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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20120614


Dossier : IMM-6072-11

Référence : 2012 CF 752

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

THINESH NADARASA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka, a présenté une demande d’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Sa demande était fondée sur une crainte de persécution en raison de son origine ethnique – il est un Tamoul du Nord – et de son présumé soutien aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET]. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté sa demande pour des motifs de crédibilité et de changement de circonstances. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[2]               En accueillant la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour est préoccupée par le fait que la Commission n’a pas examiné un aspect de la demande dont le demandeur a traité brièvement, à savoir qu’il craignait également d’être persécuté en tant que demandeur d’asile débouté. Bien que cet aspect concerne à la fois la conclusion relative à la crédibilité et celle relative au changement de circonstances, son traitement repose sur un fondement juridique différent.

 

II.        LE CONTEXTE

[3]               Le demandeur a donné maints exemples d’incidents survenus pendant la période de 2004 à 2010, au cours desquels il a été arrêté par l’armée, harcelé et menacé. Il prétendait en outre avoir été détenu et battu à différents moments. Dans un grand nombre de ces cas, il a été libéré en échange d’un pot‑de‑vin.

 

[4]               Le 7 janvier 2010, le demandeur a quitté le Sri Lanka et, après avoir passé quatre mois en détention aux États‑Unis, où il avait à tout le moins droit à l’aide juridique s’il voulait demander l’asile, il est arrivé au Canada au début d’octobre 2010. Il n’a jamais demandé l’asile aux États‑Unis.

 

[5]               La Commission a statué sur le fond de la demande d’asile en s’appuyant sur ses conclusions défavorables concernant la crédibilité. Elle n’a pas cru que les détentions avaient duré longtemps et elle a noté que le demandeur avait été libéré soit après avoir été averti de se tenir loin des TLET, soit après avoir versé un pot‑de‑vin. Le fait que le demandeur a été libéré dans tous les cas a amené la Commission à conclure qu’aucun mandat d’arrêt n’avait été lancé contre lui et qu’il n’était inscrit sur aucune liste de surveillance du gouvernement.

 

[6]               La Commission n’a pas cru non plus que les membres d’un groupe paramilitaire tamoul à la recherche du demandeur s’étaient rendus chez les parents de celui‑ci après son départ du pays. Selon elle, ce groupe avait accès aux bases de données de la police où aurait été inscrit le départ du demandeur. Le groupe paramilitaire aurait donc su que le demandeur avait quitté le Sri Lanka. La Commission a considéré que le demandeur essayait d’ajouter du poids à sa demande d’asile en invoquant cette visite.

 

[7]               En ce qui concerne le fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis, la Commission a conclu que, s’il craignait véritablement de retourner au Sri Lanka, le demandeur aurait saisi l’occasion de demander l’asile aux États‑Unis où il était détenu par les autorités de l’immigration et où des ressources étaient à sa disposition. Ce défaut de demander l’asile influait sur le bien‑fondé de sa crainte.

 

[8]               La Commission a statué également que, contrairement à la crédibilité, le changement de circonstances survenu au Sri Lanka était déterminant. Elle a passé en revue les dispositions législatives et la jurisprudence régissant le changement de circonstances dans le contexte des demandes d’asile.

 

[9]               La Commission s’est appuyée fortement sur le rapport du Border Agency du Royaume-Uni du 11 novembre 2010 parce qu’il s’agissait du rapport le plus récent rédigé par un organisme indépendant et qu’il était fondé sur un grand nombre de sources externes. Tout en reconnaissant que certains rapports récents décrivaient de façon négative la situation des Tamouls, elle a affirmé que, selon la prépondérance des probabilités, la situation des Tamouls au Sri Lanka s’était considérablement améliorée au cours des deux années précédentes. Elle a conclu qu’il existait moins qu’un risque sérieux que le demandeur soit persécuté en raison de son origine ethnique.

 

[10]           La Commission a statué que, si les personnes considérées comme étant fortunées (une catégorie pouvant inclure le demandeur) étaient susceptibles d’être victimes d’extorsion et de vol, il s’agissait d’un risque généralisé et répandu auquel était exposée la population en général. Ce risque était donc exclu par l’alinéa 97(1)b).

 

[11]           La Commission n’a pas examiné la prétention du demandeur selon laquelle il était exposé à un risque de persécution parce qu’il était un demandeur d’asile débouté. Le conseil du demandeur avait produit des documents, avait fait référence à deux d’entre eux et avait présenté de brefs arguments sur la question.

 

III.       ANALYSE

A.        Les questions en litige

[12]           Les questions suivantes sont en litige dans le présent contrôle judiciaire :

1)         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une conclusion défavorable concernant la crédibilité?

2)         La Commission a-t-elle commis une erreur en n’examinant pas les [traduction] « motifs de persécution liés à la qualité de demandeur d’asile débouté »?

 

[13]           Le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la Commission concernant le « changement de circonstances ». Une telle conclusion est généralement déterminante. En l’espèce cependant, la Commission a omis d’aborder la question du demandeur d’asile débouté.

 

B.        La norme de contrôle

[14]           Il est bien établi en droit que les décisions de la Commission sur la crédibilité et les invraisemblances sont de nature largement factuelle et doivent faire l’objet d’une grande déférence. La norme de contrôle qui s’applique à ces décisions est celle de la raisonnabilité (voir, par exemple, Cekim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 177, au paragraphe 6 (disponible sur CanLII)).

 

[15]           En ce qui concerne la deuxième question, le défaut d’examiner des motifs de persécution pertinents est une question de droit qui doit être contrôlée au moyen de la norme de la décision correcte (Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519, au paragraphe 49, 389 FTR 165; Solodovnikov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1225, au paragraphe 10, 41 Imm LR (3d) 259; Singh c Canada (Secrétaire d’État) (1994), 80 FTR 132, [1994] ACF no 931 (QL), au paragraphe 14).

 

C.        La crédibilité

[16]           Compte tenu de l’issue du présent contrôle judiciaire, la Cour s’abstiendra de procéder à une analyse complète de la première question relative à la crédibilité. Cette décision n’a aucune incidence sur la conclusion de la Cour concernant la deuxième question, laquelle est une question de droit.

 

[17]           Il suffit de dire que, lorsque la crédibilité est fondée sur des invraisemblances, comme c’est le cas en l’espèce, les conclusions d’invraisemblance doivent être raisonnablement tirées et être énoncées en « termes clairs et explicites » (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 (disponible sur CanLII)). Dans Gjelaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 37, au paragraphe 4 (disponible sur CanLII), la Cour a indiqué que la Commission peut s’acquitter de ces obligations en invoquant des « éléments de preuve fiables et vérifiables au regard desquels la vraisemblance des témoignages des demandeurs pourraient être appréciés ».

 

[18]           La Cour est préoccupée par le fait que la Commission n’a cité aucun élément de preuve au soutien de la conclusion selon laquelle le groupe paramilitaire avait accès aux bases de données de la police ou pour déterminer si, selon le groupe paramilitaire, ces bases de données renfermaient des renseignements au sujet des personnes qui avaient quitté le pays ou si le groupe paramilitaire avait effectivement consulté ces bases de données.

 

[19]           Même si le demandeur n’avait pas gain de cause quant à sa contestation fondée sur sa crainte d’être persécuté en raison de son origine ethnique et visant la conclusion tirée par la Commission au sujet de sa crédibilité, il n’en reste pas moins que la Commission n’a pas abordé la question de sa crainte fondée sur la qualité de demandeur d’asile débouté.

 

D.        La qualité de demandeur d’asile débouté

[20]           La question juridique du droit d’une personne de faire examiner les motifs de sa demande d’asile transcende la conclusion non contestée concernant le changement de circonstances. La conclusion d’un changement de circonstances ne permet pas de rendre une décision au sujet de la présumée crainte fondée sur le fait d’être un demandeur d’asile débouté et ne rend pas cette question théorique.

 

[21]           En l’espèce, le conseil du demandeur a traité brièvement de cette question qui ne constituait pas le principal motif invoqué au soutien de la demande d’asile :

[traduction] Il y a plusieurs articles auxquels je ferai référence à l’onglet C‑2 de mon dossier; le premier, qui se trouve à la page 1, indique que tous les demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka sont livrés au Service des enquêtes criminelles et à la police sri‑lankaise et que bon nombre d’entre eux sont détenus et maltraités pendant leur détention. Le fait que ces personnes venant de l’étranger sont arrêtées et maltraitées par les autorités a également été confirmé par un article d’Amnistie, à la page 6, qui fait état de plusieurs des personnes qui sont revenues d’Australie et des mauvais traitements dont elles ont été victimes à leur retour.

 

[22]           Le conseil a mentionné qu’il ferait référence à plusieurs articles, mais il en mentionne deux en particulier qui traite de la situation des demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka et des mauvais traitements dont ils font l’objet.

 

[23]           Cette preuve doit également prise en compte dans le contexte de la conclusion de changement de circonstances et, en particulier, de la conclusion selon laquelle il existe encore des problèmes touchant les Tamouls.

 

[24]           Bien que les cours de justice ne doivent pas examiner dans les moindres détails le dossier de la Commission et que la décision doive être considérée dans son ensemble pour déterminer si elle est raisonnable, chaque demandeur a le droit, en vertu de la loi, de voir les motifs qu’il invoque au soutien d’une demande être examinés s’ils sont suffisamment exprimés.

 

[25]           Comme la juge Snider l’a statué dans Ghirmatsion, ci‑dessus, même le défaut d’expliquer pourquoi un motif de persécution n’a pas été apprécié constitue une erreur susceptible de contrôle. Que ce soit parce que cette erreur avait rendu la décision déraisonnable ou parce qu’il s’agissait d’une erreur de droit n’avait aucune importance dans cette affaire.

 

[26]           Je conclus que le fait de ne pas examiner une question de persécution qui a été raisonnablement et clairement soulevée constitue une erreur de droit parce qu’il s’agit d’un manquement à la justice naturelle ou à l’équité et d’une erreur de compétence, la Commission n’ayant pas exercé sa compétence.

 

[27]           Avec égards, je ferais une distinction avec Paramanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 338 (disponible sur CanLII), parce que, dans cette affaire, les motifs de risque secondaires n’avaient pas été suffisamment exprimés pour obliger la Commission à les examiner. En l’espèce, ce motif additionnel a été suffisamment invoqué pour que la Commission soit tenue de l’examiner.

 

[28]           La Commission a commis une erreur de droit en ne s’intéressant pas à la question de la qualité de demandeur d’asile débouté et sa décision ne peut être maintenue.

 

IV.       CONCLUSION

[29]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un tribunal différemment constitué.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-6072-11

 

INTITULÉ :                                                      THINESH NADARASA c

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                             Le 19 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                            LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                    Le 14 juin 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul VanderVennen

 

                       POUR LE DEMANDEUR

 

Suran Bhattacharyya

 

                       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                        POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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