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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20120727

Dossier : T-338-11

Référence : 2012 CF 931

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

REPLIGEN CORPORATION

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Repligen Corporation, conteste une décision de la commissaire aux brevets (la commissaire), qui a refusé pour la deuxième fois de corriger des erreurs d’écriture aux termes de l’article 8 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 (la Loi). Les erreurs en cause, soit l’inversion de chiffres dans le brevet canadien no 1,341,486 (le brevet Repligen), se trouvent dans deux documents de paiement de la taxe périodique.

 

I.          Contexte

 

[2]               La série d’événements qui ont mené à la présente demande s’est amorcée avec l’agent canadien de Repligen, MacRae & Co. Ce dernier a par erreur indiqué à son homologue américain,  Saliwanchik IP, que le numéro du brevet de Repligen visant la protéine A modifiée était le 1,314,486, au lieu du 1,341,486. Ainsi, lorsque Saliwanchik IP a retenu les services de la société Computer Patent Annuities (CPA) pour le versement des taxes périodiques, Saliwanchik IP a fourni ce même numéro incorrect à CPA.

 

[3]               Lorsque CPA a payé les taxes périodiques en faisant erronément renvoi au brevet no 1,314,486, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) lui a signalé que le paiement avait déjà été effectué par Dennemeyer & Co Ltd au nom de la société Rolls-Royce PLC – la véritable propriétaire du brevet portant ce numéro. Au nom de Repligen, CPA a demandé le remboursement de son paiement et l’OPIC lui a par la suite fait parvenir ce remboursement.

 

[4]               Par la suite, la correspondance liée au paiement de la taxe périodique pour le numéro de brevet incorrect fait état de problèmes continuels. Un cycle annuel est apparu : CPA, au nom de Repligen, et Dennemeyer, au nom de Rolls-Royce, tentaient de payer la taxe périodique requise pour le brevet no 1,314,486. Souvent la deuxième à effectuer le paiement, Dennemeyer recevait une lettre l’avisant que la taxe périodique avait déjà été acquittée et demandait un remboursement.

 

[5]               Entre-temps, le 30 août 2007, l’OPIC a envoyé un avis de taxe périodique visant le véritable numéro de brevet à MacRae & Co. Dans cet avis, l’OPIC signalait que la taxe périodique requise n’avait pas été payée et qu’il fallait effectuer le paiement dans le délai de douze mois suivant la date d’anniversaire pour éviter la péremption du brevet. Il n’y a pas eu de réponse de la part de l’agent de Repligen. Le 21 juillet 2008, à l’insu du propriétaire inscrit, le brevet de Repligen est officiellement devenu périmé en raison du non-paiement de la taxe périodique.

 

[6]               Le 23 avril 2009, Repligen a révoqué le mandat de MacRae & Co et nommé un nouvel agent, soit MBM Intellectual Property LLP (MBM). MBM a écrit à l’OPIC, contestant l’avis dans la base de données de l’OPIC signalant la péremption du brevet de Repligen pour non-paiement de la taxe périodique. MBM a soutenu que la taxe périodique avait été acquittée à temps et que le brevet de Repligen était en règle. MBM a également demandé, en application de l’article 8 de la Loi, la correction d’une erreur d’écriture dans les documents de paiement de la taxe périodique, soit les chiffres inversés dans le numéro de brevet; MBM a aussi demandé la correction de renseignements se rapportant à la « date », à l’« année » et à la « taxe ».

 

[7]               Le 8 juillet 2009, MBM a également tenté de payer la taxe périodique annuelle se rapportant au brevet de Repligen. En réponse, l’OPIC a confirmé la péremption du brevet de Repligen dans le délai de douze mois suivant la date d’anniversaire, tel que signalé dans l’avis de taxe périodique. Dans sa lettre, l’OPIC a indiqué qu’[traduction] « aucune autre mesure ne peut être prise à l’égard de ce brevet ».

 

[8]               Le 4 février 2010, la commissaire a refusé de corriger l’erreur signalée par MBM, bien qu’elle ait reconnu que l’inversion des chiffres dans les documents de paiement de la taxe périodique était une erreur d’écriture. Elle a noté que [traduction]  « le retard dans l’examen des erreurs a fait en sorte que, pendant une longue période, des tiers se sont peut‑être fondés sur des documents accessibles au public et sur les renseignements qu’ils contenaient ». La commissaire a ajouté que [traduction] « ladite correction est susceptible d’avoir une incidence négative sur les droits de tiers ».

 

[9]               Repligen a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour, qui a accueilli la demande (voir Repligen Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CF 1288, [2010] ACF 1647). Le juge François Lemieux a conclu que la commissaire n’avait pas tenu compte de certains facteurs pertinents, exposés au paragraphe 60 de ses motifs. Les voici :

a)  les conséquences pour Repligen – la perte de son brevet;

 

b)  le fait que le paiement effectué par Repligen a été reçu par la commissaire et associé à un autre brevet, dans des circonstances inconnues de Repligen, et dont la commissaire n’a pas tenu compte et, dans ce contexte, le fait de savoir s’il s’agissait d’une erreur de l’OPIC;

 

c)  le fait que Repligen a effectué les paiements en question à la date d’échéance;

 

d)  l’omission de la commissaire de tenir compte du fait que, si elle avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de corriger l’erreur, la réparation prévue à l’article 8 aurait eu pour effet que le brevet 486 ne serait jamais devenu périmé pour non‑paiement en vertu du paragraphe 46(2) de la Loi, parce que les taxes en question avaient été payées au montant exact et à temps, résultat qui a été obtenu dans l’arrêt Dutch Industries, précité, sans avoir recours à l’article 8. En d’autres mots, la commissaire a mal apprécié les pouvoirs de réparation que lui confère l’article 8 de la Loi;

 

e)  la commissaire n’a pas pris en compte l’objet de la disposition relative aux taxes périodiques. Repligen a payé à temps et l’OPIC a accepté ces paiements; Repligen a contribué au financement des coûts du Bureau des brevets. Le fait que Repligen a effectué ces paiements et que la commissaire a reconnu que ces paiements visaient le mauvais compte constituait un indice que Repligen n’a pas considéré son brevet 486 délivré comme du bois mort;

 

f)  le simple fait d’invoquer les droits éventuels des tiers, sans plus, diminuerait essentiellement, à mon avis, le pouvoir que le législateur a conféré à la commissaire de corriger les erreurs d’écriture. La raison est évidente : dans le cas d’un brevet délivré, la divulgation aura été faite; dans le cas d’une demande de brevet, celle‑ci peut être consultée après une date déterminée. Dans l’arrêt Bristol-Myers, la juge Desjardins n’a pas accepté la conclusion hypothétique relative aux droits de tiers. Elle disposait de faits indéniables indiquant que des tiers étaient susceptibles de subir un préjudice – la nature de la réparation demandée, à savoir l’ajout d’une nouvelle date de priorité aurait eu pour effet, relativement à un document accessible pour consultation depuis 1994, de permettre l’inscription en 1997 d’une date de priorité de juillet 1992. La juge Desjardins a dit que « [l]’effet rétroactif qu’aurait eu la correction, si elle avait été permise, préoccupait manifestement le commissaire ». La juge disposait également d’éléments de preuve démontrant qu’antérieurement à la demande de correction, deux autres sociétés avaient déposé des revendications de priorité pour des médicaments semblables en vertu de brevets étrangers portant une date antérieure aux brevets américains invoqués par Bristol-Myers. En l’espèce, j’estime que l’appréciation de la commissaire relativement aux droits de tiers susceptibles d’être touchés était fondée, sans plus, sur de simples hypothèses, comme la question de savoir si des tiers avaient déposé au Canada des demandes de brevets semblables au brevet de Repligen intitulé Protéine A modifiée. Cette position est conforme à ce qu’il est indiqué dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets qui présente, à la section 23.04.02, des exemples de cas où des tiers sont susceptibles de subir un préjudice. Voir également la section 23.04 du même recueil où il est indiqué qu’il appartient à la commissaire de décider si la correction doit être faite ou non, selon la nature de l’erreur;

 

g)  enfin, la commissaire a omis d’apprécier tous les facteurs pertinents avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[10]           À la lumière de la décision du juge Lemieux, un autre agent du Bureau des brevets a examiné la demande de correction, mais en est venu à la même conclusion générale. La commissaire refusait encore d’exercer son pouvoir discrétionnaire de corriger l’erreur. La demanderesse demande maintenant à la Cour de contrôler la nouvelle décision de la commissaire, ainsi qu’il est exposé de façon détaillée ci-dessous.

 

II.        La décision visée par la présente demande de contrôle

 

[11]           La commissaire a reconnu que l’inversion originale des chiffres dans le numéro de brevet répondait à la définition d’une erreur d’écriture, contrairement aux renseignements erronés se rapportant à la « date », à l’« année » et à la « taxe », qui sont des renseignements fondamentaux.

 

[12]           Quant à la question de l’objet et du but des dispositions, la commissaire a reproché à la demanderesse son manque de diligence pour ce qui est de s’assurer que les modalités de paiement convenues avec la société de versement des taxes périodiques étaient adéquates. La commissaire a conclu que :

[traduction] 

La titulaire du brevet était la mieux placée en 2006 pour reconnaître que les modalités de paiement qu’elle avait établies en vue de verser ses taxes périodiques avaient des ratés. L’erreur d’écriture dans le numéro de brevet ainsi que les renseignements erronés se rapportant à la « date », à l’« année » et à la « taxe » auraient dû sauter aux yeux de la titulaire du brevet à la suite d’un examen sommaire des lettres envoyées par CPA et reçues de l’Office, et de la confirmation de la date fournie par MacRae & Co. L’apparente inaction à la suite de la lettre de 2007 dans laquelle l’Office avisait la titulaire du brevet qu’elle risquait de perdre des droits suggère un manque de diligence raisonnable incompatible avec l’objet et le but des dispositions se rapportant aux taxes périodiques et de la Loi sur les brevets dans son ensemble.

 

En tenant compte de l’objet et du but des dispositions relatives aux taxes périodiques, l’établissement de modalités avec CPA pour le paiement des taxes périodiques milite en faveur de la correction; toutefois, cette considération doit être mise en balance avec l’apparent manque de diligence raisonnable pour ce qui est de veiller à ce que les modalités de paiement soient adéquates avant l’expiration du délai de grâce prévu par le régime de versement des taxes périodiques.

 

[13]           La commissaire a également tenu compte du rôle de l’OPIC, qui a traité les paiements malgré l’erreur. Elle a toutefois conclu que l’OPIC avait suivi les instructions explicites de CPA dans les documents de paiement de la taxe périodique, n’avait pas caché les paiements faits en double et avait accordé un remboursement dans chaque cas.

 

[14]           L’impact global de la correction était un autre facteur qui militait fortement contre l’octroi de la demande. La commissaire a indiqué que le recours aux dispositions de la Loi se rapportant aux erreurs d’écriture pour renverser rétroactivement la péremption du brevet constituait [traduction] « une mesure de redressement extraordinaire qui exige un examen attentif ».

 

[15]           De même, le préjudice potentiel causé à des tiers militait contre la correction, étant donné que l’information concernant la péremption du brevet de Repligen était accessible au public depuis deux ans et étant donné les répercussions particulières pour la société Rolls-Royce.

 

[16]           La commissaire a résumé l’impact en affirmant que [traduction] « [c]orriger l’erreur de Repligen aujourd’hui pourrait rétroactivement avoir l’effet d’entraîner la péremption du brevet de Rolls-Royce en 2008 » étant donné que les paiements affectés initialement à ce brevet seraient automatiquement réaffectés au brevet de Repligen.

 

[17]           La commissaire a reconnu que certains facteurs militaient en faveur de la correction, mais que d’autres militaient contre. Toutefois, en fin de compte, elle a conclu que la correction [traduction] « ne constituerait pas un exercice valable du pouvoir discrétionnaire ».

 

III.       Les dispositions législatives pertinentes

 

[18]           Deux dispositions importantes de la Loi sont au cœur de la présente demande. La décision de la commissaire reposait sur l’article 8, qui prévoit qu’« [u]n document en dépôt au Bureau des brevets n’est pas invalide en raison d’erreurs d’écriture; elles peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire ».

 

[19]           La présente demande met également en jeu l’article 46, aux termes duquel le titulaire d’un brevet est tenu « de payer au commissaire, afin de maintenir les droits conférés par le brevet en état, les taxes réglementaires pour chaque période réglementaire ». La conséquence du non-paiement des taxes réglementaires dans le délai réglementaire est que « le brevet est périmé ».

 

IV.       La question en litige

 

[20]           La principale question soulevée en l’espèce est celle de savoir si la commissaire a commis une erreur en n’exerçant pas son pouvoir discrétionnaire de corriger l’erreur d’écriture.

 

V.        La norme de contrôle

 

[21]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de la commissaire a été établie par la Cour dans Scannex Technologies LLC c Canada (Procureur général), 2009 CF 1068, [2009] ACF 1326, au paragraphe 22, puis confirmée par le juge Lemieux dans le contrôle judiciaire précédent se rapportant à l’espèce (Repligen Corporation, précitée, au paragraphe 37).

 

[22]           En ce qui concerne l’interprétation de l’article 8, la norme applicable est celle de la décision correcte. Par contraste, l’application du droit aux faits de l’espèce est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

 

[23]           Cette approche est conforme à l’extrait fréquemment cité de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 51 : « [E]n présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte […] »

 

VI.       Analyse

 

[24]           Dès le départ, la demanderesse affirme que le recours à l’article 8 n’est pas nécessaire parce qu’elle a payé la taxe périodique dans le délai prévu. Malgré l’erreur d’écriture, la commissaire ne peut ignorer la remise de la taxe et, par conséquent, le maintien de la validité du brevet. De plus, la demanderesse laisse entendre que la conclusion selon laquelle l’inversion des chiffres constitue une erreur d’écriture a pour conséquence juridique implicite de démontrer que les paiements avaient été remis correctement à l’égard du brevet de Repligen. Se fondant sur la décision du juge Robert Barnes dans Procter & Gamble Co. c Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 976, [2006] ACF 1258, la demanderesse maintient que la commissaire a l’obligation aux termes de l’article 4 de la Loi de s’assurer que les dossiers sont exacts et d’apporter les corrections requises.

 

[25]           Toutefois, je note que le juge Lemieux a expressément rejeté ces arguments pour des motifs valables dans Repligen Corporation, précitée, au paragraphe 55. Il a affirmé ce qui suit :

[55]      […] je ne peux retenir l’argument de l’avocat de la demanderesse portant que le brevet 486 est demeuré en règle malgré le fait qu’en raison de l’erreur d’écriture, les taxes ont été payées à l’égard du mauvais brevet. C’est la raison même de la présente demande fondée sur l’article 8. La commissaire a reconnu que l’erreur relative à l’inversion des chiffres à l’égard des numéros de série des brevets constituait une erreur d’écriture. J’estime qu’il est aussi trop tard maintenant pour soutenir que l’article 8 ne confère pas à la commissaire le pouvoir discrétionnaire de corriger ou non une erreur. L’avocat de la demanderesse n’a pas invoqué cet argument. De plus, je ne peux accepter la conséquence juridique de la conclusion selon laquelle l’inversion des chiffres constituait une erreur d’écriture est que les paiements effectués et acceptés relativement au brevet canadien no 1,314,486 visaient, sans plus, le brevet 486. Une telle conclusion viderait de sens le pouvoir discrétionnaire de la commissaire conféré par l’article 8 de la Loi.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[26]           De plus, son raisonnement est étayé par des décisions répétées de la Cour soulignant le pouvoir discrétionnaire conféré au commissaire en ce qui a trait à la correction des erreurs d’écriture au titre de l’article 8. L’utilisation du terme « peuvent » dans la disposition signifie que cela est facultatif, et non pas impératif ou obligatoire (voir Bayer Aktiengesellschaft c Commissaire des brevets, [1981] 1 CF 656, au paragraphe 9; Dow Chemical Co c Canada (Procureur général), 2007 CF 1236, [2007] ACF 1590, au paragraphe 15; Bristol-Myers Squibb Co c Canada (Commissaire aux brevets) (1997), 138 FTR 144, [1997] ACF 1424, aux paragraphes 10-14, confirmée en appel (1998), 82 CPR (3d) 192 (CA)).

 

[27]           Ce principe est même reconnu dans la décision Procter & Gamble, précitée, comme le signalent les demanderesses. Au paragraphe 31, le juge Barnes a indiqué qu’« il ne serait pas très logique que l’article 8 de la Loi ne confère pas au commissaire le pouvoir discrétionnaire de modifier en conséquence les archives du Bureau des brevets » pour qu’il indique la bonne date de délivrance; toutefois, le juge Barnes a en fin de compte conclu qu’il n’était pas nécessaire que le commissaire examine l’affaire dans le cadre du pouvoir que lui confère l’article 8, compte tenu d’autres obligations découlant de la Loi dans cette affaire. Toutefois, au sujet de la nature discrétionnaire de l’article 8, il a ensuite formulé l’avis suivant :

[34]      La correction d’erreurs d’enregistrement évidentes commises au Bureau des brevets ne devrait pas normalement susciter le genre de préoccupations dont témoigne la décision Bayer, précitée, et, dans de tels cas, le redressement prévu à l’article 8 devrait être d’ordinaire permis au commissaire. Ce redressement est cependant facultatif, et le commissaire ne peut être tenu de faire plus que d’appliquer le pouvoir que lui confère l’article 8 aux faits qui lui sont présentés.

 

[28]           La commissaire dispose du pouvoir discrétionnaire de décider, à la lumière des circonstances de fait, s’il y a lieu de corriger une erreur d’écriture particulière en application de l’article 8. En l’espèce, si l’erreur d’écriture n’est pas corrigée, la remise des taxes à elle seule ne suffit pas pour maintenir le brevet de Repligen en règle.

 

[29]           Par conséquent, je dois examiner la question de savoir si la décision de la commissaire de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire de corriger les erreurs que lui confère l’article 8 était raisonnable dans les circonstances de la demanderesse. Ce faisant, je m’inspire des facteurs énoncés par le juge Lemieux dans Repligen Corporation, précitée. Le défendeur soutient que la commissaire a examiné correctement tous ces facteurs dans le cadre de sa deuxième décision, tandis que la demanderesse conteste plusieurs des principales conclusions.

 

[30]           Selon la jurisprudence, les dispositions relatives aux taxes périodiques font généralement l’objet d’une application rigoureuse (voir Barton No-Till Disk Inc c Dutch Industries Ltd, 2003 CAF 121, [2003] ACF 396; PE Fusion LLC c Canada (Procureur général), 2004 CF 645, [2004] ACF 799). Toutefois, en l’espèce, il aurait fallu que la commissaire aborde d’une manière plus directe certains des facteurs qui distinguent l’affaire Repligen, étant donné que cette dernière a payé la taxe périodique réglementaire, bien qu’elle l’ait fait relativement au mauvais brevet. En fait, les intérêts de Repligen ont été entièrement écartés au prétexte que cette dernière a fait preuve d’un manque de diligence raisonnable. Bien que la commissaire ne puisse ignorer le rôle de Repligen dans la commission de l’erreur, ou du moins dans l’omission de relever cette erreur plus tôt, cela n’écarte pas l’existence d’autres facteurs favorables à Repligen compte tenu du but déclaré de l’article 8.

 

[31]           La décision blanchit l’OPIC, puis met l’accent sur l’impact potentiel sur la société Rolls‑Royce. La commissaire examine le but et l’objet de la loi relativement à Rolls-Royce, ainsi que l’intention qu’avait cette société, par l’entremise de Dennemeyer, de payer les taxes périodiques associées à son brevet. Il est important de noter que Rolls-Royce n’a subi aucun préjudice dans la présente affaire et que son brevet est devenu périmé en 2010. À mon avis, la possibilité que Rolls-Royce ait pu subir quelque préjudice inconnu ne l’emporte pas sur l’obligation qu’avait la commissaire de soupeser ce préjudice possible pour Rolls-Royce avec l’impact sur Repligen, c’est-à-dire la perte de son brevet, d’une manière qui tienne compte du caractère réparateur de l’article 8 de la Loi pour ce qui est de régler les erreurs d’écriture.

 

[32]           Repligen n’a jamais eu droit à un examen de sa situation à la lumière de ces facteurs, malgré la directive expresse du juge Lemieux à cet effet dans Repligen Corporation, précitée. Ce dernier a insisté pour que la commissaire examine l’impact de la perte du brevet sur Repligen et le fait que des paiements avaient été faits pour servir le but de la loi, à savoir contribuer au financement des coûts du Bureau des brevets et éviter les brevets inactifs. Il n’est pas possible d’écarter ces questions sous le seul prétexte qu’il y a eu manque de diligence. En fait, l’approche adoptée par la commissaire suggère que la norme applicable au paiement des taxes périodiques (et aux erreurs d’écriture connexes) est celle de la perfection. Si une telle approche était admise, il serait inutile d’inclure l’article 8 dans la Loi.

 

[33]           De même, dans Repligen Corporation, précitée, le juge Lemieux a reproché à la commissaire d’avoir mal apprécié les pouvoirs de réparation que lui confère l’article 8 de la Loi, signalant que la réparation aurait eu pour effet que le brevet ne serait jamais devenu périmé en vertu du paragraphe 46(2). Le juge Lemieux a laissé entendre qu’il s’agissait d’un élément pertinent pour la cause de la demanderesse, car il renforçait l’importance de ses droits de brevet. Toutefois, la commissaire semble avoir adopté une tout autre interprétation en affirmant qu’[traduction] « il semble raisonnable de conclure que renverser rétroactivement la péremption d’un brevet, au moyen de la correction d’une erreur, constitue une mesure de redressement extraordinaire qui exige un examen attentif ». Cette affirmation a eu pour effet d’ériger un autre obstacle à la réparation espérée par Repligen. À mon avis, tel n’était pas le but des observations faites par le juge Lemieux à cet égard.

 

[34]           Bien que la commissaire ait affirmé avoir tenu compte de tous les facteurs énoncés, du fait qu’elle a mis l’accent sur la diligence raisonnable, elle n’a pas rendu sa décision d’une manière qui puisse être qualifiée de justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). La commissaire a omis de concentrer son attention sur la question centrale du paiement ininterrompu de la taxe périodique par Repligen conformément au régime législatif et sur l’intention qu’avait Repligen de maintenir ses droits de brevet, malgré le fait que ces paiements ont été assignés à un autre brevet. Il faudrait que la décision de la commissaire reflète de manière raisonnable les intérêts de Repligen et de Rolls-Royce dans une situation où les deux ont tenté de se conformer aux dispositions relatives aux taxes périodiques.

 

VII.     Conclusion

 

[35]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens et l’affaire est renvoyée à un autre décideur du Bureau des brevets.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur du Bureau des brevets.

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-338-11

 

INTITULÉ :                                      REPLIGEN CORPORATION c. PGC

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 24 AVRIL 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 27 JUILLET 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Scott Miller et Heather Gallant

 

POUR LA DEMANDERESSE

Monika Bittel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MBM Intellectual Property Law LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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