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Date : 20120523

Dossier : T-1357-09

Référence : 2012 CF 553

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

APOTEX INC.

 

demanderesse

 

et

 

SANOFI-AVENTIS

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH
et SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

 

défenderesses

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT
(motifs confidentiels du jugement rendus le 11 mai 2012)

 

 

LA JUGE SNIDER

 

I.                   Introduction

[1]               Apotex Inc. (Apotex), la demanderesse en l’espèce, vend sur le marché canadien une version générique du ramipril — un médicament utilisé principalement contre l’hypertension. Sanofi-Aventis Canada Inc. (Sanofi), l’une des défenderesses dans la présente action, détient ou a détenu des droits de brevet sur une version de marque du ramipril : l’ALTACE.

[2]               Apotex a reçu de Santé Canada, en 2004, certaines autorisations réglementaires, mais elle n’a pu commencer à vendre l’Apo-ramipril que le 12 décembre 2006, date à laquelle elle a reçu son avis de conformité (AC) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les MB (AC), ou le Règlement). Ce délai a été causé, en tout ou en partie, par les mesures prises par Sanofi, laquelle a exercé les droits que lui conférait le Règlement à un sursis réglementaire à la délivrance d’un AC à Apotex. Dans la présente action, Apotex soutient que Sanofi, Sanofi-Aventis (Sanofi France) et Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (Sanofi Allemagne) sont responsables envers elle de la perte qu’elle a subie au cours de la période s’étendant du 26 avril 2004 au 2 mai 2008, ainsi que le prévoit le paragraphe 8(1) du Règlement.

 

[3]               La défenderesse, Sanofi, est une société canadienne qui fabrique, vend et distribue des produits pharmaceutiques. Sanofi a plusieurs prédécesseurs, dont Hoechst Marion Roussel Canada Inc. (Hoechst), Rhône-Poulenc Rorer Canada Inc. et Aventis Pharma Inc. (Aventis). Dans les présents motifs du jugement, le nom « Sanofi » désigne Sanofi et les sociétés qui l’ont précédée, sauf si le contexte dénote le contraire.

 

[4]               Sous réserve de questions de validité évoquées dans ses actes de procédure, Sanofi reconnaît et admet qu’Apotex a droit à des dommages-intérêts en vertu de l’article 8. Cependant, elle conteste de nombreux éléments de la demande d’Apotex, dont : a) les dates qui s’appliquent au calcul de la perte subie et b) les diverses présomptions et projections intégrées à l’évaluation des dommages-intérêts.

 

[5]               La prétention de Sanofi concernant l’invalidité de l’article 8 du Règlement a été plaidée séparément dans le cadre d’une audience mettant en cause la présente action et des questions semblables dans le dossier de la Cour no T‑1161‑07 (Teva Canada Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc et Sanofi-Aventis Deutschland GmbH). Des motifs distincts ont été rendus au sujet des questions de validité (voir 2012 CF 551). De plus, par une ordonnance de la protonotaire Milczynski, datée du 31 mai 2011, toutes les prétentions d’Apotex relatives à Sanofi France et à Sanofi Allemagne ont été scindées. C’est la raison pour laquelle les présents motifs ne traitent pas des prétentions d’invalidité de Sanofi ou des prétentions d’Apotex à l’encontre de Sanofi France et de Sanofi Allemagne.

 

[6]               Mon objectif premier consiste à évaluer le montant de l’indemnité à accorder à Apotex. Conformément aux indications de la Cour d’appel dans l’arrêt Apotex Inc c Merck & Co, 2011 CAF 329, au paragraphe 75, 425 NR 279 [Norfloxacine (CAF)], cela exige que j’étudie la question hypothétique suivante : que se serait-il passé si Sanofi n’avait pas déposé une demande d’interdiction? Autrement dit, il me faut bâtir un monde hypothétique, existant pendant un temps défini dans le passé, afin de déterminer quelle aurait été la part du marché du ramipril qu’Apotex se serait appropriée si elle avait été en mesure de vendre sa version générique de ce médicament. Outre certaines des questions ordinaires qui se posent lors d’une évaluation des dommages‑intérêts, l’une des tâches principales qui m’incombe consiste à examiner diverses dispositions du Règlement, et les principes bien établis de l’interprétation législative me serviront de guide pour déterminer ce qui constitue, selon moi, le sens exact.

 

[7]               Dans les motifs qui suivent, je traite des nombreuses questions que soulève la présente action. Trois de mes conclusions principales sont les suivantes :

 

1.                  la période de responsabilité (la période pertinente), pour ce qui est de l’évaluation des pertes d’Apotex, s’étend du 26 avril 2004 au 12 décembre 2006;

 

2.                  la Cour se doit de tenir compte de la possibilité qu’il y ait de multiples nouveaux arrivants sur le marché au cours de la période pertinente, mais elle n’est pas tenue de créer un monde hypothétique unique qui s’appliquerait à toutes les demandes qui peuvent être fondées sur l’article 8. Au vu des faits de l’espèce, il est plus probable que le contraire qu’un médicament générique autorisé par Sanofi (un  médicament générique autorisé, ou un MGA) aurait fait son apparition sur le marché des médicaments génériques le 26 juillet 2004, et que Teva Canada Limited [Teva] aurait emboîté le pas le 1er août 2006;

 

3.                  pour évaluer les dommages qu’Apotex a subis, il n’y a pas lieu d’effectuer un rajustement pour tenir compte des éléments suivants : a) une seconde « transition » ou b) les ventes réalisées à l’égard d’une indication non approuvée.

 

[8]               La présente action est l’une de trois actions en dommages-intérêts fondées sur l’article 8 que des fabricants de médicaments génériques ont engagées contre Sanofi relativement au ramipril. Celle dont il est question ici est la deuxième qui a été instruite. La première est Teva Canada Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc et Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (dossier de la Cour no T‑1161‑07). L’instruction de cette action a eu lieu juste avant le début de la présente instance et s’est soldée par une décision qui a été rendue en même temps que les présents motifs. La troisième action est Sanofi-Aventis Canada Inc et al c Laboratoire Riva Inc (dossier de la Cour no T‑1201‑08), et son instruction n’a pas encore eu lieu.

 

[9]               Je présente à l’annexe A un bref aperçu des nombreux témoins experts et factuels qui ont comparu dans le cadre de la présente instance, ainsi que des aspects sur lesquels ils ont témoigné Pour ce qui est des experts, j’ai décrit les domaines pour lesquels j’ai reconnu qu’ils avaient la compétence voulue pour me faire part de leurs opinions d’expert. Des références plus détaillées aux preuves et aux dépositions des témoins figurent dans les sections applicables des présents motifs.

 

II.                Table des matières

[10]           Voici une table des matières qui sera utile au lecteur. Elle contient le numéro de paragraphe qui correspond au début de chacune des sections mentionnées.


 

I.                   Introduction.............................................................................................. [1]

II.                Table des matières................................................................................... [10]

III.             Les questions en litige ............................................................................ [11]

IV.             Le contexte essentiel............................................................................... [13]

A.                Le cadre établi par le Règlement sur les MB (AC)...................... [13]

B.                Les brevets relatifs au ramipril..................................................... [26]

C.                Les présentations réglementaires et le litige d’Apotex................ [29]

V.                La période pertinente.............................................................................. [37]

A.                La date du début de la période................................................... [37]

B.                La date de la fin de la période..................................................... [56]

1)                  La date d’Apotex : le 2 mai 2008................................... [59]

2)                  La date de Sanofi : le 27 juin 2006................................. [65]

3)                  Une date de rechange : le 12 décembre 2006 ................ [81]

C.                La conclusion au sujet de la période pertinente .......................... [83]

VI.             La taille générale du marché du ramipril................................................. [84]

VII.          La taille du marché des médicaments génériques................................. [105]

A.                La pénétration du marché.......................................................... [107]

B.                Les inscriptions aux formulaires des médicaments.................... [115]

C.                La conclusion sur le marché des médicaments génériques........ [123]

VIII.       La part du marché des médicaments génériques qu’occupe Apotex.... [124]

A.                La vision qu’a Sanofi du monde hypothétique......................... [128]

B.                Les autres fabricants de médicaments génériques .................... [140]

1)                  Teva............................................................................... [151]

2)                  Riva............................................................................... [161]

3)                  Les fabricants de médicaments génériques autorisés.... [169]

a)                  Le Règlement interdit-il la présence d’un MGA? [174]

b)                  Sanofi aurait-elle décidé de lancer un MGA? .. [181]

c)                  Quand le MGA serait-il entré sur le marché?.... [191]

4)                  La conclusion sur la présence d’autres fabricants de médicaments génériques dans le monde hypothétique.................................................................. [203]

C.                La part du marché des médicaments génériques qu’Apotex aurait occupée  [204]

1)                  La part d’Apotex .......................................................... [204]

2)                  Le rajustement de la ligne d’approvisionnement........... [221]

IX.             Les ventes brutes qu’Apotex a perdues ............................................... [227]

X.                Le montant net de la perte de profits d’Apotex................................... [237]

A.                Les rendus sur vente.................................................................. [241]

B.                Les dépenses commerciales ...................................................... [244]

C.                Le coût de l’IPA........................................................................ [255]

D.                Autres coûts ou rajustements possibles..................................... [260]

1)                  Medichem ..................................................................... [261]

2)                  La capacité de fabrication............................................. [262]

3)                  La transition ultérieure.................................................. [265]

XI.             Les indications non autorisées .............................................................. [272]

XII.          Conclusions........................................................................................... [296]

 

Annexe A Liste des témoins

 


 

 

III.             Les questions en litige

[11]           De façon très générale, l’évaluation des dommages-intérêts d’Apotex comporte cinq étapes :

 

1.                  déterminer la durée de la période de responsabilité (la période pertinente);

 

2.                  déterminer la taille générale du marché du ramipril au cours de la période pertinente (le marché du ramipril);

 

3.                  déterminer la part du marché du ramipril que Sanofi se serait appropriée et la part que des fabricants de médicaments génériques auraient occupée au cours de la période pertinente (le marché des médicaments génériques);

 

4.                  déterminer la part du marché des médicaments génériques qu’Apotex aurait occupée (les volumes qu’Apotex a perdus);

 

5.                  quantifier les dommages qu’Apotex aurait subis en ce qui concerne les volumes perdus (le montant net de la perte de profits d’Apotex).

 

[12]           Dans la présente affaire, ces étapes obligent à tenir compte d’un certain nombre de questions sur lesquelles les parties ne s’entendent pas :

 

1.                  Quelle est la date appropriée du début de la période pertinente à l’égard de laquelle une seconde personne peut demander une indemnité pour une perte subie, aux termes de l’article 8 du Règlement :

 

a.                   soit le 26 avril 2004, la date à laquelle Santé Canada a fini d’examiner la présentation de drogue d’Apotex et Apotex a été informée qu’un AC ne serait pas délivré avant qu’elle réponde aux exigences du Règlement (cette date est appelée la date d’« attente de brevet »; voir la pièce 1, onglet 2);

 

b.                  soit le 13 décembre 2005, la date d’expiration du brevet canadien no 1 246 457 (le brevet 457), qui faisait l’objet d’une ordonnance d’interdiction (l’ordonnance d’interdiction ou l’ordonnance) accordée par la juge Simpson dans la décision Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1381, 281 FTR 233 [AC Ramipril no 2 (CF)]?

 

2.                  Quelle est la date appropriée de la fin de la période pertinente, compte tenu de la question de savoir si Apotex était une « seconde personne » pour l’application du Règlement :

 

a.                   soit le 2 mai 2008, la date du rejet, par la voie d’une ordonnance du protonotaire Aalto, de la dernière demande d’interdiction présentée dans le dossier de la Cour no T‑87‑06;

 

b.                  soit le 27 juin 2006, la date du rejet du dossier de la Cour no T‑1499‑04;

 

c.                   soit le 12 décembre 2006, la date de l’AC d’Apotex concernant le ramipril?

 

3.                  Quelle aurait été la taille du marché du ramipril au cours de la période pertinente?

 

4.                  Quelle aurait été la taille du marché des médicaments génériques au cours de la période pertinente?

 

5.                  Quels auraient été les volumes qu’Apotex aurait perdus au cours de la période pertinente? S’ajoutent à cette question les questions secondaires suivantes :

 

a.                   La responsabilité de Sanofi en vertu de l’article 8 doit-elle être évaluée en prenant pour base un monde hypothétique unique qui englobe la totalité des fabricants de médicaments génériques possibles?

 

b.                  Quels autres médicaments génériques seraient vraisemblablement apparus sur le marché au cours de la période pertinente, et à quel moment? Plus précisément, Teva, Laboratoire Riva Inc. (Riva) et/ou Pharmascience Inc. (Pharmascience ou PMS) auraient-elles lancé, individuellement ou collectivement, un médicament générique autorisé au cours de la période pertinente?

 

c.                   Quelle part du marché des médicaments génériques Apotex se serait-elle appropriée au cours de la période pertinente? Autrement dit, quels auraient été les volumes qu’Apotex aurait perdus?

 

6.                  Selon ma conclusion au sujet des volumes qu’Apotex aurait perdus, quelles sont les ventes brutes perdues d’Apotex, compte tenu du prix de l’Apo-ramipril au cours de la période pertinente, en prenant en considération les formulaires provinciaux?

 

7.                  Selon ma conclusion concernant les volumes qu’Apotex aurait perdus, quel est le montant net de la perte de profit d’Apotex, compte tenu de questions pertinentes, dont :

 

a.                   les rendus sur vente;

 

b.                  les dépenses commerciales (y compris les ristournes et les remises) qu’Apotex aurait vraisemblablement payées aux pharmaciens et aux distributeurs pour qu’ils stockent de l’Apo-ramipril;

 

c.                   le prix probable de l’ingrédient pharmaceutique actif (IPA);

 

d.                  d’autres rajustements possibles?

 

8.                  Une seconde personne a-t-elle droit à une indemnité en vertu de l’article 8 du Règlement pour la perte des ventes qui auraient été réalisées à cause de prescriptions visant des indications non approuvées?

 

IV.             Le contexte essentiel

A.                Le cadre établi par le Règlement sur les MB (AC)

[13]           La présente action découle exclusivement de l’application du Règlement sur les MB (AC). Pour dire les choses simplement, Apotex a été tenue à l’écart du marché pendant un certain temps par les mesures prises par Sanofi qui, a-t-il été conclu en fin de compte, étaient indéfendables. Dans l’affaire Apotex Inc c Merck & Co, 2008 CF 1185, aux paragraphes 35 à 51, [2009] 3 RCF 234 [Alendronate (CF)], le juge Hughes présente en détail l’historique et la raison d’être de ce Règlement et, en particulier, de l’article 8. Même si la décision rendue dans Alendronate (CF) a été infirmée en partie par la Cour d’appel dans l’arrêt Apotex Inc c Merck & Co, 2009 CAF 187, [2010] 2 RCF 389, inf. 2008 CF 1185, autorisation d’interjeter auprès de la CSC refusée [2009] CSCR no 347 [Alendronate (CAF)], la description que fait le juge Hughes du contexte dans lequel s’inscrit le Règlement demeure utile. Plutôt que de relater de nouveau ici cet historique, je recommande au lecteur les passages mentionnés.

 

[14]           Les dommages qu’Apotex a subis sont d’origine réglementaire, en ce sens qu’ils ne découlent que de l’application de l’article 8 du Règlement. On comprend mieux la responsabilité de Sanofi en l’espèce si l’on examine l’article 8 dans le contexte de l’ensemble du régime réglementaire tout entier, et je ferai donc un bref survol du régime réglementaire qui donne lieu à la demande d’Apotex. Mme Anne Bowes, directrice du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison, au sein de la Direction des produits thérapeutiques, à Santé Canada, a expliqué de manière utile l’application des dispositions réglementaires et des politiques mises en cause par les faits de l’espèce.

 

[15]           Avant de pouvoir commercialiser un médicament d’ordonnance au Canada, une société pharmaceutique doit se conformer aux dispositions du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 [Règlement sur les AD]. L’article C.08.002 de ce règlement dispose, en partie :

(1) Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

 

a)   le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle, une présentation de drogue nouvelle pour usage exceptionnel, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle pour usage exceptionnel que celui-ci juge acceptable;

 

b)   le ministre a délivré au fabricant de la drogue nouvelle, en application des articles C.08.004 ou C.08.004.01, un avis de conformité relativement à la présentation;

(1)        No person shall sell or advertise a new drug unless

 

 

 

 

(a)  the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission, an extraordinary use new drug submission, an abbreviated new drug submission or an abbreviated extraordinary use new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

 

 

 

(b)  the Minister has issued, under section C.08.004 or C.08.004.01, a notice of compliance to the manufacturer of the new drug in respect of the submission;

 

 

[16]           Comme le prévoit l’alinéa C.08.002(1)a) du Règlement sur les AD, quiconque souhaite vendre un médicament (appelé « drogue » dans ce règlement) au Canada doit déposer auprès du ministre de la Santé (par l’entremise de Santé Canada) soit une présentation de drogue nouvelle (PDN) soit une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Une PDN est déposée par une société ayant créé une drogue innovante — la « première personne » — qui sollicite l’autorisation de mettre sur le marché un nouveau produit médicamenteux. Par contraste et en termes très généraux, une PADN est déposée par un fabricant de médicaments génériques — la « seconde personne » — qui souhaite mettre sur le marché une version générique d’un médicament qui a déjà été approuvé. Cette seconde personne peut se fonder sur une bonne part des informations techniques, sanitaires et relatives à l’innocuité que la première personne a fournies initialement dans le cadre de la PDN. Autrement dit, la seconde personne peut comparer son médicament à un médicament de marque ou y faire renvoi (Règlement sur les AD, précité, au paragraphe C.08.002.1.(1)).

 

[17]           Un élément essentiel du régime réglementaire est le « registre des brevets ». Le Règlement sur les MB (AC) permet à un innovateur qui a déposé une PDN ou un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) de soumettre une liste des brevets connexes au ministre de la Santé (le ministre) en vue de son inclusion dans le registre des brevets (le registre des brevets, ou le registre) (paragraphe 4(1)). Le Règlement exige que le ministre tienne un registre de tous les brevets inscrits (paragraphe 3(2)), et les paragraphes 4(2) et (3) décrivent quelles sont les exigences à remplir pour qu’un brevet puisse être inscrit.

 

[18]           L’article 5 du Règlement sur les MB (AC) dispose que lorsqu’un brevet est inscrit dans le registre, la seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre des brevets, inclure dans sa demande d’AC :

 

·                     soit une déclaration portant qu’elle accepte que l’AC ne sera pas délivré avant l’expiration du brevet (alinéa 5(1)a));

 

·                     soit une allégation portant que, selon le cas :

 

o        la première personne n’est pas le breveté ou le titulaire de licence du brevet inscrit (sous-alinéa 5(1)b)(i));

 

o        le brevet est expiré (sous-alinéa 5(1)b)(ii));

 

o        le brevet n’est pas valide (sous-alinéa 5(1)b)(iii));

 

o        la seconde personne ne contrefera pas le brevet inscrit (sous‑alinéa 5(1)b)(iv)).

 

La seconde personne indique son choix sur le formulaire V qui accompagne sa demande.

 

[19]           Une seconde personne qui allègue qu’un AC doit être délivré en dépit des brevets inscrits doit signifier un avis de cette allégation à la première personne (Règlement sur les MB (AC), précité, au paragraphe 5(3)). Cette première personne peut, quarante-cinq jours au plus tard après la signification, demander à la Cour fédérale une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’AC en question avant l’expiration du brevet qui est visé par l’avis d’allégation (Règlement sur les MB (AC), précité, au paragraphe 6(1)).

 

[20]           Le paragraphe 7(1) du Règlement sur les MB (AC) traite des circonstances précises dans lesquelles il est interdit au ministre de délivrer l’AC. Pour ce qui est de la présente instance, le ministre ne peut pas délivrer un AC à une seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :

 

·                     la date à laquelle la seconde personne se conforme aux exigences de l’article 5 (alinéa 7(1)b));

 

·                     la date d’expiration de tout brevet inscrit au registre qui ne fait pas l’objet d’une allégation (alinéa 7(1)c));

 

·                     la date qui suit de quarante-cinq jours la date de réception de la preuve de signification de l’avis d’allégation visé à l’alinéa 5(3)a) à l’égard de tout brevet ajouté au registre (alinéa 7(1)d));

 

·                     la date qui suit de 24 mois la date de réception de la preuve de présentation de la demande visée au paragraphe 69(1) (alinéa 7(1)e));

 

·                     la date d’expiration de tout brevet faisant l’objet d’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1) (alinéa 7(1)f)).

 

[21]           Indépendamment du choix que fait une seconde personne en vertu du paragraphe 5(1) du Règlement sur les MB (AC), Santé Canada traitera la demande en vue d’étudier toutes les questions de santé et d’innocuité qui s’y rapportent et attribuera une identification numérique de drogue (IND) (Règlement sur les AD, précité, au paragraphe C.01.014.2.(1)). Cependant, aucun AC ne sera délivré avant que les brevets pertinents inscrits au registre expirent (en présumant qu’il a été choisi d’attendre la date d’expiration) ou que tous ces brevets aient été soumis au processus du Règlement sur les MB (AC). La date à laquelle un produit médicamenteux générique aurait, en d’autres circonstances, obtenu son AC est appelée « date de mise en attente du brevet ».

 

[22]           Le délai de 24 mois dont il est question à l’alinéa 7(1)e) du Règlement sur les MB (AC) est appelé « sursis réglementaire » ou « sursis automatique »; il est interdit au ministre, pour une période pouvant atteindre 24 mois, de délivrer l’AC pendant que la première personne fait valoir ses droits devant la Cour fédérale.

 

[23]           Après avoir entendu la demande, la Cour peut trancher de plusieurs façons la demande d’interdiction d’un innovateur. Premièrement, si elle conclut qu’aucune des allégations liées au médicament générique n’est justifiée, elle doit rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC pour le médicament générique (Règlement sur les MB (AC), précité, au paragraphe 6(2)). Dans un tel cas, ce générique n’obtiendra pas son AC avant l’expiration du brevet (sauf si la décision de la Cour fédérale est infirmée en appel).

 

[24]           Subsidiairement, la Cour peut rejeter la demande de l’innovateur en tout ou en partie (Règlement sur les MB (AC), précité, au paragraphe 6(5)); il est possible aussi que la demande soit retirée ou fasse l’objet d’un désistement par la première personne. Lorsqu’une demande est rejetée ou retirée ou fait l’objet d’un désistement, le médicament générique obtiendra rapidement son AC. Dans le cas qui nous occupe, le fabricant du médicament générique pourra également invoquer l’article 8 du Règlement sur les MB (AC). Cet article permet au fabricant d’un médicament générique d’intenter une action contre un innovateur en vue d’être indemnisé pour la période durant laquelle il a été exclu du marché à cause de la demande d’interdiction infructueuse de l’innovateur.

 

[25]           Le texte complet de l’article 8 du Règlement est le suivant :

(1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

 

      a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

 

             (i) soit que la date attestée est devancée en raison de l’application de la Loi modifiant la Loi sur les brevets et la Loi sur les aliments et drogues (engagement de Jean Chrétien envers l’Afrique), chapitre 23 des Lois du Canada (2004), et qu’en conséquence une date

postérieure à celle-ci est plus appropriée,

 

            (ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

 

      b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

 

(2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

 

(3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action en contrefaçon du brevet visé par la demande.

 

(4) Lorsque le tribunal enjoint à la première personne de verser à la seconde personne une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1), il peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages‑intérêts à l’égard de cette perte.

 

      (5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

 

      (6) Le ministre ne peut être tenu pour responsable des dommages-intérêts au titre du présent article.

 (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

 

 

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

 

      (i) the certified date was, by the operation of An Act to amend the Patent Act and the Food and Drugs Act (The Jean Chrétien Pledge to Africa), chapter 23 of the Statutes of Canada, 2004, earlier than it would otherwise have been and therefore a date later than the certified date is more appropriate, or

 

 

      (ii) a date other than the certified date is more appropriate; and

 

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

     

(2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

 

 

      (3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

 

      (4) If a court orders a first person to compensate a second person under subsection (1), the court may, in respect of any loss referred to in that subsection, make any order for relief by way of damages that the circumstances require.

 

 

 

 

      (5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

      (6) The Minister is not liable for damages under this section.

 

B.                 Les brevets relatifs au ramipril

[26]           Sanofi, à titre de brevetée ou de titulaire de licence, détient les droits afférents à une série de brevets canadiens qui comportent des revendications relatives au ramipril ou à ses usages. Le brevet initial était le brevet canadien no 1 187 087 (le brevet 087), un brevet de produit dérivé d’un processus concernant le ramipril, délivré le 14 mai 1985. Le brevet 087 était censé expirer le 14 mai 2002, après dix-sept années de protection. Désireuse de prolonger la période de protection conférée par ce brevet pour le ramipril, Sanofi a entrepris d’obtenir une autre série de brevets et de protéger ces derniers en les inscrivant au registre des brevets. Sanofi décrit ces brevets ultérieurs et les mesures qu’elle a prises, dans le cadre de litiges et sous le régime du Règlement sur les MB (AC), comme la [traduction] « gestion du cycle de vie de l’Altace » (pièce 89, onglet 373, page 23). D’autres sociétés — dont des fabricants de médicaments génériques — ont qualifié ces brevets ultérieurs de [traduction] « mesures de renouvellement à perpétuité ».

 

[27]           Le tableau qui suit décrit les brevets ultérieurs qui se rapportent au ramipril ou à ses usages et indique à quelle date chacun d’eux a été inscrit au registre des brevets :

No du brevet canadien

Date de délivrance

Inscription au registre des brevets

Objet/Indications

1 246 457 (brevet 457)

13 décembre 1988 (brevet expiré le 13 décembre 2005)

21 février 2001

Ramipril, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque

1 341 206 (brevet 206)

20 mars 2011

11 avril 2001

Brevet de composition de matières

2 055 948 (brevet 948)

12 novembre 2002

25 juin 2004

Utilisation du ramipril combiné à un antagoniste du calcium pour le traitement de la protéinurie

2 023 089 (brevet 089)

14 janvier 2003

10 novembre 2003

Utilisation du ramipril pour le traitement de l’hypertrophie cardiaque et vasculaire et de l’hyperplasie

2 382 549 (brevet 549)

15 mars 2005

17 mars 2005

Utilisation du ramipril pour la prévention d’incidents cardiovasculaires

2 382 387 (brevet 387)

21 juin 2005

28 juin 2005

Utilisation du ramipril pour la prévention des accidents cérébrovasculaires, du diabète et/ou de l’insuffisance cardiaque globale

 

[28]           Les brevets 549 et 387 sont appelés, collectivement, les brevets HOPE, d’après l’étude du même nom (étude HOPE : Heart Outcomes Prevention Evaluation, ou Étude d’évaluation sur la prévention des issues cardiaques), qui est analysée plus en détail ci-après.

 

C.                 Les présentations réglementaires et le litige d’Apotex

[29]           Entre juillet 2003 et mai 2008, Apotex a été engagée de façon constante dans des litiges  engagés en vertu du Règlement sur les MB (AC) au sujet du ramipril. Le tableau qui suit en décrit l’historique :

No du brevet

Avis d’allégation

Avis de demande/No de dossier de la Cour

Issue

Brevet 206

20 juin 2003

23 septembre 2003/T-1742-03

La juge Mactavish rejette la demande le 20 septembre 2005 (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1283, 278 FTR 1 [AC Ramipril no 1 (CF)])

Brevet 457

20 août 2003 (non‑contrefaçon)

8 octobre 2003/T-1851-03

La juge Simpson délivre l’ordonnance d’interdiction jusqu’à l’expiration du brevet 457 le 6 octobre 2005 [AC Ramipril no 2 (CF)]

Brevet 457

10 novembre 2003 (invalidité)

29 décembre 2003/T-2459-03

La juge Tremblay-Lamer rejette la demande le 4 novembre 2005 (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1504, 283 FTR 171 [AC Ramipril no 3 (CF)])

Brevet 089

17 novembre 2003

5 janvier 2004/T-11-04

Le juge von Finckenstein rejette la demande le 27 octobre 2005 (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1461, 283 FTR 1 [AC Ramipril no 4 (CF)])

Brevet 948

28 juin 2004

16 août 2004/T-1499-04

Ordonnance de rejet, sur consentement, datée du 27 juin 2006 [AC Ramipril no 5 (CF)]

Brevets 549 et 387 (brevets HOPE)

29 novembre 2005

17 janvier 2006/T-87-06

Par voie d’ordonnance, le protonotaire Aalto rejette la demande le 2 mai 2008 en raison de son caractère théorique [AC Ramipril no 6 (CF)]

 

[30]           Même si la juge Mactavish, dans la décision AC Ramipril no 1 (CF), a rejeté l’avis de demande de Sanofi à l’égard du brevet 206, il y avait dans le registre des brevets d’autres brevets dont il fallait traiter avant que l’on puisse délivrer un AC à Apotex. En particulier, cette dernière devait régler les obstacles créés par la décision de Sanofi de déposer une demande d’interdiction concernant les brevets 457, 089, 948, 549 et 387.

 

[31]           En fin de compte, et par suite de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans AstraZeneca Canada lnc c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, [2006] 2 RCS 560 [AstraZeneca (CSC)], le ministre de la Santé a conclu qu’Apotex n’avait pas besoin de traiter des brevets HOPE. Un AC lui a été délivré le 12 décembre 2006.

 

[32]           Le lendemain, Sanofi a déposé une demande de contrôle judiciaire (T‑2196‑06), sollicitant, notamment, une ordonnance annulant la décision de délivrer un AC à Apotex, une ordonnance interdisant la délivrance d’un AC à Apotex, une déclaration portant que le ministre avait mal interprété l’arrêt AstraZeneca (CSC) et le paragraphe 5(1) du Règlement sur les MB (AC), de même qu’une ordonnance provisoire, rendue en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, suspendant l’effet de la décision de délivrer l’AC. Dans une ordonnance interlocutoire datée du 29 décembre 2006, le juge von Finckenstein a fait droit à la suspension demandée. L’ordonnance a suspendu l’application de l’AC et exigé qu’Apotex et le ministre se comportent comme si ce dernier n’avait pas été délivré. Un sursis à l’ordonnance du juge von Finckenstein a été accordé le 8 janvier 2007 par la Cour d’appel (Sanofi-Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CAF 7, 54 CPR (4th) 402), faisant ainsi disparaître tout obstacle à l’application de l’AC qui avait été délivré le 12 décembre 2006. À part la courte période qui s’est déroulée entre l’ordonnance du 29 décembre 2006 du juge von Finckenstein et la suspension de l’exécution de cette ordonnance que la Cour d’appel a prononcée le 8 janvier 2007, l’AC d’Apotex conserve son plein effet depuis le 12 décembre 2006.

 

[33]           À la fin du litige, Sanofi n’a eu gain de cause que dans une seule instance, soit AC Ramipril no 2 (CF), dans laquelle la juge Simpson a rendu une ordonnance d’interdiction qui demeurerait en vigueur jusqu’à l’expiration du brevet 457. Apotex a interjeté appel de cette décision (dossier de la Cour d’appel no A‑494‑05), et cette action a abouti à un désistement le 13 octobre 2006.

 

[34]           Pour brosser un tableau complet de la situation, il convient de signaler qu’Apotex n’est pas la seule société à avoir contesté les « brevets faisant l’objet de mesures de renouvellement à perpétuité »; à partir du mois de février 2003 et jusqu’en décembre 2006, Pharmascience, Riva, Teva, Cobalt Pharmaceuticals Inc. (Cobalt) et Sandoz Canada Inc. ont elles aussi signifié des avis d’allégation. Dans chacun des cas, sauf pour l’avis d’allégation que Cobalt a signifié en août 2006, Sanofi a décidé de déposer des demandes d’interdiction en vertu du Règlement sur les MB (AC).

 

[35]           Après avoir été déboutée dans AC Ramipril no 1 (CF), Sanofi a engagé une action contre Apotex, soutenant que cette dernière avait contrefait le brevet 206 (dossier de la Cour no T‑161‑07). Par une décision datée du 29 juin 2009, la Cour a rejeté cette action ainsi qu’une action connexe intentée contre Teva (qui, à l’époque, portait le nom de Novopharm Inc.), dans le dossier de la Cour no T‑1161‑07, et elle a déclaré que le brevet 206 était invalide (Sanofi-Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 676, 350 FTR 165). Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel (Sanofi-Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2011 CAF 300, 426 NR 196). Au moment de la rédaction des présents motifs, la demande de Sanofi en vue d’obtenir l’autorisation de porter sa cause en appel devant la Cour suprême du Canada est toujours en instance.

 

[36]           C’est cette analyse du cadre réglementaire, des brevets liés au ramipril et des instances pertinentes qui se rapportent aux AC qui forme le contexte dans lequel s’inscrivent les présents motifs de décision.

 

V.                La période pertinente

[37]           Pour la Cour, un aspect crucial est la date du début et la date de la fin de la période pertinente. Les parties ne s’entendent ni sur l’une ni sur l’autre.

 

A.                La date du début de la période

[38]           Ainsi qu’il est indiqué à l’alinéa 8(1)a) du Règlement sur les MB (AC), une première personne (Sanofi) est responsable envers une seconde personne (Apotex) de toute perte subie au cours de la période en question :

      a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal conclut :

 

[…]

 

            (ii) soit qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée;

*  (a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court concludes that

. . .

 

            (ii) a date other than the certified date is more appropriate …

 

 

 

[39]           Dans la décision Alendronate (CF), précitée, aux paragraphes 106 à 116, le juge Hugues explique que l’article 8 accorde donc à la Cour le pouvoir discrétionnaire de choisir une date plus appropriée pour le début de la période de responsabilité, même si la période présumée commence à la date de mise en attente du brevet.

 

[40]           Dans le cas présent, les parties semblent s’accorder pour dire que « la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré » est le 26 avril 2004. La date de mise en attente du brevet est indiquée dans une lettre datée du 29 avril 2004 que Santé Canada a envoyée à Apotex (pièce 1, onglet 2). Selon Apotex, cette date devrait être celle qui correspond au début de la période pertinente. Sanofi, qui n’est pas d’accord, soutient que c’est le 13 décembre 2005 qui est la date qu’il convient de retenir pour le début de la période pertinente.

 

[41]           L’argument de Sanofi repose sur l’existence d’une ordonnance d’interdiction que la juge Simpson a rendue à la suite de sa décision dans AC Ramipril no 2 (CF), et interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex avant l’expiration du brevet 457. Sanofi soutient qu’étant donné que la demande sur laquelle reposait l’ordonnance d’interdiction n’a jamais été retirée, n’a jamais fait l’objet d’un désistement ou n’a jamais été rejetée ou infirmée en appel, Apotex ne peut pas alléguer qu’elle a, à l’égard de cette demande, une prétention fondée sur l’article 8. L’argument principal de Sanofi est qu’il m’est impossible de faire abstraction de l’ordonnance d’interdiction. Selon cette dernière, indépendamment de l’issue des autres avis de demande, Apotex n’aurait pas été en mesure de mettre son produit sur le marché avant le 13 décembre 2005, date de l’expiration du brevet 457.

 

[42]           Je ne souscris pas aux arguments de Sanofi sur ce point. Au vu de la décision que la juge Tremblay-Lamer a rendue plus tard dans AC Ramipril no 3 (CF), l’ordonnance d’interdiction de la juge Simpson n’avait, selon moi, aucun effet sur la délivrance d’un AC à Apotex ou sur la prétention qu’Apotex fonde sur l’article 8. Cela est attribuable aux faits inusités de la présente affaire.

 

[43]           Comme il a été indiqué plus tôt, Apotex a signifié un premier avis d’allégation concernant le brevet 457, une allégation de non-contrefaçon, en août 2003. En réponse, Sanofi a déposé une demande d’interdiction dans le dossier de la Cour no T‑1851‑03. Le 6 octobre 2005, dans AC Ramipril no 2 (CF), la juge Simpson a conclu que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex était injustifiée et elle a ordonné qu’il soit interdit au ministre de délivrer un AC à Apotex avant l’expiration du brevet 457. Apotex a porté en appel l’ordonnance de la juge Simpson, mais elle a abandonné son appel en octobre 2006, après l’expiration du brevet 457.

 

[44]           En novembre 2003, Apotex a signifié un second avis d’allégation concernant le brevet 457, alléguant cette fois l’invalidité. Le 29 décembre 2003, Sanofi a déposé une demande d’interdiction dans le dossier de la Cour no T‑2459‑03. Le 4 novembre 2005, dans AC Ramipril no 3 (CF), la juge Tremblay-Lamer a rejeté la demande de Sanofi, concluant que l’allégation d’invalidité d’Apotex, fondée sur l’évidence, était justifiée. Sanofi a porté l’affaire en appel.

 

[45]           Le brevet 457 a ensuite expiré, et Apotex a demandé que l’appel de Sanofi soit rejeté du fait de son caractère théorique. Les arguments d’Apotex ont été retenus par la Cour d’appel qui, dans Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2006 CAF 328, 354 NR 316 [AC Ramipril no 3 (CAF)], a rejeté l’appel en raison de son caractère théorique. Par ailleurs, la Cour d’appel a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’appel en tout état de cause, car Sanofi n’avait pas montré que la décision aurait un effet pratique quelconque.

 

[46]           À l’appui de son affirmation selon laquelle Apotex n’aurait pas pu mettre sur le marché son produit avant l’expiration du brevet 457, Sanofi se fonde sur ce qu’a déclaré la Cour d’appel dans AC Ramipril no 3 (CAF), précité, au paragraphe 20 : « L’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson est demeurée en vigueur jusqu’à l’expiration du brevet 457. » Le fait que Sanofi se fonde sur cette phrase fait toutefois abstraction du contexte dans lequel a été rendue cette décision. Apotex a déposé sa requête en rejet de l’appel de Sanofi après l’expiration du brevet 457. Dans AC Ramipril no 3 (CAF), il n’était pas demandé à la cour de décider si l’ordonnance d’interdiction était exécutoire ou avait un effet pratique avant l’expiration du brevet 457, à cause de la décision que la juge Tremblay-Lamer avait rendue dans AC Ramipril no 3 (CF). Quand la Cour d’appel a indiqué que l’ordonnance d’interdiction était « demeurée en vigueur », elle n’exprimait aucune opinion quant au caractère exécutoire de l’ordonnance après la décision rendue dans AC Ramipril no 3 (CF). C’est exactement cette question-là qui m’est soumise.

 

[47]           À mon avis, la seconde décision rendue à propos du brevet 457 dans AC Ramipril no 3 (CF) a concrètement « déverrouillé » la porte qui empêchait Apotex de recevoir un AC pour ce brevet-là. Le résultat logique de cela a été que la première décision a été assimilée ou « supplantée » par la seconde. À la date à laquelle la juge Tremblay-Lamer a rendu sa décision, Apotex avait traité du brevet 457; l’ordonnance d’interdiction de la juge Simpson n’était plus exécutoire ou n’avait aucun effet pratique.

 

[48]           Pour dire les choses différemment, même si l’ordonnance d’interdiction de la juge Simpson concernant l’allégation d’Apotex au sujet de la non-contrefaçon du brevet 457 n’était ni frappée de nullité ni nulle ab initio, à cause de la conclusion ultérieure de la juge Tremblay-Lamer selon laquelle l’allégation d’invalidité d’Apotex était justifiée, il était tout de même impossible de donner suite à l’ordonnance d’interdiction. En particulier, cette dernière ne peut pas servir à conclure qu’Apotex n’aurait pas pu lancer son produit sur le marché avant l’expiration du brevet 457.

 

[49]           La logique de ce résultat est renforcée lorsqu’on considère quel aurait été le résultat si Apotex avait signifié un seul avis d’allégation en faisant état en même temps de ses allégations de non-contrefaçon et d’invalidité. Si cela avait été le cas, la cour aurait vraisemblablement conclu que :

 

·                     l’allégation de non-contrefaçon était injustifiée (comme l’a conclu la juge Simpson);

 

·                     l’allégation d’invalidité était justifiée (comme l’a conclu la juge Tremblay-Lamer).

 

Même si Apotex n’aurait vraisemblablement pas eu gain de cause à l’égard de l’une de ses allégations, la demande de Sanofi aurait été rejetée. Il n’y aurait pas eu d’ordonnance d’interdiction.

 

[50]           Il n’y a aucune raison de principe pour laquelle il faudrait que le résultat soit différent juste parce qu’Apotex a signifié et poursuivi deux avis d’allégation, et non un seul.

 

[51]           Sanofi soutient qu’Apotex, ayant poursuivi deux avis d’allégation distincts à l’égard du brevet 457, devrait vivre avec le résultat de sa stratégie de litige. C’est là un argument sans fondement. Certes, il aurait été plus efficace de signifier un seul avis alléguant à la fois la non‑contrefaçon et l’invalidité, mais cette inefficacité ne veut pas dire que l’ordonnance d’interdiction demeure en vigueur jusqu’à l’expiration du brevet 457. En fait, on pourrait dire que la stratégie de litige que Sanofi a suivie en répondant au second avis d’allégation — qui s’est révélé être sans fondement — a contribué au « méli-mélo » dans lequel nous nous trouvons maintenant, ou l’a même causé. La stratégie de litige d’Apotex n’est pas à blâmer pour la contestation infructueuse de Sanofi à l’égard de la seconde allégation concernant le brevet 457.

 

[52]           Les deux parties invoquent des éléments jurisprudentiels qui, soutiennent-elles, étayent leurs positions respectives. Le problème, bien sûr, est que rien dans la jurisprudence ne répond directement à la question du caractère exécutoire d’une « ordonnance d’interdiction » après le rejet d’une demande ultérieure se rapportant au même brevet.

 

[53]           Pour sa part, Apotex évoque plusieurs décisions qui, dit-elle, appuient la thèse selon laquelle une seconde personne frappée d’interdiction à l’égard d’un avis d’allégation peut recevoir un AC si elle obtient gain de cause sur une allégation distincte ultérieure. À ce sujet, Apotex se fonde particulièrement sur la décision Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 129 FTR 300 (1re inst.), conf. par (1997), 153 DLR (4th) 68 (CA), demande d’autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, [1997] SCCA no 528 [Nizatidine]. Même si Nizatidine permet d’affirmer qu’une ordonnance d’interdiction « doit être limitée aux allégations précises faites dans ces procédures » (Nizatidine, précitée, au paragraphe 24), cette affaire ne traite pas directement de l’effet concret d’une ordonnance d’interdiction qui a été rendue antérieurement sur le même brevet car, dans Nizatidine, le premier avis d’allégation était fondé sur une non-contrefaçon due à une licence, tandis que le second faisait état d’un processus non contrefait. Le fait qu’Apotex invoque les décisions relatives au médicament appelé « norfloxacine », lesquelles sont résumées dans Apotex Inc c Merck & Co, 2010 CF 287, aux paragraphes 2 et 3, 363 FTR 137 [Norfloxacine (CF)], est loin, lui aussi, de toucher la cible. En particulier, et comme Apotex l’a reconnu dans son argumentation, aucune de ces décisions n’examine explicitement l’effet d’une ordonnance d’interdiction sur un avis d’allégation ultérieur.

 

[54]           Sanofi se fonde sur l’arrêt AB Hassle c Apotex Inc, 2008 CAF 416, 384 NR 372 [AB Hassle]. Dans cette affaire, tant la Cour fédérale que la Cour d’appel ont conclu qu’Apotex ne pouvait pas profiter du succès qu’elle avait obtenu dans une troisième affaire d’AC pour faire infirmer deux ordonnances d’interdiction rendues dans des affaires d’AC antérieures, qui mettaient en cause des brevets différents. Autrement dit, une seconde personne ne peut faire  « déverrouiller » la porte des AC que si l’on a traité de tous les brevets. AB Hassle était une affaire dans laquelle les ordonnances d’interdiction en vigueur s’appliquaient à des brevets différents qui se rapportaient à un même médicament; la seconde personne n’avait pas traité de ces brevets différents. Cela n’est pas la même chose — malgré les arguments contraires de Sanofi — que la situation dans laquelle le rejet prononcé ultérieurement se rapporte au même brevet exactement que celui qui est visé par l’ordonnance d’interdiction. Dans l’affaire dont je suis saisie, Apotex a fait « déverrouiller » la porte en traitant entièrement du brevet 457 dans une instance ultérieure; il n’y a pas d’ordonnances d’interdiction visant d’autres brevets.

 

[55]           Pour résumer ce point, je conclus que l’ordonnance d’interdiction, à la date à laquelle a été rendue la décision AC  Ramipril no 3 (CF), n’aurait pas pu empêcher Apotex d’obtenir un AC relativement au brevet 457. Il s’ensuit que le 13 décembre 2005 n’est pas une date qui convient pour le début de la période pertinente. Je conclus que c’est le 26 avril 2004, la date de la « mise en attente du brevet », qui est celle à laquelle commence la période de responsabilité.

 

B.                 La date de la fin de la période

[56]           Voyons maintenant quelle est la « date de fin » qui s’applique à la période pertinente. Comme il est indiqué à l’alinéa 8(1)b), la première personne est responsable envers la seconde personne « de toute perte subie au cours de la période […] se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance ». Les rédacteurs du Règlement sur les MB (AC) envisageaient peut-être un scénario nettement plus simple que celui qui m’a été soumis. Dans des circonstances « ordinaires », l’AC est délivré aussitôt qu’une demande d’interdiction est « retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi ».

 

[57]           Dans le cas présent, nous avons affaire à cinq dates de rejet différentes qui se rapportent à cinq demandes d’interdiction distinctes. Cette affaire présente aussi la situation fort inusitée dans laquelle la seconde personne a reçu un AC avant que l’on tranche la dernière demande d’interdiction.

 

[58]           Les parties ne s’entendent pas sur la question de la date de la fin de la période. Apotex voudrait que je conclue que la période pertinente prend fin le 2 mai 2008; Sanofi est d’avis que la date exacte est le 27 juin 2006. Pour les motifs expliqués ci-dessous, aucune des deux dates que privilégient Apotex et Sanofi ne peut être retenue. La période pertinente doit prendre fin le 12 décembre 2006.

 

1)                  La date d’Apotex : le 2 mai 2008

[59]           Apotex soutient que la période pertinente prend fin le 2 mai 2008, soit la date du rejet de la dernière demande d’interdiction présentée dans le cadre de l’affaire AC Ramipril no 6 (CF). De l’avis d’Apotex : [traduction] « [l]e simple libellé de l’article 8 autorise Apotex à réclamer une indemnité à compter de cette date ».

 

[60]           Les faits qui sont survenus dans l’historique du ramipril sous le régime du Règlement sur les MB (AC) ont donné lieu à un certain nombre de résultats inusités. Comme il est décrit à la partie IV.C des présents motifs, Apotex a déposé son sixième et dernier avis d’allégation relativement au ramipril et aux brevets HOPE le 29 novembre 2005. Sanofi a déposé une demande d’interdiction le 17 janvier 2006 (dossier de la Cour no T‑87‑06). Le 8 décembre 2006, le ministre a informé Apotex qu’elle n’était pas tenue de traiter des brevets HOPE. Il a toutefois été décidé qu’Apotex ne pouvait pas recevoir d’AC avant que l’on règle la demande d’interdiction présentée dans le cadre de l’affaire T‑87‑06, car le ministre a conclu qu’il demeurait lié par l’attente de 24 mois qu’imposait le Règlement sur les MB (AC) (pièce 37, onglet 11). Le 12 décembre 2006, après avoir reçu des observations des avocats d’Apotex et de Sanofi, le ministre a décidé qu’Apotex [traduction] « n’était plus considérée comme une “seconde personne” » relativement aux brevets HOPE et que, de ce fait, l’article 7 du Règlement sur les MB (AC) [traduction] « ne s’appliquait pas de manière à interdire la délivrance de l’AC ». Apotex a donc reçu un AC pour l’Apo-ramipril le 12 décembre 2006 et a entrepris de lancer son produit après un bref délai (décrit plus tôt dans les présents motifs). Cependant, la demande d’interdiction présentée dans le cadre de l’affaire T‑87‑06 n’a pas été techniquement réglée avant le 2 mai 2008, quand, suite à une requête de Sanofi, le protonotaire Aalto a rejeté la demande (AC Ramipril no 6 (CF)).

 

[61]           Comme le souligne avec raison Apotex, l’alinéa 8(1)b) du Règlement sur les MB (AC) exige que la période de responsabilité prenne fin à la date du rejet (ou du retrait, du désistement ou de l’annulation) de la demande d’interdiction applicable. Dans la décision Alendronate (CF), précitée, aux paragraphes 106 à 109, le juge Hughes fait remarquer que même si l’alinéa 8(1)a) permet à la Cour de choisir une date plus appropriée pour le début de la période de responsabilité, l’alinéa 8(1)b) n’accorde pas à la Cour le pouvoir discrétionnaire de choisir une date de fin autre que « la date du retrait, du désistement[,] du rejet […] ou de l’annulation ». En l’espèce, Apotex soutient que la date de fin est le 2 mai 2008, soit celle à laquelle l’affaire T‑87‑06 a été rejetée. Je ne suis pas d’accord.

 

[62]           Dans son ordonnance (AC Ramipril no 6 (CF)), le protonotaire Aalto a conclu que la demande d’interdiction sous-jacente à l’égard des brevets HOPE était théorique à la date de la délivrance de l’AC à Apotex. Comme il l’a déclaré, [traduction] « [i]l y a peu de doute que cette demande est théorique et qu’elle l’est devenue quand l’AC a été délivré à Apotex ». Pour dire les choses différemment, la demande d’interdiction a bel et bien été rejetée à cette date.

 

[63]           De plus, le 2 mai 2008, soit la date de l’affaire AC Ramipril no 6 (CF), n’a aucun sens logique dans le contexte du Règlement sur les MB (AC). Il s’agit simplement d’une date arbitraire à laquelle le protonotaire Aalto a réglé une requête dont il était saisi. Cette ordonnance pourrait tout aussi bien avoir été déposée le 13 décembre 2006, ou aussi tard qu’aujourd’hui. Rien ne change le fait que la demande d’interdiction est devenue théorique le 12 décembre 2006. Même si une requête en rejet n’avait jamais été déposée, je ne puis imaginer que la situation aurait été différente. Certes, la responsabilité de Sanofi ne s’étend pas à l’infini juste parce que ni l’une ni l’autre des parties n’a songé à déposer une requête à l’égard d’une question devenue théorique.

 

[64]           Par conséquent, pour l’application de l’alinéa 8(1)b) du Règlement sur les MB (AC), c’est le 12 décembre 2006 — et non le 2 mai 2008 — qu’il faut considérer comme la date du rejet de la demande d’interdiction.

 

2)                  La date de Sanofi : le 27 juin 2006

[65]           Sanofi soutient que la date de la fin de la période pertinente devrait être le 27 juin 2006, parce qu’Apotex a cessé d’être une seconde personne à cette date-là.

 

[66]           La possibilité de demander une indemnité en vertu de l’article 8 du Règlement sur les MB (AC) est indéniablement liée au fait que l’auteur de la demande doit être une « seconde personne » au sens du Règlement sur les MB (AC). Le paragraphe 8(1) indique que la première personne est responsable « envers la seconde personne ». Selon le paragraphe 8(2), une « seconde personne » peut demander à la Cour une ordonnance enjoignant la première personne de lui verser une indemnité « pour la perte visée au paragraphe [8(1)] ».

 

[67]           Sanofi soutient que, pour ce qui est de l’instance relative à un AC concernant les brevets HOPE (T‑87‑06), Apotex n’a jamais été une seconde personne. De ce fait, ajoute-t-elle, Apotex ne peut demander quoi que ce soit en vertu du paragraphe 8(1) pour une période se rapportant à l’instance relative à un AC dans l’affaire T-87‑06. Admettant qu’Apotex était une seconde personne à l’égard de tous les autres brevets inscrits au registre, Sanofi soutient ensuite qu’Apotex a cessé d’être une seconde personne à la date du rejet de la dernière demande d’interdiction dans laquelle elle était une seconde personne; il s’agissait du 27 juin 2006, la date à laquelle a été rejetée la demande d’interdiction liée au brevet 948 (AC Ramipril no 5 (CF)).

 

[68]           Cet argument revient à affirmer que l’instance relative à un AC qui se rapporte aux brevets HOPE était nulle ab initio et il est fondé sur l’interprétation que fait Sanofi de la jurisprudence dans AstraZeneca (CSC) et Ferring Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2008] 1 RCF 19, conf. par 2007 CAF 276 [Ferring].

 

[69]           Contrairement aux observations de Sanofi, ni AstraZeneca (CSC) ni Ferring ne vont jusqu’à déclarer qu’Apotex n’a jamais été une seconde personne ou que l’instance relative aux brevets HOPE était nulle ab initio.

 

[70]           La question soumise à la Cour suprême dans l’affaire AstraZeneca (CSC) consistait à savoir si le Règlement sur les MB (AC) exigeait qu’un fabricant de médicaments génériques traite de brevets inscrits au registre après le médicament « copié » par lui (Apotex, en l’occurrence). En concluant qu’il n’était pas nécessaire de traiter des brevets ultérieurs, le juge Binnie a déclaré, au paragraphe 39 :

À mon avis, le par. 5(1) du Règlement AC exige une analyse portant sur des brevets précis, à savoir que le fabricant de produits génériques n’a besoin de traiter que des brevets inscrits à l’égard des demandes visées par l’AC relatif à la drogue de comparaison, en l’occurrence la version de 1989 du Losec 20.

 

[71]           Il n’a pas été demandé à la Cour suprême — pas plus qu’elle ne l’a fait — d’examiner si sa décision dépouillerait Apotex de sa demande d’indemnité en vertu de l’article 8. La Cour suprême n’a pas non plus décrété qu’Apotex n’a jamais été une seconde personne ou que la demande d’interdiction déposée par Astrazeneca était nulle ab initio. En fait, tout ce que la Cour suprême a décidé, c’est que le ministre pouvait délivrer un AC à Apotex.

 

[72]           Dans la décision Ferring, le juge Hugues avait affaire à cinq demandes de contrôle judiciaire distinctes, portant toutes sur des mesures prises par le ministre à la suite de l’arrêt AstraZeneca (CSC), précité. En plus de se prononcer sur les cinq demandes de contrôle judiciaire concernant les décisions du ministre, le juge Hugues a fait des commentaires de nature générale sur l’application de l’arrêt AstraZeneca (CSC); autrement dit, il a fourni des indications supplémentaires au sujet du moment où un fabricant de médicaments génériques était tenu de traiter d’un brevet inscrit au registre. Dans sa décision, le juge Hugues a formulé la question en fonction du moment où un fabricant de médicaments génériques est une « seconde personne » pour l’application du paragraphe 5(1) du Règlement sur les MB (AC). Par exemple, au paragraphe 61, il indique :

Si le paragraphe 5(1) ne s’applique pas, le fabricant du générique n’est pas une « seconde personne » et n’est pas tenu de déposer un avis d’allégation. Le Règlement AC ne s’applique pas. La Cour suprême a dit [dans AstraZeneca (CSC)] au paragraphe 41 de ses motifs :

 

41.       Or, il est clair qu’AstraZeneca n’a jamais commercialisé de produit fondé sur les AC subséquents et que les conditions préalables à toute obligation que pourrait avoir Apotex aux termes du par. 5(1) ne sont donc pas réunies.

 

[En italiques dans l’original.]

 

[73]           Je reconnais que la décision Ferring semble étayer l’opinion de Sanofi. Cependant, je crois que cette décision formule inutilement la question qui était en litige dans AstraZeneca (CSC) (c’est-à-dire : s’il est nécessaire qu’un fabricant de médicaments génériques traite d’un brevet inscrit ultérieurement) en fonction du fait de savoir si le fabricant de médicaments génériques est une « seconde personne ». En particulier, au paragraphe 26 de cette décision, le juge Hugues indique qu’un fabricant de médicaments génériques sera mis en état d’« attente de brevet » jusqu’à ce qu’il ait traité avec succès des brevets inscrits, que les brevets expirent ou « comme le souligne l’arrêt AstraZeneca, […] que le fabricant du générique puisse établir qu’il n’est pas la “seconde personne” définie au Règlement et qu’il n’a donc pas à traiter les brevets du tout ». Là encore, aux paragraphes 59 et 60, le juge Hugues écrit :

[59]      [...]Le paragraphe 5(1) du Règlement AC prévoit expressément qu’une personne est tenue de prendre des mesures en vue de signifier un avis d’allégation à l’innovateur qui a soumis une liste de brevets (et de devenir ainsi une « seconde personne ») seulement si les conditions suivantes sont réunies :

 

• la personne a déposé une demande d’avis de conformité;

• la personne a comparé sa drogue à une autre drogue ou a fait référence à une autre drogue;

• pour démontrer la bioéquivalence entre les deux;

• l’autre drogue a été commercialisée au Canada aux termes d’un avis de conformité;

• il existe une liste de brevets pertinente à l’égard de cet avis de conformité.

 

[60]      Ces conditions sont cumulatives. Par conséquent, en l’absence de comparaison ou de renvoi en vue d’établir la bioéquivalence, le paragraphe 5(1) ne joue pas.

 

 

[74]           Cependant, la Cour suprême n’a pas formulé la question en litige comme s’il s’agissait du fait d’être une « seconde personne ». Le juge Binnie a plutôt écrit, au paragraphe 39, que « le par. 5(1) du Règlement AC exige une analyse portant sur des brevets précis, à savoir que le fabricant de produits génériques n’a besoin de traiter que des brevets inscrits à l’égard des demandes visées par l’AC relatif à la drogue de comparaison […] ».

 

[75]           Dans la décision Ferring, il n’a pas été demandé au juge Hugues d’examiner, pas plus qu’il ne l’a fait, si cette décision dépouillerait Apotex de sa demande d’indemnité en vertu de l’article 8. Le juge Hughes n’a pas non plus déclaré qu’Apotex n’avait jamais été une seconde personne ou que certaines des demandes d’interdiction déposées par Ferring Inc. ou Sanofi, dans cette affaire, étaient nulles ab initio. En fait, tout ce que le juge Hugues a décidé c’était si le ministre pouvait délivrer ou non un AC dans les circonstances.

 

[76]           Selon mon interprétation de ces deux décisions, l’effet de l’arrêt AstraZeneca (CSC) et de la décision Ferring est double :

 

·                     pour ce qui est de l’approbation des présentations de drogue générique nouvelles présentées en vertu du Règlement sur les MB (AC), un fabricant de médicaments génériques n’est plus tenu de traiter de certains brevets inscrits au registre; dans un tel cas, ce fabricant ne sera jamais une seconde personne à l’égard de ces brevets;

 

·                     pour ce qui est des demandes d’interdiction déposées avant l’arrêt AstraZeneca (CSC) et la décision Ferring, et pour lesquelles il n’est maintenant pas nécessaire de traiter de certains brevets inscrits au registre, le fabricant de médicaments génériques obtiendra immédiatement son AC (en présumant que l’on a traité de tous les autres brevets pertinents), auquel cas il cessera d’être une seconde personne au moment de la délivrance de l’AC.

 

Selon moi, l’arrêt AstraZeneca (CSC) et la décision Ferring ne dépouillent aucunement les fabricants de médicaments génériques qui sont exclus du marché à cause des mesures prises par une société de fabrication de médicaments de marque de leur droit de demander une indemnité en vertu de l’article 8.

 

[77]           Apotex a soulevé un argument additionnel, à savoir que les principes de l’obligation d’opter et de l’irrecevabilité empêchent Sanofi de faire valoir qu’Apotex n’était pas une seconde personne, mais il n’est pas nécessaire de l’examiner vu ma conclusion selon laquelle Apotex était une seconde personne relativement aux brevets HOPE.

 

[78]           Je signale aussi qu’Apotex a été traitée par le ministre comme une seconde personne relativement aux brevets HOPE jusqu’au 12 décembre 2006, date à laquelle il a décidé de lui délivrer un AC. La lettre datée du 8 décembre 2006, dans laquelle le ministre a informé Apotex qu’elle n’était pas tenue de traiter des brevets HOPE, ne contient aucune conclusion portant qu’Apotex n’était pas une « seconde personne ». Dans sa lettre du 12 décembre 2006, le ministre a simplement déclaré qu’Apotex n’était [traduction] « plus considérée comme une “seconde personne” à l’égard des brevets 387 et 549 ». [Non souligné dans l’original.] Cet énoncé soigneusement libellé par le ministre constitue, selon moi, une interprétation correcte de ce que la Cour suprême a indiqué dans l’arrêt AstraZeneca (CSC).

 

[79]           Enfin, le rejet du 27 juin 2006 comme date de fin de la période pertinente concorde avec le fait que l’article 8 permet d’indemniser une seconde personne de la perte causée par l’application de la mise en attente réglementaire (voir Alendronate (CAF), précité, au paragraphe 71). Dans cette affaire, Apotex n’avait pas reçu d’AC avant le 12 décembre 2006. Le rejet de l’instance dont il était question dans le dossier T-1499-04 le 27 juin 2006 n’a pas permis à Apotex d’entrer sur le marché à ce moment-là. La date du 27 juin 2006 ne peut donc pas être retenue comme date de la fin de la période pertinente.

 

[80]           En résumé, je suis convaincue que rien n’étaye l’avis de Sanofi selon lequel le 27 juin 2006 est la « date de fin » de la période.

 

3)                  Une date de rechange : le 12 décembre 2006

[81]           Les deux parties indiquent que le 12 décembre 2006 serait une date de rechange pour la fin de la période pertinente. Apotex signale qu’il s’agit là de la date à laquelle elle a reçu un AC pour l’Apo-ramipril, tandis que Sanofi soutient que, si Apotex était une seconde personne, son statut aurait pris fin à la date à laquelle il n’était plus nécessaire de traiter des brevets HOPE et où elle avait reçu un AC.

 

[82]           Comme je l’ai expliqué précédemment, le 12 décembre 2006 est selon moi la date de fin qui convient pour ce qui est de la période pertinente.

 

C.                 La conclusion au sujet de la période pertinente

[83]           Je conclus que la période pertinente, pour ce qui est de l’évaluation des pertes qu’Apotex a subies, s’étend du 26 avril 2004 au 12 décembre 2006.

 

VI.             La taille générale du marché du ramipril

[84]           Après avoir décidé que la période pertinente s’étend du 26 avril 2004 au 12 décembre 2006, il reste trois étapes importantes à régler avant que je puisse commencer à évaluer la perte de profits d’Apotex :

 

1.                  estimer la taille du marché total du ramipril au cours de la période pertinente (c’est-à-dire le marché du ramipril);

 

2.                  estimer la part du marché du ramipril que les fabricants de médicaments génériques auraient acquise au cours de la période pertinente (c’est-à-dire le marché des médicaments génériques);

 

3.                  estimer la part du marché des médicaments génériques qu’Apotex aurait acquise.

 

[85]           La première étape m’oblige à estimer la taille du marché total du ramipril au cours de cette période hypothétique. Autrement dit, il me faut estimer le nombre total de capsules de ramipril que la totalité des fabricants auraient vendues au cours de la période pertinente. Pour cette tâche, je suis assistée par deux économistes, M. Aidan Hollis (produit par Apotex) et M. Robert Carbone (produit par Sanofi). Chacun de ces experts a établi des prévisions en vue d’estimer le marché général du ramipril, la part du marché que les fabricants de médicaments génériques auraient acquise, de même que la part d’Apotex. M. Hollis, dans un schéma simple et efficace, a illustré le problème général de la manière suivante :

Total des ventes du ramipril

 

 

 

[86]           De plus, j’avais en main la preuve de M. Iain Cockburn, dont le mandat, selon moi, consistait ni plus ni moins à critiquer l’opinion d’expert de M. Hollis. M. Cockburn n’a pas estimé la taille du marché du ramipril. Il a formulé toute une série de critiques à l’endroit de M. Hollis, critiques qu’Apotex, dans son argumentation finale, a qualifiées avec justesse de [traduction] « politique de la terre brûlée ». Tous les experts, lors de leur témoignage, ont traité de la plupart des critiques de M. Cockburn.

 

[87]           Nous savons que les ventes réelles de l’ALTACE ont eu lieu entre le 26 avril 2004 et le 12 décembre 2006. La question clé est de savoir l’effet que l’arrivée de fabricants de médicaments génériques, ou la « généricisation », aurait eu sur ces ventes réelles. L’opinion de M. Carbone au sujet de la taille du marché du ramipril tient compte d’un effet de généricisation marqué, tandis que M. Hollis conclut que [traduction] « l’effet estimatif de l’arrivée des génériques sur les ventes de ramipril est très modeste » (pièce 44, vol. 1, paragraphe 37).

 

[88]           Pour chacun d’une série de scénarios possibles, tant M. Carbone que M. Hollis ont entrepris leur travail en se servant des ventes réelles du ramipril que Sanofi avait réalisées au cours de la période du 26 avril 2004 au 12 décembre 2006. Les deux experts se sont servis d’un modèle prévisionnel en série chronologique pour estimer les ventes qui auraient eu lieu après le mois de décembre 2006 en l’absence de toute généricisation. Cela a permis aux experts d’obtenir un [traduction] « effet générique ». Dans son rapport de réponse, M. Hollis explique la méthode générale (pièce 47, paragraphe 16) :

[traduction] Le rapport de [M.] Carbone et le mien suivent une approche semblable pour ce qui est d’estimer quelle aurait été la quantité totale de ramipril lors de la période d’indemnisation, s’il y avait eu une mise en marché de génériques en 2004. Pour ce faire, nous établissons un modèle qui prévoit le volume probable des ventes de ramipril, sans la mise en marché de génériques […] en décembre 2006. Nous comparons ensuite les valeurs prévues aux valeurs réelles pour tenter d’estimer l’effet de la mise en marché des génériques sur les ventes totales de ramipril.

 

[89]           Même si l’approche générale que chaque expert a suivie était semblable, il y a eu des différences importantes dans les détails de leurs analyses.

 

[90]           La méthode que M. Carbone a suivie comporte quatre étapes :

 

·                     Première étape : M. Carbone se sert des données du marché pour la période antérieure à l’inscription proprement dite, dans les formulaires des médicaments, des versions génériques du ramipril en vue de prévoir la taille du marché du ramipril après le 12 décembre 2006, et ce, en présumant qu’aucun produit générique n’est jamais entré sur le marché.

 

·                     Deuxième étape : M. Carbone soustrait ensuite les ventes prévues du ramipril après la date d’inscription, dans les formulaires des médicaments (la quantité prévue à la première étape), des ventes réelles du ramipril après la date d’inscription dans les formulaires des médicaments. Il divise ensuite cette différence par les ventes prévues. Son calcul produit une série de [traduction] « pourcentages d’effet » qui représentent l’effet de la concurrence exercée par les produits génériques sur la taille du marché du ramipril. Les résultats, à ce stade de l’analyse, sont présentés au tableau 7 du rapport de M. Carbone. Ce dernier fait remarquer que la concurrence exercée par les produits génériques a amoindri à la longue la taille du marché du ramipril pour l’ensemble des formulations, à l’exception de la dose de 1,25 mg (pièce 94, vol. 1, paragraphes 65 et 66).

 

·                     Troisième étape : M. Carbone établit un [traduction] « modèle d’effet » en recourant à un processus appelé « modèle de diffusion de Bass » (le modèle d’effet). Cette technique permet d’estimer la variation des ventes du ramipril dans le temps, en fonction de la manière dont la demande réagit aux influences exercées sur la diffusion du produit, comme la publicité, la couverture médiatique et le bouche à oreille des clients qui utilisent déjà le produit (pièce 94, vol. 1, annexe J). Le modèle d’effet a pour objet de prévoir la tendance linéaire (négative) de la taille du marché du ramipril en se basant sur les pourcentages d’effet calculés à la deuxième étape (voir la pièce 94, vol. 1, annexe K, où figurent les résultats de la modélisation).

 

·                     Quatrième étape : M. Carbone soustrait les valeurs générées par le modèle d’effet de la taille du marché du ramipril (sans la concurrence exercée par les produits génériques) qui a été prévue à la première étape. Le résultat qu’il obtient est la taille totale prévue du marché du ramipril au cours de la période pertinente.

 

[91]           Dans l’ensemble, M. Carbone conclut qu’il y aurait une nette réduction de la taille du marché du ramipril au cours de la période pertinente, et il attribue une bonne part de cette réduction à la cessation des activités de promotion de Sanofi (pièce 94, vol. 1, paragraphes 67 à 70). Ce facteur particulier, cependant, n’est peut-être pas aussi pertinent dans le cas du ramipril que dans d’autres.

 

[92]           J’admets qu’un innovateur cessera habituellement de faire la promotion d’un produit après sa généricisation, mais cela n’a pas eu lieu aussitôt ou entièrement dans le cas de l’ALTACE. Comme l’a reconnu M. Benoît Gravel, vice-président des ventes chez Sanofi, la promotion de l’ALTACE s’est poursuivie jusqu’à la fin du mois de mars 2007 — environ trois mois après la généricisation . De plus, Sanofi a lancé sur le marché une formulation combinée — l’ALTACE HCT — en novembre 2006 et elle a continué d’en faire la promotion après la généricisation du ramipril. M. Carbone a convenu que la promotion de l’ALTACE HCT aurait été avantageuse pour les ventes de l’ALTACE.

 

[93]           Par ailleurs, le raisonnement de M. Carbone ne concorde pas avec un rapport qu’a récemment publié le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), en septembre 2011, sous le titre « Incidence de l’arrivée sur le marché des médicaments génériques sur l’utilisation de l’ingrédient » (le rapport du CEPMB) (pièce 48). L’étude du CEPMB visait à déterminer si, après une généricisation, un médicament continue d’être utilisé dans la même mesure. C’est exactement cela dont M. Carbone et M. Hollis ont traité dans leurs rapports. Les auteurs du rapport du CEPMB ont étudié sept des médicaments les plus vendus — des médicaments « vedette » — qui avaient perdu la protection que leur conférait leur brevet entre les années 2000 et 2006. La conclusion que titre le CEPMB, à la page 26 du rapport, est la suivante :

En général, cette recherche démontre qu’il y a très peu de changements au niveau de la tendance d’utilisation après le lancement de la version générique. Habituellement, le nombre de demandes et la part du marché à la suite de l’arrivée sur le marché des médicaments génériques continuent la tendance établie par le médicament de marque en raison de l’exclusivité de commercialisation. Dans la plupart des cas, les changements d’utilisation cernés ne peuvent être attribués directement ou exclusivement à l’arrivée sur le marché des produits génériques. (Rapport du CEPMB, précité, à la page 26).

 

[94]           Lors de son témoignage de vive voix, M. Carbone a formulé des opinions très négatives sur chacun des aspects du rapport du CEPMB. J’accorde peu de poids à ses critiques, dont la plupart ont été sérieusement minées en contre-interrogatoire. Quoi qu’il en soit, je ne m’inspire pas de ce rapport pour me prononcer sur le marché du ramipril. Ce rapport établit simplement que, d’un point de vue indicatif, la conclusion de M. Hollis est préférable à celle de M. Carbone.

 

[95]           L’une des critiques les plus sérieuses à propos du travail de M. Carbone concerne l’utilisation qu’il a faite de « Futurcast », un logiciel privé permettant de prévoir la taille du marché du ramipril non généricisé après le mois de décembre 2006 à la première phase de son analyse. M. Hollis a exprimé l’opinion que, même si le système Futurcast peut être parfaitement valable pour [traduction] « pronostiquer dans l’avenir », quand on tente simplement d’anticiper les ventes futures du ramipril le logiciel n’est pas aussi utile pour prévoir les [traduction] « ventes réalisées dans le passé », parce qu’il ne tient pas compte d’informations  concrètes datant de la période pertinente et valable pour l’analyse. Cela, dit M. Hollis, [traduction] « restreint l’utilité et l’exactitude de Futurcast » (pièce 47, paragraphe 18).

 

[96]           Par contraste, la méthode que M. Hollis a suivie est nettement plus simple et non fondée sur un logiciel privé.

 

[97]           À ce stade de son analyse, M. Hollis se sert d’un modèle économétrique (une analyse de régression) pour estimer la taille du marché du ramipril dans le monde (hypothétique) d’avant décembre 2006 en se servant de données agrégées à l’échelon national qui sont tirées du marché réel du ramipril pendant et après le mois de décembre 2006. Il conclut que ces estimations modèles suivent de très près les effets réels de la généricisation après le mois de décembre 2006. M. Hollis exécute aussi une analyse de modélisation de [traduction] « rechange » qui utilise des données chronologiques et désagrégées à l’échelon provincial comme [traduction] « moyen de contrôler » la méthode qu’il privilégie. Contrairement à M. Carbone, M. Hollis utilise aussi d’autres données disponibles — y compris le volume total des ventes d’autres inhibiteurs ECA (enzyme de conversion de l’angiotensine) — pour préciser ces prévisions.

 

[98]           La simplicité de la méthode que M. Hollis a suivie à ce stade présente de nombreux avantages. Au lieu d’essayer de bâtir un modèle économétrique complexe pouvant tenir compte de l’influence directe du comportement publicitaire, de la diffusion d’informations sur le produit, du lancement de formulations de rechange (comme l’ALTACE HCT) ou d’autres variables explicatives, M. Hollis recourt à un modèle relativement simple, fondé sur l’hypothèse que le marché global du ramipril peut être prévu principalement par le temps qui suit l’entrée sur le marché des versions génériques. Vu l’exactitude de ce modèle simple pour prévoir les tendances du marché réel du ramipril, et à défaut de toute différence évidente, dans le monde hypothétique, qui pourrait avoir une incidence sur la taille totale du marché, il est vraisemblablement inutile d’inclure plus de variables explicatives en vue de créer un modèle fiable.

 

[99]           Une lacune possible de la méthode de M. Hollis est le fait que ce dernier ne peut pas distinguer les facteurs causatifs particuliers qui causent des variations dans la taille du marché du ramipril. Cette « lacune » n’est toutefois importante que s’il y a lieu de croire que, dans le monde hypothétique, serait intervenu un certain facteur qui n’aurait pas joué dans le monde réel, ou vice versa. Étant donné que le but visé, dans le cas présent, n’est pas d’expliquer la dynamique du marché mais de faire une prévision quantitative exacte au sujet du monde hypothétique, je ne considère pas que cette « lacune » soit une raison pour rejeter la méthode de M. Hollis.

 

[100]       Une autre critique de l’analyse de M. Hollis est le fait que ce dernier s’est servi de données d’envergure nationale. Lors d’un vigoureux contre-interrogatoire, M. Hollis a défendu sa méthode de manière claire et cohérente. Il a expliqué qu’il est bon d’utiliser des données nationales quand il ne se passe rien de [traduction] « très différent » parmi les provinces entre la période pertinente et la période de temps qui a été modélisée après le mois de décembre 2006 :

[traduction] Donc, s’il n’y a pas, dans les faits, de changements marquants dans ce qui se passe parmi les provinces, si l’on s’attend à ce que les choses soient essentiellement les mêmes, il n’y a aucune raison d’ajouter une complication supplémentaire en se préoccupant des provinces.

 

[101]       Il est néanmoins important que les estimations de M. Hollis, même si elles suivent de près les tendances du monde réel à l’échelon national agrégé, divergent dans une plus grande mesure une fois qu’on les désagrège à l’échelon provincial. Par exemple, les schémas de M. Hollis qui illustrent les doses prévues et réelles du ramipril dans le cas de l’Île‑du‑Prince‑Édouard et de la Saskatchewan montrent que les [traduction] « valeurs rajustées » prévoient habituellement moins bien la croissance du marché du ramipril après l’entrée des versions génériques à l’échelon provincial que ce n’est le cas à l’échelon national (pièce 44, vol. 1, onglet 6).

 

[102]       Ma dernière critique à propos de la méthode que M. Hollis a suivie à ce stade a trait à son explication concernant l’estimation [traduction] « prudente » de son modèle quant à l’effet de l’entrée des versions génériques sur le marché du ramipril (pièce 44, vol. 1, au paragraphe 38) :

[traduction] Dans ce modèle, on constate que les ventes accrues d’autres inhibiteurs ECA font augmenter les ventes du ramipril. C’est donc dire que s’il y a une réduction des mesures de promotion du ramipril après l’entrée de génériques qui mènent à une augmentation des ventes d’autres inhibiteurs ECA, cela aura pour effet de rehausser les valeurs prévues, par rapport aux valeurs réelles. Et cela, par définition, intensifiera [...] l’effet estimatif de la généricisation sur les ventes du ramipril.

 

[103]       Cette explication, selon moi, est tout à fait conjecturale. M. Hollis n’a fourni aucune preuve donnant à penser qu’une réduction des mesures de promotion relatives au ramipril, si elle survenait dans le monde réel, entraînerait une augmentation des ventes d’autres inhibiteurs ECA. Il ne justifie d’aucune manière la présomption selon laquelle ces estimations sont prudentes pour cette raison-là.

 

[104]       Même en gardant à l’esprit les réserves susmentionnées, je suis convaincue que l’analyse de M. Hollis est un moyen valable de prévoir la taille du marché du ramipril dans le monde « hypothétique ». Je préfère son modèle — et donc ses résultats — pour ce qui est de quantifier la taille du marché du ramipril.

 

VII.          La taille du marché des médicaments génériques

[105]       Après avoir déterminé la taille du marché global du ramipril au cours de la période pertinente, il me faut maintenant établir la taille du marché des médicaments génériques. L’idée selon laquelle les produits génériques s’empareront d’une part du marché du ramipril porte le nom de [traduction] « pénétration du marché ». Examinant la situation sous l’angle de Sanofi, M. Carbone a qualifié ce phénomène de [traduction] « érosion » du marché. Autrement dit, la question est de déterminer comment l’ALTACE et les versions génériques du ramipril se seraient partagés le marché du ramipril.

 

[106]       Une fois de plus, MM. Hollis, Carbone et Cockburn ont présenté des opinions d’experts sur cette étape de l’analyse. Les vues différentes des parties sur la taille du marché des médicaments génériques semblent être liées à deux facteurs importants : (1) un travail de modélisation pour tenir compte du degré de pénétration du marché, et (2) le moment des inscriptions aux formulaires des médicaments. J’examinerai chacune de ces questions à tour de rôle.

 

A.                La pénétration du marché

[107]       Pour prévoir la taille du marché des médicaments génériques, M. Hollis se sert du même fondement conceptuel qu’il a appliqué pour déterminer la taille du marché du ramipril. En d’autres termes, il présume au départ que les données observées disponibles, lesquelles s’appliquent au marché du ramipril après l’entrée de produits génériques, sont un prédicteur exact du monde « hypothétique », sauf s’il y a une bonne raison de croire qu’il y a des différences notables entre ces deux mondes.

 

[108]       Même si l’opinion de M. Hollis a été sévèrement critiquée, je vois peu de raisons de douter soit de sa méthode soit de sa conclusion selon laquelle les conditions réglementaires auraient été les mêmes ou fort semblables entre le monde réel et le monde « hypothétique ».

 

[109]       La prévision que fait M. Carbone de l’érosion dans le monde « hypothétique » diffère de celle de M. Hollis sur un seul point important. En particulier, M. Carbone exprime l’avis que les marchés où l’on trouve moins de nouvelles entrées de produits génériques manifesteront une érosion plus lente du marché qu’occupe le fabricant d’un médicament de marque. M. Carbone fonde son opinion sur une analyse de régression multidimensionnelle exposée à l’annexe O de son rapport (voir la pièce 94, vol. 1, onglet O). Je conviens avec Apotex qu’il existe des [traduction] « lacunes méthodologiques et logiques qui font qu’il est difficile de se fier à ces résultats ».

 

[110]       La sérieuse réserve que j’ai au sujet de l’opinion de M. Carbone est le fait qu’il recourt à plus d’une centaine d’estimations fondées sur la [traduction] « diffusion de Bass ». Ces estimations ont été exécutées au moyen d’une formule qui n’est pas mentionnée dans ses rapports. En fait, comme nous l’avons découvert lors du contre-interrogatoire de M. Carbone, la formule de diffusion de Bass qui est présentée à l’annexe J de son rapport n’est pas celle dont il (ou ses adjoints) s’est concrètement servi pour établir ses prévisions.

 

[111]       Un autre problème est le nombre de différences qui ont été relevées dans les coefficients contenus à l’annexe P, comparativement aux coefficients applicables aux mêmes molécules dont il est question aux annexes L et N. Comme Apotex l’a fait remarquer :

[traduction] Dans le cas de 53 des 112 valeurs pour lesquelles les variables de source ont été fournies, au moins 8 (ou 15 %) d’entre elles ne correspondaient pas aux valeurs indiquées dans les annexes de source.

 

[112]       Ces problèmes, et d’autres, qu’Apotex a relevés justifient que je fasse abstraction — dans une certaine mesure du moins — des opinions finales de M. Carbone sur la sérieuse question de l’érosion qui est survenue au cours de la période pertinente.

 

[113]       Cela ne veut pas dire que la preuve de M. Hollis est parfaite. Ce dernier répond, en partie, à la prétention de M. Carbone selon laquelle les marchés où l’on compte moins de nouvelles entrées de produits génériques s’éroderont plus lentement en disant que M. Carbone a inféré l’existence d’un lien de cause à effet entre le nombre des nouvelles entrées de produits génériques et le taux d’érosion, qui n’est pas étayé par la preuve. M. Hollis soutient que la variable explicative importante n’est pas le nombre des nouvelles entrées mais la taille du marché global. Il ajoute que l’on peut s’attendre à ce qu’un marché de grande taille génère des taux d’érosion plus rapides, ce qui peut expliquer les différences que M. Carbone a relevées. À mon avis, le lien de cause à effet que présume M. Hollis entre la taille du marché et le taux d’érosion est sujet à la même critique que celle qu’il formule à l’endroit de M. Carbone. M. Hollis ne procède à aucune analyse statistique pour vérifier son hypothèse. Il aurait pu tenter de modéliser cette relation dans son rapport de réponse, mais il a décidé de ne pas le faire.

 

[114]       Cela dit, je trouve que la logique de M. Hollis, à savoir que, en fait, des déterminants autres que le nombre des produits génériques présents sur le marché expliquent probablement pourquoi certains marchés de médicaments supportent plusieurs nouvelles entrées de produits génériques, tandis que d’autres n’en autorisent qu’une seule, est raisonnablement convaincante. Il faut qu’un ou plusieurs « autres » facteurs sous-tendent le choix que font des fabricants de médicaments génériques d’entrer sur un marché donné ou non. Il s’ensuit que la tentative que fait M. Carbone pour faire une distinction entre le monde « hypothétique » et le monde réel en se basant sur le nombre des nouvelles entrées de produits génériques est, dans le meilleur des cas, une explication incomplète et, à mon avis, insuffisante pour que l’on s’écarte de la présomption de base selon laquelle la taille du marché des médicaments génériques dans le monde réel est un bon prédicteur de ce marché dans le monde « hypothétique ».

 

B.                 Les inscriptions aux formulaires des médicaments

[115]       La seconde différence de taille entre les parties est la question des dates d’inscription aux formulaires des médicaments. M. Hollis a fait ses propres recherches sur ces dates. Par contraste, M. Carbone s’est fié aux dates d’inscription que lui a fournies M. Palmer. Les hypothèses de ce dernier étaient différentes de celles de M. Hollis.

 

[116]       Comme l’a déclaré M. Hollis dans son rapport d’expert, [traduction] « [u]n facteur déterminant important des ventes de produits pharmaceutiques au Canada est l’inscription aux formulaires provinciaux » (pièce 44, vol. 1, paragraphe 62). M. Hollis a expliqué pourquoi (pièce 44, paragraphes 62 et 63) [références omises]) :

[traduction]

62. [...] Cela s’explique par le fait que, en général, dans tout le Canada, le coût des médicaments prescrits aux personnes âgées et aux indigents est supporté par les régimes provinciaux d’assurance-médicaments une fois que ces médicaments sont inscrits aux formulaires. D’un point de vue collectif, cela fait de ces régimes les plus gros payeurs de produits pharmaceutiques d’ordonnance, qui représentaient environ 40 p. 100 des dépenses en 2005. Pour ce qui est des produits pharmaceutiques génériques, l’inscription aux formulaires est encore plus cruciale car, d’habitude, ces inscriptions permettent et, dans certains cas, exigent que le pharmacien remplace le produit médicamenteux de marque par une version générique moins onéreuse.

 

63.       Dans le cas du ramipril, comme dans celui de la plupart des autres médicaments, les ventes au détail augmentent considérablement lorsqu’il est inscrit aux formulaires provinciaux (même si des ventes en gros considérables peuvent avoir lieu avant cela, dans l’expectative d’une inscription aux formulaires). Quand on interprète les données relatives aux ventes hypothétiques, il est donc important de tenir compte des dates d’inscription probables aux formulaires provinciaux. [...]

 

[117]       L’analyse que fait M. Hollis de ce facteur repose une fois de plus sur l’hypothèse raisonnable selon laquelle les données observées dont on dispose sur la période suivant l’entrée des versions génériques sur le marché du ramipril sont un indicateur précis du monde « hypothétique », sauf s’il y a une bonne raison de croire qu’il existe des différences marquées entre les deux mondes. M. Hollis a « vérifié » cette hypothèse par rapport aux délais d’inscription moyens concernant les produits d’Apotex pour la période de 2004 à 2006.

 

[118]       Après avoir fait son analyse, M. Hollis conclut que : (1) il n’y a pas de différence marquée entre le délai moyen d’inscription aux formulaires en 2004, comparativement à 2006; (2) il n’y a aucune différence dans le nombre moyen de jours après lesquels les provinces ont approuvé les produits d’Apotex entre 2004 et 2006; (3) le temps réel qu’il a fallu pour approuver l’Apo-ramipril aurait pu être le même dans le monde hypothétique, car les comités applicables ont approuvé d’autres médicaments dans le même délai à peu près que celui où ils auraient pu approuver l’Apo-ramipril (pièce 44, vol. 1, paragraphe 70).

 

[119]       Là encore, il n’y a aucune raison, selon moi, de douter de la conclusion de M. Hollis selon laquelle les conditions réglementaires auraient été les mêmes ou fort semblables entre le monde réel et le monde hypothétique, et que cela aurait donné lieu à des délais à peu près identiques pour les inscriptions aux formulaires.

 

[120]       Dans son argumentation finale, Sanofi n’a contesté qu’un seul aspect des dates d’inscription aux formulaires de M. Hollis. Plus précisément, elle a fait état d’une partie du témoignage de M. Palmer dans lequel ce dernier a émis l’opinion que :

[traduction] Je note toutefois que la date inscrite pour la C.‑B. est le 27 janvier, et qu’il s’agit de la date exacte. Cette date est différente de celle que M. Hollis avait dans son rapport, qui, je crois, est le mois d’avril.

 

[121]       Sur le fondement de cette seule déclaration, Sanofi laisse entendre que le fait d’[traduction] « appliquer la méthode de M. Hollis fait commencer l’érosion 86 jours (ou près de trois mois) plus tôt en Colombie-Britannique, ce qui surestime donc la part du marché qu’occupent les produits génériques ». En tirant cette conclusion, Sanofi fait abstraction du reste du contre-interrogatoire de M. Palmer, dans lequel ce dernier a reconnu que ses estimations révisées pour l’Alberta et la Colombie-Britannique concordaient en fait avec celles de M. Hollis.

 

[122]       J’accepte donc, comme raisonnables et plus probables que le contraire, les dates d’inscription aux formulaires que M. Hollis a fixées et sur lesquelles il s’est fondé pour évaluer la taille du marché des médicaments génériques.

 

C.                 La conclusion sur le marché des médicaments génériques

[123]       En conclusion, pour ce qui est du marché des médicaments génériques, je privilégie l’analyse de M. Hollis par rapport à celle de M. Carbone et, le cas échéant, celle de M. Palmer. Par ailleurs, et ceci revêt une importance particulière pour la prochaine étape de l’analyse (établir la part du marché des médicaments génériques qu’occupe Apotex), je souscris à l’opinion de M. Hollis selon laquelle la taille du marché des médicaments génériques ne serait pas touchée de façon marquée par le nombre des produits génériques entrant sur le marché ou par le moment de leur entrée. Dans la mesure où cela est nécessaire pour prévoir les inscriptions aux formulaires dans le monde hypothétique, j’appliquerai les estimations qu’a employées M. Hollis plutôt que celles de M. Palmer.

 

VIII.       La part du marché des médicaments génériques qu’occupe Apotex

[124]       L’étape suivante de l’analyse consiste à déterminer la part du marché des médicaments génériques qu’occupe Apotex pour le ramipril. Cette évaluation donnera une estimation des volumes qu’Apotex a perdus au cours de la période pertinente.

 

[125]       Je fais remarquer tout d’abord que Sanofi ne prétend pas qu’Apotex aurait été incapable de produire des quantités suffisantes de ramipril générique pour approvisionner la part de marché, quelle qu’elle soit, qu’elle aurait acquise dans le monde hypothétique. La preuve qui m’est soumise est claire et convaincante : Apotex aurait eu les moyens d’obtenir des quantités suffisantes d’IPA et d’ingrédients initiaux, ainsi qu’une capacité de fabrication suffisante, pour répondre à la demande du marché pendant toute la période pertinente. La seule mise en garde est qu’Apotex aurait peut-être été obligée d’obtenir des machines additionnelles ou de recourir à des quarts de travail additionnels. Cette mesure serait susceptible d’occasionner des coûts de production supérieurs, un aspect qui est analysé plus loin dans les présents motifs.

 

[126]       Après avoir conclu qu’Apotex avait la capacité physique d’approvisionner le marché tout entier, la question qui se pose est celle de savoir si elle l’aurait fait seule ou avec des concurrents.

 

[127]       Avant que je procède à une évaluation détaillée de cet aspect, Sanofi soulève une question dont il convient de traiter. La part du marché des médicaments génériques qu’occupe Apotex doit-elle être évaluée en fonction d’un seul monde hypothétique? Une fois que j’aurai répondu à cette question, je passerai aux étapes suivantes, lesquelles consistent à déterminer :

 

·                     les participants au monde hypothétique, et le moment de leur entrée sur le marché;

 

·                     la part de marché d’Apotex (c.-à-d., les volumes qu’Apotex a perdus).

 

A.                La vision qu’a Sanofi du monde hypothétique

[128]       Sanofi soutient qu’il ne peut y avoir qu’un seul monde hypothétique qui s’appliquerait à toutes les demandes fondées sur l’article 8 qui concernent le ramipril. À son avis, une seconde personne obtiendrait un gain fortuit inapproprié si l’on ne tenait pas compte de la totalité des autres produits génériques. Elle explique que, s’il n’y avait pas une conclusion unique sur le marché global des produits génériques dans le monde hypothétique, cela pourrait avoir des [traduction] « conséquences absurdes ».

 

[129]       Sanofi a tenté d’illustrer l’« absurdité » potentielle de la position d’Apotex en recourant à un exemple hypothétique. Dans cet exemple, Sanofi a présumé qu’il existait trois fabricants de médicaments génériques : A autorisé en l’an 0, B autorisé en l’an 1 et C autorisé en l’an 2. Les autres hypothèses étaient les suivantes :

 

·                     un marché de produits génériques total de 20 unités par année;

 

·                     une instance relative à un AC qui vise chaque produit générique;

 

·                     l’instance relative à un AC visant A qui est rejetée en l’an 3;

 

·                     tous les produits génériques entrent sur le marché en l’an 3;

 

·                     chaque fabricant de médicaments génériques dépose une demande fondée sur l’article 8.

 

[130]       Si A, B et C intentent toutes les trois une action en recouvrement de dommages-intérêts en vertu de l’article 8 et si les demandes sont évaluées comme trois marchés hypothétiques indépendants sans autres nouveaux arrivants hypothétiques, les résultats, d’après Sanofi, seraient les suivants :

 

·                     A demanderait trois années à raison de 20 unités par année, soit un total de 60 unités;

 

·                     B demanderait deux années à raison de 20 unités par année, soit un total de 40 unités;

 

·                     C demanderait une année à raison de 20 unités par année, soit un total de 20 unités.

 

[131]       Cela constituerait, pour des produits génériques, un recouvrement total de 120 unités, alors que le marché total des produits génériques pour cette période ne serait que de 60 unités. Résultat, la responsabilité de Sanofi équivaudrait au double de ce qui serait rationnellement possible.

 

[132]       Je ne suis pas en désaccord avec les calculs de Sanofi. Je reconnais également que, si cela devait se produire, le résultat serait, sinon « absurde », à tout le moins douteux. Cela dit, l’argument de Sanofi contient un certain nombre de lacunes.

 

[133]       La première raison pour laquelle je ne suis pas d’accord avec l’argument de Sanofi est qu’il donne une fausse idée de la position d’Apotex. Apotex ne soutient pas que le monde hypothétique, sous le régime du Règlement, doit considérer Apotex comme un fabricant exclusif, sans aucun concurrent, pendant toute la période pertinente. Apotex, si j’ai bien compris son argument, est plutôt d’avis qu’il faut prendre en considération au cas par cas d’autres nouveaux arrivants sur le marché.

 

[134]       Je conviens avec Sanofi que le monde hypothétique doit tenir compte de l’inclusion d’éventuels concurrents, mais je ne vais pas aussi loin que ce que Sanofi affirme. En d’autres termes, je rejette l’idée de Sanofi de n’établir qu’un seul monde hypothétique qui s’appliquera dans le cas présent ainsi que dans toute autre situation mettant en cause la généricisation du ramipril.

 

[135]       L’évaluation des dommages-intérêts peut — et doit — être faite en fonction des faits qui sont propres à chaque affaire. Dans la mesure où il existe des éléments communs ayant une incidence sur la quantification des dommages-intérêts, ces éléments seront, selon toute vraisemblance, présentés lors du procès.

 

[136]       Une autre lacune sérieuse que présente l’argument de Sanofi est que la preuve que l’on produit dans une affaire en particulier peut établir une période pertinente qui est différente de celle que l’on établirait dans une autre. Ce fait aura une incidence sur de nombreux éléments de l’évaluation des dommages-intérêts. En l’espèce, par exemple, j’ai conclu qu’Apotex serait entrée sur le marché le 26 avril 2004. Cette conclusion signifie que des facteurs différents entreront en jeu relativement à l’entrée possible d’un médicament générique autorisé, plutôt que si j’avais conclu que la date d’entrée sur le marché du 13 décembre 2005 convenait mieux. Dans l’affaire Teva connexe (dossier de la Cour no T‑1161‑07), j’ai conclu qu’une période pertinente différente avait été établie et que des facteurs différents étaient pertinents. Suivre la suggestion de Sanofi m’obligerait donc à ne pas tenir compte de la preuve présentée ni dans l’affaire Teva ni dans la présente.

 

[137]       De par leur nature propre, les dommages-intérêts dans la présente action sont hypothétiques. Il s’ensuit que des estimations doivent être faites, et qu’un marché doit être imaginé et que les données seront imparfaites. À mesure que je réécris l’histoire, il y a des hypothèses qui doivent être interprétées et évaluées, et ces hypothèses changeront forcément en fonction des faits de chaque affaire. Je m’efforce d’être raisonnable et équitable — je ne puis atteindre la perfection. Comme l’a fait remarquer lord Shaw dans l’arrêt Watson, Laidlaw & Co Ltd c           Pott, Cassels and Williamson (1914), 31 RPC 104, à la page 118 (HL) :

[traduction] Le rétablissement par voie d’indemnisation se fait donc en grande partie par un jeu d’imagination rationnelle et de coupes solides.

 

[138]       En ce qui concerne le ramipril, Sanofi n’a mentionné que Teva, Apotex et Riva comme participants dans le monde hypothétique. Je suis assez sûre que les dommages-intérêts, dans ces trois actions, n’excéderont pas de beaucoup — si tant est qu’ils le fassent — ceux que l’on accorderait si les trois affaires avaient été jointes et si un seul monde hypothétique avait été établi. Étant donné que Sanofi est la défenderesse dans ces trois affaires, elle est bien consciente du montant total des dommages-intérêts demandés. Si ce montant créait une réelle menace que la responsabilité totale de Sanofi excède les limites de la rationalité, Sanofi pourrait demander instamment à la Cour d’envisager de rajuster l’indemnité conformément au paragraphe 8(5) du Règlement.

 

[139]       Il peut y avoir une situation dans laquelle la crainte de Sanofi est bien fondée, mais ce n’est certes pas le cas ici.

 

B.                 Les autres fabricants de médicaments génériques

[140]       Après avoir déterminé que les faits particuliers qui me sont soumis éclaireront les conclusions que je tirerai sur cette question, la tâche suivante consiste à établir quels sont les fabricants de médicaments génériques qui seraient entrés sur le marché au cours de la période pertinente, et à quel moment. Les parties ont présenté des preuves concernant trois nouveaux arrivants possibles sur le marché hypothétique : Teva, Riva et un fabricant de médicaments génériques autorisés.

 

[141]       Avant que j’examine les différents arrivants sur le marché, je signale que la question du fardeau suscite un certain désaccord.

 

[142]       Les deux parties conviennent qu’Apotex a le fardeau de prouver ses pertes, mais elles ne s’entendent pas sur la question précise de la concurrence qu’exercent les fabricants de médicaments génériques dans le monde hypothétique. Pour sa part, Sanofi déclare qu’Apotex [traduction] « doit prouver selon la prépondérance des probabilités quelle aurait été sa position en l’absence des demandes d’interdiction », en tenant compte du fait qu’elle aurait été capable d’obtenir un AC et d’entrer sur le marché du ramipril au cours de la période alléguée, qu’aucun fabricant de médicaments génériques, autorisé ou non, ne l’aurait fait avant les dates alléguées, ainsi que du prix de son produit.

 

[143]       Apotex soutient que Sanofi a le fardeau de prouver des [traduction] « défenses affirmatives » et qu’elle-même n’est pas tenue de réfuter ces dernières. En particulier, elle est d’avis que Sanofi a le fardeau de prouver qu’un fabricant de médicaments génériques concurrent ou un fabricant de médicaments génériques autorisés aurait fait son entrée sur le marché hypothétique.

 

[144]       Il est bien établi en droit qu’il existe deux types de fardeau : le fardeau de persuasion et le fardeau de présentation de la preuve. Dans Hoffmann-La Roche Ltée c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 205 NR 331, au paragraphe 8(3) (CA), 205 NR 331, la Cour d’appel a expliqué ceci :

Cette charge [primaire], appelée dans les poursuites civiles le « fardeau de persuasion » , oblige le poursuivant à prouver sa cause selon la norme de preuve en matière civile. En revanche, le « fardeau de présentation de la preuve » désigne l’obligation de soulever une question et signifie que la partie doit s’assurer qu’il y a au dossier suffisamment d’éléments de preuve de l’existence ou de l’inexistence d’un fait ou d’une question pour satisfaire au critère préliminaire au sujet de ce fait ou de cette question.

 

[145]       Le fardeau de la persuasion ne se transfère pas au cours d’un procès, contrairement au fardeau de présentation de la preuve. Une fois qu’il existe [traduction] « une preuve ou une présomption prima facie de la véracité d’une allégation, qui, en l’absence d’autres éléments de preuve, doit donc être considérée comme véridique », le fardeau de présentation de la preuve est transféré au défendeur, lequel doit [traduction] « fournir des éléments qui répondent à la preuve prima facie (Ontario Equitable Life and Accident Insurance Co c Baker, [1926] SCR 297, aux pages 308 et 309 [Baker]). À l’issue d’une affaire, le tribunal doit soupeser la totalité des éléments de preuve que les deux parties ont produits (Baker, précité).

 

[146]       Apotex ne peut pas avoir le fardeau d’appeler chacun des éventuels participants du marché et de prouver qu’ils n’auraient pas lancé un produit à base de ramipril. À cet égard, la position d’Apotex ressemble beaucoup à la situation à laquelle était confrontée la défenderesse dans l’arrêt Rainbow Industrial Caterers Ltd c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 3 RCS 3, [1991] ACS no 67. Dans cette affaire, qui mettait en cause une action en matière délictuelle, Rainbow réclamait des dommages-intérêts aux Chemins de fer nationaux du Canada (CN) pour, notamment, une déclaration inexacte faite par négligence à l’égard d’un contrat de fourniture de repas. Le CN soutenait que la perte déclarée ne lui était pas entièrement attribuable car Rainbow aurait conclu d’autres contrats. Pour ce qui est de la question du fardeau, à la page 15 du recueil, la Cour suprême a indiqué :

Du moment qu’il établit la perte occasionnée par le marché en question, le demandeur s’acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe relativement aux dommages-intérêts. Le défendeur qui allègue que le demandeur aurait conclu un marché à des conditions différentes soulève une nouvelle question qui oblige le tribunal à s’interroger sur ce qui se serait produit dans une situation hypothétique. Il s’agit d’un domaine dans lequel il est généralement impossible de produire des éléments de preuve concrets. Or, à défaut d’éléments de preuve justifiant une conclusion sur cette question, est‑ce le demandeur ou bien le défendeur qui doit supporter le risque de ne pas convaincre le tribunal? Le demandeur est-il tenu de réfuter toute proposition de nature conjecturale quant à ce qu’aurait été sa situation si le défendeur n’avait pas commis de délit civil, ou est-ce à l’auteur du délit civil qui invoque cette situation hypothétique d’en faire la preuve?

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[147]       En concluant que le CN supportait le fardeau, la Cour suprême a fait le commentaire suivant, à la page 16 du recueil :

L’appelante CN a fait valoir que la perte n’était pas imputable en totalité à la déclaration inexacte parce que Rainbow aurait passé un contrat différent comportant d’autres conditions, ce qui lui aurait occasionné au moins une partie de sa perte. Pour déterminer ce qu’aurait fait l’intimée en l’absence de l’acte délictuel en cause, il faut se livrer à de nombreuses conjectures et, me fondant sur les principes examinés plus haut, je ferais assumer à l’appelante le fardeau ultime de la preuve. 

 

[148]       Dans le contexte d’une action en dommages-intérêts, le défendeur qui a gain de cause à la charge de prouver la perte qu’il a subie (voir, p. ex., Les Laboratoires Servier and another c Apotex Inc and others, [2008] EWHC 2347 (Ch) (QL), [2008] All ER (D) 79 (Oct), inf. pour d’autres motifs [2010] EWCA Civ 279, [2010] All ER (D) 238 (Nov)). Cependant, dans l’arrêt Algonquin Mercantile Corp c Dart Industries Canada Ltd (1987), [1988] 2 CF 305 (QL), au paragraphe 8 (CA), 79 NR 305, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une partie demanderesse déboutée a le fardeau de prouver l’existence de l’auto-concurrence quand c’est elle qui a soulevé cette question‑là :

[L]a question de l’existence de l’auto-concurrence s’étant posée à la suite des allégations de la demanderesse, c’est celle-ci qui devait en établir l’existence, et il n’appartenait pas à la défenderesse d’établir « l’absence » d’auto-concurrence ainsi que l’a dit le juge de première instance.

 

[149]       Si l’on prend tout cela en considération, l’approche qu’il convient de suivre, selon moi, est la suivante : une fois qu’Apotex a produit une preuve prima facie de ses pertes, le fardeau de présentation de la preuve est transféré à Sanofi, qui doit alors produire une preuve en réponse. Sanofi ne peut pas prétendre tout simplement que d’autres fabricants de médicaments génériques seraient entrés sur le marché sans fournir une preuve à l’appui d’une telle affirmation.

 

[150]       En l’espèce, Apotex n’a pas, du moins pas au début, le fardeau de réprouver les ventes hypothétiques de fabricants de médicaments génériques tiers. Cependant, elle supporte en tout temps le fardeau de prouver ses pertes, et la preuve qu’elle produit doit, en bout de ligne, être comparée aux éléments de preuve que produit Sanofi pour établir les ventes que des fabricants de médicaments génériques tiers ont effectuées. Dans la mesure où Sanofi parvient à s’acquitter de son fardeau de présentation de la preuve en prouvant l’existence de ventes effectuées par des tierces parties, Apotex se doit de traiter de cette preuve si elle veut s’acquitter de son fardeau de persuasion.

 

1)                  Teva

[151]       Sanofi a produit des éléments de preuve et soutient que Teva aurait fait partie du marché des médicaments génériques.

 

[152]       La question de savoir si Teva aurait commencé à vendre des produits dans le monde hypothétique comporte deux étapes. La première consiste à examiner le contexte réglementaire en vue de déterminer s’il y avait des obstacles réglementaires à l’entrée de Teva sur le marché. L’analyse de cette question amènera à fixer la date d’entrée possible concernant le lancement, par Teva, d’une version générique du ramipril. La seconde étape consiste à traiter des questions d’ordre pratique qui se seraient vraisemblablement posées à la date d’entrée hypothétique. Des questions telles que la capacité de fabrication, l’accès à l’IPA et la motivation sont pertinentes à cette étape-là.

 

[153]       Ni Apotex ni Sanofi ne mettent en doute la capacité physique de Teva de fabriquer du ramipril au cours de la période pertinente. Mon examen est donc axé sur la première étape de l’analyse. Autrement dit, la question déterminante est la suivante : du point de vue réglementaire et juridique, Teva aurait-elle été capable d’entrer sur le marché et, dans l’affirmative, à quel moment?

 

[154]       Sanofi a assigné M. Barry Fishman, président et chef de la direction de Teva, pour parler de la participation possible de Teva au sein du marché hypothétique. Comme l’a confirmé M. Fishman, Teva a pris les mesures suivantes pour le faire :

 

·                     Teva a déposé sa PADN le 24 décembre 2001 (pièce 126, onglet 3);

·                     la date de « mise en attente du brevet » certifiée, limitée à des capsules de 2,5, 5 et 10 mg de ramipril, était le 14 octobre 2003, date à laquelle Teva avait convenu d’attendre que le brevet 457 expire le 13 décembre 2005 (pièce 126, onglets 6 et 8);

 

·                     le 12 septembre 2005 (brevet 206) et le 14 septembre 2005 (brevets 089, 948, 549 et 387), Teva a signifié des avis d’allégation;

 

·                     le 31 octobre 2005 (dossier de la Cour no T‑1965‑05, relativement au brevet 206) et le 2 novembre 2005 (dossier de la Cour no T‑1979‑05, relativement aux brevets 089, 948, 549 et 387), Sanofi a déposé des demandes d’interdiction;

 

·                     le 25 septembre 2006, la Cour fédérale a rejeté l’affaire T‑1965‑05, qu’elle a considérée comme un « abus de procédure » (Sanofi-Aventis Canada Inc c Novopharm Limited, 2006 CF 1135, 306 FTR 56);

 

·                     le 8 décembre 2006, le ministre a indiqué que Teva était tenue de traiter des brevets 089 et 948, mais non des brevets 549 ou 387;

 

·                     le 15 décembre 2006, Teva a retiré la partie de son avis d’allégation qui se rapportait aux brevets 549 et 387;

 

·                     le 27 avril 2007, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’affaire T‑1979‑05, qu’elle a considérée comme un abus de procédure (Sanofi-Aventis Canada Inc c Novopharm Limited, 2007 CAF 167, inf. 2006 CF 1547);

 

·                     le 2 mai 2007, Teva a reçu son AC.

 

[155]       Un fait très pertinent dans le cas de Teva est que, dans le cadre de sa PADN, elle a certifié qu’elle attendrait l’expiration du brevet 457. De plus, quand elle a finalement signifié ses avis d’allégation à Sanofi en septembre 2005, elle n’a pas traité du brevet 457. Autrement dit, il ressort du dossier que Teva ne tentait pas d’obtenir une autorisation réglementaire pour entrer sur le marché avant le 13 décembre 2005, quand le brevet 457 a expiré. La date d’entrée possible la plus proche en l’espèce est le 13 décembre 2005.

 

[156]       Apotex soutient que Teva n’aurait pas été en mesure d’entrer sur le marché avant la fin du mois d’octobre 2007. Dans le monde réel, Teva a bel et bien « déverrouillé » la porte réglementaire en suivant les pas d’Apotex. Cette dernière explique qu’il convient d’interpréter le monde hypothétique en tenant pour acquis que Sanofi n’avait pas déposé de demande d’interdiction contre elle. Pour ce qui est de ce point de départ, Apotex invoque l’arrêt Norfloxacin (CAF), précité, où la Cour d’appel fédérale a fait remarquer au paragraphe 75 :

[…] [I]l faut se rappeler que la Cour fédérale devait évaluer les dommages subis par Apotex à partir d’une question hypothétique : que se serait-il passé si Merck n’avait pas déposé la demande d’interdiction?

 

[157]       Si l’on applique cette question à la présente affaire, cela signifie qu’il me faut évaluer les dommages-intérêts demandés en vertu de l’article 8 en tenant pour acquis que Sanofi n’avait pas engagé l’affaire T‑1742‑03 à l’égard de l’avis d’allégation d’Apotex concernant le brevet 206. Apotex fait remarquer avec raison que si Sanofi n’avait pas engagé l’affaire T‑1742‑03, il n’y aurait pas eu de décision et d’ordonnance de la juge Mactavish dans l’affaire AC Ramipril no 1 (CF). Dans le monde réel, Teva a pu prendre appui sur le succès qu’Apotex a obtenu dans l’affaire T‑1742-03 pour faire en sorte que l’affaire T‑1965-05 soit considérée comme un abus de procédure et rejetée. S’il n’y avait pas eu de décision dans l’affaire AC Ramipril n1 (CF), Teva n’aurait pas pu faire rejeter l’affaire T‑1965‑05 pour cause d’abus de procédure. Elle aurait été obligée de poursuivre ses arguments, dans l’affaire T‑1965‑05, à savoir que ses allégations d’invalidité du brevet 206 étaient justifiées. Comme l’a reconnu M. Fishman, Teva, dans ces circonstances, ne se serait attendue à recevoir son AC que vers la fin de la période de suspension de 24 mois dans l’affaire T‑1965‑05; c’est-à-dire vers la fin du mois d’octobre 2007.

 

[158]       Du point de vue conceptuel, la logique de l’argument qu’Apotex invoque est inattaquable. Ce n’est pas seulement l’hésitation de Teva à traiter du brevet 457, mais le temps qu’elle a mis avant de signifier un avis d’allégation concernant le brevet 206, qui fait obstacle à son entrée sur le marché dans le monde hypothétique.

 

[159]       Le seul problème que pose, selon moi, l’argument d’Apotex est qu’elle a fait abstraction de l’instance relative à l’AC de Riva. Cette dernière a signifié son avis d’allégation concernant les brevets 206, 457 et 089 le 10 juin 2004, et Sanofi a engagé l’affaire T‑1384‑04 le 23 juillet 2004. Sans la contestation d’Apotex contre le brevet 206 dans l’affaire T‑1742‑03, l’instance relative à l’AC dans l’affaire T‑1384‑04 se serait vraisemblablement déroulée de manière ordinaire, avec le résultat que la Cour aurait rejeté la demande d’interdiction de Sanofi en juillet 2006 au plus tard. Je présume que le résultat de l’instance relative à l’AC de Riva aurait été que son allégation concernant l’invalidité du brevet 206 aurait été considérée comme justifiée — une hypothèse raisonnable vu ce qui se passait dans le monde réel. Teva aurait alors pu prendre appui sur le succès de Riva en vue d’obtenir le rejet de l’affaire T‑1965‑05 pour cause d’abus de procédure dans les quelques jours suivant le rejet de l’affaire T‑1384‑04. Comme dans le monde réel, le succès de Riva aurait vraisemblablement mis en marche une série de faits qui auraient amené Teva à recevoir un AC à très court terme par la suite, malgré le maintien d’autres brevets d’utilisation.

 

[160]       En résumé, pour les besoins de l’espèce, je présumerai que Teva aurait été en mesure d’entrer sur le marché aux environs du 1er août 2006.

 

2)                  Riva

[161]       Certains des scénarios dont il a été question au cours du procès comprenaient la participation possible de Riva au sein du monde hypothétique. Comme dans le cas de la participation possible de Teva au sein du marché hypothétique, l’entrée de Riva au cours de la période pertinente comporte deux étapes. La première consiste à examiner le contexte réglementaire afin de déterminer s’il existait des obstacles de nature réglementaire à son entrée sur le marché. La seconde consiste à examiner les questions d’ordre pratique qui se seraient vraisemblablement posées à la date d’entrée hypothétique. Des questions telles que la capacité de fabrication, l’accès à l’IPA et la motivation sont pertinentes à cette étape-là.

 

[162]       Selon la preuve qui m’a été soumise, Riva n’aurait pas pu recevoir un AC pour son ramipril au cours de la période pertinente. De ce fait, même si elle avait pu prendre des dispositions pour mettre sur le marché du ramipril dans certaines parties du Canada, sinon dans toutes, elle n’aurait pas pu entrer sur le marché au cours de la période pertinente à cause d’un obstacle réglementaire.

 

[163]       La voie que Riva a suivie pour obtenir l’autorisation réglementaire de son ramipril générique dans le monde réel est la suivante :

 

·                     le 8 juin 2004, Riva a présenté sa PADN à Santé Canada pour des capsules de ramipril, en faisant renvoi à la PADN de Pharmascience (pièce 107, onglets 74 et 66, page 3);

 

·                     le 10 juin 2004, Riva a signifié un avis d’allégation au sujet des brevets 206, 457 et 089;

 

·                     la date de « mise en attente du brevet » de Riva était le 18 juin 2004;

 

·                     le 23 juillet 2004, Sanofi a déposé une demande d’interdiction (dossier de la Cour no T‑1384‑04) en réponse à l’avis d’allégation de Riva concernant les brevets 206, 457 et 089;

 

·                     le 8 septembre 2004, Riva a signifié un avis d’allégation concernant le brevet 948;

 

·                     le 22 octobre 2004, Sanofi a déposé une demande d’interdiction (dossier de la Cour, no T‑1888‑04) concernant le brevet 948;

 

·                     le 5 décembre 2006, Riva a signifié un avis d’allégation concernant les brevets 549 et 387;

 

·                     le 19 janvier 2007, Sanofi a déposé une demande d’interdiction (dossier de la Cour no T‑127‑07) concernant les brevets 549 et 387;

 

·                     le 17 mai 2007, la Cour a rejeté les affaires T‑1384‑04 et T‑1888‑04 (Sanofi-Aventis Inc c Laboratoire Riva Inc, 2007 CF 532, 315 FTR 59);

 

·                     le 4 mars 2008, la Cour a rejeté l’affaire T‑127‑07 (Sanofi-Aventis Canada Inc c Laboratoire Riva Inc, 2008 CF 291, 331 FTR 259);

 

·                     Riva a reçu son AC le 14 mars 2008.

 

[164]       La décision qu’a prise Riva de faire renvoi à la présentation de Pharmascience concernant le PMS-ramipril lui a causé un sérieux problème.

 

[165]       Comme l’a confirmé Mme Bowes, la politique de Santé Canada et l’avis que le ministère a donné à Riva étaient que cette dernière ne recevrait pas d’AC pour du ramipril avant que Pharmascience obtienne son propre AC. Riva a été informée de cet obstacle réglementaire dans une lettre de Santé Canada datée du 24 avril 2007 (pièce 107, onglet 66, à la p. 4) :

[traduction] [N]ous soulignons que, étant donné que la présentation de Riva a fait l’objet d’un renvoi à une autre présentation, l’AC ne lui sera pas délivré avant que l’on délivre l’AC pour la présentation concernant le PMS-ramipril qui a fait l’objet d’un renvoi, conformément à la politique de Santé Canada intitulée « Dépôt des présentations supplémentaires de drogues nouvelles, suppléments à une présentation abrégée de drogue nouvelle, des modifications à déclaration obligatoire et des présentations de drogues nouvelles de renvoi ».

 

 

[166]       Le 24 mai 2007, Riva a déposé une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de Santé Canada (pièce 107, onglet 67; dossier de la Cour no T‑896‑07). Santé Canada a par la suite revu sa position et, dans une lettre datée du 21 juin 2007 (pièce 107, onglet 69), Riva a été informée de ce qui suit :

[traduction] [...] Santé Canada n’est plus d’avis que Riva ne peut pas recevoir un avis de conformité avant que soit elle-même approuvée la présentation de Pharmascience à laquelle le produit de Riva « fait renvoi ». De ce fait, si Riva obtient finalement gain de cause dans la demande d’interdiction qui est actuellement en instance dans l’affaire T‑127‑07, et si elle satisfait par ailleurs à toutes les obligations que lui impose le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), elle aura le droit de recevoir un avis de conformité, peu importe que la présentation de Pharmascience soit parfaitement conforme au Règlement AC et qu’elle ait reçu un avis de conformité ou non.

 

[167]       Riva s’est donc désistée de sa demande de contrôle judiciaire. Cependant, le fait est que, indépendamment de toute instance relative à un avis d’allégation engagée en vertu du Règlement, Riva n’aurait pas pu entrer sur le marché du ramipril avant que Santé Canada change de position au sujet de la PADN de renvoi de Riva. La date la plus rapprochée à laquelle Riva aurait pu obtenir un AC est le 21 juin 2007, soit après la période pertinente dont il est question en l’espèce. Ni Sanofi ni Apotex n’ont prouvé ou fait valoir que Riva aurait pu entrer sur le marché au cours de la période pertinente.

 

[168]       Vu les faits qui me sont soumis en l’espèce, je conclus que Riva n’aurait pas été un participant au sein du marché des médicaments génériques au cours de la période pertinente.

 

3)                  Les fabricants de médicaments génériques autorisés

[169]       Le dernier arrivant possible sur le marché est le fabricant de médicaments génériques autorisés. Dans le cadre du présent procès, Sanofi soutient qu’elle aurait lancé un médicament générique autorisé, ou MGA, en même temps que le lancement, par Apotex, de l’Apo-ramipril dans le monde hypothétique, ou peu après.

 

[170]       Comme l’ont décrit un certain nombre de témoins, l’expression « médicament générique autorisé » désigne un médicament que fabrique une société pharmaceutique innovante — Sanofi, en l’occurrence — mais qui est vendu par un fabricant de médicaments génériques sous le nom du générique. Même si la composition du médicament générique autorisé est identique à celle du produit de la société innovante, le numéro d’identification de médicament (DIN) et l’avis de conformité (AC) sont distincts. Les fabricants de MGA obtiennent une approbation réglementaire en présentant une présentation de drogue nouvelle (PDN) administrative, plutôt qu’une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Aucune étude de bioéquivalence n’est exigée, car c’est l’innovateur qui fabrique le MGA. De ce fait, les MGA sont rapidement autorisés. Le fabricant du médicament générique dépose simplement une PDN administrative faisant renvoi à la présentation de l’innovateur, et l’innovateur présente une lettre d’accès qui autorise le fabricant du médicament générique autorisé à faire renvoi à ses présentations.

 

[171]       L’introduction d’un MGA permet à un innovateur d’assurer une présence sur les deux marchés, celui des médicaments de marque et celui des médicaments génériques, car il vend en fait deux produits distincts, mais identiques. Le fabricant de médicaments de marque peut ainsi récupérer une partie du marché qu’il a perdu aux mains des fabricants de médicaments génériques. Il est évident qu’un fabricant de médicaments de marque ne lancera pas un générique avant qu’un fabricant de médicaments génériques « véritables » ou non approuvés se présente sur le marché. Sinon, le fabricant de MGA se retrouverait à auto-concurrencer les ventes du médicament de marque.

 

[172]       Quand le ramipril a finalement été généricisé à la fin de 2006, le premier arrivant sur le marché a été Ratiopharm inc. (Ratiopharm), agissant comme fabricant de MGA pour le compte de Sanofi. Anticipant l’arrivée d’un fabricant de génériques, Sanofi avait conclu avec Ratiopharm une entente lui permettant de se fonder sur les dépôts réglementaires de Sanofi pour obtenir un AC avant les autres. Sanofi aurait‑il lancé un médicament générique autorisé au cours de la période pertinente?

 

[173]       Apotex conteste l’inclusion d’un fabricant de MGA dans le monde hypothétique. Ces principaux arguments sont, en bref, les suivants :

 

1.                  l’article 8 du Règlement devrait être interprété comme interdisant la présence d’un fabricant de MGA;

 

2.                  Sanofi n’a pas établi qu’elle aurait lancé un MGA sur le marché;

 

3.                  si un MGA avait été lancé, il n’aurait été présenté sur le marché que quatre mois après le lancement d’Apotex;

 

a)                  Le Règlement interdit-il la présence d’un MGA?

[174]       Apotex soutient que le but prédominant d’un MGA est [traduction] « de tronquer les droits que l’article 8 confère à une seconde personne ». Elle soutient donc que :

[traduction] [L]a Cour ne devrait pas permettre que l’on fasse échec à l’intention de l’article de cette façon, surtout qu’il crée un gain fortuit pour l’auteur qui, a‑t‑il été conclu, n’a pas droit à son monopole.

 

[175]       Il est incontestable que l’inclusion d’un fabricant de MGA dans le monde hypothétique donne lieu à une attribution inférieure de dommages-intérêts à la seconde personne. Cependant, je ne suis pas convaincue que l’article 8 empêche de prendre en considération l’existence d’un fabricant de MGA au moment d’évaluer les pertes qu’a subies la seconde personne.

 

[176]       Comme l’a fait remarquer Sanofi, le Règlement, dans son ensemble, envisage l’existence des fabricants de MGA. C’est ce qui ressort, par exemple, au paragraphe 7(3), aux termes duquel un fabricant de médicaments génériques peut obtenir un AC sans le consentement de la première personne. Un fabricant de MGA est un fabricant qui entre sur le marché sans le consentement de la première personne.

 

[177]       Divers fabricants de médicaments génériques ont évoqué l’allégation d’iniquités causées par des MGA dans le passé. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagnait les modifications apportées en 2006 contient les commentaires qui suivent (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, (2006) Gaz C II, 1503, à la page 1525 [non souligné dans l’original]) :

Enfin, certains fabricants de médicaments génériques ont fait valoir avec insistance que le gouvernement devrait introduire des mesures dans ces modifications afin de palier à ce qu’ils perçoivent comme une diminution des incitatifs à l’expansion du marché au sein de leur industrie. Plus précisément, ils craignent le fait que les innovateurs concluent un nombre croissant d’ententes d’octroi de licences avec des fabricants de médicaments génériques consentants (appelés "médicaments génériques autorisés") dans le but de devancer leurs véritables concurrents fabriquant des médicaments génériques et conserver une part du marché après l’expiration des brevets. Cette pratique, que l’on dit de plus en plus courante aux États-Unis, fait actuellement l’objet d’une étude réalisée par le Federal Trade Commission américain (commission fédérale de la concurrence des États-Unis). Bien que le gouvernement soit d’avis qu’il n’y a pas suffisamment d’information concernant l’impact de cette pratique sur la dynamique des marchés afin d’appuyer une action réglementaire à l’heure actuelle, il étudiera cette question de plus près en réponse à ces préoccupations.

 

[178]       À cette époque, le gouverneur en conseil était conscient que les fabricants de MGA posaient un problème, et il a décidé de ne pas apporter de modifications à l’article 8 afin d’empêcher que l’on prenne en considération ces fabricants dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 8. En l’absence d’un texte législatif clair, je ne puis simplement pas, comme le voudrait Apotex, exclure les fabricants de MGA de l’évaluation fondée sur l’article 8.

 

[179]       Les dommages-intérêts visés par l’article 8 indemnisent une seconde personne des pertes qu’elle a subies à cause de la suspension automatique (Alendronate (CAF), précité, paragraphe 71). Le fait d’exclure un fabricant de MGA quand la preuve montre qu’il aurait été présent sur le marché hausserait artificiellement l’indemnisation accordée à Apotex en vertu de l’article 8. Cela est dû au fait que, dans une telle situation, rien n’aurait empêché Sanofi de lancer un MGA. Il s’ensuit qu’en excluant le MGA du monde hypothétique, les dommages qu’Apotex a subis excéderaient les revenus qu’elle aurait gagnés si Sanofi n’avait pas déposé une demande d’interdiction.

 

[180]       En bref, je partage les doutes d’Apotex. Néanmoins, je ne puis voir aucun moyen légitime d’exclure l’existence d’un MGA (si elle peut être démontrée au vu des faits) du marché hypothétique. C’est le gouverneur en conseil qui aurait à prendre cette décision.

 

b)                  Sanofi aurait-elle décidé de lancer un MGA?

[181]       La question suivante est celle de savoir s’il était plus que probable que le contraire que Sanofi aurait décidé de lancer un MGA dans le monde hypothétique. L’expert d’Apotex, M. Hollis, a exprimé l’opinion qu’il y avait une probabilité de 60 % que Sanofi aurait utilisé un MGA dans le cadre d’un scénario où Apotex entrait sur le marché le 26 avril 2004, Teva entrait sur le marché le 13 décembre 2005 et Ratiopharm entrait sur le marché le 26 janvier 2005 (pièce 44, vol. 1, paragraphe 150). Cependant, dans son argumentation finale, Apotex a affirmé que cette probabilité n’était que de 25 %.

 

[182]       Il y a un certain nombre de facteurs qui m’amènent à conclure qu’il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait décidé de lancer un MGA aussitôt que possible après le lancement de l’Apo-ramipril le 26 avril 2004.

 

[183]       M. Gravel a témoigné de manière très crédible sur l’approche que suit Sanofi à l’égard des MGA. Il a reconnu que Sanofi ne lance pas de MGA pour tous ses produits au moment de la généricisation. Il a expliqué que Sanofi prend en considération un certain nombre de facteurs avant de décider si elle lancera ou non un générique autorisé. [Expurgé]

 

[184]       Un des plus importants facteurs qui permettent de déterminer si Sanofi aurait décidé de lancer un MGA est l’importance, pour elle, de l’ALTACE. M. Gravel a déclaré qu’à la suite de la publication de l’étude HOPE, les ventes de l’ALTACE [traduction] « ont nettement augmenté d’une année à l’autre, et ce médicament est devenu le produit de premier rang au Canada ». Il a également déclaré qu’à une certaine époque l’ALTACE était le produit le plus important de Sanofi.

 

[185]       Un second facteur qui pèse lourdement en faveur du lancement d’un MGA en 2005 est le geste bien concret par lequel Sanofi a autorisé Ratiopharm à commercialiser le ramipril en 2006.

 

[186]       Apotex relève un certain nombre d’exemples de [traduction] « produits importants » pour lesquels Sanofi n’a pas lancé de MGA. En contre-interrogatoire, M. Gravel a reconnu que Sanofi n’a pas lancé de MGA au moment de la généricisation de nombreux médicaments. Pour Sanofi, la considération principale est manifestement d’ordre financier. Une autre considération importante, qui a elle aussi une incidence sur la viabilité financière d’un MGA, est les ententes commerciales dans le cadre desquelles le médicament est vendu. Ainsi, par exemple, le partenariat conclu avec Bristol-Myers Squibb pour le PLAVIX permet d’expliquer de manière raisonnable pourquoi un MGA n’a pas été lancé pour ce médicament. Le fait de ne pas lancer un MGA pour un médicament qui est vendu dans le cadre d’une entente de partenariat, ou si les aspects économiques n’appuient pas son lancement, ne m’amène pas à conclure que Sanofi serait arrivée à la même décision au sujet de l’ALTACE.

 

[187]       Il ressort clairement de la preuve que, depuis 1999 au moins, Sanofi avait envisagé pour le ramipril la possibilité d’une entrée de produits génériques et le lancement d’un MGA. Cela s’explique par le fait que le brevet 087 était censé expirer en mai 2002. M. Leprince a déclaré que Sanofi, en réponse à l’expiration du brevet 087, avait songé aux mêmes options qu’elle avait envisagées à l’égard de nombreux brevets, et que le [traduction] « processus habituel » consistait à autoriser une société appelée Altimed à mettre sur le marché un MGA deux ou trois mois avant l’expiration du brevet. À cet égard, M. Leprince a parlé d’un document où l’on envisageait l’entrée d’un produit générique sur le marché au milieu de l’année 2002. Le document dont M. Leprince a parlé ne modélisait pas concrètement l’introduction d’un MGA, mais il est évident que Sanofi avait envisagé cette possibilité.

 

[188]       M. Leprince a déclaré que, même si la délivrance du brevet 206 en 2001 permettait d’éviter pendant un certain temps la menace de l’entrée d’un produit générique sur le marché, cette menace est réapparue en 2003 quand Pharmascience a déposé un avis d’allégation, rapidement suivie par Apotex. Sanofi fait également remarquer que la demande de brevet de M. Sherman pour une formulation du ramipril a été portée à son attention le 16 avril 2003. Cette demande aurait éveillé la menace d’une attaque d’Apotex contre l’ALTACE.

 

[189]       M. Gravel a déclaré de la même façon que Sanofi envisageait la possibilité de l’entrée d’un générique sur le marché du ramipril quand elle a commencé à s’occuper de l’ALTACE à la fin de 1999 et au début de 2000.

 

[190]       Au vu de la preuve qui m’est soumise, je suis convaincue qu’il est plus probable que le contraire que Sanofi aurait décidé de lancer un MGA au cours de la période pertinente en vue de répliquer à la mise sur le marché, par Apotex et Teva, d’un médicament générique.

 

c)                  Quand le MGA serait-il entré sur le marché?

 

[191]       La dernière question consiste à déterminer à quel moment Sanofi et un fabricant de médicaments génériques auraient accompli toutes les étapes nécessaires pour commencer à vendre le MGA.

 

[192]       Sanofi ne convient pas qu’elle aurait été prise au dépourvu par le fait qu’Apotex lance du ramipril sur le marché. Comme il a été mentionné plus tôt, elle souligne qu’une demande de brevet de M. Sherman concernant une formulation du ramipril était un [traduction] « signe d’avertissement » qui, de pair avec des [traduction] « informations sur le marché », aurait signifié à Sanofi qu’Apotex était sur le point de lancer une version générique du ramipril.

 

[193]       Compte tenu de l’opinion de Sanofi sur la vigueur du brevet 206 et de sa stratégie offensive en matière de litige, je ne crois pas que la demande de brevet, en soi, aurait amené Sanofi à se lancer dans les négociations et les préparatifs complexes que requiert le lancement d’un MGA. Quant aux « informations sur le marché », aucun des témoins de Sanofi n’a fait état d’une connaissance particulière qui aurait été utile. Plus directement, quand on lui a demandé un exemple de situation dans laquelle un employé de Sanofi aurait découvert qu’un fabricant de MGA avait déposé une PADN à l’égard d’un produit de Sanofi, M. Gravel a répondu qu’il ne s’en souvenait d’aucun.

 

[194]       Hormis cela, nous avons appris par de nombreux témoins — dont Mme Bowes pour le compte de Santé Canada — que la PADN d’Apotex et la totalité des activités réglementaires ultérieures la concernant demeurent confidentielles. Dans le monde hypothétique, Apotex n’aurait pas signifié d’avis d’allégation à Sanofi.

 

[195]       Je suis convaincue qu’il est plus probable que le contraire que le lancement d’un MGA par Apotex aurait été une surprise dans le monde hypothétique.

 

[196]       Dans le monde réel, en décembre 2006, Sanofi a lancé un MGA — le ratio-ramipril — à peu près en même temps que le lancement d’Apotex. Cependant, dans ce cas-là, Sanofi était bien au courant de l’entrée de multiples médicaments génériques aux environs du mois de décembre 2006. [Expurgé] Dans le cas d’un lancement-surprise, il aurait fallu que Sanofi, telle un coureur, procède à un « départ arrêté » pour lancer un MGA. Apotex dit que cela aurait pris quatre mois; Sanofi affirme qu’un MGA aurait été prêt à lancer en 44 jours.

 

[197]       Le lancement d’un MGA comporte essentiellement deux étapes : a) choisir une société pharmaceutique et conclure des négociations en vue de conclure une entente relative au MGA; b) obtenir les autorisations réglementaires requises et se préparer physiquement au lancement du produit. Ces étapes sont bien établies dans un certain nombre de documents qui ont été présentés au procès. [Expurgé]

 

[198]       [Expurgé]

 

[199]       Le problème est que l’examen commercial et les autres documents de planification de cette nature sont préparés dans l’abstrait et ne reflètent peut-être pas ce qui se passera dans la réalité. C’est donc dire que ce qui s’est passé en 2006 dans le monde réel, quand Sanofi a lancé une version générique autorisée du ramipril, est plus utile pour déterminer ce qui se serait vraisemblablement passé en 2004. Dans ce cas‑là, Sanofi avait eu quelques signes d’avertissement — mais pas beaucoup. [Expurgé] Ratiopharm a reçu son AC le 13 décembre 2006 et avait sa version générique autorisée sur le marché quelques jours plus tard. [Expurgé] Il semble que Sanofi ait mis le paquet pour lancer le MGA [Expurgé] et qu’elle aurait vraisemblablement suivi un échéancier semblable en 2004, après la mise en place d’une lettre d’intention.

 

[200]       Le seul temps qu’il faut ajouter à cette estimation [Expurgé] est le temps nécessaire pour négocier une lettre d’entente et une entente relative à un MGA. Il aurait fallu que Sanofi choisisse un fabricant de médicaments génériques et négocie ensuite avec lui. Apotex soutient qu’il aurait fallu de deux à quatre mois pour que Sanofi décide à l’interne de la façon de procéder, pour qu’elle trouve un associé et pour en arriver à une entente. Dans son rapport (pièce 26, annexe 12), M. Derek Rostant, l’expert en comptabilité d’Apotex, estime qu’il doit s’écouler plus de sept mois entre le moment où l’on trouve un associé pour fabriquer un MGA et celui où on appose la signature finale sur une entente officielle. Je crois que ce délai est déraisonnablement long. Premièrement, contrairement à ce qu’affirme Apotex, je ne crois pas qu’en 2004 il aurait fallu que Sanofi obtienne l’accord de Sanofi France, Sanofi Allemagne et le siège nord-américain de Sanofi. De plus, le temps pressant, il aurait été possible de comprimer un grand nombre des étapes que comportait la conclusion de l’entente.

 

[201]       En revanche, je suis d’avis que l’estimation de Sanofi, soit un délai de sept jours pour conclure une lettre d’entente, est exagérément optimiste. Il semble que Sanofi n’y ait pas inclus le choix d’un fabricant de médicaments génériques approprié. Cependant, j’admets que l’incitation à lancer le MGA aurait été un facteur particulièrement convaincant lors des étapes de sélection et de négociation. Il est logique de présumer que, dans une situation telle qu’un lancement-surprise, les négociations pourraient se dérouler rapidement. Selon mon estimation, Sanofi aurait pu trouver un fabricant de médicaments génériques (Ratiopharm, vraisemblablement) et conclure une entente de fabrication d’un MGA dans un délai d’un mois.

 

[202]       Je conclus qu’en disposant d’un délai d’un mois pour conclure une entente relative à un MGA et un délai de deux mois pour accomplir les étapes préalables au lancement, selon toute vraisemblance Sanofi aurait été en mesure de lancer sa version générique autorisée du ramipril au plus tard le 26 juillet 2004 — trois mois après le début de la période pertinente.

 

4)                  La conclusion sur la présence d’autres fabricants de médicaments génériques dans le monde hypothétique

[203]       Pour ce qui est de l’arrivée sur le marché d’autres fabricants de médicaments génériques, je conclus qu’au cours de la période pertinente le marché des médicaments génériques aurait, selon toute vraisemblance, inclus un fabricant de MGA, en date du 26 juillet 2004, de même que Teva, en date du 1er août 2006.

 

C.                 La part du marché des médicaments génériques qu’Apotex aurait occupée

1)                  La part d’Apotex

[204]       La tâche suivante consiste à déterminer de quelle façon ces trois nouveaux arrivants se seraient partagés le marché des médicaments génériques au cours de la période pertinente et, plus précisément, à estimer les volumes qu’Apotex aurait perdus au cours de cette période.

 

[205]       M. Carbone a reconnu que l’ordre d’entrée des médicaments génériques [traduction] « semble avoir son importance pour ce qui est de la distribution des parts de marché » (pièce 94, vol. 1, au paragraphe 98). Cependant, il a jugé qu’en l’absence d’informations sur les ristournes il n’était pas raisonnablement possible [traduction] « d’appliquer une règle quelconque, à part présumer une répartition égale des parts de marché dans le cas d’une mise en marché simultanée ». Dans le cadre d’un scénario où deux ou trois participants feraient leur entrée sur le marché à des moments différents, M. Carbone a émis l’opinion suivante (pièce 94, vol, 1, à la page 53, note 38) :

[traduction] Si un seul fabricant de génériques est présent, le deuxième à entrer sur le marché s’emparerait habituellement de 50 % du volume total à mesure que le temps s’écoulerait. S’il fallait qu’un troisième fabricant de génériques se présente par la suite sur le marché, il s’emparerait de 50 % du volume antérieurement attribué au deuxième arrivant. Ensuite, s’il y a trois fabricants de génériques qui se font concurrence, le premier des trois s’empare au bout du compte, à mesure que le temps s’écoule, de 50 % du volume total, et le deuxième et le troisième de 25 % chacun.

 

[206]       Il semble qu’une application de la « règle » de M. Carbone aurait pour effet qu’Apotex s’approprierait 100 % du marché entre le 26 avril 2004 et le 26 juillet 2004. À l’arrivée du MGA, cette part de marché tomberait à 50 %. En entrant sur le marché le 1er août 2006, Teva se serait emparée de sa part du marché des MGA, laissant à Apotex sa part de 50 %.

 

[207]       Le plus gros problème que pose la « règle » de M. Carbone est qu’elle est parfaitement arbitraire. Elle ne fait pas de distinction entre un deuxième fabricant de génériques qui entre sur le marché dans un délai de six mois et un deuxième fabricant de génériques qui le fait après deux ans; dans les deux cas, M. Carbone conclurait que le second fabricant de génériques s’emparerait de 50 % du marché des médicaments génériques. M. Carbone omet aussi d’expliquer pourquoi un troisième fabricant de génériques, selon son modèle, ne réduit que la part du marché du deuxième fabricant, et non celle du premier arrivant.

 

[208]       Dans son rapport, M. Hollis reconnaît que le travail de répartition du marché des médicaments génériques est [traduction] « complexe » parce que le moment de leur entrée sur le marché dans les scénarios hypothétiques est différent de ce qui se passe dans la réalité (pièce 44, vol. 1, paragraphe 76). Je conviens qu’il s’agit là d’une tâche malaisée. Les estimations relatives à la taille du marché du ramipril et du marché des génériques étaient raisonnablement fondées sur le marché total du ramipril et le marché total des médicaments génériques dans le monde réel, mais il n’existe, dans ce dernier, aucun élément de comparaison qui nous aide à attribuer une part de marché hypothétique à Apotex dans le monde hypothétique.

 

[209]       Néanmoins, M. Hollis tente l’impossible! Il se sert d’une série de modèles économétriques pour estimer la part relative du marché des médicaments génériques qu’occuperait Apotex en se fondant sur des données tirées de marchés de médicaments autres que le ramipril, avec deux ou plusieurs nouvelles entrées de médicaments génériques. Comme à la première étape, je conclus qu’à ce stade la méthode économétrique que M. Hollis a suivie est généralement fiable, sous réserve des mises en garde que je formule ci-après. Cependant, un sérieux problème est qu’il n’a pas été demandé à M. Hollis de modéliser le scénario que j’ai relevé pour la présente affaire; je ne suis pas non plus certaine que son modèle pourrait tenir compte d’un tel scénario.

 

[210]       Dans sa conception générale, le modèle de M. Hollis s’écarte de ce que l’on pourrait considérer comme un moyen plus classique d’estimer une part de marché. Au lieu d’estimer un modèle chronologique unique qui comporte des facteurs temporels en tant que variables  explicatives indépendantes, M. Hollis choisit d’estimer un modèle distinct correspondant à chaque trimestre dans sa série de données. Le modèle exact que l’on choisira dépendra en fin de compte du nombre de nouveaux arrivants sur le marché des médicaments génériques ainsi que du moment de leur entrée qui définit le monde hypothétique. L’inconvénient de cette méthode est que l’on dispose de moins d’observations pour estimer chaque modèle. Toutes choses étant égales par ailleurs, un modèle économétrique comportant plus d’observations donne lieu à des prévisions plus exactes par rapport à un modèle qui en comporte moins.

 

[211]       Cela dit, la méthode qu’emploie M. Hollis semble raisonnablement solide pour quatre raisons :

 

·                     premièrement, les modèles produisent en général des estimations statistiquement significatives pour chacune des variables indépendantes — ce qui signifie que les coefficients particuliers qui sont estimés sont considérés comme raisonnablement fiables d’après des critères statistiques ordinaires;

 

·                     deuxièmement, les valeurs R2 (qui représentent la « validité de l’ajustement » des modèles) sont, dans la plupart des cas, proches de 50 %, ou supérieures à ce niveau, ce qui signifie que les variables indépendantes expliquent environ la moitié de la variation observée de la variable dépendante (c.-à-d., la part du marché des médicaments génériques);

 

·                     troisièmement, les modèles offrent des prévisions de coefficient raisonnablement stables pour une variable indépendante donnée dans tous les modèles. Par exemple, si l’on suit les rangées présentées à la pièce AH-17 (pièce 44, vol. 2, onglet 17), les estimations des coefficients qui s’appliquent à une variable donnée ne fluctuent pas radicalement;

 

·                     quatrièmement, dans un modèle donné, les variables relatives au moment de l’entrée sur le marché estiment collectivement le genre de tendance linéaire que l’on s’attendrait à voir d’après la théorie de M. Hollis. Par exemple, si l’on suit vers le bas les rangées des estimations de coefficient que comporte le modèle du trimestre 9 dans la pièce AH‑17 (‑0,123, -0,116, -0,198, -0,210, -0,215, etc.), l’incidence d’une entrée tardive sur la part du marché devient en général de plus en plus négative à mesure qu’augmente la tardivité de l’entrée. Cette tendance étaye l’hypothèse selon laquelle, toutes choses étant égales par ailleurs, les fabricants de médicaments génériques qui font une entrée tardive occupent une part relativement plus faible du marché des médicaments génériques.

 

[212]       À cause de la façon dont il a bâti son modèle, M. Hollis n’est pas en mesure de tenir compte de l’interaction entre le nombre des nouveaux arrivants sur le marché des médicaments génériques et le moment de leur entrée. Prenons par exemple le cas de deux fabricants de médicaments génériques, A et B. Présumons que A entre sur le marché au cours du premier trimestre et que B le fait au quatrième. On pourrait s’attendre à ce que l’effet de l’« entrée tardive » de B différerait, suivant le nombre de fabricants de médicaments génériques se faisant déjà concurrence sur le marché. Cependant, le modèle de M. Hollis est conçu de façon telle que nous ne pouvons pas isoler cet effet interactif.

 

[213]       M. Hollis préfère les prévisions fondées sur le marché réel du ramipril après le mois de décembre 2006 plutôt que les estimations de son modèle chaque fois que le monde hypothétique a des chances de refléter ce qui se passe dans le monde réel. Quand M. Hollis constate qu’Apotex était confrontée à un marché du ramipril [traduction] « plus concurrentiel » dans le monde réel, comparativement à un scénario hypothétique donné, il choisit d’appliquer la part de marché réelle d’Apotex plutôt que la part de marché que son modèle prévoit (pièce 44, vol. 1, paragraphe 88). Bien que cela semble être une démarche raisonnable en théorie, M. Hollis ne définit pas de manière plus détaillée ce qu’il veut dire par un marché du ramipril [traduction] « plus concurrentiel ». Si, par là, il fait simplement référence aux situations dans lesquelles un nombre supérieur de fabricants de médicaments génériques sont actifs sur le marché, ce critère omettrait de prendre en compte l’effet marqué du moment de l’entrée sur la concurrence que prévoit son propre modèle.

 

[214]       De ce fait, je ne suis pas convaincue que le modèle de M. Hollis est particulièrement utile à mes besoins.

 

[215]       Comme le dira n’importe quel juge se trouvant dans ma position, l’évaluation des dommages-intérêts n’est jamais exacte. La répartition des parts de marché entre les nouveaux arrivants sur le marché des médicaments génériques semble être trop complexe pour qu’on puisse l’estimer avec une précision quelconque. Quoi qu’il en soit, il faut que je fasse de mon mieux pour déterminer quelle est la part qu’occupe Apotex au sein du marché des médicaments génériques, en reconnaissant que la perfection est impossible.

 

[216]       Un élément de preuve fort utile qui m’a été soumis sur cette question particulière est un rapport d’analyse de marché interne de Sanofi, sur lequel M. Gravel a témoigné (pièce 89, vol. 1, onglet 297). Ce rapport analysait les parts de marché potentielles après la généricisation, et il était fondé sur un examen attentif des données CompuScript d’IMS au sujet d’un certain nombre de médicaments. Les conclusions les plus utiles du rapport sont les suivantes :

 

·                     [Expurgé]

 

·                     [Expurgé]

 

[217]       Le rapport ne traite pas de la situation dans laquelle le fabricant de MGA suit le premier nouvel arrivant sur le marché de trois mois, comme c’est le cas en l’espèce. Dans cette circonstance, je m’attendrais à ce que la part du marché des médicaments génériques qu’occuperait le fabricant de MGA n’atteindrait pas le taux [Expurgé] que produirait une entrée simultanée. J’estimerais la part de marché à un pourcentage d’environ 30 % en moyenne sur deux ans.

 

[218]       Dans le cas qui nous occupe ici, le marché des médicaments génériques comporte trois étapes :

 

·                     première période : du 26 avril 2004 au 26 juillet 2004, quand Apotex était seule sur le marché;

 

·                     deuxième période : du 26 juillet 2004 au 1er août 2006, quand Apotex et un fabricant de MGA étaient les seuls participants;

 

·                     troisième période : du 1er août 2006 au 12 décembre 2006, quand Apotex, Teva et un fabricant de MGA se partageaient le marché des médicaments génériques.

 

[219]       À mon avis, une présomption raisonnable concernant la part de marché qu’occuperait Apotex au cours de la période pertinente, compte tenu des participants au marché et des dates d’entrées que j’ai indiquées, serait la suivante :

 

·                     première période : 100 %;

 

·                     deuxième période : 70 %;

 

·                     troisième période : 50 %.

 

[220]       De façon générale, les volumes qu’Apotex a perdus au cours de la période pertinente s’obtiennent en multipliant les volumes estimatifs qui représentent le marché des médicaments génériques par le pourcentage de la part de marché que l’on peut attribuer à Apotex. Malheureusement, mes conclusions relatives aux parts de marché ne correspondent à aucun des scénarios que les experts ont modélisés. De plus, les différences de pourcentage, dans chacune des trois périodes, compliquent quelque peu le travail. Je n’ai pas fait ces calculs mais je présume que M. Rostant et M. Ross Hamilton, l’expert-comptable de Sanofi, seraient parfaitement en mesure de le faire.

 

2)                  Le rajustement de la ligne d’approvisionnement

[221]       Un problème que présente le calcul des volumes qu’Apotex a perdus est ce que l’on appelle un « rajustement de la ligne d’approvisionnement » ou le « remplissage des réseaux de distribution ». Avant qu’un pharmacien puisse vendre un produit médicamenteux, une société doit vendre le produit à des distributeurs — soit directement à un détaillant, soit à un grossiste qui vend ensuite le produit en question à une pharmacie. En général, les ventes de médicaments particuliers sont suivies au moyen des données EUTRx de l’IMS. Les données d’IMS enregistrent les ventes effectuées au niveau des pharmacies, mais elles n’incluent pas celles qui sont faites « ex-fabrique » pour approvisionner la ligne d’approvisionnement en produits.

 

[222]       Pour déterminer les volumes perdus, nous devons toutefois tenir compte du délai qui s’écoule entre le moment où Apotex réalise une vente et celui où un pharmacien distribue les capsules d’Apo-ramipril. M. Hamilton, M. Rostant et M. Hollis conviennent tous trois qu’il est justifié d’effectuer un tel rajustement, quand on utilise les données d’IMS. Ce rajustement a pour effet d’augmenter la perte de volumes prévue.

 

[223]       M. Hamilton s’est servi des prévisions de M. Carbone pour ses calculs. Comme ces dernières ne tiennent pas compte du rajustement de la ligne d’approvisionnement, M. Hamilton a appliqué un rajustement des stocks qui représente deux mois additionnels de ventes de capsules (pièce 120, vol. 1, annexe 2.4, note 5). Ce rajustement est fondé sur la comparaison qu’il a faite entre les ventes facturées d’Apotex au cours d’une période de 24 mois en 2007-2008 et les données d’IMS qui s’appliquent à la même période (pièce 118, vol. 1, paragraphes 35 à 38).

 

[224]       M. Rostant a effectué un rajustement pour tenir compte de ce qu’il a appelé le [traduction] « remplissage des réseaux de distribution ». Il a fait son calcul en déterminant les ventes additionnelles en tant que pourcentage des données d’IMS pendant la période de janvier 2007 à avril 2007 (pièce 26, à la page 32, annexe 13). Le rajustement que M. Rostant a effectué, et qui repose sur son analyse de quatre mois de ventes seulement d’après les données d’IMS, équivaut approximativement à 2,4 mois de ventes additionnelles. Je conviens avec M. Hamilton que ce rajustement est excessif (pièce 119, paragraphes 66 à 68).

 

[225]       M. Hollis est celui qui a analysé ce problème avec le plus de rigueur. Il a calculé le montant facturé moyen des ventes d’Apo-ramipril pendant les deux périodes de quatre mois qui ont suivi l’entrée d’Apotex sur le marché du ramipril : de janvier à avril 2007 et de mai à août 2007. Il a ensuite calculé les ventes d’Apo-ramipril pour les deux mêmes périodes, au moyen des données d’IMS. Il a ensuite comparé le ratio entre la moyenne des quatre premiers mois des données d’IMS et les données de facturation réelle avec le ratio applicable à la seconde période. Il a fait cet exercice pour chaque dose. Ses résultats montrent que les ratios (coefficients) sont inférieurs quand on utilise les données d’IMS. M. Hollis a ensuite utilisé ces coefficients pour rajuster les volumes de ventes hypothétiques au cours des quatre premiers mois de la période pertinente (pièce 44, vol. 1, paragraphes 96 à 99). Les projections définitives de M. Hollis au sujet des ventes perdues intègrent cela dans ses prévisions générales concernant les ventes perdues. M. Carbone critique le rajustement qu’a fait M. Hollis au paragraphe 52 de sa réponse, au motif que ce rajustement [traduction] « omet de tenir compte de la réduction ultérieure des stocks pendant que les grossistes mettent en équilibre la demande et l’offre à mesure que le temps s’écoule ». M. Carbone dit que M. Hollis présume erronément que les grossistes continueront de maintenir un niveau de stock semblable aux valeurs de départ (voir la pièce 95). Je suis d’accord avec cette critique.

 

[226]       Je conviens qu’il est justifié de rajuster les stocks. Tout compte fait, je préfère la méthode simple mais efficace qu’emploie M. Hamilton pour calculer le degré de rajustement approprié. En conséquence, je prescrirais que l’on applique un rajustement de la ligne d’approvisionnement calculé selon la méthode de M. Hamilton. Cela donnerait comme résultat un ajout aux volumes perdus d’une période additionnelle de deux mois de ventes de capsules d’Apo-ramipril pour chacune des doses dans lesquelles ces dernières sont vendues.

 

IX.             Les ventes brutes qu’Apotex a perdues

[227]       La prochaine étape est le calcul des recettes attribuables aux ventes brutes qu’Apotex a perdues. Ce calcul est fondé sur le nombre de capsules d’Apo-ramipril qu’Apotex aurait vendues au cours de la période (les volumes perdus rajustés, déterminés à la partie VIII.C(2) des présents motifs) ainsi que les prix auxquels Apotex aurait vendu ces capsules (les ventes brutes perdues). Pour dire les choses simplement, le produit des volumes perdus et du prix de vente équivaut aux ventes brutes perdues estimatives. Cette étape oblige à analyser les prix pratiqués pendant toute la période pertinente. Les parties ne s’entendent pas sur les prix de l’Apo-ramipril.

 

[228]       Le prix des médicaments est fixé par les formulaires provinciaux, et il peut différer d’une province à une autre. En général, les prix privés suivent les prix publics qui sont indiqués dans les formulaires (pièce 113, vol. 1, paragraphe 37). Dans le cas des médicaments génériques, le prix est fixé par chaque formulaire en pourcentage du prix du médicament de marque. De façon générale, les prix dépendent de deux variables : le nombre des fabricants de médicaments génériques présents sur le marché, et les prix réglementaires qui sont fixés selon les différents formulaires provinciaux.

 

[229]       L’Ontario est l’intervenant le plus important sur le plan du prix des médicaments génériques. Dans son rapport, M. Rostant décrit comment il conçoit la manière dont les prix sont fixés pour le formulaire du Programme de médicaments de l’Ontario (PMO) (pièce 26, page 17). Entre le 26 avril 2004 et le 31 décembre 2005, le premier fabricant du médicament générique entrerait sur le marché à 70 % du prix du médicament de marque. À partir du deuxième fabricant du médicament générique, le prix se situerait à 63 % du prix du médicament de marque.

 

[230]       En juin 2006, l’Ontario a adopté le projet de loi 201, intitulé Loi sur un régime de médicaments transparent pour les patients, 2e sess., 38e lég. Ontario, 2006 [le projet de loi 102]. Selon ce texte de loi, entré en vigueur à la fin de 2006, le niveau de remboursement d’un médicament générique ne pouvait pas excéder 50 % du prix du médicament de marque. Une question qui s’est posée a été la date d’entrée en vigueur de la réduction des prix existants en vertu du projet de loi 102. M. Fraser, s’exprimant en sa qualité de directeur des services des programmes de médicaments auprès des Programmes publics de médicaments de l’Ontario, lesquels relèvent du ministère de la Santé de l’Ontario, a déclaré qu’il y a eu une période de transition entre octobre 2006 et janvier 2007. Selon le témoignage de M. Fahner, Apotex n’a réduit ses prix facturés réels à 50 % qu’à compter du 1er janvier 2007. Cette date étant postérieure à la fin de la période pertinente, soit le 12 décembre 2006, le projet de loi 102 n’est pas pertinent pour ce qui est d’évaluer les pertes qu’Apotex a subies.

 

[231]       J’admets que, en Ontario, le prix de l’Apo-ramipril se serait situé à un niveau de 70 % jusqu’au 26 juillet 2004 (époque durant laquelle Apotex était le seul fabricant du médicament générique sur le marché) et de 63 % entre le 26 juillet 2004 et le 12 décembre 2006, soit la date de la fin de la période pertinente.

 

[232]       Les experts semblent convenir que les prix pratiqués au Canada au cours de la période pertinente ont été généralement uniformes dans toutes les provinces, et que le formulaire du PMO a été le principal élément moteur. Pour la période s’étendant entre avril 2004 et décembre 2006, M. Rostant a fait ses calculs pour de multiples scénarios « génériques » basés sur un prix général de 63 %, sauf pour l’Alberta, où il s’est servi d’un prix de 67,5 % (voir la pièce 27, annexe 1). M. Palmer a utilisé un prix de 68 % pour la Colombie-Britannique, mais de 63 % pour l’Alberta.

 

[233]       Pour ce qui est des autres provinces canadiennes, j’accepte donc comme raisonnable et rationnellement étayé par le témoignage de M. Palmer et de M. Rostant un prix moyen de 65 % des prix indiqués de l’ALTACE pour la période du 26 juillet 2004 au 12 décembre 2006.

 

[234]       La période restante — du 26 avril 2004 au 26 juillet 2004 — est celle au cours de laquelle l’Apo-ramipril a été la seule marque générique présente sur le marché. Pour un seul fabricant de médicaments génériques, M. Rostant s’est servi d’un prix de 75 % pour l’Alberta et d’un prix de 70 % pour le reste du Canada. M. Palmer a appliqué un taux uniforme de 70 % pour toutes les provinces (pièce 113, vol. 2, annexe H). Compte tenu du court délai et des volumes inférieurs qui auraient été vendus au cours de cette période à cause de la transition, je suis convaincue qu’un prix global de 70 % n’est pas déraisonnable.

 

[235]       Apotex a fait valoir qu’elle aurait été capable de négocier un prix supérieur pour l’Apo‑ramipril pendant la période où elle était le seul fabricant du médicament générique. En général, j’admets qu’il existe, dans tout le pays, de nombreux cas où un fabricant de médicaments génériques unique a été capable d’obtenir un prix supérieur pour son produit. Je suis également consciente, toutefois, que les prix supérieurs ne sont habituellement pas permis et que cela oblige à négocier avec les autorités réglementaires provinciales. Dans l’affaire qui m’est soumise, je ne crois pas que les trois mois d’exclusivité auraient permis à Apotex d’obtenir un prix supérieur à celui qui apparaissait dans les listes des formulaires.

 

[236]       De ce fait, je conclus que les ventes brutes perdues d’Apotex doivent être calculées en tenant pour acquis que le prix de l’Apo-ramipril au cours de la période pertinente, exprimé en pourcentage du prix indiqué de l’ALTACE, aurait été :

 

·                     de 70 % entre le 26 avril 2004 et le 26 juillet 2004;

 

·                     de 65 % entre le 26 juillet 2004 et le 12 décembre 2006.

 

Je m’attends à ce que M. Hamilton et M. Rostant soient capables de faire les calculs nécessaires.

 

X.                Le montant net de la perte de profits d’Apotex

[237]       Après avoir déterminé la façon de calculer les ventes brutes perdues d’Apotex, il me faut traiter des éléments à soustraire de ce montant pour arriver au montant net de la perte de profits d’Apotex.

 

[238]       M. Hamilton a appliqué une [traduction] « méthode du coût différentiel » pour estimer le montant net de la perte de profits d’Apotex. Pour dire les choses simplement, M. Hamilton a eu recours à une méthode en deux étapes : il a estimé le produit des ventes d’Apotex pour la période pertinente et en a déduit les dépenses additionnelles qu’Apotex aurait subies dans l’intervalle (pièce 118, paragraphe 24). Schématiquement, cette méthode recourt aux étapes suivantes :

Estimation des volumes perdus d’Apotex (A)

 

Estimation des recettes de vente perdues (A × coût moyen pondéré des capsules de ramipril = B)

Moins : ristournes (C)

Moins : rabais pour paiement hâtif (D)

Estimation des recettes de vente nettes perdues (B – (C + D) = E)

Moins : coût des ventes (F)

Estimation du profit brut perdu (E – F = G)

Moins : commissions de vente (H)

Moins : frais de transport et de distribution (I)

Estimation du profit additionnel perdu (G – (H + I) = J)

Intérêts avant jugement (K)

 

TOTAL = J + K

 

[239]       Dans son deuxième rapport, M. Rostant a décrit sa méthode et celle de M. Hamilton comme une [traduction] « approche en fonction de la marge sectorielle » (pièce 27, page 4). M. Hamilton a également exprimé l’avis que sa méthode du coût différentiel et la méthode de M. Rostant étaient la même et qu’il ne notait aucune [traduction] « différence marquée » entre les deux (pièce 119, paragraphe 18).

 

[240]       Selon ce que je comprends des observations faites lors de l’argumentation finale, il y a trois points de désaccord importants :

 

·                     les rendus sur vente;

 

·                     les dépenses commerciales;

 

·                     le coût de l’IPA.

 

A.                Les rendus sur vente

[241]       M. Rostant a inclus dans ses calculs un montant de 0,37 % à titre de « rendus sur vente ». Dans son rapport, il a décrit comment, au moment d’analyser les ventes réelles d’Apo-ramipril pendant la période postérieure à la généricisation, il a constaté que les rendus sur vente moyens, en pourcentage des ventes brutes, étaient de 0,37 % (taux de rendus sur vente) (pièce 26, page 19). À partir du montant total des ventes brutes, il a soustrait un montant égal au produit du taux de rendus sur vente et du total des ventes brutes d’Apo-ramipril.

 

[242]       M. Hamilton n’a pas procédé à une telle soustraction parce que [traduction] « les projections des ventes que M. Carbone a fournies sont fondées sur les ventes écrites d’IMS (c’est-à-dire, les ordonnances remises aux patients), qui excluent les rendus sur vente » (pièce 119, paragraphe 30).

 

[243]       Si les projections des ventes — c.-à-d. les volumes perdus d’Apotex — sont fondées sur les « ventes écrites d’IMS », je suis dans ce cas d’accord avec M. Hamilton. Le problème est qu’il m’est impossible de tirer cette conclusion à ce stade-ci, vu l’incertitude entourant le calcul des volumes perdus d’Apotex.

 

B.                 Les dépenses commerciales

[244]       L’un des coûts les plus importants pour Apotex serait les remises, ou « dépenses commerciales », payées aux pharmaciens ou aux distributeurs pour les « inciter » à offrir l’Apo‑ramipril comme produit. Pour les besoins des présents motifs, ces dépenses comprennent les remises accordées aux pharmaciens et la remise de distribution payée aux grossistes, mais non les rabais pour paiement hâtif. Il s’agit là de dépenses qui peuvent être soustraites des ventes brutes perdues d’Apotex en tant que coût afférent à la vente. Les parties ne s’entendent pas sur le niveau approprié de cette remise. Plus les dépenses commerciales sont élevées, moins le profit réalisé par Apotex est élevé et moins les dommages-intérêts accordés sont élevés.

 

[245]       Un point non contesté est que les dépenses commerciales d’un fabricant sont nettement supérieures lorsque ce dernier vend un produit sur un marché où plusieurs fabricants de médicaments génériques se font concurrence. La raison est simple : dans un tel marché, une société pharmaceutique fait face à une vive concurrence pour ce qui est de convaincre les pharmacies et les grossistes de stocker sa version d’un médicament générique. Une fois que le produit fait partie d’un marché comportant plusieurs génériques, les remises augmentent radicalement.

 

[246]       Dans l’affaire qui m’est soumise, Apotex aurait été seule sur le marché pendant la courte période qui s’étend du 26 avril 2004 au 26 juillet 2004; elle aurait été en concurrence avec un autre fabricant de génériques pour la période s’étendant du 26 juillet 2004 au 31 juillet 2006 et elle aurait fait concurrence à deux fabricants de génériques à partir du 1er août 2006. Quels auraient été les niveaux de remise au cours de cette période?

 

[247]       Tant M. Rostant que M. Hamilton ont fait part de leur opinion quant aux niveaux probables de dépenses commerciales. M. Rostant a présenté une analyse fondée sur l’expérience d’Apotex à l’égard de ce type de dépenses : a) pour l’Apo-ramipril à compter du mois de décembre 2006, et b) pour d’autres de ses produits. La fourchette de remises qu’il a présentée était la suivante :

 

·                     Apotex à titre de fabricant exclusif : [Expurgé];

 

·                     Apotex faisant concurrence à un autre fabricant de génériques : [Expurgé];

 

·                     Apotex faisant concurrence à plus d’un fabricant de génériques : [Expurgé].

 

[248]       Il a été demandé à M. Hamilton de présumer un taux exclusif et un taux multiple de [Expurgé]. Il a évalué le caractère raisonnable des présomptions relatives aux ristournes et aux remises en examinant l’expérience réelle qu’Apotex a vécue avec l’Apo-ramipril depuis son lancement.

 

[249]       Au cours de leur témoignage, M. Hamilton et M. Rostant sont venus très près de s’entendre pour dire que [Expurgé] était un taux raisonnable dans le cas d’un scénario comportant de multiples participants.

 

[250]       Au départ, il y a eu un certain désaccord entre les deux experts au sujet du taux exclusif approprié. M. Rostant a reconnu que des [traduction] « pépins » avaient donné lieu à un taux exclusif erroné de [Expurgé]. Lors de son témoignage de vive voix, il a convenu que le chiffre exact était [Expurgé]. C’est donc dire que la fourchette qu’il a indiquée pour d’autres produits, à l’égard desquels Apotex était un fournisseur exclusif, aurait été de [Expurgé].

 

[251]       Comme l’ont reconnu un certain nombre de témoins (dont M. Sherman, M. Woloschuk et M. Fishman), les taux de remise ont augmenté à la longue. C’est donc dire qu’en se servant de données postérieures à décembre 2006, M. Rostant a peut-être surestimé en fait les dépenses commerciales qui ont vraisemblablement été effectuées au cours de la période pertinente. En revanche, comme l’a fait remarquer M. Hamilton, des initiatives législatives adoptées en Ontario et au Québec à la fin de 2007 plafonnent les remises, ce qui amoindrit donc l’effet de l’augmentation des taux de dépenses commerciales (pièce 118, vol. 1, paragraphe 60).

 

[252]       Dans son argumentation finale, Apotex a fait valoir que n’importe quel taux de remise applicable à la période pertinente [traduction] « oblige à effectuer un rajustement à la baisse pour n’importe quelle application des taux de remise de 2007 ». Apotex soutient que les taux devraient être les suivants : [Expurgé] pour le ramipril de source unique; [Expurgé] pour une source double (avec un MGA); et [Expurgé] à l’époque où Apotex faisait concurrence à de multiples arrivants. Ces taux sont injustifiables au vu de la preuve, sauf de façon anecdotique et — peut-être — illusoirement. Ce sont les évaluations prudentes de M. Rostant et M. Hamilton qu’il convient de privilégier.

 

[253]       Sanofi soutient que le taux à double source de M. Rostant [Expurgé] est trop faible. Je reconnais que l’analyse que ce dernier a effectuée était fondée sur un nombre restreint de points de données. Cependant, étant donné que le seul concurrent au cours de la période à deux fournisseurs serait un fabricant de MGA, je ne crois pas que [Expurgé] soit un taux déraisonnable.

 

[254]       En résumé, je suis convaincue que les taux de dépenses commerciales, inclusion faite de toutes les remises et ristournes, à l’exception des rabais pour paiement anticipé, doivent être appliqués comme suit :

 

·                     [Expurgé], pour la période durant laquelle Apotex aurait été seule sur le marché;

 

·                     [Expurgé], pour la période durant laquelle Apotex et un fabricant de MGA se seraient fait concurrence;

 

·                     [Expurgé], pour la période durant laquelle Apotex, Teva et un fabricant de MGA auraient été présents sur le marché.

 

C.                 Le coût de l’IPA

[255]       Le calcul des dommages qu’Apotex a subis doit tenir compte du coût des matières utilisées pour produire l’Apo-ramipril au cours de la période pertinente. Pour dire les choses simplement, plus le coût des matières est élevé, moins le profit réalisé par Apotex est élevé et moins les dommages-intérêts accordés sont élevés. Un point de désaccord entre les parties est le coût auquel Apotex aurait acquis l’IPA pour son ramipril au cours de la période pertinente.

 

[256]       M. Rostant a fait remarquer que, au cours de la période de décembre 2006 à avril 2008, Apotex a acheté de l’IPA auprès d’un tiers fournisseur, ainsi qu’auprès d’Apotex Pharmachem Inc. (Pharmachem), une société apparentée (pièce 26, pages 26 et 27). Les prix demandés par Pharmachem ([Expurgé]) étaient nettement supérieurs à celui des achats faits auprès du tiers fournisseur ([Expurgé]). De ce fait, M. Rostant n’a pas utilisé le prix d’achat auprès d’une entité ayant un lien de dépendance, mais plutôt les prix de Tektrade Ltd., le tiers fournisseur, soit [Expurgé].

 

[257]       Pour ses calculs, les estimations que M. Hamilton a établies au sujet du prix de l’IPA ont été fondées sur le [traduction] « coût moyen pondéré du ramipril [pour Apotex] pour 2007 et 2008, soit [Expurgé] et [Expurgé], respectivement » (pièce 118, vol. 1, au paragraphe 84). M. Hamilton a également signalé qu’une partie de ces achats réels ont été effectués par l’entremise d’une société apparentée, et il a fait le commentaire suivant (paragraphe 84) :

[traduction] Si j’avais présumé qu’au cours des périodes de délai Apotex aurait acheté la totalité de son ramipril auprès de Tektrade (Aarti Industries) et aurait donc payé la somme de [Expurgé], mon estimation du coût de vente additionnel d’Apotex aurait été réduite, et les profits additionnels perdus par Apotex auraient augmenté […]

 

[258]       Je préfère l’évaluation que fait M. Hamilton sur la base des coûts réels de l’IPA du ramipril pour Apotex en 2007 et 2008; ce prix reflète une [traduction] « combinaison » d’achats faits à la fois auprès d’une tierce partie et de Pharmachem. Comme l’a indiqué M. Hamilton dans son rapport de réponse (pièce 119, paragraphe 52) :

[traduction] Je ne suis pas d’accord pour dire que les coûts du ramipril facturés par Pharmachem à Apotex (fourchettes de [Expurgé]) doivent être exclus lors de la détermination des coûts d’Apotex au cours de la période de délai. Ces coûts sont imputables aux décisions concrètes qu’Apotex a prises en faisant l’acquisition du ramipril au moment de son entrée sur le marché en décembre 2006. Cela étant, j’ai présumé qu’Apotex aurait agi de manière semblable si elle était entrée sur le marché plus tôt, en avril 2004.

 

[259]       Je souscris à cette observation. Cela est également étayé par le témoignage de M. Sherman selon lequel, en 2004, la société aurait acheté son IPA auprès du prédécesseur de Pharmachem. Selon toute vraisemblance, Apotex aurait pris en 2004 la même décision commerciale que celle qu’elle a prise en 2007 en vue d’acheter une partie de son IPA avec prime auprès d’une société apparentée. De ce fait, le prix dont se sert M. Hamilton dans ses calculs est justifiable au vu de la preuve, et préférable à celui qu’utilise M. Rostant. Plus précisément, je souscris à l’évaluation que fait M. Hamilton du coût de l’IPA du ramipril, soit [Expurgé], pour la période de 2003 à 2007.

 

D.                Autres coûts ou rajustements possibles

[260]       Dans son argumentation finale, Sanofi fait état de deux autres aspects qui pourraient obliger à effectuer des rajustements; Apotex ne fait état que d’un seul.

 

1)                  Medichem

[261]       Le premier aspect a trait à une société liée, appelée Medichem. Comme l’a décrit M. Fahner, Medichem est une [traduction] « société dont Apotex se sert pour le paiement de ses remises aux clients ». Medichem touche, semble-t-il, des honoraires de services équivalant à un pourcentage égal de 0,75 % sur toutes les remises. Sanofi soutient qu’il faudrait ajouter ce montant au coût des ventes d’Apotex. À mon avis, cette dépense serait englobée dans le taux général des dépenses commerciales. Il n’est pas nécessaire de procéder à un autre rajustement.

 

2)                  La capacité de fabrication

[262]       Le second coût additionnel des ventes pourrait être les frais additionnels entraînés par une augmentation de la capacité de fabrication en vue de répondre aux volumes perdus d’Apotex. Comme l’a fait remarquer M. Hamilton lors de son témoignage, un accroissement de la production peut comporter des coûts additionnels :

[traduction] Je voulais simplement dire que s’il y avait un étranglement sur le plan de la capacité, si la société était sur le point de produire à pleine capacité, M. Fahner a suggéré qu’il aurait été possible de réduire les délais de maintien des stocks ou de passer à un quart de six jours — un quart le sixième jour, ou d’acheter du matériel additionnel.

 

Mon seul point est que, cela étant le cas, je l’accepte, et il suffit que nous en tenions compte dans nos calculs de coût. S’il y a donc un sixième jour la fin de semaine, il sera nécessaire de payer une prime de poste. S’il faut acheter une autre machine de, je pense, de capsulage, vous savez — et je pense que M. Fahner a parlé d’environ un demi-million, je crois dans ce cas, qu’il faudra simplement en tenir compte dans les chiffres de coûts.

 

Cela ne veut pas dire que la société ne le produirait pas, mais juste que, pour le produire, il va falloir qu’elle fasse une sorte d’investissement. Nous devons en tenir compte dans les chiffres de coûts. À l’heure actuelle, cela n’est pas inclus

 

[263]       Lors de son témoignage, M. Rostant a convenu qu’il allait falloir tenir compte de ces questions.

 

[264]       Il me semble que Sanofi a raison. À ce stade, aucune preuve ne m’a été soumise qui me permettrait de déterminer que l’on engagerait de tels coûts au cours de la période pertinente. De ce fait, je prescrirais aux parties de déterminer si, au cours de la période pertinente, il aurait été nécessaire d’acheter d’autres machines de capsulage ou d’effectuer d’autres dépenses (comme des primes de poste) — non déjà comptabilisées — en vue de produire les volumes perdus.

 

3)                  La transition ultérieure

[265]       Apotex soutient qu’elle devrait avoir le droit de recouvrer un montant qu’elle qualifie de seconde [traduction] « transition » ou [traduction] de « dommages pour transition ». Sanofi soutient qu’Apotex n’y a pas droit.

 

[266]       De façon générale, selon ce que j’ai compris, l’expression « transition » désigne le temps qu’il faut à un fabricant de médicaments, après avoir obtenu l’approbation initiale de son médicament, pour atteindre son niveau final de ventes. Il faut un certain temps pour négocier des ententes avec les pharmacies et les distributeurs, obtenir des inscriptions aux formulaires et acheminer concrètement le produit aux pharmacies. Dans le monde hypothétique, Apotex aurait subi une période de transition pour laquelle elle ne sollicite pas d’indemnité. Cependant, Apotex sollicite bel et bien une indemnité à l’égard de sa transition « réelle » ou « en double » qui, soutient-elle, n’a eu lieu qu’à cause des actes de Sanofi.

 

[267]       M. Rostant a décrit en ces termes cette [traduction] « transition » au cours de la [traduction] « période de perte ultérieure » (c.-à-d., après le 12 décembre 2006) (pièce 26, page 33) :

[traduction] Quand Apotex a lancé l’Apo-ramipril en décembre 2006, il y a eu une période de « transition » avant qu’elle réalise des profits sur une base tout à fait fonctionnelle (la « période de transition »). Après avoir reçu son AC, Apotex a entrepris la commercialisation et la vente de l’Apo-ramipril, y compris l’obtention des inscriptions aux formulaires. Si Apotex avait commencé à vendre l’Apo-ramipril à la fin de la période de perte initiale, elle n’aurait fait la « transition » qu’à cette date antérieure, de sorte que, dans la période située au mois de décembre 2006 et par la suite, elle aurait réalisé ses ventes sur une base tout à fait fonctionnelle.

 

[…] [l]a perte de profits associée à la période de transition située dans la période de perte ultérieure est la différence entre ce qu’Apotex aurait vendu si elle avait fait la transition au cours de la période de perte initiale et ce qu’elle a vendu au cours de la période de perte ultérieure quand elle a fait la transition.

 

[268]       Selon les calculs de M. Rostant, les profits qu’Apotex a perdus au cours de la période de transition ultérieure étaient de 9 205 121 $. M. Hamilton a calculé que ce montant s’élevait à 7 211 327 $ (pièce 119, annexe 9).

 

[269]       Même si la valeur de la seconde période de transition, ou période transition en double, constitue manifestement une perte pour Apotex, il s’agit d’une perte qui a eu lieu après la période pertinente. Dans l’arrêt Alendronate (CAF), précité, la Cour d’appel a traité de la portée d’une demande présentée en vertu de l’article 8 du Règlement sur les MB (AC). Dans cette affaire, Apotex avait plaidé que, aux termes de l’article 8 du Règlement, elle avait droit à des dommages-intérêts à l’égard de [traduction] « la perte de ventes et […] la perte permanente d’une part de marché » (voir la décision Alendronate (CF), précitée, au paragraphe 118). Ce qui est le plus pertinent pour la question qui m’est soumise, la Cour d’appel a conclu que l’article 8 n’inclut pas de dommages pour « pertes futures », comme une diminution de la part de marché due à une entrée retardée sur le marché des médicaments génériques. Il vaut la peine de répéter ici la partie déterminante de la décision, aux paragraphes 99 à 102 :

[99]      Selon l’analyse du juge de la Cour fédérale, les pertes réclamées par Apotex ont été causées au cours de cette période, qui correspond au moment où Apotex a été empêchée d’entrer sur le marché et d’obtenir la part de marché qu’elle aurait eu autrement, selon sa demande. Personne ne conteste ce raisonnement. La question est de savoir si la baisse des ventes survenant dans les années futures du fait de cette diminution de la part de marché tombe dans la portée de l’article 8. Le juge de la Cour fédérale, en autorisant l’instruction de la demande relative aux pertes allant « au-delà du 26 mai 2005 », a répondu par l’affirmative à la question.

 

[100]    Quand on prend en considération les larges pouvoirs que confère l’article 55.2(4) de la Loi sur les brevets, il apparaît clair que l’évaluation de l’indemnité qui peut être accordée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil. Il est clair également que dans le cadre de l’objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et de l’équilibre que cherche à établir la Loi sur les brevets, le gouverneur en conseil pouvait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, fixer l’indemnisation à l’intérieur d’une fourchette.

 

[101]    En l’espèce, nous avons l’avantage de savoir qu’en 1998 le gouverneur en conseil s’est penché sur la question et qu’il a choisi de limiter l’évaluation des pertes faisant l’objet d’une indemnisation par voie de dommages-intérêts aux pertes subies au cours de la période. Cela ne pose aucune question de principe. Le gouverneur en conseil aurait pu étendre l’évaluation des pertes aux pertes qui ont été causées au cours de la période, sans égard au moment où elles sont subies. Cependant, il ne l’a pas fait.

 

[102]    Il faut donner effet à l’intention clairement exprimée du gouverneur en conseil. L’indemnisation des pertes pour les années futures est donc exclue puisqu’on ne peut pas dire que ces pertes ont été subies au cours de la période. Il s’ensuit, par exemple, que le droit d’Apotex à des dommages-intérêts pour la perte de ventes résultant de la baisse alléguée de sa part de marché doit être limité aux ventes dont on peut établir qu’elles ont été perdues au cours de la période. Pour que les pertes fassent l’objet d’une indemnité, il faut établir qu’elles sont survenues au cours de la période. Par conséquent, je conclus que l’appel devrait être accueilli sur ce point précis.

 

[Souligné dans l’original.]

 

[270]       Apotex soutient que la décision que la Cour d’appel a rendue dans Alendronate (CAF) ne s’étend pas à une demande relative à une période de transition ultérieure. Je ne suis pas d’accord. La conclusion de la Cour d’appel s’applique directement à ce type de perte. Apotex demande qu’on l’indemnise pour une perte qui a pu avoir été causée au cours de la période pertinente mais qui n’a pas été subie à ce moment-là. La perte en question — quel que soit le nom qu’on lui donne — s’inscrit directement dans les exceptions énoncées dans l’arrêt Alendronate (CAF) et, malheureusement, elle n’est pas susceptible d’indemnisation.

 

[271]       Il est possible que je me trompe dans la façon dont j’applique l’arrêt Alendronate (CAF) aux faits qui me sont soumis, mais je n’ai fait aucune tentative pour concilier les différences entre la somme de 9 205 121 $ de M. Rostant et la somme de 7 211 327 $ de M. Hamilton.

 

XI.             Les indications non autorisées

[272]       Une dernière question à régler a trait à la possibilité que l’on rajuste le montant net de la perte de profits d’Apotex afin de tenir compte de la vente de l’Apo-ramipril pour des indications non autorisées.

 

[273]       Dans sa plaidoirie, Sanofi soutient que :

 

·                     Apotex n’était pas en mesure de commercialiser ou de vendre l’Apo‑ramipril […] pour un usage autre que le traitement de l’hypertension (défense modifiée, au paragraphe 23);

 

·                     le ramipril d’Apotex n’est autorisé que pour une indication restreinte (défense modifiée, au paragraphe 36).

 

[274]       D’après les éléments de preuve et les arguments qui m’ont été présentés au procès, il est clair que le contexte factuel dans lequel s’inscrit l’argument de Sanofi est expressément les [traduction] « indications HOPE », dont il est question plus en détail ci-après. Par une ordonnance datée du 25 novembre 2011, la Cour a rejeté un appel contre une ordonnance dans laquelle le protonotaire Aalto avait rejeté une requête de Sanofi en vue de pouvoir modifier ses actes de procédure de façon à y faire expressément référence aux indications HOPE. Dans cette ordonnance, j’ai déclaré que rien n’empêchait Sanofi de présenter son argument juridique selon lequel l’article 8 n’envisage pas l’obtention de dommages-intérêts à l’égard d’une perte de ventes d’un produit générique pour une indication non approuvée.

 

[275]       Sanofi soutient que la « perte » mentionnée à l’article 8 du Règlement sur les MB (AC) n’envisage pas un recouvrement par une seconde personne pour des ventes attribuables à une indication ou à une utilisation non autorisées. Il s’ensuit donc, soutient-elle, que les dommages‑intérêts accordés à Apotex doivent inclure un [traduction] « important rajustement à la baisse de la perte d’Apotex qui est susceptible d’indemnisation » de façon à refléter les ventes d’Apo-ramipril qui auraient été attribuables aux indications HOPE.

 

[276]       Sanofi a appelé un médecin, le Dr Peter Lin, pour décrire l’étude HOPE et les effets de cette dernière sur les médecins praticiens. Le Dr Lin a grandement aidé à comprendre les indications HOPE, les médicaments utiles pour le traitement et la prévention des incidents cardiovasculaires ainsi que les pratiques des médecins en matière de prescription.

 

[277]       Comme l’ont décrit le Dr Lin et d’autres témoins, l’étude HOPE était une étude dirigée par des Canadiens, réalisée semble-t-il avec le concours de la société que Sanofi a remplacée, Hoechst. L’étude évaluait le rôle du ramipril chez des patients à haut risque cardiovasculaire mais qui ne souffraient pas ni d’un dysfonctionnement du ventricule gauche ni d’insuffisance cardiaque (pièce 122, onglet 4 : The Heart Outcomes Prevention Evaluation Study Investigators, « Effects of an Angiotensin-Converting-Enzyme Inhibitor, Ramipril, on Cardiovascular Events in High-Risk Patients » (20 janvier 2000) 342 :3 NEJM 145, page 145 [NEJM]). Les enquêteurs ont conclu que le ramipril était [traduction] « bénéfique chez un large éventail de patients sans preuve de dysfonctionnement systolique du ventricule gauche ou de défaillance cardiaque et courant un haut risque cardiovasculaire » (NEJM, précité, page 150). En particulier, les enquêteurs ont déclaré que [traduction] « [l]e traitement au ramipril a réduit les taux de décès, d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral, de revascularisation coronaire, d’arrêt cardiaque et d’insuffisance cardiaque, ainsi que le risque de complications liées au diabète et de diabète lui-même » (NEJM, précité, page 150). C’est donc dire que le terme [traduction] « indications HOPE » en est venu à être associé au profil des patients participant à l’étude HOPE dans laquelle la protection vasculaire a été démontrée.

 

[278]       Les résultats de l’étude HOPE ont été présentés pour la première fois en août 1999, à la réunion que la Société européenne de cardiologie a tenue à Barcelone, et il en a plus tard été rendu compte dans l’édition du 20 janvier 2000 du New England Journal of Medicine (pièce 122, note 3, onglet 4). Les ventes de l’ALTACE ont aussitôt augmenté de façon très marquée (pièce 82, page 1932).

 

[279]       L’ALTACE a été autorisé pour les indications HOPE le 13 février 2001. Cependant, comme le montre le tableau présenté au paragraphe 27 des présents motifs, Sanofi n’a pas protégé sa revendication concernant l’utilisation de l’ALTACE pour les indications HOPE avant 2005, quand les deux brevets HOPE ont été accordés et que Sanofi a obtenu deux inscriptions au registre des brevets. À cette époque, le taux d’augmentation des ventes de l’ALTACE avait commencé à fléchir.

 

[280]       L’une des dernières étapes du processus d’approbation d’un médicament est la finalisation de la monographie de produit. Cette monographie indique, en partie, les usages ou les indications auxquels le médicament est destiné. L’AC qui est délivré fait référence à la monographie de produit. De temps à autre, des négociations ont lieu entre Santé Canada et un fabricant de médicaments génériques afin de déterminer quelles seront les indications approuvées. Apotex, après avoir initialement inclus les indications HOPE dans sa monographie de produits, les a retirées le 14 décembre 2006. Dans notre monde hypothétique, il est donc vraisemblable que la monographie de produit finale d’Apotex, en date du 26 avril 2004, n’aurait fait mention que de l’hypertension. Autrement dit, en date du 26 avril 2004, Apotex aurait vraisemblablement lancé l’Apo-ramipril sans faire renvoi à l’usage du ramipril contre la protéinurie (brevet 948) ou aux indications HOPE (brevets 549 et 387). Comme nous le savons, Sanofi avait inscrit ces brevets au registre des brevets.

 

[281]       Malgré l’« approbation restreinte », certaines ventes du ramipril au cours de la période pertinente auraient, selon toute vraisemblance, été liées aux indications HOPE. La question est de savoir si Apotex peut être indemnisée pour ces ventes.

 

[282]       Sanofi soutient qu’Apotex n’a pas droit à une indemnité à l’égard des ventes du ramipril au cours de la période pertinente qui auraient eu lieu relativement aux indications HOPE. Comme Apotex n’aurait pas été en droit de réaliser des ventes d’Apo-ramipril pour les indications HOPE au cours de la période pertinente, elle ne peut donc pas revendiquer une perte attribuable à ces ventes.

 

[283]       Malgré l’attrait logique de l’argument de Sanofi, cet argument n’est pas étayé par les faits (ou — selon moi — le droit), qui montrent que les ventes de médicaments génériques pour des ordonnances non approuvées ou « hors étiquette » peuvent avoir — et ont effectivement — lieu légalement. Il existe un certain nombre d’arguments qui vont à l’encontre de la prétention de Sanofi :

 

·                     le fait que les fabricants de médicaments génériques ne font pas la promotion de produits médicamenteux pour des indications précises;

 

·                     le fait que des substitutions et des prescriptions hors étiquette ont lieu et que les monographies de produit ne sont pas utiles pour les médecins;

 

·                     le fait que, dans le monde réel, Sanofi ne s’est pas opposée à ce que l’Apo‑ramipril soit inscrit à titre de produit tout à fait interchangeable avec l’ALTACE;

 

·                     le fait que Sanofi puisse engager une action en contrefaçon de brevet à l’égard des brevets HOPE.

 

[284]       Voyons maintenant chacun de ces arguments.

 

[285]       Premièrement, je fais remarquer que l’on ne fait pas de promotion de produits génériques pour des usages particuliers, mais que ces produits sont plutôt vendus comme des produits médicamenteux. Le témoignage de M. Sherman à cet égard est clair et crédible :

[traduction

Q.        Auprès de qui faites-vous la promotion de vos produits, Monsieur?

 

R.        Uniquement les pharmaciens.

 

Q.        Et…

 

R.        Juste pour exécuter des ordonnances, et non pour les rédiger.

 

Q.        Dans le cadre de vos activités de promotion auprès des pharmaciens, quel usage, s’il y en a, faites-vous des monographies?

 

R.        Aucun.

 

Q.        Très bien. Apotex commercialise-t-elle ses produits auprès de patients?

 

R.        Non.

 

Q.        Apotex vend-elle ses produits directement à des patients?

 

R.        Non.

 

[286]       Sanofi met beaucoup l’accent sur les diverses versions des monographies de produit qu’Apotex a présentées, dont certaines faisaient référence aux indications HOPE. Il est vrai que la monographie de produit initialement déposée pour l’Apo-ramipril comportait des indications non approuvées. Comme l’a expliqué M. Sherman, cela est dû au fait que Santé Canada a pour politique que les monographies d’un produit générique doivent refléter le plus possible celle du produit de marque. L’argument qu’invoque Sanofi aurait un certain attrait si la monographie de produit était la base à partir de laquelle le ramipril était commercialisé ou vendu. Ce n’est pas le cas.

 

[287]       Il semble que, dans les monographies de produit, les indications approuvées ne sont pas déterminantes pour ce qui est de la promotion, de la prescription ou de la vente de médicaments. Lors de son contre-interrogatoire, le Dr Lin a reconnu qu’il ignorait si l’une quelconque des monographies de l’Apo-ramipril était distribuée à des médecins, des pharmaciens ou des patients.

 

[288]       Le Dr Lin a déclaré que les médecins ont commencé à prescrire l’ALTACE pour les indications HOPE aussitôt après la présentation des résultats de l’étude HOPE, en août 1999. C’était là 18 mois environ avant que Sanofi reçoive son AC relativement aux indications HOPE. Il s’agissait là de prescriptions « hors étiquette », ou de la prescription d’un produit pour un usage non indiqué dans une monographie de produit. Cette pratique est répandue, surtout dans le cas d’un médicament connu comme l’ALTACE. Comme l’a déclaré le Dr Lin :

[traduction

Q.        Et vous dites que les prescriptions hors étiquette sont une pratique courante et admise?

 

R.        Quand il y a un essai qui devance l’indication. En d’autres termes, nous suivons ce que disent les essais. S’il y avait un avantage pour les gens, il arrivait souvent que nous prescrivions ce médicament pour protéger ces gens, surtout parce que le médicament était déjà là.

 

[289]       Il semble n’y avoir rien d’« illégal » au sujet des prescriptions hors étiquette. Sanofi ne plaide pas non plus l’illégalité.

 

[290]       Il semble qu’un nombre élevé de médecins auraient prescrit la version générique du ramipril pour les indications HOPE au cours de la période pertinente, même si ces indications n’étaient pas incluses dans la monographie du produit générique. Je n’ai entendu le témoignage d’aucun pharmacien de première ligne, mais je suis disposée à admettre que la pratique la plus courante serait que le pharmacien procède à une substitution, même si c’est l’ALTACE qui est inscrit sur l’ordonnance. Comme l’a fait remarquer le Dr Lin, ce résultat se serait vraisemblablement produit de toute façon à cause de la substitution générique obligatoire (pièce 124, à la page 2889).

 

[291]       Je ne dispose d’aucune preuve que, à l’époque où l’Apo-ramipril a été lancé à la fin de 2006, Sanofi s’est opposée à ce que l’on inscrive le produit d’Apotex comme un produit tout à fait interchangeable, ou que Sanofi a exigé qu’Apotex (ou tout autre fabricant de médicaments génériques arrivant sur le marché) obtienne une inscription restreinte pour son produit.

 

[292]       Il est donc plus probable que le contraire qu’Apotex aurait été en mesure de réaliser des ventes pour les indications HOPE au cours de la période pertinente, et ce, sans objection. Il s’ensuit que toutes les ventes réalisées au cours de la période pertinente qui étaient exclusivement liées aux indications HOPE demeurent tout de même des ventes perdues qu’Apotex aurait réalisées en l’absence de la mise en attente réglementaire de Sanofi, et des pertes pour lesquelles Apotex a droit à une indemnité en vertu de l’article 8.

 

[293]       Si Sanofi croit qu’Apotex contrefait ou incite à contrefaire les brevets HOPE, cela signifie qu’elle dispose d’une cause d’action en vertu de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4. À cet égard, je signale que depuis qu’Apotex et d’autres fabricants de médicaments génériques ont commencé à vendre la version générique du ramipril, Sanofi — qui a l’habitude des litiges — n’a pas engagé d’action contre l’un quelconque des fabricants pour contrefaçon des brevets HOPE.

 

[294]       Même si Sanofi a raison, et si l’article 8 empêche une seconde personne d’obtenir une indemnité à cause de ventes réalisées pour un usage non approuvé, il n’y a pas assez de preuves pour qu’il soit justifié de réduire les dommages-intérêts d’Apotex au vu des faits de l’espèce.

 

[295]       Je conclus que rien n’empêche Apotex d’être indemnisée des pertes associées aux indications HOPE. Cela ne veut pas dire qu’une seconde personne peut toujours être indemnisée pour des indications non approuvées. Une autre demande fondée sur l’article 8 pourrait offrir une défense claire dans les actes de procédure et une série différente de faits qui justifieraient une conclusion différente ou un rajustement à la baisse des dommages-intérêts destinés à la seconde personne, conformément au paragraphe 8(5) du Règlement sur les MB (AC). Mais pas dans le cas présent.

 

XII.          Conclusions

[296]       En conclusion, j’aurais un commentaire général à faire. Comme il a été signalé au début des présents motifs, juste avant l’instruction de la présente affaire, j’ai entendu une affaire connexe dans le dossier de la Cour no T‑1161‑07 — Teva Canada Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc et Sanofi-Aventis Deutschland GmbH. Il existe à l’évidence de nombreuses similitudes entre les deux affaires. Cependant, chacune s’est déroulée séparément, dans le cadre d’un dossier différent. Je tiens à assurer aux parties et aux lecteurs que la décision que j’ai rendue dans chaque affaire a été entièrement fondée sur les arguments et les dossiers qui m’ont été soumis dans l’affaire applicable.

 

[297]       Ayant traité de toutes les questions qui m’ont été soumises, je suis assez déçue de ne pas pouvoir fixer un montant de dommages-intérêts. J’espère toutefois que Sanofi et Apotex, avec le soutien compétent de leurs avocats et de leurs experts, pourront rapidement s’entendre sur un montant final que Sanofi versera à Apotex en conformité avec les présents motifs du jugement.

 

[298]       En résumé, les principales conclusions que j’ai tirées, sur la foi du dossier qui m’a été soumis, sont les suivantes :

 

1.                  Pour ce qui est de la détermination du montant net de la perte de profits d’Apotex, la période pertinente commence le 26 avril 2004 et prend fin le 12 décembre 2006.

 

2.                  Le marché du ramipril, au cours de la période pertinente, doit être quantifié d’une manière conforme aux calculs de M. Hollis.

 

3.                  Au cours de la période pertinente, le marché des médicaments génériques doit être quantifié d’une manière conforme aux calculs de M. Hollis.

 

4.                  Les volumes perdus d’Apotex doivent être calculés en tenant compte du fait qu’Apotex serait entrée sur le marché en date du 26 avril 2004, qu’un fabricant de génériques autorisés serait entré sur le marché le 26 juillet 2004 et que Teva serait entrée sur le marché le 1er août 2006; Apotex détiendrait les parts suivantes du marché des médicaments génériques :

 

a.                   du 26 avril 2004 au 26 juillet 2004 (première période) — 100 %;

 

b.                  du 26 juillet 2004 au 1er août 2006 (deuxième période) — 70 %;

 

c.                   du 1er août 2006 au 12 décembre 2006 (troisième période) — 50 %.

 

5.                  Un rajustement de la ligne d’approvisionnement, calculé selon la méthode de M. Hamilton, doit être appliqué, ce qui donne lieu à un ajout aux volumes perdus d’une période additionnelle de deux mois de ventes de capsules d’Apo-ramipril, et ce, pour chaque dose.

 

6.                  En ce qui concerne le calcul du montant net de la perte de profits d’Apotex :

 

·                     le prix de l’Apo-ramipril au cours de la période pertinente, exprimé en pourcentage du prix indiqué de l’ALTACE, aurait été de :

 

o        70 % au cours de la première période;

 

o        65 % au cours des deuxième et troisième périodes;

 

·                     le cas échéant, un montant devrait être pris en compte au titre des « rendus sur vente »;

 

·                     des remises (dépenses commerciales), correspondant aux pourcentages suivants, et comprenant les remises de distribution, les escomptes sur ventes, les escomptes pour cartes de crédit et le coût de produits gratuits, devraient être incluses en tant que coût des ventes, et ce, aux taux suivants :

 

o        [Expurgé] pour la première période;

 

o        [Expurgé] pour la deuxième période;

 

o        [Expurgé] pour la troisième période;

 

·                     un prix de [Expurgé] pour l’IPA doit être appliqué;

 

·                     aucun rajustement ne doit être fait à l’égard de Medichem;

 

·                     il est ordonné aux parties de porter leur attention aux volumes perdus d’Apotex afin de déterminer si, au cours de la période pertinente, il serait nécessaire d’ajouter le prix de machines de capsulage ou d’autres coûts additionnels (comme des primes de quart) — non déjà comptabilisés — en vue de produire les volumes perdus et, le cas échéant, de prendre en compte ces coûts;

 

·                     aucun rajustement ne doit être fait à l’égard de la période de transition en double;

 

·                     aucun rajustement ne doit être fait à l’égard des indications non approuvées.

 

7.                  Des intérêts avant et après jugement sont à payer sur les dommages‑intérêts accordés, comme suit :

 

·                     des intérêts avant jugement, non composés, calculés séparément pour chaque année écoulée depuis le 26 avril 2004, au taux bancaire annuel moyen fixé par la Banque du Canada, au taux minimum auquel cette dernière consent des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe 1 de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46;

 

·                     des intérêts après jugement, non composés, au taux de 5 % fixé par la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I‑15, art. 4.

 

[299]       Il y a, par ailleurs, la question des dépens. J’espère que les parties pourront s’entendre sur ces derniers. Si elles n’y parviennent pas avant le 15 juin 2012 au plus tard, elles pourront présenter à la Cour des observations, d’une longueur maximale de dix pages. Elles auront ensuite un délai de quinze jours pour présenter des observations en réponse si elles le souhaitent, d’une longueur maximale de cinq pages.

 

[300]       Je tiens à exprimer ma gratitude aux avocats pour la diligence, la compétence et le professionnalisme dont ils ont fait preuve pendant toutes les démarches préalables au procès et tout au long du procès lui-même. Vous m’avez apporté des solutions, et non pas des problèmes! Je vous en remercie.


 

POST-SCRIPTUM

[1]               Les motifs confidentiels du jugement ont été remis aux parties le 11 mai 2012. À ce moment, il leur a été demandé de faire part à la Cour des passages des motifs et du jugement qu’elles souhaitaient voir expurger pour les motifs publics. La présente version des motifs contient des expurgations de petits passages des motifs confidentiels du jugement. Tant Sanofi qu’Apotex ont été fort raisonnables dans leurs demandes et, à une exception près, j’ai accepté que l’on procède à la totalité des expurgations suggérées dans les motifs et le jugement publics. Je suis convaincue que, dans chaque cas, les risques que représente pour une partie la communication de renseignements commerciaux confidentiels l’emportent sur l’intérêt du public à ce que l’on ait accès à ces renseignements. Par ailleurs, je crois que, malgré les expurgations, les lecteurs sont capables de comprendre la nature de la preuve et le raisonnement qui a été suivi pour arriver à la conclusion pertinente. Des expurgations parallèles ont également été faites à l’alinéa 2 f)(iv) et 2 f)(v) du jugement.

 

[2]               La seule exception figure au paragraphe 216, où j’ai expurgé certaines des parties demandées, mais pas toutes. À mon avis, le fait que Sanofi avait établi un rapport d’analyse du marché interne n’est pas surprenant ou confidentiel sur le plan commercial. De plus, ce rapport a servi de fondement à certaines de mes conclusions sur les parts de marché. Même si j’ai expurgé les chiffres précis et d’autres détails concernant le rapport, les renvois généraux qui sont faits à ce dernier sont donc conservés pour bien situer le contexte et faciliter la compréhension.

 

[3]               De plus, après la publication des motifs et du jugement, Apotex a fait un commentaire sur trois éléments du jugement qui ne cadraient pas avec les motifs. Elle avait raison. Les changements suivants ont été apportés au jugement :

 

1.                  La mention faite au paragraphe 1 des [traduction] « capsules de 2,5, 5 et 10 mg de Novo-ramipril » devrait être la suivante : [traduction] « capsules de 1,25, 2,5, 5 et 10 mg d’Apo-ramipril ».

 

2.                  Le renvoi fait au sous-alinéa 2 d)f)(i), troisième point, à [traduction] « 50 % au cours de la troisième période » devrait être : [traduction] « 65 % au cours de la troisième période ».

 

3.                  Le paragraphe 2 du jugement indique que [traduction] « Il est ordonné à Sanofi de calculer et de payer […] ». Apotex souligne les paragraphes 297 (ainsi que 220, 236 et 264) et demande s’il s’agissait bien de l’intention de la Cour que les deux parties — Sanofi et Apotex — et leurs avocats et experts respectifs effectuent les calculs conjoints nécessaires en vue de fixer les dommages-intérêts pour perte de profit. C’était effectivement l’intention de la Cour, et le jugement est modifié en conséquence.

« Judith A. Snider »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Motifs publics du jugement rendus le 23 mai 2012

Motifs confidentiels du jugement rendus le 11 mai 2012

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger


Annexe A Liste des témoins

 

I.          Liste des témoins

 

A.        Les témoins de fait de la demanderesse

 

1)         M. Bernard Charles Sherman

 

M. Bernard Charles Sherman est le président et chef de la direction d’Apotex. Il a témoigné sur Apotex, la mise au point de l’Apo-ramipril, ainsi que sur les marchés pharmaceutiques et génériques. Il a également traité de divers scénarios hypothétiques.

 

2)         M. Gordon Fahner

 

M. Gordon Fahner est vice-président, Opérations commerciales et Finances, chez Apotex. Il a traité des ventes, des inscriptions aux formulaires et des prix, de la capacité de fabrication d’Apotex ainsi que des coûts de production.

 

3)         Mme Anne Bowes

 

Mme Anne Bowes est la directrice du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison, au sein de la Direction des produits thérapeutiques, à Santé Canada. Entre 2006 et 2007, elle a exercé les fonctions de gestionnaire et de directrice associée de ce service. Elle a pris part à diverses discussions portant sur la délivrance de l’AC d’Apotex concernant l’Apo-ramipril. Elle a parlé des présentations et des brevets liés à l’ALTACE, des présentations concernant l’Apo‑ramipril, y compris l’effet de la décision dont il était question dans AstraZeneca (CSC), précité, de l’effet que l’ordonnance d’interdiction aurait eu sur la délivrance d’un AC à Apotex à la suite du rejet de l’affaire AC Ramipril no 3 (CF), ainsi que des présentations relatives au Novo‑ramipril et au Riva-ramipril.

 

B.        Les témoins experts de la demanderesse

 

1)         M. Derek Anthony Rostant

 

M. Derek Anthony Rostant a été reconnu par la Cour comme un expert en juricomptabilité, en enquêtes financières, en évaluation d’activités commerciales et en quantification des pertes économiques. Il a aussi fait part de ses opinions sur les profits qu’Apotex a perdus, de même que sur la question de la seconde période de transition

 

2)         M. Aidan Hollis

 

M. Aidan Hollis a été reconnu par la Cour comme un expert en organisation industrielle et en économie, plus particulièrement dans les secteurs des marchés pharmaceutiques et de la concurrence exercée sur le plan des prix, ainsi que des mesures incitatives connexes. Il a soumis une preuve d’opinion sur les volumes qu’Apotex a perdus dans le cadre de divers scénarios, sur le prix auquel l’Apo-ramipril aurait probablement été vendu, ainsi que sur la probabilité de divers scénarios.

 

C.        Les témoins de fait de la défenderesse

 

            1)         M. Jean-François Leprince

 

M. Jean-François Leprince a été président et chef de la direction de Hoechst entre 1998 et le début de 2000. À la suite de la transition de cette société en Aventis, M. Leprince a conservé le poste de président jusqu’à la fin de 2004. Après l’acquisition, par Sanofi, d’Aventis Pharma, M. Leprince est demeuré conseiller et consultant auprès du nouveau chef de la direction de la société jusqu’en 2005. Il a témoigné sur la possibilité que Sanofi lance un médicament générique autorisé ainsi que sur le processus d’approbation applicable. Il a également traité de l’effet de l’étude HOPE sur les ventes de l’ALTACE.

 

2)         M. Bohdan (Bob) Woloschuk

 

M. Bob Woloschuk a été vice-président au développement de l’entreprise de Ratiopharm entre le début de 2003 et août 2010, et il est ensuite entré au service de Teva où il a joué un rôle d’intégration jusqu’en octobre 2010. Il a décrit l’intérêt de Ratiopharm à l’égard de la fabrication d’une version générique autorisée du ramipril, l’entente conclue par cette société avec Sanofi, le lancement de son produit, ainsi que les modifications apportées ultérieurement à l’entente. Il a également traité de la rentabilité des médicaments génériques autorisés, y compris le ramipril de Ratiopharm, ainsi que des dépenses commerciales au sein du marché des versions génériques du ramipril.

 

3)         M. Brent Fraser

 

M. Brent Fraser est le directeur des services des programmes de médicaments auprès des Programmes publics de médicaments de l’Ontario, au sein du ministère de la Santé de cette province. Il occupe ce poste depuis 2005, après s’être joint au Ministère en 1997. Entre 2002 et 2005, M. Fraser a été le directeur associé de la coordination des services pharmaceutiques, et ensuite directeur du Secrétariat du régime des médicaments. Dans son témoignage, M. Fraser a parlé du formulaire de l’Ontario, de la fixation des prix, de l’interchangeabilité, des remboursements et des présentations de drogue. Il a parlé aussi de la réglementation des escomptes et des remises professionnelles.

 

4)         Mme Franca Mancino

 

Mme Franca Mancino occupe le poste de directrice auprès de Sanofi et est chargée des affaires réglementaires et de la pharmacovigilance. Elle est au service de Sanofi ou de ses prédécesseurs depuis 1993. Elle a parlé de sa participation aux activités réglementaires concernant l’ALTACE ainsi que de la version générique autorisée de Ratiopharm, des médicaments génériques autorisés, des indications relatives à l’ALTACE, ainsi que des inscriptions de brevets de Sanofi au sujet de l’ALTACE. Elle a également témoigné sur la situation d’Apotex relativement aux brevets HOPE.

 

3)         M. Benoit Gravel

 

M. Benoit Gravel est vice-président des ventes chez Sanofi. Il est d’abord entré au service de l’un des prédécesseurs de Sanofi en 1987. Il s’est occupé du ramipril en 2000 à titre de vice‑président des affaires commerciales, et a été chargé de la commercialisation et des ventes de l’ALTACE jusqu’en 2005. Il a traité de la réaction de Sanofi face à l’entrée éventuelle d’une version générique sur le marché du ramipril, ainsi que des mesures que Sanofi aurait prises en prévision d’une entrée sur le marché d’un produit générique dans le monde hypothétique, du lancement d’une version générique autorisée du ramipril, ainsi que de la promotion de l’ALTACE, dans le monde tant réel qu’hypothétique. Il a également parlé des circonstances dans lesquelles Sanofi lance des versions génériques autorisées, ainsi que de l’expérience de Sanofi sur le plan des versions génériques autorisées. De plus, il a parlé des marchés de l’ALTACE et du ramipril, de même que de la situation d’Apotex relativement aux brevets HOPE.

 

4)         M. Barry Fishman

 

M. Barry Fishman est président et chef de la direction de Teva. Il a parlé de la capacité de Teva d’alimenter le marché canadien en ramipril depuis 2003, de la mise au point et du lancement du Novo-ramipril, des mesures que Teva aurait prises dans certains scénarios hypothétiques, de même que de divers aspects du marché des produits pharmaceutiques génériques, dont les médicaments génériques autorisés.

 

5)         M. David Goodman

 

M. David Goodman est le chef de la direction de Pharmascience. Il a parlé d’un certain nombre de sujets, dont les mesures que Pharmascience aurait prises si Riva avait obtenu un AC en 2004 ou si Pharmascience avait été le seul fabricant de produits génériques, de la concession réciproque de licence avec Riva, de la capacité de Pharmascience d’approvisionner le marché canadien en ramipril à partir de 2004, ainsi que du prix de l’IPA et d’autres ingrédients entrant dans la fabrication du ramipril.

 

6)         Mme Manon Decelles

 

Mme Manon Decelles est directrice du développement de l’entreprise et des achats auprès de Sanofi. Elle a participé au lancement d’une version générique autorisée de l’ALTACE et a décrit son travail dans ce domaine, ainsi que les pratiques de Sanofi relativement aux versions génériques autorisées.

 

7)         M. Olivier St. Denis

 

M. Olivier St. Denis n’a pas comparu comme témoin au procès, mais le témoignage qu’il a fait lors du procès de Teva a été admis en preuve dans la présente instance. M. St. Denis est le vice-président exécutif du développement de l’entreprise chez Riva. Il a parlé d’un certain nombre de sujets, dont les indications relatives au ramipril de Riva, la licence réciproque entre Riva et Pharmascience, les mesures que Riva aurait prises si elle était entrée sur le marché en 2004, de même que la présence de Riva à l’extérieur du Québec.

 

D.        Les témoins experts de la défenderesse

 

1)         M. Robert Carbone

 

M. Robert Carbone a été reconnu par la Cour comme un consultant de l’industrie pharmaceutique ayant une expertise dans les méthodes prévisionnelles, l’analyse des données et l’économie quantitative. Il a exprimé son opinion sur le calcul des ventes qu’Apotex aurait perdues dans le cadre de divers scénarios hypothétiques.

 

2)         M. W. Neil Palmer

 

M. W. Neil Palmer a été reconnu par la Cour comme un consultant de l’industrie pharmaceutique ayant une expertise dans les inscriptions aux formulaires, l’accès au marché, les politiques de remboursement et les régimes de fixation des prix du marché canadien des produits pharmaceutiques. Il a fait part de ses opinions sur d’éventuelles dates d’inscription aux formulaires et les prix qu’auraient fixés des fabricants de versions génériques du ramipril dans divers scénarios hypothétiques, ainsi que, de manière plus générale, du cadre réglementaire régissant le marché des produits pharmaceutiques. De plus, M. Palmer a parlé de la relation entre les prix dans le secteur public et dans le secteur privé.

 

3)         M. Ross Hamilton

 

M. Ross Hamilton a été reconnu par la Cour comme un comptable agréé ayant une expertise dans le domaine de la juricomptabilité et la quantification des dommages dans les litiges en matière commerciale et de propriété intellectuelle. Il a fait part de ses opinions sur l’évaluation et la quantification des profits qu’Apotex aurait perdus dans le cadre de divers scénarios hypothétiques.

 

4)         Dr Peter Lin

 

Le Dr Peter Lin a été reconnu par la Cour comme médecin et directeur du Centre canadien de recherche en cardiologie, ayant une expertise en médecine familiale/générale, y compris le traitement des maladies cardiovasculaires. Il a fait part de son opinion concernant l’effet des indications HOPE sur les prescriptions et les ventes de ramipril, les pratiques des médecins en matière de prescription du ramipril ainsi que les indications HOPE, de même que la question de savoir si certaines monographies de produit concernant l’Apo-ramipril incluaient les indications HOPE. De plus, il a parlé de certaines des conditions auxquelles il est fait renvoi dans divers brevets relatifs au ramipril.

 

5)         M. Iain A. Cockburn

 

M. Iain A. Cockburn a été reconnu par la Cour comme un économiste ayant une expertise dans le domaine des marchés pharmaceutiques. Il a fait part de ses opinions sur les facteurs qui ont une incidence sur le marché canadien des produits pharmaceutiques, sur les facteurs qui influencent la demande du marché en ramipril, ainsi que sur les avantages relatifs des modèles prévisionnels et économétriques en série chronologique pour ce qui est de l’analyse des résultats du marché des produits pharmaceutiques.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-1357-09

 

INTITULÉ :                                      APOTEX INC. c. SANOFI-AVENTIS et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :          LES 13, 14 ET 15 FÉVRIER 2012;
LES 21, 22, 23 ET 24 FÉVRIER 2012;
LES 28 ET 29 FÉVRIER, LES 1ER ET 2 MARS 2012;
LES 7 ET 8 MARS 2012

 

MOTIFS PUBLICS

DU JUGEMENT :                            LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     LE 23 MAI 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Radomski

Nando DeLuca

Jerry Topolski

Ben Hackett

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Gunars. A. Gaikis

J. Sheldon Hamilton

Andrew Mandlsohn

Jordan D. Scopa

Jeremy E. Want

Daniel S. Davies

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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