Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20120711

Dossier : IMM-7302-11

Référence : 2012 CF 873

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

HAGOS GHEBREMICHAEL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente affaire porte sur l’identité du demandeur. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait pas fourni des papiers d’identité acceptables et n’avait donné aucune explication raisonnable quant à l’absence de tels documents ou quant aux mesures qu’il avait prises pour obtenir cet élément de preuve.

 

[2]               L’unique question en litige est celle de savoir si la conclusion que la Commission a tirée quant à l’identité était raisonnable. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’elle n’était pas raisonnable et je renvoie l’affaire pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

[3]               Le demandeur, Hagos Ghebremichael, prétend être un citoyen de l'Érythrée. Il est né à Dire Dawa (Éthiopie), mais il n’est pas certain de sa nationalité. Il croît que sa mère était Somalienne et que son père était Érythréen. Il prétend être Érythréen par tradition en raison de sa filiation paternelle. Après la mort de son père, sa mère l’a emmené vivre à Djibouti chez un oncle paternel. Après la mort de sa mère, il a vécu avec cet oncle, qui l’agressait, puis il a vécu dans les rues de Djibouti. Il prétend avoir été arrêté par la police à un certain nombre de reprises parce qu’il n’avait aucun papier d’identité. Il a été détenu, puis a finalement été libéré lorsque ni les autorités éthiopiennes ni les autorités érythréennes ne voulaient l’accepter.

 

[4]               Après avoir épargné assez d’argent, le demandeur, avec l’aide d’un passeur, s’est rendu au Soudan, en mai 2008, puis en Lybie, en Italie et enfin en Norvège en octobre 2008. Il a demandé l’asile en Norvège, mais sa demande a été rejetée. Il s’est ensuite rendu au Canada où il est arrivé le 3 septembre 2010. Il a demandé l’asile au point d’entrée. Il s’est vu refuser l’entrée et il a été détenu parce qu’il n’avait aucun papier d’identité, car il était arrivé au Canada muni d’un faux passeport.

 

[5]               Pendant qu’il était en détention, le demandeur a communiqué avec son oncle à Djibouti afin d’obtenir des papiers d’identité. L’oncle lui a obtenu un certificat de naissance censé avoir été délivré par le conseil municipal de Dire Dawa. Le certificat a été envoyé directement à Citoyenneté et Immigration Canada. Le certificat, délivré le 15 août 2008, indiquait que le demandeur était de nationalité érythréenne. Il contenait un certain nombre de fautes d’orthographe, notamment le nom de la ville. 

 

[6]               À l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, en août 2011, le commissaire a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le certificat de naissance n’était pas un document authentique. Cette conclusion n’est pas contestée dans le cadre de la présente instance. Le demandeur affirme qu’il ne sait pas comment son oncle s’était procuré le document.

 

[7]               Le commissaire a souligné que le demandeur avait modifié son FRP afin de corriger une faute d’orthographe dans le nom de sa mère. Le commissaire a de plus souligné qu’il était raisonnable de s’entendre à ce que le demandeur soit muni de papiers d’identité, car ceux-ci constituaient un aspect crucial de sa demande d’asile en Norvège.

 

[8]               Le commissaire n’a pas fait mention de deux documents supplémentaires soumis par le demandeur : une lettre émanant de la Kingdom Priests International Church à Djibouti qui mentionnait que le demandeur avait participé à des offices religieux et l’affidavit d’un résident de Toronto qui a déclaré avoir connu le père du demandeur et savoir de quelle nationalité il était.

 

[9]               L’identité est une question de fait et, par conséquent, elle commande l’application de la norme de la raisonnabilité : Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 969, au paragraphe 22; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84, au paragraphe 8.

 

[10]           It ressort clairement de la transcription de l’audience de la Commission que le demandeur a eu de la difficulté à comprendre les questions qui lui étaient posées par l’intermédiaire d’un interprète. À sa demande, on a dû lui répéter les questions à plusieurs reprises ce qui semble avoir causé une certaine frustration chez le commissaire. L’interprète a expliqué que le demandeur ne faisait que demander des précisions.

 

[11]           Lorsqu’on lui a demandé s’il avait tenté d’obtenir d’autres papiers d’identité, le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il s’était rendu à l’ambassade de l’Érythrée et qu’on avait refusé de l’aider. Lorsque le commissaire a demandé où était située l’ambassade de l’Érythrée, le demandeur a répondu : [traduction] « Puis-je regarder l’adresse, je l’ai dans ma poche ? ». Le commissaire n’a pas répondu à cette question, mais il a demandé au demandeur dans quelle ville il s’était rendu. Le demandeur a répondu : [traduction] « C’est à Toronto ». Le commissaire a demandé : [traduction] « à Toronto? Ok ». Le commissaire a tiré de cette réponse une inférence défavorable selon laquelle le demandeur ne s’était pas rendu à l’ambassade de l’Érythrée parce qu’il aurait su où elle était située.

 

[12]           Je prends acte du fait que l’ambassade de l’Érythrée est située à Ottawa. Je suppose que le commissaire savait cela. Il était déraisonnable de la part du commissaire de conclure, à la suite de ce bref échange, que comme le demandeur n’avait pas donné une explication suffisante ou n’avait pas fait preuve d’une diligence raisonnable pour tenter d’obtenir des documents. Il y a un consulat de l’Érythrée à Toronto et il n’est pas étonnant que le demandeur, qui est peu scolarisé, et qui a témoigné par l’intermédiaire d’un interprète, ait pu parler d’une ambassade plutôt que d’un consulat. En outre, il est évident que le demandeur avait l’adresse sur sa personne et aurait pu facilement la produire à l’audience. Il n’a pas « offert » d’obtenir ce renseignement pour rependre les mots utilisés par le commissaire dans ses motifs pour décrire cet échange.

 

[13]           Dans Kalu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 400, au paragraphe 12, la juge Dawson, alors juge à la Cour fédérale, a déclaré ce qui suit :

À mon avis, la Commission, à titre de tribunal spécialisé, n'a pas tenu compte de façon adéquate de la preuve dont elle disposait, laquelle expliquait les difficultés inhérentes à l'obtention de pièces d'identité pour des personnes se trouvant dans la même situation que Macauley et sa représentante désignée. Comme elle n'a pas pris en compte cette preuve, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu'aucun effort raisonnable n'avait été fait afin d'obtenir des pièces d'identité et qu'aucune explication raisonnable n'avait été donnée à ce sujet.

 

[14]           J’ai tiré la même conclusion dans la présente affaire. Comme le demandeur n’a jamais eu de statut juridique depuis qu’il a quitté l’Éthiopie alors qu’il était enfant, il lui aurait été particulièrement difficile d’obtenir des documents officiels prouvant son identité. Le demandeur n’avait que le certificat de naissance mis en doute fourni par une tierce partie (son oncle) et un certain nombre d’autres documents, y compris l’affidavit, indiquant qu’il était la personne qu’il prétend être et que son père était bel et bien Érythréen. Même alors, la question de sa citoyenneté serait complexe, car l’Érythrée n’était pas un pays indépendant à l’époque du décès de son père et elle a refusé de reconnaître le demandeur. Le commissaire n’a apparemment pas tenu compte de ces problèmes.

 

[15]           Les documents soumis par le demandeur comprennent des documents du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur la citoyenneté des personnes en Éthiopie qui ont des parents d’origines différentes, des rapports psychologiques et psychiatriques sur l’état de sa santé mentale et d’autres documents corroborant le récit apparemment cohérent. Il est clair, compte tenu de la preuve dont il était saisi, que le commissaire n’a pas tenu compte de la situation particulière du demandeur lorsqu’il a évalué s’il faisait preuve d’une diligence raisonnable pour demander des documents et s’il avait une explication raisonnable quant au fait qu’il n’en avait pas. La transcription de la brève audience démontre également que le commissaire n’a pas vraiment fait d’effort pour tenir compte de la situation du demandeur.

 

[16]           Il semble que certains des éléments de preuve soumis à la Commission, comme l’affidavit de Theodros Michael Bockru, n’aient pas été pris en compte. L’affidavit, s’il est accepté, corrobore la croyance de l’accusé quant aux origines de son père. Il était loisible à la Commission de conclure que cet élément de preuve était peu probant, mais elle ne l’a pas mentionné dans ses motifs. La juge Layden-Stevenson, devenue par la suite juge à la Cour d’appel fédérale, a déclaré ce qui suit dans Lin, précitée, au paragraphe 14 :

[…] Il est incontestable que la SPR pouvait considérer que l'identité n'avait pas été établie. Cependant, pour arriver à cette conclusion, elle devait d'abord tenir compte de l'ensemble de la preuve dont elle disposait. Or, il ne me semble pas que c'est ce qu'elle a fait. Si elle a tenu compte de l'ensemble de la preuve, ses motifs ne l'indiquent pas clairement. De toute façon, la décision de la SPR est manifestement déraisonnable parce que je suis incapable de conclure qu'elle a été rendue sur la foi de la preuve dont disposait le commissaire de la SPR. En conséquence, la décision doit être annulée.

 

 

[17]           Comme dans Lin, il ne fait aucun doute qu’il était loisible à la Commission de conclure que l’identité du demandeur n’avait pas été établie surtout compte tenu de sa conclusion raisonnable selon laquelle le certificat de naissance était faux. Néanmoins, la Commission était tenue d’examiner l’ensemble des éléments de preuve dont elle était saisie et rien au dossier n’indique qu’elle l’a fait. Compte tenu de l’examen sommaire de la question de l’identité révélée par la transcription, il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire où je suis disposé à présumer que la Commission a tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont elle ne fait pas précisément mention. Je ne suis pas non plus disposé à compléter les motifs de la Commission par mon propre examen du dossier.

 

[18]           Par conséquent, selon moi, la décision de la Commission concernant l’identité n’est pas raisonnable, car elle est dépourvue de justification, de transparence et d'intelligibilité en ce qui a trait aux faits du dossier. L’analyse de la Commission quant à la question de savoir s’il existait une explication raisonnable justifiant l’absence de document et si le demandeur avait fait preuve de diligence raisonnable afin d’obtenir des papiers d’identité ne repose manifestement pas sur la preuve.

 

[19]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la Commission pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7302-11

 

INTITULÉ :                                      HAGOS GHEBREMICHAEL

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                            Le 11 juillet 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul VanderVennen

 

POUR LE DEMANDEUR

Bridget O’Leary

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

PAUL VANDERVENNEN

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.