offrir des services de location immobilière pour les vacances et à annoncer ces services en ligne. La marque de commerce apparaît sur les écrans d’ordinateur au Canada et ailleurs. Compte tenu du fait que HomeAway est une société du Delaware, on peut présumer que les renseignements peuvent être saisis dans un ou plusieurs ordinateurs situés aux États-Unis. Les écrans d’ordinateur affichent les renseignements tant au Canada qu’ailleurs.

 

[15]           Il existe pour le moment très peu de jurisprudence sur la question de l’« emploi » sous forme d’affichage sur écran d’ordinateur.

 

[16]           Dans le jugement FileNET Corp c Canada (Registraire des marques de commerce), 2001 CFPI 865, conf. par 2002 CAF 418, le juge Blais (devenu par la suite juge à la Cour d’appel) écrit, au paragraphe 65 :

 

65     À mon avis, le fait que la marque a été annoncée et qu’elle a été consultée sur le site Web de la défenderesse avant que l’avis public soit donné suffit pour établir que la marque a été adoptée et employée par la défenderesse. Je ne crois pas que la marque officielle puisse uniquement être considérée comme ayant été adoptée et employée si les formules d’impôt ont effectivement été délivrées.

 

[17]           Dans une affaire portant sur la divulgation de renseignements à des fins fiscales, renseignements qui se trouvaient dans des ordinateurs se trouvant aux États-Unis, mais qui étaient facilement accessibles à des fins professionnelles par un contribuable canadien, j’ai écrit, dans le jugement eBay Canada Limited c Canada (Ministre du Revenu national), 2007 CF 930, au paragraphe 17, que l’approche moderne en matière d’interprétation des lois consiste, de façon générale, à interpréter les lois de façon raisonnable en tenant compte de leur objet et leur but :

 

17    Le vieil adage selon lequel les lois fiscales doivent être interprétées de façon restrictive doit céder le pas à l’approche moderne en matière d’interprétation des lois qui consiste, d’une manière générale, à interpréter la loi de manière raisonnable en tenant compte de son objet et de son but. Le juge Dickson a affirmé ce qui suit aux pages 806 et 807 de l’arrêt Covert c. Nouvelle‑Écosse (Ministre des Finances), [1980] 2 R.C.S. 774 :

 

Dans toutes les cours, les appelants ont fait valoir plusieurs arguments concernant les principes d’interprétation des lois fiscales, qu’il me faut commenter. Les lois fiscales, allègue-t-on, doivent être interprétées strictement. Selon les appelants, le tribunal ne peut tenir compte que des termes exprès de la Loi et ne peut rechercher l’intention du législateur ou le but visé par la Loi, ou leur donner effet. Ils renvoient à un passage de l’opinion de lord Halsbury dans l’arrêt Tennant v. Smith [[1892] A.C. 150], à la p. 154. Ils affirment ensuite que les principes d’équité ne jouent pas en faveur du gouvernement dans une loi fiscale. Ils s’appuient sur un passage de l’arrêt Attorney-General v. The Earl of Selborne [[1902] 1 K.B. 388], où le maître des rôles Collins a adopté ce principe, à la p. 396 :

 

[traduction] Si la personne que l’on cherche à assujettir à l’impôt est visée par la lettre de la loi, elle doit l’être, quelque onéreux que le fardeau puisse sembler à l’esprit judiciaire. D’un autre côté, si le gouvernement qui cherche à prélever l’impôt ne peut établir que le contribuable est visé par la lettre de la loi, celui‑ci en est exempt, quoiqu’apparemment, selon l’esprit de la loi, il puisse sembler en être autrement.

[…]

 

    Les lois fiscales ne constituent pas une catégorie à part. Une personne dont la conduite est réglementée par une loi devrait savoir à l’avance ce que la Loi prescrit. Un tribunal doit se demander quel sens les personnes régies par la Loi peuvent-elles raisonnablement lui donner? Il faut éviter les interprétations forcées ou artificielles.

 

      La bonne méthode, applicable à l’interprétation des lois en général, est d’interpréter la loi en tenant compte de son objet et de son but et de lui donner l’interprétation qui permettra au mieux de les atteindre. L’objet premier d’une loi sur les droits successoraux comme celle en cause en l’espèce, est de capturer au profit de l’État toutes les sommes prises dans les rets de la Loi. On ne peut présumer d’autre intention de la part du législateur que celle de prélever les droits imposés par la Loi ni plus ni moins.

 

 

[18]           Au paragraphe 23, citant un arrêt de la Cour suprême du Canada, j’écrivais que les renseignements accessibles électroniquement se situent à la fois ici et ailleurs :

 

23     La question de la portée de l’article 231.2, dans le cas où des renseignements, bien qu’ils soient conservés électroniquement à l’extérieur du Canada, sont accessibles à des personnes au Canada et sont utilisés par celles‑ci, doit être abordée du point de vue des réalités du monde d’aujourd’hui. On ne peut pas vraiment prétendre que ces renseignements « résident » en seul endroit ou qu’ils « appartiennent » à une seule personne. La réalité est que les renseignements peuvent être obtenus facilement et instantanément par les personnes qui font partie du groupe des entités d’eBay dans divers endroits. Il importe peu de savoir où se trouvent les renseignements conservés électroniquement et de savoir quelle entité, le cas échéant, par entente ou autrement, revendique la « propriété » de ces renseignements. Ils se « situe[nt] à la fois ici et à l’autre endroit » pour reprendre les mots du juge Binnie au paragraphe 59 de l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427. Il convient d’examiner les motifs qu’il a prononcés au nom de la Cour, aux paragraphes 57 à 63, lorsqu’il a traité de la question de savoir si la compétence peut être exercée au Canada quant à certaines communications Internet. Il convient notamment d’examiner le renvoi important qu’il fait à l’arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, ainsi qu’au concept de « lien réel et important ».

 

57    L’applicabilité de la Loi sur le droit d’auteur à une communication à laquelle participent des ressortissants d’autres pays dépend de l’existence entre le Canada et la communication d’un lien suffisant pour que le Canada applique ses dispositions conformément aux « principes d’ordre et d’équité [...] qui assurent à la fois la justice et la sûreté des opérations [transfrontalières] »; voir Morguard Investments, précité, p. 1097; Unifund Assurance Co. c. Insurance Corp. of British Columbia, [2003] 2 R.C.S. 63, 2003 CSC 40, par. 56; Sullivan and [page455] Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 601-602

58  Dans l’arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, le juge La Forest a clarifié la question de la compétence. Il s’agissait d’une affaire de combine frauduleuse pour vendre des actions. Des vendeurs se trouvant à Toronto sollicitaient au téléphone des acheteurs aux États-Unis, et l’argent investi par ces derniers (que l’accusé à Toronto faisait passer par l’Amérique centrale) se retrouvait finalement au Canada. L’accusé soutenait que le crime, à supposer qu’il y en ait eu un, avait été perpétré aux États-Unis. Or, le juge La Forest a estimé que « [c]e genre de raisonnement a provoqué, peut-être pas tout à fait à juste titre, le reproche selon lequel un avocat est une personne qui peut considérer des choses connexes comme non reliées entre elles. En effet, tout le monde sait que l’opération en l’espèce se situe à la fois ici et à l’autre endroit » (p. 208 (je souligne)). S’exprimant au nom de notre Cour, il a formulé comme suit le principe de la territorialité applicable (p. 212-213) :

 

 

Je pourrais résumer ainsi ma façon d’aborder les limites du principe de la territorialité. Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu’une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada. Comme l’affirment les auteurs modernes, il suffit qu’il y ait un « lien réel et important » entre l’infraction et notre pays [...] [Je souligne.]

 

59    Aussi, à mon avis, une télécommunication effectuée à partir d’un pays étranger vers le Canada ou à partir du Canada vers un pays étranger « se situe à la fois ici et à l’autre endroit ». Le lieu de réception peut constituer un facteur de rattachement tout aussi « important » que le lieu d’origine (sans compter l’emplacement physique du serveur hôte, qui peut se trouver dans un pays tiers). Voir, dans le même sens, Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, par. 52; et Kitakufe c. Oloya, [1998] O.J. No 2537 (QL) (Div. gén.). Dans l’affaire Citron c. Zundel, précitée, par exemple, le fait que le serveur hôte était situé en Californie était peu concluant dans la mesure où tant le fournisseur de contenu (Zundel) que la majeure partie de son public cible se trouvaient au Canada. [page 456] La décision rendue s’appuyait sur des motifs liés à la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais pour les besoins du présent pourvoi, l’illustration demeure néanmoins instructive.

60    Notre Cour a adopté puis développé le critère du « lien réel et important » dans Morguard Investments Ltd., précité, p. 1108-1109; Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 325, 326 et 328; et Tolofson, précité, p. 1049. Ce critère a été confirmé et appliqué plus récemment dans Holt Cargo Systems Inc. c. ABC Containerline N.V. (Syndics de), [2001] 3 R.C.S. 907, 2001 CSC 90, par. 71; Spar Aerospace Ltée c. American Mobile Satellite Corp., [2002] 4 R.C.S. 205, 2002 CSC 78; Unifund, précité, par. 54; et Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416, 2003 CSC 72. Dès le départ, le critère du lien réel et important a été considéré comme un moyen approprié d’« éviter que l’on aille trop loin [...] et [de] restrei[ndre] l’exercice de compétence sur les opérations extraterritoriales et transnationales » (le juge La Forest dans Tolofson, précité, p. 1049). Il reflète la réalité sous-jacente de « la territorialité des lois selon l’ordre juridique international » et du respect des mesures légitimes prises par un autre État qui est inhérent au principe de la courtoisie internationale (Tolofson, p. 1047). L’existence d’un lien réel et important avec le Canada suffit pour que notre Loi sur le droit d’auteur s’applique aux transmissions Internet internationales conformément au principe de la courtoisie internationale et aux objectifs d’ordre et d’équité.

61    En ce qui concerne l’Internet, le facteur de rattachement pertinent est le situs du fournisseur de contenu, du serveur hôte, des intermédiaires et de l’utilisateur final. L’importance à accorder au situs de l’un d’eux en particulier varie selon les circonstances de l’affaire et la nature du litige.

62    Il est clair que l’information qui entre au Canada et qui en sort présente un intérêt considérable pour notre pays. Le Canada réglemente la réception des signaux de radiodiffusion sur son territoire indépendamment de leur origine; voir Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42. Nos tribunaux judiciaires et administratifs se penchent régulièrement sur la responsabilité délictuelle découlant de transmissions en provenance de l’étranger qui sont reçues et ont des répercussions au pays; voir WIC Premium Television Ltd. c. General Instrument Corp. (2000), 8 C.P.R. (4th) 1 (C.A. Alb.); Re World Stock Exchange (2000), 9 A.S.C.S. 658.

63    Notre Cour a généralement reconnu l’existence d’un « lien » justifiant l’exercice de la compétence lorsque le Canada était le pays de transmission (Libman, précité) ou de réception (Liberty Net, précité). Sa position est dans le droit fil des pratiques internationales en matière de droits d’auteur.

 

[19]           Dans ses motifs répertoriés sous 2008 CAF 348, la Cour d’appel fédérale a abondé dans le même sens. Aux paragraphes 50 à 52, le juge Linden écrit ce qui suit, au nom de la Cour :

50  L’avocat des appelantes admet que les renseignements identifiant les PowerSellers inscrits comme ayant une adresse au Canada seraient situés au Canada si les appelantes les avaient téléchargés sur leurs ordinateurs. Il me paraît au plus haut degré formaliste de la part des appelantes d’affirmer que, jusqu’à ce que cette simple opération soit accomplie, les renseignements qu’ils y extraient licitement des serveurs et y lisent sur leurs écrans ne sont pas situés au Canada.

51  J’ajouterai que, bien qu’il n’ait pas formulé ses motifs en fonction de la définition que donne le paragraphe 231.6(1) de l’expression « renseignement ou document étranger », le juge Hughes voulait manifestement dire que les renseignements en question peuvent être « situés » à d’autres endroits que l’emplacement des serveurs sur lesquels ils sont stockés. Il écrit par exemple au paragraphe 23 de 2007 CF 930 qu’ « [o]n ne peut pas vraiment prétendre que [les renseignements conservés sous forme électronique à l’extérieur du Canada] “résident” en un seul endroit », et il précise au paragraphe 25 de la même décision que les renseignements exigés par le ministre « ne se trouvent pas à l’étranger, mais au Canada » aux fins qui nous occupent.

52 Ayant conclu que les renseignements électroniques stockés sur des serveurs situés à l’étranger peuvent en droit être dits situés au Canada pour l’application de l’article 231.6, j’examinerai maintenant le point de savoir si l’application par le juge Hughes du droit aux faits particuliers de la présente affaire est entachée d’une erreur manifeste et dominante. Je donnerais à cette question une réponse négative. Dans la démarche qui l’a amené à conclure que les renseignements en question étaient situés au Canada pour l’application de l’article 231.6, le juge Hughes a avec raison pris en considération le fait que eBay U.S. et eBay International avaient donné aux appelantes accès aux renseignements sur les PowerSellers canadiens aux fins de leur activité commerciale et que celles‑ci les avaient effectivement utilisés à ces fins. Les faits étayent bien la conclusion suivante du juge Hughes, (2007 CF 930, au paragraphe 25) :

Peut-être pour des raisons d’efficacité, les renseignements sont conservés ailleurs, mais ils ont trait aux affaires de la société au Canada. Les renseignements ne se trouvent pas à l’étranger, mais au Canada pour l’application de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[20]           Bien que l’analogie ne soit pas parfaite, l’affaire eBay est utile pour démontrer que la loi doit être interprétée d’une façon qui tienne compte des réalités du monde moderne de sorte que les données informatiques conservées dans un pays peuvent être considérées comme existant dans un autre, en l’occurrence, le Canada.

 

[21]           Dans le jugement Hayes c Sim & McBurney, 2010 CF 924, le juge Boivin a reconnu que l’utilisation d’un site Web pouvait constituer un emploi valable d’une marque de commerce. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 26 :

26        En l’espèce, le commerce de l’appelant consiste à fournir des renseignements en ligne concernant les voyages et les destinations de voyage, la location et la vente de propriétés de vacance et des publications dans ces domaines, diffusées sur les réseaux informatiques, les réseaux radiotéléphoniques et les réseaux universels de télécommunications. Les pièces annexées à l’affidavit de M. Hayes démontrent clairement qu’il est l’administrateur du site Web WHERE2GO2.COM [voir pièce 1] et que ce site Web a été utilisé continûment depuis le 18 septembre 1999 jusqu’à aujourd’hui, ce qui englobe donc la période pertinente. M. Hayes a produit des captures d’écran du site Web à divers moments au cours de la période en cause par l’entremise d’un site Internet, archive.org, qui conserve des enregistrements de ce à quoi ressemblait le site Web à la date indiquée [voir pièce 2]. Il ressort clairement aussi de la preuve que plusieurs des inscriptions immobilières et des forfaits de vacance se rapportent à la période pertinente.

 

 

[22]           J’estime donc qu’une marque de commerce qui figure sur le site Web d’un écran d’ordinateur au Canada constitue, pour l’application de la Loi sur les marques de commerce, un emploi et une annonce faits au Canada, et ce, indépendamment de la provenance des renseignements ou du lieu où ils sont stockés.

 

ÉLÉMENTS DE PREUVE SUR L’EMPLOI ET LA RÉVÉLATION DE LA MARQUE AU CANADA PAR LA DEMANDERESSE

 

[23]           La demanderesse est HomeAway.com, Inc., une société du Delaware. Ainsi que je l’ai déjà expliqué, je suis convaincu, sur la foi de l’affidavit souscrit par Me Dickey – en particulier les paragraphes 2 et 5 et l’annexe A – que HomeAway est le successeur de la totalité du fonds de commerce et de biens de VRBO.com, Inc. (qui est également une société du Delaware), y compris les droits conférés par la marque de commerce de VRBO.com, Inc. Par conséquent j’estime que l’emploi antérieur de la marque de commerce VRBO par VRBO.com, Inc. profite à HomeAway. Je considère donc que l’emploi de la marque par l’une ou l’autre est un emploi de HomeAway.

 

[24]           L’entreprise qu’exploite HomeAway consiste à publier, sur son site Web, des maisons, des appartements et autres habitations appartenant à des tiers qui souhaitent les louer à d’autres personnes et notamment à des vacanciers. La marque de commerce VRBO apparaît bien en vue sur l’écran lorsqu’on accède au site Web. D’une certaine manière, on peut dire que HomeAway offre les mêmes services que la rubrique des petites annonces d’un journal à cette exception près qu’elle le fait sur le Web.

 

[25]           Les propriétaires de maisons et d’appartements à louer à des vacanciers pour une courte période signent un contrat avec HomeAway en vue d’annoncer le profil de leur habitation sur le site Web de HomeAway moyennant certains frais. La fiche de chaque client est établie suivant certains critères prédéterminés. L’adresse du site Web est la suivante : www.vrbo.com; ce site Web appartient à HomeAway et est hébergé par celle‑ci. Toute personne intéressée à louer un appartement ou une maison pour ses vacances peut visiter le site Web et, en suivant les liens offerts, repérer le pays et la ville qui l’intéressent. Par exemple, il peut saisir le mot « Canada », puis « Niagara-on-the-Lake » ou « Montréal » pour trouver ensuite une liste de locaux à louer disponibles. La personne intéressée peut alors entrer en communication avec le propriétaire dont l’adresse est indiquée et s’entendre avec lui pour occuper les lieux pendant une période de temps mutuellement convenue.

 

[26]           Suivant la preuve, HomeAway a lancé son entreprise en 1996. Elle a obtenu des noms de domaine comme vrbocanada.com et canadavrbo.com en 2003. En saisissant ces noms de domaine à l’écran, une personne est dirigée vers le site Web de HomeAway, où la marque de commerce VRBO est affichée. Un article publié dans le Toronto Star en 2012, (annexe L de l’affidavit de Me Dickey) déclare que ce site Web est l’un des dix meilleurs sites Web de voyage de 2012 et apprend au lecteur que VRBO signifie « vacation rental by owner » [location par le propriétaire à des vacanciers].

 

[27]           Il est toutefois important de savoir quel emploi HomeAway a fait de la marque de commerce au Canada avant la date à laquelle le défendeur Hrdlicka a déposé sa demande d’enregistrement de la marque de commerce VRBO en son nom personnel. Cette date est le 2 septembre 2009.

 

[28]           J’estime, sur la foi de l’affidavit souscrit par Me Dickey, qu’avant le 2 septembre 2009, HomeAway faisait de la publicité auprès de Canadiens avec lesquels elle avait signé des contrats en vue d’annoncer ses appartements et ses maisons sur le site Web de VRBO et qu’elle annonçait ses maisons et ses appartements canadiens en question sur son propre site Web. Ce site Web affichait la marque de commerce VRBO aux Canadiens ainsi qu’aux personnes de tout autre pays qui souhaitaient visiter le site Web en question.

 

[29]           J’estime donc qu’avant le 2 septembre 2009, HomeAway employait la marque de commerce VRBO en annonçant et en utilisant cette marque sur son site Web en liaison avec un registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances.

 

[30]           Quant au fait pour la marque de commerce VRBO d’avoir été « révélée » au Canada, les dispositions de la Loi sur les marques de commerce sont pour le moins, ésotériques, en plus d’avoir besoin d’une sérieuse mise à jour. Les sous-alinéas 5b)(i) et 5b)(ii) de la Loi exigent que les services soient annoncés « dans toute publication imprimée et mise en circulation au Canada » ou « dans des émissions de radio ordinairement captées au Canada ». Bien que l’« emploi » de la marque de commerce au moyen de sites Internet ait été démontré, cet emploi ne se fait pas au moyen de publications imprimées ou d’émissions de radio. Compte tenu des circonstances de l’espèce, il n’a pas été établi que la marque a été « révélée », mais l’emploi qui a été démontré fait en sorte qu’il n’est pas pertinent qu’elle ait été révélée ou non. À l’audience, l’avocate de HomeAway a renoncé à cet argument.

 

[31]           J’estime également que la marque de commerce VRBO distingue maintenant HomeAway et qu’elle le faisait déjà avant le 2 septembre 2009. Il s’agit d’une marque inventée et non d’un mot ou d’un nom commun. Rien ne permet de penser qu’une autre personne – je reviendrai sous peu sur M. Hrdlicka – a utilisé cette marque au Canada ou ailleurs relativement à quelque marchandise ou service que ce soit, encore moins en ce qui concerne un registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances.

 

ÉLÉMENTS DE PREUVE RELATIFS À L’EMPLOI PAR LE DÉFENDEUR

 

[32]            Hormis la déclaration d’emploi que M. Hrdlicka aurait déposée auprès du Bureau des marques de commerce, aucun élément de preuve n’établit que M. Hrdlicka aurait jamais utilisé la marque de commerce VRBO au Canada, ou ailleurs, en liaison avec un registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances ou quelque autre service avant novembre 2012. Monsieur Hrdlicka a joint à son second affidavit certaines pages-écrans d’un site Web annonçant des services de location immobilière pour les vacances au Canada. Cette publicité remonte à novembre 2012 et est beaucoup trop tardive pour avoir quelque incidence que ce soit sur les questions qui me sont soumises. Je soupçonne qu’elles ont été préparées en vue de l’audience à laquelle j’ai présidé.

 

[33]           La page-écran (annexe A de l’affidavit souscrit le 7 septembre 2012 par M. Hrdlicka) qui serait une page-écran tirée de l’un de ses premiers véritables sites Web immobiliers d’août 2009 n’indique nulle part que VRBO aurait été utilisée comme marque de commerce ou autrement.

 

[34]           Les courriels annexés aux affidavits de M. Hrdlicka et de Me Dickey qui ont été adressés à HomeAway par M. Hrdlicka ne parlent pas d’emploi effectif mais d’emploi à venir ou projeté de la marque de commerce VRBO par M. Hrdlicka. Dans son courriel du 5 juillet 2010 (c.‑à‑d. après que la marque de commerce eut été enregistrée) que l’on trouve à l’annexe Q de l’affidavit de Me Dickey, M. Hrdlicka écrit [traduction] « Si je lance mon site Web VRBO » (non souligné dans l’original). Dans sa lettre du 7 juillet 2010, que l’on trouve également à l’annexe Q, il écrit également : [traduction] « Je prévoyais lancer mon propre site Web de location immobilière pour les vacances sous le nom “VRBO” » (non souligné dans l’original).

 

[35]           Au paragraphe 2 de son affidavit du 7 septembre 2012, M. Hrdlicka déclare :

                        [traduction] 

Au moment où j’ai présenté une demande pour la marque de commerce VRBO, j’étais au courant de l’existence du site Web www.vrbo.com., mais j’avais l’impression que pour que HomeAway.com, Inc. puisse utiliser le nom VRBO au Canada, il fallait que cet emploi soit fondé sur une sorte d’origine physique […]

 

 

 

[36]           Il est donc évident – et c’est la conclusion à laquelle j’en viens – que M. Hrdlicka n’a jamais employé VRBO comme marque de commerce au Canada avant novembre 2012 et qu’au moment où il a présenté sa demande d’enregistrement de cette marque de commerce au Canada, il était au courant que HomeAway avait utilisé cette marque de commerce à tout le moins d’une certaine façon.

 

[37]           La correspondance, notamment par courriel, qui se trouve non seulement à l’annexe Q de l’affidavit souscrit par Me Dickey mais également qui est annexée aux affidavits souscrits par M. Hrdlicka, démontre que M. Hrdlicka tentait de vendre son enregistrement à HomeAway pour une importante somme d’argent et/ou en contrepartie d’un emploi ou de redevances. Je conclus que lorsqu’il a présenté sa demande d’enregistrement, M. Hrdlicka n’avait aucune intention véritable d’employer cette marque d’une façon commerciale légitime au Canada. Son intention était d’extorquer de l’argent ou une autre contrepartie à HomeAway. Une telle façon de procéder ne devrait pas être tolérée ou encouragée.

 

CONCLUSIONS

 

[38]            Je conclus donc que :

 

1.                  Les marques de commerce des deux parties créent non seulement de la confusion, elles sont identiques et les services qu’elles visent sont identiques.

 

2.                  HomeAway a employé la marque de commerce VRBO au Canada pour un registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances depuis que la demande d’enregistrement de la marque de commerce en litige fondée sur un emploi projeté a été déposée et cet emploi a été continu. Par conséquent, compte tenu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi sur les marques de commerce, M. Hrdlicka n’était pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque de commerce.

 

3.                  Depuis avant le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque de commerce en litige fondée sur l’emploi projeté, la marque de commerce VRBO distinguait et continue de distinguer au Canada le registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances de HomeAway et de personne d’autre, en particulier de M. Hrdlicka. Par conséquent, l’enregistrement est invalide compte tenu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce.

 

4.                  Mondieur Hrdlicka a déposé sa demande d’enregistrement de la marque de commerce et a obtenu cet enregistrement à des fins illicites et il n’a pas agi de bonne foi. Les dépens seront adjugés en conséquence.

 

[39]           Par conséquent, j’ordonnerai que l’enregistrement soit radié et que les dépens soient adjugés à la demanderesse suivant la valeur maximale de la colonne V, ainsi que les débours raisonnables, y compris les déplacements effectués entre Ottawa et Toronto pour la tenue de l’audience.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS, LA COUR :

 

1.                  ACCUEILLE la demande;

 

2.                  RADIE l’enregistrement de la marque de commerce canadienne LMC770822 du registre des marques de commerce;

 

3.                  DÉCLARE QUE la demanderesse a droit à ses dépens ET CONDAMNE le défendeur à payer les dépens en question à la valeur maximale de la colonne V, ainsi que les débours raisonnables, y compris les frais de déplacement entre Ottawa et la Cour, à Toronto, pour la tenue de l’audience.

 

                                                                                                            « Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1497-12

 

INTITULÉ :                                      HOMEAWAY.COM, INC. c MARTIN HRDLICKA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 7 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 12 décembre 2012

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Lynn Cassan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Martin Hrdlicka

LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cassan Mclean

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

M. Martin Hrdlicka

LE DÉFENDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

 

 

 

 

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