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Date : 20120504

Dossier : IMM-7144-11

Référence : 2012 CF 538

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

B. L.

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 14 septembre 2011, par laquelle sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) a été rejetée.

 

[2]               Des initiales ont été substituées au nom du demandeur dans l’intitulé, en raison de la nature délicate de certaines informations contenues dans les présents motifs ainsi que du droit du demandeur et de sa famille au respect de leur vie privée.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande sera accueillie.

 

LE CONTEXTE

 

[4]               Le demandeur est âgé de 42 ans et est un citoyen de la Chine. Il était venu au Canada en 2000, alors qu’il était parrainé par son épouse. Ils avaient divorcé en 2002, et le demandeur avait obtenu la garde de leur enfant, un garçon. En mai 2003, le demandeur avait été déclaré coupable d’avoir agressé sexuellement sa petite amie de l’époque. La peine qu’on lui a imposée comprenait le temps qu’il avait déjà passé en prison ainsi qu’une période de probation d’un an. 

 

[5]               En raison de sa déclaration de culpabilité, le demandeur avait été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité, et une mesure d’expulsion avait été prise en septembre 2004. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision avait été rejetée en janvier 2008.

 

[6]               Un examen des risques avant renvoi, dont l’issue s’était avérée défavorable, avait été achevé en juillet 2007. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cet examen a été accueillie; toutefois, la demande de contrôle judiciaire avait été rejetée en mai 2008. Une décision, elle aussi défavorable, quant à un deuxième examen des risques avant renvoi avait été rendue le 27 mai 2011.

 

[7]               En août 2009, le demandeur avait présenté une demande CH, qui visait à lui permettre de rester au Canada. La demande avait été examinée par le même agent principal d’immigration qui avait rendu la décision quant au deuxième examen des risques avant renvoi. Celui-ci a rejeté la demande CH le 30 mai 2011. L’un des motifs pour ce faire était que les facteurs CH jouant en la faveur du demandeur ne l’emportaient pas sur la gravité de l’infraction criminelle dont celui-ci avait été déclaré coupable.

 

[8]               Avant que la décision défavorable quant à la demande CH n’eût été délivrée au demandeur, l’agent avait été informé que le demandeur s’était vu octroyer une réhabilitation relativement à la déclaration de culpabilité pour agression sexuelle prononcée en 2003. Pour une raison ou une autre, cette information n’avait pas été fournie à l’agent, lorsque le demandeur avait eu des occasions de mettre à jour les renseignements figurant à son dossier. À la suite de cette nouvelle information, l’agent a réexaminé sa décision, mais a conclu, dans un addenda à la décision rendue en mai quant à la demande CH, que le rejet de la demande devait être maintenu.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               Les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

a)      L’agent a-t-il commis une erreur en ayant recours au critère des « difficultés » plutôt qu’à celui de l’« intérêt supérieur » dans son examen des répercussions de la décision sur les enfants du demandeur?

b)      L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’effet de la réhabilitation?

 

ANALYSE

            La norme de contrôle applicable

 

[10]           Les parties et la Cour conviennent que, règle générale, le contrôle judiciaire d’une décision quant à une demande CH commande la norme de la raisonnabilité : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 57 à 62

 

[11]           La Cour a déclaré, dans plusieurs de ses décisions, que la norme de contrôle applicable, lorsqu’il s’agit d’établir si l’agent CH a employé le bon critère juridique, est la décision correcte : Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1285, au paragraphe 26; Osegueda Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 677, au paragraphe 7; Khalil Markis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 428, au paragraphe 19.

 

[12]           Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, « [l]a cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose ».

 

[13]           L’avocat du demandeur a retiré un argument qui aurait nécessité que la Cour se penche sur la question de savoir si l’agent avait privé le demandeur de son droit à l’équité procédurale.

 

L’agent a-t-il commis une erreur dans son application du critère de l’intérêt supérieur?

 

[14]           Lorsqu’il examine une demande CH, l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » aux intérêts des enfants : Baker, précité, au paragraphe 75. L’intérêt supérieur de l’enfant constituera un facteur important, mais non déterminant, de cet examen. Un agent déterminera plutôt les intérêts dont il doit tenir compte et soupèsera le facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant avec les autres facteurs CH, favorables comme défavorables : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 11.

 

[15]           La Cour d’appel fédérale a énoncé ce qui suit dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 4 :

On détermine l’« intérêt supérieur de l’enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’[il] quitte le Canada volontairement si [il] souhaite accompagner son parent à l’étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d’une même médaille, celle-ci étant l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[16]           Ce critère ne prévoit pas l’examen de la question de savoir si l’enfant vivra des difficultés « inhabituelles, injustifiées ou excessives », puisque cette norme ne s’applique qu’à la situation où un demandeur pourrait être obligé de présenter une demande d’entrée au Canada à partir de l’étranger : Shchegolevich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 527, aux paragraphes 11 et 12; Arulraj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529, au paragraphe 14; Beharry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 110, au paragraphe 13.

 

[17]           Le fait que ces mots apparaissent dans une décision CH ne fera pas nécessairement en sorte que cette décision sera déraisonnable. La Cour doit examiner la décision dans son ensemble pour vérifier si l’agent a tout de même appliqué le bon critère et s’il a procédé à une analyse appropriée : Lopez Segura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 894, au paragraphe 29; Beharry, précitée, au paragraphe 12.

 

[18]           Lors de l’audience, l’avocat du défendeur a, à juste titre, reconnu que la Cour donnerait raison au demandeur si elle jugeait que l’agent avait appliqué le critère des difficultés aux intérêts des enfants sur le fond plutôt que sur la forme. Il s’agit d’ailleurs de ma conclusion.

 

[19]           Dans sa décision, l’examen que l’agent a effectué au sujet du fils du demandeur comprenait une mention de l’âge de celui-ci, le fait que son père en avait la garde exclusive et qu’ils résidaient ensemble, avec la conjointe de fait du père ainsi que leur fillette. L’agent a souligné qu’il n’y avait pas de preuve concernant l’endroit où vivait sa mère biologique. Il a mentionné que le demandeur pourrait décider si l’enfant retourne en Chine avec lui ou s’il reste au Canada. Le statut de résident permanent du fils du demandeur lui permettait de quitter le pays et d’y revenir, s’il le désirait, une fois qu’il aurait atteint l’âge de 18 ans. L’agent a reconnu que le fils du demandeur réussissait très bien à l’école et qu’il n’était atteint d’aucune déficience mentale ou physique.

 

[20]           En ce qui concerne la fillette du demandeur, l’agent a relevé qu’elle était une citoyenne du Canada et qu’elle pouvait, à ce titre, quitter le Canada et y revenir, qu’elle vivait avec la famille et qu’elle ne souffrait, elle non plus, d’aucune déficience mentale ou physique. Il a mentionné l’existence de photos, qui témoignaient d’une atmosphère familiale positive. L’agent a énoncé ce qui suit, à titre de conclusion de son analyse : 

[traduction]

 

Malgré les photos, on ne m’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que [le fils] ou [la fille] seraient exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées, ou que les deux enfants mineurs feraient face à des difficultés excessives, dans la mesure où l’un d’entre eux devait être physiquement séparés de [B.L.] (en restant au Canada, à la discrétion de son père en ce qui concerne le fils, et à celle de ses parents en ce qui concerne la fille), ou si l’un d’entre eux devait accompagner [B.L.] en République populaire de Chine (que ce dernier soit accompagné ou non de [la conjointe]).   

 

[Les noms ont été omis.]

 

 

[21]           Je suis convaincu que les motifs de l’agent ne démontrent pas qu’il a conduit une analyse adéquate de l’intérêt supérieur des enfants au moyen du bon critère. En ce qui concerne le fils du demandeur, les motifs contiennent des énoncés de faits, mais n’examinent pas sa relation avec son père, ni sa dépendance émotive ou financière à l’égard de celui-ci, et ne tiennent pas compte des avantages dont il bénéficierait si son père devait rester au Canada, ni des désavantages avec lesquels il devrait composer si son père devait être expulsé. Les éventuelles difficultés auxquelles il devrait faire face en ce qui concerne la langue d’enseignement et les défis auxquels il serait exposé s’il devait accompagner son père ne sont pas abordés, à l’exception du fait qu’il pourrait revenir au Canada une fois qu’il aurait atteint l’âge de la majorité. 

 

[22]           Les motifs donnés en ce qui concerne la fille du demandeur posent également problème, puisque l’agent a simplement mentionné qu’elle vivait avec ses parents, qu’elle était une citoyenne du Canada et que c’était ses parents qui décideraient de l’endroit où elle vivrait et où elle irait à l’école. Il n’y a pas d’analyse au sujet de sa relation avec son père et de sa dépendance envers celui-ci, comme cela avait été mentionné dans l’arrêt Hawthorne, précité, au paragraphe 50.

 

[23]           Par conséquent, je suis convaincu que, en substance, la preuve ne démontre pas que l’agent a appliqué le bon critère dans la présente affaire.

 

L’agent a-t-il commis une erreur dans son appréciation de l’effet de la réhabilitation?

 

[24]           Bien qu’il ne soit pas absolument nécessaire que je me penche sur cette question, compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu quant à la question précédente, j’exposerai mon point de vue au sujet de cette question, au bénéfice du prochain agent qui examinera la présente affaire.  

 

[25]           Dans la décision CH initiale, rendue en mai 2011, l’agent a conclu que les facteurs CH favorables n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur le crime grave commis par le demandeur, huit ans auparavant. Cette conclusion a été tirée en dépit de l’existence d’éléments de preuve qui atténuaient la gravité de l’infraction et qui démontraient que le demandeur avait obtenu, avec l’aide de sa conjointe de fait et de son pasteur, la réhabilitation.

 

[26]           Lorsqu’il a été informé du fait que le demandeur s’était vu octroyer la réhabilitation, l’agent a, à juste titre, reconnu qu’il devait réexaminer sa première décision. Ce réexamen a pris la forme d’un addenda, qui a été ajouté à la première décision. Dans l’introduction de l’addenda, l’agent a déclaré qu’il avait [traduction] « procédé à un autre examen complet de la demande ».

[27]           Cependant, les deux décisions sont substantiellement identiques; la seule réelle différence étant la suppression des références à la déclaration de culpabilité du demandeur et à l’interdiction de territoire qui en résultait. Il n’y a pas d’analyse à l’appui de la déclaration de l’agent portant qu’il s’était penché sur la question de la réhabilitation et qu’il avait conduit un nouvel examen. Il n’explique pas pourquoi il rejetait encore la demande, étant donné le poids important qu’il avait attribué à [traduction] « l’interdiction de territoire pour grande criminalité » du demandeur, laquelle n’était plus en cause.

 

[28]           Je suis donc d’avis que les motifs pour lesquels l’agent a rejeté la demande lors du deuxième examen étaient inadéquats.

 

[29]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé qu’une question grave de portée générale en vue de la certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      L’intitulé est modifié de manière à substituer les initiales B.L. au nom du demandeur;

2.      La demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen;

3.      Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7144-11

 

INTITULÉ :                                      B L

 

                                                            c

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 2 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 4 mai 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gregory G. George

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DOUGLAS LEHRER

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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