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Date : 20121119

Dossier : T‑300‑12

Référence : 2012 CF 1336

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

NATION GITXAALA

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DES TRANSPORTS,
DE L’INFRASTRUCTURE ET DES
COLLECTIVITÉS ET
NORTHERN GATEWAY PIPELINES
LIMITED PARTNERSHIP

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande a été introduite par la Nation Gitxaala pour obtenir un recours extraordinaire contre le ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (le ministre) et la Northern Gateway Pipelines Limited Partnership, relativement à l’examen réglementaire en cours du projet de pipeline Northern Gateway (le projet Gateway). La Nation Gitxaala, une bande d’Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, soutient que la Couronne fédérale a contrevenu à son obligation de consulter en l’excluant du processus d’examen interministériel fédéral des facteurs touchant la sécurité maritime lié au projet Gateway, connu sous le nom de processus d’examen TERMPOL ou PET.

 

[2]               Pendant l’instruction de la présente affaire à Vancouver, le comité d’examen TERMPOL a conclu ses travaux et rédigé un rapport. La Nation Gitxaala sollicite une ordonnance annulant le rapport issu du PET et enjoignant au ministre défendeur de rouvrir le processus afin de permettre une consultation sérieuse. Les préoccupations de la Nation Gitxaala concernant la consultation sont formulées dans les extraits suivants de son avis de demande :

[traduction] Le projet Gateway proposé, et en particulier sa composante maritime, empiète possiblement sur les droits revendiqués par la Nation Gitxaala en vertu de l’article 35. À ce titre, la Couronne a l’obligation constitutionnelle de nous consulter avant de décider d’approuver ou non ledit projet.

 

Bien que la Nation Gitxaala prenne part, en qualité d’intervenante, à la Commission conjointe, la Couronne n’est pas pour autant entièrement libérée de l’obligation de la consulter au sujet du projet Gateway. Le PET du projet Gateway, et en particulier le rapport qui sera élaboré et remis à la Commission conjointe et aux autorités responsables, est une composante essentielle de l’évaluation du projet Gateway en ce qui a trait aux routes maritimes. La Commission conjointe ne reprendra pas les travaux du PET du projet Gateway. Cette commission et Transports Canada s’appuieront sur le rapport pour décider d’approuver ou non le projet Gateway et, si oui, sous quelles conditions.

 

Pour s’assurer que la Nation Gitxaala ait été consultée sur le projet Gateway de manière sérieuse et efficace, la Couronne doit consulter la Nation Gitxaala le cadre du PET du projet Gateway et au stade de l’élaboration du rapport. Le fait que la Nation Gitxaala ait été exclue jusqu’à présent du PET par Transports Canada est un manquement à l’obligation de consulter incombant à la Couronne.

 

[3]               Les défendeurs soutiennent que le processus de consultation est en cours, et qu’il s’inscrit dans le contexte des travaux actuels de la Commission conjointe (la CC) établie aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37, conformément au cadre de consultation autochtone négocié avec les Premières nations touchées par le projet Gateway. Par conséquent, les défendeurs affirment que la Nation Gitxaala et toutes les autres Premières nations concernées auront amplement la possibilité d’être entendues et d’obtenir des concessions, et qu’il est prématuré que la Cour intervienne à ce stade relativement peu avancé du processus.

 

            Le projet Gateway

[4]               La Northern Gateway Pipeline Limited Partnership (la Gateway Partnership) propose de construire et d’exploiter des pipelines doubles qui transporteraient à la fois du pétrole et du condensat le long d’un corridor de 1 172 km allant de Bruderheim, en Alberta, à Kitimat, en Colombie‑Britannique.

 

[5]               À Kitimat, la Gateway Partnership a l’intention de construire un site de stockage et un terminal en vue de l’exportation de pétrole et de l’importation de condensat par pétroliers. Les coûts de ces travaux sont estimés à plus de 5,5 milliards de dollars.

 

[6]               Une fois les travaux terminés, la Gateway Partnership s’attend à ce que le projet Gateway permette l’exportation de 30 millions de tonnes de pétrole brut et l’importation de 11 millions de tonnes de condensat, moyennant un transit annuel de 250 pétroliers.

 

[7]               Deux grandes voies de navigation mènent à Kitimat. La route intercôtière du sud commence à l’entrée Caamaño et se poursuit vers le nord dans le chenal de Douglas. La route intercôtière du nord passe par le chenal Principe à l’extrémité nord de l’île Banks et croise la route méridionale à l’ouest de l’île Gil. La voie maritime combinée se prolonge alors au nord dans le chenal de Douglas, à l’extrémité duquel se trouverait le terminal Kitimat proposé.

 

            La Nation Gitxaala

[8]               Il ne fait aucun doute que le peuple de la Nation Gitxaala serait touché de manière importante si le projet Gateway recevait le feu vert. Leur chef élu, Elmer Moody, a expliqué leurs intérêts dans un affidavit. Cette preuve n’a pas été contestée.

 

[9]               La Nation Gitxaala occupe 21 réserves au sens de la Loi sur les Indiens, situées sur un grand archipel au sud‑ouest de Prince Rupert. La plupart de ces réserves sont immédiatement adjacentes aux voies maritimes proposées pour desservir le terminal occidental du pipeline du projet Gateway à Kitimat (voir la carte jointe aux présents motifs).

 

[10]           La principale réserve résidentielle de la Nation Gitxaala (Lach Klan) se trouve sur l’île Dolphin, près de l’entrée de la voie de navigation à l’extrémité nord du chenal Principe. D’après le chef Moody, un grand nombre d’autres réserves de la Nation Gitxaala sont occupées, du moins de manière saisonnière, pour faciliter la récolte d’une grande variété de ressources marines, comme le flétan, la morue, le crabe, l’ormeau, le saumon, le varech, le vivaneau rouge, les praires, les coques européennes, le concombre de mer, le hareng, les œufs de poissons et divers oiseaux, œufs et mammifères marins. Si ces ressources assurent la subsistance, la capacité de récolter et de partager ces sources alimentaires traditionnelles est à la base de nombreuses et anciennes pratiques relatives à la culture et à la gouvernance de la Nation Gitxaala.

 

[11]           Keith Lewis est un membre de la Nation Gitxaala qui a passé l’essentiel de sa vie à Lach Klan. Il appartient à l’un des quatre clans de cette nation, le clan Ganhada (Corbeau). M. Lewis a commencé à pêcher avec son grand‑père à l’âge de sept ans. Il a appris au fil des ans les traditions et les pratiques gitxaala de récolte. Son affidavit atteste l’importance de la récolte marine pour sa famille et pour le peuple la Nation Gitxaala :

[traduction

16.       Comme adulte, j’ai toujours continué à récolter les ressources de la mer. Mon grand‑père, ma grand‑mère et mon père m’ont enseigné beaucoup de choses à ce sujet qui me servent toujours.

 

17.       La récolte marine fait partie de mon identité gitxaala. Bien que certains moyens technologiques aient évolué avec les années, nous, les Gitxaala, récoltons les mêmes espèces aux mêmes endroits depuis d’innombrables générations. Les Gitxaala apprennent que leurs ancêtres ont exploité le territoire gitxaala avant tout autre peuple; cela fait partie de notre adawx (histoire orale). La récolte des ressources marines sur l’ensemble de notre territoire est l’un des éléments les plus importants de notre histoire et de notre culture; c’est ce qui nous a permis de survivre et de prospérer pendant si longtemps comme nation. Lorsque je récolte aujourd’hui les ressources marines pour les mêmes raisons que mon grand‑père et ma grand‑mère le faisaient, et leurs ancêtres avant eux, je suis notre culture traditionnelle. C’est notre moyen de subsistance et notre façon de rester proches de notre histoire et du monde naturel.

 

18.       Le produit de ma récolte fournit plus de la moitié des aliments consommés par ma famille de quatre personnes. Même si nous vivons à Prince Rupert, nous ne nous approvisionnons pas souvent au magasin, dont les aliments peuvent être très coûteux et pas aussi nutritifs. Grâce à ma récolte, je fournis de la nourriture à quatre autres foyers; je suis le seul fils de ma famille, je nourris donc mes grands‑parents, mes parents et la famille de deux mes sœurs. J’offre également une partie de ma récolte à des dames de Lach Klan qui n’ont personne pour faire ce travail.

 

 

[12]           Matthew Hill est un membre du clan Gitxaala Lasgeek (Aigle). Son affidavit présente le récit d’une riche histoire personnelle qui couvre plus de 50 ans de récolte marine sur tout le territoire gitxaala traditionnel. Sa preuve concorde avec celles de M. Lewis et du chef Moody.

 

[13]           L’affidavit de M. Hill contient aussi une critique assez détaillée du rapport issu du PET. Il relève notamment un certain nombre d’omissions ou de déficiences concernant l’emplacement de zones de pêche et de récolte à risques. Il signale également plusieurs dangers connus liés à la navigation qui ont été négligés d’après lui dans le rapport. Par ailleurs, il critique la manière dont les risques inhérents à l’augmentation du trafic des pétroliers près des zones de pêche active y sont traités. Dans son affidavit, M. Hill fait valoir que les connaissances locales des résidents des Premières nations sont cruciales pour prendre l’entière mesure des risques maritimes que le Comité d’examen TERMPOL était chargé d’étudier.

 

[14]           Il ressort clairement de la preuve présentée à la Cour que depuis des milliers d’années, la Nation Gitxaala occupe les terres et utilise les ressources marines de la région intercostale par laquelle transiteraient les pétroliers desservant le terminal du projet Gateway à Kitimat. Les intérêts de la Nation Gitxaala risquent donc d’être grandement touchés pendant la durée de vie du projet Gateway. Les membres de cette nation se préoccupent naturellement des risques potentiels de pollution associés au projet et des conflits que ne manquera pas de créer l’incursion des pétroliers dans des régions réservées à leurs pratiques traditionnelles.

 

[15]           Les deux défendeurs reconnaissent que l’intérêt de la Nation Gitxaala touchant la protection de son territoire ancestral et de ses pratiques traditionnelles mérite d’être pris en compte. Ils conviennent également que cet intérêt est suffisamment important pour que l’obligation de la part de la Couronne d’effectuer des consultations approfondies soit engagée.

 

            Le contexte réglementaire

[16]           Il ressort clairement du dossier que le gouvernement du Canada a désigné le processus de la CC comme la première étape de consultation. Comme le gouverneur en conseil (GC) détient le pouvoir décisionnel ultime à l’égard du projet Gateway, le gouvernement du Canada reconnaît aussi que son devoir de consultation va au‑delà des travaux de la CC et qu’une phase finale de consultation approfondie avec les Premières nations intéressées sera nécessaire. La seule question à trancher dans le cadre de la présente instance est de savoir si ces mesures sont assez fermes pour rendre encore possible une consultation sérieuse. La Nation Gitxaala soutient qu’elle aurait dû être consultée plus tôt, de manière à ce que les lacunes relevées dans le rapport issu du PET puissent être abordées et corrigées. D’après la Nation Gitxaala, l’importance et l’influence de ce rapport sont telles qu’aucun engagement pris à un stade ultérieur du processus d’examen et de consultation ne saurait venir à bout des prétendues lacunes de l’analyse du Comité du PET.

 

[17]           Pour bien comprendre les arguments avancés par les parties, il est important de comprendre les processus réglementaires engagés en parallèle avec le cadre proposé par le gouvernement  pour la consultation des Premières nations.

 

            Le PET

[18]           D’après l’affidavit de Michael Henderson, directeur régional (région du Pacifique) de Transports Canada, le PET est une évaluation technique volontaire, non imposée par la loi, effectuée par un certain nombre d’autorités et de ministères fédéraux et d’autres conseillers désignés. L’objectif du PET est décrit en ces termes dans le Code TERMPOL de 2001 (le Code du PET) :

Le PET a pour but d’évaluer objectivement la sécurité des opérations des navires, la sécurité des routes et les questions de gestion et de respect de l’environnement relatives à l’emplacement, à la construction et à l’exploitation d’un terminal maritime de manutention d’hydrocarbures, de produits chimiques et de gaz liquéfiés en vrac ou d’autres marchandises identifiées par la DGSMTC, ou à la désignation et à l’exploitation d’un site de transbordement pour ces marchandises ou pour toute autre substance présentant des risques pour la sécurité du public ou l’environnement. Une évaluation effectuée selon les procédures et les méthodes du PET permet à un comité interministériel d’identifier les problèmes potentiels et de recommander les mesures à prendre pour les corriger.

 

 

[19]           D’après le Code du PET, un rapport découlant de ce processus ne peut pas remplacer les exigences législatives applicables. Le processus est amorcé par le promoteur du projet et suit la méthodologie décrite dans le Code du PET. Le promoteur du projet doit produire des enquêtes, des études et des données techniques se rapportant à un certain nombre de considérations liées à la sécurité maritime, comme le trafic maritime, les opérations de pêche, l’analyse des routes, la navigabilité, les autorisations, les spécifications des navires, les systèmes de fret et de transbordement, la manœuvre des navires, le mouillage, l’accostage, les opérations du terminal et la mise sur pied de plans d’urgence. Ces informations sont ensuite analysées et un rapport est produit.

 

[20]           Le Code du PET stipule d’ailleurs que ce rapport ne constitue pas un énoncé de politique gouvernementale et qu’il n’est pas contraignant : il représente plutôt l’opinion des représentants ministériels qui ont pris part à son élaboration. Un rapport issu du PET vise d’abord à formuler des recommandations, comme il est indiqué tout au long du Code du PET, notamment dans l’extrait suivant :

Il faut comprendre, cependant, que le rôle du MPO, de la GCC et de la DGSMTC en matière de réglementation est indépendant du rôle qu’ils jouent dans le cadre du PET, qui est essentiellement un processus d’examen des données et des opérations. Les conclusions et les recommandations présentées dans un rapport TERMPOL ne libèrent pas le promoteur de l’obligation de se conformer aux exigences législatives et réglementaires applicables des lois et des règlements fédéraux et provinciaux traitant de la sécurité de la navigation et de la protection de l’environnement. Les principales lois sont les suivantes :

 

Loi sur la marine marchande;

• Loi sur la protection des eaux navigables;

• Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques;

• Loi canadienne sur la protection de l’environnement;

• Loi canadienne sur l’évaluation environnementale;

• Loi sur le transport des marchandises dangereuses;

• Loi sur les pêches;

• Loi sur les océans;

• Loi maritime du Canada.

 

 

            Le PET se rapportant au projet Gateway

[21]           Le PET se rapportant au projet Gateway a été amorcé fin 2004, après quoi un Comité d’examen TERMPOL a été créé. En plus des représentants ministériels fédéraux, plusieurs conseillers techniques ont été invités à le rejoindre, notamment la Première nation des Haisla, le Conseil du village de Kitamaat, le district de Kitimat, la British Columbia Coast Pilots, la Chamber of Shipping of British Columbia et le Council of Marine Carriers. La Nation des Haisla et le Conseil du village de Kitamaat occupent des terres très près de l’emplacement proposé pour le terminal du projet Gateway.

 

[22]           D’après l’affidavit de M. Henderson, la Gateway Partnership a soumis ses études TERMPOL au Comité d’examen TERMPOL au début de 2010; le 23 février 2012, le Comité a rendu son rapport, intitulé TERMPOL Review Process Report on the Enbridge Northern Gateway Project. Le Comité d’examen TERMPOL concernant le projet Gateway a finalement conclu que, sous la forme proposée, ce projet ne se heurtait à aucun obstacle technique auquel on ne pouvait efficacement faire face[1].

 

[23]           Le rapport issu du PET, tout comme la preuve à l’appui, ont depuis été soumis à la CC. Tous ces éléments font maintenant partie du dossier de cette commission.

 

[24]           D’après les documents dont je dispose, la Nation Gitxaala a manifesté pour la première fois son désir de prendre part au PET dans une lettre datée du 27 juillet 2011 que son avocat a envoyée à Transports Canada. La Nation Gitxaala a demandé l’autorisation de participer au Comité d’examen TERMPOL, ou à défaut de cela, d’être consultée au sujet de ses préoccupations environnementales. Cette lettre est demeurée sans réponse pendant presque trois mois mais, le 12 octobre 2011, le ministre des Transports informait par lettre la Nation Gitxaala que ses préoccupations devaient être abordées dans le cadre de son intervention devant la CC. Dans la lettre, le ministre a justifié comme suit cette décision :

[traduction]

 

Le PET n’est pas un instrument réglementaire; ses dispositions ne sont pas contraignantes et les fonctions réglementaires des représentants fédéraux sont tout à fait distinctes de leurs fonctions au sein du PET. Ainsi, le PET ne supplante pas les exigences inhérentes à un processus d’évaluation environnementale aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, ou aux études d’impact sur la navigation aux termes de la Loi sur la protection des eaux navigables.

 

Comme vous le savez, l’évaluation environnementale effectuée dans le cadre du projet Northern Gateway tenait compte de la navigation maritime. Les études techniques se rapportant au PET ont été complétées et soumises à la Commission conjointe pour qu’elle formule des recommandations sur le projet. En tant qu’intervenante auprès de cette commission toujours en travaux, vous avez la possibilité de faire connaître votre avis sur ces études techniques, notamment de remettre en question les données qu’elles contiennent. Le Comité d’examen Termpol produira également un rapport fondé sur son analyse des études, qu’il présentera à la Commission. Ces documents seront rendus publics et des questions ou commentaires pourront être présentés dans le cadre du processus de la Commission.

 

Les membres du Comité se limitent normalement aux ministères et aux agences gouvernementales expressément visés par le projet proposé, ou plus généralement par la navigation maritime; cependant, les personnes ou les groupes disposant de renseignements techniques touchant le transport maritime peuvent prendre part au processus. Dans le cas du projet Northern Gateway, la nation des Haisla a été invitée à joindre le Comité puisque le terminal se situe tout près de leurs terres de réserve. Ci‑joint, vous trouverez la liste des membres du comité, à titre d’information.

 

Quant à vos préoccupations, elles peuvent être légitimement portées à l’attention de la Commission, qui est le principal mécanisme par lequel les groupes autochtones peuvent se renseigner sur le projet et transmettre au gouvernement fédéral leurs avis quant à son impact potentiel sur les pratiques traditionnelles et les droits autochtones. La mission de la Commission inclut l’évaluation de tous les facteurs mentionnés dans votre liste de préoccupations (voir en particulier le document publié par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale intitulé Portée des éléments dans le cadre du projet d’oléoduc Northern Gateway. Août 2009). J’encourage la Nation Gitxaala à soumettre ses préoccupations à l’attention de la Commission.

 

Pour ce qui est des questions procédurales évoquées dans votre lettre, le PET en est à sa phase finale, et le Comité prépare son rapport. Une fois complété, celui‑ci sera, comme je l’ai indiqué, rendu public par la Commission et se trouvera aussi sur le site Web de Transports Canada. Aucune autre étude n’a été demandée; toutefois, le Comité a demandé à Enbridge d’augmenter le nombre de navires pris en compte dans l’évaluation quantitative des risques de manière à représenter l’impact cumulatif du trafic maritime.

 

En ce qui a trait à la consultation, la Commission vous permettra de formuler vos commentaires et vos questions concernant l’ensemble des études et rapports réalisés dans le cadre du PET. Transports Canada encourage la Nation Gitxaala à transmettre ses questions et commentaires sur les études Termpol ou sur le rapport remis par le Comité à la Commission conjointe, une fois qu’il sera complété, de manière à ce qu’ils soient pleinement pris en compte dans l’examen et l’évaluation du projet Northern Gateway.

 

 

Les avocats de la Nation Gitxaala ont répondu au ministre en lui demandant quand le rapport issu du PET serait publié, et si cela allait se produire avant les dernières audiences de la CC. Cette lettre est apparemment restée sans réponse, mais la question de savoir si la Nation Gitxaala a souscrit ou acquiescé à la position du ministre n’est pas claire. Quoi qu’il en soit, la Nation Gitxaala n’a pas été invitée à prendre part aux travaux du Comité d’examen TERMPOL du projet Gateway et la présente demande découle de cette omission.

 

            Le processus de la CC

[25]           Comme nous l’avons déjà mentionné, le gouvernement fédéral doit approuver le projet Gateway au moyen d’une évaluation environnementale aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37, et en décidant, en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c N‑7, si le projet est ou sera d’utilité publique.

 

[26]           L’approbation du projet Gateway et l’émission d’un certificat d’utilité publique relèvent en dernier ressort du GC, qui agit sur la recommandation de l’Office national de l’énergie (ONÉ). L’analyse de ces considérations incombe en premier lieu à la CC sur le projet Gateway.

 

[27]           En février 2009, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) a fait une déclaration concernant l’approche du gouvernement quant à la consultation des Premières nations relativement au projet Gateway (la déclaration sur la portée des consultations). La portée des consultations y est présentée en ces termes :

[traduction]

 

Le gouvernement du Canada adoptera une approche pangouvernementale pour la consultation des Autochtones; les ministères fédéraux coordonneront leurs efforts dans le cadre du processus d’évaluation environnementale. L’approche de la Couronne fédérale en matière de consultation des peuples autochtones relativement à d’importants projets intéressant des ressources importantes repose sur le document intitulé « Consultation et accommodement des Autochtones – Lignes directrices provisoires à l’intention des fonctionnaires fédéraux pour respecter l’obligation de consulter » (AADNC/ministère de la Justice; février 2008, http://www.ainc‑inac.gc.ca/ai/mr/is/acp/intgui‑eng.asp)

 

S’agissant du projet Northern Gateway, la Couronne s’appuiera dans la mesure du possible sur les initiatives de consultation du promoteur et de la Commission conjointe (CC), pour s’acquitter de l’obligation de consulter. Plus précisément :

 

         Le promoteur contactera les groupes autochtones susceptibles d’être concernés et leur remettra l’information sur le projet et sur son impact potentiel. Il prendra note de leurs préoccupations, s’efforcera de composer avec elles à l’étape de la planification et de la conception initiale du projet, et fera état des problèmes non résolus au moment de son application. La CC peut obliger le promoteur à recueillir davantage de renseignements sur l’impact, les préoccupations des Autochtones et/ou les mesures d’atténuation, si nécessaire.

         En tant qu’organe chargé de faire des recommandations aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, la CC soumettra un rapport d’évaluation environnementale au ministre de l’Environnement et aux ministères fédéraux concernés; la réponse au rapport sera examinée par le gouverneur en conseil et, en cas d’approbation, sera prise en compte dans toutes les décisions fédérales subséquentes concernant les permis/autorisations.

         En tant que décideur aux termes de la Loi sur l’Office national de l’énergie, la CC examinera tous les éléments de preuve fournis par le promoteur, les groupes autochtones et autres tierces parties, afin de déterminer si le projet doit recevoir le feu vert et, le cas échéant, prévoir les mesures d’atténuation ou d’accommodement nécessaires en soumettant l’approbation du projet à certaines conditions.

 

Il est important que les groupes autochtones préoccupés par le projet participent au processus de la CEC pour s’assurer que les décideurs responsables tiennent compte de leurs doléances. La mission de la CC ne prévoit aucun processus distinct ou parallèle pour traiter ces questions.

 

La CC est le principal organe chargé des évaluations et des décisions se rapportant au projet; elle jouit d’une vaste mission en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie comme de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale pour traiter des problèmes liés au projet. La CC examinera et abordera toutes les questions et préoccupations des Autochtones se rapportant au projet et relevant de sa mission. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence), représentant la Couronne, mènera la consultation initiale sur l’entente relative à la CC et sur le rapport d’évaluation environnementale de la Commission. La réponse au rapport sera examinée par le gouverneur en conseil et, en cas d’approbation, sera prise en compte dans toutes les décisions fédérales subséquentes concernant les permis et autorisations. L’Agence sera l’organisme‑ressource de la Couronne pour les questions soulevées par des groupes autochtones qui se rapportent au projet, mais échappent à la mission de la CC.

 

Les phases de consultation prévues par la Couronne relativement au projet Northern Gateway sont résumées ci‑après :

 

Phase I : Phase préliminaire

 

L’Agence tiendra des consultations sur l’entente relative à la CC et fournira, de concert avec l’Office national de l’énergie (l’ONÉ), des renseignements sur leurs missions respectives et sur la CC.

 

Phase II : Avant l’audience

 

L’Agence et l’ONÉ continueront de fournir des renseignements sur la CC et d’encourager les groupes autochtones à y participer. L’Agence sera l’organisme‑ressource de la Couronne pour les questions soulevées par des groupes autochtones qui se rapportent au projet, mais échappent à la mission de la CC.

 

Phase III : Audience

 

Les groupes autochtones et les agences fédérales dont les responsabilités réglementaires sont engagées par le projet participeront à l’audience. L’Agence sera l’organisme‑ressource de la Couronne pour les questions soulevées par des groupes autochtones qui se rapportent au projet, mais échappent à la mission de la CC.

 

Phase IV : Rapport/Décision

 

Les consultations de la Couronne seront effectuées sur le rapport d’évaluation environnementale de la CC avant l’examen de la réponse par le gouverneur en conseil. L’Agence sera l’organisme‑ressource de la Couronne pour les questions soulevées par des groupes autochtones qui se rapportent au projet, mais échappent à la mission de la CC.

 

En vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie, la CC tiendra compte, au moment de rendre sa décision, de l’ensemble des questions et préoccupations pertinentes soulevées par les Autochtones durant l’audience. Si le projet est approuvé, la CC peut l’assortir de conditions pour atténuer tout impact négatif potentiel.

 

Phase V : Réglementation/Permis

 

S’il est établi que des consultations additionnelles concernant le projet sont requises à l’égard des permis ou autorisations qu’il appartient à d’autres ministères fédéraux de délivrer, la Couronne nommera un ministère fédéral pour mener les consultations nécessaires une fois complétée la phase d’évaluation environnementale.

 

 

[28]           En août 2009, l’ACEE a publié un document sur la portée des éléments[2]. Ce document proposait des lignes directrices en ce qui touche aux effets environnementaux du projet Gateway sur le milieu marin, en faisant expressément référence aux droits et intérêts autochtones :

Pour donner suite à l’orientation générale fournie dans le Chapitre 3 du Guide de dépôt concernant la consultation et le tableau A‑5 : Information exigée à l’égard des éléments socioéconomiques, le Promoteur précisera les terres, les eaux et les ressources ayant une valeur sociale, économique, archéologique, culturelle ou patrimoniale particulière pour les peuples autochtones, y compris les Métis, qui revendiquent leurs droits autochtones, notamment les titres et les droits issus de traités, ou par rapport auxquels les droits des Autochtones, y compris les titres et les droits issus de traités, ont été établis, et pourraient être touchés par les éléments du projet.

 

Le promoteur doit répertorier les activités traditionnelles, y compris les activités relatives à la collecte de nourriture, aux fins sociales, cérémoniales et à d’autres fins culturelles, relativement à de telles terres, eaux et ressources. La discussion portera sur l’utilisation actuelle de ces terres, eaux et ressources à des fins traditionnelles et sur les sites et les caractéristiques liés à ces utilisations. Le Promoteur doit fournir de l’information comprenant une description de la dépendance des aliments tirés de la nature sauvage et des récoltes destinées à d’autres fins, y compris la récolte de plantes à des fins médicinales. L’analyse comprendra la détermination des effets négatifs potentiels du Projet sur la capacité des générations actuelles ou futures de poursuivre des activités traditionnelles relatives à l’utilisation des terres. Le Promoteur déterminera les effets sur les droits et les intérêts Autochtones, y compris les droits issus de traités et l’utilisation actuelle des terres à des fins traditionnelles et définira les méthodes proposées pour gérer et atténuer de tels effets à un niveau acceptable. Le Promoteur inclura une discussion sur les découvertes archéologiques dans le secteur d’étude présentant un intérêt particulier pour les peuples Autochtones. Notamment, le Promoteur fournira une description des constatations de tout travail de reconnaissance préliminaire archéologique sur le terrain effectué à titre de composante d’une étude sur l’utilisation traditionnelle.

 

Les peuples Autochtones qui pourraient être touchés par le Projet, y compris par les éléments maritimes, seront identifiés. Ces peuples Autochtones comprennent ceux pour qui tout élément du projet proposé serait situé dans les limites de leur territoire traditionnel.

 

L’étendue géographique de l’analyse entreprise en vue d’aborder les considérations des peuples Autochtones sera décrite, appuyée de cartes, au besoin. Le secteur d’étude tiendra compte des territoires traditionnels de chaque groupe Autochtone concernant l’empreinte proposée des éléments maritimes du projet.

 

Un résumé des consultations effectuées, actuelles et proposées auprès des peuples Autochtones sera fourni. Le Promoteur fournira une description détaillée des consultations, en indiquant les préoccupations soulevées, la manière utilisée pour traiter ces préoccupations et toute préoccupation en suspens.

 

 

[29]           En octobre 2009, les agences et ministères fédéraux intéressés (notamment l’ONÉ et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) ont conclu un accord de projet visant à faciliter tous les aspects du processus d’examen fédéral, notamment à aider la Couronne à s’acquitter de l’obligation de consulter les groupes autochtones. L’accord intégrait la déclaration de l’ACEE sur la portée des consultations et précisait les rôles et responsabilités confiés aux divers agences et ministères fédéraux en vue de remplir l’obligation de consulter de la Couronne.

 

[30]           Le 5 novembre 2009, l’ACEE a invité par écrit les Premières nations touchées par le projet Gateway à participer à la CC. Cette lettre était adressée aux chefs des bandes des Premières nations concernées, y compris au chef Moody en sa qualité de représentant de la Nation Gitxaala. La lettre incluait aussi une proposition de soutien financier.

 

[31]           Dans l’ordonnance OH‑4‑2011 rendue le 5 mai 2011, la CC a expressément reconnu son rôle dans le processus de consultation fédérale des groupes autochtones.

 

[32]           D’après le dossier, la Nation Gitxaala a pleinement participé à la CC en tant qu’intervenante officielle; en date d’avril 2012, elle avait reçu à cette fin des fonds de 238 500 $ du gouvernement fédéral. En tant qu’intervenante, la Nation Gitxaala a le droit de contester la preuve soumise par d’autres parties et de présenter ses propres arguments pour défendre ses intérêts et droits. Pour faire valoir son opposition à plusieurs composantes du projet Gateway, la Nation Gitxaala s’est procuré ou a obtenu des éléments de preuve se rapportant à un certain nombre de questions examinées par le Comité d’examen TERMPOL, et qui concernent notamment la pollution, les mesures d’urgence, les conflits liés au trafic des pétroliers, le bruit et les points d’ancrage. De nombreuses autres Premières nations intéressées ont participé de la même manière à la CC. Ces groupes et leurs partisans représentent collectivement une force considérable qu’il est difficile d’ignorer.

 

[33]           Le processus de la CC est en cours, et les dernières audiences doivent débuter en avril 2013.

 

Les questions en litige

[34]           La Nation Gitxaala prétend que le processus de consultation est défectueux parce que la Couronne ne l’a pas invitée à prendre part aux travaux du Comité d’examen TERMPOL du projet Gateway. La Nation Gitxaala soutient aussi que cela est arrivé après la naissance de l’obligation de consultation de la Couronne et qu’il ne suffit pas, pour corriger le problème, qu’elle participe à la CC ou joue ensuite un rôle dans la consultation générale prévue avec le gouvernement fédéral. D’après la Nation Gitxaala, la solution consiste à rouvrir le PET pour lui permettre de soumettre des observations. Elle reconnaît que cette intervention ne permettrait pas nécessairement de modifier le rapport issu du PET, mais elle estime qu’elle est légalement en droit de présenter ses arguments devant le Comité d’examen TERMPOL.

 

Analyse

[35]           Comme nous l’avons vu, les défendeurs reconnaissent que le projet Gateway engage l’obligation de la Couronne d’effectuer des consultations approfondies avec la Nation Gitxaala et avec les autres Premières nations dont les intérêts seraient également touchés. Reste maintenant la question de savoir si le cadre de consultation proposé est suffisant d’un point de vue juridique.

 

[36]           Se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Première nation des Ahousaht c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2008 CAF 212, [2008] ACF no 946, et plus précisément sur le paragraphe 34, la Nation Gitxaala soutient que l’existence et l’étendue de l’obligation de consultation est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte :

34        […] la détermination de l’existence et de la portée de l’obligation de consulter ou d’accommoder est une question de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Toutefois, lorsque Sa Majesté a tranché correctement la question, sa décision ne sera annulée que si le processus de consultation et d’accommodement était déraisonnable. […]

 

 

[37]           S’appuyant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 62, [2004] 3 RCS 511 [Nation haïda], les défendeurs font valoir que la norme de contrôle appropriée est la raisonnabilité :

62        Le processus lui‑même devrait vraisemblablement être examiné selon la norme de la décision raisonnable. La perfection n’est pas requise; il s’agit de se demander si, « considéré dans son ensemble, le régime de réglementation [ou la mesure gouvernementale] respecte le droit ancestral collectif en question » : Gladstone, précité, par. 170. Ce qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite mais une mesure raisonnable. […]

 

 

[38]           Il est intéressant de noter que toutes les parties admettent que l’issue reste inchangée, quelle que soit en définitive la norme de contrôle. Pour la Nation Gitxaala, la conduite de la Couronne était à la fois incorrecte en droit et déraisonnable. Les défendeurs affirment le contraire.

 

[39]           Il me semble que la jurisprudence autorise la proposition suivante : s’il s’agit de savoir si le devoir de consulter est engagé, la question, en tant que point de droit, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Cependant, s’il s’agit de savoir si le cadre de consultation établi est suffisant (c’est‑à‑dire sérieux), il faut appliquer la norme de la raisonnabilité. En l’occurrence, les défendeurs reconnaissent que l’obligation de consulter est née au moins dès que la Gateway Partnership a demandé à la Couronne fédérale d’évaluer et d’approuver le projet. La seule question qu’il reste à trancher est donc de savoir si le cadre de consultation proposé et actuellement adopté par la Couronne peut être considéré comme une plateforme de consultation suffisante. Il s’agit d’une question de fait et de droit qui doit être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité : Première nation des Dénés Yellowknives c Canada, 2010 CF 1139, aux paragraphes 65 à 68, [2010] ACF no 1412.

 

[40]           L’argument de la Nation Gitxaala repose sur le principe reconnu selon lequel une consultation sérieuse est une consultation menée en temps opportun. Le devoir de consulter peut donc naître avant l’étape des décisions préliminaires si le terrain est propice à faire avancer les choses. La juge Anne Mactavish a fait une remarque en ce sens dans Bande des Dénés de Sambaa K’e c Duncan, 2012 CF 204, aux paragraphes 164 à 166, [2012] ACF no 216 :

163      Je ferais observer, d’entrée de jeu, que l’obligation de consulter s’applique aux décisions stratégiques prises en haut lieu qui sont susceptibles d’avoir des effets sur les revendications autochtones et les droits ancestraux, et ce, même si les effets en question sur les terres ou les ressources contestées ne sont pas immédiats (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 44).

 

164      Pour être sérieuses, les consultations ne sauraient être remises au tout dernier moment d’une série de décisions. Dès que des décisions préliminaires importantes ont été prises, il se peut fort bien que le terrain soit propice à un acte particulier susceptible de faire avancer les choses (Squamish Indian Band c. British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management), 2004 BCSC 1320, 34 B.C.L.R. (4th) 280, au paragraphe 75). On peut se trouver dans une telle situation même si les décisions préliminaires ne sont pas juridiquement contraignantes.

 

165      Il ressort d’ailleurs de la jurisprudence que ce n’est pas parce que les décisions préliminaires ne sont pas juridiquement contraignantes qu’il n’existe pas pour autant d’obligation de consulter. Par exemple, dans l’affaire Première Nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, 303 F.T.R. 106, il a néanmoins été jugé que les négociations conduisant à un plan de coopération non contraignant entraînaient une obligation de consulter qui se situait au haut du continuum.

 

 

[41]           Le juge Michael Phelan est parvenu à la même conclusion dans Première nation Dene Tha’ c Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, [2006] ACF no 1677, où il faisait observer que le devoir de consulter peut s’appliquer aux décisions de planification stratégique qui peuvent toucher les droits autochtones : voir aussi Nation haïda, précité, au paragraphe 76.

 

[42]           Dans Rio Tinto Alcan Inc c Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 RCS 650, la Cour suprême du Canada a décrit en détail les types de décisions ou de processus susceptibles de faire naître l’obligation de consulter. La question centrale est ici de savoir si la mesure en cause risque de porter atteinte aux revendications ou aux droits autochtones :

42        Deuxièmement, pour que naisse l’obligation de consulter, la mesure ou la décision de la Couronne doit mettre en jeu un droit ancestral éventuel. La mesure doit être susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou le droit en question.

 

43        Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir quelle mesure oblige le gouvernement à consulter. Il a été établi que cette mesure ne s’entend pas uniquement de l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi : Huu‑Ay‑Aht First Nation c. British Columbia (Minister of Forests), 2005 BCSC 697, [2005] 3 C.N.L.R. 74, par. 94 et 104; Wii’litswx c. British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139, [2008] 4 C.N.L.R. 315, par. 11‑15. Cette conclusion s’inscrit dans l’approche généreuse et téléologique que commande l’obligation de consulter.

 

44        En outre, une mesure gouvernementale ne s’entend pas uniquement d’une décision ou d’un acte qui a un effet immédiat sur des terres et des ressources. Un simple risque d’effet préjudiciable suffit. Ainsi, l’obligation de consulter naît aussi d’une [traduction] « décision stratégique prise en haut lieu » qui est susceptible d’avoir un effet sur des revendications autochtones et des droits ancestraux (Woodward, p. 5‑41 (italiques omis)). Mentionnons quelques exemples : la cession de concessions de ferme forestière qui auraient permis l’abattage d’arbres dans de vieilles forêts (Nation haïda), l’approbation d’un plan pluriannuel de gestion forestière visant un vaste secteur géographique (Khaloose First Nation c. Sunshine Coast Forest District (District Manager), 2008 BCSC 1642, [2009] 1 C.N.L.R. 110), la création d’un processus d’examen relativement à un gazoduc important (Première nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354 (CanLII), conf. par 2008 CAF 20 (CanLII)), et l’examen approfondi des besoins d’infrastructure et de capacité de transport d’électricité d’une province (An Inquiry into British Columbia’s Electricity Transmission Infrastructure & Capacity Needs for the Next 30 Years, Re, 2009 CarswellBC 3637 (B.C.U.C.)). La question de savoir si une mesure gouvernementale s’entend aussi d’une mesure législative devra être tranchée dans une affaire ultérieure : voir R. c. Lefthand, 2007 ABCA 206, 77 Alta. L.R. (4th) 203, par. 37‑40.

 

[…]

 

47        L’effet préjudiciable comprend toute répercussion risquant de compromettre une revendication autochtone ou un droit ancestral. Il est souvent de nature physique. Cependant, comme on l’a vu relativement à ce qui constitue une mesure de la Couronne, la décision prise en haut lieu ou la modification structurelle apportée à la gestion de la ressource risque aussi d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral, et ce, même si elle n’a pas d’[traduction] « effet immédiat sur les terres et les ressources » : Woodward, p. 5‑41. La raison en est qu’une telle modification structurelle de la gestion de la ressource peut ouvrir la voie à d’autres décisions ayant un effet préjudiciable direct sur les terres et les ressources. Par exemple, le contrat par lequel la Couronne cède à une partie privée la maîtrise d’une ressource risque de supprimer ou de réduire le pouvoir de la Couronne de faire en sorte que la ressource soit exploitée dans le respect des intérêts autochtones, conformément à l’honneur de la Couronne. Les Autochtones seraient alors dépouillés en tout ou en partie de leur droit constitutionnel de voir leurs intérêts pris en considération dans les décisions de mise en valeur, ce qui constitue un effet préjudiciable : voir l’arrêt Nation haïda, par. 72‑73.

 

 

Il convient également de noter que la Cour reconnaît dans cette décision que des atteintes antérieures à l’obligation de consulter « peu[vent] donner droit à diverses réparations ».

 

[43]           La Nation Gitxaala affirme que le rapport issu du PET a [traduction] « préparé le terrain » en vue de l’approbation du projet Gateway par la Couronne fédérale et de l’adoption des mesures d’atténuation que la CC pourrait finalement imposer. Comme le Comité d’examen TERMPOL a conclu que les risques inhérents au projet pouvaient être gérés, un « terrain propice » a été créé. La Nation Gitxaala prétend qu’elle a perdu l’occasion de contribuer à ce processus déterminant et, par conséquent, que le Comité d’examen TERMPOL a commis plusieurs erreurs qui ne peuvent plus être réellement corrigées. Cette omission d’inclure la Nation Gitxaala est également qualifiée [traduction] « d’irrespectueuse » et d’incompatible avec l’honneur de la Couronne.

 

[44]           La demande de réparation présentée par la Nation Gitxaala comporte un certain nombre de faiblesses fondamentales.

 

[45]           Il est vrai que le devoir de la Couronne d’effectuer des consultations approfondies relativement au projet Gateway est né depuis au moins le moment où le processus d’examen a été lancé, et donc avant que le Comité d’examen TERMPOL n’ait entamé ses travaux.

 

[46]           Pourtant, la question est de savoir si la Couronne était pour autant légalement tenue d’inviter la Nation Gitxaala à participer aux travaux du Comité d’examen TERMPOL, ou s’il suffisait, pour que l’obligation de consulter soit remplie, que la Nation Gitxaala se voie reconnaître la possibilité de participer pleinement à la CC puis de traiter directement avec la Couronne.

 

[47]           La Couronne doit s’acquitter de son devoir de consultation en temps opportun et de manière sérieuse, en servant l’objectif ultime de réconciliation. Le processus ne doit pas nécessairement être parfait, ni se conformer à un modèle ou à un protocole strict.

 

[48]           La Nation Gitxaala a relevé un certain nombre de lacunes ou d’erreurs dans le rapport issu du PET, et affirme qu’elle aurait pu les corriger si elle avait été consultée.

 

[49]           L’idée que le processus soit maintenant à un stade trop avancé pour tenir compte de ces préoccupations oblige la Cour à présumer que la CC n’envisagera pas avec un esprit ouvert les erreurs ou les lacunes contenues dans le rapport issu du PET. En d’autres termes, l’argument de la Nation Gitxaala repose sur la présomption selon laquelle la CC ne remplira pas ses obligations légales, et que les observations de la Nation Gitxaala, quoique valides, resteront lettre morte.

 

[50]           En fait, le dossier n’autorise pas une telle inférence. La Couronne a reconnu d’emblée son obligation de consulter tous les groupes autochtones susceptibles d’être touchés par le projet Gateway, y compris la Nation Gitxaala. Elle a également consulté les Premières nations concernées avant d’établir le cadre de travail dont elle se sert à présent pour respecter ses obligations à cet égard. La Nation Gitxaala et d’autres Premières nations ont bénéficié d’un financement important du gouvernement fédéral pour pouvoir intervenir efficacement; plusieurs d’entre elles, y compris la Nation Gitxaala, ont participé de manière significative aux travaux de la CC. La Couronne s’est également engagée à organiser une dernière consultation avec les groupes autochtones en réponse à la publication du rapport de la CC, avant que le GC ne prenne la décision de délivrer ou non un certificat de commodité et de nécessité publique.

 

[51]           Il me semble que le processus de la CC est un mécanisme assez fiable, et que les lacunes du rapport issu du PET peuvent être signalées par la Nation Gitxaala et prises en compte, le cas échéant, par la CC ou plus tard par le gouvernement du Canada. Je rejette l’argument de la Nation Gitxaala selon lequel les conclusions et recommandations résultant du PET sont à tel point déterminantes et indispensables pour l’issue finale qu’elles ne peuvent être réellement contestées. En l’espèce, les questions abordées dans le cadre du PET n’ont rien précipité. Le rapport consécutif n’est pas non plus une décision stratégique de haut niveau susceptible d’avoir un impact sur les intérêts à long terme de la Nation Gitxaala. Les conclusions et recommandations issues du PET reposent sur la preuve soumise principalement par la Gateway Partnership, elles peuvent être contestées et contredites par d’autres éléments de preuve ou en contre‑interrogatoire. Le poids qui leur est accordé est explicitement restreint par le Code du PET; par ailleurs, si des erreurs ou des omissions ont eu lieu, la Nation Gitxaala est bien placée pour les signaler et pour exiger des corrections. Après tout, le rapport issu du PET se veut d’abord une analyse technique reposant sur des données objectivement vérifiables. Si le Comité d’examen TERMPOL a ignoré ou négligé des éléments de preuve importants, il ne devrait pas être difficile de contester ses conclusions.

 

[52]           Finalement, la position de la Nation Gitxaala paraît être la suivante : les risques environnementaux liés au projet Gateway ne peuvent être réellement gérés en regard des dommages extrêmes qui résulteraient d’une importante marée noire. Cette question de nature essentiellement qualitative est au cœur même de la mission de la CC, et il est improbable qu’elle soit réglée sur la base des préoccupations de la Nation Gitxaala liées au genre d’erreurs techniques qu’elle a relevées dans le rapport issu du PET.

 

[53]           Il se peut que le processus adopté ne soit pas parfait, et on peut se demander s’il était sage de refuser d’ouvrir le PET lorsque la Nation Gitxaala l’a demandé, mais il s’agit néanmoins d’un moyen raisonnable de prendre en compte les préoccupations des Premières nations.

 

[54]           Je conviens aussi avec les défendeurs qu’il est prématuré que la Cour intervienne dans le processus que celui‑ci ne soit arrivé à son terme. Comme je l’ai déjà indiqué, l’argument de la Nation Gitxaala repose sur la présomption que la CC ignorera ses préoccupations et les éléments de preuve susceptibles de contredire les conclusions du Comité d’examen TERMPOL, aussi convaincants puissent‑ils être. Il me semble toutefois que la Cour ne doit pas agir sur la foi de présomptions. Rien ne donne à penser que la CC ne recueillera pas équitablement les préoccupations de la Nation Gitxaala, qu’elle ne pondérera pas toute la preuve disponible et qu’elle ne parviendra pas à ses propres conclusions. Si elle n’agit pas équitablement ou si la Couronne manque en définitive à son obligation générale de consulter les Premières nations touchées, y compris la Nation Gitxaala, la Cour pourra intervenir. Quand bien même il y aurait eu un manquement à l’obligation de consulter la Nation Gitxaala dans le cadre du PET, rien ne permet à la Cour de conclure que ce manquement ne peut être corrigé par la CC ou, plus tard, par la Couronne fédérale. Comme le notait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation haïda, précité, le non‑respect de l’obligation de consulter peut donner lieu à diverses mesures de réparation, notamment l’ouverture d’un dialogue sérieux et, si nécessaire, la prise en compte des préoccupations des Premières nations à un stade ultérieur du processus. Le processus de consultation n’est pas parvenu à son terme, et rien ne permet de savoir aujourd’hui dans quelle mesure les Premières nations parviendront à obtenir ce qu’elles désirent. L’autre inquiétude de la Nation Gitxaala ayant trait au fait que l’engagement du gouvernement du Canada à l’égard d’une ultime consultation générale est trop restreint pour être sérieux reste à être confirmée. Si le processus s’avère lacunaire ou superficiel, la Nation Gitxaala et les autres Premières nations concernées auront la possibilité d’être de nouveau entendues.

 

Conclusion

[55]           Pour les motifs qui précèdent, cette demande est rejetée. Compte tenu de la position des parties, aucune ordonnance ne sera rendue relativement aux dépens.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


Annexe A


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑300‑12

 

INTITULÉ :                                                  NATION GITXAALA c
LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Les 11 et 12 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

David M Robbins

Dominique Nouvet

 

Pour lA demandeRESSE

 

Lorne Lachance

Dayna S. Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

Joshua Jantzi

Matthew Lindsay

 

POUR LA DÉFENDERESSE

NORTHERN GATEWAY PIPELINES LIMITED PARTNERSHIP

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Woodward & Co. Lawyers LLP

Victoria (C.‑B.)

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE Ministre des Transports

 

Fraser Milner Casgrain LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

NORTHERN GATEWAY PIPELINES LIMITED PARTNERSHIP

 

 



[1] Le rapport indique : [traduction] Bien que tout projet implique un risque résiduel, après avoir examiné les études du promoteur et pris ses engagements en considération, aucune préoccupation d’ordre réglementaire n’a été établie en ce qui concerne les navires, les opérations des navires, les routes proposées, les aspects touchant la navigabilité, les autres usagers des voies maritimes, et les opérations du terminal maritime dans le cadre des mouvements de navires utilisés pour le projet Northern Gateway. Les engagements du promoteur permettront de garantir un niveau de sécurité allant au‑delà des exigences réglementaires. Plusieurs conclusions et recommandations du Comité d’examen TERMPOL proposent que d’autres mesures soient prises pour augmenter le niveau de sécurité des opérations maritimes. Le lecteur trouvera une liste complète de ces conclusions et recommandations dans l’annexe 1.

[2] « Portée des éléments dans le cadre du projet d’oléoduc Northern Gateway, Guide d’évaluation des effets environnementaux du projet d’oléoduc Northern Gateway ».

 

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