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Date : 20120103

Dossier : T‑235‑11

Référence : 2012 CF 2

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

GILEAD SCIENCES CANADA, INC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de la décision, en date du 13 janvier 2011, par laquelle le ministre de la Santé a refusé d’inscrire le brevet canadien 2,512,475 au registre des brevets en réponse à une présentation de drogue nouvelle.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

 

[3]               Le 4 octobre 2010, la demanderesse (Gilead) a déposé auprès du ministre de la Santé une présentation de drogue nouvelle (PDN) pour un produit pharmaceutique destiné au traitement de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). La présentation visait à faire approuver des comprimés composés de trois ingrédients médicinaux : (1) le fumarate de ténofovir disoproxil (ténofovir); (2) l’emtricitabine; et (3) la rilpivirine. Ces ingrédients médicinaux sont des agents antiviraux.

 

[4]               La rilpivirine appartient à la classe des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI). Ce terme désigne des composés qui se lient à l’enzyme transcriptase inverse présente dans le VIH et qui empêchent le virus d’incorporer son ADN dans l’ADN de la cellule hôte.

 

[5]               Bien que le médicament soit désigné dans le dossier comme étant « le produit de Gilead », les avocats m’ont fait savoir qu’un avis de conformité avait été délivré par le ministre avant l’audience et que les comprimés sont maintenant commercialisés sous le nom « Complera ». C’est donc le nom qui est employé dans les présents motifs.

 

[6]               En ce qui concerne la PDN, Gilead a demandé l’inscription de huit brevets au registre des brevets tenu par le ministre en vertu de l’article 3 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (le Règlement AC) dont le brevet 2,512,475 (le brevet 475). Le ministre a convenu que sept des brevets en question pouvaient être inscrits à la liste des brevets sous réserve d’un examen final à la suite de la délivrance de l’avis de conformité.

 

[7]               Dans une lettre datée du 26 octobre 2010, des fonctionnaires représentant le ministre ont informé Gilead de leur opinion préliminaire : selon eux, le brevet 475 rattaché à la PDN ne pouvait pas faire partie de la liste des brevets. Ils estimaient que ce brevet ne pouvait être inscrit au registre parce qu’il ne contenait pas de revendication pour les ingrédients médicinaux (le ténofovir, l’emtricitabine et la rilpivirine), la formulation dans la PDN, comme l’exige le paragraphe 4(2) du Règlement AC. Le ministre a invité Gilead à déposer des observations en réponse dans les 30 jours.

 

[8]               Gilead a déposé des observations le 24 novembre 2010. La demanderesse a soutenu que les revendications dans le brevet 475 visaient des combinaisons chimiquement stables, plutôt que des formulations, et qu’il s’agit ainsi de revendications d’ingrédients médicinaux qui relèvent du champ d’application de l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC. Subsidiairement, Gilead a fait valoir que le brevet 475 contient des revendications relatives aux formulations, et que ces revendications assurent une spécificité de produit suffisante du fait que la rilpivirine est un médicament appartenant à l’une des classes de médicaments spécifiées dans les revendications, à savoir les INNTI.

 

[9]               Dans leur lettre de décision définitive datée du 13 janvier 2011, les fonctionnaires ont confirmé l’avis du ministre selon lequel le brevet 475 ne pouvait faire partie de la liste des brevets. Ils ont invoqué comme raison que le brevet faisait référence à la classe des INNTI sans spécifier la rilpivirine. Ils ont ajouté dans cette lettre qu’en faisant référence à des classes d’ingrédients médicinaux, Gilead n’avait pas satisfait aux exigences relatives au produit pour l’adjonction d’un brevet au registre.

 

[10]           Dans la présente demande, les parties ont reconnu que Complera renferme les ingrédients médicinaux suivants : ténofovir, emtricitabine et rilpivirine. Elles conviennent également que la rilpivirine fait partie de la classe des INNTI dont il est question dans les revendications du brevet 475. Le litige tient au fait que les revendications ne mentionnent pas expressément la rilpivirine comme ingrédient médicinal dans les formulations utilisées pour traiter l’infection visée par le brevet.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           Suivant la demanderesse, les questions en litige sont les suivantes : (i) le brevet 475 contient‑il des « revendications de l’ingrédient médicinal » admissibles de son produit, Complera, conformément à l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC? (ii) le brevet 475 contient‑il des « revendications de la formulation » admissibles du Complera conformément à l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC?

 

[12]           Le défendeur renvoie aux questions du cadre analytique à trois volets que la Cour d’appel fédérale a approuvé dans les arrêts Abbott Laboratories Ltd. c Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, aux paragraphes 29 à 33, GD Searle & Co. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CAF 35, aux paragraphes 33 à 35, et Purdue Pharma c Canada (Procureur général), 2011 CAF 132, aux paragraphes 11 à 13. Ces questions peuvent être adaptées ou reformulées selon la nature particulière de la revendication en cause. Voici comment elles sont formulées en l’espèce :

  1. Quel ingrédient médicinal ou formulation le brevet revendique‑t‑il?

 

  1. Quel est l’ingrédient médicinal ou la formulation dont il est question dans la présentation de drogue nouvelle dont on sollicite une approbation?

 

  1. Le brevet revendique‑t‑il le même ingrédient médicinal ou la même formulation que le produit approuvé dans l’avis de conformité existant?

 

 

[13]           La seconde question, qui concerne la nature de l’ingrédient médicinal ou de la formulation dont il est question dans la présentation de drogue, n’est pas en litige dans la présente instance. Comme nous l’avons déjà signalé, l’avis de conformité n’avait pas encore été délivré à la date de la décision du ministre, mais avait été délivré avant l’ouverture de la présente audience.

 

[14]           Je vais analyser les points soulevés dans la demande en examinant à tour de rôle les questions suivantes :

1.      Quelle est la bonne interprétation du brevet 475?

 

2.      Quelle est la bonne interprétation des alinéas 4(2)a) et b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)?

 

3. La décision du ministre d’exclure le brevet 475 du registre était‑elle raisonnable?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[15]           L’article 2 et les alinéas 4 (2)a) et 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié, sont pertinents en ce qui concerne la présente demande. En voici le libellé :

2.  Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

« revendication de la formulation » Revendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée. (claim for the formulation)

 

« revendication de l’ingrédient médicinal » S’entend, d’une part, d’une revendication, dans le brevet, de l’ingrédient médicinal – chimique ou biologique – préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués dans le brevet ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, et, d’autre part, d’une revendication pour différents polymorphes de celui‑ci, à l’exclusion de ses différentes formes chimiques. (claim for the medicinal ingredient)

 

4. (2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

 

a) une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

b) une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

 

[…]

2. In these Regulations,

 

 

 

“claim for the formulation” means a claim for a substance that is a mixture of medicinal and non‑medicinal ingredients in a drug and that is administered to a patient in a particular dosage form; (revendication de la formulation)

 

 

“claim for the medicinal ingredient” includes a claim in the patent for the medicinal ingredient, whether chemical or biological in nature, when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed in the patent, or by their obvious chemical equivalents, and also includes a claim for different polymorphs of the medicinal ingredient, but does not include different chemical forms of the medicinal ingredient (revendication de l’ingrédient médicinal)

 

4. (2) A patent on a patent list in relation to a new drug submission is eligible to be added to the register if the patent contains

 

 

 

(a) a claim for the medicinal ingredient and the medicinal ingredient has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

(b) a claim for the formulation that contains the medicinal ingredient and the formulation has been approved through the issuance of a notice of compliance in respect of the submission;

 

[…]

 

 

ARGUMENTS ET ANALYSE

Norme de contrôle

[16]           Les normes de contrôle sont bien établies par la jurisprudence. Lorsqu’elle examine la décision prise par le ministre au sujet de l’inscription d’un brevet, la Cour doit d’abord interpréter les revendications. La norme de contrôle qui s’applique à l’interprétation que le ministre a faite du brevet est celle de la décision correcte.

 

[17]           En ce qui concerne la troisième question susmentionnée, celle de savoir si le brevet revendique le même ingrédient médicinal ou la même formulation que le produit approuvé dans l’avis de conformité, l’interprétation faite par le ministre des principes juridiques applicables, y compris l’interprétation du Règlement AC, fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. L’application que le ministre a faite de ces principes aux faits articulés dans la PDN fait, quant à elle, l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (arrêt Purdue, précité, au paragraphe 13).

 

Quelle est la bonne interprétation du brevet 475?

 

[18]           Le brevet 475 a été déposé le 13 janvier 2004 et a été délivré le 2 juin 2009.

 

[19]           Les revendications doivent être interprétées de manière téléologique, avec un esprit désireux de comprendre et d’une manière compatible avec la réalisation de l’objet du brevet, en tenant compte du contexte du mémoire descriptif et en préconisant une interprétation raisonnable et équitable (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, au paragraphe 49).

 

[20]           Les mots utilisés dans les revendications sont interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner. Lorsque des termes clairs sont employés, on doit leur attribuer leur sens courant et ordinaire, à moins que le mémoire descriptif ne leur donne une autre définition (Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, au paragraphe 51; Procter & Gamble Co. c Beecham Canada Ltd., [1982] ACF no 10 (CAF), 40 NR 313, 61 CPR (2d) 1, au paragraphe 48; Reliance Electric Industrial Co. c Northern Telecom Ltd., 47 CPR (3d) 55, 60 FTR 208). Les revendications qui sont différentes doivent se voir attribuer un sens distinct (Hoffmann‑La Roche Ltd. c Mayne Pharma (Canada) Inc., 2005 CF 814, au paragraphe 43).

 

[21]           Le brevet 475 est intitulé « Compositions et méthodes destinées à une thérapie de combinaison antivirale » et contient 53 revendications. Le texte des revendications renvoie à des combinaisons d’agents antiviraux, à des formulations pharmaceutiques d’agents antiviraux, à des revendications de méthodes pour préparer les formulations revendiquées, à des revendications de formes posologiques et à des revendications d’utilisations.

 

[22]           Les revendications 42, 45, 46 et 48 font référence à l’association de deux agents antiviraux ou plus. Les revendications 15, 31, 32 et 34 renvoient à une formulation contenant deux agents antiviraux ou plus.

 

[23]           Dans la section du brevet 475 relative au contexte, il est dit que le brevet répond au besoin de nouvelles combinaisons de médicaments actifs par voie orale qui ont une innocuité et une efficacité thérapeutiques accrues chez les patients infectés par certains virus, qui engendrent une plus faible résistance et qui devraient accroître l’observance thérapeutique.

 

[24]           Voici un extrait de la description du brevet dans le résumé de l’invention :

[traduction]

La présente invention concerne des combinaisons de composés antiviraux, en particulier des compositions et des méthodes pour l’inhibition du VIH. Dans un exemple, l’invention inclut une composition comprenant du fumarate de ténofovir disoproxil (FTD) et de l’emtricitabine qui a une activité anti‑VIH. La composition du FTD et de l’emtricitabine est à la fois stable sur le plan chimique et soit synergique et/ou réduit les effets secondaires du FTD et/ou de l’emtricitabine ou les deux. L’observance thérapeutique risque d’être accrue vu la réduction du nombre de pilules à prendre et la simplification de la posologie.

 

[…] La présente invention a également trait à des compositions pharmaceutiques et à des formulations de ces combinaisons de fumarate de ténofovir disoproxil et d’emtricitabine.

 

[…] Un autre élément de l’invention concerne une combinaison chimiquement stable de compositions antivirales comprenant du fumarate de ténofovir disoproxil et de l’emtricitabine. Dans un autre élément de l’invention, les compositions chimiquement stables de fumarate de ténofovir disoproxil et d’emtricitabine renferment également un troisième agent antiviral. Dans ce mélange à trois ingrédients, la stabilité chimique particulière du fumarate de ténofovir disoproxil et de l’emtricitabine est exploitée afin qu’on puisse y ajouter le troisième agent antiviral […] De préférence, le troisième élément est un agent approuvé pour usage antiviral chez les humains, préférablement, il s’agit d’un INNTI ou d’un inhibiteur de la protéase (IP), ou encore mieux, d’un INNTI.

 

 

[25]           L’objet de l’invention, si je comprends bien, était de tirer parti des caractéristiques chimiquement stables du ténofovir et de l’emtricitabine, connus tous les deux pour leur efficacité comme antiviraux, en combinaison et en utilisant parfois un troisième ingrédient médicinal.

 

[26]           J’interprète les revendications pertinentes du brevet 475 comme concernant des combinaisons et des formulations de deux ingrédients médicinaux en plus d’un troisième ingrédient membre de la classe des INNTI qui pourrait inclure la rilpivirine, sans qu’elle soit nommée expressément.

 

[27]           La demanderesse soutient que les revendications 42, 45, 46 et 48 du brevet 475 sont des « revendications de l’ingrédient médicinal » du Complera et que les revendications 31, 32 et 34 du brevet sont des « revendications de la formulation » du Complera.

 

[28]           La revendication 42 ne fait référence qu’au ténofovir et à l’emtricitabine et n’englobe donc pas les trois ingrédients médicinaux présents dans Complera. Les revendications 31 et 45 renvoient à un troisième agent, mais se limitent à dire qu’il s’agit d’un « antiviral ». Ce terme pourrait englober un très grand nombre d’autres ingrédients non nommés. Les revendications 32 et 46 indiquent que le troisième agent antiviral actif doit être choisi parmi les possibilités suivantes : un INNTI, un INTI (inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse), un inhibiteur de l’intégrase ou un IP (inhibiteur de la protéase). Les revendications 34 et 48 mentionnent que le troisième agent antiviral est un INNTI. La rilpivirine n’est expressément mentionnée dans aucune des revendications et ne peut être incluse que par déduction parce qu’elle fait partie d’une classe nommée.

 

            Quelle est la bonne interprétation des alinéas 4(2)a) et b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)?

 

[29]           Les parties s’entendent pour dire que le Règlement AC vise à prévenir le recours abusif, par les fabricants de médicaments génériques, à l’exception à la contrefaçon de brevets qui concerne les travaux préalables en matière de brevets pharmaceutiques (AstraZeneca Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, 2 RCS 560, au paragraphe 15). Elles conviennent également qu’un des facteurs essentiels lorsqu’il s’agit d’interpréter les exigences du Règlement AC en matière d’inscription au registre est le concept de la spécificité du produit, qui a été introduit par les modifications apportées au Règlement AC en 2006 (Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Gazette du Canada, partie II, vol. 140, pages 1510 à 1525, à la page 1516).

 

[30]           La juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale a formulé les observations suivantes au sujet de l’objet des modifications de 2006 dans l’arrêt GD Searle & Co., précité, au paragraphe 15 :

La jurisprudence relative à l’admissibilité des brevets pour l’inscription au registre conformément à l’article 4 du Règlement AC (tel qu’il existait avant les modifications du 5 octobre 2006) avait adopté une interprétation que le gouvernement considérait tellement large qu’elle retardait indûment l’entrée des drogues génériques sur le marché. Les modifications du 5 octobre 2006 avaient comme objectif de rétablir l’équilibre. Cette situation est expliquée en détail dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation publié avec le règlement modifi[catif] (DORS/2006‑242).

 

[31]           La demanderesse affirme que la décision de ne pas inscrire le brevet 475 n’est pas conforme à l’interprétation qu’il convient de donner au Règlement AC. Il suffit, selon la demanderesse, qu’il existe un « lien » entre l’objet du brevet dont on demande l’inscription au registre et le contenu de la PDN sous‑jacente.

 

[32]           La demanderesse soutient également que la décision n’était pas conforme à la politique du ministre et la façon dont il a par le passé procédé.

 

[33]           La demanderesse reconnaît que la rilpivirine, le troisième ingrédient médicinal de Complera, n’a pas été divulguée lorsque la demande de brevet 475 a été déposée, mais elle soutient que la classe de composés à laquelle elle appartient est décrite et revendiquée dans le brevet 475. La demanderesse fait valoir que le ministre a fait erreur : (i) en interprétant les revendications pertinentes relatives à la « combinaison » du brevet 475 comme ayant trait à des formulations; et (ii) en évaluant incorrectement l’admissibilité à l’adjonction du brevet 475 à la liste des brevets sur la foi uniquement de l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC.

 

[34]           Les parties reconnaissent que la classe de composés à laquelle appartient la rilpivirine, soit les INNTI, est décrite et revendiquée dans le brevet 475. Elles diffèrent d’opinion quant à savoir si c’est suffisant pour permettre au brevet d’être inscrit sur la liste.

 

[35]           La demanderesse soutient que, selon une interprétation téléologique, le brevet 475 peut être inscrit au registre des brevets en vertu du paragraphe 4(2) du Règlement AC. La demanderesse ajoute que le brevet 475 contient des revendications portant sur une combinaison des ingrédients médicinaux de la PDN et qu’il répond donc aux exigences de l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC.

 

[36]           À titre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que les revendications de la formulation dans le brevet 475 donnent suffisamment de détails spécifiques sur le produit parce que la rilpivirine est un médicament appartenant à l’une des classes spécifiées de médicaments, soit les INNTI.

 

[37]           Le défendeur soutient que les revendications pertinentes doivent être examinées aux fins de leur admissibilité en vertu de l’alinéa 4(2)b) en tant que formulations plutôt qu’en tant que combinaisons en vertu de l’alinéa 4(2)a) parce que la PDN visait l’approbation d’une formulation portant sur trois ingrédients médicinaux actifs d’un comprimé.

 

[38]           En ce qui concerne la politique du ministre, la demanderesse cite le document Ligne directrice : Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (la Ligne directrice), publié par le ministre en vue d’aider ceux qui sont chargés d’appliquer le Règlement AC. On y trouve les paragraphes suivants aux pages 8 et 9 :

Les brevets revendiquant une combinaison d’ingrédients médicinaux ne sont pas admissibles à l’inscription en ce qui touche à un médicament qui ne contient qu’un seul des ingrédients médicinaux revendiqués. Toutefois, un brevet revendiquant, à titre de composé, un seul ingrédient médicinal sera admissible à l’inscription concernant un médicament qui contient ledit ingrédient en association avec d’autres ingrédients médicinaux, nonobstant le fait que l’ingrédient médicinal de l’AC consiste en la combinaison des ingrédients médicinaux. 

 

[…]

 

En ce qui concerne les brevets relatifs à la formulation d’une drogue, le Règlement précise que la formulation revendiquée doit comporter l’ingrédient médicinal de la drogue à titre d’élément. Cette exigence a été ajoutée en vue d’assurer qu’un brevet visant uniquement une formulation sans revendication ni inclusion de l’ingrédient médicinal approuvé ne soit pas admissible à l’inscription au registre des brevets.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[39]           Suivant la logique de la Ligne directrice du ministre, la demanderesse soutient qu’un brevet contenant une revendication pour un seul ingrédient médicinal peut être ajouté à la liste parce qu’il concerne un produit qui renferme cet ingrédient de même qu’un ou plusieurs autres ingrédients médicinaux. Dans ce contexte, la demanderesse fait valoir que le brevet 475 pouvait figurer sur la liste, car il revendiquait la combinaison de ténofovir et d’emtricitabine (revendication 42), deux des ingrédients médicinaux de Complera, de même que la combinaison de ténofovir et d’emtricitabine avec un INNTI (revendications 45, 46 et 48).

 

[40]           Le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (Ottawa‑Gatineau : Office de la propriété intellectuelle du Canada, 2009) (le Recueil) reconnaît, au paragraphe 11.07 du chapitre 11, la validité des revendications de combinaisons. Voici la définition que le Recueil donne du mot « combinaison » au paragraphe 11.07 :

On désigne par « combinaison » tout assemblage d’éléments ou d’étapes d’un procédé dont l’interaction produit un résultat utile et pratique qui n’est pas la somme des caractéristiques connues de ces éléments ou étapes.

On désigne par « combinaison brevetable » toute combinaison dans laquelle les éléments ou étapes d’un procédé interagissent de façon inattendue ou de façon connue pour produire un résultat ou un effet non évident. Si toutes les conditions de la Loi et des Règles sont satisfaites, une revendication visant une telle combinaison est acceptée.

 

[41]           Le juge Russel analyse la distinction à établir entre un brevet portant sur un composé et un brevet portant sur une formulation dans la décision Bayer Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 1171, conf. par 2010 CAF 161, aux paragraphes 77 à 80. Le juge fait observer qu’aux termes de l’alinéa 4(2)a) du Règlement AC, un brevet portant sur un composé peut être inscrit au registre parce qu’il contient une revendication portant sur un ingrédient médicinal approuvé qui est l’élément actif essentiel du médicament. Un brevet de formulation, quant à lui, ne renferme pas de revendication portant sur l’ingrédient médicinal lui‑même. Il renferme plutôt une revendication sur le mélange approuvé des ingrédients médicinaux et des ingrédients non médicinaux qui sont effectivement administrés aux patients. Au paragraphe 80, le juge Russel conclut :

L’essence d’un brevet de composition est l’ingrédient médicinal; l’essence d’un brevet de formulation est le mélange des ingrédients. Cette distinction requiert une approche différente lorsque l’on considère la concordance et la spécificité en vertu des alinéas 4(2)a) et 4(2)b).

 

 

[42]           Il est acquis aux débats que, par « ingrédient médicinal », on entend l’essence de la formulation qui, lorsqu’elle est administrée à un patient, est responsable de l’effet souhaité du médicament dans le corps. Même s’il est exprimé au singulier, ce terme s’applique à la pluralité (paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, LRC, 1985, c I‑21).

 

[43]           En ce qui concerne la façon dont le ministre a par le passé procédé, la demanderesse invoque le fait que le ministre a inscrit le brevet canadien no 2,068,790 (le brevet 790) au registre des brevets en 2005. Le brevet 790 revendique des combinaisons de deux ingrédients médicinaux pour traiter l’infection à VIH. La PDN s’y rapportant revendiquait ces ingrédients en combinaison avec un troisième ingrédient. La demanderesse soutient par conséquent que le ministre a déjà inscrit un brevet portant sur des faits analogues. Le défendeur affirme que l’inscription du brevet 790 est intervenue avant les modifications apportées en 2006 au Règlement AC qui ont eu pour effet de modifier les règles applicables à l’inscription des brevets en vertu de l’alinéa 4(2)b).

 

[44]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’exemple du brevet 790 n’est pas utile pour la demanderesse en raison des modifications en question.

 

            La décision du ministre d’exclure le brevet 475 du registre était‑elle raisonnable?

 

[45]           Dans la décision Bayer, la Cour a estimé que le brevet ne pouvait pas être inscrit au registre parce qu’il revendiquait une formulation qui ne contenait qu’un des deux ingrédients médicinaux approuvés. En l’espèce, la PDN soumise pour approbation n’était pas fondée sur les deux ingrédients médicinaux revendiqués dans le brevet 475 avec un troisième ingrédient incertain, mais sur des comprimés contenant trois ingrédients médicinaux bien précis.

 

[46]           Dans le brevet 475, il n’y a aucune mention expresse de la rilpivirine comme troisième ingrédient dans la classe des INNTI. Comme l’a indiqué le Dr Miller dans son témoignage pour le compte de la demanderesse, l’efficacité de plusieurs autres INNTI dans le traitement de l’infection à VIH avait été étudiée avant la délivrance du brevet. Les références à un INNTI dans le brevet ne concernent pas un ingrédient médicinal spécifique mais plutôt la classe de composés, un ou plusieurs d’entre eux pouvant avoir été jugés assez efficaces pour être inclus dans une formulation avec le ténofovir et l’emtricitabine. Les revendications qui mentionnent une telle formulation ne concernent pas spécifiquement le médicament dans la PDN de Complera.

 

[47]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’en vue de son inscription sur la liste, le brevet a été à bon droit considéré en vertu de l’alinéa 4(2)b) et non de l’alinéa 4(2)a) comme un brevet contenant des revendications de la formulation plutôt que comme un brevet renfermant des revendications de la combinaison. La demande d’inscription ne répondait pas à l’exigence de spécificité pour une inscription en vertu de 4(2)b). Suivant l’interprétation courante et ordinaire de l’alinéa 4(2)b), tous les ingrédients dans la PDN doivent être présents dans la formulation revendiquée.

 

[48]           Cette interprétation est étayée par l’arrêt Purdue, précité, récemment rendu par la Cour d’appel fédérale, qui portait sur une revendication pour une posologie. L’interprétation stricte de la notion de spécificité du produit, présentée aux paragraphes 42 et 43 de l’arrêt Purdue, appliquée en l’espèce à l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC, m’amène à conclure qu’une formulation dans la revendication d’un brevet qu’on veut faire inscrire sur la liste doit correspondre à la formulation dans la PDN. Dans le cas présent, la formulation revendiquée et la formulation approuvée ne sont pas exactement identiques et l’exigence relative à la spécificité du produit n’est pas respectée.

 

[49]           Je conclus que c’est à bon droit que le ministre a interprété les revendications pertinentes du brevet 475 comme étant des formulations. Le ministre a également interprété correctement l’alinéa 4(2)b) du Règlement AC en estimant qu’il exigeait une rigoureuse spécificité du produit en ce qui concerne la formulation. Le brevet 475 ne correspondait pas aux détails précis de la PDN. Il était par conséquent raisonnable de la part du ministre de conclure que le brevet 475 ne pouvait être inscrit au registre. Les conditions énumérées à l’alinéa 4(2)b) n’étaient pas respectées et la décision du ministre suivant laquelle le brevet 475 ne pouvait être inscrit au registre était raisonnable et doit être confirmée.

 

[50]           La demande est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande et ADJUGE les dépens au défendeur selon le barème ordinaire.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑235‑11

 

INTITULÉ :                                                   GILEAD SCIENCES CANADA, INC.

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                        ET

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 8 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 3 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jason Markwell

Amy Grenon

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Eric Peterson

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jason Markwell

Amy Grenon

Norton Rose LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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