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 Date: 20120130

Dossier : T-1344-11

Référence : 2012 CF 110

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

ET

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT MODIFIÉS

 

[1]               Le 26 juin 2011, la Loi sur le rétablissement de la livraison du courrier aux Canadiens, LC 2011 ch 17 (la Loi spéciale) a été sanctionnée. En application de l’article 8 de la Loi spéciale, le 22 juillet 2011, la ministre du Travail (la Ministre) a nommé l’honorable Coulter A. Osborne à titre d’arbitre des offres finales dans l’arbitrage du différend qui oppose la Société canadienne des postes (l’employeur) et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le syndicat).

 

[2]               Le syndicat demande aujourd’hui à la Cour d’annuler cette décision au motif que la Ministre a exercé de façon déraisonnable sa discrétion en faisant abstraction de deux qualités essentielles requises de l’arbitre, soit être bilingue et avoir une certaine expertise reconnue en matière de relations de travail.

 

[3]               Le 20 octobre 2011, la Cour a ordonné la suspension des procédures devant l’arbitre jusqu’à ce qu’une décision finale intervienne sur la demande de contrôle judiciaire (2011 CF 1207), laquelle ordonnance a été portée en appel par l’employeur (A-414-11). Le mérite de la demande de contrôle judiciaire devait être débattu les 24 et 25 janvier 2012. De manière fort élégante, l’arbitre a démissionné le 1er novembre 2011, laissant le soin à la Ministre de désigner entretemps un nouvel arbitre.

 

[4]               Près de trois mois plus tard, un nouvel arbitre n’a toujours pas été désigné par la Ministre. De fait, le 24 janvier 2012, la Cour a entendu de façon concurrente une requête en rejet présentée par le Procureur général du Canada (le défendeur) et la demande de contrôle judiciaire du syndicat.

 

[5]               L’employeur a choisi de ne pas prendre position sur le mérite de la demande de contrôle judiciaire, tandis que le défendeur demande son rejet, plaidant dans un premier temps que celle-ci est devenue académique, et, quant au fond, si la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’entendre et de décider l’affaire, que la décision de la Ministre n’est pas déraisonnable. Au passage, l’employeur a soumis à la Cour d’appel fédérale « qu’il existe toujours un litige actuel entre les parties » (représentations écrites en date du 16 décembre 2011 de l’employeur dans le dossier A‑414-11).

 

            Requête en rejet du défendeur

[6]               Les principes juridiques régissant l’application de la doctrine du caractère théorique d’une instance sont énoncés dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342. Il s’agit d’une analyse en deux étapes faisant appel à la discrétion de la Cour.

 

[7]               La Cour détermine d’abord si un litige actuel existe toujours entre les parties, ou bien si le différend concret et tangible a disparu entre elles dans les faits.

 

[8]               Dans ce dernier cas, la Cour examinera s’il est opportun de juger l’affaire au mérite, prenant en compte l’existence d’un contexte contradictoire, l’économie des ressources judiciaires et le rôle qu’elle exerce en matière de l’élaboration du droit. La Cour peut accorder plus ou moins de poids à chaque critère et peut également prendre en considération tout autre facteur qu’elle juge pertinent compte tenu des circonstances particulières de la cause.

 

[9]               Il y a trois parties au présent dossier : le syndicat, l’employeur et le défendeur. Tous ont des intérêts distincts à faire valoir, qu’il s’agisse de l’agent négociateur, de l’entreprise concernée et du gouvernement.

 

[10]           Le syndicat soumet que l’annulation de la décision de la Ministre, malgré la démission de l’arbitre, est utile et constitue un remède adéquat dans les circonstances. Le syndicat plaide qu’il a déjà subi un grave préjudice en procédant devant un arbitre unilingue et que la seule façon de réparer celui-ci, c’est d’annuler la décision de la Ministre et tout recommencer devant un nouvel arbitre.

 

[11]           On parle ici de l’imposition par un tiers non proposé par l’employeur et le syndicat d’une convention collective qui régira les parties jusqu’au 31 janvier 2015 à la suite d’un processus d’arbitrage d’offres finales. Je suis d’accord avec le défendeur que la démission de l’arbitre rend jusqu’à un certain point caduque la désignation ministérielle qui l’a précédée. D’un autre côté, il continue d’exister un différend entre les parties sur la légalité et les effets juridiques des décisions rendues par l’arbitre. En tout état la cause, qu’il y ait ou non encore un différend tangible, si je passe au deuxième volet du test, il s’agit d’un cas d’importance nationale, où la Cour doit exercer sa discrétion de juger l’affaire, considérant ici l’existence d’un débat contradictoire et l’économie des ressources judiciaires et le rôle général de la Cour.

 

[12]           En date des présentes, la Ministre ayant choisi de ne pas désigner un nouvel arbitre, le mystère continue de planer sur l’étendue de la discrétion ministérielle et les qualifications générales de la personne qui sera nommée à titre d’arbitre des offres finales. En effet, lors de l’audition du 24 janvier 2012, les procureurs du défendeur n’ont pas été en mesure de confirmer à la Cour si le futur arbitre serait ou non expérimenté en relations de travail et s’il serait ou non bilingue. Face à une telle incertitude, il n’y a pas de risque à courir. Il faudra donc recommencer à très court terme le présent processus judiciaire aux fins de faire déterminer de façon finale l’étendue de la discrétion ministérielle si la Ministre ignore les propositions d’arbitres qualifiés et bilingues qu’ont pu soumettre dans le secret l’employeur et le syndicat, pour arrêter son choix sur une personne n’ayant peut-être aucune expertise reconnue en relations de travail ou qui n’est pas bilingue.

 

[13]           D’un autre côté, la Cour a déjà tout mis en œuvre pour entendre la demande de contrôle judiciaire et a déployé des efforts considérables pour juger l’affaire à son mérite à l’intérieur d’un court délai de trois mois. Depuis le début, l’employeur prend la position que la question de la légalité de la désignation de l’arbitre est du ressort du défendeur, ayant même antérieurement exprimé le désir de ne plus être désigné dans la procédure à titre de défendeur, tout en s’étant vivement opposé à ce que les procédures d’arbitrage soient suspendues. Ceci milite fortement à ce que la question de la discrétion ministérielle et des qualifications de l’arbitre soient tranchées plus tôt que tard afin d’éviter une autre suspension d’instance devant un autre arbitre.

 

[14]           Considérant l’intérêt de la justice et le fait que la Cour est aujourd’hui à même de trancher les questions touchant à la constitutionnalité et la légalité de la décision ministérielle, il y a lieu de décider l’affaire au mérite, la Cour ayant eu le bénéfice de lire les représentations écrites du syndicat et du défendeur et d’entendre pendant une journée entière leurs procureurs. D’ailleurs, le procureur de l’employeur était présent à l’audience du 24 janvier 2012.

 

[15]           En conséquence, la requête au rejet du défendeur est rejetée par la Cour avec dépens.

 

            Légalité de la clause privative

[16]           S’agissant premièrement du pouvoir de la Cour d’examiner la légalité de la nomination de l’arbitre et de toute action ou décision de l’arbitre, l’article 12 de la Loi spéciale a toutes les apparences d’une clause privative parfaite. Toutefois, le défendeur soumet que la clause privative doit être interprétée de façon restrictive afin de respecter la primauté du droit qui protège le rôle constitutionnel des cours de justice de revoir la légalité des actions du gouvernement et des tribunaux administratifs.

 

[17]           Je suis d’accord avec l’approche du défendeur.

 

[18]           En conséquence, il n’y a pas lieu de rendre une ordonnance annulant ou déclarant inapplicable constitutionnellement l’article 12 de la Loi spéciale comme le demande instamment le syndicat.

 

            Norme de contrôle judiciaire

[19]           La Ministre n’exerce pas un pouvoir décisionnel au sens strict car elle ne détermine pas les droits des parties à la convention collective. En effet, il incombe exclusivement à l’arbitre nommé par la Ministre en vertu de l’article 8 de la Loi spéciale de choisir l’offre finale de l’employeur ou du syndicat.

 

[20]           N’empêche, c’est la Ministre qui choisit l’arbitre des offres finales et, en ce sens, on peut dire que cette décision a un effet concret sur le processus d’arbitrage. Le choix d’un arbitre « qualifié » n’est pas un exercice banal ni fortuit. Autrement, la Ministre choisirait le premier venu ou se contenterait de nommer l’un ou l’autre des noms qui lui sont proposés par l’employeur et le syndicat à titre d’arbitre qualifié.

 

[21]           Au passage, il arrive fréquemment que la Ministre ait à nommer des arbitres en vertu des dispositions du Code canadien du travail, LRC 1985, ch L-2 lorsque les parties à une convention collective ne s’entendent pas sur le choix d’un arbitre. En pareil cas, la Ministre choisit une personne dont le nom apparait sur une liste d’arbitres du Ministère du Travail. Dans le cas présent, le choix de la Ministre ne s’est pas arrêté sur l’un des noms proposés par les parties ni sur les noms d’arbitres se retrouvant dans la convention collective ou sur la liste des arbitres du Ministère du Travail.

 

[22]           Considérant la nature de la décision en cause, l’expertise institutionnelle de la Ministre et l’existence d’une clause privative, la Cour convient avec les procureurs du syndicat et du défendeur que la norme de contrôle qui convient à l’examen de la décision en cause est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

 

            Étendue de la discrétion ministérielle

[23]           Il va de soi que l’arbitre désigné en vertu de l’article 8 de la Loi spéciale doit être indépendant et impartial. Il doit également être « qualifié » selon la Ministre. En l’espèce, le défendeur voudrait que l’exercice du pouvoir ministériel, qu’il qualifie de discrétionnaire, ne soit assujetti à aucune contrainte, balise ou critère au sujet de la compétence et des qualifications de l’arbitre. Bref, il suffit que la Ministre soit de bonne foi et qu’elle juge une personne « qualifiée » pour que s’arrête là l’exercice de révision de la Cour.

 

[24]           La Cour ne partage pas l’avis du défendeur. Ce n’est pas ce qu’enseigne la jurisprudence et le sens commun, non plus que l’économie de la Loi spéciale et le contexte particulier de relations de travail dans lequel œuvre les parties à la convention collective. Toute discrétionnaire que soit la désignation ministérielle, il n’existe pas de discrétion absolue (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817).

 

[25]           D’un côté, l’exercice par la Ministre de son pouvoir de désigner l’arbitre de son choix ne doit pas aboutir à une injustice flagrante ou pénaliser indûment l’employeur ou le syndicat, ni créer un sentiment d’insécurité et d’incertitude tels que la crédibilité du processus d’arbitrage d’offres finales est remise en question.

 

[26]           Or, c’est justement ce qui risque de se produire, lorsqu’écartant toutes les candidatures de personnes qualifiées qui lui proposées par les parties à la convention collective, donc à première vue acceptables, la Ministre nomme une personne dont les compétences linguistiques et l’expertise reconnue en relations du travail sont fortement remises en cause par l’une ou l’autre des parties à la convention collective, ici le syndicat.

 

[27]           En pareil cas, la Cour doit être en mesure d’examiner la raisonnabilité de la décision de la Ministre, ce qui suppose un examen des motifs, s’il en est, à la lumière de l’ensemble de la preuve au dossier et des représentations des parties. 

 

[28]           En l’espèce, l’absence de transparence dans le processus de désignation qui a été suivi par la Ministre, le peu d’éléments de preuve et de motifs justificatifs fournis par la Ministre, le caractère laconique des communications de la Ministre, soulèvent un questionnement sérieux et indiquent que la Ministre semble avoir exclu de son analyse à titre de critères pertinents, l’expérience antérieure de la personne désignée dans le domaine de relations de travail et les exigences de bilinguisme découlant du contexte particulier dans lequel l’arbitre des offres finales aura à rendre sa décision finale.

 

[29]           La Cour conclut que la décision rendue le 22 juillet 2011 est déraisonnable et doit être annulée.

 

            Expérience dans le domaine des relations de travail

[30]           Le défendeur suggère qu’en vertu de la Loi spéciale, la personne désignée ne doit pas nécessairement connaître le secteur des postes ni même avoir une expérience reconnue dans les relations de travail, mais permettre à la Ministre d’ainsi choisir à sa guise une personne n’ayant aucune expertise reconnue en relations de travail, c’est suggérer qu’en bout de ligne, aucune déférence ne soit accordée à la décision que pourrait rendre l’arbitre des offres finales. Ou bien l’arbitre des offres finales est un spécialiste ou bien il s’agit d’un généraliste. La Cour est d’avis qu’il doit s’agir ici d’un spécialiste ayant une expérience pertinente en relations de travail.

 

[31]           Le défendeur soumet que puisque l’arbitre des offres finales n’a pas explicitement en vertu de la Loi spéciale le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les lois relatives à l’emploi, il faut en déduire que celui-ci ne doit pas posséder une expertise pertinente en matière de relations de travail, ni connaitre les conditions de travail, ni le milieu postier. Je ne suis pas de cet avis. Du point de vue de la Cour, l’économie de la Loi spéciale et, notamment la clause privative, invitent les tribunaux supérieurs à ne pas substituer leur opinion à celle de l’arbitre au sujet de l’offre finale qui devrait constituer la prochaine convention collective.

 

[32]           De par sa nature, le présent arbitrage de différend fait appel à l’exercice d’une compétence exceptionnelle et spécialisée de l’arbitre des offres finales, qui devra rédiger sa décision de façon à servir de nouvelle convention collective (paragraphe 11(4) de la Loi spéciale). Or, la convention collective des postiers contient un ensemble complexe de dispositions diverses régissant l’ensemble des conditions de travail de la main-d’œuvre, soit quelque 50 000 travailleurs et travailleuses des postes. Les deux parties à la convention collective doivent notamment fournir à l’arbitre une liste des questions qui font toujours l’objet d’un différend.

 

[33]           D’autre part, pour choisir l’offre finale, l’arbitre doit notamment se fonder « sur la nécessité de conditions de travail qui sont compatibles avec celles de secteurs postaux comparables et qui fourniront à la Société canadienne des postes la souplesse nécessaire à sa viabilité économique et sa compétitivité à court et à long terme, au maintien de la santé et de la sécurité des ses travailleurs et à la viabilité de son régime de pension » (paragraphe  11(2) de la Loi spéciale).

 

[34]           Un tel cadre législatif suggère que le décideur possède au départ, avant d’accepter un mandat de la Ministre, une certaine expertise au niveau des questions mentionnées aux articles 10 et 11 de la Loi spéciale. D’ailleurs, les réponses données par la Ministre devant le Sénat lors des discussions sur le projet de la Loi spéciale semblent suggérer que la personne choisie possédera une expérience reconnue dans le domaine des relations de travail et pertinente aux multiples questions pointues que l’arbitre aura à trancher avant de retenir une offre finale.

 

[35]           Dans le milieu du travail, la convention collective c’est la loi suprême, la Constitution liant l’employeur, l’agent négociateur et les employés de l’unité de négociation visée. Selon le modèle traditionnel, librement négociée et consentie, la convention collective doit être le gage d’une sécurité de part et d’autre, tout en assurant le maintien de la paix industrielle et la réalisation des projets de l’entreprise, et ce, dans le respect des aspirations légitimes des travailleurs et travailleuses. Bien entendu, la convention collective n’est jamais parfaite ni une panacée : le fruit de nombreux compromis, elle est revue et corrigée par les parties à chaque exercice de négociation collective. Les concessions réciproques que se font les parties, dans le secret, entre quatre murs, sont autant d’arcanes de la négociation collective.

 

[36]           Au fil du temps, après de nombreuses années, les arbitres de grief, qui interprètent à leur tour la convention collective, peuvent jouir d’un regard privilégié sur les coutumes et les pratiques des parties. Pourtant, malgré l’expertise acquise par les arbitres de grief au fil des ans, leur venue à titre d’arbitres de différend doit se mériter. Les parties à la convention collective se revendiquent le droit de tout législateur et n’apprécient guère les apprentis sorciers. Pour décrypter les codes et utiliser les clés de relations de travail qui sont propres aux parties et à l’entreprise, il y a tout un univers à connaître et à découvrir. Cela peut requérir des années d’expérience. C’est pourquoi les deux parties à la convention collective sont en général très réticentes à ce qu’un tiers intervienne pour en déterminer le contenu. Lorsque cela se produit, les parties s’attendent normalement à ce que ce soit un tiers expérimenté possédant une expérience reconnue dans le milieu des relations du travail, et de préférence qui connaîtra tant soit peu l’entreprise et les défis de l’industrie dans laquelle opère cette entreprise.

 

[37]           Dans l’arrêt SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 (SCFP), s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, le Juge Binnie écrit au sujet du système d’arbitrage obligatoire imposé dans le secteur hospitalier en Ontario en vertu de la Loi sur l’arbitrage des conflits de travail dans les hôpitaux (LACTH):

108 Dans la jungle des relations du travail, l’arbitrage obligatoire est une bête que l’on comprend assez bien.  Le juge en chef Dickson, dissident pour d’autres motifs dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, a fait remarquer, à la p. 380 :

 

Le but d’un tel mécanisme [l’arbitrage obligatoire] est d’assurer que la perte du pouvoir de négociation par suite de l’interdiction législative des grèves est compensée par l’accès à un système qui permet de résoudre équitablement, efficacement et promptement les différends mettant aux prises employés et employeurs.

 

109 L’arbitrage en matière de relations du travail en tant que mécanisme de règlement des différends repose traditionnellement et fonctionnellement sur le consentement, l’arbitre étant choisi par les parties ou étant acceptable par chacune d’elles.  L’intervenante, la National Academy of Arbitrators (Canadian Region), a fait valoir que [traduction] « [l]’arbitrage qui est ou qui est perçu comme étant politique plutôt que rigoureusement quasi judiciaire n’est plus un arbitrage ».  L’intervenante ajoute ceci :

 

[traduction]  Si l’arbitre est l’agent de l’une ou l’autre partie ou du gouvernement ou s’il est perçu comme tel, ou encore s’il est désigné pour servir les intérêts de l’une ou l’autre partie ou du gouvernement, le système s’aliène la confiance des parties qui est essentielle à la paix et à la stabilité des relations du travail [. . .] L’absence de confiance dans l’arbitrage entraînerait des conflits de travail et l’interruption des services, lesquels représentent le problème même que l’arbitrage impartial des différends vise à prévenir.

 

...

 

111 Je conclus donc que, même si le pouvoir conféré au par. 6(5) est énoncé en termes généraux, le législateur a voulu qu’en faisant son choix le ministre prenne en considération l’expertise pertinente en matière de relations du travail ainsi que l’indépendance, l’impartialité et l’acceptabilité générale dans le milieu des relations du travail.  Lorsque je parle d’« acceptabilité générale », je ne veux pas dire que les candidats doivent toujours être acceptables par toutes les parties ou encore par les parties à un différend particulier visé par la LACTH.  J’entends seulement par là que les candidats ont de l’expérience en matière de relations du travail et sont généralement perçus dans le milieu des relations du travail comme jouissant d’une grande acceptabilité auprès des syndicats et du patronat en raison de leur indépendance, de leur neutralité et de leur expertise confirmée.

 

112 Je ne considère pas que ces critères sont vagues ou incertains.  Les relations du travail au pays sont devenues un domaine  très spécialisé.  Un grand nombre d’arbitres professionnels en droit du travail dépendent, pour leur subsistance, de leur capacité reconnue de satisfaire à ces critères.  En plus d’être réputés à l’échelle nationale pour leur aptitude à résoudre des conflits de travail, certains d’entre eux sont des juges retraités.  Du point de vue du ministre, non seulement y a-t-il une réserve importante de candidats reconnus, mais encore la LACTH lui accorde une grande latitude pour faire son choix (c’est-à-dire pour choisir le candidat « qui, à son avis, est compéten[t] »).  Il en résulte un cadre tout à fait acceptable à l’intérieur duquel le législateur a voulu accorder au ministre une liberté d’action considérable, mais non illimitée, pour faire des désignations conformes aux fins et aux objets de la LACTH.

 

 

 

[38]           Les principes généraux énoncés plus haut par la Cour suprême du Canada s’appliquent avec autant de force dans le cas d’un arbitrage d’offres finales en vertu de la Loi spéciale. Rappelons que dans l’affaire SCFP, la désignation de juges à la retraite pour agir à titre de présidents de conseils d’arbitrage de différend posait problème malgré le fait que deux arbitres respectivement désignés par les parties syndicale et patronale siégeaient déjà sur ces conseils d’arbitrage. Il y avait donc une certaine expertise institutionnelle. Qui plus est, l’exercice que sera appelé à effectuer seul dans le présent dossier l’arbitre des offres finales sera encore plus périlleux et risqué : il n’est pas question d’arbitrer un différend mais de choisir une offre finale – formant un tout global – en fonction d’un ensemble d’éléments techniques, possiblement divergents qui découlent de l’article 10 ou qui sont énumérés à l’article 11 de la Loi spéciale.

 

[39]           Précisons que dans un arbitrage de différend traditionnel, les possibilités de compromis ne sont pas éliminées et l’équité n’est pas totalement exclue. Par contre, l’arbitrage d’offres finales débouche sur l’unilatéralisme législatif. Par l’effet de la Loi spéciale, on a affaire à un conflit de travail judiciarisé où le jeu des rapports habituels de force ne balise plus les offres finales que feront les deux protagonistes. C’est le vainqueur désigné par l’arbitre des offres finales, qui dictera au perdant, pour les trois prochaines années (et peut-être de façon rétroactive), les conditions de travail des travailleurs et des travailleuses des postes, et les limites, s’il en est, aux droits de gérance de l’employeur (paragraphe 11(4) et article 14 de la Loi spéciale). Le poids des responsabilités est donc énorme; il s’agit d’un exercice de haute voltige, sans doute plus politique que juridique, car c’est de légitimité dont on parle ici et non de légalité.

 

[40]           À terme, il reviendra à l’arbitre des offres finales de convaincre le perdant, dans sa décision exécutoire immédiatement, qu’après tout, l’offre finale du vainqueur est la plus raisonnable, compte tenu des limites et des critères qui lui on été dictés par le Parlement, ici l’article 11 de la Loi spéciale, déterminisme politique oblige. Il sera donc facile de faire de l’arbitre des offres finales un bouc émissaire. La rhétorique du milieu des relations de travail associera invariablement le vainqueur à son messager. Cela ne peut être que néfaste pour l’entreprise et les travailleurs et travailleuses, ainsi que le gouvernement lui-même. En l’espèce, si dès le départ, la candidature de l’arbitre pose problème ou n’est pas acceptable pour le perdant, c’est toute la confiance dans ce système extraordinaire de détermination des conditions de travail, qui s’en trouvera ébranlée. Prudence oblige si l’on désire éviter la création d’un climat de relations de travail pourri pour les années à venir.

 

[41]           À ce chapitre, la preuve soumise par le syndicat et l’historique des relations de travail des deux parties à la convention collective confirme que la désignation des arbitres de grief ou de différend antérieurement choisis par les parties ou désignés par la Ministre ou ses prédécesseurs jouissaient tous d’une expertise relative pertinente en matière de relations du travail.  Leur acceptabilité dans le milieu des relations du travail n’était pas en cause. Il en était de même de leurs compétences linguistiques lorsque l’audition d’une affaire pouvait requérir l’audition de témoins et de représentations orales dans les deux langues officielles, ce qui nous amène au dernier point soulevé par le syndicat.

 

            Le bilinguisme à la Société canadienne des postes

[42]           La preuve au dossier n’appuie pas la prétention du défendeur à l’effet que le syndicat aurait renoncé à quelque droit quasi-constitutionnel découlant de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, ch 31 (4e suppl) (LLO), mais je n’ai pas à me prononcer sur la question de savoir si l’arbitre des offres finales constitue un « tribunal fédéral » au sens de la LLO.

 

[43]           En effet, même si je présume pour les fins des présentes que les dispositions de la LLO ne s’appliquent pas à l’arbitre des offres finales, la décision de la Ministre de ne pas nommer une personne bilingue, n’en demeure pas moins déraisonnable ici.

 

[44]           Faut-il le rappeler, l’employeur est une société d’État assujettie aux obligations de la LLO et la langue de travail de ses employés est le français et l’anglais, qui ont toutes les deux une valeur égale en vertu de la LLO. De plus, la convention collective des postiers prévoit que les textes anglais et français ont valeur officielle.

 

[45]           Comme la Loi spéciale fait directement appel à un examen minutieux par l’arbitre des offres finales des textes officiels de la convention collective actuellement en vigueur à la lumière des offres finales qui viendront, le cas échéant, modifier de manière substantielle les textes actuels, il est inconcevable en l’espèce que la personne désignée par la Ministre ne soit pas bilingue.

 

[46]           Il m’apparait que l’arbitre des offres finales doit être capable de lire la convention collective et les offres finales dans les deux langues officielles. Enfin, forcer une partie à la convention collective, ses représentants et ses témoins à procéder ou à témoigner à l’audition contre leur gré dans l’autre langue officielle est non seulement injuste et préjudiciable, mais à terme, ceci pourrait justifier la Cour de casser la décision finale rendre par l’arbitre des offres finales désigné par la Ministre.

 

            Conclusion

[47]           En conclusion, il ne s’agit pas d’imposer à la Ministre telle ou telle personne. Toutefois, la décision rendue le 22 juillet 2011 par la Ministre est déraisonnable et celle-ci doit être annulée par la Cour. Cela nous apparait le seul remède possible compte tenu des problèmes déjà évoqués par les parties qui ne s’entendent pas sur les effets de la démission du juge Osborne.

 

[48]           En date des présentes, la Cour n’a pas été informée par les parties qu’il y avait eu désignation d’un nouvel arbitre des offres finales et dont le choix par la Ministre serait acceptable aux deux parties à la convention collective.

 

[49]           En conséquence, il est demandé à la Ministre de tenir compte des présents motifs et de s’assurer que la personne choisie possède notamment une certaine expérience reconnue en relations du travail et est bilingue, avant de désigner un nouvel arbitre des offres finales.

 

[50]           Compte tenu du résultat, le syndicat a droit aux entiers dépens contre le défendeur. Vu que l’employeur n’a pas pris position quant au mérite de la demande de contrôle judiciaire mais a seulement contesté la requête en injonction et en suspension d’instance, les dépens contre l’employeur sont limités à cette dernière requête.

 


JUGEMENT

LA COUR DÉCLARE ET ADJUGE :

1.                  La requête en rejet du défendeur est rejetée et la demande de contrôle judiciaire du syndicat est accueillie en partie;

 

2.                  La demande de déclaration d’inopérabilité ou d’annulation de l’article 12 de la Loi spéciale est refusée;

 

3.                  La décision du 22 juillet 2011 de la Ministre de désigner l’honorable Coulter A. Osborne est annulée;

 

4.                  Avant de désigner un nouvel arbitre des offres finales, la Ministre devra tenir compte des motifs de jugement de la Cour et devra s’assurer que la personne choisie possède notamment une certaine expérience reconnue en relations du travail et est bilingue;

 

5.                  Le syndicat a droit aux entiers dépens contre le Procureur général du Canada. Le syndicat a droit aux dépens contre l’employeur en ce qui a trait à la requête en injonction et en suspension d’instance seulement.

 

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1344-11

 

INTITULÉ :                                       SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               24 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      27 janvier 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Me Gilles Grenier

Me Claude Leblanc

Me Bernard Philion

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Me Lukasz Granosik

 

POUR LE DÉFENDEUR

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

Me Nadine Perron

Me Claude Joyal

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Trudel Nadeau

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Norton Rose OR S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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