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Date : 20110919

Dossier : T‑809‑10

Référence : 2011 CF 1075

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

TERRY LYNN LEBRASSEUR ET
JOSEPH ALAIN LEBRASSEUR

 

demandeurs

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE
DU CHEF DU CANADA

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La question en litige est de savoir si la présente action doit être radiée parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable, ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure pour les raisons suivantes : les réclamations qui y sont formulées sont irrecevables par application de l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50 (la LRCECA), les demandeurs n’ont pas épuisé tous les recours prévus à la partie III de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 (la Loi sur la GRC), et la Cour a rejeté leur précédente action fondée pour l’essentiel sur le même ensemble de faits.

 

[2]               C’est la deuxième fois que la Couronne présente une requête en radiation fondée sur l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) à l’égard de la demande de réparation des demandeurs. En effet, en 2006, la Cour a annulé, sans accorder l’autorisation de modifier la déclaration, leur première action intentée contre la défenderesse qui visait l’obtention d’une réparation semblable; ce jugement a été confirmé en 2007 par la Cour d’appel fédérale : Lebrasseur c Canada, 2006 CF 852 et 2007 CAF 330.

 

[3]               Le caractère « évident et manifeste » est le critère à remplir pour pouvoir radier un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable, notamment en cas de « vice fondamental ». Le fardeau de la preuve incombe au requérant et le seuil à satisfaire plutôt élevé, qu’il soit allégué ou non que l’acte de procédure est en soi abusif. Voir Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959; Odhavji Estate c Woodhouse, 2003 CSC 69, au paragraphe 15; Sweet c Canada, [1999] ACF no 1539, au paragraphe 6. La question de savoir ce qui constitue un « vice fondamental » dépend des faits de chaque affaire. Voir Tyhy c Schulte Industries Ltd, 2004 CF 1421, au paragraphe 5.

 

[4]               Lorsque le requérant allègue que la réclamation ne révèle aucune cause d’action valable, les faits énoncés dans l’acte de procédure sont tenus pour avérés. Cependant, lorsque la requête est fondée sur l’absence de compétence, par exemple lorsque les actes de procédure sont contestés au motif qu’ils sont frivoles ou vexatoires, la Cour peut se servir de toute la preuve disponible et pertinente pour statuer sur la requête : MIL Davie Inc c Hibernia Management and Development Co, [1998] ACF no 614, aux paragraphes 7 et 8; Lebrasseur c Canada, 2006 CF 852, au paragraphe 15.

 

[5]               Mme Terry Lynn Lebrasseur (la policière Lebrasseur) est membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Elle a été embauchée en 1993 et a travaillé à partir de 1998 comme garde du corps pour le premier ministre du Canada et son épouse. Elle est en congé de maladie depuis le 21 septembre 2001 et reçoit des prestations d’invalidité depuis le 3 mars 2004, mais elle est toujours une employée de la GRC.

 

[6]               Le 1er mai 2001, la policière Lebrasseur a reçu un avertissement écrit (l’avertissement 1004) et a été informée qu’il ne serait pas signalé dans son dossier permanent à condition qu’elle quitte de son plein gré le Peloton de protection du Premier ministre (PPPM) et se fasse transférer dans une autre unité. Par la suite, il y a eu divers changements négatifs quant à ses conditions de travail et ses responsabilités. Durant son service, la policière Lebrasseur a présenté un trouble dépressif majeur avec symptômes mixtes et a reçu en conséquence un congé pour raisons médicales le 21 septembre 2001.

 

[7]               La policière Lebrasseur a toujours affirmé que les mesures de la GRC équivalaient à un congédiement déguisé. Elle a aussi allégué dans de nombreux documents et procédures, notamment dans la présente déclaration, qu’elle a été intimidée, harcelée et humiliée par des collègues et des supérieurs de la GRC, ce qui lui a causé de graves préjudices psychologiques dont elle ressent encore les effets aujourd’hui. Ses allégations de harcèlement et de traitement inéquitable par la GRC soulèvent des questions se rapportant fondamentalement au milieu de travail, qui touchent les évaluations de la performance, l’affectation et la réaffectation du personnel, la supervision du personnel, la discipline, le licenciement pour raisons médicales et la résolution des conflits relatifs à ces questions.

 

[8]               Depuis 2001, la policière Lebrasseur a déposé quelque vingt‑six griefs, dont dix‑sept ne peuvent être soumis à l’examen du Comité externe d’examen (CEE) de la GRC, ont été rejetés ou n’ont pas encore été tranchés. Parmi les neuf griefs dont a pu se saisir le CEE, cinq ont donné lieu à des recommandations pour que la GRC présente des excuses à la demanderesse, mais le commissaire de la Gendarmerie n’y a pas donné suite.

 

[9]               À la fin de 2004 ou au début de 2005, le sergent Desrochers (l’enquêteur) a été nommé par le commissaire adjoint McCallum pour enquêter sur les allégations de harcèlement formulées par la policière Lebrasseur, mais, finalement, celle‑ci a contesté la nomination même au motif que l’enquête ne serait pas menée de manière équitable; ce dernier grief a été rejeté le 20 janvier 2005 (arbitrage de niveaux I et II). Par la suite, la policière Lebrasseur n’a pas pris part à l’enquête, apparemment pour des raisons médicales.

 

[10]           Le 3 mars 2005, le commissaire adjoint McCallum a rendu un rapport sommaire rejetant les allégations de harcèlement. Le mois suivant, la policière Lebrasseur a demandé que cette décision soit réexaminée par l’employeur pour un certain nombre de raisons, dont l’existence d’un conflit d’intérêts et d’une apparence de partialité. Aucune demande n’a jamais été présentée à la Cour fédérale pour contester la légalité de la nomination de l’enquêteur et la décision que le commissaire adjoint McCallum a rendue par suite de l’enquête, ou pour obtenir une décision finale du commissaire au sujet des allégations de harcèlement.

 

[11]           En mars 2004, la policière Lebrasseur a présenté une demande de pension d’invalidité fondée sur l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑11. Elle prétendait que la GRC ne lui avait pas offert un environnement de travail sûr et convenable, et qu’ elle avait de ce fait subi des préjudices depuis mai 2001. En 2005, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a initialement confirmé les deux cinquièmes de la plainte et reconnu que la manière dont la GRC avait traité le dossier avait grandement contribué à l’apparition de son incapacité. En 2006, après un examen plus approfondi, une pension complète lui a été accordée.

 

[12]           Cela dit, les mesures antérieures prises en 2005 et 2006 par l’employeur pour licencier la policière Lebrasseur pour des raisons médicales ont donné lieu à un certain nombre de griefs de sa part. Dans le plus récent, déposé le 11 février 2011, la policière Lebrasseur réclame des mesures d’adaptation raisonnables et conteste la décision de novembre 2010 par laquelle l’employeur a nommé un conseil médical chargé d’examiner le degré de son incapacité et envoyé un avis d’intention concernant son licenciement pour des raisons médicales, conformément aux paragraphes 20(1) et 28(1) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, 1988 DORS/88‑361 (le Règlement de la GRC). Il semble que le grief soit encore aux premières étapes (niveau I).

 

[13]           Entre‑temps, en août 2003, la policière Lebrasseur et son époux, M. Joseph Alain Lebrasseur, ont intenté une action, modifiée en décembre 2005, dans laquelle ils réclamaient à la Couronne des dommages‑intérêts pour des actes de négligence ou des omissions négligentes, un congédiement déguisé, une violation du devoir fiducial et des actes délictuels, notamment l’infliction intentionnelle de souffrances morales, d’importants changements quant aux responsabilités et conditions de travail de la policière Lebrasseur ainsi qu’un traitement méprisant et dédaigneux de la part de la GRC. La réclamation oblique de M. Lebrasseur est fondée sur la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario, LRO, c F 3.

 

[14]           En juin 2006, la défenderesse a cherché à obtenir de la Cour une ordonnance de suspension de la présente action sur le fondement de l’article 111 de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6. Subsidiairement, elle demandait la radiation de la déclaration modifiée des demandeurs au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable puisqu’elle était irrecevable aux termes de l’article 9 de la LRCECA. À titre encore plus subsidiaire, la défenderesse demandait à la Cour de s’en remettre à la procédure de règlement des griefs dont la policière Lebrasseur peut se prévaloir au titre de la partie III de la Loi sur la GRC.

 

[15]           Une suspension fondée sur le paragraphe 111(2) de la Loi sur les pensions ne peut être accordée qu’à l’égard des actions non visées par l’article 9 de la LRCECA. Cette dernière disposition vise à empêcher la double indemnisation dans les cas où la responsabilité de la Couronne est engagée, notamment sous des chefs accessoires de dommages, à l’égard d’un événement pour lequel une indemnité a déjà été versée. Il faut alors se demander si la pension ou la compensation est versée « pour toute […] blessure ou dommage […] ouvrant droit au paiement d’une pension ». Dans le cas d’une requête en radiation fondée sur le paragraphe 221(1) des Règles, la question pertinente est de savoir s’il est manifeste et évident que le fondement factuel de la pension et des réclamations contenues dans l’action civile est le même. Dans l’affirmative, l’action n’est pas recevable. Voir Sarvanis c Canada, 2002 CSC 28 [Sarvanis].

 

[16]           Le 6 juillet 2006, la Cour fédérale a accueilli la requête en radiation de la Couronne et rejeté l’action, concluant que toutes les réclamations formulées dans la déclaration reposaient essentiellement sur les mêmes allégations factuelles que celles qui avaient permis à la policière Lebrasseur d’obtenir une pension (2006 CF 852). L’action en dommages‑intérêts était donc irrecevable en vertu de l’article 9 de la LRCECA. La juge Mactavish, qui était saisie de l’affaire, a également refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande de dommages‑intérêts, étant donné que la policière Lebrasseur ne pouvait intenter une action civile contre la Couronne avant d’avoir exercé les recours prévus à la partie III de la Loi sur la GRC, qui établit un régime détaillé de résolution de conflits en milieu de travail.

 

[17]           Le 18 octobre 2007, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel des demandeurs contre ce jugement, sous réserve de leur droit de déposer une nouvelle déclaration contenant des réclamations indépendantes qui ne seraient pas irrecevables aux termes de l’article 9 de la LRCECA, car elles ne reposeraient pas sur les mêmes faits que ceux qui ont motivé l’octroi de la pension d’invalidité (2007 CAF 330). Les demandeurs ont donc intenté la présente action en mai 2010.

 

[18]           La défenderesse affirme aujourd’hui que la présente action doit être radiée au motif qu’elle constitue un abus de procédure, puisqu’elle soulève des questions déjà tranchées de manière définitive par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. À ce titre, toute allégation additionnelle contenue dans la déclaration n’est qu’un simple prolongement de la conduite qui a mené à l’octroi de la pension d’invalidité.

 

[19]           Subsidiairement, si l’une des allégations des demandeurs concernant la conduite illicite des membres de la GRC et de la GRC elle‑même ne tombait pas dans la catégorie de l’abus de procédure, la défenderesse soutient qu’il s’agit ici d’un conflit de travail, dont la résolution est encadrée par la procédure de règlement des griefs prévue à la partie III de la Loi sur la GRC, à l’égard duquel la Cour devrait refuser d’exercer sa compétence. À titre encore plus subsidiaire, la défenderesse fait valoir que les allégations additionnelles de la policière Lebrasseur ne révèlent aucune cause d’action valable.

 

[20]           En l’espèce, les demandeurs soutiennent que depuis mai 2001, et en particulier depuis mars 2004, la policière Lebrasseur a subi des pertes découlant d’autres faits assimilables à des actes délictuels, distincts et indépendants de ceux pour lesquels elle a été indemnisée par la pension : infliction intentionnelle de choc nerveux et/ou négligence ayant causé ce choc nerveux, conduite délibérément délictuelle relativement au délit de méfait dans l’exercice d’une charge publique et violation d’origine législative, mauvaise foi et manquement à l’obligation d’équité envers la demanderesse et violation du devoir fiducial.

 

[21]           Les demandeurs conviennent que les actes répréhensibles imputés aux officiers supérieurs de la GRC relèvent des griefs visés par la partie III de la Loi sur la GRC; ils font néanmoins valoir qu’en dépit des plaintes qu’elle a déposées depuis 2001, la policière Lebrasseur n’a pas été en mesure de bénéficier, dans le cadre de la procédure de règlement des griefs de la GRC, de recours ou de réparations valables pour les préjudices qu’elle a subis. Les demandeurs soutiennent donc, de façon générale, que cette procédure est intrinsèquement viciée et entachée de partialité et qu’elle accuse systématiquent des retards, et qu’elle ne peut assurer à la policière Lebrasseur une réparation efficace et indépendante.

 

[22]           Plus précisément, les demandeurs remettent en cause l’impartialité de la procédure de règlement des griefs, et font valoir que, dans le cadre de la procédure de règlement des griefs de la GRC, tous les décideurs, à l’exception du CEE, sont entièrement assujettis au contrôle et aux ordres du commissaire de la GRC (à l’exception du CEE). Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que seuls certains griefs sont susceptibles de renvoi au CEE, lequel ne peut que faire des recommandations au commissaire, et que la procédure de règlement des griefs ne prévoit aucun autre mécanisme contraignant de règlement des conflits par un tiers indépendant ou par voie d’arbitrage.

 

[23]           Après avoir attentivement examiné les allégations contenues dans les actions actuelles et antérieures et examiné la preuve au dossier et les observations des parties à la lumière de la jurisprudence pertinente, j’ai décidé d’accueillir la présente requête.

 

[24]           L’article 9 de la LRCECA prévoit :

Ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte — notamment décès, blessure ou dommage — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État.

No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

 

[25]           La décision de principe sur l’interprétation de l’article 9 de la LRCECA est l’arrêt Sarvanis (voir les paragraphes 19 à 30). Les commentaires du juge Iacobucci aux paragraphes 26 à 29 sont particulièrement éclairants en ce qui touche l’interprétation et l’effet des termes employés dans cette disposition :

Cet exemple est compatible avec une interprétation de l’expression « in respect of » qui tient compte du contexte du membre de phrase dans lequel elle figure. La condition exigeant que la pension soit versée pour un événement constituant une « perte — notamment décès, blessures ou dommages » permet de mieux saisir la signification des mots « in respect of ». Il est possible de dégager le sens de cette expression générale — en soi imprécise — en se demandant pour quel genre de situations la pension doit être versée. Nous pouvons nous faire une meilleure idée de la portée précise de cette expression dans ce contexte en examinant, par exemple, le contexte de l’occurrence suivante de cette expression dans la version anglaise de l’art. 9, passage qui est rédigé ainsi : « death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made ». La portée de la locution « in respect of » pourrait être différente lorsqu’elle est liée à la notion de « claim » plutôt qu’à une énumération d’événements.

 

Cette interprétation est également compatible avec la version française de l’article. Sont interdites les poursuites « pour toute perte » (selon la traduction littérale proposée plus tôt « for any loss »), « notamment décès, blessures ou dommages » (selon la traduction littérale proposée plus tôt « in particular, for death, injury or damage »), dans les cas où il s’agit également d’une perte « ouvrant droit » à une pension ou indemnité. Tant pour ce qui est de la version française que de la version anglaise de la loi, il importe de reconnaître que la perte dont l’indemnisation est écartée par la loi doit être la même que celle qui crée le droit à la pension ou à l’indemnité pertinente. L’énumération d’événements que comporte la disposition explicite tout autant le sens du mot « perte » dans le texte français que celui de l’expression « in respect of » dans le texte anglais.

 

À mon avis, bien que libellé en termes larges, l’art. 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif n’en exige pas moins que, pour qu’elle fasse obstacle à une action contre l’État, la pension ou l’indemnité payée ou payable ait le même fondement factuel que l’action. En d’autres termes, l’article 9 traduit le désir rationnel du législateur d’empêcher la double indemnisation d’une même réclamation dans les cas où le gouvernement est responsable d’un acte fautif mais où il a déjà effectué un paiement à cet égard. Autrement dit, cette disposition n’exige pas que la pension ou le paiement soit versé en dédommagement de l’événement pertinent, mais uniquement que le fondement précis de leur versement soit l’existence de cet événement.

 

Cette large portée est nécessaire pour éviter que l’État ne soit tenu responsable, sous des chefs accessoires de dommages‑intérêts, de l’événement pour lequel une indemnité a déjà été versée. Autrement dit, en cas de versement d’une pension tombant dans le champ d’application de l’art. 9, un tribunal ne saurait connaître d’une action dans laquelle on ne réclame des dommages‑intérêts que pour douleurs et souffrances ou encore pour perte de jouissance de la vie, du seul fait que ce chef de dommage ne correspond pas à celui qui a apparemment été indemnisé par la pension. Tous les dommages découlant du fait ouvrant droit à pension sont visés par l’art. 9, dans la mesure où la pension ou l’indemnité est versée « in respect of » la même perte — notamment décès, blessure ou dommage — ou sur le même fondement.

[Italiques dans l’original.]

 

[26]           Comme l’a noté la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 11 de l’arrêt Lebrasseur, dans cette affaire, M. Sarvanis avait subi, alors qu’il était incarcéré, des blessures invalidantes qui lui ont donné droit à une pension d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8. M. Sarvanis avait également déposé une déclaration dans laquelle il réclamait des dommages‑intérêts à la Couronne au motif que ses blessures avaient été causées par la négligence des responsables de l’administration pénitentiaire. La Cour suprême du Canada a conclu que l’article 9 de la LRCECA ne rendait pas la réclamation en dommages‑intérêts de M. Sarvanis irrecevable parce que son droit à une pension d’invalidité était fondé à la fois sur les cotisations qu’il avait versées par le passé et sur son invalidité. Les actes des responsables de l’administration pénitentiaire sur lesquels se fondait sa réclamation en responsabilité civile délictuelle n’étaient pas pertinents quant à son droit à la pension.

 

[27]           D’autre part, la juge Sharlow a indiqué, au paragraphe 12 de l’arrêt Lebrasseur, que l’action des demandeurs annulée par la Cour en 2006 était assez différente :

[…] Les actes fautifs des officiers supérieurs de la GRC ont engendré la maladie invalidante donnant le droit à la policière Lebrasseur de recevoir une pension, et elle réclame des dommages‑intérêts fondés essentiellement sur les mêmes actes. Selon mon interprétation de l’arrêt Sarvanis, plus précisément la dernière phrase du paragraphe 29, l’article 9 de la Loi soulève la question de savoir si les faits sur le fondement desquels la pension de la policière Lebrasseur a été attribuée et les faits sur lesquels repose la réclamation en dommages‑intérêts dans la déclaration modifiée sont les mêmes. Si on peut répondre à cette question par l’affirmative, la réclamation en dommages‑intérêts est irrecevable.

 

[28]           En l’espèce, l’examen des allégations contenues dans la nouvelle action intentée par les demandeurs en 2010 révèle que leurs réclamations reposent encore largement sur le même fondement factuel que celui qui a justifié l’octroi d’une pension d’invalidité en 2005. J’estime que ces nouvelles allégations sont les mêmes que les précédentes; elles sont simplement formulées différemment. Le contexte factuel entourant les préjudices subis à la suite de l’avertissement 1004, le fait qu’on n’ait pas cherché à en savoir plus long, le harcèlement et le congédiement déguisé dont s’est plainte la policière Lebrasseur, tout cela ressemble visiblement au contenu de la réclamation antérieure.

 

[29]           Seul un petit nombre de faits nouveaux ont été ajoutés, mis en contexte ou plus amplement détaillés par les demandeurs. Ces allégations soit sont dans le prolongement du même événement ou ensemble de faits (par exemple, les paragraphes 16 à 36 de la déclaration), soit n’ont absolument aucun rapport avec les pertes subies par la policière Lebrasseur (par exemple, les paragraphes 37 et 38 de la déclaration), et devraient être radiées. Il n’est pas nécessaire que je recommence ici l’exercice fastidieux auquel s’est livrée l’avocate de la défenderesse dans ses observations écrites puisque j’ai décidé d’adopter entièrement dans les présents motifs son analyse, qu’on trouvera au tableau 1. J’ajouterai néanmoins les remarques suivantes pour clarifier mon raisonnement et ma conclusion.

 

[30]           Dans leur action précédente, les demandeurs alléguaient déjà que la policière Lebrasseur avait fait l’objet d’une enquête relative au code de déontologie pour inconduite sexuelle, qui avait aggravé son état mental puisque cette enquête avait débuté plus de cinq ans après les incidents invoqués (paragraphe 17 p) de la déclaration de 2005). Les demandeurs affirment maintenant dans leur nouvelle action que, le 28 juin 2005, deux agents de la GRC ont approché la policière Lebrasseur dans un bureau de poste près de chez elle pour lui remettre des documents concernant cette enquête, ce qui aurait déclenché chez elle une crise de panique et de l’anxiété (paragraphe 41 de la déclaration de 2010).

 

[31]           De plus, les demandeurs avançaient aussi déjà que l’enquête relative au code de déontologie susmentionnée [traduction] « visait à intimider et à embarrasser Terry Lebrasseur et servait de représailles parce qu’elle exerçait ses droits légaux et dénonçait certaines pratiques (paragraphe 17 p) de la déclaration de 2005). Parmi les nouveaux détails sur la « dénonciation » en question fournis par les demandeurs à l’appui de leur action en dommages‑intérêts de 2010, figurent de nouvelles allégations selon lesquelles, en janvier et mars 2005, la policière Lebrasseur a révélé au commissaire adjoint McCallum des incidents très préoccupants liés à des actes illicites posés en 1999 par des collègues de la GRC (paragraphes 37 et 38 de la déclaration de 2010).

 

[32]           Les demandeurs précisent aussi maintenant que l’enquête relative au code de déontologie visant la policière Lebrasseur, déjà évoquée dans leur précédente action en dommages‑intérêts, a effectivement débuté en 2004 (paragraphe 39 de la déclaration de 2010). Si l’on présume de la véracité de l’allégation, cette enquête a donc commencé avant que les prétendus actes répréhensibles ne soient divulgués au commissaire adjoint McCallum.

 

[33]           Les demandeurs alléguaient déjà dans l’action précédente que la policière Lebrasseur avait été victime d’un congédiement déguisé (paragraphes 10 à 104 des déclarations de 2003 et de 2005). Ils répètent cette allégation dans leur nouvelle action, avec de simples clarifications (paragraphes 53 à 56 de la déclaration de 2010). Ainsi, les demandeurs prétendent à présent qu’entre 2001 et 2009, des membres de la GRC passaient en voiture devant chez eux et ralentissaient, environ une fois tous les trois mois, ce qui effrayait et bouleversait la policière Lebrasseur (paragraphes 31 et 53 b) de la déclaration de 2010).

 

[34]           Encore une fois, la grande majorité des nombreuses allégations détaillées contenues dans la présente déclaration sont très similaires à celles qu’ont déjà examinées et rejetées la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, ce qui équivaut manifestement à un abus de procédure. Les chevauchements entre les déclarations actuelles et antérieures sont si importants qu’il m’est impossible de conclure que nous sommes en présence de faits sérieux tout à fait indépendants de l’ensemble de faits qui ont mené à l’octroi de la pension – et donc susceptibles de justifier en eux‑mêmes une autre indemnité.

 

[35]           Dans la présente déclaration, il manque clairement des faits et des détails importants pour étayer les actes délictuels intentionnels ou la violation du devoir fiducial invoqués. En d’autres termes, les nouvelles allégations sont si étroitement liées aux précédentes que je ne saurais les considérer comme le possible fondement d’une cause d’action indépendante en responsabilité délictuelle contre la Couronne pour les pertes et les blessures subies par la policière Lebrasseur et son époux. Je ne vois pas en quoi quelques faits isolés, postérieurs à 2004, créent un fondement factuel différent de celui qui a justifié l’octroi de la pension d’invalidité. Par ailleurs, la raison pour laquelle les demandeurs ont décidé de ne pas inclure des faits aussi détaillés dans leur précédente déclaration, qu’ils auraient pu encore modifier avant la présentation de la première requête en radiation examinée par la Cour en juin 2006, n’est pas claire.

 

[36]           Par conséquent, je conviens avec la défenderesse que la réclamation en dommages‑intérêts présentée par les demandeurs est irrecevable aux termes de l’article 9 de la LRCECA. En effet, la policière Lebrasseur reçoit déjà une telle indemnité par sa pension d’invalidité et la présente instance constitue par ailleurs un recours abusif à la Cour, car elle repose sur des faits qui se sont produits dans le même cadre factuel que la précédente action déjà rejetée. Ceci m’amène à la question des autres recours disponibles au titre de la partie III de la Loi sur la GRC.

 

[37]           Aux paragraphes 18 et 19 de l’arrêt Lebrasseur, la Cour d’appel fédérale a estimé que la preuve au dossier ne permettait pas d’établir si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel pour statuer sur la réclamation civile de la policière Lebrasseur. Les demandeurs font à présent valoir que la policière Lebrasseur a tenté plusieurs fois, mais sans succès, de se prévaloir de la procédure de règlement des griefs de la GRC. Ils ajoutent que comme, systématiquement, cette procédure est entachée de partialité, accuse des retards, a des lacunes sur le plan de l’équité procédurale et n’offre pas de réparation efficace et indépendante, la compétence de notre Cour ne doit pas être écartée pour la simple raison que la réclamation a trait au milieu de travail.

 

[38]           À mon avis, les motifs soulevés par les demandeurs pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire résiduel sont également infondés. Quant aux autres causes d’action indépendantes visant l’obtention de dommages‑intérêts de l’employeur – par exemple l’allégation de la perte de possibilités économiques ou la perte de pension –, elles concernent essentiellement un conflit dans un milieu de travail. Manifestement, il est trop tôt pour se prononcer à cet égard. La policière Lebrasseur est encore une employée de la GRC en congé de maladie depuis 2001. Normalement, une réclamation non résolue, notamment en matière d’emploi, de prestations ou de pertes reliées au travail, relève de la procédure de règlement des plaintes prévue à la partie III de la Loi sur la GRC plutôt que d’une action en responsabilité délictuelle intentée contre la Couronne. C’est effectivement la voie qu’a choisie la policière Lebrasseur pour contester toutes les tentatives de ses employeurs de la congédier pour des raisons médicales.

 

[39]           Le paragraphe 31(1) de la Loi sur la GRC prévoit :

(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.

(1) Subject to subsections (2) and (3), where any member is aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Force in respect of which no other process for redress is provided by this Act, the regulations or the Commissioner’s standing orders, the member is entitled to present the grievance in writing at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Part.

 

[40]           En règle générale, les cours de justice sont tenues à la déférence à l’égard des régimes administratifs complets en matière de résolution des conflits de travail lorsqu’un employé cherche à obtenir indirectement ce qu’il ne peut obtenir directement. Cependant, comme aucune disposition explicite dans la loi ne prévoit que la procédure de règlement des griefs de la GRC est la seule voie possible pour le règlement des conflits de travail, un certain nombre de facteurs doivent être examinés : Pleau c Canada (Procureur général), 1999 NSCA 159, 182 DLR (4th) 373 [Pleau]; Vaughan c Canada, 2005 CSC 11 [Vaughan]; et Lebrasseur.

 

[41]           Aux pages 381 et 382 de l’arrêt Pleau, le juge Cromwell de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a résumé les principes dégagés des arrêts de la Cour suprême du Canada St Anne Nackowic Pulp & Paper Co Ltd c Section locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier, [1986] 1 RCS 704, Gendron c Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 RCS 1298, Weber, et Nouveau‑Brunswick c O’Leary, [1995] 2 RCS 967. Cela dit, dans l’arrêt Pleau, le demandeur prétendait être victime de harcèlement parce qu’il avait dénoncé [traduction] « ce qu’il avait cru être une preuve de mauvaise conduite dans l’exploitation d’une installation gouvernementale » (page 380). Les représailles qui ont suivi cette dénonciation étaient au cœur de sa réclamation contre l’employeur.

 

[42]           Dans l’arrêt Vaughan, le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, n’a pas critiqué l’analyse du juge Cromwell dans l’arrêt Pleau concernant les facteurs qui régissent l’exercice par une cour de justice de sa compétence résiduelle en matière de droit du travail (paragraphes 19 à 25). Dans son opinion dissidente, le juge Bastarache a d’ailleurs reconnu que le juge Cromwell avait énoncé de façon appropriée la question : le législateur et les parties ont‑ils montré une nette préférence pour une procédure de règlement des différends autre que judiciaire? Si la loi n’est pas claire, certaines considérations de principe doivent être prises en compte, notamment la volonté d’établir un mécanisme de règlement des conflits de travail qui soit efficace, peu coûteux et définitif. Cette volonté se traduira essentiellement par une conclusion touchant le caractère exhaustif du régime de règlement de ce type de conflits (paragraphe 60).

 

[43]           Quoiqu’elle ait décidé dans l’arrêt Vaughan que l’appelant aurait dû recourir aux mécanismes prévus par le législateur dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LRC 1985 c P‑35, la Cour suprême du Canada a laissé entendre que la compétence résiduelle de la Cour peut subsister dans certaines affaires concernant des dénonciateurs. Lorsque la décision finale repose entre les mains de la personne qui dirige le ministère visé, à savoir le sous‑ministre, une situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de partialité peut en découler. Cependant, la Cour suprême du Canada n’a pas envisagé la question de la dénonciation au regard du régime spécial établi par la Loi sur la GRC et le Règlement de la GRC.

 

[44]           En l’espèce, les considérations de principe qui sous‑tendent l’établissement d’un régime spécial pour la GRC sont évidentes. La Loi sur la GRC est en soi un texte législatif complet. La partie I porte sur la création et la constitution de la GRC (la Gendarmerie). La partie II crée le Comité externe d’examen de la Gendarmerie royale du Canada (le CEE). La partie III se rapporte spécialement aux griefs. La partie IV concerne la discipline et la partie V porte sur le renvoi et la rétrogradation, alors que les parties VI et VII instaurent respectivement la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada et le régime des plaintes du public. Finalement, la partie VIII comporte des dispositions générales.

 

[45]           Par ailleurs, le législateur a décidé de faire du commissaire le dernier échelon de la procédure de règlement des griefs en lui permettant d’élaborer les règles régissant la présentation et l’examen de griefs au titre de la partie III de la Loi sur la GRC. En adoptant un régime particulier de résolution des griefs en milieu de travail, le législateur a témoigné clairement une nette préférence pour les mécanismes établis aux articles 31 à 36 de la Loi sur la GRC (partie III). Il n’est pas étonnant que cette loi prévoie d’ailleurs que les membres de la GRC seront soumis à un code de déontologie et qu’elle établisse un régime spécial en cas de mesures disciplinaires (partie IV). Le renvoi ou la rétrogradation pour motif d’inaptitude sont également spécialement réglementés (partie V).

 

[46]           En fait, le paragraphe 19.1(5) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005 c 46, qui établit à présent un régime de protection spécial en cas de dénonciation dans le secteur public fédéral, exige du membre ou de l’ancien membre de la GRC qu’il épuise tous les recours qui lui sont offerts par la Loi sur la GRC et le Règlement de la GRC avant de présenter une plainte de représailles au commissaire à l’intégrité du secteur public. Il faut donc d’abord avoir épuisé tous les mécanismes juridiques existants applicables aux enquêtes effectuées sous le régime des parties IV et V de la Loi sur la GRC.

 

[47]           D’après la jurisprudence postérieure à l’arrêt Vaughan, pour déterminer s’il existe un mécanisme de réparation efficace, il faut se demander si le régime administratif de règlement des griefs peut offrir une solution au conflit de travail en question, même si ce n’est pas la même que celle que proposerait une cour de justice. Voir Adams c Cusack, 2006 NSCA 9, aux paragraphes 32 et 33. L’avocat des demandeurs renvoie notamment à l’arrêt de la Cour d’appel de Colombie‑Britannique Sulz c British Columbia (Minister of Public Safety and Solicitor General), 2006 BCCA 582, qui confirme la décision de la Cour suprême de cette province d’instruire une action en responsabilité délictuelle intentée contre la province. Mme Sulz était une ancienne membre de la GRC qui prétendait avoir été sexuellement harcelée par son commandant. Cependant, l’appel ne se rapportait pas à l’applicabilité de l’article 9 de la LRCECA.

 

[48]           La Cour d’appel de Colombie‑Britannique a clairement indiqué dans l’arrêt Sulz que les interdictions ou restrictions prévues à l’article 9 de la LRCECA et à l’article 111 de la Loi sur les pensions empêchaient Mme Sulz d’intenter une action contre la Couronne fédérale, car elle avait reçu une pension des Anciens combattants après avoir été licenciée par la GRC pour des raisons médicales (paragraphes 41 et 42). En ce qui concerne la responsabilité du fait d’autrui de la Couronne provinciale, la Cour d’appel de Colombie‑Britannique a reconnu que la Cour suprême de la province devait jouir d’une compétence résiduelle. Après tout, la perte de revenus de Mme Sulz était consécutive à son renvoi, alors qu’elle ne pouvait plus se réclamer, ou tirer des prestations, de la procédure de règlement des griefs prévue à la partie III de la Loi sur la GRC. La procédure interne avait été épuisée : il ne restait plus de grief à présenter. Comme nous pouvons le voir, les faits de la présente affaire sont assez différents. La policière Lebrasseur est encore membre de la GRC et un certain nombre des griefs qu’elle a présentés sont en instance.

 

[49]           La procédure interne de résolution des griefs établie par le commissaire au titre de la partie III de la Loi sur la GRC prévoit des examens de premier et de deuxième niveaux, effectués dans certains cas par le CEE, un organisme indépendant de la GRC, ainsi qu’un examen interne et final, dont se charge le commissaire (niveau II). Dans certains cas, la décision peut être rendue par un arbitre (niveau II). Cette procédure autorise le décideur à prendre « les mesures correctives indiquées dans les circonstances » si le grief est accueilli. La légalité des décisions rendues au niveau II peut être contrôlée par la Cour fédérale. Voir les Consignes du commissaire (griefs) DORS /2003‑181, et la pièce B jointe à l’affidavit du sergent Maxime Boutin daté du 21 avril 2011.

 

[50]           Les catégories de griefs qui doivent être renvoyés devant le CEE sont les suivantes :

a)      les griefs relatifs à l’interprétation et à l’application, par la Gendarmerie, des politiques gouvernementales visant les ministères qui ont été étendues aux membres;

b)      les griefs relatifs à la cessation de la solde et des allocations des membres en application du paragraphe 22(3) de la Loi;

c)      les griefs relatifs à l’interprétation et à l’application, par la Gendarmerie, de la Directive sur les postes isolés;

d)     les griefs relatifs à l’interprétation et à l’application, par la Gendarmerie, de la Directive de la Gendarmerie sur la réinstallation;

e)      les griefs relatifs au renvoi par mesure administrative pour les motifs visés aux alinéas 19a), f) ou i).

f)       les autres griefs, que le commissaire juge opportun de lui renvoyer.

 

[51]           Les règles énoncées dans la Loi sur la GRC et le Règlement de la GRC sont claires et exhaustives. Elles offrent une réparation appropriée en cas de grief fondé. Malgré les récriminations générales des demandeurs, la preuve est tout simplement insuffisante pour que je puisse conclure aujourd’hui que le régime législatif et réglementaire de résolution des griefs de la GRC est invalide, inapplicable ou sans effet parce qu’il permet une quelconque partialité ou un manque d’indépendance institutionnelle. La validité du présent régime législatif doit être maintenue jusqu’à ce qu’il soit déclaré contraire à la Constitution ou à une loi quasi constitutionnelle.

 

[52]           Après avoir examiné la preuve et les documents additionnels soumis par les demandeurs dans le cadre de la présente requête, j’estime que l’affaire ne justifie pas que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire. Comme le déclarait la juge Sharlow dans l’arrêt Lebrasseur au paragraphe 18, « [b]ien qu’ils aient le pouvoir discrétionnaire de statuer sur de telles réclamations, les tribunaux ne devraient exercer ce pouvoir que dans des cas exceptionnels ». Je ne pense pas que la présente affaire relève des exceptions reconnues par la jurisprudence. Quoi qu’il en soit, les demandeurs ont constamment omis de présenter des éléments de preuve concluants susceptibles d’étayer leur opinion selon laquelle l’intégrité de la procédure de règlement des griefs serait compromise de quelque manière.

 

[53]           Les allégations générales formulées par les demandeurs dans leur déclaration, de même que les documents limités et fragmentaires soumis avec l’affidavit de M. Lebrasseur, ne sont manifestement pas suffisantes pour que la Cour puisse présumer ou déclarer que la procédure de règlement des griefs prévue à la partie III de la Loi sur la GRC est viciée ou sans effet. Comme l’indiquait la juge Sharlow dans l’arrêt Lebrasseur, c’est au demandeur et non à la Couronne qu’il incombe d’établir que l’intégrité de la procédure de règlement des griefs est compromise.

 

[54]           L’arrêt Vaughan de la Cour suprême du Canada indique clairement que le fait que le régime ne prévoie pas le règlement du grief par un tiers ne justifie pas en soi l’intervention des tribunaux (paragraphe 17). De plus, il n’y a rien de contestable au fait de limiter le type de griefs susceptibles d’être renvoyés au CEE. Comme le faisait remarquer encore une fois le juge Binnie, « dans le contexte habituel des relations de travail, de nombreuses questions sont laissées à la discrétion de la gestion. Les différends ne font pas nécessairement tous l’objet d’un grief, et encore moins d’un arbitrage » (paragraphe 26).

 

[55]           Quant aux allégations, le cas échéant, de partialité individuelle ou de manque d’indépendance du commissaire ou des agents de la GRC qui sont intervenus dans les décisions touchant les griefs particuliers présentés par la policière Lebrasseur, les décisions de dernier niveau sont susceptibles de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, qui a le pouvoir de les annuler, advenant l’établissement d’une crainte raisonnable de partialité ou d’une absence d’indépendance.

 

[56]           Les demandeurs se plaignent aussi de retards, mais il existe des recours judiciaires pour forcer un office fédéral à rendre une décision finale en cas de retard déraisonnable. La policière Lebrasseur est loin d’avoir totalement épuisé les recours offerts par la procédure de règlement des griefs de la GRC prévue à la partie III de la Loi sur la GRC. Malgré les allégations contenues dans ses déclarations de 2003, 2005 et 2010, selon lesquelles elle avait été congédiée de façon détournée par son employeur en 2001, il appert qu’après plus de dix ans, la policière Lebrasseur est encore employée par la GRC, qui n’a toujours pas su donner effet à son intention annoncée en 2005, 2006 et 2010, de la congédier pour des raisons médicales.

 

[57]           En conclusion, la présente déclaration doit être radiée, sans autorisation de la modifier, parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable contre la Couronne ou constitue autrement un abus de procédure. Compte tenu de l’issue de l’instance, les dépens seront adjugés à la défenderesse.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête en radiation de la déclaration de Lebrasseur présentée par la défenderesse soit accueillie, que l’action soit rejetée et que les dépens soient adjugés à la défenderesse.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑809‑10

 

INTITULÉ :                                                  TERRY LYNN LEBRASSEUR ET JOSEPH ALAIN LEBRASSEUR et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 septembre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 19 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yazbeck

Wassim Garzouzi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jennifer Francis

Marc Wyczynski

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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