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Date : 20120502


Dossier : IMM-7038-11

Référence : 2012 CF 508

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2012

En présence de M. le juge Boivin

ENTRE :

 

AHMAD, RAUF

YASMIN, TAHIRA

MUMTAZ, AMBER

MUMTAZ, JAVARIA

MUMTAZ, BUSHRA

HAIDER, ALI

et

MUMTAZ, WARDA

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée par Rauf Ahmad (le demandeur principal) et par Tahira Yasmin, Amber Mumtaz, Javaria Mumtaz, Bushra Mumtaz, Ali Haider et Warda Mumtaz (les demandeurs) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire du refus du défendeur de rendre une décision au sujet de la demande présentée par le demandeur principal en vue d’obtenir la résidence permanente canadienne pour lui-même et pour les membres de sa famille. Les demandeurs sollicitent une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus en vue d’obliger le défendeur à rendre une décision définitive au sujet de la demande qu’ils ont présentée.

 

I.             Contexte factuel

[2]               Le demandeur principal s’est enfui du Pakistan en juin 2005 et a demandé l’asile au Canada. Il a obtenu l’asile au Canada le 11 avril 2006. Il a par la suite présenté une demande de résidence permanente en juillet 2006 pour lui-même et pour les membres de sa famille qui vivent toujours au Pakistan. Le demandeur principal a également inscrit le nom de son « fils adoptif » dans sa demande de résidence permanente.

 

[3]               Le 13 novembre 2007, un agent d’immigration a informé l’épouse du demandeur principal que son « fils adoptif » ne pouvait être considéré comme un enfant à charge au sens de l’article 2 de la Loi. Le conseil des demandeurs a demandé une prorogation de délai jusqu’au 1er février 2008 pour pouvoir consulter un avocat pakistanais à ce sujet et pour pouvoir fournir des renseignements supplémentaires à l’agent.

 

[4]               En août 2008, les demandeurs ont présenté des observations supplémentaires au sujet du statut de leur « fils adoptif ».

 

[5]               Le 4 septembre 2008, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé le demandeur principal que son « fils adoptif » ne pouvait être considéré comme un enfant à charge. CIC n’a toutefois pas retiré le nom du « fils adoptif » de la demande en expliquant qu’il revenait aux demandeurs de le faire.

 

[6]               Le 3 juin 2009, les demandeurs ont réclamé des éclaircissements au sujet de la position de CIC.

 

[7]               Le 14 mai 2010, comme les demandeurs n’avaient pas reçu de réponse au sujet de l’état d’avancement de leur demande de résidence permanente, leur conseil a saisi la Cour fédérale d’une requête en bref de mandamus. La Cour a toutefois refusé de les autoriser à présenter leur requête en bref de mandamus le 21 juillet 2010.

 

[8]               Le 18 août 2010, l’épouse du demandeur principal a écrit au Haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan (le Haut-commissariat) pour l’informer qu’elle souhaitait retirer le nom de son « fils adoptif » de la demande de résidence permanente.

 

[9]               Un an plus tard, le 23 août 2011, les demandeurs ont écrit au Haut-commissariat pour lui demander de prendre une décision.

 

[10]           Le 24 août 2011, le Haut-commissariat a répondu aux demandeurs pour les informer que leur demande était en cours de traitement et qu’elle faisait partie de celles qui avaient été mises en attente en vue d’être examinées à tour de rôle par un agent d’immigration. Le Haut-commissariat a expliqué que le retard qu’accusait le traitement de la demande s’expliquait par [traduction] « la nature de la demande et par les préoccupations que celle-ci soulève ».

 

[11]           Le 7 septembre 2011, les demandeurs ont reçu une lettre dans laquelle le Haut-commissariat les informait que le nom de leur « fils adoptif » avait été retiré de la demande étant donné qu’il ne répondait pas à la définition de « enfant à charge » au sens de la Loi.

 

[12]           Le 23 septembre 2011, les demandeurs ont de nouveau écrit au Haut-commissariat pour se renseigner au sujet de l’état d’avancement de leur demande. Le 1er octobre 2011, les demandeurs ont reçu une réponse semblable à celle contenue dans la lettre du 24 août 2011.

 

[13]           Le 1er novembre 2011, les demandeurs ont reçu une autre lettre du GPI adjoint de la Section de l’immigration du Haut-commissariat précisant [traduction] « qu’aucune décision n’a encore été prise au sujet de cette demande ».

 

II.           Question en litige

[14]           La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si les demandeurs ont droit à un bref de mandamus relativement à leur demande de résidence permanente.

 

III.          Dispositions législatives pertinentes

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent en l’espèce :

 

 

OBJET DE LA LOI

 

 

Objet en matière d’immigration

 

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

 

[…]

 

f) d’atteindre, par la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, les objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral après consultation des provinces;

[…]

OBJECTIVES AND APPLICATION

 

Objectives – immigration

 

 

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(f) to support, by means of consistent standards and prompt processing, the attainment of immigration goals established by the Government of Canada in consultation with the provinces;

 

IV.          Analyse

[16]           Les demandeurs soulignent le fait que l’alinéa 3(1)f) de la Loi insiste sur le principe du « traitement efficace ». Les demandeurs affirment que la Cour devrait décerner un bref de mandamus étant donné qu’ils sont sans réponse au sujet de leur demande de résidence permanente depuis près de six ans. Les demandeurs allèguent qu’ils ne comprennent pas pourquoi le traitement de leur demande retarde autant et ils affirment que CIC devrait être en mesure de rendre une décision à ce moment‑ci. À titre subsidiaire, les demandeurs avancent qu’ils devraient être informés des raisons pour lesquelles le traitement de leur demande retarde autant pour qu’ils puissent répondre aux préoccupations que pourrait avoir CIC.

 

[17]           Les critères auxquels un demandeur doit satisfaire pour convaincre la Cour de décerner un bref de mandamus sont bien connus; ils ont été exposés dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Procureur général) (CA), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098 [Apotex], confirmé par [1994] 3 RCS 1100, au paragraphe 45 :

 

1.         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

2.         L’obligation doit exister envers le requérant;

3.         Il doit exister un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a)      le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)      il y a eu :

(i)                 une demande d’exécution de l’obligation,

(ii)               un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et

(iii)             il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable

[...]

4.         Le requérant n’a aucun autre recours;

5.         L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

6.         Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

7.         Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

 

 

[18]           Par ailleurs, dans le jugement Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, 159 FTR 215 [Conille], la juge Tremblay-Lamer a fait observer, au paragraphe 23, qu’un délai dans l’exécution d’une obligation prévue par la loi pouvait être considéré comme déraisonnable si les trois conditions suivantes étaient réunies :

[23] […]

1) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; et

3) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

[19]           Le défendeur signale que la délivrance d’un bref de mandamus n’est pas justifiée en l’espèce étant donné qu’il semble que la demande de résidence permanente des demandeurs soit maintenant complète et qu’elle soit au nombre de celles qui ont été mises en attente en vue d’être examinées en temps et lieu par un agent d’immigration. Bien qu’il admette que le traitement de la demande a pris beaucoup de temps, le défendeur affirme que ce retard s’explique par les préoccupations de CIC au sujet de la légalité de l’adoption du « fils adoptif » de M. Ahmad. 

 

[20]           Il ressort toutefois de la preuve que la demande de résidence permanente des demandeurs qui comprend des membres de la famille du demandeur principal qui résident à l’extérieur du Canada a été envoyée le 24 juillet 2006 (dossier du tribunal, pages 362 et suivantes). Il est donc difficile pour la Cour d’être d’accord avec le défendeur pour dire que l’année à retenir pour déterminer s’il y a lieu en l’espèce de décerner un bref de mandamus est 2007 ou 2010 ou 2011. La Cour signale par ailleurs que les demandeurs se sont renseignés à plusieurs reprises auprès du défendeur. Compte tenu de la preuve versée au dossier, la Cour estime que la date pertinente est le 24 juillet 2006. La demande de résidence permanente est donc pendante depuis près de six ans et il ressort de la preuve que les demandeurs ont répondu aux demandes de renseignements formulées par CIC. Bien que les demandeurs aient « officiellement » retiré le nom de leur « fils adoptif » de leur demande en 2010, il n’en demeure pas moins que le défendeur était au courant dès 2007 de l’intention des demandeurs – exprimée dans une lettre du 14 décembre 2007 – de retirer le nom du « fils adoptif » du dossier (dossier du tribunal, aux pages 218 et 259).

 

[21]           À la lumière des observations des parties et de la preuve, la Cour est convaincue que le critère applicable a été respecté et qu’il convient de décerner un bref de mandamus.

 

[22]           La Cour rappelle qu’un bref de mandamus est une mesure discrétionnaire de réparation en equity et que chaque demande de bref de mandamus est un cas d’espèce. De plus, compte tenu des jugements Ogbewe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 77; [2006] ACF no 98; Bageerathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 599, [2008] ACF no 750, et Douze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1337, [2010] ACF no 1680, la Cour est d’avis que le délai en cause est devenu déraisonnable et qu’il n’a pas été justifié de façon raisonnable par le défendeur.

 

[23]           En ce qui concerne l’échéancier normal, la Cour est convaincue, compte tenu des observations formulées par les deux parties à l’audience, qu’un délai de 60 jours est acceptable. 

 

[24]           La Cour est d’accord avec les parties pour dire qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier en l’espèce.  


JUGEMENT

 

LA COUR :

1.            ACCUEILLE la demande;

2.            ORDONNE au défendeur de prendre une décision et de la communiquer aux demandeurs dans les 60 jours de la décision de la Cour;

3.            NE CERTIFIE aucune question grave de portée générale;

4.            N’ADJUGE aucuns dépens.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7038-11

 

INTITULÉ :                                      AHMAD, RAUF et autres

c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 avril 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE BOIVIN 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 2 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean-François Bertrand

 

POUR LES DEMANDEURS

Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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