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Date : 20121122

Dossier : T‑1385‑11

Référence : 2012 CF 1351

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

JOHN McLEOD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR) et les paragraphes 99(1) et 128(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (LSCMLC) ont pour effet combiné que les ressortissants étrangers, incarcérés pour avoir commis une infraction criminelle, sont sujets à un renvoi du Canada immédiatement après s’être vu accorder toute forme de libération conditionnelle. Le demandeur demande à la Cour de déclarer ces dispositions inconstitutionnelles.

 

[2]               Un ressortissant étranger déclaré coupable d’un crime grave est expulsé du Canada lorsqu’il a purgé la totalité de sa peine. Or, le paragraphe 128(3) de la LSCMLC stipule que dans le cas d’un ressortissant étranger reconnu coupable avant l’entrée en vigueur de la LIPR le 28 juin 2002, la peine est réputée être purgée du moment qu’il bénéficie d’une forme quelconque de libération conditionnelle. En revanche, la peine d’un prisonnier canadien se poursuit jusqu’à ce qu’elle soit entièrement purgée. Le demandeur soutient que ce traitement différent porte atteinte aux articles 7, 9 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982) (Charte).

 

[3]               Subsidiairement, il sollicite une ordonnance qui rendrait inopérantes ces dispositions dans son cas, de sorte que si une semi‑liberté (SL), une permission de sortir sans escorte (PSSE) ou une libération conditionnelle totale lui est accordée, il ne sera pas expulsé du Canada par suite de la mesure de renvoi prononcée contre lui en application du paragraphe 44(2) de la LIPR.

 

[4]               Pour les motifs suivants, la demande est rejetée.

 

Le contexte

 

[5]               Le demandeur, John McLeod, est un citoyen de la Jamaïque. Le 17 décembre 2001, il a été reconnu coupable du meurtre au deuxième degré de sa petite amie. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans être admissible à la libération conditionnelle avant l’expiration de 10 ans. Le 9 octobre 2003, la Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel interjeté par le ministère public relativement à la peine infligée et prolongé à 12 ans le délai préalable à la libération conditionnelle. Ce même jour, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a pris une mesure de renvoi contre le demandeur en exécution du paragraphe 44(2) de la LIPR, conséquence de la conclusion de la Section de l’immigration selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

 

[6]               Le 13 juin 2008, la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) a rejeté sa demande de PSSE et de SL. Cette décision a été confirmée par la Section d’appel de la CNLC le 1er décembre 2008. Le 31 août 2011, le demandeur est devenu admissible à la libération conditionnelle totale. Il a reporté à mars 2012 l’audience portant sur la libération conditionnelle totale automatique. L’audience n’a pas eu lieu et il a renoncé à son droit à cet égard. Il reste incarcéré dans un pénitencier fédéral.

 

[7]               Sous le régime de la LSCMLC, les délinquants deviennent admissibles à différents régimes de libération conditionnelle au cours de leur peine. La SL et la PSSE font partie d’un régime de libération graduelle visant à aider le délinquant à se réhabiliter et à réintégrer la société. Aux termes des articles 115 et 119 de la LSCMLC, le demandeur était admissible à la PSSE et à la SL trois ans avant sa date d’admissibilité (31 août 2008) à la libération conditionnelle totale, et à la libération conditionnelle totale, 12 ans à compter de la date de son arrestation (31 août 2011). Le demandeur s’estime privé des bénéfices de ces deux formes de libération conditionnelle au motif que si on les lui accorde, il sera sans délai expulsé en Jamaïque.

 

[8]               Le demandeur est sujet à l’expulsion en raison de l’acte criminel grave qu’il a commis. Toutefois, aux termes de l’alinéa 50b) de la LIPR, il y a sursis de la mesure de renvoi notamment « tant que n’est pas purgée la peine d’emprisonnement infligée au Canada à l’étranger ». Or, selon le paragraphe 128(3) [de la LSCMLC], est réputé être purgée la peine d’un ressortissant étranger aux fins de l’alinéa 50b) de la LIPR du moment qu’une forme quelconque de libération conditionnelle lui est accordée, notamment la SL et la PSSE. Comme il a été indiqué, sous le régime de la LSCMLC, la peine d’un citoyen canadien se poursuit pendant que celui‑ci bénéficie d’une libération conditionnelle.

 

[9]               Le paragraphe 128(4) de la LSCMLC prescrit que les ressortissants étrangers condamnés après l’entrée en vigueur de la LIPR ne sont admissibles à la libération conditionnelle qu’à compter de leur admissibilité à la libération conditionnelle totale. La constitutionnalité de cette disposition a été examinée et maintenue dans la décision Capra c Canada (Procureur général), 2008 CF 1212. Cette disposition ne s’applique pas au demandeur :

Cas particulier

 

128. (3) Pour l’application de l’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’article 64 de la Loi sur l’extradition, la peine d’emprisonnement du délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte est, par dérogation au paragraphe (1), réputée être purgée sauf s’il y a eu révocation, suspension ou cessation de la libération ou de la permission de sortir sans escorte ou si le délinquant est revenu au Canada avant son expiration légale.

 

Mesure de renvoi

 

(4) Malgré la présente loi, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et le Code criminel, le délinquant qui est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’est admissible à la semi‑liberté ou à la permission de sortir sans escorte qu’à compter de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

 

Sentence deemed to be completed

 

128. (3) Despite subsection (1), for the purposes of paragraph 50(b) of the Immigration and Refugee Protection Act and section 64 of the Extradition Act, the sentence of an offender who has been released on parole, statutory release or an unescorted temporary absence is deemed to be completed unless the parole or statutory release has been suspended, terminated or revoked, the unescorted temporary absence is suspended or cancelled or the offender has returned to Canada before the expiration of the sentence according to law.

 

 

Removal Order

 

(4) Despite this Act, the Prisons and Reformatories Act and the Criminal Code, an offender against whom a removal order has been made under the Immigration and Refugee Protection Act is not eligible for day parole or an unescorted temporary absence until they are eligible for full parole.

 

 

 

 

 

[10]           Pour clore sur ce point, je fais mien le résumé du régime législatif qu’a fait l’avocat du procureur général :

a.       l’alinéa 50b) de la LIPR sursoit à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à ce que la peine infligée au délinquant soit purgée;

b.      le paragraphe 128(3) de la LSCMLC prévoit que la peine est purgée, pour les besoins d’une mesure de renvoi, dès l’octroi de la SL ou d’une PSSE;

c.       la date initiale d’admissibilité à une SL et à une PSSE du délinquant condamné à une peine avant l’entrée en vigueur de la LIPR demeure inchangée, celle‑ci n’étant pas retardée jusqu’à la date de son admissibilité à une libération conditionnelle totale; le délinquant dans cette situation est aussi sujet à renvoi par application du paragraphe 128(3) dès l’octroi d’une SL ou d’une PSSE;

d.      pour ce qui est des délinquants condamnés à une peine avant l’entrée en vigueur de la LIPR en 2002 qui sont visés par une mesure de renvoi, le paragraphe 128(4) de la LSCMLC reporte l’admissibilité à une SL et à une PSSE jusqu’à l’admissibilité à une libération conditionnelle totale;

e.       le paragraphe 128(6) de la LSCMLC restreint l’application du paragraphe 128(4), en ce sens qu’il ne s’applique pas lorsqu’une mesure de renvoi ne peut être appliquée à cause d’un sursis légal qui n’est pas attribuable à la peine infligée au délinquant.

 

[11]           Le paragraphe 128(4) a pour conséquence que les délinquants étrangers visés par une mesure de renvoi ne sont pas admissibles à une SL ou à une PSSE avant d’être admissibles à une libération conditionnelle totale. Comme sa peine a été prononcée avant l’entrée en vigueur de la LIPR, le demandeur échappe à cette conséquence. Il est donc demeuré admissible à une SL ou à une PSSE avant son admissibilité à une libération conditionnelle totale. Toutefois, il est toujours sujet à renvoi du Canada par suite de toute forme de libération. Ce régime demeure le fondement essentiel de la contestation constitutionnelle.

 

[12]           Le demandeur affirme que ce régime viole les droits que lui garantit la Charte. Au cœur de cet argument, il y a l’idée que la CNLC refuse d’accorder quelque forme de libération conditionnelle que ce soit sauf si elle considère le délinquant comme un candidat à la libération conditionnelle totale. Le demandeur soutient que, sans la disposition qui prescrit que sa peine est réputée purgée, la CNLC serait encline à accorder une forme quelconque de libération conditionnelle, qu’il aurait le droit de demander avant d’être admissible à une libération conditionnelle totale. Il s’ensuit, selon le demandeur, que les ressortissants étrangers se voient refuser les bénéfices d’une libération graduelle et d’une réintégration dans la société. Ce refus augmente à son tour le risque de récidive, ce qui met en cause les droits que lui garantissent les articles 7 et 9 de la Charte. Il prétend que le régime en question porte atteinte aux articles 7, 9, et 15 de la Charte.

 

Absence de fondement factuel étayant les arguments fondés sur la Charte

 

[13]           Les arguments du demandeur fondés sur la Charte ne peuvent être examinés sur le fond étant donné que le demandeur n’a pas établi leur fondement factuel. Dans l’avis de question constitutionnelle, le demandeur conteste la validité constitutionnelle ou l’applicabilité des paragraphes 128(3) et 99(1) de la LSCMLC, aux motifs que [traduction] « le régime législatif empêche une personne assujettie à une mesure de renvoi de bénéficier de certaines mesures de réhabilitation, à savoir la permission de sortir sans escorte et la semi‑liberté ».

 

[14]           Pour qu’il soit possible d’examiner les arguments du demandeur fondés sur la Charte, il faudrait d’abord qu’il prouve qu’on lui a refusé la SL ou la PSSE à cause de ces dispositions. Autrement dit, il doit établir qu’on lui a refusé ces formes de libération conditionnelle et que le motif de ce refus était qu’il serait dès lors visé par une mesure de renvoi en Jamaïque. Sans ce fondement factuel, tout argument que le demandeur pourrait formuler sur l’effet inconstitutionnel des paragraphes 128(3) ou 99(1) est hypothétique.

 

[15]           En juin 2008, la CNLC a refusé au demandeur la SL et la PSSE, non pas parce que cela entraînerait, dans les faits, son renvoi en Jamaïque et l’exempterait d’office de purger le reste de sa peine, mais parce qu’il n’était pas admissible à l’un ou l’autre des régimes de libération. Si son intention est de contester cette décision, il est beaucoup trop tard pour ce faire. Si, par ailleurs, il cherche à empêcher que la CNLC prenne la même décision à l’avenir, la demande est prématurée. D’une façon ou d’une autre, aucun fondement factuel n’étaye ses arguments.

 

[16]           La CNLC a estimé que le demandeur n’était pas un candidat admissible à l’un ou l’autre des régimes de libération conditionnelle, et ce, pour plusieurs raisons, notamment son refus persistant de reconnaître sa culpabilité, son absence de remords, ses antécédents d’infractions violentes contre ses partenaires intimes, l’évaluation faite par le Service correctionnel du Canada selon laquelle de nombreuses interventions ont été nécessaires, le fait qu’il représente un risque élevé de récidive en matière de violence familiale pour l’avenir, son refus de participer à un programme sur la violence familiale et son manque de coopération avec son équipe de gestion des cas (EGC). Bref, sa motivation et son potentiel de réintégration ont été jugés faibles, et sa remise en liberté présenterait un risque inacceptable.

 

[17]           La décision de la CNLC a été accueillie en appel par la Section d’appel de la CNLC. Comme le note le défendeur, le demandeur a reporté ou retiré toutes les autres demandes de SL ou de PSSE. De plus, il a demandé à plusieurs reprises de reporter son audience de libération conditionnelle totale automatique, à laquelle il est devenu admissible le 31 août 2011.

 

[18]           Selon la preuve déposée devant la Cour, le demandeur demeure un candidat non admissible à quelque forme de libération conditionnelle que ce soit. En préparation à l’audience de libération conditionnelle totale automatique, l’EGC du demandeur a effectué en février 2011 une mise à jour du plan correctionnel. L’EGC a constaté que le demandeur n’avait ni accepté la responsabilité de l’infraction pour laquelle il a été condamné, ni participé à des évaluations des risques ou des programmes de réhabilitation. L’EGC a noté qu’il n’avait fait aucun progrès sur le plan de la motivation ou de son potentiel de réintégration. L’EGC conclut qu’elle [traduction] « n’est pas favorable à une libération, qu’il s’agisse [d’une permission de sortir sans escorte,] d’une semi‑liberté, ou d’une libération conditionnelle totale ».

 

[19]           Dans le cadre d’une évaluation psychologique, il a été estimé que [traduction] « le risque de récidive [chez le demandeur] est probablement trop élevé pour considérer celui‑ci comme un candidat à la prélibération avant qu’il n’ait participé à des programmes visant à éliminer ses facteurs de risque ». L’élément de preuve le plus récent à cet égard montre que le demandeur a refusé d’aborder ou même de reconnaître tout incident de violence familiale passé, ce qui était une condition préalable à sa participation aux programmes.

 

[20]           Ainsi, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve montrant qu’on lui avait refusé la libération conditionnelle au motif que celle‑ci entraînerait son expulsion du Canada. La preuve, sans équivoque, indique plutôt qu’on lui a refusé la libération conditionnelle en raison de son refus d’accepter la responsabilité du meurtre dont il a été reconnu coupable et de participer aux programmes de réhabilitation recommandés. Autrement dit, on ne lui a pas refusé le bénéfice de la libération graduelle en raison de la loi, mais plutôt du fait de sa propre conduite.

 

[21]           En conclusion, l’argument fondé sur la Charte ne repose sur aucun fondement factuel. Il n’y a pas de lien entre le maintien en détention du demandeur et les dispositions de la LSCMLC que celui‑ci cherche à contester. Par conséquent, les faits ne justifient pas une contestation constitutionnelle des paragraphes 128(3) ou 99(1) de la LSCMLC, et la demande est rejetée.

 

[22]           Au cas où cette conclusion serait incorrecte, je vais néanmoins traiter des arguments fondés sur la Charte à titre subsidiaire.

 

La loi respecte la Charte

 

[23]           Le demandeur soutient que les paragraphes 99(1) et 128(3) de la LSCMLC portent atteinte aux droits que lui garantissent les articles 7, 9 et 15 de la Charte. L’effet de la loi est de refuser, à un ressortissant étranger reconnu coupable d’une infraction et sujet à une interdiction de territoire, l’accès à la société canadienne aux fins de la réhabilitation.

 

[24]           Ces dispositions forment manifestement un régime complet destiné à tenir compte des considérations de politiques découlant de l’interaction entre la LIPR et la LSCMLC et, plus particulièrement, à traiter de l’admissibilité à la libération conditionnelle des ressortissants étrangers purgeant une peine d’emprisonnement qui sont assujettis à une mesure de renvoi. Comme le fait valoir le procureur général, ces dispositions visent à déterminer le moment, au titre de l’admissibilité à la libération conditionnelle des délinquants canadiens, où il serait équitable de mettre en liberté des ressortissants étrangers, eu égard aux objectifs de l’alinéa 3(1)h) de la LIPR, soit de garantir la sécurité de la société canadienne, et de l’alinéa 3(1)i), soit de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité.

 

[25]           Le régime législatif reflète également le fait que les ressortissants étrangers, une fois expulsés du Canada, ne sont assujettis à aucune forme de supervision par les autorités canadiennes. L’objectif de la promotion de la justice et de la sécurité à l’échelle internationale prescrit par le législateur à l’alinéa 3(1)i) de la LIPR ne serait pas servi si on expulsait les ressortissants étrangers immédiatement après leur condamnation. En mettant ces considérations en balance, le législateur a décidé que la date de l’admissibilité à la PSSE, à la SL, à la libération d’office ou, dans les cas postérieurs à 2002, à la libération conditionnelle totale serait la date à laquelle la peine du ressortissant étranger serait réputée être purgée. Cela permet d’éviter le résultat incongru suivant : le délinquant étranger ne serait assujetti à aucune supervision à son retour au pays natal, alors que le délinquant canadien demeurerait assujetti à des mécanismes de contrôle et de supervision.

 

[26]           L’argument du demandeur relatif aux articles 7, 9 et 15 de la Charte suppose un droit légitime de demeurer au Canada et d’avoir accès à la société canadienne. Il procède donc d’un fondement juridique qui a été catégoriquement rejeté par la Cour suprême du Canada (CSC). Seuls les citoyens ont le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711. Le législateur a le droit de prescrire les circonstances dans lesquelles les ressortissants étrangers qui sont condamnés au Canada seront expulsés du pays.

 

[27]           Bien qu’il fasse partie du régime législatif relatif au système correctionnel, le paragraphe 128(3) de la LSCMLC concerne l’interaction entre les politiques correctionnelles et les politiques d’immigration, en particulier lorsqu’un ressortissant étranger reconnu coupable d’une infraction doit être expulsé du Canada. Comme le demandeur n’a pas le droit de rester au Canada, il n’a pas le droit d’avoir accès à la société canadienne aux mêmes conditions que les citoyens canadiens. Partant, la décision du législateur de lier le renvoi à l’expiration de la peine, soit la première date à laquelle le délinquant est admissible à une forme quelconque de libération conditionnelle, ne soulève aucune question liée à la Charte. De même, les objectifs de la promotion de la sécurité sur le plan international sont servis par le maintien en détention du délinquant jusqu’à la date de son admissibilité à la libération conditionnelle. Si le délinquant était expulsé immédiatement après sa condamnation, il purgerait une peine plus courte que celle qui est infligée à un Canadien condamné pour le même crime. Les objectifs de la détermination de la peine, à savoir la dissuasion spécifique et générale, seraient compromis. Les objectifs de cohérence et de logique sont atteints étant donné qu’on évite qu’un délinquant canadien continue de faire l’objet d’une supervision, alors qu’un ressortissant étranger, une fois expulsé, serait quant à lui dispensé de toute supervision.

 

L’article 7

 

[28]           Le demandeur soutient que dans les faits, on lui refuse les bénéfices de la SL ou de la PSSE au motif qu’il est sujet à un renvoi si on lui octroie l’une ou l’autre de ces formes de libération. Cet argument présume à tort de l’existence d’un droit à ces bénéfices. Le demandeur est détenu en raison de sa condamnation et de la peine qui lui a été infligée pour meurtre au second degré. La poursuite de sa détention est une conséquence des décisions prises par la CNLC, qui lui refuse la SL et la PSSE. Rien ne semble indiquer que l’une ou l’autre de ces décisions ait été prise d’une manière contraire aux principes de justice fondamentale.

 

[29]           Comme cela a été le cas dans l’arrêt Chiarelli, le demandeur a violé une condition essentielle pour demeurer au Canada. Le demandeur a été reconnu coupable de meurtre; à ce titre il est interdit de territoire pour grande criminalité. L’expulsion concrétise cette réalité juridique. Elle ne prive le demandeur de rien qu’il n’ait déjà perdu par sa propre conduite. Dans l’arrêt Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 RCS 539, la CSC a statué que l’expulsion d’un non‑citoyen ne peut à elle seule mettre en cause la liberté et la sécurité garanties par l’article 7. L’argument lié à l’article 7 est sans fondement.

 

L’article 9

 

[30]           Le demandeur avance que le refus de lui accorder la PSSE et de la SL constitue une détention arbitraire en ce qu’elle l’empêche [traduction] « de faire ses preuves dans le cadre d’une libération graduelle » et l’oblige donc à demeurer incarcéré « indéfiniment », jusqu’à ce que la CNLC le juge admissible à une libération conditionnelle totale.

 

[31]           La réintégration est un processus continu qui commence immédiatement après l’incarcération et se poursuit jusqu’à la libération complète. La PSSE et la SL ne sont qu’un aspect du processus. Le demandeur a accès à des programmes destinés à sa réhabilitation, programmes auxquels il a refusé de participer.

 

[32]           De plus, le demandeur n’est pas détenu en application des paragraphes 99(1) et 128(3) de la LSCMLC. Le demandeur demeure en détention en raison de la décision de la CNLC de refuser de lui accorder la SL ou la PSSE. Bien qu’admissible à ces régimes de libération conditionnelle, il n’était pas un candidat adéquat. Le processus n’a rien d’arbitraire et les décisions de la CNLC ont été prises sur la foi d’une preuve solide.

 

[33]           Enfin, pour ce qui est du paragraphe 128(3), le législateur a déterminé que les ressortissants étrangers doivent purger une portion minimale de leur peine. Comme il a été noté, il n’y a rien d’arbitraire à ce que les ressortissants étrangers se voient refuser la libération conditionnelle. Au contraire, ce choix a un lien rationnel avec les objectifs de détermination de la peine, qui s’inscrivent dans un contexte juridique global où le délinquant n’a pas le droit de rester au Canada. L’argument relatif à l’article 9 est mal fondé.

 

L’article 15

 

[34]           L’essentiel de l’argument du demandeur fondé sur l’article 15 de la Charte est que, contrairement aux citoyens canadiens reconnus coupables d’une infraction grave en vertu du Code criminel, on lui refuse, en vertu de la LSCMLC, le bénéfice d’une réintégration graduelle dans la société, augmentant ainsi le risque de récidive et de réincarcération. Le demandeur prétend que les paragraphes 99(1) et 128(3) de la LSCMLC s’attachent, dans leur but et leur objet, à la politique correctionnelle, et non à son statut de ressortissant étranger. Cette façon de considérer le paragraphe 128(3) permet d’éluder les arrêts Chiarelli et Medovarski.

 

[35]           Bien qu’il soit instructif de déterminer qu’une loi ou ses dispositions spécifiques visent un objectif particulier de politique, sa constitutionnalité n’est pas établie d’autant. Il est rare que les enjeux de politiques, dans la société complexe dans laquelle nous vivons, soient unidimensionnels ou qu’ils fassent appel à un seul cadre d’analyse. En l’espèce, la pertinence de cette observation est manifeste vu les éléments qui se recoupent, à savoir des aspects de la politique correctionnelle et de la politique d’immigration ainsi que le souci de cohérence entre le traitement réservé aux Canadiens et celui réservé aux ressortissants étrangers en matière de libération conditionnelle, et l’objectif de politique étrangère du Canada concernant la promotion de la sécurité sur le plan international.

 

[36]           Il vaut mieux, plutôt que de s’attacher à catégoriser la loi comme étant d’un « type » ou d’un autre, adopter une approche tenant compte de la portée et de la nature de la protection constitutionnelle en cause, soit en l’espèce celle que confère l’article 15.

 

[37]           La CSC a statué, dans l’arrêt Chiarelli, que l’article 6 permettait au Parlement d’établir une distinction entre les citoyens et les non‑citoyens en définissant les conditions de leur droit d’entrer au Canada et d’y rester. Compte tenu de cette assise juridique, le Parlement ne discrimine pas au sens de l’article 15 lorsqu’il oblige un délinquant à purger sous garde une portion minimale de sa peine avant de faire l’objet d’une mesure de renvoi. Certes, une distinction est faite, mais elle n’est pas discriminatoire. Le raisonnement du juge d’appel Pratte dans l’arrêt Chiarelli c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF) [1990] ACF no 157, a été retenu par la CSC dans l’arrêt Chiarelli et est juste :

La Charte reconnaît donc implicitement le pouvoir du Parlement d’établir une distinction entre les citoyens canadiens et les résidents permanents en imposant des limites aux droits des résidents permanents de résider au Canada. En exerçant ce pouvoir, le gouvernement n’est pas coupable de discrimination au sens de l’article 15. La situation serait différente si le Parlement ou une assemblée législative provinciale voulait établir une distinction entre les résidents permanents et les citoyens à un autre niveau qu’à celui de la détermination des limites des droits des résidents à demeurer au pays.

 

 

[38]           Le paragraphe 128(3), en cause en l’espèce, vise à déterminer le moment où un ressortissant étranger sera expulsé du Canada. Bien que cet objectif et sa réalisation relèvent du volet correctionnel, cela ne signifie pas que le principe juridique sous‑jacent, énoncé dans l’arrêt Chiarelli, soit vicié ou écarté. Comme je l’ai noté, les choix de politiques peuvent rarement se classer dans des catégories déterminées et la jurisprudence relative à la Charte n’exige pas qu’un objet unique soit attribué aux lois, contrairement à ce qu’affirme le demandeur.

 

[39]           En tout état de cause, aucune violation n’a été établie. Toutes les distinctions ne sont pas discriminatoires. Dans l’arrêt Withler c Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 RCS 396, au paragraphe 31, le juge en chef McLachlin écrit :

L’égalité n’est pas une question de similitude, et le par. 15(1) ne garantit pas le droit à un traitement identique. Il garantit plutôt à chacun le droit d’être protégé contre toute discrimination. Par conséquent, pour établir une violation du par. 15(1), une personne « doit démontrer non seulement qu’[elle] ne bénéficie pas d’un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur [elle] en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu’elle offre, mais encore que la loi a un effet discriminatoire sur le plan législatif » (Andrews, p. 182; Bande et nation indiennes d’Ermineskin, par. 188; Kapp, par. 28).

 

 

[40]           Il faut établir l’existence d’une injustice réelle, et à cette fin procéder à une analyse contextuelle et non formaliste, tenant compte de la situation concrète du groupe et de la possibilité que la loi contestée empire sa situation; Withler, au paragraphe 37. Par conséquent, la question est de savoir si les paragraphes 99(1) et 128(3) portent atteinte au droit à l’égalité réelle; Withler, au paragraphe 39 :

L’égalité réelle, contrairement à l’égalité formelle, n’admet pas la simple différence ou absence de différence comme justification d’un traitement différent. Elle transcende les similitudes et distinctions apparentes. Elle demande qu’on détermine non seulement sur quelles caractéristiques est fondé le traitement différent, mais également si ces caractéristiques sont pertinentes dans les circonstances. L’analyse est centrée sur l’effet réel de la mesure législative contestée, compte tenu de l’ensemble des facteurs sociaux, politiques, économiques et historiques inhérents au groupe. Cette analyse peut démontrer qu’un traitement différent est discriminatoire en raison de son effet préjudiciable ou de l’application d’un stéréotype négatif ou, au contraire, qu’il est nécessaire pour améliorer la situation véritable du groupe de demandeurs.

 

 

[41]           En somme, le simple constat de différences n’emporte pas une conclusion de discrimination. Comme le demandeur n’a pas le droit de rester au Canada, il ne peut y avoir de traitement différent. Un citoyen canadien a le droit de rester au Canada. Par conséquent, un ressortissant étranger et un ressortissant canadien ne peuvent, aux fins de l’article 15 de la Charte, être comparés. On ne saurait s’en tenir à une comparaison formelle entre des groupes aux caractéristiques identiques, en l’espèce, entre un Canadien et un ressortissant étranger purgeant une peine à perpétuité. Il faut procéder à une analyse contextuelle visant à déterminer si la mesure perpétue un stéréotype négatif ou un désavantage. Les dispositions en cause ne répondent pas ce critère. Pour ce qui est du renvoi immédiat du Canada ou de la parité de traitement avec les Canadiens, les dispositions ne créent pas une injustice réelle.

 

[42]           La question de l’égalité est nécessairement contextuelle, et le statut juridique d’un ressortissant étranger fait partie du contexte. L’argument du demandeur fondé sur l’article 15 invite pour l’essentiel la Cour à adopter une approche décontextualisée et à ignorer ce statut juridique. Un examen en vase clos des droits que l’article 15 garantit au demandeur, faisant abstraction des attributs juridiques d’un ressortissant étranger, serait incompatible avec le cadre analytique de cette disposition.  

 

[43]           Qui plus est, le demandeur ne se voit pas refuser les avantages de la PSSE et de la SL du fait de sa citoyenneté, mais plutôt du fait de sa citoyenneté combinée à sa condamnation pour meurtre au second degré. La grande criminalité n’est pas une caractéristique personnelle immuable.

 

[44]           Quoi qu’il en soit, même si la question préliminaire de la distinction discriminatoire était établie, les dispositions sont sauvegardées par l’article premier. Le paragraphe 128(3) de la LSCMLC fait partie de la structure d’un régime visant à déterminer le moment où un ressortissant étranger devrait être expulsé. Il lie le renvoi au moment où le délinquant a fini de purger sa peine et il dispose que la peine est réputée purgée lorsque le prisonnier se voit octroyer une forme quelconque de libération conditionnelle. Ce dernier pourrait être expulsé immédiatement après sa condamnation, mais le Parlement, en mettant ces considérations en balance, a différé cette expulsion jusqu’à l’octroi de la libération conditionnelle. Les objectifs de dissuasion spécifique et générale sont servis et l’objectif de la LIPR relatif à la promotion de la sécurité à l’échelle internationale est renforcé.

 

[45]           L’argument relatif à l’article 15 est mal fondé.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    T‑1385‑11

 

INTITULÉ :                                                  JOHN McLEOD c
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 19 juin 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 novembre 2012

 

 

 

Comparutions :

 

Fergus J. (Chip) O’Connor

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jeffrey G. Johnston

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fergus J. (Chip) O’Connor
Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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