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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120130

Dossier : T-737-08

Référence : 2012 CF 113

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 30 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

EUROCOPTER
(SOCIÉTÉ PAR ACTIONS SIMPLIFIÉE)

 

demanderesse/
défenderesse reconventionnelle

 

et

 

BELL HELICOPTER
TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

défenderesse/
demanderesse reconventionnelle

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente affaire est un scénario classique de contrefaçon et d’invalidité de brevet. Eurocopter allègue que son concurrent, Bell Helicopter Textron Canada Limitée (Bell), a contrefait le brevet canadien no 2 207 787 (le brevet 787), qui se rapporte à un train d’atterrissage à patins pour hélicoptère. Bell nie avoir contrefait le brevet 787 et, dans une demande reconventionnelle, sollicite son invalidation.

 

[2]               La Cour fera tout d’abord référence aux parties en cause (paragraphes 3 et 4), au brevet en litige (paragraphes 5 à 14) ainsi qu’au litige proprement dit (paragraphes 15 à 38). Cela sera suivi d’un examen du cadre juridique applicable (paragraphes 39 à 80). Après avoir passé en revue les preuves factuelles et les preuves d’expert (paragraphes 81 à 153), la Cour présentera la chronologie des faits pertinents (paragraphes 154 à 184) et interprétera ensuite le brevet en litige (paragraphes 185 à 249). Suivront ensuite ses conclusions au sujet de la contrefaçon (paragraphes 250 à 292) et de la validité (paragraphes 293 à 376). Finalement, il sera question à la fin des présents motifs des déclarations et des réparations (paragraphes 377 à 464).

 

I.                    LES PARTIES EN CAUSE

[3]               Eurocopter, la titulaire du brevet 787, a son siège à l’Aéroport International Marseille/Provence (France) et exploite ses activités au Canada par l’entremise d’Eurocopter Canada Limited, qui n’est pas partie à l’instance. Eurocopter est un acteur important au sein du marché civil et parapublic des hélicoptères, et elle détient 850 brevets qui ont généré près de 2 500 titres aux quatre coins du globe.

 

[4]               Bell est constituée en société en vertu des lois du Canada et son principal lieu d’affaires est situé à Mirabel (Québec). Sa société mère, Bell Helicopter Textron Incorporated (Textron), exploite ses activités à Fort Worth (Texas); elle appartient en totalité à Textron Incorporated, dont le siège se trouve à Providence (Rhode Island). Bell englobe l’éventail complet des activités de recherche et de fabrication au sein du marché civil et parapublic des hélicoptères.

 

II.                 LE BREVET EN LITIGE

[5]               Le brevet 787, intitulé « Train d’atterrissage à patins pour hélicoptère », a été délivré le 31 décembre 2002 à Eurocopter à la suite d’une demande déposée le 5 juillet 1997, revendiquant la priorité sur le fondement d’une demande de brevet portant le numéro 96 07158, déposée en France le 10 juin 1996. Le brevet 787 expirera le 5 juin 2017.

 

[6]               Le brevet 787 est écrit en français. Cela dit, une traduction en anglais a été établie pour le litige par le cabinet ALL LANGUAGES LTD. La Cour traitera plus tard de toute différence ou de toute ambiguïté quant au choix de mots particuliers qui ont été utilisés dans la traduction anglaise, si cela est important pour les questions soulevées par les parties.

 

[7]               M. Henri Fernand Louis Barquet, M. Pierre Prud’homme-Lacroix et M. Joseph François Robert Mairou sont les inventeurs nommés du train d’atterrissage décrit et revendiqué dans le brevet 787. L’invention divulguée est présentée comme une grande innovation dans le secteur des trains d’atterrissage à patins pour hélicoptère léger. Même s’il n’en est pas question comme tel dans le brevet 787, ce train d’atterrissage est appelé familièrement « train à moustache » en français et il est appelé en anglais « Moustache landing gear » (ci-après, le train d’atterrissage Moustache).

 

[8]               L’invention divulguée dans le brevet 787 se rapporte à un train d’atterrissage d’hélicoptère, plus particulièrement destiné aux hélicoptères légers, et il est formé de deux patins comportant chacun une plage longitudinale d’appui au sol et reliés à une traverse avant et à une traverse arrière, elles-mêmes assujetties à la structure de l’appareil par des organes de liaison, la traverse arrière étant fixée par les extrémités de ses branches descendantes à la partie arrière des deux plages longitudinales d’appui.

 

[9]               Selon l’invention divulguée dans le brevet 787, le train d’atterrissage, du type décrit plus tôt, est caractérisé par le fait que chacun des patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement par rapport aux plages longitudinales d’appui sur le sol, au-dessus du plan de ces dernières. De la sorte, les deux zones de transition constituent ensemble une traverse avant intégrée, décalée vers l’avant ou vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

 

[10]           La figure 1 du brevet 787 est une vue isométrique d’une réalisation de l’invention divulguée :

 

[11]           Comme on peut le voir, dans cette réalisation l’invention divulguée a la forme d’un traîneau et sa traverse avant est inclinée et décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des deux patins.

 

[12]           Le brevet 787 comporte seize revendications. La revendication 1 est l’unique revendication indépendante; les revendications 2 à 16 sont des revendications dépendantes. En français, leur texte est le suivant :

1.      Train d’atterrissage pour hélicoptère, comprenant deux patins présentant chacun une plage longitudinale d’appui au sol et reliés à une traverse avant et à une traverse arrière elles-mêmes assujetties à la structure de l’hélicoptère par des organes de liaison, la traverse arrière étant fixée par les extrémités de ses branches descendantes à la partie arrière desdites plages longitudinale d’appui, caractérisé en ce que chacun desdits patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement auxdites plages longitudinales d’appui au sol, au-dessus du plan de ces dernières, les deux zones de transition constituant ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

2.      Train d’atterrissage selon la revendication 1, caractérisé en ce que l’ensemble des patins et traverses est constitué de tubes d’aluminium.

3.      Train d’atterrissage selon la revendication 2, dans lequel l’aluminium desdits tubes se caractérise par une limite égale à environ 75 % de la résistance à la rupture, et par un allongement relatif à la rupture au moins égal à 12 %.

4.      Train d’atterrissage selon la revendication 2 ou 3, caractérisé en ce que l’épaisseur de paroi des tubes constituant lesdites traverses avant et arrière est dégressive entre la partie centrale de la traverse et sa jonction au patin correspondant.

5.      Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisé en ce que les extrémités des branches descendantes de la traverse arrière sont fixées auxdites plages longitudinales d’appui des patins par l’intermédiaire de manchons en aluminium.

6.      Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que ladite traverse avant est constituée de deux demi-branches reliées l’une à l’autre vers le milieu de ladite traverse avant par un moyen de jonction démontable et établissant la continuité de ladite traverse avant en flexion.

7.      Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que ladite traverse avant est constituée d’une seule branche dont les extrémités sont chacune reliées par un moyen de jonction démontable à la partie avant du patin correspondant, ce moyen de jonction étant disposé entre les deux courbures de la zone de transition concernée.

8.      Train d’atterrissage selon la revendication 6 ou 7, caractérisé en ce que lesdits moyens de jonction sont constitués par un système de manchon vissé en aluminium ou par un collier de fixation.

9.      Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 8, caractérisé en ce que lesdits organes de liaison entre lesdites traverses avant et arrière et la structure de l’hélicoptère sont du type à frottement contrôlé en rotation, comportant à cet effet deux demi-colliers ou analogues enserrant le tube de la traverse, avec interposition d’un palier de matériau élastique du genre élastomère.

10.  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 9, caractérisé en ce qu’il comporte au moins trois organes de liaison à la structure de l’hélicoptère, dont un assujetti centralement sur l’une desdites traverses et les deux autres assujettis, en étant mutuellement écartés de part et d’autre de l’axe longitudinal du train, sur l’autre traverse.

11.  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 9, caractérisé en ce qu’il comporte quatre organes de liaison à la structure de l’hélicoptère, assujettis deux par deux sur l’une et l’autre traverse, en étant mutuellement écartés de part et d’autre de l’axe longitudinal du train.

12.  Train d’atterrissage selon la revendication 11, caractérisé en ce que la traverse avant ou arrière présente, entre deux tronçons de traverse, une interruption dans sa partie centrale, et en ce que lesdits organes de liaison à la structure de l’hélicoptère sont assujettis en tant qu’articulations à rappel élastique aux extrémités desdits tronçons.

13.  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 12, caractérisé en ce que ladite traverse arrière est constituée, pour sa partie avant, d’un tube à profil aérodynamique cintré formant bord d’attaque, ce tube étant prolongé vers l’arrière par un carénage rapporté formant bord de fuite.

14.  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 13, caractérisé en ce que des marchepieds sont fixés sur les lesdites zones de transition inclinées à l’avant des patins, au-dessous des portes d’accès à la cabine, ces marchepieds s’étendant, à partir desdites zones de transition, uniquement vers l’arrière.

15.  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisé en ce que ladite traverse avant intégrée est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

16.  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisé en ce que ladite traverse avant intégrée est décalée vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

 

[13]           Par souci de commodité, la traduction du texte des revendications 1 à 16 que l’agence ALL LANGUAGES LTD a établie est reproduite ci-dessous :

1.      Helicopter landing gear, comprising two skids each having a longitudinal ground support surface and connected to a front cross piece and a rear cross piece which are themselves attached to the structure of the helicopter by connecting devices, the rear cross piece being attached by the ends of its descending branches to the rear part of said longitudinal support surfaces, characterized in that each of said skids has at the front an inclined transition zone with double curvature orienting itself transversely in relation to said longitudinal ground support surfaces, above the plane of the latter, the two transition zones together constituting, in this way, an integrated front cross piece, offset in relation to the front delimitation of the plane of contact of the longitudinal support surfaces of the skids on the ground.

2.      Landing gear according to revendication 1, characterized in that the assembly of skids and cross pieces is made of aluminium tubes.

3.      Landing gear according to revendication 2, wherein the aluminium of said tubes is characterized by a limit equal to approximately 75% of the fracture strength, and by a relative elongation at fracture at least equal to 12%.

4.      Landing gear according to revendication 2 or 3, characterized in that the wall thickness of the tubes making up said front and rear cross pieces is degressive between the central part of the cross piece and its junction with the corresponding skid.

5.      Landing gear according to any of revendications 1 to 4, characterized in that the ends of the descending branches of the rear cross piece are attached to said longitudinal support surfaces of the skids by means of aluminium couplings.

6.      Landing gear according to any revendications 1 to 5, characterized in that the said front cross piece consists of two half-branches interconnected towards the middle of said front cross piece by a removable junction means and establishing continuity of said front cross piece in bending.

7.      Landing gear according to any of revendications 1 to 5, characterized in that said front cross piece consists of a single branch whose ends are each connected by a removable junction means to the front part of the corresponding skid, said junction means being arranged between the two curves of the transition zone in question.

8.      Landing gear according to revendication 6 or 7, characterized in that said junction means consist of a screwed coupling system made of aluminium, or of an attachment collar.

9.      Landing gear according to any revendications 1 to 8, characterized in that said connecting devices between said front and rear cross pieces and the structure of the helicopter are of the type with controlled friction in rotation, comprising for this purpose two half-collars or similar devices surrounding the tube of the cross piece, with the interposition of a bearing made of elastic metal of the elastomer type.

10.  Landing gear according to any of revendications 1 to 9, characterized in that it includes at least three devices for connection to the structure of the helicopter, one of them being attached centrally to one of said cross pieces and the other two being attached, while being mutually spaced on either side of the longitudinal axis of the gear, to the other cross piece.

11.  Landing gear according to any of revendications 1 to 9, characterized in that it includes four devices for connection to the structure of the helicopter, two of them being attached to one and two to the other of the cross pieces, and being mutually spaced on either side of the longitudinal axis of the gear.

12.  Landing gear according to revendication 11, characterized in that the front or rear cross piece had, between two sections of cross piece, a gap in its central part, and wherein said devices for connection to the structure of the helicopter are attached as articulations with elastic return to the ends of said sections.

13.  Landing gear according to any of revendications 1 to 12, characterized in that said rear cross piece consists, for its front part, of a bent tube having an aerodynamic profile forming a leading edge, this tube being extended towards the rear by an added fairing forming a trailing edge.

14.  Landing gear according to any revendications 1 to 13, characterized in that steps are attached to said inclined transition zones at the front of the skids, below the access doors to the cabin, three steps starting from said transition zones and extending only towards the rear.

15.  Landing gear according to any revendications 1 to 14, characterized in that said integrated front cross piece is offset forwards in relation to the front delimitation of the plane of contact of the longitudinal support surfaces of the skids on the ground.

16.  Landing gear according to any of revendications 1 to 14, characterized in that said integrated front cross piece is offset backwards in relation to the front delimitation of the plane of contact of the longitudinal support surfaces of the skids on the ground.

 

[14]           Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, Eurocopter soutient que les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 sont contrefaites, tandis que Bell prétend que les revendications 1 à 16 sont invalides pour un certain nombre de motifs.

 

III.               LE LITIGE

[15]           Eurocopter allègue la contrefaçon du brevet 787 du fait de deux modèles distincts de train d’atterrissage associés à l’hélicoptère Bell 429 : le train Legacy et le train Production (les trains d’atterrissage en litige). Les faits essentiels ne sont pas contestés sérieusement ou ont par ailleurs été l’objet d’un exposé conjoint des faits et d’admissions.

 

[16]           Le recueil conjoint des pièces (RC), qui compte dix-huit volumes, inclut le dossier de première instance (vol. 1) et quelque 540 pièces, que la Cour a toutes prises en considération (même si elles ne sont pas expressément mentionnées ou analysées dans les présents motifs du jugement). Les parties ont reconnu l’authenticité et la teneur de la majorité de ces pièces, mais pas de toutes.

 

[17]           Pour arriver aux conclusions de fait et de droit qui suivent, la Cour a également pris en compte les témoignages de vive voix d’un certain nombre de témoins factuels et experts, de même que les pièces additionnelles (P‑1 à P‑93 et D‑1 à D‑76), dont les extraits et les rapports d’expert, qu’Eurocopter et Bell ont déposés respectivement au cours du procès, qui a duré six semaines, en janvier et en février 2011.

 

[18]           Sauf indication contraire dans les présents motifs, toutes les objections soumises à réflexion au cours du procès au sujet de questions posées ou de documents produits par les avocats sont par les présentes rejetées, et la Cour souscrit aux arguments qu’ont invoqués les avocats des parties en présence sans les répéter dans les présents motifs (voir à cet égard les transcriptions, les argumentations écrites et le tableau des objections).

 

[19]           Dans son action, Eurocopter allègue que les trains d’atterrissage en cause contrefont les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 du brevet 787 (les revendications en litige). Soit dit en passant, Eurocopter allègue également que Bell a fait des déclarations fausses et trompeuses au public et à ses acheteurs potentiels en prétextant avoir conçu, pour la première fois, un train d’atterrissage ayant la forme d’un traîneau (le train Legacy) et qui est l’une des réalisations de l’invention revendiquée. 

 

[20]           Les trains d’atterrissage en cause sont des objets matériels lourds et de grande taille, qu’il était impossible de déposer physiquement devant la Cour. Les pièces RC‑216 et RC‑271 illustrent fidèlement le train Legacy et ses composants, et la pièce RC‑243 et les dessins figurant dans les pièces RC‑405, RC‑477 et RC‑485 illustrent fidèlement le train Production et ses composants.

 

[21]           Soit dit en passant, le 14 février 2011, la Cour a examiné en personne les trains d’atterrissage en cause, de même que l’hélicoptère Bell 429 et d’autres modèles, à l’installation de Mirabel. Lors de cet examen, la Cour a été guidée par les commentaires de vive voix des experts des parties. Toute la séance a été enregistrée sur bande magnétoscopique (pièce C-1) et une transcription a été établie en conséquence.

 

[22]           Le train Legacy, parfois appelé le « train original » dans la documentation, a été mis au point par Bell entre 2004 et 2007. Il est fait d’un alliage d’aluminium. Aeronautical Accessories Inc., une société liée à Bell, en a fabriqué vingt-et-un. Le premier vol du Bell 429 équipé du train Legacy a eu lieu le 27 février 2007. Les vingt-et-un trains d’atterrissage se trouvent en quarantaine depuis le début de la présente action, soit le 9 mai 2008.

 

[23]           Voici une vue isométrique du train Legacy :


[24]           La présente action en contrefaçon a été introduite en mai 2008. Eurocopter n’a pas envoyé de lettre de mise en demeure à Bell. L’action ne visait au départ que le train Legacy. Après avoir pris connaissance de la poursuite d’Eurocopter, Bell s’est empressée de modifier le train Legacy, ce qui a donné lieu à la mise au point du train Production.

 

[25]           Voici une vue isométrique du train Production, lui aussi fait d’aluminium :


[26]           Le 9 juin 2008, Eurocopter a modifié sa déclaration de façon à inclure le train Production.

 

[27]           Aux yeux d’Eurocopter, le train Legacy n’est rien de plus qu’une simple copie du train d’atterrissage Moustache breveté, dont une réalisation est illustrée à la figure 1 du brevet 787. Cela étant, tous les éléments essentiels mentionnés dans les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 9, 10 et 15 du brevet 787 sont présents dans le train Legacy. Eurocopter allègue également que les changements apportés au train Legacy, lesquels ont donné naissance au train Production, sont de nature purement esthétique et que, du point de vue fonctionnel, les deux trains sont équivalents. C’est donc dire que, dans le cas du train Production, il y a aussi contrefaçon de toutes les revendications en litige.

 

[28]           À part vouloir obtenir la déclaration habituelle de contrefaçon et la délivrance d’une injonction permanente, Eurocopter demande aussi qu’il soit ordonné à Bell de remettre ou de détruire les trains d’atterrissage contrefaits, que la Cour lui permette de choisir entre le paiement de ses dommages ou la restitution des profits de Bell et, en outre, des dommages-intérêts punitifs d’un montant de 25 000 000 $, avec les intérêts avant et après jugement et les dépens.

 

[29]           En l’espèce, la défense qu’oppose Bell aux allégations de contrefaçon du brevet 787 varie, selon le train d’atterrissage qui est en cause.

 

[30]           Pour ce qui est du train Production, tout en niant l’existence d’une équivalence fonctionnelle quelconque, Bell soutient que les changements faits après l’introduction de la présente action (un manchon et un petit ski en saillie à l’avant du train d’atterrissage) suffisent pour trancher les allégations de contrefaçon des revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 du brevet 787.

 

[31]           Pour ce qui est du train Legacy, tout en ne contestant pas que les éléments essentiels des revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 du brevet 787 sont présents, Bell nie tout de même qu’il y a eu contrefaçon : 1) Bell exécutait une réalisation antérieure et elle invoque donc la défense Gillette; 2) Bell utilisait le train Legacy dans le but d’obtenir une approbation réglementaire et elle peut donc bénéficier des dispositions de l’article 55.2 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, dans sa forme modifiée (la Loi).

 

[32]           Bell s’oppose également au droit qu’a Eurocopter à des réparations en equity et met en doute la compétence de la Cour pour ce qui est de décider si des déclarations fausses ou trompeuses ont été faites. De plus, Bell contre-attaque en soutenant que le brevet 787 et les revendications 1 à 16 de ce dernier sont invalides pour cause d’antériorité, d’évidence, d’absence d’utilité ou de prédiction valable, d’insuffisance du mémoire descriptif et d’absence de meilleure manière de réaliser l’invention, ainsi que de portée excessive.

 

[33]           En ce qui concerne l’utilité, Bell formule les allégations suivantes :

a)   l’utilité promise de l’invention revendiquée dans le cas de toutes les réalisations n’a pas été démontrée par l’inventeur à la date de dépôt du brevet au Canada;

b)   l’inventeur n’a pu se fier à une prédiction valable au sujet de l’utilité promise dans le cas de toutes les réalisations revendiquées;

c)   au procès, selon la preuve, une ou plusieurs des réalisations incluses dans les revendications ne respectent pas l’utilité promise.

 

[34]           Bell soutient également que la divulgation est insuffisante, à savoir que la meilleure manière de réaliser l’invention n’est pas indiquée : alinéas 27(3)b) et c) de la Loi. Par ailleurs, elle allègue que les revendications en litige sont d’une portée excessive par rapport à l’invention divulguée.

 

[35]           Pour sa défense, Eurocopter se fonde sur la présomption de validité des brevets en litige et elle soutient que Bell ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver l’absence d’utilité de l’invention divulguée ou d’une ou plusieurs des réalisations incluses dans les revendications. Par ailleurs, elle soutient qu’il ressort clairement de la preuve qu’à la date de dépôt du brevet au Canada, l’utilité promise a été respectée et qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation dans laquelle les inventeurs se fondent sur une prédiction valable.

 

[36]           L’argument de Bell selon lequel le train d’atterrissage Moustache était antériorisé repose sur deux groupes de documents : les documents de la NASA (RC‑201 et RC‑202) et les documents portant sur les collisions avec des obstacles (RC‑204, RC‑493 et RC‑497). Bell soutient que chaque série de documents divulgue tous les éléments de la revendication 1 du brevet 787, ce que nie Eurocopter, qui met par ailleurs en doute le caractère public allégué des documents de la NASA.

 

[37]           Subsidiairement, Bell soutient qu’il n’y a pas de différences entre l’idée originale des revendications 1 et 15 du brevet 787 à la lumière des documents sur les collisions avec des obstacles, des documents de la NASA et d’autres antériorités, dont le XV-1 (RC‑541, à la page 8235) et le XV-3 (RC‑208), de même que de plusieurs brevets et brevets de conception (RC‑539, RC‑528, RC‑529 et RC‑532). Tout en niant que ces éléments faisaient partie des connaissances générales usuelles, Eurocopter soutient que le critère de l’évidence n’est pas respecté.

 

[38]           Le 2 octobre 2009, une ordonnance de disjonction a été rendue en vue de couvrir le calcul des dommages-intérêts, dont des dommages-intérêts punitifs, destinés à Eurocopter et/ou des profits réalisés par Bell, par suite de la contrefaçon du brevet 787.

 

IV.              LE CADRE juridique APPLICABLE

[39]           Comme il n’existe pas de désaccord sérieux entre les parties quant au droit qui s’applique en l’espèce, il est plus pratique de traiter en premier des principes juridiques régissant les questions d’interprétation, de contrefaçon et de validité.

 

[40]           La première mesure que doit prendre la Cour avant de formuler une conclusion quelconque à propos de la contrefaçon ou de l’invalidité est d’interpréter les revendications du brevet en litige de façon à examiner comme il faut l’invention et la portée du monopole que celle-ci accorde. Les principes de base que la Cour suprême du Canada a énoncés dans les arrêts Free World Trust c Électro Santé Inc, [2000] 2 RCS 1024, 2000 CSC 66 (Free World Trust) et Whirlpool Corp c Camco Inc, [2000] 2 RCS 1067, 2000 CSC 67 (Whirlpool), constituent le point de départ de n’importe quelle interprétation de brevet.

 

[41]           Le respect du libellé des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité. Ce libellé doit être fait de manière éclairée et en fonction de l’objet. Cependant, on ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue (Free World Trust, précité, au paragraphe 31).

 

[42]           La mise en preuve d’éléments extrinsèques au sujet de l’intention de l’inventeur n’est pas autorisée lorsqu’on interprète les revendications d’un brevet (Free World Trust, précité, au paragraphe 66), mais il est toutefois permis de recourir au mémoire descriptif du brevet pour aider à comprendre les termes utilisés dans ces revendications. Cependant, si les mots employés dans une revendication sont clairs et non équivoques, cela est inutile (Procter & Gamble Co c Beecham Canada Ltd, 61 CPR (2d) 1, au paragraphe 24, [1982] ACF 10).

 

[43]           Le libellé des revendications, lorsqu’il est soumis à une interprétation fondée sur l’objet, montrera que certains éléments de l’invention revendiquée sont essentiels, tandis que d’autres ne le sont pas. L’inventeur qui crée dans les revendications une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui-même, et on ne peut élargir la portée de ces dernières en vue de faire disparaître cette restriction (Free World Trust, précité, au paragraphe 51). On ne peut pas non plus interpréter les revendications de manière atténuée dans le but d’exclure une interprétation qui invaliderait le brevet (ICN Pharmaceuticals Inc c Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1997] 1 CF 32, à la page 64, [1996] ACF 1065).

 

[44]           Une fois que la Cour a interprété les revendications du brevet, sa tâche suivante consiste à décider s’il y a bel et bien eu contrefaçon du brevet. Pour dire les choses très simplement, il y a contrefaçon si la totalité des éléments essentiels d’une revendication sont présents dans le produit, mais il n’y en a pas si un élément essentiel est différent ou omis; cependant, il peut tout de même y avoir contrefaçon si des éléments non essentiels sont substitués ou omis (Free World Trust, précité, aux paragraphes 31 et 68). Cela dit, un brevet n’est pas contrefait juste parce que le produit d’un défendeur arrive au même résultat que l’invention brevetée.

 

[45]           L’interchangeabilité des éléments non essentiels découle d’une interprétation éclairée du libellé des revendications au moment de la publication du brevet. Tant l’élément précisé dans la revendication que la variante qui n’utilise pas cet élément doivent être présentés à la personne dite « moyennement versée dans l’art ». Il incombe au breveté d’établir la « substituabilité » connue et évidente (Free World Trust, précité, au paragraphe 55). Si le breveté ne parvient pas à s’acquitter de ce fardeau, l’expression ou le mot descriptifs que renferme la revendication sont considérés comme essentiels à moins que la teneur des revendications n’indique le contraire (Free World Trust, précité, au paragraphe 57).

 

[46]           Les éléments essentiels ou non essentiels sont identifiés comme tels en fonction des connaissances usuelles de la personne moyennement versée dans l’art dont relève l’invention, ainsi qu’à la date à laquelle le brevet est publié (Free World Trust, précité, au paragraphe 31). Si la personne moyennement versée dans l’art aurait compris, d’après le libellé de la revendication, que le breveté entendait que l’une des exigences essentielles de l’invention était que l’on se conforme strictement au sens principal, cela signifie que la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication (Free World Trust, précité, aux paragraphes 31 et 58 à 60).

 

[47]           Il est important de faire la distinction entre la notion des « connaissances publiques » et celle des « connaissances générales courantes », dont le sens est plus restreint. Un élément de connaissance publique devient un élément de connaissance générale courante lorsqu’il est généralement considéré comme un bon fondement pour poursuivre par la majorité de ceux qui sont versés dans l’art en particulier ((Eli Lilly & Co c Apotex Inc, [2009] ACF 1229, au paragraphe 97, 2009 CF 991, conf. par 2010 CAF 240 (Eli Lilly & Co), citant General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co Ltd, [1972] RPC 457, aux pages 482 et 483 (CA)).

 

[48]           Pour établir si un élément d’information fait partie des connaissances générales courantes, la mesure la première et la plus importante consiste à en vérifier la source (Eli Lilly & Co, précitée, au paragraphe 100). Grâce aux puissants moteurs de recherche dont on dispose aujourd’hui, la distinction qui existe entre les connaissances publiques et les connaissances générales courantes peut paraître moins marquée ces derniers temps; pourtant, des documents qui ne sont disponibles qu’à l’interne peuvent ne pas faire partie des connaissances générales courantes.

 

[49]           La seconde mesure à prendre pour déterminer si un élément d’information fait partie des connaissances générales courantes est de décider de quel domaine provient cet élément, et si ce domaine est pertinent au brevet en question. On ne peut pas présumer que le technicien versé dans l’art, dénué d’imagination et non inventif, examinerait des réalisations antérieures dans d’autres domaines (Almecon Industries Ltd c Nutron Manufacturing Ltd, [1996] ACF 240, au paragraphe 67 (1re inst.) (QL), 108 FTR 161, conf. par (1997), 72 CPR (3d) 397, autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée, [1997] CSCR 374). Il doit exister une raison, appuyée par des éléments de preuve, qui inciterait une personne versée dans l’art à aller au-delà du domaine en cause (Laboratoires Servier c Apotex Inc, 67 CPR (4th) 241, au paragraphe 236, 2008 CF 825, conf. par 75 CPR (4th) 443 (CAF), autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée (33357) (Laboratoires Servier)).

 

La défense Gillette

[50]           Invoquant une défense Gillette, Bell a allégué qu’en fabriquant les trains Legacy ou Production, elle exécutait des réalisations antérieures. La défense Gillette est donc l’équivalent de la demande reconventionnelle de Bell selon laquelle le brevet 787 est invalide parce qu’il est antériorisé.

 

[51]           Essentiellement, il ne peut y avoir contrefaçon d’un brevet si ce que fait un défendeur a déjà été divulgué dans la réalisation antérieure : Gillette Safety Razor Co c Anglo-American Trading Co (1913), 30 RPC (2d) 465 (HL); Pfizer Canada Inc c Apotex (2005), 43 CPR (4th) 81, aux paragraphes 159 à 161, 2005 CF 1421; Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc (2009), 75 CPR (4th) 165, aux paragraphes 60 à 64, 2009 CF 320.

 

[52]           La question de savoir si la défense Gillette est en l’espèce un moyen de défense valide dépendra de l’analyse que fait la Cour et des conclusions qu’elle tire au sujet de l’antériorité, un aspect qui est analysé en détail dans la section portant sur l’antériorité.

 

La défense fondée sur la réglementation ou l’expérimentation

[53]           Dans la présente affaire, Bell soutient qu’aucun des vingt-et-un trains Legacy qu’elle a fabriqués n’a été vendu à des clients. Elle invoque le paragraphe 55.2(1) de la Loi, dont le texte est le suivant :

55.2 (1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.

55.2 (1) It is not an infringement of a patent for any person to make, construct, use or sell the patented invention solely for uses reasonably related to the development and submission of information required under any law of Canada, a province or a country other than Canada that regulates the manufacture, construction, use or sale of any product.

 

[54]           Le paragraphe 55.2(1) de la Loi invite la Cour à décider si l’utilisation, la fabrication ou la construction de l’invention brevetée « se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi ». Il existe une exception jurisprudentielle semblable à la contrefaçon, soit celle de l’expérimentation; l’idée est que la réalisation d’un produit breveté n’est pas une contrefaçon si elle vise à faire des expériences et des essais : Micro Chemicals Ltd c Smith Kline & French Inter-American Corp, [1972] RCS 506 et Merck & Co c Apotex Inc, [2006] ACF 671, 2006 CF 524 (Merck).

 

[55]           Bien que l’on ait utilisé le train Legacy lors du processus d’homologation de l’hélicoptère Bell 429, Eurocopter allègue que ce train d’atterrissage a servi en même temps à promouvoir les ventes de cet appareil. Eurocopter soutient donc que l’exception fondée sur la réglementation ou l’expérimentation ne s’applique pas en l’espèce.

 

L’utilité

[56]           Pour être brevetable, une invention doit être utile (article 2 de la Loi), entre autres exigences législatives. À son niveau le plus élémentaire, l’idée générale est que, à la date pertinente, il faut qu’il y ait eu une démonstration de l’utilité de l’invention ou, à défaut de cela, une prévision valable d’utilité, fondée sur les informations et les données scientifiques disponibles au moment de cette prévision. Une simple étincelle d’utilité suffit. En l’espèce, la date pertinente pour l’évaluation de l’utilité du train d’atterrissage Moustache est la date de dépôt du brevet au Canada, soit le 5 juin 1997.

 

[57]           Parallèlement, le breveté jouit d’une présomption de validité (paragraphe 43(2) de la Loi). C’est donc dire que si le breveté se doit d’établir l’utilité ou de prédire valablement l’utilité de toutes les réalisations revendiquées, le défendeur qui allègue l’absence d’utilité de l’invention ou l’invalidité du brevet pour divers motifs doit en faire la preuve : Laboratoires Servier, précitée, aux paragraphes 268 et 269; Eli Lilly & Co, précitée, au paragraphe 583.

 

[58]           Au Canada, on a établi une norme peu exigeante pour l’utilité. Il suffit que l’invention soit nouvelle, meilleure, moins coûteuse ou qu’elle offre un choix. Elle peut inclure un avantage ou l’évitement d’un désavantage (Pfizer Canada Ltd c Canada (Ministre de la Santé) (2006), 52 CPR (4th) 241 (CAF), au paragraphe 31, 2006 CAF 214). Mais il faut quand même poser la question, comme l’a fait la Cour d’appel d’Angleterre dans Lane-Fox c Kensington [1892], 9 RPC 413, à la page 417 : [traduction] « utile à quoi? ».

 

[59]           Comme l’a déclaré mon collègue le juge Hughes, c’est là qu’intervient la notion de « promesse » du brevet : Pfizer Canada Inc et al c Mylan Pharmaceuticals ULC et al, [2011] ACF 686, au paragraphe 211, 2011 CF 547 (Mylan Pharmaceuticals ULC). Il s’agit là d’une question de droit (Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Ltd (2010), 85 CPR (4th) 413, au paragraphe 80, 2010 CAF 197 (Eli Lilly Canada c Novopharm). La Cour doit examiner le mémoire descriptif sous l’angle d’une personne moyennement versée dans l’art, en prenant en considération les réalités commerciales, sans prévention favorable ni défavorable, et avec le souci d’en déterminer équitablement l’intention véritable (Mylan Pharmaceuticals ULC, précitée, au paragraphe 217).

 

[60]           En fin de compte, la question qu’il faut trancher est celle de savoir si le breveté a eu suffisamment d’informations sur lesquelles fonder la promesse, à la date du dépôt (Eli Lilly Canada c Novopharm, précitée, au paragraphe 81). Il convient toutefois de souligner qu’une simple hypothèse, même si elle s’avère justifiée après coup, n’est pas suffisante pour justifier un brevet valide. Cette exigence concorde avec l’idée selon laquelle le public a droit à un enseignement exact et utile en contrepartie du monopole que crée la Loi (Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153, aux paragraphes 83 et 84, 219 DLR (4th) 660 (Wellcome).

 

[61]           Si le brevet indique qu’un résultat utile a bel et bien été obtenu, il s’ensuit que cet énoncé est accepté pour ce qu’il dit, sous réserve d’être contesté dans le cadre d’un litige (Pfizer c Novopharm Limited, [2010] ACF 1200, aux paragraphes 80, 82, 87 et 88, 2010 CAF 242). Cependant, lorsque le brevet fournit certaines informations et ensuite, sur le fondement de ces dernières, prévoit un résultat, il faut que cette prévision soit « valable » (Mylan Pharmaceuticals ULC, précitée, aux paragraphes 225 et 226).

 

[62]           Le critère de la prévision (ou prédiction) valable a été énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Wellcome, précité, et il s’énonce comme suit :

1.      la prédiction doit avoir un fondement factuel;

2.      à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

3.      il doit y avoir divulgation suffisante.

 

[63]           De par sa nature propre, la règle de la prédiction valable présuppose que le travail du breveté n’est pas complet. Logiquement, il n’est donc pas nécessaire que la promesse soit réalisée à la date du dépôt, mais elle doit l’être en bout de ligne (Eli Lilly Canada c Novopharm, précité, au paragraphe 82).

 

[64]           Même si l’utilité promise a été démontrée à la date du dépôt du brevet au Canada ou s’il existait une prédiction valable, il est quand même possible de conclure à l’invalidité de la revendication de brevet s’il est établi au procès que cette revendication inclut des réalisations qui ne correspondent pas à l’utilité promise (Monsanto Co c Canada (Commissaire aux brevets), [1979] 2 RCS 1108, à la page 1122; Lundbeck Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), [2010] ACF 1504, au paragraphe 106, 2010 CAF 320). Cela se fait soit en démontrant que l’invention ne fonctionnera pas, soit qu’elle ne fera pas ce que promet le mémoire descriptif (Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd [1981] 1 RCS 504, à la page 525, (1981), 56 CPR (2d) 145 (Consolboard)).

 

[65]           Finalement, comme l’a souligné mon collègue le juge Hughes dans la décision Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 500, au paragraphe 95, 326 FTR 88, 167 ACWS (3d) 984, qui se fondait sur un extrait du professeur Blanco White, la notion d’utilité peut chevaucher celle de l’insuffisance et des représentations trompeuses aux termes du paragraphe 53(1) de la Loi (extrait également cité par mon collègue le juge Gauthier dans l’arrêt Bauer Hockey Corp c Easton Sports Canada Inc, [2010] ACF 431, au paragraphe 288, 2010 CF 361; conf. par 2011 CAF 83 (Bauer)).

 

Le caractère suffisant de la divulgation, les fausses déclarations et la portée excessive

[66]           En plus de satisfaire aux critères de la brevetabilité, il faut aussi qu’une invention soit suffisamment divulguée. Le mémoire descriptif représente le marché conclu entre la Couronne agissant pour le public et l’inventeur (Consolboard, précité, à la page 517). Le brevet doit donc contenir suffisamment d’informations pour qu’une personne moyennement versée dans l’art puisse réaliser l’invention.

 

[67]           Les revendications doivent être formulées de manière précise, sans être d’une portée excessive. Si les exigences de la divulgation ne sont pas remplies, le brevet sera invalide même s’il est nouveau, utile et non évident. Ces exigences concernant le mémoire descriptif d’un brevet sont énoncées aux paragraphes 27(3) et 27(4) de la Loi. Dans le cas d’une machine, le mémoire descriptif doit en expliquer le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application (alinéa 27(1)c) de la Loi).

 

[68]           Si l’inventeur omet des informations afin de conserver un avantage, s’il induit le public en erreur ou s’il ne communique pas l’étendue complète de ses connaissances, le mémoire descriptif est insuffisant. Cela dit, pour qu’il soit possible d’invalider un brevet en application du paragraphe 53(1) de la Loi, l’auteur de la demande doit d’abord établir qu’une allégation figurant dans la divulgation est fausse et, ensuite, que cette allégation est « importante » et « volontairement faite pour induire en erreur » (Wellcome, précité, au paragraphe 94; extraits cités aussi dans Bauer, précité, au paragraphe 323).

 

[69]           L’invalidité d’un brevet pour cause de portée excessive n’est pas mentionnée expressément dans la Loi; il s’agit simplement d’une application particulière des arguments de l’utilité ou de l’antériorité. Essentiellement, les revendications sont réputées être d’une portée excessive quant elles comportent des éléments non divulgués par l’inventeur qui ne sont pas utiles ou qui sont déjà présents dans les réalisations antérieures.

 

[70]           En l’espèce, Bell soutient que la divulgation est insuffisante, que la meilleure manière de réaliser l’invention n’est pas indiquée et que les revendications sont par ailleurs d’une portée excessive à cause de l’absence de l’utilité démontrée de certaines réalisations. Une divulgation suffisante est évaluée en fonction de la date de publication du brevet, soit le 10 décembre 1997. La meilleure manière de réaliser l’invention est évaluée en fonction de la date de priorité, soit le 10 juin 1996. Cela dit, Bell n’allègue pas que le brevet 787 est nul pour cause de fausses déclarations (paragraphe 53(1) de la Loi).

 

L’antériorité et l’évidence

[71]           L’antériorité et l’évidence sont toutes deux liées au contenu des réalisations antérieures, mais il s’agit de deux concepts distincts :

[…] l’évidence est une attaque contre un brevet en raison de son absence de valeur inventive. Celui qui conteste la validité du brevet dit en fait « N’importe qui aurait pu faire cela ». Celui qui plaide l’antériorité, ou absence de nouveauté, présume pour sa part qu’une invention a effectivement eu lieu mais il allègue qu’elle a été divulguée au public avant que soit présentée la demande de brevet. Le reproche est le suivant : « Votre invention est astucieuse mais elle est déjà connue ». (Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, à la page 293, [1986] ACF 87 (CAF) (Beloit)).

 

[72]           Un objet ne peut être breveté que s’il est nouveau (article 2 de la Loi). À cet égard, le paragraphe 28.2(1) de la Loi précise la date qui est pertinente pour la prise en compte des réalisations antérieures connues du public; il s’agit, en l’occurrence, du 10 juin 1996.

 

[73]           La divulgation doit avoir été faite dans un seul brevet ou une autre publication : « [i]l faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif » (Beloit, précité, à la page 297).

 

[74]           Le critère de l’antériorité, qui a été précisé davantage par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, [2008] 3 RCS 265, 2008 CSC 61 (Sanofi-Synthelabo), est un processus en deux volets. L’unique publication antérieure doit, à la fois, divulguer l’objet en question et la possibilité de le réaliser :

1)   Divulgation – la publication antérieure doit « divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet […]. À cette étape, les essais successifs sont exclus ».

2)   Le caractère réalisable – si la première exigence de la divulgation est remplie, le second élément établissant l’antériorité est le « caractère réalisable ». À cette étape, un certain nombre d’essais successifs peut être effectué.

 

[75]           Comme il est décrit ci-dessus, dans le cadre de son examen la Cour doit tout d’abord mettre l’accent sur le fait de savoir si l’objet exécuté dans les réalisations antérieures constituerait nécessairement une contrefaçon. Cet examen est donc forcément axé sur l’invention revendiquée, et uniquement sur les éléments essentiels de la revendication, convenablement interprétés (Ratiopharm Inc c Pfizer Ltd (2009), 76 CPR (4th) 241, au paragraphe 157, 2009 CF 711). De plus, il n’est pas nécessaire que les réalisations antérieures divulguent les avantages de l’invention brevetée (Eli Lilly & Co, précitée, aux paragraphes 396 à 398).

 

[76]           Le caractère réalisable est nécessaire, ce qui oblige à traiter de références d’antériorité qui n’ont jamais été mises en pratique (c’est ce que l’on appelle les « brevets fictifs » ou les « antériorités fictives »). En 1990, la Cour d’appel fédérale a déclaré : « une preuve d’anticipation axée sur des documents considérés comme des "paper patents" (brevets fictifs) […] n'aura pas le même poids qu'une preuve basée sur des brevets dont les concepts ont été réalisés » (Créations 2000 Inc c Canper Industrial Products Ltd (1990), 34 CPR (3d) 178, à la page 181, [1990] ACF 1029 (CAF)). Cependant, dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, précité, la Cour suprême n’a pas fait de distinction entre les brevets réalisés et les brevets fictifs. C’est donc dire que si les exigences de la divulgation et du caractère réalisable sont remplies dans le cas d’un brevet fictif, rien n’empêche en droit d’invalider le brevet en litige pour cause d’antériorité.

 

[77]           Le critère de la non-évidence est énoncé à l’article 28.3 de la Loi et, dans le cas présent, la date pertinente pour l’évidence est la date de priorité (conformément au paragraphe 28.1(1) de la Loi); il s’agit du 10 juin 1996.

 

[78]           Pour évaluer si une revendication de brevet est évidente ou non, la Cour doit appliquer le critère à quatre volets qu’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, précité, au paragraphe 67 :

1)   a) identifier la « personne versée dans l’art ».

 

      b) déterminer les connaissances générales usuelles pertinentes de cette personne;

 

2)   définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

3)   recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

 

4)   abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? 

 

[79]           L’examen relatif à l’évidence est axé sur l’idée originale, laquelle doit être déterminée en se reportant aux revendications, plutôt qu’au mémoire descriptif : Sanofi-Aventis Canada Inc c Apotex Inc (2009), 77 CPR (4th) 99 au paragraphe 267, 2009 CF 676; Laboratoires Servier c Apotex Inc. (2009), 75 CPR (4th) 443, au paragraphe 57, 2009 CAF 222, conf. par 2008 CF 825, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée (33357).

 

[80]           Pour déterminer si une revendication est évidente, la Cour a le droit d’« examiner tous les brevets et toutes les autres publications qu’un technicien compétent trouverait par “une recherche raisonnable et diligente” pour décider si la “combinaison” qui en résulte mène directement à l’invention » (Pfizer Canada Inc c Apotex Inc (2007), 61 CPR (4th) 305, au paragraphe 108, 2007 CF 971). Cependant, il faut hésiter à tirer une conclusion d’évidence à partir d’une combinaison de documents, car l’évidence est l’un des concepts les plus difficiles à saisir.

 

V.                 LES PREUVES FACTUELLES ET D’EXPERT

[81]           Dans cette section-ci, la Cour fera un survol des témoignages des témoins de fait, y compris une évaluation de leur crédibilité. Cela sera suivi d’une évaluation des qualifications des experts des parties, ainsi que d’un examen de leurs témoignages sur un certain nombre de points clés.

 

Les preuves factuelles

[82]           Comme il est d’usage dans les litiges en matière de brevets, des témoins ont été appelés pour présenter le contexte factuel approprié et expliquer les preuves documentaires incluses dans le recueil conjoint (RC). Trois témoins de faits ont été entendus pour le compte d’Eurocopter : MM. Pierre Prud’homme-Lacroix, Bernard Certain et Jean-Pascal Méo. Bell en a appelé cinq : MM. Guy Lambert, Robert Gardner, Walter Faessler, Pierre Rioux et Barry Kohler.

 

[83]           La plupart des témoins susmentionnés sont toujours au service de l’une ou l’autre des parties. Certaines réponses qu’ils ont données au procès sont de la nature d’un argument et tendent naturellement à concorder avec les positions que leur employeur a adoptées. Il convient donc d’accorder un poids approprié à ces parties de leurs témoignages, relativement à la totalité de la preuve. Après avoir examiné leurs témoignages, y compris les extraits (P‑22, P‑35, D‑5, D‑19 et D‑20), la Cour conclut que les témoins de faits ont été généralement dignes de foi. Il y a quelques invraisemblances ou un manque de preuves documentaires corroborantes sur quelques questions contestées.

 

[84]           Messieurs Certain et Prud’homme-Lacroix ont présenté le gros des preuves d’Eurocopter à propos du train d’atterrissage Moustache (l’invention divulguée) et de sa mise au point, y compris les calculs et les essais qui ont été faits en rapport avec divers trains d’atterrissage pour l’EC120 et l’EC130. M. Prud’homme-Lacroix est l’un des trois inventeurs nommés dans le brevet 787 et il est au service d’Eurocopter, ou de l’un de ses prédécesseurs, depuis 1982. M. Certain travaille comme ingénieur des essais en vol chez Eurocopter et ses prédécesseurs depuis les années 1970. Les deux témoins ont brossé un tableau clair des problèmes techniques qui ont été rencontrés et des solutions pratiques qui ont été envisagées ou retenues au cours de la période précédant le dépôt de la demande de brevet française en 1996. Leur témoignage corrobore le fait que la mise au point du train d’atterrissage d’un hélicoptère est un travail de conception et d’ingénierie hautement complexe, qui requiert un travail d’équipe concerté.

 

[85]           En 2010, M. Prud’homme-Lacroix a fait des calculs (RC‑153, RC‑155 et P‑15) dans l’intention présumée de fournir une illustration pratique des points avancés par M. Wood dans ses premier et troisième rapports d’expert ( (P‑40 et P‑68). Bell s’est opposée à ce que M. Prud’homme-Lacroix témoigne sur la question, et cette objection a été prise en délibéré; le témoin a été contre-interrogé en détail au procès sur la question. Le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve pertinente est une question qui est laissée au soin de la Cour.

 

[86]           Les pièces RC‑153, RC‑155 et P‑15 sont fondées sur les calculs et les données techniques d’Eurocopter dont M. Wood s’est servi dans ses rapports (pièces 6, 13 et 33). Dans la mesure où M. Prud’homme-Lacroix ne formule pas une opinion, son témoignage est admissible pour prouver l’établissement et la teneur d’un document dont M. Wood s’est servi. Par exemple, la pièce RC‑153, intitulée [traduction] « Approche masse-ressort simplifiée », illustre de manière pratique dans le premier rapport de M. Wood, qui est daté du 31 août 2010, la façon dont Eurocopter pouvait garantir en 1997 que la fréquence en mode « dans le plan » régressif et les fréquences naturelles en modes de corps rigide du giravion sur son train d’atterrissage étaient tenues séparées.

 

[87]           Le troisième témoin de faits appelé par Eurocopter a été M. Méo, qui s’est joint à cette société en 1994; il est aujourd’hui chef du Service « société » de la Direction juridique, qui est chargée du présent litige. M. Méo a donné un aperçu du portefeuille de brevets d’Eurocopter, du rôle de sa Section de la propriété intellectuelle ainsi que des mesures qui ont été prises en France et ailleurs en rapport avec la poursuite de l’affaire.

 

[88]           Le témoignage de M. Méo est pertinent dans la mesure où Bell a mis en doute le temps écoulé et l’absence d’une lettre de défaut, avant l’introduction de la présente action en mai 2008. Eurocopter soutient que les explications que M. Méo a données sont tout à fait raisonnables et qu’il ne faudrait pas la priver d’une réparation en equity.

 

[89]           Eurocopter s’était réservée le droit d’appeler un témoin de faits pour fournir une contre‑preuve, et elle avait annoncé plus tôt, à la conférence préparatoire au procès ainsi qu’au début de ce dernier, que ce témoin serait peut-être M. Prud’homme-Lacroix. Quand ce dernier a été rappelé, Bell s’y est opposée, et M. Prud’homme-Lacroix a témoigné sous toutes réserves. L’objection de Bell ayant maintenant été rejetée, le témoignage additionnel de M. Prud’homme‑Lacroix sur ses calculs figurant dans les documents qu’il a établis et sur lesquels les experts de Bell ont fait des commentaires au cours du procès est considéré comme pertinent dans la mesure où il aide la Cour à juger si les présomptions de fait des experts de Bell ou les critiques de ces derniers à propos de ces calculs ou de ces documents sont fondées ou non. Sinon, la Cour n’a accordé aucun poids au témoignage additionnel de M. Prud’homme-Lacroix.

 

[90]           Messieurs Lambert et Gardner ont présenté le gros de la preuve de Bell au sujet du programme relatif à l’hélicoptère Bell 429, des caractéristiques de cet aéronef ainsi que des raisons pour lesquelles Bell a adopté les train Legacy et Production (les trains d’atterrissage en litige). M. Lambert est présentement au service de Bombardier Aéronautique. Il a travaillé pour Bell de 1984 à 2009 et il y a exercé les fonctions d’ingénieur en chef du projet relatif au Bell 429 entre 2004 et la date d’homologation de cet aéronef, en 2009. Aux environs de la même période, M. Gardner était analyste principal de structures pour le Bell 429.

 

[91]           Messieurs Faessler et Rioux, qui sont au service de Bell et agissaient comme délégués de Transports Canada pour l’homologation des structures (relativement aux vibrations et à la stabilité, selon le cas), ont mis l’accent sur les aspects réglementaires et les déclarations faites par Bell, sur la mise à l’essai des trains d’atterrissage en litige et sur l’utilisation d’analyses par la méthode des éléments finis (logiciel LS-DYNA) en plus ou à la place d’essais de résistance aux chutes lors du processus menant à l’homologation du Bell 429.

 

[92]           Monsieur Rioux a notamment expliqué que le Bell 429 emploie plusieurs des mêmes méthodes contre la résonance au sol qui ont été utilisées pour les hélicoptère Bell antérieurs : des amortisseurs d’avance-retard et une traverse arrière pivotante, et que le Bell 429, avec sa traverse arrière pivotante, a une fréquence en mode roulis semblable à celle d’autres hélicoptères Bell multipales munis d’un culbuteur pivotant. Il a également déclaré que Bell simule une défaillance de la traverse arrière pivotante en bloquant la moitié du mouvement de roulis qu’autorise le pivot. Les essais et les simulations ont fait état de fréquences fort semblables pour les trains Legacy et Production, que le pivot soit bloqué ou non.

 

[93]           Lors de l’interrogatoire préalable, Bell s’est opposée à ce que l’on pose des questions et à ce que l’on communique les documents fournis à Transports Canada ainsi que les documents internes liés aux travaux de mise au point et aux essais concernant les trains d’atterrissage Legacy et Production, au motif qu’ils n’étaient pas pertinents. En infirmant la décision par laquelle le protonotaire avait accueilli l’objection formulée, la juge Tremblay-Lamer a conclu que « [l]es renseignements sur les tests et la correspondance entre Bell et Transports Canada sont pertinents à cet égard, pour montrer que le nouveau train d’atterrissage du Bell 429 [le train Production] “accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultant” que celui décrit par le brevet ‘787 ». À cet égard, selon la juge, « [s’]il faut établir que la similitude entre les revendications du brevet et un produit contrefacteur aurait été manifeste à la date de la publication du brevet, il n’en demeure pas moins que le demandeur doit, avant de se rendre à cette étape, établir l’existence même de cette similitude » [souligné dans l’original] ([2009] ACF 1408, au paragraphe 10, 2009 CF 1141).

 

[94]           En confirmant la décision de la juge Tremblay-Lamer, la Cour d’appel fédérale a réitéré que « les questions et les documents permettront directement ou indirectement à [Eurocopter] de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de [Bell] ». Cela dit, la Cour d’appel fédérale a précisé qu’« [i]l reviendra au juge du procès de répartir le degré de pertinence devant s’appliquer aux documents qui font l’objet de la présente décision dans le contexte d’une audition, où tous les pièces, témoins et documents pertinents auront été examinés et pris en compte » ([2010] ACF 740, au paragraphe 33, 2010 CAF 142).

 

[95]           À un certain point, la nature des questions posées à M. Rioux lors du procès est venue près de ressembler à une demande d’opinion d’un expert. La Cour accorde peu de poids à toute indication formulée par M. Rioux ou un autre témoin de faits entendu au procès comme quoi c’est la présence du pivot arrière, sur le train Legacy et le train Production, qui serait principalement responsable des caractéristiques en mode roulis de ces deux dispositifs (et non une similitude de géométrie alléguée avec le train d’atterrissage Moustache).

 

[96]           La Cour a maintenant examiné la volumineuse documentation portant sur l’homologation et la mise à l’essai des trains d’atterrissage en litige, documentation qui est incluse dans le recueil conjoint et qui a été produite à l’audience, en tenant compte de la totalité des éléments de preuve au dossier ainsi que des arguments que les parties ont avancés. La plupart des documents et des questions sont directement ou indirectement pertinents quant à la question contestée de la contrefaçon. Une bonne part de cette documentation a été examinée et commentée en détail par divers experts au procès. Leurs opinions divergentes sont traitées ailleurs.

 

[97]           En conclusion, la documentation relative à l’homologation et à la mise à l’essai des trains d’atterrissage en litige est utile jusqu’à un certain point pour déterminer si, à la date de la publication du brevet 787, la personne moyennement versée dans l’art aurait compris que la variante que Bell a introduite par la suite accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultant. Cependant, la Cour ne pourra répondre de manière définitive à cette question contestée qu’après avoir interprété le brevet 787.

 

[98]           Eurocopter s’est également opposée à ce que l’on produise la pièce D‑17, un document déposé par M. Rioux qui résume censément les fréquences des hélicoptères Bell. Bell a retiré la pièce D‑17. La Cour n’a donc accordé aucun poids au témoignage de M. Rioux sur la pièce D‑17 ainsi que sur les fréquences des hélicoptères Bell, même si ces éléments du témoignage de M. Rioux n’ont pas été officiellement radiés du dossier.

 

[99]           Monsieur Kohler n’a pas participé personnellement au programme relatif au Bell 429; il occupe actuellement le poste de président de Bell. Il a présenté des informations générales sur l’historique de Bell, sa gamme de produits, les retards subis lors de la fabrication du Bell 429 de même que les efforts de mise en marché qui ont été faits pour en promouvoir la vente au cours des années précédant son homologation en 2009.

 

[100]       Cela dit, une grande partie du témoignage de M. Kohler et de la preuve documentaire connexe est particulièrement pertinente pour la question des mesures de réparation. Par exemple, les positions que les parties occupent au sein du marché et le nombre des commandes passées et des ventes concernant le Bell 429 (avec ou sans les trains Legacy et Production) sont des aspects qui sont étroitement liés à la question des dommages-intérêts ou des profits. Tous les aspects économiques connexes sont mieux traités à la seconde étape de l’instance, le cas échéant.

 

Les preuves d’expert

[101]       La Cour a pris en considération les rapports écrits et les témoignages au procès de six experts qualifiés : MM. Andrew Logan, Edward Roberts Wood et François Malburet ont témoigné pour le compte d’Eurocopter, tandis que MM. Dewey Hodges, Farhan Gandhi et Thomas J. Toner ont été appelés pour le compte de Bell.

 

[102]       M. Logan est un expert en conception et en homologation d’hélicoptères. En plus de détenir au départ un baccalauréat ès sciences en génie mécanique (1964), il a obtenu une maîtrise en génie aérospatial en 1966. Il a plus de quarante années d’expérience dans le domaine des hélicoptères, et cela inclut la direction d’équipes chargées de la conception et de la mise au point de trains d’atterrissage d’hélicoptère. Il a été successivement au service de Hughes Helicopter, McDonnell Douglas, Boeing et MD Helicopters. Il a été membre du Comité des brevets chez Hughes Helicopter et McDonnell Helicopter. Il est notamment le coinventeur d’un certain nombre de brevets dans le domaine, dont un brevet américain portant sur un train d’atterrissage à patins. M. Logan a présenté trois rapports (P‑36, P‑67 et P‑87).

 

[103]       Monsieur Wood est un expert en aéromécanique, en dynamique et en résonance au sol, et il a acquis de l’expérience dans les domaines de la conception et de la mise au point d’hélicoptères, ainsi que dans celui de la mise à l’essai d’hélicoptères en vue de déterminer leur résonance au sol. L’expertise de M. Wood a trait à la dynamique des giravions. En plus de détenir au départ un baccalauréat ès sciences en génie civil (1951) et une maîtrise en mécanique technique (1955), il a obtenu un doctorat en génie en 1967. Il a travaillé pendant près de cinquante ans dans le secteur des hélicoptères à divers titres (Sikorsky Aircraft, Lockhead California Company et Hughes Helicopters/McDonnell Douglas-Boeing Helicopters). Il est professeur au Service de génie mécanique et aérospatial à la Naval Postgraduate School, à Monterey (Californie). M. Wood a présenté trois rapports d’expert (P‑40, P‑68 et P‑89).

 

[104]       Monsieur Malburet est un expert en acoustique, en mécanique vibratoire et en mécatronique dans le domaine des hélicoptères, et il a acquis de l’expérience dans le domaine de la résonance au sol. En plus de détenir au départ un baccalauréat ès sciences en génie mécanique (1990) et une maîtrise en vibration et en dynamique acoustique (DEA) (1991), il a obtenu un doctorat en génie mécanique en 1997. L’expertise de M. Malburet a notamment trait aux éléments dynamiques des hélicoptères, des drones et des ultralégers motorisés. Il est professeur-chercheur au sein d’une école de génie, les Arts & Métiers Paris Tech., à Aix-en-Provence (France). Il est le seul expert francophone que la Cour a entendu. Il a produit un seul rapport (P‑81).

 

[105]       Monsieur Hodges est un expert en dynamique des hélicoptères, ce qui inclut la stabilité aéromécanique, la dynamique structurale, l’aéroélasticité et la mécanique structurale, y compris les méthodes des éléments finis. En plus de détenir au départ un baccalauréat ès sciences en génie aérospatial (1969) et une maîtrise en génie aéronautique et astronautique (1970), il a obtenu un doctorat en aéronautique et en astronautique en 1973. Il a plus de quarante années d’expérience dans la dynamique des giravions, dont seize auprès d’un laboratoire de l’Armée des États-Unis et vingt-quatre à titre de professeur à plein temps. La plupart de ses recherches ont été axées sur la modélisation des giravions en vue d’en déterminer la stabilité. Il est actuellement professeur à la School of Aerospace Engineering, au Georgia Institute of Technology. Il a présenté deux rapports (D‑31 et D‑32).

 

[106]       Monsieur Gandhi est un expert en dynamique, en aéroélasticité et en stabilité aéromécanique dans le domaine des giravions (hélicoptères). En plus de détenir au départ un baccalauréat ès sciences en génie aéronautique (1989) et une maîtrise en génie aérospatial (1992), il a obtenu son doctorat en génie aérospatial en 1995. Sa thèse a porté sur la modélisation des amortisseurs élastomériques non linéaires et leurs effets sur l’aéroélasticité des rotors sans paliers. Il est devenu professeur agrégé en 2001 et professeur titulaire en 2006. Il occupe actuellement le poste de professeur en génie aérospatial à la Pennsylvania State University (Penn State). Il est également directeur adjoint du Penn State’s Vertical Lift Research Center of Excellence. Il a présenté deux rapports (D‑44 et D‑45).

 

[107]       Monsieur Toner est un expert en conception, en mise au point et en homologation d’hélicoptères, et il a acquis de l’expérience dans les ensembles rotor, les structures d’aéronef et les trains d’atterrissage. En plus de détenir au départ un baccalauréat ès sciences en génie mécanique (1979), il a obtenu une maîtrise en génie et en gestion en 1999. Il a travaillé pour la société Sikorsky Aircraft Corporation pendant plus de vingt ans (1980-2001). Il a occupé diverses fonctions, depuis celle de concepteur jusqu’à celle de gestionnaire, et il a une vaste connaissance de la configuration conceptionnelle des hélicoptères (notamment le RAH-66 Comanche et le programme du S‑92 chez Sikorsky). Il n’a pas travaillé dans le secteur des hélicoptères depuis les dix dernières années (2001-2011). Il a présenté deux rapports (D‑54 et D‑74).

 

[108]       Sauf indication contraire dans les présents motifs, la Cour a trouvé en général les preuves d’expert admissibles et pertinentes. Sauf indication expresse mentionnée ailleurs, il n’y a pas eu de divergence marquée entre les rapports écrits des experts et les témoignages que ceux-ci ont fait au procès. La Cour conclut qu’il n’y a pas lieu de mettre de côté les rapports écrits de l’un quelconque des six experts entendus au procès ou de faire entièrement abstraction de leurs témoignages; le défi consiste à décider quelle opinion privilégier en cas de désaccord.

 

[109]       Pour ce qui est de la question de la contrefaçon, la Cour a pris en considération les avis des experts d’Eurocopter, MM. Logan et Wood, en raison des opinions divergentes des experts de Bell, MM. Hodges, Gandhi et Toner, selon le cas. MM. Logan et Hodges sont ceux qui ont présenté l’analyse la plus complète de l’interprétation du brevet à l’appui de leurs conclusions respectives au sujet de la question de la contrefaçon. Bien que non négligeable, la contribution des autres experts est, de l’avis de la Cour, de nature accessoire et davantage axée sur les résultats.

 

[110]       Outre la question de l’interprétation des revendications, les avis de MM. Logan et Hodges sur la contrefaçon diffèrent quant à la question de savoir si, en 1997, il aurait été évident aux yeux de la personne moyennement versée dans l’art que les variantes n’auraient eu aucune incidence sur la manière dont fonctionne le train d’atterrissage. Pour dire les choses de manière fort simpliste, les avis divergents découlent d’un conflit de points de vue. M. Logan (qui est jumelé à M. Wood) considère la question sous l’angle de la réaction dynamique globale du train d’atterrissage, tandis que M. Hodges (qui est jumelé à M. Gandhi) la considère sous l’angle de la réaction de stress locale du train d’atterrissage.

 

[111]       Après avoir défini la personne moyennement versée dans l’art et interprété le brevet 787, M. Logan conclut dans son premier rapport (P‑36) que le train d’atterrissage Moustache constitue une évolution nouvelle et importante dans l’art de la conception des trains d’atterrissage d’hélicoptère. À son avis, le train Legacy s’inspire et reproduit à tous égards la totalité des éléments essentiels des revendications censément contrefaites, notamment la revendication indépendante 1 du brevet 787. Les changements que Bell a faits après le dépôt de la présente poursuite, et qui ont donné naissance au train Production, sont de pure forme; de plus, ce train s’inspire de ce qui est divulgué et revendiqué dans le brevet 787 et le reproduit . Cela étant, le train Production contrefait lui aussi les revendications censément contrefaites.

 

[112]       Selon M. Wood, si la forme du mode est la même pour les essais réalisés sur le Bell 429 équipé du train Legacy et du train Production, les deux trains d’atterrissage sont donc « équivalents ». Cette conclusion est quelque peu contestée par MM. Hodges et Gandhi, deux des experts de Bell, qui considèrent la question de l’équivalence non pas sous l’angle de la réaction dynamique générale (fréquences) des trains d’atterrissage comparés, mais sous celui de leur réaction structurale à des facteurs de charge (contraintes) au niveau local (c’est-à-dire la traverse avant).

 

[113]       Dans son premier rapport (P‑40), M. Wood corrobore l’affirmation de M. Logan selon laquelle le train Production est équivalent, du point de vue dynamique, au train Legacy. Il détermine notamment quels auraient été les analyses et les calculs que la personne moyennement versée dans l’art aurait réalisés en 1997 pour vérifier l’effet des changements relevés dans le train Production, par rapport à un train d’atterrissage d’hélicoptère divulgué et revendiqué dans le brevet 787.

 

[114]       M. Wood conclut que le fait de remplacer une courbe par un manchon ne change pas la façon dont le train d’atterrissage fonctionne. Il analyse notamment la pertinence et l’application du principe de Saint-Venant, des programmes d’analyse par éléments finis utilisés par Eurocopter et Bell, ainsi que de divers essais réalisés par Bell sur les trains d’atterrissage en litige, relativement aux exigences liées à la résonance au sol du processus menant à l’homologation de l’hélicoptère Bell 429 et de son train d’atterrissage.

 

[115]       Dans son rapport de réfutation (D‑32), M. Hodges présente son interprétation personnelle des revendications et des éléments essentiels. En plus d’indiquer que la totalité des éléments du train Production était connue des personnes versées dans l’art en 1997, M. Hodges met en doute l’affirmation de M. Logan selon laquelle certains éléments mentionnés dans la revendication 1 ne sont pas essentiels, notamment la double courbure de la zone de transition inclinée de la traverse avant. Il est vrai qu’une personne versée dans l’art comprendrait qu’une courbe peut avoir un faible rayon de courbure, mais elle comprendrait aussi que deux éléments rectilignes se joignant à angle et munis de raccords pour éviter une concentration de contraintes ne constituent pas une jonction courbée dans l’acception générale du terme.

 

[116]       M. Hodges nie aussi qu’il existe une équivalence fonctionnelle entre le train d’atterrissage de la revendication 1 du brevet 787 et le train Production, tant du point de vue structural que du point de vue de la réaction dynamique. Juste parce que les deux systèmes de train d’atterrissage « fonctionnent », c’est-à-dire qu’ils absorbent l’énergie et n’ont pas de problèmes de résonance au sol, ne veut pas dire que les mécanismes des deux systèmes sont identiques. Par exemple, le train Production est muni d’un pivot arrière autour duquel la structure est libre de tourner dans le sens du roulis, ce qui, de l’avis de M. Hodges, contribue dans une large mesure à régler les problèmes de résonance au sol.

 

[117]       Dans son rapport de réfutation (D‑45), M. Gandhi répond à M. Logan sur les questions d’état de la technique, d’interprétation et de contrefaçon, fait des commentaires sur l’analyse contenue dans le rapport de M. Wood et présente les résultats qu’il a lui-même obtenus à la suite d’une analyse d’éléments finis. Il critique notamment l’analyse des éléments finis de M. Prud’homme-Lacroix qui est utilisée dans le rapport de M. Wood, au motif qu’on n’aurait pas tenu convenablement compte du manchon situé à l’avant du train d’atterrissage.

 

[118]       Dans son rapport de réfutation (D‑54), M. Toner répond lui aussi à MM. Logan et Wood au sujet des questions d’état de la technique, d’interprétation et d’homologation. Il conclut, essentiellement, qu’une personne moyennement versée dans l’art ne serait pas en mesure de conclure que les différences entre la conception du train d’atterrissage breveté et celle du train Production de Bell n’auraient aucun effet important sur la manière dont l’invention fonctionne.

 

[119]       Dans son rapport en réplique (P‑67), M. Logan étoffe des aspects déjà abordés dans son premier rapport (P‑36). Critiquant l’approche que les experts de Bell ont suivie, il réitère que le train Production est équivalent du point de vue dynamique au train Legacy et que la distribution des contraintes n’est pas pertinente.

 

[120]       Dans son rapport en réplique (P‑68), M. Wood conclut que les experts de Bell n’ont pas prouvé de manière satisfaisante que le train Production ne fonctionne pas de la même façon que le train Legacy. Il réitère que la personne moyennement versée dans l’art trouverait tout à fait évident le remplacement de la courbure inférieure dans le train Legacy par un manchon dans le train Production. La distribution des contraintes (ou densité d’énergie de déformation) et la fréquence de tangage ne sont pas pertinentes pour les besoins de l’invention. Ce sont la forme du train d’atterrissage et le fait qu’il puisse fonctionner à la fois en mode flexion et en mode tension (ainsi qu’il est divulgué dans le brevet 787) qui sont responsables des propriétés de résonance au sol du Bell 429.

 

[121]       Dans son rapport de réfutation (P‑81), M. Malburet ne traite pas directement de la question de la contrefaçon. Cela dit, au procès, il a été notamment appelé à parler du sens de certains mots ou de certaines expressions utilisés dans le brevet 787, qui avaient censément créé une certaine confusion parce qu’ils avaient été mal traduits en anglais par le cabinet ALL LANGUAGES LTD. Malgré les objections des avocats de Bell, la Cour a décidé de tenir compte de cette partie de son témoignage pour l’interprétation de la revendication 1 du brevet 787.

 

[122]       Pour ce qui est maintenant de la question de la validité du brevet 787, dans leurs premiers rapports (D‑31 et D‑44) MM. Hodges et Gandhi donnent tous deux une définition de la personne moyennement versée dans l’art, traitent des connaissances générales courantes qu’aurait cette personne en 1996 et en 1997, expliquent un certain nombre de termes techniques, parlent de l’utilité promise et de la prédiction valable (caractère suffisant du mémoire descriptif et meilleur moyen de réaliser l’invention) du brevet 787 à la lumière de la divulgation et de la documentation contemporaine, et font état de leur compréhension des documents de la NASA (RC‑201 et RC‑202) et des documents portant sur les collisions avec des obstacles (RC‑204, RC‑493 et RC‑497).

 

[123]       Pour ce qui est de l’utilité, M. Hodges examine les calculs détaillés des contraintes concernant la géométrie du train d’atterrissage Moustache, qui a fini par être la version homologuée du train d’atterrissage dont a été muni l’EC120 (le train d’atterrissage surélevé). Il n’est pas sérieusement contesté que la personne moyennement versée dans l’art a besoin de tenir compte du poids du giravion au moment de choisir le nombre des organes de liaison (ou points d’attache) que doit comporter le train d’atterrissage Moustache. Cependant, il n’y a aucun document daté de 1997 ou d’avant qui a examiné l’utilisation de quatre organes de liaison ou plus. Il faut se rappeler que la revendication 1 du brevet 787 ne précise pas le nombre d’organes de liaison et doit être interprété comme en incluant au moins trois (la revendication 11 fait spécifiquement état de quatre organes de liaison).

 

[124]       Dans sa critique sur l’utilité, M. Hodges fait également référence à une note de service interne d’Eurocopter, datée du 22 mars 1999 (RC‑142, page 2387) et émanant de M. Prud’homme-Lacroix (cette note a été traduite par les avocats de Bell pour M. Hodges). Cette preuve indiquerait à une personne moyennement versée dans l’art que le domaine de stabilité du train d’atterrissage Moustache sur l’EC130 est limité par le deuxième mode de roulis, qui vient dangereusement près de la fréquence nominale du rotor lorsqu’on augmente le poids du giravion.

 

[125]       Monsieur Hodges souligne de plus qu’aucun document daté de 1997 ou d’avant ne présente les résultats de calculs ou d’essais de résonance au sol pour le train d’atterrissage Moustache sous  quelque configuration que ce soit, ce qui est [traduction] « fort surprenant » vu la promesse du brevet 787. Eurocopter ne conteste pas que les calculs et les essais de résonance au sol qui ont été faits au cours du programme de l’EC120 (qui a mené au dépôt de la demande du brevet 787) en vue de déterminer les fréquences naturelles et l’amortissement de diverses configurations de train d’atterrissage ont en fait été exécutés par Mme Véronique Cardin, dynamicienne travaillant chez Eurocopter, dans le Service chargé des vibrations.

 

[126]       Les experts ont souligné que Mme Cardin est l’auteure d’un certain nombre de documents, qui ont été officiellement déposés en preuve au procès par l’entremise de M. Prud’homme‑Lacroix. Cela inclut ses calculs concernant le train PT1 en 1992 et 1993 (RC‑108 et RC‑112), ainsi que le train d’atterrissage Moustache en 1999 (RC‑142 à RC‑144) et, finalement, un article publié qu’elle a présenté en mai 2000 à l’American Helicopter Society, sous le titre « Practical examples of new technology in dynamics as applied to Eurocopter products » (RC‑25) (l’article de Mme Cardin).

 

[127]       Commentant l’article de Mme Cardin (RC‑25) qui a été publié en 2000, M. Hodges critique certains des énoncés que cette dernière a faits à propos de la stabilité de la résonance au sol. Pour que M. Hodges soit convaincu que le train d’atterrissage Moustache élimine la résonance au sol (tout en évitant d’avoir à disposer de systèmes mécaniques anti-résonance au sol), Mme Cardin aurait dû assortir de valeurs numériques tous les paramètres pertinents utilisés dans le cadre de l’analyse de la résonance au sol, de pair avec les résultats obtenus, y compris les fréquences modales et l’amortissement modal.

 

[128]       Après avoir examiné maintenant la totalité des éléments de preuve (y compris la contre‑preuve des experts d’Eurocopter mentionnée ci-après), la Cour est d’avis que les critiques de M. Hodges contre l’article de Mme Cardin sont infondées. De l’avis de la Cour, M. Wood est celui qui a exprimé de la manière la plus logique et convaincante la compréhension qu’aurait une personne moyennement versée dans l’art. Par exemple, le reproche que fait M. Hodges à l’égard de l’inversion, faite par Mme Cardin dans son article, d’un facteur du critère bien connu de Coleman (RC‑25, à la page 304) est simplement une erreur d’écriture qui n’a pas d’incidence sur le reste de son raisonnement, ainsi que l’a expliqué M. Wood au procès.

 

[129]       La Cour a examiné le poids qu’il convenait d’accorder à l’article de Mme Cardin au vu du fait que les calculs et les paramètres techniques proprement dits que cette dernière a utilisés ne sont pas divulgués. Mme Cardin est toujours au service d’Eurocopter (mais pas au sein du Groupe de dynamique). Elle n’a pas témoigné au procès. M. Prud’homme-Lacroix a expliqué qu’il y avait chez Eurocopter deux classeurs de travaux de Mme Cardin, mais qu’il n’avait été possible d’en trouver qu’un seul. Il est utile de mentionner qu’on n’a pas pu trouver les calculs qu’elle a faits pour le train d’atterrissage Moustache en 1996, 1997 et 1998. Mme Cardin aurait été le meilleur témoin pour expliquer les calculs et le fondement factuel de l’article de 2000, ainsi que pour fournir une preuve directe sur les résultats manquants de ses études sur le train d’atterrissage Moustache, relativement à la régulation de fréquence et à la résonance au sol.

 

[130]       Dans son premier rapport sur la validité (D‑44), M. Gandhi réitère simplement que le peu de calculs faits avant le 5 juin 1997 et l’absence de calculs comparatifs sur un train d’atterrissage classique de référence ne lui permettent pas de conclure que l’utilité promise du train d’atterrissage Moustache a été démontrée, notamment en ce qui concerne la stabilité de la résonance au sol.

 

[131]       Certaines des opinions que M. Gandhi a exprimées font contraste avec des commentaires qu’il a faits antérieurement, soit en 2001 (avec Eric Hathaway) dans un article intitulé « Concurrently Optimized Aerolastic Couplings and Rotor Stiffness for Alleviation of Helicopter Aeromechanical Instability », (2001) 38 Journal of Aircraft 69, particulièrement aux pages 77, 78 et 80, note de bas de page 19 (P‑70).

 

[132]       Pour ce qui est des différents moyens d’éviter la résonance au sol et d’améliorer la stabilité, la Cour souligne que dans l’article de 2001 précité, M. Gandhi exprime l’avis que [traduction] « il est possible […] de concevoir un train d’atterrissage qui conserve davantage de rigidité verticale pour supporter le poids de l’hélicoptère, tout en offrant assez de souplesse en roulis pour aider à atténuer la résonance au sol ». À l’appui de cette déclaration, il est fait explicitement référence à l’article de Mme Cardin publié en 2000 (RC‑25).

 

[133]       Après avoir comparé le témoignage de M. Gandhi à celui des autres experts ayant témoigné au procès, la Cour accepte que le placement de fréquences, la solution retenue par Eurocopter dans le cas des trains d’atterrissage utilisés sur l’EC120 et l’EC130, constitue une autre solution de rechange à l’emploi de dispositifs amortisseurs.

 

[134]       Cela dit, tant M. Hodges que M. Gandhi, qui ont également exprimé leur avis sur l’antériorité et l’évidence, concluent dans leurs rapports sur la validité (D‑31 et D‑44) que les documents de la NASA (RC‑201 et RC‑202) et les documents portant sur les collisions avec des obstacles (RC‑204, RC‑493 et RC‑497) divulguent et réalisent l’objet de l’invention revendiquée, ou que cela est par ailleurs évident à la date pertinente.

 

[135]       Dans son rapport de réponse (P‑87), M. Logan signale qu’un grand nombre des références citées par les experts de Bell en tant que réalisations antérieures n’étaient pas publiquement disponibles ou se rapportent à un domaine technique non lié. Quoi qu’il en soit, il conclut que le brevet 787 n’est ni antériorisé ni évident. Cela dit, il ne traite pas des questions d’utilité, de prédiction valable, d’insuffisance du mémoire descriptif ou de la meilleure manière de réaliser l’invention que Bell a également soulevées.

 

[136]       Pour ce qui est de la question de la validité, dans son rapport en réfutation (P‑89) M. Wood met l’accent sur les commentaires qu’ont faits les experts de Bell à propos de l’absence d’utilité, du caractère suffisant de la divulgation et de la meilleure manière de réaliser l’invention décrite et revendiquée dans le brevet 787. Il souligne que l’utilité de ce brevet pourrait être simplement le fait qu’il offre un train d’atterrissage fonctionnel, et il conclut que son utilité a été démontrée avant le 5 juin 1997. M. Wood déclare également que les questions que les experts de Bell ont soulevées ont trait à la taille du train d’atterrissage et non à son utilité, et que la personne moyennement versée dans l’art saurait comment déterminer la meilleure configuration d’un train d’atterrissage à partir d’un hélicoptère donné. L’opinion de M. Wood sur l’utilité promise a été sérieusement contestée au procès par les autres experts.

 

[137]       M. Malburet a produit un rapport en réfutation (P-81) sur les questions d’antériorité, d’utilité et de suffisance. Il est évident qu’il n’a pas tenu compte de la documentation d’Eurocopter au sujet de la mise au point, des calculs et des essais du train d’atterrissage Moustache, pas plus que de la documentation de Bell concernant l’homologation du train Legacy ou Production. La Cour ne l’a donc pas interrogé sur ces documents. Pour la même raison, elle n’a accordé aucun poids aux critiques des rapports des experts de Bell sur la question de l’utilité.

 

[138]       Cela dit, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’écarter ou d’ignorer l’avis et les conclusions de M. Malburet au sujet de la suffisance de la divulgation (ce qui inclut la meilleure manière de réaliser l’invention) faite dans le brevet 787, ainsi que des questions d’antériorité ou d’évidence, compte tenu du reste de la preuve, y compris les avis concordants ou divergents des autres experts sur le sujet.

 

[139]       Le fait que l’un des inventeurs nommés, M. Prud’homme-Lacroix, ait pris part à certaines réunions organisées par les avocats d’Eurocopter avec les experts ne suffit pas pour jeter un doute sur l’indépendance de MM. Logan et Wood. La question de savoir si M. Prud’homme‑Lacroix a agi ou non comme une sorte d’« expert fantôme » dans la présente instance n’est pas importante non plus. Ce dernier n’a pas témoigné à titre d’expert qualifié, et les trois experts qualifiés d’Eurocopter, MM. Logan, Wood et Malburet, ont été dûment contre-interrogés au procès par les avocats de la partie adverse sur leurs opinions et, le cas échéant, sur toute contribution de la part de M. Prud’homme-Lacroix.

 

[140]       Il est tout à fait normal que les avocats informent leurs experts des notions juridiques applicables (personne moyennement versée dans l’art, élément essentiel d’une revendication, anticipation, évidence, etc.). En l’espèce, certaines parties des rapports des experts (d’Eurocopter ou de Bell) sont structurées comme des notes de service, mais cela n’est pas suffisant pour récuser ces experts. Le fait que les avocats ou un employé de Bell aient fait des recherches sur des réalisations antérieures n’interdit pas à MM. Hodges, Gandhi et Toner de faire part de leurs opinions sur le sujet.

 

[141]       En fin de compte, l’interprétation du brevet en litige et des réalisations antérieures est l’apanage exclusif de la Cour. Il est possible qu’un expert ou deux entendus dans le cadre du présent procès combinent en leur propre personne la totalité des connaissances spécialisées et de l’expérience pratique qu’une personne moyennement versée dans l’art est censée détenir. Cela dit, la Cour a été attentive et elle a examiné en détail la totalité des rapports d’expert produits au procès, en tenant compte du domaine particulier du génie dans lequel chacun des experts était dûment qualifié à l’audience, de la logique de son raisonnement, du caractère persuasif des exemples donnés et des explications fournies lors des interrogatoires et des contre‑interrogatoires, de l’existence de preuves corroborantes ainsi que de tous les autres facteurs pertinents avancés par les avocats, notamment le fait qu’un expert allait défendre un point de vue que les autres experts rejetaient.

 

[142]       Cela dit, la Cour a également tenu compte du fait qu’il est parfois arrivé que des témoins experts des deux parties soient ergoteurs et évasifs à l’audience, ce qui pourrait avoir une incidence sur le poids accordé à leur témoignage. Par exemple, il a fallu que la Cour intervienne pour que M. Logan réponde à la question de savoir si les mots « à l’avant » étaient essentiels dans la revendication 1 du brevet 787. En revanche, l’insistance avec laquelle M. Hodges a maintenu que le mot « intégré » signifie « continu » est une forme de défense et semble être centrée sur le résultat visé. M. Toner a travaillé pour Sikorsky Aircraft Corporation pendant plus de 20 ans, mais le fait qu’il n’ait pas été actif de manière constante dans l’industrie des hélicoptères depuis les 10 dernières années pose un problème. Quelques commentaires formulés à l’audience (comme : [traduction] « c’est une mauvaise conception ») sont également sujets à caution.

 

[143]       Lors des plaidoiries, les motifs de contestation des avocats de Bell à l’endroit de M. Wood sont devenus plus personnels. Ce dernier n’est pas un jeune homme. Ses gestes sont lents et il semble parfois avoir de la difficulté à entendre. Cela dit, la Cour a conclu que son témoignage était généralement fiable et cohérent; l’âge ne semble pas avoir affecté ses capacités mentales. Il y a eu des erreurs dans certaines des données dont le témoin s’est servi dans son premier rapport mais, dans l’ensemble, le témoignage de M. Wood n’a pas été [traduction] « embrouillé, farci d’erreurs et contradictoire » comme l’ont affirmé les avocats de Bell. À la barre, M. Wood a rapidement rectifié les erreurs commises, a donné des explications rationnelles et a illustré son raisonnement à l’aide de nombreux exemples.

 

[144]       Par ailleurs, il n’y avait rien de répréhensible à ce que M. Wood se serve de calculs établis par M. Prud’homme-Lacroix, avec le risque, naturellement, que cela pouvait miner le poids que la Cour devait accorder à son opinion d’expert (s’il était démontré que les calculs de M. Prud’homme-Lacroix étaient erronés).

 

[145]       Par exemple, la pièce RC‑155, intitulée « Analysis of various landing configurations » (Analyse de diverses configurations d’atterrissage) est une analyse comparative que M. Prud’homme-Lacroix a établie et que M. Wood a approuvée et qui présente une illustration pratique, dans le premier rapport de M. Wood, de la méthode des éléments finis qu’emploierait une personne moyennement versée dans l’art pour calculer diverses configurations de train d’atterrissage. Cette méthode aurait pu être appliquée en décembre 1997 par une personne moyennement versée dans l’art. Le modèle utilise comme ligne directrice les données relatives à l’EC120 et compare d’autres formes de train d’atterrissage. M. Wood aurait pu faire les calculs lui-même ou recruter quelqu’un d’autre pour le faire. La viabilité des informations que M. Wood a utilisées a été mise à l’épreuve lors des contre-interrogatoires.

 

[146]       Un point en litige particulier lors du procès a été la manière dont une personne moyennement versée dans l’art aurait interprété les résultats des essais réalisés par Bell sur les trains d’atterrissage censément contrefaits dans le cadre du processus d’homologation (2006‑2009). Les experts des deux parties ont eu amplement l’occasion de préciser si le placement de fréquence découlait du pivot spécial mis au point par Bell pour le dispositif de liaison arrière (à la place d’un culbuteur), plutôt que de la forme « traîneau » du train d’atterrissage ou de l’inclinaison de la traverse avant.

 

[147]       Jusqu’à un certain point, les aspects litigieux des témoignages de MM. Hodges et Gandhi sont soumis à la mise en garde suivante : ces deux hommes n’ont aucune expérience pratique de la conception de trains d’atterrissage d’hélicoptère ou de la résonance au sol. Même si leurs travaux de recherche ou leurs intérêts peuvent porter sur la stabilité aéromécanique, ce qui inclut des questions de résonance en l’air et au sol, la preuve au dossier dénote la mesure dans laquelle il est important, du point de vue d’une personne moyennement versée dans l’art, de participer de près à la conception et à la mise à l’essai d’aéronefs et de trains d’atterrissage.

 

[148]       Dans le domaine de l’aéronautique, les théoriciens américains et européens reçoivent de temps à autre des subventions du secteur privé de l’industrie des hélicoptères, ou prennent part à des projets de recherche en liaison avec ce dernier. Cela est manifestement le cas de M. Malburet (45 % du total des fonds de recherche qu’il reçoit proviennent d’Eurocopter), de M. Hodges (à l’époque où il a établi ses rapports, il avait manifestement obtenu un contrat de recherche de Textron pour mener des analyses sur la stabilité et la compensation des rotors, d’un montant approximatif de 155 000 $) et de M. Gandhi (deux projets pertinents à la présente affaire et mentionnés dans son rapport daté du 31 août 2010 ont semble-t-il été financés par Textron).

 

[149]       L’établissement des Arts et Métiers Paris Tech., qui est situé à Aix-en-Provence (France) et où travaille et enseigne M. Malburet, a une association institutionnelle avec Eurocopter, le seul fabricant d’hélicoptères en France. Aux États-Unis, tant le Georgia Institute of Technology que le Penn State Vertical Lift Research Center of Excellence, où travaillent et enseignent MM. Hodges et Gandhi sont associés à l’industrie des aéronefs et de l’aéronautique. Tous ces établissements, y compris leurs professeurs et leurs chercheurs, comptent sur le soutien de l’industrie.

 

[150]       La Cour ne croit pas que l’indépendance d’un expert travaillant comme chercheur doit dépendre du montant particulier d’argent ou du ratio de financement provenant de l’industrie, et cela inclut une partie à un litige en matière de brevet. Sans cela, rares sont les théoriciens qui pourraient témoigner devant la Cour. Il faut procéder à une évaluation particularisée, faite dans le contexte de la totalité des éléments de preuve produits et des positions adoptées par le témoin. À cet égard, le contre-interrogatoire est un outil particulièrement efficace pour démontrer que le témoin a un parti pris, qu’il manque de perspective et qu’il n’a pas assez de recul.

 

[151]       La Cour souligne que M. Malburet n’a pas été appelé à donner une opinion sur le fait de savoir si les trains d’atterrissage en litige contrefont ou non le brevet 787. Ses titres de compétence ne sont pas sérieusement contestés et il est le seul expert qualifié entendu dans ce procès qui soit capable de lire en français et de clarifier toute confusion découlant du texte français du brevet 787. Par ailleurs, la Cour a évalué son rapport de réfutation (P-81) par rapport aux opinions d’autres témoins experts.

 

[152]       Malgré le fait d’avoir refusé plus tôt d’agir en l’espèce en tant qu’expert d’Eurocopter - une idée qui le mettait mal à l’aise parce que Textron finance ses recherches - M. Hodges a fait preuve d’indépendance d’esprit. Par exemple, au procès il n’a pas hésité à dire que le train Legacy correspond parfaitement à la revendication 1 du brevet 787 même si Bell, dans la présente instance, n’a jamais fait une telle admission.

 

[153]       La Cour a été confrontée aux opinions très tranchées de M. Gandhi. Même si deux projets directement pertinents aux fins de la présente affaire ont été financés par Textron (en partie, du moins), son rôle en tant qu’enseignant et chercheur dans le domaine de l’aérodynamique est nettement plus récent que celui d’autres experts qualifiés qui ont été entendus en l’espèce. Notant que M. Gandhi a entériné, sans réserve aucune, la prétention de Bell selon laquelle l’invention revendiquée manque d’utilité démontrée, la Cour a privilégié des opinions nettement plus nuancées (celles de M. Hodges ou de M. Wood, selon le cas).

 

VI.              LA CHRONOLOGIE

[154]       Dans cette section-ci, la Cour expose tout d’abord le contexte entourant la mise au point et la mise à l’essai du train d’atterrissage Moustache (notamment dans la réalisation, où la traverse avant est inclinée et décalée vers l’avant, c’est-à-dire la revendication 15 du brevet 787). Cela sera suivi d’un examen des faits pertinents concernant la mise au point des trains Legacy et Production.

 

Le train d’atterrissage Moustache

[155]       Le train d’atterrissage Moustache fixé à l’hélicoptère EC120 et à l’hélicoptère EC130, tous deux fabriqués par Eurocopter, est une réalisation de l’invention revendiquée que renferme le brevet 787. Il a la forme d’un traîneau et est semblable au train d’atterrissage illustré à la figure 1 du brevet 787. Le train d’atterrissage Moustache fixé à l’EC120 comporte trois points d’attache (ou organes de liaison) et est fait entièrement d’un alliage d’aluminium. L’EC130 est lui aussi équipé du train d’atterrissage Moustache, mais sous deux configurations différentes : l’une comportant trois points d’attache, l’autre quatre. L’EC120 est homologué pour un poids maximal de 1 715 kg, tandis que l’EC130 est homologué pour un poids maximal de 2 370 kg.

 

[156]       Le programme de l’EC120 a débuté en 1992. Eurocopter voulait créer un hélicoptère léger pour concurrencer le Jet Ranger de Bell (Bell 206). Il a fallu trois ans pour mettre au point un prototype de train d’atterrissage (le train PT1) pour l’EC120. Le point de départ était la forme orthogonale du train à patins de l’Écureuil (AS350), lequel est doté de traverses tubulaires en acier et de tubes de patin en alliage d’aluminium.

 

[157]       Le train d’atterrissage PT1 était un train d’atterrissage classique. Il comportait trois points d’attache, des traverses d’acier et des patins d’aluminium (des photographies sont présentées dans les pièces RC-15, RC-16 et RC-17). Il était conçu pour un aéronef d’un poids maximal de 1 550 kg. Le premier vol de l’EC120 muni du PT1 s’est déroulé le 9 juin 1995.

 

[158]       L’EC120 était censé être un hélicoptère à rotor quadripales, ce qui l’aurait rendu sensible à la résonance au sol. M. Prud'homme-Lacroix et M. Certain connaissaient bien le moyen d’éviter ce phénomène : l’emploi de dispositifs d’amortissement était une solution; une autre était le placement de fréquence. Il est parfaitement logique d’éviter, dans la mesure du possible, d’utiliser des amortisseurs parce que de tels composants alourdissent considérablement l’hélicoptère. M. Prud’homme-Lacroix savait déjà que la géométrie du train d’atterrissage pouvait avoir une incidence sur les fréquences de tangages et de roulis.

 

[159]       M. Certain, principal ingénieur des essais en vol chez Eurocopter, avait pris part à la mise au point de l’AS350. En 1995, il se trouvait à la tête du programme de l’EC120. La résonance au sol du train d’atterrissage PT1 lui causait quelques soucis. Un modèle d’hélicoptère antérieur (le Gazelle) avait eu des problèmes de résonance au sol récurrents. En septembre 1995, M. Certain a discuté de l’affaire avec M. Barquet, aujourd’hui décédé, l’un des trois inventeurs nommés dans le brevet 787.

 

[160]       Le lendemain matin, M. Barquet a conçu un modèle réduit ayant la forme d’un traîneau; le ski en saillie qui dépassait de l’avant de chaque patin avait disparu. Le modèle réduit a été montré à M. Prud’homme-Lacroix, qui était chargé des calculs de structure dans le cadre du programme de l’EC120; il a tout d’abord trouvé que la forme était assez large et s’est demandé s’il pouvait facilement réduire la taille de ce train. Quoi qu’il en soit, son équipe et lui ont commencé à analyser le comportement du train d’atterrissage sous diverses configurations et dans diverses conditions (charges, contraintes, matériaux, longueur des patins, diamètre des tubes, etc.).

 

[161]       Monsieur Prud’homme-Lacroix n’avait aucune expérience antérieure des trains d’atterrissage en forme de traîneau (comme le train d’atterrissage Moustache). Jusque là, le dimensionnement et les calculs du train d’atterrissage classique (le prototype du PT1) avaient été faits à l’aide d’un programme bidimensionnel d’analyse par la méthode des éléments finis (CALTRAIN). Monsieur Prud’homme-Lacroix a passé deux mois à la fin de 1995 à modifier l’ancien programme de façon à ce qu’on puisse l’utiliser pour calculer des mouvements additionnels (latéraux, par exemple) dans l’espace, causés par la flexion et le pliage de pièces différentes (le train d’atterrissage Moustache). Cela s’est soldé par la création d’un programme tridimensionnel d’analyse par la méthode des éléments finis (CALMOUS). Bell s’est servie de nombreuses années plus tard d’un programme semblable, mais plus évolué (LS-DYNA), lorsqu’elle a analysé le comportement des trains Legacy et Production.

 

[162]       Tout en travaillant à divers scénarios, M. Prud’homme-Lacroix a constaté que le fait d’augmenter la distance entre les traverses avant et arrière réduisait la fréquence de roulis, mais, du même coup, augmentait la fréquence de tangage. Cela dit, en inclinant vers l’avant la traverse avant, M. Prud’homme-Lacroix est parvenu à réduire le mode tangage. Ce fut pour lui une découverte nouvelle et importante. Néanmoins, il restait d’autres travaux et calculs à faire pour déterminer quel degré d’inclinaison de la traverse avant donnerait les meilleurs résultats sur le plan de la régulation de fréquence. Bien qu’ingénieur qualifié, M. Prud’homme-Lacroix n’est pas dynamicien, ni la personne chargée de dessiner en détail les composants fixés à l’hélicoptère. Il a donc travaillé de concert avec un dessinateur, M. Mairoux, ainsi qu’avec une dynamicienne, Mme Cardin.

 

[163]       En plus de s’assurer d’une répartition de charge plus efficace que dans le cas d’un train d’atterrissage classique, M. Prud’homme-Lacroix a considéré que les résultats obtenus sur le plan de la régulation de fréquence étaient également fort encourageants sur papier, même si aucun essai proprement dit n’avait encore été réalisé. Il a été décidé de poursuivre les travaux avec le train d’atterrissage Moustache.

 

[164]       À partir du dessin fait par M. Mairoux, l’autre inventeur nommé du brevet 787, un train d’atterrissage Moustache a été fabriqué. Il fallait maintenant le mettre à l’essai sur l’EC120. M. Certain a déclaré qu’en juin 1996, il avait lui-même effectué un essai par secousses manuelles sur l’EC120 équipé de ce train d’atterrissage. Il a pu mesurer à l’aide d’un chronomètre l’amélioration de la fréquence de roulis ((1,7 Hz) juste en poussant ou en secouant l’EC120 équipé de ce train d’atterrissage.

 

[165]       Le premier vol de l’EC120 équipé du train d’atterrissage Moustache a eu lieu le 4 juillet 1996. M. Certain y a pris part. Le rapport établi à cette occasion corrobore son témoignage, à savoir : « Pas de problème de résonance au sol pour le moment » (RC-179). Selon M. Certain, il n’y a pas eu de problème de résonance au sol non plus après le 4 juillet 1996. Étant donné qu’Eurocopter a obtenu à la fin de 1997 l’homologation française de l’EC120 muni du train d’atterrissage Moustache, la Cour ne tirera aucune inférence défavorable du fait qu’Eurocopter n’a pas produit de rapports d’essai ultérieurs, après avoir dûment tenu compte des observations des parties.

 

[166]       Monsieur Certain a également parlé du succès commercial du train d’atterrissage Moustache, ainsi que de sa conception et de ses capacités générales. En contre-interrogatoire, les avocats de Bell ont voulu faire admettre par M. Certain qu’Eurocopter avait choisi le train d’atterrissage Moustache pour des raisons d’ordre esthétique, laissant entendre que sa forme de traîneau avait l’air plus moderne; cette idée a été rapidement rejetée par M. Certain. Après avoir pris en considération la totalité des éléments de preuve, la Cour conclut que les avantages techniques et les réductions de coûts découlant de l’élimination du petit ski en saillie et du manchon à l’avant sont la principale raison pour laquelle Eurocopter a décidé d’intégrer un train d’atterrissage Moustache à l’EC120 et à l’EC130.

 

Les trains Legacy et Production

[167]       Les modèles d’hélicoptère antérieurement conçus par Bell étaient munis d’un rotor bipales. À la fin des années 1970, Bell a introduit dans son parc d’hélicoptères commerciaux un rotor quadripales, avec le modèle 412. La gamme des hélicoptères commerciaux de Bell comprend actuellement quatre modèles : le 206L4, le 407 (conçu à partir du 206 Jet Ranger) et le 412 (dont l’origine remonte à l’hélicoptère UH-1, connu sous le nom de « Huey »); l’aéronef le plus récent et le porte-étendard de Bell est le 429, qui est le premier hélicoptère conçu à partir de zéro; il s’agit d’un hélicoptère à rotors quadripales.

 

[168]       Le Bell 429 a un poids brut maximal de 7 000 lb, et il comporte une cabine modifiée dotée d’un plancher plat, de portes arrière et de grandes portes latérales. L’emplacement précis des points d’attache des trains Legacy et Production n’a pas changé et a été dicté par l’emplacement de la cabine et des portes.

 

[169]       Au début des années 2000, Bell exploitait deux programmes d’hélicoptères distincts : celui du Bell 427i, ainsi qu’un programme appelé MAPL (Modular Affordable Program Line, ou [traduction] « Gamme de produits modulaires abordables »). Le 427i était l’hélicoptère le plus  récent dans la gamme des hélicoptères de Bell. Ses prédécesseurs étaient, notamment, le Bell 407 et le Bell 206L4. M. Lambert dirigeait le programme du 427i. Par contraste, le MAPL était un programme tout à fait nouveau. Il a vu le jour en septembre 2002 sous la direction de M. Malcolm Foster; l’idée était de créer une gamme de produits entièrement nouvelle qui partagerait les mêmes composants et permettrait ainsi de réduire les coûts.

 

[170]       Des éléments de ces deux programmes ont été combinés en septembre 2004 en vue de former l’hélicoptère Bell 429. Le train d’atterrissage du MAPL est devenu ce que l’on appelle aujourd’hui le train Legacy. Deux acteurs fort importants n’ont pas témoigné : M. Foster, qui était responsable du nouveau programme, et M. Minderhoud, qui était l’expert en trains d’atterrissage chez Bell et qui avait réalisé les calculs techniques et les travaux de dimensionnement relatifs au train Legacy et au train Production.

 

[171]       Le train Legacy fabriqué pour le Bell 429 avait un dessin innovateur par rapport aux autres trains d’atterrissage que Bell utilisait auparavant. Il était en forme de traîneau, comme l’illustre cette vue de profil (RC‑271), et il a été fabriqué, assemblé ou conçu aux environs du 14 mars 2005 :

[172]       Comme Bell n’avait jamais conçu d’hélicoptère muni d’un rotor articulé et d’un train d’atterrissage en forme de traîneau, elle a étudié la performance d’un EC120. En fait, la société a loué à bail et utilisé un hélicoptère EC120 entre les mois de mars et de juin 2003 environ, et durant cette période elle a effectué des essais sur cet appareil, y compris des vérifications par secousses manuelles. De plus, des employés de Bell ont suivi un entraînement sur un hélicoptère EC120 en mars 2003. Selon M. Lambert, il est d’usage dans l’industrie de l’aéronautique de procéder à une « analyse comparative » des produits de la concurrence. Dans le cas présent, il ressort du document interne daté de mars 2003 (RC‑478) que les essais effectués sur l’EC120 au Texas, dans les installations de Textron, avaient pour but d’acquérir de meilleures connaissances afin de [traduction] « réduire le risque de problèmes de résonance au sol au sein du programme MAPL ». En fait, [traduction] « [l]es données obtenues lors des essais de secousses au sol allaient pouvoir servir à concevoir de meilleurs trains d’atterrissage pour les futurs produits de Bell ».

 

[173]       Comme le révèlent la preuve documentaire et les témoignages de vive voix, Bell a étudié en détail la question du placement de fréquence. Les essais effectués sur l’EC120 avaient démontré que tous les modes de cet hélicoptère, sur son train d’atterrissage, avaient un amortissement nettement supérieur à ceux du Bell 407 et du Bell 427. En fait, d’après un document interne daté de mars 2003, [traduction] « [l]es données des essais par secousses concernant l’EC120 montrent qu’il est possible de concevoir un train d’atterrissage ayant un amortissement nettement supérieur tout en maintenant d’excellents placements de fréquence » (RC‑478). À partir de l’été de 2003, les ingénieurs de Bell ont analysé des trains d’atterrissage de type « traîneau » dans le cadre du programme NASTRAN en vue de déterminer les contraintes réelles et la rigidité des tubes compte tenu de divers facteurs de déplacement en charge et d’autres variables (RC‑309, RC‑310, RC‑311 et RC‑312).

 

[174]       Il ressort également de la preuve que le programme du 427i et le programme MAPL se sont tous deux heurtés à des problèmes. Par exemple, Bell avait introduit le culbuteur et le pivot fendu afin de contrer les problèmes de résonance au sol quand elle était passée aux aéronefs multipales au début des années 1980, mais elle avait envisagé de retirer le culbuteur des dessins de fuselage du MAPL afin d’économiser du poids. C’est dans ce contexte qu’il a été décidé de combiner l’aéronef et le train d’atterrissage du programme MAPL, ainsi que l’ensemble rotor du Bell 427i.

 

[175]       Dans le cas du programme du Bell 429, tout n’allait pas comme sur des roulettes. Les concepteurs d’hélicoptères se soucient toujours d’éliminer le poids excédentaire, et le Bell 429 était encore trop lourd. En mars 2005, Bell a réuni les membres de son équipe et est parvenue à amincir suffisamment le modèle pour atténuer le problème de poids (RC‑479). Malgré tous les efforts des ingénieurs de Bell, il y a eu des retards et le premier vol du Bell 429 a dû être reporté maintes et maintes fois au fil des ans. En même temps, Bell, qui voulait rassurer la clientèle, susciter de l’intérêt et décrocher d’éventuelles commandes anticipées pour le nouveau Bell 429, faisait publiquement des déclarations optimistes.

 

[176]       Le processus d’homologation du Bell 429 a débuté pour de bon au début de 2006. Le plan d’essai a été présenté en mars 2006, et les résultats recueillis ont été soumis à Transports Canada en mai 2007 (RC‑391). Cependant, Bell n’avait jamais tenté auparavant de faire homologuer un train d’atterrissage muni d’une traverse avant inclinée, et il lui a donc fallu créer un nouvel outil logiciel d’analyse tridimensionnelle par la méthode des éléments finis (LS‑DYNA). Il a fallu aussi soumettre le train Legacy à des essais de chute.

 

[177]       Le Bell 429, muni du train Legacy, a réalisé son premier vol le 27 février 2007, aux installations de Bell à Mirabel. Cependant, l’homologation du Bell 429 muni du train Legacy n’a jamais été terminée. L’explication est simple. Dans l’intervalle, Eurocopter avait engagé la présente action en contrefaçon le 9 mai 2008. À ce stade, M. Lambert a eu pour mandat de mettre au point pour le Bell 429 un train d’atterrissage modifié qui ne contreferait pas le brevet 787. Il lui a été impossible de dire qui lui a donné ce mandat. Il a passé quelques jours à revoir les plans, réalisant ainsi un train d’atterrissage modifié; celui-ci répondait aux exigences, mais il entraînait une surcharge de 16 lb.

 

[178]       Messieurs Gardner et Minderhoud ont ensuite passé quelques semaines au cours de l’été de 2008 à effectuer des calculs sur le train d’atterrissage modifié, qui est devenu connu sous le nom de « train d’atterrissage Producation ». M. Minderhoud exerçait les fonctions de spécialiste principal du personnel technique. Il a pris une retraite anticipée de Bell en décembre 2010. En même temps, M. Lambert a demandé au Service juridique au Texas (M. Ross Holloway) de vérifier si les nouveaux plans ne contreferaient pas le brevet.

 

[179]       L’idée générale était de modifier suffisamment le train Legacy pour éliminer toute contrefaçon de brevet alléguée, mais pas au point d’avoir une incidence sur les facteurs de charge. Il était nécessaire à tout prix, compte tenu de l’avancement du projet du Bell 429, d’éviter d’autres coûts et retards. M. Minderhoud a effectué l’analyse nécessaire et M. Faessler s’est assuré qu’il était possible de faire homologuer le train Production. M. Rioux était le délégué à l’homologation agissant pour Transports Canada.

 

[180]       Comme l’ont expliqué à la Cour divers témoins de Bell, et comme l’illustre la vue de profil du train Production (RC‑475) présentée ci-dessous, lequel train a été réalisé aux environs du 11 juin 2009 par Aeronautical Accessories Inc., la courbure inférieure de la traverse tubulaire avant que comporte le train Legacy est maintenant remplacée par un manchon à l’avant duquel se trouve une saillie en forme de ski; l’angle d’inclinaison est lui aussi légèrement modifié :

 

[181]       Monsieur Gardner a déclaré que, du point de vue fonctionnel, le train Production équivaut au train Legacy. Cependant, Bell a, depuis ce temps, pris ses distances par rapport au témoignage de M. Gardner car ce dernier n’a pas été appelé comme témoin expert. En revanche, M  Rioux a été interrogé par les avocats de Bell sur un certain nombre de questions techniques, dont certaines laissaient entendre qu’il y avait de légères différences sur le plan des fréquences dans certains modes. Le comportement dynamique (résonance au sol) et la réaction aux facteurs de contrainte et de charge sont des éléments importants pour la performance et la sécurité du train d’atterrissage d’un hélicoptère.

 

[182]       Bell devait notamment prouver aux autorités d’homologation que le train Production n’était pas sensible à la résonance au sol. Cependant, l’exécution d’essais concrets sur des hélicoptères est un travail extrêmement coûteux et long et, de ce fait, on effectue le plus d’essais possible à l’aide de logiciels. En juin 2003, pendant que Bell mettait au point des outils permettant d’analyser le comportement des trains d’atterrissage à patins, il a été souligné que [traduction] « [l]’analyse structurale du train d’atterrissage complet peut représenter 2 000 heures-homme à l’aide des outils existants » et que [traduction] « [s’]il est nécessaire de procéder à un essai de choc, il faudra en compter 500 de plus […] pour rédiger les rapports et coordonner le travail avec les autorités qui en seront témoins » (RC‑372, à la page 6 105).

 

[183]       Comme il est indiqué dans l’exposé S-04 daté du mois de novembre 2008 (RC‑402), Bell a fait valoir auprès de Transports Canada que [traduction] « [l]e changement de conception du train d’atterrissage [Legacy], du type à patins au type classique, n’a une incidence que sur la fixation du tube de patin à la traverse tubulaire avant et introduit une extension vers l’avant du tube de patin ». À la suite des observations de M. Rioux, Transports Canada s’est dit convaincu qu’il serait possible de vérifier la conformité par la voie d’une analyse (LS-DYNA) car il y avait une corrélation entre les essais de chute exécutés et les essais virtuels calculés (RC‑402 et RC‑403). Bell a aussi été dispensée de l’obligation de mettre à l’essai la solidité de la spatule de ski du train Production, même si le train Legacy n’était pas muni d’une telle spatule.

 

[184]       Dans un rapport daté du 6 février 2009 que Bell a transmis à Transports Canada, il est expliqué que les trains Legacy et Production [traduction] « sont, du point de vue dynamique, semblables en ce qui concerne le mode de fuselage le plus critique (mode roulis) » (RC‑390, à la page 6 216). L’homologation du Bell 429 muni du train Production a été obtenue de Transports Canada le 20 juin 2009, de la Federal Aviation Administration (FAA) le 30 juin 2009, ainsi que de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) le 23 septembre 2009.

 

VII.            L’INTERPRÉTATION DU BREVET

[185]       La première mesure à prendre dans une action en contrefaçon, qui, comme c’est le cas en l’espèce, est combinée à une demande reconventionnelle en invalidité, est d’interpréter le brevet en litige. L’invention divulguée dans le brevet 787 concerne un train d’atterrissage d’hélicoptère, destiné plus particulièrement à des hélicoptères légers et, avant d’aller plus loin, il importe de déterminer à qui s’adresse le brevet 787 et d’exposer l’état des connaissances générales courantes à l’époque pertinente.

 

Les notions de base

[186]       Le brevet 787 s’adresse principalement aux fabricants d’hélicoptères qui s’intéressent surtout à la conception et à la fabrication de trains d’atterrissage de type « traîneau ».

 

[187]       Dans son premier rapport (P-36) et son témoignage oral, que la Cour a lu de pair avec les commentaires instructifs faits par M. Toner dans son rapport, M. Logan donne une définition des plus utiles et complètes de l’identité de la personne moyennement versée dans l’art applicable. Cela ne veut pas dire que la Cour rejette ou écarte ce que les autres experts ont à dire sur le sujet, y compris l’état des connaissances générales courantes qu’aurait une personne moyennement versée dans l’art en 1996 et en 1997.

 

[188]       Un aéronef de grande taille, tel qu’un hélicoptère, est conçu par des équipes vastes et multitalentueuses, formées en grande partie d’ingénieurs spécialisés dans un certain nombre de disciplines, dont la dynamique, le comportement des matériaux, l’analyse des vibrations et les essais. Il est extrêmement rare que l’on retrouve toutes ces compétences chez une seule et même personne. Ces équipes spécialisées n’existent que chez une poignée de fabricants d’hélicoptères dans le monde, comme Eurocopter, Bell, Agusta Westland, Sikorsky, MD Helicopters et Robinson.

 

[189]       Les capacités de vol uniques de l’hélicoptère, soit le vol stationnaire et vers l’avant, présentent sur le plan technique des difficultés particulières, dont le poids, la vitesse avant et les vibrations. Le terrain d’atterrissage est l’un des composants clés de l’hélicoptère, et la conception d’un train d’atterrissage qui fonctionne bien est une tâche complexe. Ce train doit pouvoir supporter l’hélicoptère dans toutes les variations de charge opérationnelle, et ce, sur des terrains qui varient, et cela inclut les surfaces inégales. Ce train d’atterrissage doit être à la fois sain sur le plan structural et viable sur le plan commercial. À cet égard, le poids est un aspect très important pour les fabricants d’hélicoptères.

 

[190]       Il n’existe pas plus de quelques centaines d’ingénieurs, soit actifs sur le plan professionnel soit à la retraite, y compris des théoriciens, qui possèderaient les connaissances complexes que requiert la conception des trains d’atterrissage d’hélicoptères et qui constituent donc les personnes versées dans l’art auxquelles s’adresse le brevet 787.

 

[191]       La personne moyennement versée dans l’art possède au moins un baccalauréat en génie, tandis que d’autres peuvent détenir une maîtrise ou un doctorat, habituellement en aérospatiale ou en génie mécanique. Cette personne doit bien connaître la conception des trains d’atterrissage et le fonctionnement général des aéronefs. Pour évaluer le comportement de divers composants, dont les trains d’atterrissage, cette personne sera appelée à effectuer un certain nombre de calculs, à appliquer des programmes informatiques complexes et à faire un choix entre divers matériaux, en fonction d’un certain nombre de variables qui diffèrent d’un modèle à un autre.

 

[192]       Comme l’a expliqué M. Wood, en 1996 ou 1997 la personne moyennement versée dans l’art serait bien au fait du principe de Saint-Venant, qui permet d’analyser les contraintes à des points clés différents d’une structure sans avoir à tenir compte des réactions locales qui se feraient sentir à des endroits de la structure dont les géométries sont complexes. La personne moyennement versée dans l’art aurait également maîtrisé l’application de la méthode des éléments finis afin de pouvoir calculer le comportement de configurations différentes, tant pour ce qui est de l’absorption d’énergie et de la déformation structurelle que des fréquences naturelles et des formes de mode.

 

[193]       Pour la mise au point d’un train d’atterrissage sécuritaire et fonctionnel, la personne moyennement versée dans l’art dispose d’un certain nombre d’options conceptuelles qui sont subordonnées à un certain nombre de variables. Les exigences de navigabilité sur le plan de la résonance au sol exigent que l’hélicoptère ne manifeste aucune tendance, quand il est au sol ou partiellement en vol avec le rotor qui tourne, à osciller d’une manière susceptible d’occasionner une résonance au sol. La personne moyennement versée dans l’art est donc au courant de la résonance au sol et des moyens connus dans le domaine de limiter ou de prévenir ce phénomène vibratoire dangereux.

 

[194]       À la date de publication du brevet 787, la personne moyennement versée dans l’art saurait déjà que chaque fréquence naturelle du train d’atterrissage adopte une forme précise (forme de mode), comme l’a reconnu notamment M. Rioux lui-même et comme l’ont expliqué plus en détail les divers experts entendus au procès. M. Wood, un expert qualifié en aéromécanique, en dynamique et en résonance au sol, a déclaré que les fréquences et les formes de mode sont propres à chaque train d’atterrissage et constituent en quelque sorte une empreinte.

 

[195]       La personne moyennement versée dans l’art serait également au courant des critères de Deutsch (1946) et des travaux de Coleman et Feingold (1958) sur la résonance au sol. Comme l’ont expliqué MM. Hodges et Wood notamment, la question de savoir si un giravion subit ou non un effet de résonance au sol dépend de plusieurs paramètres, dont les fréquences de fuselage dominantes (comme celles de tangage et de roulis), la fréquence de traînée du rotor dans le système non rotatif, la distance entre le centre du moyeu et le centre de gravité d’une pale, le coefficient d’amortissement d’avance-retard de la pale, le coefficient d’amortissement du tangage du fuselage, le coefficient d’amortissement du roulis du fuselage, etc.

 

[196]       Pour ce qui est du fait que M. Malburet se fie à l’intuition de la personne moyennement versée dans l’art, la Cour privilégie l’avis de M. Toner selon lequel il n’y a tout simplement aucun moyen de prévoir intuitivement les comportements des divers éléments qui constituent et influencent le train d’atterrissage d’un hélicoptère, relativement à des phénomènes complexes tel que la résonance au sol.

 

[197]       C’est donc dire que, pour prévoir la résonance au sol, la personne moyennement versée dans l’art doit connaître des coefficients de rigidité, de masse et d’amortissement efficaces pour chacun des modes de fuselage pertinents (habituellement le tangage et le roulis). Le produit des coefficients d’amortissement dans les systèmes fixes et rotatifs doit être supérieur à une valeur limite déterminée par d’autres paramètres systémiques afin de garantir l’absence d’instabilité due à la résonance au sol. Plus le train d’atterrissage est rigide, plus il est sûr sur le plan de sa stabilité par rapport à la résonance au sol.

 

[198]       À titre d’exemple, du côté d’Eurocopter, M. Prud’homme-Lacroix et Mme Cardin et, du côté de Bell, MM. Gardner et Minderhoud (et peut-être Rioux) auraient l’instruction et l’expérience voulues pour être considérés comme des personnes moyennement versées dans l’art. Par exemple, M. Prud’homme-Lacroix s’est servi couramment de son propre programme d’éléments finis dans le cadre de la mise au point de l’EC120 pour évaluer le train d’atterrissage Moustache. C’est également le cas de M. Minderhoud et d’autres ingénieurs de Bell qui ont participé au programme relatif au Bell 429 (voir les documents d’homologation du Bell 429).

 

Les connaissances générales courantes

[199]       Le brevet 787 est directement lié au domaine des trains d’atterrissage d’hélicoptères. Les experts d’Eurocopter affirment que les connaissances générales courantes se limitent aux trains d’atterrissage commerciaux actuels. Ils vont jusqu’à circonscrire le domaine technique à celui des hélicoptères qui subissent les effets de la résonance au sol. Cependant, de l’avis de la Cour, il n’y aucune raison de le faire, car les revendications du brevet 787 englobent n’importe quel train d’atterrissage d’hélicoptère qui a la forme et qui est fait des matériaux qui y sont mentionnés.

 

[200]       En revanche, les experts de Bell affirment que les aéronefs expérimentaux, les plans de brevets d’hélicoptère, les publications faites dans des revues spécialisées et les brevets antérieurs font tous parties des connaissances générales courantes. Cependant, cela n’est vrai que dans la mesure où ces connaissances sont généralement considérées comme un bon fondement pour concevoir d’une manière plus poussée des trains d’atterrissage d’hélicoptère, ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les éléments d’antériorité que Bell invoque en l’espèce.

 

[201]       En 1996, une personne moyennement versée dans l’art aurait su que la plupart des avancées techniques et des concepts mis au point par des fabricants d’hélicoptères concurrents étaient tenus secrets. C’est donc dire que, pour concevoir un nouveau train d’atterrissage, il aurait fallu que cette personne se fonde principalement sur ses propres connaissances et sur sa propre expérience. Si une recherche dans les archives de l’entreprise ne donnait rien, la personne aurait cherché les documents techniques publiquement disponibles en se servant de bases de données abstraites « en ligne » telles que « Compendex » (que les universités et d’autres entités peuvent consulter en ligne depuis 1995).

 

[202]       À cet égard, les connaissances concernant l’atténuation de la résonance au sol n’ont essentiellement pas changé depuis les années 1980. La documentation technique sur le sujet qui était disponible en 1997 ou avant était essentiellement la même qu’aujourd’hui, sauf qu’il y avait moins d’articles complets qui étaient disponibles en ligne. Il aurait fallu que la personne moyennement versée dans l’art se fonde sur des mots clés pour trouver les documents pertinents.

 

[203]       Par exemple, il est fort peu probable qu’en concevant un train d’atterrissage de type « traîneau » pour un hélicoptère léger à vocation commerciale, la personne moyennement versée dans l’art aurait consulté d’anciens brevets américains décrivant des traîneaux utilisés dans des jeux d’hiver (RC‑1 et RC‑498) ou avec des ballons à air chaud (RC‑7) ou des drones télécommandés (RC‑499 à RC‑501), soit pour résoudre des problèmes de résonance au sol soit pour étudier l’augmentation des facteurs d’accélération à l’atterrissage (facteurs de charge).

 

[204]       Tant l’invention revendiquée que les trains d’atterrissage censément contrefaits sont généralement appelés [traduction] « trains d’atterrissage de type “traîneau” ». Les trains d’atterrissage de ce type comportent habituellement quatre composants : deux traverses reliées au cadre dans la partie supérieure et deux patins pour le contact au sol, reliés à la partie inférieure des traverses. Tous ces composants sont inclus dans la revendication 1 du brevet 787, et ils étaient en soi bien connus dans les réalisations antérieures.

 

[205]       Le poids du train d’atterrissage pose toujours un défi particulier, même pour le concepteur chevronné. Il faut se souvenir qu’un hélicoptère comporte une partie qui doit être réservée à ce qu’on appelle la [traduction] « charge utile », ce qui inclut les passagers, le carburant et la cargaison. Le poids brut restant est réservé au poids de l’hélicoptère lui-même et est généralement appelé le [traduction] « poids à vide ». Le pourcentage du poids brut utilisé pour le poids à vide porte habituellement le nom de [traduction] « fraction du poids à vide », laquelle équivaut en général à 50 % environ, ainsi que l’a expliqué M. Logan dans son premier rapport (P-36, au paragraphe 37).

 

[206]       En 1996 ou en 1997, la conception des trains d’atterrissage était fondée sur des critères de stress et de contrainte liés aux facteurs de charge et à la vitesse de descente. Un hélicoptère « léger » désignerait en général un giravion ayant un poids au décollage d’un maximum d’environ 7 000 livres. Les patins étaient habituellement faits d’acier, mais on trouve aussi dans les réalisations antérieures de l’aluminium (p. ex., le RC‑206) ou des matériaux composites (p. ex., le RC‑3). Ces systèmes étaient reconnus pour être assez rigides, ce qui donnait lieu à des facteurs de charge élevés.

 

[207]       L’expression « facteur de charge » n’est pas définie dans le mémoire descriptif, et il est susceptible d’avoir des sens différents dans l’art, mais la personne moyennement versée dans ce dernier déduirait dans le contexte du brevet 787 que cette expression a le sens suivant : à mesure que l’aéronef descend à une vitesse précisée, et que les patins entrent ensuite en contact avec le sol, le fuselage de l’aéronef s’immobilise. La rapidité avec laquelle il s’immobilise est mesurée par l’accélération (il s’agit en fait, ici, de la décélération) que subit le fuselage entre la vitesse de descente qu’a le giravion au moment où il entre en contact avec le sol et celui où il s’immobilise complètement.

 

[208]       Les experts s’entendent pour dire que plus la suspension est rigide, plus le facteur de charge est élevé. Cela signifie une contrainte supérieure sur la structure et plus d’inconfort pour le pilote et les passagers. Le degré de contrainte supérieur signifie que la structure se plastifie à des taux de descente inférieurs à ceux qui sont souhaitables. Le fait d’amollir la suspension signifie que l’aéronef se pose délicatement, et non pas brusquement. L’amollissement de la suspension rend l’aéronef plus léger, ce qui est un autre avantage.

 

[209]       Dans les réalisations antérieures, les connaissances générales courantes dans le domaine des trains d’atterrissage de type « traîneau » étaient définies par un dessin orthogonal. L’expression [traduction] « train d’atterrissage classique » désignait un train d’atterrissage de type « traîneau » doté de tubes longs, rectilignes et habituellement circulaires, orientés dans le sens longitudinal et se terminant par une courte saillie de type « ski » à l’avant, comme le dessin général illustré dans cette vue isométrique (le bout du ski peut être plus court ou plus long, et son inclinaison peut varier) :

[210]       Dans un dessin orthogonal comme celui-ci, les traverses avant et arrière du train d’atterrissage classique sont parallèles, et soit perpendiculaires ou sensiblement perpendiculaires aux patins d’appui au sol. Habituellement, les deux traverses sont fixées aux patins par un raccord en T (ou manchon). L’hélicoptère Gazelle 340 qu’Eurocopter a mis au point dans les années 1960 possède un type de dessin orthogonal semblable (P-6). Pour les besoins de la présente affaire, après avoir entendu les divers témoins experts la Cour accepte que l’expression « sensiblement perpendiculaire » engloberait des traverses parallèles ayant une inclinaison de dix degrés ou moins; par ailleurs, il n’y aurait aucune courbure double et aucune zone de transition à l’avant.

 

Le mémoire descriptif

[211]       Dans le mémoire descriptif du brevet 787, il est expliqué que, habituellement, les trains d’atterrissage de type « traîneau » comportent quatre composants : deux traverses reliées au cadre à la partie supérieure et deux patins d’appui au sol reliés à la partie inférieure des traverses. En général, les traverses sont faites de tubes d’acier, et les patins de tubes d’aluminium. Les inventeurs expliquent que le principal inconvénient est la grande rigidité du système, ce qui donne lieu à des facteurs d’accélération élevés lors des atterrissages, à une adaptation de fréquence difficile par rapport au phénomène de la « résonance au sol », ainsi qu’à un train d’atterrissage d’un poids relativement élevé. Il s’agit là de lacunes des réalisations antérieures qu’il est possible, d’après les inventeurs, de réduire considérablement en mettant en oeuvre l’invention divulguée.

 

[212]       En fait, ce qui distingue le train d’atterrissage Moustache d’un train d’atterrissage classique est le fait que « chacun desdits patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement auxdites plages longitudinales d’appui au sol, au-dessus du plan de ces dernières, les deux zones de transition constituant ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol. » (Revendication 1 du brevet 787).

 

[213]       Selon une autre caractéristique importante de l’invention divulguée, l’ensemble formé des patins et des traverses est fait de tubes d’aluminium, ayant une limite d’élasticité égale à environ 75 % de la résistance à la rupture, ainsi qu’une élongation à la rupture relative égale à 12 % au moins. Autre point avantageux, l’épaisseur de la paroi des tubes formant les traverses avant et arrière décroît entre la partie centrale de la traverse et son point de jonction avec le patin correspondant.

 

[214]       Le mémoire descriptif fait état d’un certain nombre d’avantages, que la Cour examinera plus en détail en analysant l’utilité démontrée du brevet 787.

 

[215]       Cela dit, les inventeurs font dans le mémoire descriptif la promesse explicite de réduire « sensiblement » les lacunes des réalisations antérieures, et plus précisément :

a)      des facteurs d’accélération élevés à l’atterrissage (facteurs de charge);

b)      une adaptation de fréquence difficile par rapport à la résonance au sol;

c)      le poids élevé du train d’atterrissage.

 

[216]       Telle est l’utilité promise de l’invention divulguée.

 

[217]       L’élimination des [traduction] « systèmes mécaniques anti-résonance au sol » est un important avantage promis qui résulte de la conception particulière du train d’atterrissage Moustache. Des amortisseurs présents dans le système rotatif de l’hélicoptère sont nécessaires pour dissiper l’énergie associée au mouvement avance-retard des pales dans le plan de rotation. Cependant, il ne suffit pas de prévoir un amortissement dans le système rotatif. La personne moyennement versée dans l’art comprendrait donc, dans le contexte du brevet 787, qu’il est fait référence à des amortisseurs utilisés dans le train d’atterrissage. La mention précise de [traduction] « systèmes mécaniques anti-résonance au sol » exclut, implicitement, les paliers élastomériques.

 

[218]       Comme l’ont expliqué un certain nombre d’experts, notamment MM. Hodges, Wood et Gandhi, l’instabilité due à la résonance au sol résulte d’un échange d’énergie entre le rotor principal et la structure de l’hélicoptère au sol, et cela inclut le train d’atterrissage. Habituellement, le mode « dans le plan » régressif du rotor s’associe au mouvement de tangage, de roulis ou latéral de l’hélicoptère posé sur son train d’atterrissage, ce qui crée ainsi le phénomène de résonance au sol.

 

[219]       La résonance au sol n’est pas un problème dans le cas des hélicoptères équipés d’un rotor bipales. Cela dit, le train d’atterrissage d’un hélicoptère équipé d’un rotor à trois ou quatre pales doit être conçu de manière à éviter les problèmes de résonance au sol. Quand un hélicoptère présente des problèmes de résonance au sol, une solution consiste à ajouter un amortissement, et plus particulièrement à l’ensemble rotor ainsi qu’au train d’atterrissage. La seconde solution consiste à veiller à ce que la fréquence du mode « dans le plan » régressif et les fréquences naturelles de corps rigide du giravion sur son train d’atterrissage soient bien séparées.

 

[220]       Comme l’a écrit M. Wayne Johnson dans son ouvrage précurseur intitulé Helicopter Theory (1980), à la page 684, [traduction] « il est également possible d’éviter les instabilités par un placement approprié des fréquences naturelles de la cellule de l’aéronef de manière à éviter les résonances, mais, habituellement, il y a trop de contraintes exercées sur la conception structurale pour qu’il s’agisse là d’un moyen pratique de régler le problème de la résonance‑sol ». Toutefois, c’est ce résultat qu’obtient censément la conception particulière du train d’atterrissage Moustache qui, par rapport à un train d’atterrissage classique, est caractérisé par le fait que « chacun desdits patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement auxdites plages longitudinales d’appui au sol, au-dessus du plan de ces dernières, les deux zones de transition constituant ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol ».

 

[221]       Dans les réalisations antérieures, une solution que l’on adoptait couramment pour régler les problèmes de résonance au sol au niveau du train d’atterrissage consistait à mettre en place des oléoamortisseurs à piston, entre le train d’atterrissage et le fuselage de l’hélicoptère. Les inconvénients associés à l’utilisation d’amortisseurs sur un train d’atterrissage comprenaient un ajout de poids et une absence de linéarité. On savait aussi que les oléoamortisseurs sont sensibles à la température; ils ont besoin d’entretien; ils peuvent se déformer à la suite d’un atterrissage brutal, etc. Cela dit, l’invention divulguée dans le brevet 787 propose une architecture de train d’atterrissage à patins qui évite d’avoir à recourir à des amortisseurs pour réguler les fréquences.

 

[222]       Lorsqu’on examine le fonctionnement de l’invention divulguée, il n’est pas mentionné dans le mémoire descriptif que l’amortissement est assuré par un dispositif indépendant non divulgué par les inventeurs. Les dispositifs de connexion élastomériques peuvent ajouter un pourcentage très restreint d’amortissement additionnel, mais cela ne change pas le fait que, d’après le mémoire descriptif et la preuve d’expert des témoins d’Eurocopter, l’absorption des forces découle principalement de la flexion des tubes, en deux plans différents, des deux côtés du train (droit et gauche).

 

[223]       La personne moyennement versée dans l’art comprendrait aussi qu’il est possible d’obtenir les avantages comparatifs mentionnés dans le mémoire descriptif à la condition que le train d’atterrissage possède toutes les caractéristiques de l’invention divulguée (meilleure manière de réaliser l’invention). À titre d’exemple, la personne moyennement versée dans l’art saurait que les réductions de masse et de coût promises peuvent être le fruit d’une combinaison de facteurs : le changement de matériau (l’aluminium au lieu de l’acier) et l’élimination d’éléments rendus inutiles par la conception nouvelle du train d’atterrissage Moustache (p. ex., les raccords en T utilisés pour relier les patins à la traverse tubulaire avant et les skis en saillie à l’avant des patins).

 

Les revendications 1 à 16 du brevet 787

[224]       La revendication 1, la seule qui soit indépendante, peut être subdivisée en ses divers éléments constitutifs :

·        un train d’atterrissage pour hélicoptère;

·        deux patins présentant chacun une plage longitudinale d’appui au sol;

·        les patins sont reliés à une traverse avant et à une traverse arrière;

·        les traverses sont elles-mêmes assujetties à la structure de l’hélicoptère par des organes de liaison;

·        la traverse arrière est fixée par les extrémités de ses branches descendantes à la partie arrière des plages longitudinales d’appui;

·        chacun des patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement aux plages longitudinales d’appui au sol, au dessus du plan de ces dernières;

·        les deux zones de transition constituent ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée;

·        la traverse avant intégrée est décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

 

[225]       En bref, M. Hodges est d’avis que les éléments susmentionnés de la revendication 1 sont tous essentiels; par contre, M. Logan considère que certains ne le sont pas et peuvent être remplacés sans que cela ait une incidence sur le fonctionnement de l’invention revendiquée. Il est ressorti au procès que les experts ne s’entendent pas non plus sur l’interprétation à donner aux mots « traverse avant intégrée », « zone de transition », « à l’avant », « inclinée » et « double courbure », qui sont employés dans la revendication 1 et ailleurs dans le brevet 787.

 

[226]       La revendication 1 est une revendication de type « Jepson », ce qui veut dire qu’après une énumération des éléments existants dans les réalisations antérieures, ce qui « caractérise » l’invention revendiquée est ce qui suit dans la revendication. Après quelques tergiversations, les experts conviennent que les mots « à l’avant » et « une zone de transition inclinée » sont essentiels. Cela dit, M. Hodges interprète les mots « à l’avant » comme voulant dire [traduction] « à l’extrémité du patin, à l’avant du point de contact au sol ». Par contraste, M. Logan soutient que cela veut dire « à la partie avant », ce qui permet de prévoir un bout de ski (une spatule) en saillie à l’avant de la première courbure de la zone de transition. La Cour conclut que le libellé général du brevet 787 n’autorise pas naturellement cette dernière interprétation. L’opinion de M. Logan est purement influencée par le résultat qu’Eurocopter cherche à obtenir, plutôt que par ce qu’une personne moyennement versée dans l’art comprendrait en lisant le brevet 787.

 

[227]       Un autre point litigieux a trait à la délimitation de la « zone de transition inclinée », qui constitue sûrement un élément essentiel. Le degré et l’orientation de l’inclinaison ne sont pas précisés et il s’ensuit que la personne moyennement versée dans l’art aurait à déterminer, par la voie d’analyses, une série acceptable d’angles en vue d’obtenir les avantages possibles du train d’atterrissage. Il est évident que la zone de transition autorise deux changements de direction : vers le haut (à la verticale) et vers le fuselage (à l’horizontale). Cette zone peut être distinguée du dernier point où le patin est en contact avec le sol (malgré l’affirmation contraire de M. Toner). Cependant, le sens précis du mot « incliné » est quelque peu contesté. Un point litigieux est la taille ou le rayon de la courbure : M. Logan soutient qu’il n’y a pas de limite supérieure ou inférieure au rayon des courbures, tandis que les experts de Bell soutiennent que le rayon doit être suffisamment grand pour que la courbe soit lisse.

 

[228]       La Cour ne souscrit pas à ce que suggère M. Logan. Le brevet, après un examen attentif, indique que la zone de transition est obtenue par une première courbure à l’endroit où le patin/la traverse courbe vers le haut (C1), et ensuite par une seconde courbure à l’endroit où la traverse s’étend horizontalement jusqu’au fuselage (C2). Les figures illustrées dans le brevet présentent les points C1 et C2 comme des courbes lisses. Selon M. Toner, si l’on veut que le train d’atterrissage accomplisse ses avantages annoncés, soit le fait d’éviter de heurter des câbles et de […], le point C1 doit être passablement grand. Selon M. Hodges, une personne moyennement versée dans l’art n’assimilerait pas à une courbure [traduction] « deux éléments rectilignes se réunissant à un certain angle ». Même M. Wood a mis en contraste le mot « courbure » avec un [traduction] « changement abrupt de direction » ou un [traduction] « manchon ». La Cour souscrit entièrement à l’analyse de ces experts, qui représente l’approche la plus plausible qu’adopterait une personne moyennement versée dans l’art.

 

[229]       Tout cela amène à se demander si la « double courbure » est essentielle, et ce point-là suscite un vif désaccord.

 

[230]       M. Logan est d’avis que la double courbure n’est pas nécessaire pour obtenir les avantages du train d’atterrissage, mais sans donner de raison convaincante. Il soutient tout simplement que le brevet n’exclut pas expressément la possibilité de remplacer la courbure par un manchon. Le fait que ce ne soit pas indiqué comme un exemple de configuration différente dans le brevet ne doit pas être interprété comme une exclusion de cette possibilité. Cependant, le brevet indique que les avantages du train d’atterrissage (c’est-à-dire, permettre des mouvements de torsion et de flexion) peuvent être obtenus en remplaçant la courbure inférieure par un manchon qui le rendra plus rigide.

 

[231]       La Cour accepte la preuve des experts comme quoi la personne moyennement versée dans l’art comprendrait que la traverse avant englobe toute la partie de la traverse avant qui court le long du fuselage entre les deux courbes supérieures de la zone de transition. Cela dit, là où la traverse avant s’étend jusqu’au bas des patins, ce qui inclut les deux zones de transition, la plupart des experts parlent d’une « traverse avant intégrée ». La Cour signale que les experts des parties s’entendent pour dire qu’une pièce avant intégrée est essentielle; cependant le mot « intégrée » (« integrated ») donne lieu à des interprétations différentes.

 

[232]       M. Logan ne parle que d’une intégration fonctionnelle de la traverse avant aux patins, sans tenir compte de la forme résultante de cette traverse. Par contraste, M. Hodges parle à la fois d’une intégration fonctionnelle et d’une intégration de type conceptuel, ce qui signifie qu’il est impossible de dire où commence la traverse avant et où elle se termine.

 

[233]       L’interprétation de M. Hodges autorise la présence de raccords dans les parties inférieures de la courbure, mais pas d’un manchon rigide ou d’un autre raccord dans les zones supérieures de la courbure. L’interprétation de M. Logan autorise la présence d’un manchon rigide ou d’un autre raccord dans les zones supérieures de la courbure. Aux yeux de la personne moyennement versée dans l’art, le brevet 787 n’autorise tout simplement pas l’interprétation que fait M. Logan. L’interprétation qui est faite de la « traverse intégrée » doit concorder avec le reste des mots utilisés dans la revendication 1 et ailleurs dans le brevet 787.

 

[234]       La Cour signale que le brevet met expressément en contraste la traverse avant intégrée avec une traverse fixée « de la même façon que la traverse arrière », c’est-à-dire au moyen d’un manchon :

Figures 12 and 13 make it possible to compare the behaviour of landing gear with an integrated front cross piece 8 according to the invention (figure 13) with that of conventional landing gear (figure 12) with an inserted cross piece, in the same way as the rear cross piece.

[Non souligné dans l’original. Pour la traduction française de ce passage, voir ci-après, au paragraphe 236.]

 

[235]       Comme on pouvait s’y attendre, la traduction d’au moins un des termes techniques utilisés dans le brevet 787 a été l’objet d’une certaine confusion au procès. Selon M. Logan, le mot « inserted » qui est employé dans la traduction anglaise devrait être en fait « attached », comme on peut le voir dans les équivalents du brevet 787 aux États-Unis et au Royaume-Uni. Sur ce point, la Cour est d’accord avec M. Logan. Quoi qu’il en soit, ce qui importe réellement c’est que, dans l’invention revendiquée, la traverse avant n’est pas fixée aux patins de la même façon que la traverse arrière; elle doit constituer une « integrated front cross piece » (traverse avant intégrée); sans cela, il aurait été également question d’une « traverse arrière intégrée » dans la revendication 1.

 

[236]       Dans le même ordre d’idées, M. Malburet a laissé entendre que le mot « rapportée » qui est utilisé dans la version française du brevet est neutre et ne précise pas si la traverse est intégrée ou non :

Les figures 12 et 13 permettent de comparer le comportement d’un train d’atterrissage à traverse avant 8 intégrée conforme à l’invention (figure 13), à celui d’un train d’atterrissage classique (figure 12) à traverse avant rapportée, de la même façon que la traverse arrière.

[Non souligné dans l’original.]

 

[237]       Cependant, la version française du brevet fait clairement une distinction entre les mots « intégrée » et « rapportée ». Le mot « rapportée » fait référence au fait que, dans un train d’atterrissage classique, les traverses arrière et avant (figure 12) sont toutes deux fixées de la même façon. Cela n’est pas le cas de l’invention (figure 13) qui, selon la divulgation et la revendication 1 du brevet 787, comporte une « traverse avant intégrée » (« integrated front cross piece » en anglais). En français, le mot « rapportée » ne signifie donc pas « intégrée ».

 

[238]       La revendication 1 utilise en français le mot « décalée », qui a été traduit en anglais par « offset ». Les experts conviennent qu’il est essentiel que la traverse avant soit décalée. Cependant, ils ne s’entendent pas sur la question de savoir si la traverse avant doit être décalée (si elle doit se trouver à l’avant du point de contact avec le sol) et si l’inclinaison et le décalage qu’exige la revendication 1 doivent être dans la même direction.

 

[239]       Premièrement, M. Hodges soutient que le brevet 787 indique que la zone de transition doit commencer à l’avant du point de contact au sol, c’est-à-dire que le point C1 commence à l’avant du point de contact au sol. M. Logan est d’avis qu’il s’agit simplement là d’une variante permise. Cependant, de l’avis de la Cour, aucun terme utilisé dans cette section du brevet ne dénote une telle intention.

 

[240]       Deuxièmement, M. Hodges a expliqué que la revendication 1 requiert à la fois une inclinaison et un décalage de la traverse avant intégrée, mais sans toutefois en préciser la direction. En contre-interrogatoire, M. Logan a convenu qu’une traverse avant inclinée vers l’avant et qui est décalée par rapport au point de contact au sol serait visée par les revendications 1 et 16. En réinterrogatoire, répondant aux questions des avocats d’Eurocopter, M. Logan a changé d’avis et a déclaré que le décalage et l’inclinaison doivent être dans la même direction. De l’avis de la Cour, le changement d’avis de M. Logan n’a tout simplement aucun fondement.

 

[241]       Un autre sujet de litige est lié à l’inclinaison, si inclinaison il y a, de la traverse arrière. À première vue, la revendication 1 n’indique pas que la traverse arrière doit être verticale, et encore moins sensiblement verticale. Cela dit, après avoir examiné la totalité des preuves d’expert, la Cour conclut qu’il serait évident aux yeux de la personne moyennement versée dans l’art que les mots « traverse arrière » peuvent seulement désigner une traverse classique, sensiblement verticale, c’est-à-dire à plus ou moins 90o. La Cour rejette l’avis des experts de Bell (notamment M. Toner) selon lequel la personne moyennement versée dans l’art ne saurait pas que la traverse arrière doit être verticale (ou sensiblement verticale). Cela est manifestement contraire à ce qu’indique le brevet 787. La Cour accepte aussi que la revendication 1 n’inclut pas un train d’atterrissage muni d’une traverse arrière parallèle à la traverse avant, toutes deux verticales ou sensiblement verticales.

 

[242]       Pour qu’un élément de la revendication 1 du brevet 787 soit considéré comme non essentiel et donc remplaçable, un certain nombre d’exigences doivent être présentes. À cet égard, le degré de pertinence de la documentation relative à l’homologation et à la mise à l’essai des trains d’atterrissage en litige dépend dans une large mesure des avis des experts au sujet de l’interprétation de la revendication 1, du fonctionnement général de l’invention revendiquée et de l’évidence de la variante (c’est-à-dire, un manchon et un ski en saillie à l’avant des patins).

 

[243]       Tout le concept du train d’atterrissage Moustache est manifestement centré sur la nécessité de disposer d’une « traverse avant intégrée » de façon à obtenir un train d’atterrissage plus économique, plus léger et plus souple qui comporte les autres avantages connexes révélés dans le brevet. Là encore, la simple affirmation de M. Logan selon laquelle la double courbure est un élément non essentiel n’est guère convaincante, non seulement quand on la compare aux explications plus convaincantes de M. Hodges au sujet de la nature essentielle de cette courbure, mais même si l’on se rapporte au libellé et aux illustrations du brevet 787 lui-même.

 

[244]       Messieurs Hodges, Gandhi et Toner ont chacun conclu séparément que la personne moyennement versée dans l’art ne considèrerait pas que le petit raccord arrondi que l’on trouve sur un manchon constituerait la première courbe qu’exige la revendication 1. Des manchons semblables, munies de raccord, ont été utilisés dans des réalisations antérieures depuis nombre d’années, et la personne moyennement versée dans l’art le saurait. Par exemple, le Bell 206 se sert de manchons coudés et de raccords pour relier les traverses avant et arrière aux patins. Dans ce contexte, il n’est pas raisonnable de soutenir que les rédacteurs du brevet 787 avaient l’intention d’englober des manchons coudés munis de raccords en employant les mots « double courbure ».

 

[245]       L’analyse de M. Gandhi confirme l’attente de la personne moyennement versée dans l’art comme quoi un manchon est plus rigide et ne fonctionne pas de la même façon que la double courbure de la zone de transition inclinée du train d’atterrissage Moustache décrit dans le brevet 787. Le train d’atterrissage breveté est conçu pour offrir des avantages sur le plan du poids, des facteurs de charge et du coût du train d’atterrissage, de même que sur celui de sa sensibilité à la résonance au sol. Pour ce qui est du poids, la personne moyennement versée dans l’art aurait manifestement compris qu’un manchon rigide serait plus lourd que la double courbure décrite dans le brevet 787. Pour ce qui est du facteur de charge, la personne moyennement versée dans l’art aurait manifestement saisi que la façon dont les charges sont réparties au moyen d’un manchon rigide sera différente de celle dans laquelle les charges sont réparties par la double courbure du train d’atterrissage Moustache.

 

[246]       Après avoir analysé en détail les avis des divers experts, la Cour conclut que la totalité des éléments de la revendication 1 sont essentiels et elle rejette donc l’affirmation d’Eurocopter selon laquelle seuls certains des éléments sont essentiels. La Cour arrive à cette conclusion de manière indépendante et sans accorder un mérite quelconque à l’argument de Bell selon lequel Eurocopter a admis plus tôt dans sa déclaration initiale que la double courbure était un élément essentiel de la revendication 1.

 

[247]       Cela dit, les revendications 2 à 16 du brevet 787 sont des revendications dépendantes, c’est-à-dire qu’elles prennent appui sur la ou les revendications (selon le cas) qui les précèdent. C’est donc dire que chaque revendication dépendante qui est en litige introduit une limite additionnelle à chaque revendication qui la précède. Ainsi, les revendications 15 ou 16 comportent un train d’atterrissage correspondant à l’une quelconque des revendications 1 à 14, mais il est limité par la description plus précise qui y est faite (c’est-à-dire que la traverse avant intégrée est décalée vers l’avant ou vers l’arrière).

 

[248]       Les revendications 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 ne font l’objet d'aucun débat pour ce qui est de leur compréhension générale :

·        L’ensemble des patins et des traverses est constitué de tubes d’aluminium (revendication 2).

 

·        L’aluminium se caractérise par une limite égale à environ 75 % de la résistance à la rupture, et par un allongement relatif à la rupture au moins égal à 12 % (revendication 3).

 

·        L’épaisseur de la paroi des tubes constituant les traverses avant est dégressive entre la partie centrale de la traverse et sa jonction au patin correspondant (revendication 4).

 

·        Les extrémités des branches descendantes de la traverse arrière sont fixées aux plages longitudinales d’appui des patins par l’intermédiaire de manchons en aluminium (revendication 5).

 

·        La traverse avant est constituée d’une seule branche dont les extrémités sont chacune reliées par un moyen de jonction démontable à la partie avant du patin correspondant, et ce moyen de jonction est disposé entre les deux courbures de la zone de transition concernée (revendication 7).

 

·        Les organes de liaison entre les traverses avant et arrière et la structure de l’hélicoptère sont du type à frottement contrôlé en rotation, comportant à cet effet deux demi-colliers ou analogues enserrant le tube de la traverse, avec interposition d’un palier de matériau élastique du genre élastomère (revendication 9).

 

·        Le train d’atterrissage comporte au moins trois organes de liaison à la structure de l’hélicoptère, dont un assujetti centralement sur l’une des traverses et les deux autres assujettis, en étant mutuellement écartés de part et d’autre de l’axe longitudinal du train, sur l’autre traverse (revendication 10).

 

·        La traverse avant intégrée est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol (revendication 15).

 

[249]       Si l’on revient brièvement à la revendication 1, il est évident qu’elle revendique plus qu’un dessin, comme Bell le laisse entendre. Après avoir examiné la totalité de la preuve des experts, la Cour conclut que cette revendication inclut un objet particulier, en l’occurrence un train d’atterrissage d’hélicoptère, muni de deux patins et de traverses avant et arrière comportant les caractéristiques qui y sont mentionnées. Aucune limite n’est introduite dans cette revendication au sujet du type d’hélicoptère ou de l’utilisation du train d’atterrissage. Les limites à la revendication 1 qu’introduisent les revendications 2 à 16 sont soit de la nature de limites physiques (p. ex., le type de métal utilisé, des éléments additionnels, etc.), soit des caractéristiques de conception particulières (p. ex., l’inclinaison vers l’avant ou vers l’arrière de la traverse avant).

 

VIII.         LA CONTREFAÇON DU BREVET

[250]       Maintenant que les revendications du brevet 787 ont été interprétées, la Cour peut procéder au règlement de la question de la contrefaçon. Le cadre juridique approprié ayant déjà été exposé, il suffit de rappeler que l’on règle la question de la contrefaçon en comparant les modèles de train d’atterrissage en litige (les trains Legacy et Production) aux revendications, et non au propre modèle d’Eurocopter (le train d’atterrissage Moustache) présent sur l’EC120 et l’EC130. Le fardeau de prouver la contrefaçon pèse exclusivement sur les épaules d’Eurocopter.

 

Le train Production

[251]       Après avoir examiné la totalité des éléments de preuve, la Cour conclut qu’il convient de rejeter l’action en contrefaçon en rapport avec le train Production. Par souci de concision et d’efficacité, l’analyse faite plus tôt au sujet de l’interprétation des divers éléments de revendication du brevet 787 ne sera pas répétée dans l’analyse sur la contrefaçon qui suit. Par ailleurs, cette analyse doit être lue à la lumière, et parfois en plus, des questions soulevées dans la section « Interprétation » qui précède.

 

[252]       Malgré que Bell ne conteste pas le fait que le train d’atterrissage initial (Legacy) contient la totalité des éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 787, il reste encore à déterminer si le train d’atterrissage modifié (Production) tombe sous le coup de la revendication 1 du brevet 787.

 

[253]       Eurocopter a passé une bonne partie de son temps au procès à analyser les passages des rapports de M. Wood qui intègrent l’analyse par la méthode des éléments finis de M. Pierre Prud’homme-Lacroix. Cette analyse a été faite dans une tentative pour prouver l’équivalence fonctionnelle entre le train d’atterrissage breveté et le train Production. Cependant, au risque de paraître simpliste, un brevet n’est pas contrefait juste parce que le produit du défendeur accomplit la même fonction que l’invention brevetée. Ce qui compte c’est de savoir si le produit du défendeur intègre la totalité des éléments essentiels de la revendication, et non si les produits des parties fonctionnent de manière semblable.

 

[254]       Eurocopter fait grand cas du fait que le train Legacy a été modifié très rapidement, et elle fait valoir que le court délai dénote que la modification à apporter était évidente. Cependant, M. Wood déclare ensuite que la personne moyennement versée dans l’art procéderait à une analyse exhaustive dans le but de vérifier si les trains d’atterrissage étaient fonctionnellement équivalents, et ce, en faisant plus qu’une simple application du principe de Saint-Venant, même jusqu’au point de créer un modèle d’éléments finis pour chaque configuration de train d’atterrissage. Ces deux thèses s’excluent l’une l’autre : une modification ne peut pas être évidente et exiger aussi une analyse exhaustive.

 

[255]       En ce qui concerne l’analyse par la méthodes des éléments finis de M. Prud’homme‑Lacroix que M. Wood a utilisée, il n’est pas évident que le modèle original et le modèle modifié tiennent tous deux compte de toutes les modifications apportées au train Legacy, à savoir le point de contact au sol différent et la rigidité additionnelle qu’apporte la présence d’un manchon. La Cour souscrit au témoignage de MM. Hodges et Gandhi, selon lesquels la rigidité additionnelle du manchon présent dans le train Production a été sous-évaluée. Quoi qu’il en soit, son analyse a fait ressortir des différences dans les fréquences de tangage et de roulis entre les deux trains d’atterrissage. M. Wood a admis que si la rigidité de la sellette avait été convenablement modélisée, la différence de fréquence aurait probablement été encore supérieure.

 

[256]       Détail plus important, même si Eurocopter soutient que Bell a fait homologuer l’hélicoptère Bell 429 avec le train Production [traduction] « principalement en faisant passer le train Production comme une version légèrement modifiée du train Legacy qui fonctionnait d’une manière équivalente », la preuve n’étaye pas cet argument. En fait, Bell a convaincu Transports Canada de la fiabilité de son logiciel perfectionné d’analyse par la méthode des éléments finis en prédisant les résultats d’essais de chute concernant un certain nombre de configurations de train d’atterrissage différentes, dont le train Legacy. Après avoir obtenu l’autorisation d’utiliser le logiciel, Bell a procédé à une analyse exhaustive du train Production pour fins d’homologation.

 

[257]       En ce qui concerne la résonance au sol, Bell a bel et bien soutenu auprès de Transports Canada que le train Production était dynamiquement semblable au train Legacy en mode roulis. Cependant, les similitudes entre les deux trains d’atterrissage qui régissent leur comportement dynamique ne sont pas l’objet du brevet 787, qui revendique le monopole sur un train d’atterrissage comportant une traverse avant inclinée et décalée et intégrée aux patins. Le fait que Transports Canada ait accepté l’argument de Bell selon lequel le train Production était d’une certaine façon [traduction] « dynamiquement équivalent » à des fins de réglementation est dépourvu de pertinence. En particulier, Bell nie que son train Production contient tous les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 787.

 

[258]       En fin de compte, après avoir examiné en détail les éléments de preuve, la Cour rejette l’allégation d’Eurocopter selon laquelle le train Production contrefait le brevet 787. Après avoir comparé ce train d’atterrissage avec le train d’atterrissage d’hélicoptère breveté, la Cour conclut que les éléments essentiels de la revendication 1 ne sont pas tous présents. Cela suffit pour rejeter l’allégation selon laquelle les revendications dépendantes 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 sont elles aussi contrefaites.

 

[259]       Si l’on examine le train Production proprement dit, la preuve indique clairement que la traverse avant de ce train d’atterrissage est fixée aux patins au moyen de manchons. Après avoir entendu les arguments des experts et examiné le train Production dans les installations de Mirabel, la Cour conclut que, notamment, ce train ne comporte pas la « double courbure » qui, comme il a été mentionné plus tôt, est l’un des éléments essentiels de la revendication 1.

 

[260]       Advenant que la double courbure soit considérée comme un élément essentiel de la revendication 1, M. Logan a laissé entendre que cette courbure peut être trouvée dans le raccord arrondi qui est présent sur le manchon qui permet de fixer au patin la traverse du train Production. Là encore, au risque de répéter l’analyse que la Cour a faite à la section « Interprétation », l’argument subsidiaire de M. Logan selon lequel, si la double courbure est essentielle, le point C1 est présent dans le raccord arrondi du manchon de la traverse avant du train Production, doit être rejeté lui aussi.

 

[261]       M. Logan a soutenu que le raccord [traduction] « crée une courbe, quoique plus prononcée que la courbe continue et lisse du train d’atterrissage original ». Cependant, lors de l’inspection du train Production à Mirabel, il a déclaré qu’il est impossible de voir la courbe puisqu’elle se trouve à l’intérieur du manchon. Répondant à la question de la Cour, il a convenu qu’il est nécessaire de [traduction] « imaginer » cette courbe.

 

[262]       En fait, chacun des experts de Bell a soutenu de façon indépendante que la personne moyennement versée dans l’art ne considèrerait pas que le petit raccord arrondi constituerait la première courbe indiquée dans les revendications. Comme l’a déjà fait remarquer la Cour à la section « Interprétation », il va sans dire que le fait de remplacer l’une des courbes par un manchon rigide aura pour effet d’augmenter la rigidité générale du train d’atterrissage, ce que M. Logan a lui-même confirmé. C’est donc dire que la personne moyennement versée dans l’art ne serait pas en mesure de dire qu’un tel remplacement n’aurait manifestement pas d’effet sur la flexibilité du train d’atterrissage.

 

[263]       Par ailleurs, le train Production ne possède pas la traverse avant intégrée qu’exige la revendication 1. Le train Production est formé d’une traverse avant rectiligne reliée à un patin rectiligne par l’intermédiaire d’un manchon, et le patin se poursuit à l’avant de la sellette et se termine par une spatule. La personne moyennement versée dans l’art comprendrait donc que le brevet 787 met en contraste deux mécanismes de fixation différents, et que, de ce fait, une traverse fixée au moyen d’un manchon est, par définition, non intégrée.

 

Le train Legacy

[264]       La question de savoir si la totalité des éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 787 sont présents dans le train Legacy ne suscite aucun débat. Il existe une preuve évidente que ce train d’atterrissage tombe sous le coup des revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 du brevet 787. La question est de savoir si Bell peut faire débouter l’action en soulevant un moyen de défense fondé sur : 1) le paragraphe 55.2(1) de la Loi (exception pour cause réglementaire ou expérimentale), et/ou 2) l’état antérieur de la technique (Gillette).

 

L’exception pour cause réglementaire ou expérimentale

[265]       Bell soutient qu’elle peut se prévaloir de l’exception pour cause réglementaire ou expérimentale qui est fondée sur le paragraphe 55.2(1) de la Loi et la jurisprudence, car vingt des vingt-et-un trains Legacy qui ont été fabriqués ont, semble-t-il, servi à exécuter des essais de résistance à la fatigue et aux chutes, ainsi qu’à mettre au point et à tester un ensemble de flottaisons, le tout à des fins d’homologation. Le dernier train Legacy a été utilisé dans le cadre d’une exposition statique, dans le cadre d’un salon commercial. Les vingt-et-un trains Legacy sont actuellement entreposés; la pièce D-10 présente un sommaire des usages antérieurs de chacun des vingt trains Legacy, ainsi que leur emplacement actuel.

 

[266]       Un acheteur n’achète pas un train d’atterrissage d’hélicoptère, mais plutôt un hélicoptère muni d’un train d’atterrissage. En l’espèce, avant de lancer le processus d’homologation du Bell 429, Bell avait déjà analysé, expérimenté et mis à l’essai différents types de trains d’atterrissage et avait clairement opté pour le train Legacy. Le fait que Bell dise ne pas avoir été au courant de l’existence du brevet 787 avant mai 2008 est peu pertinent. En l’espèce, vingt‑et‑un trains Legacy ont été fabriqués et Bell attendait juste l’homologation du Bell 429 pour vendre son nouvel hélicoptère équipé de ce train.

 

[267]       Au moins un des vingt-et-un trains d’atterrissage a été utilisé sur un aéronef qui n’a pas servi à des essais (57704) et qui a été présenté lors d’un salon commercial dans le cadre d’une exposition statique. Par ailleurs, le fait de solliciter des commandes anticipées, de signer des accords avec des clients et de faire la promotion d’un nouveau modèle d’hélicoptère doté d’un train d’atterrissage à l’occasion de salons commerciaux va manifestement au-delà de ce que la Loi et la common law envisagent par les exceptions susmentionnées. Lors du témoignage de M. Kohler, il a été révélé que chaque contrat d’achat du Bell 429 comprenait le versement d’un acompte de 25 000 $ et que, en octobre 2007, Bell avait ainsi accumulé environ 6 millions de dollars d’acomptes.

 

[268]       Après un examen de la totalité de la preuve, la Cour conclut que la construction, l’utilisation ou la vente, par Bell, du train Legacy ne se justifie pas dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information que la loi oblige à fournir. Cela suffit pour rendre Bell non admissible à l’exception pour cause règlementaire ou à l’exception de common law aux fins d’expérimentation.

 

La défense Gillette

[269]       Bell allègue qu’elle exécutait des réalisations antérieures lorsqu’elle a conçu et fabriqué le train d’atterrissage Bell Legacy dans le but de l’intégrer à son nouvel hélicoptère porte-étendard, le Bell 429.

 

[270]       Il n’est pas contesté qu’avant la publication de la demande relative au Brevet 787 (c’est‑à-dire le 10 décembre 1997), Bell s’était servie d’un train d’atterrissage classique sur son hélicoptère Bell 427 et des modèles antérieurs, comme en font foi un certain nombre de documents et de photographies qui ont été produits en l’espèce : voir la pièce P-28, qui montre un certain nombre d’hélicoptères de Bell équipés d’un train d’atterrissage classique, ainsi que la pièce RC‑224 (l’article de M. Minderhoud).

 

[271]       Il ressort d’un certain nombre de preuves documentaires antérieures que la forme d’un traîneau (comme dans le cas de l’EC120) a peut-être été choisie au départ par Bell pour ses propriétés de protection contre les câbles et pour son côté esthétique, et aussi parce qu’elle présentait un risque moindre sur le plan du mode de résonance avant/arrière (RC‑372, RC‑378 et RC‑481). Cela dit, des preuves documentaires plus contemporaines montrent clairement que le comportement dynamique amélioré (résonance au sol) et le poids inférieur ont été les principaux facteurs qui ont joué dans le choix d’un train d’atterrissage de type « traîneau », par opposition au type classique.

 

[272]       Dans un article présenté au 64e Forum annuel de l’American Helicopter Society, tenu à Montréal du 29 avril au 1er mai 2008 et intitulé « Development of Bell Helicopter’s Model 429 Sleigh Type Skid Landing Gear », et écrit par M. Peter Minderhoud, (l’article de M. Minderhoud) (RC‑224), Bell loue l’amélioration du comportement dynamique, les qualités d’absorption d’énergie et le poids inférieur du [traduction] « train d’atterrissage à patins de type « traîneau » par rapport au [traduction] « type classique » et qui [traduction] « a été conçu pour la première fois par Bell hélicoptère Textron pour l’intégrer à son nouvel hélicoptère civil, le modèle 429 ».

 

[273]       Parlant du train Legacy, M. Minderhoud déclare fièrement en 2008 : [traduction] « [c]et hélicoptère a été conçu avec un train d’atterrissage de type « traîneau ». Il s’agit de la première fois que Bell hélicoptère fait appel à un tel type de train. Le train classique utilisé pour tous les autres modèles de Bell consiste en des traverses tubulaires avant et arrière parallèles qui sont reliées par deux tubes de patin longitudinaux; ces tubes de patin dépassent légèrement à l’avant de la traverse tubulaire avant (la figure 3 montre le modèle 427 muni d’un train d’atterrissage classique). Le train de type « traîneau  diffère du train classique en ce que la traverse tubulaire avant et les tubes de patin ont été intégrés ».

 

[274]       Cela dit, Bell savait que le train d’atterrissage de type « traîneau » ressemblait étroitement au train d’atterrissage Moustache de l’EC120. M. Gardner a même déclaré que le train Legacy comporte toutes les caractéristiques du train d’atterrissage Moustache, à l’exception de la courbure inférieure. En fait, selon des preuves obtenues lors des interrogatoires préalables, lorsque des préoccupations ont été évoquées à l’époque, M. Foster a dit, à ce qu’il paraît, aux ingénieurs de Bell de [traduction] « poursuivre le travail ». Ce dernier n’a pas été appelé comme témoin pour confirmer ou pour réfuter cette déclaration. En fin de compte, Bell a poursuivi à toutes fins pratiques le travail relatif au train Legacy.

 

[275]       Quoi qu'il en soit, Bell soutient que la totalité des caractéristiques du train Legacy était présente dans les réalisations antérieures, notamment les documents portant sur les collisions avec des obstacles (RC‑204, RC‑493 et RC‑497). Bell soutient que ces documents étaient publiquement disponibles et que, cela étant, ils font partie des réalisations antérieures. Chacun des experts de Bell convient que le train d’atterrissage dont il est question dans les documents portant sur les collisions avec des obstacles est incliné. Bell soutient également que le train Legacy est identique, à tous égards importants, au train d’atterrissage décrit dans les documents de la NASA (RC‑201 et RC‑202). Ces documents étaient connus chez Bell et auraient été du domaine public.

 

[276]       Bell soutient de ce fait qu’en fabriquant le train Legacy elle mettait en pratique les réalisations antérieures et que toute contrefaçon du brevet 787 est sans conséquence. Compte tenu de ce qui précède, l’interdépendance entre l’antériorité et la défense Gillette est évidente : elles sont chacune l’un des deux côtés de la médaille.

 

[277]       Au moins deux des documents portant sur les collisions avec des obstacles (RC‑204 et RC‑497) ont été rendus publics et étaient à la disposition d’une personne moyennement versée dans l’art à la date pertinente, soit le 10 juin 1996 dans le cas présent. L’un des coauteurs de ces documents était M. Bharat P. Gupta, qui travaillait comme ingénieur de projet pour Textron, à Fort Worth (Texas).

 

[278]       Les documents portant sur les collisions avec des obstacles avaient pour but d’étudier des moyens d’améliorer la tolérance des hélicoptères aux collisions avec des obstacles en vol. Des concepts particuliers, dérivés pour le rotor principal, le rotor de queue, le fuselage et le train d’atterrissage (système fixe), ainsi que pour le moyeu et les commandes du rotor principal, ont été soumis à une analyse comparative fondée sur leurs caractéristiques fonctionnelles, opérationnelles et d’intégration aux aéronefs, ainsi que sur leur potentiel de réduction du coût des dommages dus à une collision.

 

[279]       Le fait qu’aucun des documents portant sur les collisions avec des obstacles n’examine le comportement de divers modèles de train d’atterrissage sur le plan de la régulation de fréquence et de la prévention de la résonance au sol n’est pas pertinent. La question est de savoir s’il existe une seule publication, connue du public, qui divulgue, ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet 487.

 

[280]       La pièce RC‑204 (ainsi que RC‑493) fait état d’une méthode par laquelle le train d’atterrissage à patins pourra être protégé contre un enchevêtrement avec des fils et des câbles suspendus, soit en éliminant le tube à patin en saillie à l’avant (le premier concept), soit en mettant en place des équerres (le second concept). À l’évidence, il n’y aurait pas de contrefaçon du brevet 787 si l’on exécutait le second concept, car ce dernier exige simplement l’utilisation d’équerres complémentaires qui pourraient être mises en place à l’extrémité du tube à patin en saillie existant du train d’atterrissage classique illustré à la figure 5 (la figure 24 dans la pièce RC‑ 493). Cela laisse le premier concept.

 

[281]       Les auteurs des documents portant sur les collisions avec des obstacles expliquent que le premier concept (c’est-à-dire l’élimination du tube à patin en saillie avant) serait plus souhaitable, mais réalisable uniquement sur un nouveau plan d’aéronef qui n’est pas divulgué : [traduction] « [c]ela est dû à la structure de soutien et à la géométrie qui sont requis pour obtenir une stabilité antirenversement acceptable. (Les plans existants obligeraient à effectuer des modifications approfondies en vue de prévoir ces caractéristiques) ».

 

[282]       Il nous reste donc une représentation artistique générale d’un hélicoptère bipales en vol, équipé d’un train d’atterrissage à patins sans patin en saillie à l’avant. La figure 4a de la pièce RC‑204 et la figure 23 de la pièce RC‑493 peuvent être facilement interprétées erronément, comme en font foi les interprétations différentes que les experts en on faites.

 

[283]       La meilleure façon de comprendre la figure 4a est de la comparer à la figure 4b, où l’on voit clairement le même modèle d’hélicoptère bipales équipé d’un train d’atterrissage classique. Dans la figure 4b, les traverses tubulaires sont parallèles et perpendiculaires au train à patins; on aperçoit le guide mis en place à l’avant du patin en saillie, qui sert à détourner les fils. Dans la figure 4a, le patin en saillie a disparu et la traverse tubulaire avant, qui est parallèle à la traverse tubulaire arrière, a un bord coupant.

 

[284]       Les figures 4a et 4b sont reproduites ci-dessous :

(b) knife edge = bord coupant

Wire guide = guide-câble

Skid gear protection = protection du train à patins

 

(a) = knife edge = bord coupant

Knife edge on forward cross tube = bord coupant sur la traverse tubulaire avant

Knife edge on tail rotor guard = bord coupant sur le protège-rotor de queue

 

[285]       Les experts de Bell ont admis qu’il faut utiliser plusieurs angles différents pour comprendre comme il faut une configuration de train d’atterrissage, chose que les documents portant sur les collisions avec des obstacles ne comportent pas. La difficulté que présente le fait de déterminer l’inclinaison à partir de simples dessins a été mise en relief par le refus de M. Toner de confirmer que les deux traverses étaient parallèles.

 

[286]       Par ailleurs, le texte d’accompagnement est par trop laconique sur la question d’une inclinaison quelconque; même celle de la traverse. Il a fallu que les experts tirent des inférences des autres dessins. Les deux éléments du critère de l’antériorité ne laissent aucune place pour de telles conjectures. Les schémas et le texte contenus dans les documents portant sur les collisions avec des obstacles ne permettent pas à une personne moyennement versée dans l’art d’arriver à l’invention brevetée et, cela étant, les deux éléments du critère ne sont pas remplis.

 

[287]       Dans le meilleur des cas, en présumant que la traverse avant illustrée à la figure 4a est réellement incline et décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol, la double courbure, qui est un élément essentiel de la revendication 1 du brevet 787, est absente. Il n’y a manifestement pas de courbure inférieure : la figure 4 montre un angle plat et non une courbure lisse comme celle qui est illustrée à la figure 1 du brevet 787. Il n’y a pas de zone de transition, au sens du brevet 787.

 

[288]       Par conséquent, la Cour conclut que Bell n’est pas parvenue à prouver que les conditions de divulgation et de mise à la disposition des moyens nécessaires sont remplies dans le cas des documents portant sur les collisions avec des obstacles.

 

[289]       Par ailleurs, Bell soutient que le train Legacy est identique, à tous égards importants pour le brevet 787, au train d’atterrissage décrit dans les documents de la NASA (RC‑201 et RC‑202). Au procès, M. Lambert a témoigné au sujet de sa connaissance de la pièce RC‑201 (NASA), qu’il a dit avoir vue pour la première fois dans les années 1990. Il a déclaré également qu’il était au courant que le programme de la NASA avait débuté à la fin des années 1970.

 

[290]       Bell n’est pas parvenue à établir que les documents de la NASA (RC‑201 et RC‑202) sont publiquement disponibles. Les documents produits au procès ont été trouvés dans les archives de la société à Fort Worth (Texas). Rien ne prouve que Bell (ou Textron), qui participait à un programme mené conjointement par Bell et la NASA, a rendu publics les documents de la NASA. Le propre expert de Bell, M. Hodges, a même cherché ces documents en se servant de mots clés tirés des documents eux-mêmes, et il a été incapable de les trouver.

 

[291]       En présumant pour les besoins du débat que les documents de la NASA sont publics, la Cour privilégie le témoignage de M. Logan sur la non-antériorité et conclut que le train d’atterrissage illustré dans la pièce RC‑201 ne montre pas la présence d’une traverse et qu’il n’y a pas assez de renseignements pour dévoiler la partie arrière du train d’atterrissage. De plus, l’utilisation d’une traverse avant articulée ou l’utilisation de dispositifs amortisseurs n’est pas visée par les recommandations du brevet 787. L’opinion des experts de Bell sur la mise à la disposition des moyens nécessaires s’est également avérée fragile à la suite de questions additionnelles posées au procès par les avocats d’Eurocopter. Soit dit en passant, le train d’atterrissage mis en œuvre par ce programme était monté sur roues.

 

[292]       Dans ce contexte, en définitive, la Cour n’est pas convaincue que les documents de la NASA répondent aux deux éléments du critère de l’antériorité. Selon la prépondérance des probabilités, Bell n’a pas montré que les documents de la NASA divulguent ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet 787 et que l’exigence de la mise à la disposition des moyens nécessaires est satisfaite.

 

IX.              LA VALIDITÉ

[293]       Bell a contre-attaqué en alléguant que les revendications 1 à 16 du brevet 787 sont invalides pour divers motifs, que la Cour va maintenant examiner. Avant le début du procès, Bell a abandonné le motif d’invalidité fondé sur l’ambiguïté alléguée du brevet 787. De plus, nul n’a laissé entendre que les inventeurs avaient fait de fausses déclarations dans le mémoire descriptif. Cela laisse les allégations d’évidence, d’insuffisance du mémoire descriptif, d’absence d’utilité ou de portée excessive.

 

L’évidence

[294]       L’opinion des experts de Bell selon laquelle le train d’atterrissage breveté était antériorisé repose sur deux groupes de documents : les documents de la NASA (RC‑201 et RC‑202) et les documents portant sur les collisions avec des obstacles (RC‑204, RC‑493 et RC‑497). Dans l’analyse portant sur la contrefaçon, la Cour a déjà rejeté la défense Gillette et conclu qu’aucun de ces deux groupes de documents ne satisfaisait au critère à deux volets de l’antériorité. En conséquence, la Cour se doit aussi de rejeter l’allégation que Bell fait dans sa demande reconventionnelle, à savoir que les revendications 1 à 16 du brevet 787 sont réputées invalides pour cause d’antériorité.

 

[295]       Cela nous laisse le motif de contestation fondé sur l’évidence. Seule la revendication 1 du brevet 787 est indépendante. De plus, nul ne conteste que les revendications 2 à 14 divulguent quoi que ce soit de nouveau par rapport à la revendication 1. Plus particulièrement, lorsqu’on les considère isolément et non pas en combinaison avec la revendication 1, Eurocopter admet que les éléments suivants, mentionnés dans les revendications 2, 3, 4, 7 et 9 ne sont pas nouveaux :

a)      l'utilisation de patins et de traverses en aluminium (revendication 2);

b)      l’aluminium se caractérise par une limite égale à environ 75 % de la résistance à la rupture, et par un allongement relatif à la rupture au moins égal à 12 % (revendication 3);

c)      l’épaisseur de paroi des tubes constituant les traverses avant et arrière est dégressive entre la partie centrale de la traverse et sa jonction au patin correspondant (revendication 4);

d)      l’utilisation d’un manchon en aluminium pour fixer la traverse arrière au patin (revendication 5);

e)      le moyen de jonction entre la traverse et le patin est démontable (revendication 7);

f)        les organes de liaison entre les traverses avant et arrière et la structure de l’hélicoptère sont du type à frottement contrôlé en rotation, comportant à cet effet deux demi‑colliers ou analogues enserrant le tube de la traverse, avec interposition d’un palier de matériau élastique du genre élastomère (revendication 9).

 

[296]       La revendication 15 couvre la variante selon laquelle la traverse avant intégrée est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol. En revanche, la revendication 16 couvre la variante selon laquelle la traverse avant intégrée est décalée vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol. Ces deux variantes sont visées par la revendication 1.

 

[297]       Par conséquent, au chapitre de l’évidence, le seul débat a trait aux revendications 1, 15 et 16 du brevet 787. Cela dit, l’allégation de Bell, à savoir que l’invention revendiquée est évidente, contredit quelque peu son affirmation selon laquelle le mémoire descriptif du brevet 787 est tout à fait insuffisant, en ce sens qu’il ne décrit pas ce qu’est l’invention ni comment l’utiliser avec autant de succès que l’inventeur (M. Prud’homme-Lacroix) l’a fait en l’espèce (en expliquant au procès qu’en inclinant vers l’avant la traverse tubulaire avant, il est parvenu à obtenir une diminution dans le mode tangage).

 

[298]       Après avoir examiné la totalité des éléments de preuve ainsi que les principes applicables et les éléments du critère de l’évidence (au paragraphe 73 des présents motifs), la Cour conclut que les revendications 1, 15 et 16 du brevet 787 ne sont pas évidentes. De plus, compte tenu de cette conclusion, les revendications  2 à 14 du brevet 787 ne le sont pas non plus.

 

[299]       Le concept de la personne moyennement versée dans l’art, ainsi que les connaissances générales courantes de cette dernière, ont déjà été analysés en détail plus tôt dans le présent jugement, et il est nul besoin de les répéter ici.

 

[300]       L’invention décrite dans le brevet 787 est nettement plus qu’une simple forme (dessin), comme l’indique clairement la description. L’idée originale était de s’éloigner des solutions adoptées dans les réalisations antérieures en révélant un train d’atterrissage plus flexible. L’invention revendiquée comporte une géométrie particulière (une traverse avant décalée et inclinée, ainsi qu’une zone de transition intégrée) qui crée un porte-à-faux, permettant à la traverse avant de travailler en mode flexion et en mode torsion. Cette capacité accrue offre plusieurs avantages par rapport au train d’atterrissage classique, notamment sur le plan de la résonance au sol et de la réduction des facteurs de charge. Résultat, les mouvements doivent être mesurés à l’aide d’un modèle d’éléments finis fonctionnant de manière tridimensionnelle et non pas seulement bidimensionnelle.

 

[301]       Les réalisations antérieures doivent être interprétées à la lumière des éléments de preuve disponibles et du contexte dans lequel l’inventeur a créé son invention :

·        Les documents de la NASA font état d’éléments en matériaux composites, notamment des amortisseurs pour atterrissages en catastrophe.

 

·        Les documents portant sur les collisions avec des obstacles se rapportent aux aéronefs et aux obstacles présents dans les environs. Il y avait fort peu d’indications dans ces documents au sujet des trains d’atterrissage, et aucune indication claire que le train d’atterrissage comportait des traverses tubulaires inclinées (décalées).

 

·        Les documents QH-50 (RC‑499, RC‑ 500 et RC‑501) ont trait à un aéronef qui ne peut pas avoir de problèmes de résonance au sol.

 

·        La pièce RC‑536 a trait à un train d’atterrissage conçu pour un ballon à air chaud, qui n’a pas de rotor et dont le facteur de charge est incertain; il ne peut certes pas avoir de problèmes de résonance au sol.

 

·        Les pièces XV-I (RC‑503) et XV-3 (RC‑516 et RC‑517) ont trait à un aéronef unique équipé de rotors rigides, qui ne peut pas avoir lui non plus de problèmes de résonance au sol. Ces documents ont été conçus pour des applications différentes de celles du train d’atterrissage classique à la fine pointe de la technologie.

 

·        Les dessins industriels (RC‑528, RC‑529 et RC‑539) ne présentent pas de renseignements sur les caractéristiques fonctionnelles des aéronefs illustrés.

 

·        Les brevets américains (RC‑1, RC‑531, RC‑495, RC‑498, RC‑532 et RC‑507) ne portent pas sur des trains d’atterrissage.

 

[302]       La Cour conclut qu’aucune des réalisations antérieures susmentionnées que les experts de Bell ont mis de l’avant ne révèlent l’idée originale que contient le brevet 787, soit parce que le document en question était ambigu, soit parce que l’aéronef en question n’avait pas de problèmes de résonance au sol, soit parce que le document n’était pas destiné à révéler des renseignements de nature fonctionnelle. De plus, il n’y a aucune preuve que la personne moyennement versée dans l’art arriverait à la solution qu’indique le brevet 787 en rapport avec les facteurs de charge et la régulation de fréquence. Pour ces motifs, les documents qui précèdent ne constituent pas des réalisations antérieures au sens du brevet 787.

 

[303]       Sans répéter la même chose, les trois experts d’Eurocopter ont mis en lumière dans leurs rapports ou leurs témoignages un certain nombre de différences entre ce qui, selon les experts de Bell, fait censément partie de l’« état de la technique » et l’idée originale exposée dans les revendications 1, 15 et 16 du brevet 787, en ce sens que chacun desdits patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement auxdites plages longitudinales d’appui au sol, au-dessus du plan de ces dernières, les deux zones de transition constituant ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée – vers l’avant ou vers l’arrière – par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

 

[304]       La Cour convient avec M. Logan qu’il est très difficile de discerner, à partir des pièces RC‑195 et RC‑ 196, si la traverse avant est bel et bien décalée. Quoi qu’il en soit, le dessin reproduit au paragraphe 106 de la réponse de M. Logan aux questions relatives à la validité montre clairement que le train d’atterrissage du Bell 205 a une configuration orthogonale classique. Par ailleurs, le Bell 205 est un hélicoptère bipales et il n’a donc pas de problèmes de résonance au sol.

 

[305]       Selon M. Logan, les photographies du XV-3 que comporte la pièce RC‑208 montrent que la traverse avant est inclinée vers l’avant (tout comme la traverse arrière; les traverses avant et arrière sont parallèles l’une par rapport à l’autre, ce qui n’est pas la même configuration que celles du train d’atterrissage Moustache). Cependant, la pièce RC‑208 ne montre pas que la traverse avant est décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact. De plus, il n’est pas mentionné dans la pièce RC‑208 que le train d’atterrissage du XV-3 permettait d’éviter les problèmes de résonance au sol.

 

[306]       La photographie du XV-1 (RC‑503) sur laquelle se fondent les experts de Bell ne montre pas clairement le décalage de la traverse avant. À mon avis, il ne leur est donc pas possible d’affirmer que la traverse avant du XV-1 est décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des patins sur le sol.

 

[307]       En résumé, en acceptant la preuve de M. Logan, la Cour conclut qu’aucune des références en matière de réalisations antérieures que citent les experts de Bell ne décrit une inclinaison ou un décalage de la traverse avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des patins sur le sol et l’intégration structurale de la traverse avant aux patins longitudinaux, ce qui permet ainsi au train d’atterrissage d’éviter les problèmes de résonance au sol.

 

[308]       Par ailleurs, si l’on compare les réalisations antérieures à l’idée originale qui a été indiquée plus tôt, l’invention n’était pas nécessaire pour passer d’un stade à l’autre. Eurocopter a passé trois ans à effectuer des centaines de calculs et à étudier plusieurs trains d’atterrissage différents avant d’arriver au train d’atterrissage Moustache. Bell a loué un EC120, a formé plusieurs de ses employés pour qu’ils puissent utiliser cet appareil et a effectué des essais sur ce dernier. Eurocopter et Bell ont été forcés d’adapter leur logiciel d’analyse par la méthode des éléments finis afin de prendre en compte les nouvelles caractéristiques du train de type « traîneau ». Si l’on met tous ces éléments ensemble, il est évident que l’invention n’était ni connue de la personne moyennement versée dans l’art ni évidente à ses yeux, et que cette invention était nécessaire pour faire ce pas en avant.

 

[309]       Au vu de ce qui précède, la Cour souscrit à l’analyse effectuée et aux conclusions tirées à cet égard par les experts d’Eurocopter.

 

[310]       Quant à l’idée selon laquelle cela était « évident à essayer », la Cour souscrit à l’énoncé que fait Eurocopter des facteurs jurisprudentiels qu’il faut prendre en compte pour cette analyse, ainsi qu’à la réponse d’Eurocopter à chacun des facteurs :

a)      Était-il plus ou moins évident que ce qui avait été proposé fonctionnerait?

      Non. M. Prud'homme-Lacroix lui-même était sceptique au départ. Les propres documents de Bell font état des caractéristiques exceptionnelles du train d’atterrissage Moustache sur le plan de la résonance au sol.

b)      La réalisation de l’intention a-t-elle été facile?

      Non. Le train d’atterrissage Moustache a été mis au point entre 1992 et 1995, période au cours de laquelle des calculs ont été faits sur plus d’une centaine de trains d’atterrissage classiques, et les trains d’atterrissage ont été considérés comme inadéquats.

c)      Les réalisations antérieures étaient-elles une raison pour trouver la solution qu’offre le brevet?

      Non. Les trains d’atterrissage classiques fonctionnaient relativement bien et avaient été utilisés avec succès.

d)      Quelles sont les étapes qui ont mené à l’invention?

Pendant plusieurs années, M. Prud’homme-Lacroix a effectué des calculs sur un grand nombre de trains d’atterrissage, mais sans succès.

e)      L’invention était-elle évidente à essayer?

Non. L’idée de Henry Barquet était le fruit d’une pure et simple chance.

 

[311]       Selon Bell, l’application de ces mêmes facteurs pourrait être problématique au vu des autres problèmes de validité. Si les revendications 1, 15 et 16 du brevet 787 ne sont pas antériorisées ou par ailleurs évidentes, Bell se demande, subsidiairement, si le mémoire descriptif du brevet 787 est suffisant, si l’utilité de l’invention est démontrée ou si les réalisations revendiquées sont d’une portée excessive.

 

L’insuffisance de la divulgation (la meilleure manière de réaliser l’invention)

[312]       Bell soutient que la divulgation (les alinéas 27(3)b) et suivants de la Loi) est insuffisante et que la meilleure manière de réaliser l’invention n’est pas indiquée (alinéa 27(3)c) de la Loi). Le caractère suffisant de la divulgation est évalué en fonction de la date de publication du brevet, soit le 10 décembre 1997. La meilleure manière de réaliser l’invention est évaluée en fonction de la date de priorité, soit le 10 juin 1996.

 

[313]       Le premier objectif de la description est de permettre à la personne moyennement versée dans l’art de réaliser l’invention, une fois que la durée du brevet a expiré. Compte tenu de ce fait, l’inventeur est obligé de décrire son invention de manière correcte et complète, à la date de priorité. Si l’inventeur omet des renseignements en vue de conserver un avantage, s’il induit le public en erreur ou s’il ne fait pas état de l’éventail complet de ses connaissances, la description est insuffisante.

 

[314]       Le dimensionnement du train d’atterrissage d’un hélicoptère est un art que connaît une personne qui y est moyennement versée. Tous les experts que la Cour a entendus reconnaissent que l’invention et la fabrication d’un train d’atterrissage représentent une série de compromis et que, aussi bien dans le cas d’un train d’atterrissage classique que dans celui du train d’atterrissage Moustache, son adaptation à un modèle d’hélicoptère particulier dépend de plusieurs facteurs et qu’il s’agit d’un processus long et fastidieux qui nécessite des calculs ordinaires, mais néanmoins nombreux et complexes.

 

[315]       Les témoins experts de Bell et d’Eurocopter s’entendent au moins sur le point suivant : l’utilisation de méthodes d’analyse d’éléments finis était déjà une pratique courante en 1996. Cela dit, la Cour accepte le témoignage des experts d’Eurocopter selon lequel une personne moyennement versée dans l’art qui lirait la description et voudrait réaliser l’invention saurait comment dimensionner le train d’atterrissage par rapport à l’aéronef en question, saurait choisir le meilleur angle d’inclinaison et n’aurait pas de difficulté à déterminer s’il est préférable de fixer le train d’atterrissage au fuselage à trois ou à quatre points d’attache, en fonction du poids de l’aéronef.

 

[316]       Bell elle-même a reconnu ce fait, comme en témoignent les remarques que M. Minderhoud a faites dans l’article déjà mentionné qu’il a présenté à la conférence tenue en 2009 :

[traduction]

La configuration d’un train à patins est d’un concept simple, mais son dimensionnement est une tâche complexe à cause des exigences (contradictoires) suivantes : le degré de résistance à la fatigue doit être faible, car la zone plastique requiert une capacité d’absorption d’énergie élevée, tandis que les exigences de rigidité sont définies indépendamment de cela. Outre ces exigences structurales, un minimum de poids, un profil bas, la garde au sol et la productibilité (coût) sont d’autres exigences de conception. En fait, le dimensionnement consiste à trouver un compromis acceptable entre toutes ces exigences. Il est utile de signaler qu’à part les opérations spéciales, un train fixe ajoute un poids inutilisable et une trainée considérable à un hélicoptère en vol. Sa seule fonction consiste à permettre à l’aéronef de se poser en toute sécurité.

[…]

Pour le modèle 429, un train d’atterrissage à patins de type « traîneau » a été retenu, plutôt que le type classique, à cause du comportement dynamique amélioré (résonance-sol) et du poids inférieur. La forme de ce train d’atterrissage crée plus d’interaction de charge entre les traverses tubulaires et les tubes à patin, comparativement à un train d’atterrissage à patin classique. Il s’agit d’un concept nouveau pour Bell, qui avait besoin d’une nouvelle approche à l’égard de l’analyse et du dimensionnement du train d’atterrissage, ce qui a obligé à procéder à un grand nombre d’essais de soutien en vue de démontrer l’efficacité de cette approche (essais de résistance aux chutes, essais de résistance à la fatigue, essais de la stabilité dynamique et statique du giravion). Certains de ces essais se déroulent encore présentement, mais l’impression générale est que le train d’atterrissage se comporte comme prévu […].

 

[317]       La remarque spontanée de M. Gandhi, comme quoi la personne moyennement versée dans l’art serait [traduction] « larguée », paraît fort surprenante. La déclaration de M. Hodges selon laquelle [traduction] « le grand nombre d’options décrites dans le brevet 787 laisse au concepteur un vaste choix de combinaisons à mettre à l’essai » n’est pas déterminante elle non plus. MM. Hodges et Gandhi ne possèdent pas la vaste expérience pratique dont jouissent MM. Logan et Wood, dont les témoignages sont concluants et que la Cour privilégie le plus.

 

[318]       En fait, M. Toner, l’expert de Bell qui a le plus d’expérience pratique, a déclaré que la personne moyennement versée dans l’art rejetterait toute configuration présentant un angle d’inclinaison trop marqué. Le concepteur d’expérience saisirait tout de suite les avantages d’un train d’atterrissage muni d’une traverse avant inclinée vers l’avant, par opposition aux autres configurations. Cependant, selon les preuves d’expert figurant dans le dossier, ce même concepteur d’expérience ne serait pas en mesure de saisir le comportement de chaque configuration sur le plan de la résonance au sol; il faudrait que ce soit calculé par un expert en dynamique.

 

[319]       M. Toner a déclaré au procès qu’un concepteur d’hélicoptères saurait instinctivement quelles sont les limites du train d’atterrissage, non seulement pour ce qui est de la conception particulière de ce train, mais aussi pour protéger l’aéronef et lui permettre de fonctionner dans le maximum de conditions possibles, comme sur un terrain rocheux. La position des traverses, la distance entre les patins, l’angle par rapport au sol et la stabilité de l’aéronef en mode roulis sont des exemples de facteurs que le concepteur prend soigneusement en compte.

 

[320]       Bell fait également valoir qu’il existe des contradictions entre la façon dont le brevet 787 décrit l’« invention » et la façon dont M. Prud’homme-Lacroix, en tant qu’inventeur, a décrit au procès les présumés avantages de l’invention sur le plan de la régulation de fréquence. Autrement dit, Bell prétend que le mémoire descriptif du brevet ne divulgue pas fidèlement l’invention ou la meilleure manière de la réaliser. La Cour n’est pas d’accord avec elle.

 

[321]       Le brevet en litige doit être interprété à la lumière du mémoire descriptif et de la manière dont la personne moyennement versée dans l’art comprendrait l’invention aux dates pertinentes. C’est donc dire que ce que M. Prud’homme-Lacroix peut avoir déclaré au procès au sujet de la façon dont l’invention revendiquée atténue la résonance au sol constitue une preuve extrinsèque, qu’Eurocopter ou Bell ne peuvent pas utiliser. Le fait est que l’invention divulguée procure des avantages présumés, tant en ce qui concerne l’équilibre énergétique que la résonance au sol en général.

 

[322]       Le mémoire descriptif du brevet 787 est suffisamment explicite pour permettre à une personne moyennement versée dans l’art de comprendre le fonctionnement général de l’invention revendiquée et ses principales caractéristiques. Essentiellement, les inventeurs soutiennent que la traverse avant, qui est intégrée à la partie « patins », contribuera à l’équilibre énergétique général et jouera, grâce à la flexion des zones de transition, un rôle important dans l’absorption des forces générées lors des atterrissages brutaux et glissés. À part les explications que les inventeurs ont données, les figures 12 et 13 sont particulièrement instructives.

 

[323]       La figure 12 du brevet 787 est une vue perspective des déformations que subit un train d’atterrissage classique utilisé comme référence :

[324]       La figure 13 illustre, à titre comparatif, avec les mêmes échelles, les déformations du train d’atterrissage Moustache :

[325]       Faisant référence à la réaction comportementale des trains d’atterrissage comparés, les inventeurs expliquent que, grâce à la structure spéciale du tube (l’épaisseur de la paroi et les caractéristiques de force sont déterminées par la méthode des éléments finis), la traverse arrière du train d’atterrissage Moustache peut subir une déformation nettement plus marquée que la traverse arrière d’un train d’atterrissage classique, ce qui permet de mieux absorber les chocs subis à l’atterrissage. Par ailleurs, d’après le mémoire descriptif, on obtient le même résultat à l’avant à cause de la déformation en flexion de la traverse avant et à cause de sa rotation, qu’autorise la fonction élastique des zones de transition.

 

[326]       Pour ce qui est de la régulation de fréquence, le mémoire descriptif du brevet 787 mentionne, notamment, ceci :

[traduction]

Le comportement face à la résonance au sol est caractérisé en particulier par la rigidité de roulis du train d’atterrissage. Étant donné que ce dernier est fixé à la structure, par exemple au moyen d’un seul point arrière et de deux points avant, la rigidité en torsion par rapport à l’axe de tangage s’obtient principalement par la flexion de la traverse avant. La variante selon laquelle les points d’appui au sol de la traverse avant sont décalés longitudinalement vers l’avant de l’aéronef par rapport au point de liaison à la structure de ce dernier a l’avantage de permettre au fonctionnement en roulis de l’ensemble d’amener la traverse avant à fonctionner à la fois en torsion et en flexion, plutôt qu’en pure flexion. Cela donne lieu à une réduction de la rigidité de roulis, ce qui évite donc tout phénomène divergent susceptible de provoquer un accident.

 

[327]       Le fait que le mémoire descriptif ne parle pas du comportement du train d’atterrissage Moustache dans des modes autres que le mode roulis n’est pas suffisant pour invalider le brevet 787 pour cause d’insuffisance du mémoire descriptif. Ce que les inventeurs du train d’atterrissage Moustache divulguent est le dessin censément nouveau d’un train d’atterrissage à patins pour hélicoptère qui accomplit des fins différentes.

 

[328]       La variante selon laquelle les points d’appui au sol de la traverse avant sont décalés longitudinalement vers l’avant est illustrée à la figure 1, tandis que la figure 11 illustre l’option consistant à décaler la traverse avant intégrée vers l’arrière. Les deux variantes sont incluses dans la revendication 1, tandis que les revendications 15 et 16 couvrent expressément chaque variante.

 

[329]       Si l’on considère la totalité du brevet, une personne moyennement versée dans l’art n’aurait aucune difficulté à conclure que la « meilleure manière », dans l’esprit des inventeurs, est la réalisation illustrée à la figure 1. La Cour considère que les témoignages des experts d’Eurocopter sont concluants. Une fois que la personne moyennement versée dans l’art a choisi un dessin dans lequel les points d’appui sur le sol de la traverse avant sont décalés longitudinalement vers l’avant, elle n’aura aucune difficulté à choisir quelle inclinaison donnera le meilleur résultat, suivant le dessin général et le poids de la structure de l’hélicoptère.

 

[330]       Le mémoire descriptif du brevet 787 explique aussi que l’on obtiendra les meilleurs résultats en utilisant de l’aluminium (plutôt que de l’acier), l’aluminium étant caractérisé par une limite d’élasticité égale à environ 75 % de la résistance à la rupture, ainsi que par un allongement relatif à la rupture au moins égal à 12 %. La personne moyennement versée dans l’art n’aura pas non plus de difficulté à décider s’il doit y avoir trois ou quatre points d’attache, suivant le poids de l’aéronef.

 

[331]       En définitive, le concepteur d’expérience sera capable de faire un choix entre divers compromis, un choix qui permettra de répondre aux exigences dimensionnelles du train d’atterrissage et de satisfaire aux trois critères suivants :

·        l’absorption de l’énergie correspondant aux vitesses normatives en cas d’impact vertical;

·        une vitesse critique à l’atterrissage, qui donne lieu à une déformation résiduelle, située en dehors de la plage d’utilisation ordinaire;

·        assez de souplesse pour éviter d’avoir à recourir à un système anti-résonance additionnel.

 

[332]       Dans l’ensemble, les objections qu’invoquent les experts de Bell à l’égard de la divulgation sont spécieuses. Là encore, la personne moyennement versée dans l’art qui a l’esprit ouvert et qui souhaite mettre en pratique l’invention n’aura aucune difficulté à compléter les indications du brevet 787 par ce que savait déjà un concepteur qualifié et chevronné en 1996 et 1997.

 

L’utilité et la portée excessive

[333]       La contestation la plus sérieuse de Bell à propos de la validité concerne, de loin, l’absence alléguée d’utilité démontrée ou de prédiction valable à la date de dépôt au Canada du brevet 787 (le 5 juin 1997). Nul ne conteste sérieusement que l’invention est utile à certaines fins. Cependant, étant donné que le breveté a décidé de vanter certains avantages de son invention dans le mémoire descriptif, Bell soutient que les promesses faites dans ce dernier doivent être atteintes dans toutes les réalisations revendiquées; sans cela le brevet 787 et les revendications 1 à 16 sont invalides.

 

[334]       La Cour a déjà interprété le brevet 787. Comme il a été dit, l’invention divulguée concerne un train d’atterrissage d’hélicoptère notamment caractérisé par le fait que chacun des patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure constituant, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée soit vers l’avant (revendication 15), soit vers l’arrière (revendication 16) par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol. Les deux inclinaisons sont incluses dans la revendication 1. Comme il a été mentionné plus tôt, un certain nombre de revendications dépendantes ( 2 à 14) ajoutent des limites additionnelles.

 

[335]       À moins qu’une revendication fasse précisément référence à un usage particulier (par exemple, dans le cas d’un médicament breveté, un nouvel usage pour un ancien composé), il ne faut pas confondre l’exigence de l’utilité avec une quelconque nécessité d’en faire état explicitement dans les revendications ou de l’y donner à déduire (Mylan Pharmaceuticals ULC, décision précitée, au paragraphe 202). Les revendications nos 1 à 16, inclusivement, du brevet 787 se rapportent à un train d’atterrissage d’hélicoptère, et non à un usage particulier de ce dernier. C’est donc dire que la promesse du brevet en litige doit résider dans le mémoire descriptif lui-même, et non dans les revendications.

 

[336]       À la première page du brevet 787, les inventeurs mentionnent les problèmes existants que l’invention divulguée règlera, et ils présentent ensuite l’objectif et la promesse de l’invention, qui est de remédier aux lacunes des réalisations antérieures. Les avantages présumés du train d’atterrissage Moustache sont exprimés sous la forme d’une comparaison avec les trains d’atterrissage classiques. Cela devient pertinent quand on examine si l’utilité était, en fait, démontrée à la date de dépôt au Canada.

 

[337]       La Cour a rejeté toute indication de la part des experts d’Eurocopter selon laquelle l’utilité du brevet 787 consiste simplement à créer un train d’atterrissage fonctionnel. Dans le cas des réalisations antérieures, une personne moyennement versée dans l’art connaissait déjà les façons de faire fonctionner un train d’atterrissage. Ce que les inventeurs proposent dans leur brevet est une meilleure solution, en fait, une amélioration, aux trains d’atterrissage à patins classiques.

 

[338]       À vrai dire, les inventeurs font dans le mémoire descriptif la promesse explicite de réduire [traduction] « sensiblement » les lacunes des réalisations antérieures, et plus particulièrement :

a)      des facteurs d’accélération élevés à l’atterrissage (facteurs de charge);

b)      une adaptation de fréquence difficile en rapport avec la résonance au sol;

c)      le poids élevé du train d’atterrissage.

 

[339]       Telle est l’utilité promise de l’invention divulguée.

 

[340]       Il est mentionné dans le mémoire descriptif que, comparativement à un train d’atterrissage classique, la masse sera réduite d’environ 20 %, la fabrication sera simplifiée et les coûts seront réduits d’à peu près 20 %, le facteur de charge à l’atterrissage sera réduit d’environ 10 % et les systèmes mécaniques anti-résonance au sol (que l’on trouve dans les trains d’atterrissage classiques) peuvent être éliminés. Compte tenu des preuves d’expert, la personne moyennement versée dans l’art considérerait ces pourcentages comme étant purement indicatifs.

 

[341]       Cela dit, en gardant à l’esprit les réalités commerciales, une comparaison entre le train d’atterrissage classique de l’AS350 et le train d’atterrissage Moustache de l’EC130 montre une réduction de coût de 10,2 %, une réduction moyenne des facteurs de charge de 17 % et une réduction de masse de 17 %. Ces éléments de preuve ne touchent pas à la question de l’utilité démontrée ou de la prédiction valable, et ils admissibles en tant que tels, même s’ils sont postérieurs à la date de dépôt au Canada.

 

[342]       Monsieur Gandhi signale que dans le cas de l’EC120 et l’EC130, les améliorations relevées sont attribuables en partie au fait que l’on a remplacé l’acier par l’aluminium (pour la traverse tubulaire arrière). Quoi qu’il en soit, rien ne prouve qu’une réalisation quelconque visée par les revendications ne profiterait pas du train plus flexible que divulguent les inventeurs pour ce qui est d’assurer une meilleure absorption des forces générées lors des atterrissages brutaux et glissés.

 

[343]       Si Bell mettait réellement en doute des pourcentages particuliers mentionnés dans le mémoire descriptif, il serait alors question de fausses déclarations. Là encore, l’utilité promise du train d’atterrissage Moustache est décrite en comparaison avec un train d’atterrissage classique. La personne moyennement versée dans l’art comprendrait qu’il n’existe pas de modèle unique de train d’atterrissage classique et que son poids, sa configuration et son dimensionnement particuliers varieront d’un hélicoptère à un autre.

 

[344]       Le mémoire descriptif du brevet 787 promet des avantages cumulatifs. Certains avantages découlent naturellement des caractéristiques inhérentes des inventions divulguées. D’autres ne peuvent être vérifiées qu’au moyen d’essais, ce qui peut soulever la question de la prédiction valable. Il y a une distinction à faire entre les avantages promis et les données sur lesquels ces avantages sont fondés.

 

[345]       Il était connu dans l’art qu’un hélicoptère pouvait être supporté par un train d’atterrissage classique équipé de traverses parallèles, principalement verticales, et de spatules de ski en saillie à l’avant, mais le brevet 787 décrit un train d’atterrissage qui comporte une traverse avant inclinée et décalée, intégrée aux skis. Cela crée un porte-à-faux, donc un train d’atterrissage plus flexible. Les principes en cause et le fonctionnement de l’invention divulguée sont exposés dans le mémoire descriptif, de pair avec quelques exemples ou figures.

 

[346]       Par exemple, les réalisations antérieures comprenaient la fixation de la traverse avant au moyen d’une sellette en T, ainsi qu’une spatule en saillie. Que l’on utilise de l’acier ou de l’aluminium, il n’est pas contesté que la conception nouvelle du train d’atterrissage Moustache divulguée dans le mémoire descriptif a pour effet de réduire le poids global du train d’atterrissage.

 

[347]       Les experts de Bell ne mettent pas sérieusement en doute le fait que le train d’atterrissage Moustache présente des avantages par rapport à l’utilisation du train d’atterrissage classique sur le plan des facteurs de charge, et que la flexion des zones de transition de ce train d’atterrissage joue un rôle important dans l’absorption des forces générées lors d’un atterrissage brutal ou glissé. Le chiffre général de 10 % n’a pas été sérieusement mis en doute par les experts de Bell.

 

[348]       Pour étayer sa contestation relative à l’utilité, Bell se fonde principalement sur les opinions de MM. Hodges et Gandhi, qui ont déjà été mises en lumière dans la section portant sur les preuves factuelles et d’expert. En résumé, après avoir examiné les documents déposés par Eurocopter, il leur est impossible de conclure que toutes les réalisations possibles rempliront la promesse du brevet 787. Ici, la question qui se pose consiste notamment à savoir si les revendications 1 à 16 incluent des éléments non divulgués par l’inventeur ou des réalisations dont l’utilité ne pouvait pas être démontrée à la date pertinente, mais qui tombaient néanmoins sous le coup de ces revendications.

 

[349]       Au procès, les experts de Bell sont allés plus loin que cela et on laissé entendre qu’il était possible qu’une ou plusieurs réalisations incluses dans les revendications 1 à 16 ne prouveraient pas l’utilité promise. Il s’est avéré que leur preuve était hautement conjecturale et que Bell n’avait exécuté aucun essai ou aucune simulation pour montrer qu’une réalisation particulière ne fonctionnait pas. Les experts d’Eurocopter ont répondu qu’une personne moyennement versée dans l’art ne considérerait même pas certaines réalisations à première vue à cause du degré d’inclinaison extrême; M. Toner a exprimé son accord sur ce point.

 

[350]       Selon la prépondérance des probabilités, Bell n’a pas prouvé que l’invention ne fonctionnera pas, ou quelle ne réalisera pas ce que le mémoire descriptif promet qu’elle fera. Cependant, Bell soutient néanmoins qu’elle s’est acquittée du fardeau de prouver que, à la date du dépôt au Canada, il n’existait aucune preuve ou aucune donnée susceptible d’appuyer une prédiction faite dans le mémoire descriptif quant à l’utilité promise de réalisations particulières (comme les figures 1 et 11e) incluses dans les revendications 15 et 16 du brevet 787. Bell soutient qu’à défaut de telles preuves ou données, la présomption de validité n’est pas suffisante pour sauvegarder une ou plusieurs réalisations.

 

[351]       Il est indiqué dans le brevet 787 que le comportement dû à la résonance au sol est caractérisé en particulier par la rigidité de roulis du train d’atterrissage. À cet égard, les inventeurs mentionnent dans le mémoire descriptif que la variante selon laquelle les points d’appui de la traverse avant sont décalés longitudinalement vers l’avant de l’aéronef (revendication 15), comme dans le cas de la réalisation illustrée à la figure 1, a l’avantage de permettre au mouvement de roulis de l’ensemble de faire en sorte que la traverse avant fonctionne à la fois en torsion et en flexion, plutôt qu’en flexion pure.

 

[352]       C’est donc dire que la personne moyennement versée dans l’art, en lisant le mémoire descriptif, comprendrait qu’en réalisant un train d’atterrissage semblable à celui qui est illustré à la figure 1, il est possible d’améliorer le comportement de l’hélicoptère face à la résonance au sol (notamment dans le mode roulis). Même si une réduction de la rigidité en roulis n’est pas expressément promise, une meilleure adaptation de fréquence, relativement au phénomène appelé « résonance au sol », est certes une promesse importante du brevet 787, de pair avec d’autres avantages divulgués de l’invention. À ce stade, il faut se demander s’il existe des essais ou des données qui étayent une telle promesse.

 

[353]       À part le fait d’avoir examiné en détail les avis des experts des deux parties, la Cour a aussi examiné plus tôt dans les présents motifs les preuves factuelles pertinentes concernant la mise au point et la mise à l’essai du train d’atterrissage Moustache, et il n’est pas nécessaire d’en répéter ici les résultats. La Cour a également examiné les dessins, les calculs et les résultats d’essais concernant le train d’atterrissage Moustache pour la période de 1995 à 2000 à la lumière des témoignages de l’inventeur lui-même, M. Prud’homme-Lacroix, ainsi que des experts des parties. Sont inclus dans ces documents des dessins du train d’atterrissage Moustache (RC‑89 à RC‑95, RC‑111, RC‑115 et RC‑129), les résultats d’analyse d’éléments finis et de calculs de contraintes, y compris les résultats concernant les facteurs de charge (RC‑105, RC‑114, RC‑125, RC‑128, RC‑132, RC‑137 et RC‑176), les résultats d’essais statiques portant sur un modèle à échelle réduite (1/5) (RC‑176) et les résultats d’essais de résistance aux chutes auxquels a été soumis le train d’atterrissage en grandeur nature (RC‑117 et RC‑178).

 

[354]       Selon la prépondérance des probabilités, la Cour est persuadée que l’utilité d’une réalisation incluse dans la revendication 15 du brevet 787 a été démontrée à la date de dépôt au Canada. La Cour accepte l’opinion des experts d’Eurocopter selon laquelle une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas mis à l’essai toutes les inclinaisons possibles de la traverse avant intégrée, qui, d’après la revendication 15, est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol. Forte de cette expérience, la personne moyennement versée dans l’art n’aurait aucune difficulté à choisir le degré d’inclinaison le plus approprié, en tenant compte de la taille et du poids de l’aéronef.

 

[355]       En décembre 2005, un modèle à une échelle d’un cinquième du train d’atterrissage Moustache a été conçu, et fabriqué par la suite en janvier 2006. Des essais de laboratoire ont montré que l’aéronef équipé du train d’atterrissage Moustache présentait d’excellentes caractéristiques sur le plan de la résonance au sol. Le premier essai de vol de l’EC120 équipé du train d’atterrissage Moustache a eu lieu le 4 juillet 1996. Selon le compte rendu de ce vol (RC‑179), il n’y a pas eu de [traduction] « problèmes de résonance au sol pour le moment ».

 

[356]       La preuve établit clairement que, à la date de dépôt au Canada, les inventeurs avaient fabriqué et mis à l’essai un train d’atterrissage Moustache qui était fait d’aluminium et qui  comportait une traverse avant intégrée inclinée vers l’avant par l’angle de ce train, et décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des patins sur le sol. Le train comportait trois points d’attache (deux à l’avant, un à l’arrière).

 

[357]       Selon les éléments de preuve non contestés, cette réalisation du train d’atterrissage Moustache offrait une meilleure régulation des fréquences dans les modes tangage et roulis (grâce à l’inclinaison avant de la traverse tubulaire avant et de sa flexion). Un autre avantage par rapport aux trains classiques utilisés sur des modèles antérieurs créés par Eurocopter était que le train d’atterrissage Moustache ne serait pas entièrement fait d’un alliage d’aluminium.

 

[358]       Les trains d’atterrissage Moustache dont sont équipés l’EC120 et l’EC130 (qui comportent quatre points d’attache), lesquels ressemblent étroitement à la figure 1 du brevet 787, tombent tous les deux carrément sous le coup de la revendication 15 du brevet 787, laquelle  couvre un « [t]rain d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisé en  ce que ladite traverse avant intégrée est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol ».

 

[359]       Par ailleurs, on peut présumer que l’EC120, muni du train d’atterrissage Moustache, n’aurait pas été homologué s’il avait eu des problèmes de résonance au sol. À l’heure actuelle, ce train d’atterrissage est employé sur tous les hélicoptères EC 120 et EC 130 (ce qui représente plus de 1 200 aéronefs) et, selon M. Certain, aucun problème de résonance au sol ne s’est manifesté.

 

[360]       Au vu des promesses du brevet 787, selon la prépondérance des probabilités et en fin de compte, la Cour conclut que l’utilité d’une réalisation incluse dans la revendication 15 (« décalée vers l’avant ») a été établie à la date de dépôt au Canada; cependant, il existe une absence d’utilité démontrée ou de prédiction valable en rapport avec une réalisation incluse dans la recommandation 16 (« décalée vers l’arrière »).

 

[361]       Si, dans toutes les autres réalisations, la traverse avant fait saillie vers l’avant, ce qui veut dire qu’elle est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol, dans la réalisation illustrée à la figure 11e cette traverse est située en recul, ce qui veut dire qu’elle est décalée vers l’arrière par rapport à la délimitation avant susmentionnée :

[362]       Selon le mémoire descriptif, la variante présentée à la figure 11e [traduction] « procure les avantages précis » qui sont mentionnés ailleurs dans le mémoire descriptif. C’est donc dire que la personne moyennement versée dans l’art comprendrait que dans le cas de cette réalisation particulière du train d’atterrissage Moustache, il est expressément promis par les inventeurs que cela permettrait à un fabricant d’hélicoptères de réduire ses coûts et de combiner la flexibilité avec la sécurité sur le plan de la résonance au sol.

 

[363]       À part l’affirmation générale selon laquelle la réalisation illustrée à la figure 11e [traduction] « procure les avantages spécifiques » qui sont mentionnés ailleurs dans le mémoire descriptif, il n’existe aucune démonstration particulière dans le brevet ni aucune preuve testimoniale ou documentaire que, à la date de dépôt au Canada, les inventeurs avaient fabriqué et mis à l’essai un train d’atterrissage Moustache dont la traverse avant était décalée vers l’arrière.

 

[364]       Par ailleurs, M.Wood a été fort hésitant au procès à conclure que l’utilité promise d’une réalisation selon laquelle la traverse avant intégrée est décalée vers l’arrière avait été démontrée à la date de dépôt au Canada. Aucun calcul ou aucun essai n’avait été effectué avant la date de dépôt en vue de déterminer l’effet de cette configuration sur la résonance au sol.

 

[365]       À la date de dépôt au Canada, les inventeurs n’avaient aucune preuve qu’une inclinaison vers l’arrière présentait un avantage quelconque sur le plan de la résonance au sol. Par conséquent, l’avantage promis en rapport avec une réalisation incluse dans la revendication 16 du brevet 787 est conjecturale, et la Cour souscrit à l’affirmation des experts de Bell selon laquelle la prédiction ne repose sur aucun fondement factuel.

 

[366]       Par ailleurs, même si des experts d’Eurocopter ont laissé entendre que cette configuration donnerait également lieu à un train d’atterrissage flexible, la Cour souscrit au témoignage de M. Hodges comme quoi la personne moyennement versée dans l’art penserait qu’un tel train d’atterrissage [traduction] « pourra être plus vulnérable à un écrasement en cas d’impact que l’inclinaison avant, qui amènerait le train d’atterrissage à subir un mode de défaillance possible ».

 

[367]       Même en admettant que les résultats présentés aux pages 9 à 14 et aux figures 12 et 13 du brevet 787 démontrent la flexion de la zone de transition d’un train d’atterrissage équipé d’une traverse avant décalée vers l’avant (recommandation 15), il n’en demeure pas moins qu’il n’y a eu aucune démonstration au sujet d’un train d’atterrissage muni d’une traverse avant décalée vers l’arrière (revendication 16)

 

[368]       À défaut d’une preuve quelconque d’essais réels de la part des inventeurs, il est possible que ces derniers avaient en main des données qui leur aurait permis de prédire que la variante illustrée à la figure 11e (revendication 16) [traduction] « procure les avantages précis » qui sont mentionnés ailleurs dans le mémoire descriptif. S’il existait de telles données à l’époque, elles n’ont pas été produites au procès. Un monopole ne peut pas être fondé sur des conjectures ou des suppositions. La Cour accepte, au moins sur ce point, l’opinion des experts de Bell, à savoir que les données disponibles n’étayaient pas une prédiction valable au sujet d’une réalisation incluse dans la revendication 16 (inclinaison vers l’arrière).

 

[369]       Après avoir examiné avec soin les preuves factuelles et d’expert, la Cour conclut selon la prépondérance des probabilités que, contrairement au principe clairement énoncé par la juge Layden-Stevenson dans la décision Eli Lilly c Novopharm, précitée, au paragraphe 60, les inventeurs n’avaient aucune information sur laquelle fonder la promesse qu’ils avaient expressément faite à l’égard de la variante présentée à la figure 11e. L’utilité d’un train d’atterrissage d’hélicoptère, selon la revendication 16, n’avait pas été démontrée à la date de dépôt au Canada, soit le 5 juin 1997. De plus, les données pertinentes qui étaient disponibles avant le 5 juin 1997 ne permettaient pas aux inventeurs de prédire de manière valable le comportement d’un train d’atterrissage Moustache équipé d’une traverse avant décalée vers l’arrière, et, en tout état de cause, il n’y a pas de raisonnement décrit dans le brevet 787 à cet égard.

 

[370]       La réalisation illustrée à la figure 11e est visée par la revendication 1 (qui couvre une inclinaison vers l’avant ou vers l’arrière de la traverse avant) et par la revendication 16, qui couvre un « [t]rain d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisé en ce que ladite traverse avant intégrée est décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol ».

 

[371]       Dans la mesure où les revendications 1 et 16 englobent toute réalisation selon laquelle la traverse avant est décalée vers l’arrière, toutes les revendications dépendantes, à l’exception de la no 15, doivent être considérées comme invalides. La Cour conclut donc que les revendications 1 à 14 et la revendication 16 du brevet 787 sont invalides et nulles pour cause d’absence d’utilité démontrée (ou de prédiction valable) et/ou de portée excessive.

 

[372]       Cela dit, Bell n’est pas parvenue à démontrer que la revendication 15 du brevet 787 est invalide pour cause d’absence démontrée d’utilité ou de portée excessive. En fait, aucune preuve dans le dossier ne montre qu’un train d’atterrissage fait d’après la revendication 15 ne fonctionnera pas, où qu’il ne fera pas ce que le mémoire descriptif promet qu’il fera.

 

[373]       Par ailleurs, tous les autres arguments que Bell a invoqués en rapport avec l’utilité et la portée excessive des revendications 1 à 16 du brevet 787 sont par ailleurs rejetés par la Cour.

 

[374]       Traverse arrière – selon les experts de Bell, notamment M. Toner, la revendication 1 couvre toutes les inclinaisons possibles, que ce soit vers l’avant ou vers l’arrière, tandis qu’il n’y a aucune garantie que l’invention revendiquée fonctionnera. Ayant déjà interprété le brevet en litige, la Cour privilégie l’opinion de l’expert d’Eurocopter, M. Logan, qui a déclaré qu’une personne moyennement versée dans l’art comprendrait immédiatement que la traverse arrière doit être sensiblement perpendiculaire (comme l’illustre la figure 1) parce que la description ne fait jamais état de l’inclinaison de la traverse arrière. Il n’y a donc pas de portée excessive à cet égard.

 

[375]       Métal utilisé pour fabriquer le train d’atterrissage – les revendications 1 et 4 à 16 englobent des trains d’atterrissage faits d’acier, car il n’y a aucune restriction contre l’utilisation d’aluminium, contrairement aux revendications 2 et 3. Bell soutient donc qu’un train d’atterrissage fait d’acier n’offrirait pas l’utilité promise du brevet 787 et que les revendications 1 et 4 à 16 sont d’une portée excessive et donc invalides. Il s’agit là d’un argument spécieux. Le mémoire descriptif indique aussi que [traduction] « en règle général, les traverses sont faites de tubes d’acier et les patins de tubes d’aluminium ». Par conséquent, la personne moyennement versé dans l’art comprendra que le choix du matériau est important. Si cette personne souhaitait pleinement profiter de l’invention revendiquée, il faudrait que les traverses soient faites également d’aluminium. Il n’y a donc pas de portée excessive à cet égard.

 

[376]       Trois ou quatre organes de liaison – Les revendications 10 et 11 incluent un train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 9, caractérisé en ce qu’il inclut trois ou quatre organes de liaison à la structure de l’hélicoptère. Après avoir entendu les experts des deux parties et pris en considération la totalité des éléments de preuve, la Cour rejette l’affirmation de M. Hodges selon laquelle sans renseignements au sujet de l’amortissement il serait impossible pour une personne moyennement versée dans l’art, en 1997, de savoir si trois ou quatre points d’attache fonctionneraient aussi bien et seraient exempts de résonance au sol. Il n’y a donc pas de portée excessive à cet égard.

 

X.                 LES DÉCLARATIONS ET LES MESURES DE RÉPARATION

[377]       À part solliciter la déclaration habituelle de contrefaçon et la délivrance d’une injonction permanente, Eurocopter demande aussi qu’il soit ordonné à Bell de restituer ou de détruire tout train d’atterrissage contrefait, que la Cour l’autorise à choisir entre le paiement de ses dommages-intérêts ou une restitution des profits de Bell, et elle sollicite par ailleurs des dommages-intérêts punitifs, plus les intérêts avant et après jugement et les dépens. À l’inverse, Bell qui s’oppose à ces demandes, sollicite une déclaration d’invalidité des revendications du brevet 787 que la Cour juge invalides, de pair avec les dépens connexes.

 

[378]       La Cour fait une pause pour mentionner que des motifs confidentiels au sujet de la contrefaçon et de la validité ont été communiqués aux parties le 12 juillet 2011 et qu’une suspension d’instance provisoire d’une durée de 45 jours a été ordonnée en même temps afin de permettre aux parties de tenir des discussions de règlement. Par ailleurs, dans ces motifs confidentiels, la Cour a également fait remarquer que le manque de temps au procès avait empêché les avocats de plaider entièrement la question des mesures de réparation et des dépens et qu’il serait nécessaire de traiter de ces questions ultérieurement, le cas échéant.

 

[379]       Entre le 12 juillet 2011 et le 13 janvier 2012, la suspension que la Cour avait ordonnée a été prorogée à la demande conjointe des parties, à l’exception de la dernière prorogation d’un mois qui a été accordée le 7 décembre 2011, malgré l’opposition de Bell. Le 11 janvier 2012, la Cour a commencé à entendre une requête de la part d’Eurocopter en vue de préserver la confidentialité des motifs relatifs à la contrefaçon et à la validité jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu sur la totalité des questions, dont celle des mesures de réparation. À la suite de discussions avec les avocats, la requête en confidentialité a été retirée et il a été convenu que la Cour rendrait, avant la fin du mois de janvier 2012, un jugement final portant sur la contrefaçon et la validité, ainsi que sur les mesures de réparation.

 

[380]       Le 12 janvier 2012, une audience supplémentaire a eu lieu pour permettre aux avocats de répondre aux observations écrites et orales présentées les 24 et 25 février 2011 ou de les compléter, ainsi que pour proposer les conditions du jugement final qui serait rendu. Après avoir examiné les observations écrites et orales des parties, y compris les conditions contestées, du jugement proposé, il est utile de commencer par résumer les principales conclusions que la Cour a tirées au sujet des questions de contrefaçon et de validité soulevées par les parties.

 

Les conclusions principales concernant la contrefaçon et la validité

[381]       Ayant interprété le brevet 787, la Cour conclut que la totalité des éléments de la revendication 1, la seule revendication indépendante, sont essentiels. Chaque revendication dépendante qui est en litige introduit une limite additionnelle à chaque revendication qui la précède. Cela dit, les trains d’atterrissage d’hélicoptère selon l’une quelconque des revendications 1 à 14 sont visés par les revendications 15 ou 16 du brevet 787, avec la caractérisation selon laquelle la traverse avant intégrée est décalée vers l’avant (revendication 15) ou vers l’arrière (revendication 16) par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

 

[382]       Eurocopter n’a pas persuadé la Cour que la totalité des éléments essentiels de la revendication 1 du brevet 787 sont présents dans le train Production. La Cour prend note de l’admission de la défenderesse selon laquelle le train Legacy contient la totalité des éléments essentiels que renferme la revendication 1. D’après la preuve, Eurocopter a de plus établi que le train Legacy contient lui aussi la totalité des éléments essentiels que renferment les revendications 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 du brevet 787.

 

[383]       Pour ce qui est du train Legacy, la Cour rejette la défense Gillette et l’exception de nature réglementaire ou pour cause d’expérimentation qui est fondée sur le paragraphe 55.2(1) de la Loi ou la common law.

 

[384]       La Cour rejette également les allégations de Bell selon lesquelles le brevet 787 et les revendications 1 à 16 sont invalides pour cause d’insuffisance du mémoire descriptif (ou d’absence de la meilleure manière de réaliser l’invention), d’antériorité ou d’évidence. Cela laisse les questions d’utilité et de portée excessive, qui sont tranchées de la manière suivante.

 

[385]       Au vu des promesses du brevet 787, selon la prépondérance des probabilités et en dernière analyse, la Cour conclut que l’utilité d’une réalisation incluse dans la revendication 15 (« décalée vers l’avant ») a été démontrée à la date de dépôt au Canada. Cependant, il y a une absence d’utilité démontrée ou de prédiction valable en ce qui concerne une réalisation incluse dans la revendication 16 (« décalée vers l’arrière).

 

[386]       Dans la mesure où les revendications 1 et 16 englobent n’importe quelle réalisation selon laquelle la traverse avant est décalée vers l’arrière, toutes les revendications dépendantes, à l’exception de la revendication 15, doivent être considérées comme invalides. La Cour conclut donc que les revendications 1 à 14 et la revendication 16 du brevet 787 sont invalides et nulles pour cause d’absence d’utilité démontrée (ou de prédiction valable) et/ou de portée excessive.

 

[387]       La Cour rejette par ailleurs tous les autres arguments que Bell a invoqués au sujet des questions d’utilité et de portée excessive.

 

[388]       La Cour conclut donc que la revendication 15 du brevet 787 est valide et que Bell, en fabriquant et en utilisant le train Legacy, l’a contrefaite. Cependant, la Cour conclut que Bell, en fabricant et en utilisant le train Production, n’a pas contrefait la revendication 15, au motif que ce ne sont pas tous les éléments essentiels de la revendication 1 qui sont présents.

 

Les déclarations

[389]       Selon l’article 42 de la Loi, l’octroi d’un brevet confère au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet, le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.

 

[390]       C’est donc dire que tout acte nuisant à la pleine jouissance du monopole que la loi confère au breveté constitue une contrefaçon (Monsanto Canada Inc c Schmeiser, [2004] 1 RCS 902, aux paragraphes 34 et 35 (Schmeiser)). Cela inclut la situation dans laquelle un défendeur a utilisé un dispositif, une machine ou un composant contrefait qui a été fait ou fabriqué par quelqu’un d’autre, comme les trains Legacy qui ont été fabriqués par Aeronautical Accessories Inc. à la demande de Bell.

 

[391]       Dans la présente affaire, tant Eurocopter que Bell ont droit à des déclarations de validité et de contrefaçon (revendication 15), ainsi que d’invalidité et de non-contrefaçon (revendications 1 à 14 et 16). Dans une telle situation, l’article 58 de la Loi prévoit qu’il est donné effet au brevet tout comme s’il ne renfermait que la ou les revendications valides. Par conséquent, le jugement que rendra la Cour inclura les déclarations suivantes :

 

[392]       La revendication 15 du brevet 787 est valide et exécutoire.

 

[393]       Les revendications nos 1 à 14 et 16 du brevet 787 sont invalides, nulles et sans effet.

 

[394]       Bell a contrefait la revendication 15 du brevet 787 en utilisant un train Legacy, ainsi qu’il est révélé dans la pièce RC‑538 et illustré ci-dessous :

 

[395]       Bell n’a pas contrefait la revendication 15 du brevet 787 en utilisant et en vendant un train Production, ainsi qu’il est révélé dans la pièce RC‑537 et illustré ci-dessous :

 

[396]       Cela nous amène maintenant aux mesures de réparation à fixer après avoir fait droit, en partie, à l’action en contrefaçon. Cette question particulière a été l’objet de nombreux débats entre les parties, sauf pour ce qui est de la livraison des trains d’atterrissage contrefaits et du calcul des intérêts avant et après jugement.

 

L’injonction

[397]       L’article 57 de la Loi confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance d’interdiction, laquelle sera habituellement accordée dans le cas d’une contrefaçon ou d’une menace de contrefaçon, sauf s’il y a une raison équitable de ne pas le faire, comme un acquiescement, un long délai, l’absence de mains nettes, un caractère abusif ou une insignifiance. Par ailleurs, l’octroi d’une injonction n’est pas une mesure prise au profit d’une partie qui a gain de cause, mais elle est rendue par la Cour dans l’intérêt du public, afin de garantir le caractère exécutoire du système canadien des brevets (voir Harold G. Fox, Canadian Patent Law and Practice, 4e éd. (Toronto : Carswell, 1969) à la page 487; David Vaver, Intellectual Property Law, 2e éd. (Toronto : Irwin Law Inc, 2011) à la page 618 (Vaver); Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1234, 57 CPR (4th) 58, au paragraphe 132, conf. par 2007 CAF 217, 59 CPR (4th) 116, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, [2007] CSCR 442 (QL), 383 NR 397 (Janseen-Ortho); Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc, 2010 CF 602, au paragraphe 229).

 

[398]       Bell soutient qu’Eurocopter n’a droit à aucune réparation en equity, ce qui inclut une injonction, parce qu’elle savait depuis 2005 que Bell mettait au point le Bell 429 avec un train d’atterrissage de type « traîneau » et a attendu jusqu’en mai 2008 pour instituer la présente action. Eurocopter a aussi décidé stratégiquement de ne pas envoyer une mise en demeure à Bell pour l’aviser de la contrefaçon. Par ailleurs, le moment où Eurocopter a engagé ses actions semble avoir été orienté en vue de produire le maximum de bouleversement sur le plan commercial. Bell souligne également que sa conduite, après la signification de l’action, a été impeccable : la seule contrefaçon commise a été suspendue depuis longtemps et il n’y a aucune probabilité qu’elle reprenne, tous les trains Legacy contrefaits ayant été mis en quarantaine par Bell.

 

[399]       L’interprétation que Bell fait des éléments de preuve fournis par les témoins d’Eurocopter au sujet de la question du délai est quelque peu incomplète. Il est possible que quelques employés d’Eurocopter aient vu le modèle de Bell avec un train d’atterrissage de type « traîneau » à l’occasion d’un certain nombre de salons aéronautiques en 2005 ou en 2006, mais il ne s’agit-là que d’une preuve par ouï-dire. Cependant, ce n’est qu’en février 2007 que le Bell 429 équipé du train Legacy a réalisé son premier vol. En juin 2007, la Direction juridique d’Eurocopter a entendu parler pour la première fois du nouveau train d’atterrissage de Bell sur le Bell 429 qui pouvait peut-être contrefaire le brevet 787. Étant donné qu’un seul modèle a été vu, et que les modèles changent, la Cour accepte l’explication d’Eurocopter, à savoir qu’il aurait été prématuré d’intervenir à ce moment-là.

 

[400]       Moins d’un an après que la Direction juridique eut pris connaissance de la contrefaçon, une action en justice a été engagée en mai 2008 contre Bell au Canada. Une mise en demeure n’a pas été envoyée avant d’engager la présente instance parce que certains se sont dits inquiets du risque que Bell puisse réagir en engageant immédiatement une procédure déclaratoire aux États‑Unis (ce que Bell a effectivement fait par la suite). Eurocopter ne voulait pas perdre l’élection de ce qu’elle privilégiait, c’est-à-dire le Canada. Après avoir pris en considération le préjudice que Bell a censément subi, la Cour conclut que les délais ne sont pas déraisonnables et que les explications qu’Eurocopter a fournies (notamment par l’entremise de M. Méo) sont raisonnables dans les circonstances.

 

[401]       La Cour ouvre une parenthèse pour mentionner qu’Eurocopter a engagé l’action en contrefaçon bien avant l’expiration du délai de prescription de six ans (article 55.01 de la Loi). Eurocopter savait peut-être depuis un certain temps que le train Legacy avait été présenté au public dans le cadre de salons commerciaux, mais [traduction] « un breveté n’est pas tenu d’engager une poursuite à la première incartade » (Sandvik, AB c Windsor Machine Co Ltd, (1986) 8 CPR (3d) 433, à la page 443). Eurocopter n’a pas envoyé de mise en demeure, mais la loi ne l’exige pas. Même s’il y a eu quelques délais avant l’engagement de l’action en contrefaçon, au cours de la même période Bell était elle-même aux prises avec des retards dans la mise au point du Bell 429, qui attendait toujours d’être homologué quand l’action a été engagée en mai 2008. Tout préjudice que Bell a pu subir est minime par rapport au préjudice causé à Eurocopter (lequel inclut des pertes intangibles et non seulement des pertes de ventes, s’il y en a eu).

 

[402]       Par ailleurs, la Cour conclut que les représentants d’Eurocopter n’ont pas agi de façon irrégulière à quelque moment que ce soit (cela inclut la conduite qu’ils ont eue à l’aéroport du Bourget en 2009). En revanche, après l’engagement de l’action en contrefaçon, Bell a continué de maintenir qu’elle pouvait utiliser le train Legacy, tout en s’efforçant d’atténuer les dommages en mettant en quarantaine les trains d’atterrissage en question et en mettant au point dans l’intervalle le train Production. Cependant, il n’est pas contesté que le modèle que Bell préférait a toujours été le train Legacy, à cause de son poids inférieur et d’autres avantages conceptuels par rapport au train Production. Dans la présente instance, Bell n’a fait aucune admission de contrefaçon que ce soit. La Cour a appris au procès après un long interrogatoire de M. Hodges, le propre expert de Bell en matière de contrefaçon, que tous les éléments essentiels des revendications contestées étaient présents dans le train Legacy.

 

[403]       En fin de compte, la Cour a décidé de rendre une injonction selon laquelle il est interdit en permanence à Bell, par son entremise ou par celle de ses administrateurs, mandataires, préposés, employés, sociétés affiliées, filiales ou toute autre entité placée sous son autorité ou son contrôle, et chacun d’eux, ainsi que toute personne ayant connaissance de cette injonction, de fabriquer, d’utiliser ou de vendre le train Legacy, tel que divulgué dans la pièce RC‑538, ou tout train d’atterrissage semblable qui contrefait la revendication 15 du brevet 787, ou tout hélicoptère comprenant ce train d’atterrissage contrefait, jusqu’à ce que ce brevet expire ou qu’un tribunal conclue par ailleurs qu’il est invalide.

 

La restitution des trains d’atterrissage contrefaits

[404]       Habituellement, une ordonnance de restitution des objets contrefaits fait suite à l’octroi d’une injonction, comme il est indiqué dans Laboratoires Servier, précité, à la page 496. Dans cette éventualité, Bell a demandé que l’ordonnance de destruction devienne exécutoire dans les 30 jours au plus tard qui suivraient le jugement final tranchant la totalité des appels, à l’exception d’un seul train d’atterrissage Legacy qu’elle pourrait utiliser exclusivement dans le cadre de litiges correspondants engagés contre Eurocopter dans d’autres ressorts. Eurocopter ne s’oppose pas à cette requête.

 

[405]       Par conséquent, la Cour ordonnera également à Bell de détruire, sous serment, dans les 30 jours au plus tard qui suivront le jugement final tranchant la totalité des appels maintenant la validité et la contrefaçon de la revendication 15 du brevet 787, la totalité des trains Legacy, révélée dans la pièce RC‑538, qui sont en sa possession ou soumis à son autorité ou à son contrôle à la date du présent jugement, à l’exception d’un seul train Legacy que Bell peut entreposer, ou faire entreposer, à seule fin de s’en servir, le cas échéant, dans le cadre d’un litige correspondant à l’encontre d’Eurocopter dans d’autres ressorts, et l’unique train Legacy en question sera détruit, sous serment, dans les 30 jours ou plus tard qui suivront le jugement final tranchant la totalité des appels interjetés dans les autres ressorts.

 

Les dommages-intérêts ou les profits

[406]       Une fois qu’un breveté a démontré avec succès l’existence d’une contrefaçon, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de lui accorder les réparations qu’il choisit – soit des dommages‑intérêts (en application de l’article 55 de la Loi) soit une restitution des profits (en application de l’article 57 de la Loi). Par ailleurs, il est possible aussi d’ordonner à l’auteur d’une contrefaçon particulièrement grave de payer des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires en plus de dommages-intérêts généraux ou des profits (cette question particulière sera analysée séparément).

 

[407]       L’objet d’une adjudication de dommages-intérêts est de remettre le demandeur dans la position dans laquelle il se serait trouvé si la contrefaçon n’avait jamais eu lieu. Chaque contrefaçon est un préjudice distinct et, de ce fait, chaque objet fabriqué est une contrefaçon (en l’espèce, il s’agit de chaque train Legacy), mais [traduction] « il est toutefois nécessaire de conserver un certain sens de la mesure » (Vaver, précité, à la page 632). Le fait que Bell ignorait censément que ses actes constituaient une contrefaçon importe peu pour ce qui est de sa responsabilité; les dommages-intérêts pour contrefaçon suivent en général les dommages-intérêts pour responsabilité délictuelle (Vaver, précité, aux pages 631 et 632). Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Schmeiser, précité, au paragraphe 37 : « [e]n pratique, l’inventeur est normalement privé des fruits de son invention et de la pleine jouissance de son monopole lorsqu’une autre personne exploite l’invention en question à des fins commerciales, sans savoir préalablement obtenu une licence ou une autorisation en ce sens », ce qui était manifestement le cas en l’espèce.

 

[408]       Quoi qu’il en soit, Bell soutient néanmoins qu’il n’existe aucun droit automatique à des dommages-intérêts à la suite d’une conclusion de contrefaçon. Il est plaidé en l’espèce que Bell n’a vendu aucun hélicoptère équipé du train Legacy et que ses clients ne se soucient guère de l’aspect du train d’atterrissage. Selon Bell, tout dommage hypothétique qu’Eurocopter a subi par suite de la contrefaçon serait de minimis et trop éloigné pour faire l’objet d’une réclamation. À ce stade, il n’est pas nécessaire que la Cour détermine le montant de ces dommages compte tenu de l’ordonnance de disjonction. Cependant, la position de Bell selon laquelle les dommages d’Eurocopter sont minimes fait ressortir le besoin de traiter aujourd’hui de la question de savoir s’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs comme le demande Eurocopter, laquelle fait valoir que l’adjudication de dommages-intérêts ordinaires sera insuffisante pour atteindre en l’espèce les objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation. Cette question sera analysée plus loin dans les présents motifs.

 

[409]       Dans le cas présent, Eurocopter demande qu’il lui soit permis de faire un choix entre les dommages-intérêts ou les profits. L’un des avantages que présente la réparation que constitue la restitution des profits par rapport aux dommages-intérêts est quelle est disponible même dans les cas où le demandeur ne peut prouver l’existence d’une perte quelconque ou les cas où le profit réalisé par le fautif grâce à la contrefaçon est supérieur à ce que le titulaire du brevet a perdu à cause de cette dernière. L’objectif de l’adjudication est de restituer les profits réels à leur propriétaire légitime, le demandeur, ce qui élimine ainsi l’enrichissement sans cause que le défendeur a réalisé. Il est toutefois nécessaire de justifier l’exercice du pouvoir en equity de la Cour ((Janssen-Ortho, précité, au paragraphe 132).

 

[410]       La Cour a déjà rejeté l’argument de Bell selon lequel Eurocopter ne devrait pas avoir droit à la réparation en equity que représente une injonction à cause des retards ou de sa conduite. Là encore, la Cour est convaincue qu’Eurocopter a [traduction] « les mains nettes », elle accepte la preuve d’atténuation des dommages d’Eurocopter, elle conclut qu’Eurocopter avait de bonnes raisons pour ne pas signifier une mise en demeure à Bell avant d’engager la présente action, et elle conclut également qu’Eurocopter n’a fait montre d’aucune conduite inéquitable, soit avant, soit pendant le procès. Mais est-ce suffisant pour faire droit à une restitution des profits?

 

[411]       Bell soutient notamment qu’une enquête relative aux profits est complexe et que, à cause de cela, les tribunaux se montrent fort peu disposés à accorder une telle réparation. Peut-être bien que cette complexité n’empêche pas la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire, mais il doit y avoir de bonnes raisons pour le faire (Merck & Co Inc. c Apotex Inc, 2010 CF 1265, aux paragraphes 615 et 616). Comme il est expliqué plus loin, la complexité d’une restitution des profits et d’autres facteurs pertinents militent fortement contre l’octroi d’une telle réparation en l’espèce.

 

[412]       L’une des difficultés est qu’un train d’atterrissage, même s’il est essentiel au bon fonctionnement et à la sécurité d’un hélicoptère, ne représente qu’une petite fraction du coût total de cet appareil. Dans le cas présent, l’étendue de la contrefaçon par rapport aux activités de Bell qui ne constituent pas une contrefaçon, les circonstances spéciales de la présente affaire, la complexité du calcul des profits, la complexité additionnelle et la durée de l’instance ainsi que l’absence d’avantages clairs résultant d’une restitution des bénéfices militent fortement en faveur du fait que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser la réparation en equity que représente une restitution des profits.

 

[413]       Il est bien établi en droit que l’inventeur a droit seulement à la partie du profit des contrefacteurs qui a un lien de causalité avec l’invention (Lubrizol Corp c Imperial Oil Ltd, [1997] 2 CF 3 (CA) (Lubrizol); Celanese International Corp c BP Chemicals Ltd, [1999] RPC 203 (Pat Ct), au paragraphe 37; Schmeiser, précité, au paragraphe 101). La méthode privilégiée de calcul des profits à restituer porte le nom de « méthode fondée sur la valeur » ou de méthode du « profit différentiel », et elle consiste à calculer les profits en fonction de la valeur que le brevet a permis aux marchandises du défendeur d’acquérir (N. Siebrasse, « A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent-User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 CIPR 79; Schmeiser, précité, au paragraphe 102).

 

[414]       Les profits découlant de l’activité qui ne représente pas une contrefaçon ne peuvent pas être recouvrés; cela signifie qu’Eurocopter ne peut pas recouvrer les profits découlant de la vente d’hélicoptères Bell 429 équipés du train Production qui, comme la Cour l’a conclu, ne contrefont pas le brevet 787. Cela laisse les vingt-et-un trains Legacy que Bell a fabriqués ou utilisés à un certain moment entre 2005 et 2008. La détermination de ce que Bell a réalisé en profits grâce à la contrefaçon sera un travail hautement complexe et controversé. Eurocopter a allégué que Bell est parvenue à réaliser des ventes du Bell 429 et qu’elle ne devrait pas tirer profit de ses actes de contrefaçon. Eurocopter a déclaré qu’avant mai 2008, des lettres d’intention [traduction] « sans force obligatoire », comprenant des acomptes d’un montant total d’environ 6 000 000 $, avaient été signées par des clients intéressés à acheter le Bell 429 (qui aurait été équipé du train Legacy). Selon toute vraisemblance, s’il est permis à Eurocopter de faire un choix entre les dommages-intérêts ou les profits, il y aura d’autres interrogatoires préalables. Eurocopter demandera à Bell d’ouvrir ses livres de comptes, ce qui mènera à un certain nombre d’objections. Dans la présente affaire, une restitution des profits n’aura peut-être aucun usage pratique en bout de ligne, et ne fera que générer de multiples litiges, longs et coûteux, entre les parties.

 

[415]       La Cour a entendu, au sujet du prix de vente demandé par Bell pour le Bell 429, des chiffres de l’ordre de 5 000 000 $ et de 6 000 000 $. Bien sûr, cela ne nous dit pas quel est le coût total d’un hélicoptère, ni le montant de profit net que Bell réalise lorsqu’elle vend un tel appareil. Étant donné que la valeur pécuniaire d’un train d’atterrissage unique est assez restreinte (au procès, le chiffre de 20 000 $ à 25 000 $ a été avancé) et qu’aucun n’a jamais été intégré à un hélicoptère vendu par Bell, on peut se demander s’il convient d’autoriser au départ une restitution des profits. Après tout, Bell a été suffisamment prudente en mai 2008 pour mettre en quarantaine les trains Legacy et opter pour un autre train d’atterrissage (le train Production), un geste qui a bel et bien limité le montant des profits qu’Eurocopter peut réclamer par suite de la contrefaçon de la revendication 15 du brevet 787.

 

[416]       En fin de compte, après avoir équilibré les intérêts, la Cour a décidé de ne pas permettre à Eurocopter de faire un choix entre une adjudication de dommages-intérêts ou une restitution des profits. La Cour conclut qu’Eurocopter a droit à des dommages-intérêts généraux, lesquels peuvent inclure la perte des profits subie au chapitre des ventes, soit la perte des redevances (Schmeiser, précité, au paragraphe 100). La présente adjudication inclut tous les dommages‑intérêts compensatoires auxquels Eurocopter a droit, dans la mesure où ces derniers résultent de la contrefaçon de la revendication 15 du brevet 787.

 

Les dommages-intérêts punitifs

[417]       Eurocopter sollicite également des dommages-intérêts punitifs; cependant, si la Cour les accorde, il faudra que leur montant soit évalué plus tard par voie de renvoi compte tenu des modalités de l’ordonnance de disjonction. Eurocopter soutient que Bell a contrefait sciemment et de façon malveillante le brevet 787 en fabriquant et en utilisant le train Legacy, lequel a aussi été montré au public en vue d’inciter à passer des commandes d’achat du Bell 429. La conduite outrageante de Bell a causé des dommages irrémédiables qu’une adjudication de dommages‑intérêts ou une restitution des profits ne sauraient tout simplement pas corriger, et qui sont aggravés par le fait que Bell a induit en erreur et continue d’induire en erreur le public en lui faisant croire que le Bell 429 est le premier hélicoptère à utiliser un train d’atterrissage à patins de type « traîneau ».

 

[418]       Tout en réitérant que tout acte de contrefaçon était innocent et non délibéré, Bell soutient qu’il serait prématuré pour la Cour de décider d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires avant le renvoi et l’évaluation du montant des dommages-intérêts ordinaires ou des profits, selon le cas. Bell nie également que l’article présenté à Montréal, au printemps de 2008, à l’occasion du 64e Forum annuel de l’American Helicopter Society, sous le titre : « Development of the Bell Helicopter’s Model 429 Sleigh Type Skid Landing Gear » (RC‑224) et écrit par M. Minderhoud, est trompeur, tout en mettant en doute la compétence de la Cour pour ce qui est d’instruire une action générale en responsabilité délictuelle pour fausses déclarations.

 

[419]       Les tribunaux canadiens ont accordé à de nombreuses reprises des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires. Ces situations ne se limitent pas à des cas de diffamation et de délit intentionnel, qui sont les plus fréquents, mais de tels dommages-intérêts peuvent être adjugés dans des cas de violation de contrat, dans certains cas de négligence, dans des cas de relation fiduciale et dans d’autres situations où le tribunal, dans une affaire de nature civile, estime qu’il est nécessaire de condamner la conduite outrageante d’un défendeur. Comme l’a déclaré en 1996 la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lubrizol Corp c Imperial Oil Ltd, [1996] ACF 454, au paragraphe 33 (Imperial Oil), il n’y a « pas de raison pour laquelle, lorsque les circonstances le justifient, des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ne pourraient être accordés dans une affaire de violation du droit d’auteur ou de contrefaçon de brevet, lesquels correspondent à un type de délit créé par une loi ».

 

[420]       Des dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsque la conduite d’une partie a été malveillante, opprimante et abusive, choque le sens de la dignité du tribunal ou représente un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable (Whiten c Pilot Insurance Co, [2002] 1 RCS 595, au paragraphe 36 (Whiten)). Qui plus est, comme l’a mis en garde la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hill c Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, au paragraphe 196 (Hill) : « [i]l importe de souligner que les dommages‑intérêts punitifs ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader ».

 

[421]       Des dommages-intérêts punitifs et exemplaires ont été accordés dans des affaires de violation de marque de commerce et de droit d’auteur, où par exemple, la conduite des défendeurs a été « outrageante » ou « fort répréhensible », où alors les gestes du défendeur constituaient une indifférence complète à l’égard des droits du demandeur ou des injonctions accordées par le tribunal (Microsoft Corporation c 9038-3746 Québec Inc, 2006 CF 1509, aux paragraphes 91, 92, 98 et 110 à 112; Louis Vuitton Malletier SA c Yang, 2007 CF 1179, aux paragraphes 45 à 53; Louis Vuitton Malletier SA c 486353 BC Ltd, 2008 BCSC 799, au paragraphe 86; et Microsoft Corporation c PC Village Co Ltd, 2009 CF 401, aux paragraphes 41 à 44; ainsi que Robinson c Films Cinar inc, 2009 QCCS 3793, aux paragraphes 1036 à 1072 (CSQ), montant des dommages-intérêts punitifs réduit en appel, 2011 QCCA 1361, aux paragraphes 229 à 260).

 

[422]       Dans les affaires de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, y compris une affaire de contrefaçon de brevet, la norme de preuve est la norme de preuve civile – selon la prépondérance des probabilités – et non la norme de preuve criminelle – hors de tout doute raisonnable ((Imperial Oil, précité, au paragraphe 32). « [I]l ne serait être question d’actus reus et de mens rea au civil » (Imperial Oil, précité, au paragraphe 38), mais le caractère délibéré de la contrefaçon, de pair avec la conduite générale du défendeur, y compris le fait que la contrefaçon était « préméditée et délibérée » sont des facteurs pertinents qu’il faut prendre en considération (Whiten, précité, au paragraphe 113).

 

[423]       La présumée connaissance, ou absence de connaissance, de l’existence du monopole que la loi confère à Eurocopter par le brevet 787 (et, aux États-Unis et en Europe, par les brevets américain et français) lié au « train d’atterrissage Moustache » (notamment utilisé sur l’EC120 pendant de nombreuses années), peut être prouvée par une admission faite par une partie dans une instance, une ancienne déclaration extrajudiciaire, la déposition d’un témoin, les documents produits au procès, les mesures prises par une partie ou ses employés ou ses représentants, ainsi que tout autre moyen.

 

[424]       Si l’on commence par l’article 2 de la Loi, « brevet » signifie « [l]ettres patentes couvrant une invention », et tous les brevets, toutes les demandes de brevet et tous les documents connexes qui sont déposés sont accessibles au public au Bureau des brevets. Cela étant, un « brevet » est inclus dans la définition d’un « règlement » qui figure à l’article 2 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21. Cela dit, une fois que le brevet est délivré, le paragraphe 43(2) de la Loi crée une présomption de validité, car ce brevet « est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour [sa] période […] ». En l’espèce, le brevet 787 a été délivré le 31 décembre 2002 à Eurocopter à la suite d’une demande déposée le 5 juillet 1997, revendiquant la priorité sur le fondement de la demande de brevet français no 96 07158 déposée en France le 10 juin 1996.

 

[425]       Après avoir examiné la totalité des éléments de preuve, la Cour conclut que l’affirmation de Bell, à savoir qu’elle n’était nullement au courant de l’existence du brevet 787 avant le mois de mai 2008, n’est tout simplement pas plausible et elle est contraire à la preuve. MM. Lambert, Kohler et Gardner ont tous déclaré n’avoir aucune connaissance personnelle du brevet 787, mais la question est de savoir si la société, elle, avait cette connaissance, et la réponse est oui. L’ignorance de la loi n’est pas une excuse valable, et il n’existe aucune preuve étayant la croyance sincère que Bell était la première à mettre au point un train d’atterrissage de type « traîneau » possédant les caractéristiques de la revendication 15 du brevet 787.

 

[426]       Parfois appelé dans la documentation [traduction] « train original », le train Legacy a été mis au point par Bell entre 2004 et 2007, c’est-à-dire au cours de la période de validité du brevet 787, qui expirera le 5 juin 2007. Comme Bell n’avait jamais conçu un hélicoptère équipé d’un rotor articulé et d’un train d’atterrissage de type « traîneau », son équipe a étudié la performance d’un EC120 équipé du train d’atterrissage Moustache. Bell a loué et utilisé un hélicoptère EC120 entre les mois de mars et de juin 2003 environ, période au cours de laquelle elle a effectué des essais sur l’hélicoptère EC120, y compris un essai par secousses manuelles. De plus, des employés de Bell ont suivi, à Dorval (Québec), une formation sur un hélicoptère EC120 en mars 2003. Il s’est avéré que le train Legacy que Bell a utilisé et dont il a fait la publicité dans de multiples documents n’était rien de plus qu’une copie servile du train d’atterrissage Moustache breveté.

 

[427]       Bell et sa société mère, Textron, sont des entités morales d’expérience, qui emploient des milliers d’ingénieurs et du personnel hautement qualifié. Les deux disposent d’un service juridique et de propriété intellectuelle. Des logiciels perfectionnés permettent d’effectuer des recherches et de trouver des demandes et des brevets concernant le secteur des hélicoptères aux quatre coins du monde. En fait, à l’époque de la contrefaçon, il existait un manuel de politiques et des lignes directrices au sujet des questions de propriété intellectuelle, y compris des mesures permettant d’éviter de violer les droits de propriété intellectuelle valides que détenaient d’autres entités (voir les pièces RC‑397 et RC‑398). Les spécialistes en ressources techniques (SRT) sont chargés de maintenir des capacités techniques de pointe dans leur discipline, de se tenir au courant des brevets et d’autres éléments de propriété intellectuelle concurrents à l’extérieur de l’entreprise, ainsi que d’informer les dirigeants des équipes de produits intégrés (EPI) de toute préoccupation concernant une éventuelle contrefaçon ou violation qui pourrait survenir lors de la mise au point d’un nouveau produit ou d’un nouveau procédé.

 

[428]       Les aspects principaux des témoignages de MM. Kohler et Lambert suscitent un certain nombre de doutes quant à leur crédibilité. M. Kohler, pour sa part, n’a pas participé en personne au programme du Bell 429 et la Cour a conclu que son témoignage était loin d’être franc. Par exemple, il a d’abord déclaré que Bell n’avait reçu aucune commande concernant le Bell 429 équipé du train Legacy; cependant, en contre-interrogatoire, et confronté à la preuve documentaire, il lui a fallu admettre qu’à l’époque plus de 200 commandes avaient été reçues pour le Bell 429 (ou le Bell 427i, un modèle abandonné) et que Bell avait reçu des acomptes d’un montant total de 6 000 000 $ (voir, notamment, les pièces RC‑43, RC‑233, RC‑244 et RC‑245).

 

[429]       M. Lambert a travaillé comme ingénieur en chef chargé du Bell 429 entre 2004 et la date où cet appareil a été homologué en 2009. Il a notamment déclaré qu’au cours du temps qu’il a passé chez Bell, il savait qu’un EC120 avait été loué à Bail pour évaluer certaines caractéristiques du rotor et du train d’atterrissage. M. Lambert a également déclaré que des [traduction] « analyses comparatives » avec des produits concurrents dans le secteur aéronautique sont monnaie courante, y compris chez Bombardier, où il travaille aujourd’hui. Comme il a été mentionné plus tôt, en 2003, c’était M. Malcolm Foster qui était chargé du programme MAPL, et M. Lambert a reconnu que c’est M. Foster qui avait été le premier à lancer le concept d’un train d’atterrissage de type « traîneau ».

 

[430]       Cela dit, la preuve documentaire (voir, notamment les pièces RC‑372 et RC‑478) et les déclarations faites par M. Gardner lors de l’interrogatoire principal (voir la pièce P-22) ainsi que son témoignage général au procès, contredisent le commentaire gratuit de Bell selon lequel les essais et les études auxquels l’EC120 a été soumis étaient strictement destinés à des fins [traduction] « comparatives ». Bell n’a pas seulement comparé la performance d’un hélicoptère Bell existant équipé d’un train classique et la performance d’un hélicoptère d’Eurocopter équipé d’un train de type « traîneau »; Bell a fait un pas de plus, et a décidé d’importer et de copier la technologie brevetée unique et nouvelle qu’Eurocopter avait mise au point.

 

[431]       Il n’y a eu aucune erreur de fait. Chez Bell et Textron, on savait que le train de type « traîneau » ressemblait étroitement au train d’atterrissage Moustache de l’EC120. M. Gardner a même déclaré que le train Legacy présente toutes les caractéristiques du train d’atterrissage Moustache (à l’exception de la courbure inférieure). Cependant, M. Lambert ne s’en est pas soucié, car c’était le travail de M. Foster de faire les recherches nécessaires. En fait, selon une preuve fournie au cours de l’examen préalable, lorsque des doutes ont été soulevés au sujet de la similitude entre le train Legacy et le train d’atterrissage de l’EC120, M. Foster a dit aux ingénieurs de Bell de [traduction] « poursuivre le travail ». Ce faisant, Bell a agi de façon téméraire (en fait, les gestes qu’elle a posés sont contraires à ses propres manuels de politique) et sa conduite représentait un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable.

 

[432]       Lorsqu’elle a conçu son train de type « traîneau », Bell était – ou aurait dû être – au courant de l’existence du brevet 787. Il est invraisemblable qu’entre 2003 et mai 2008, Bell n’était pas au courant des droits de propriété intellectuelle d’Eurocopter. Là encore, il incombait à M. Foster de veiller à ce que le dessin choisi ne contrefasse pas le brevet 787; il n’a pas été appelé comme témoin. M. Minderhoud, qui avait participé de près aux calculs relatifs au train Legacy et qui en avait publiquement loué la performance, aurait dû le savoir lui aussi; lui non plus n’a pas témoigné au procès. Bell avait un Service de propriété intellectuelle qui était expressément chargé de vérifier les contrefaçons possibles; aucun employé de ce service n’a témoigné au procès, tandis que Bell s’est opposé, pour des questions de privilège, à des demandes d’avis, ou a par ailleurs été évasive sur le sujet. Il est donc loisible à la Cour de tirer une inférence défavorable de ces diverses omissions.

 

[433]       Selon la prépondérance des probabilités, la Cour conclut qu’il existe une preuve évidente de mauvaise foi et de conduite inacceptable de la part de Bell. Il n’est pas question ici d’une situation dans laquelle la contrefaçon est minime, banale ou isolée, ou d’une situation dans laquelle la partie défenderesse est peu informée ou ignorante. Nous avons affaire ici à une question d’aveuglement volontaire ou de détournement délibéré et planifié de l’invention revendiquée. Eurocopter a prouvé que la contrefaçon du brevet 787, par la fabrication et l’utilisation du train Legacy, n’était pas innocente ou accidentelle.

 

[434]       La preuve établit de manière concluante que Bell avait des plans concernant la fabrication du train Legacy et l’intégration de ce dernier à son modèle Bell 429, aussitôt qu’elle pourrait le faire homologuer. Bell a fait une promotion active des ventes du Bell 429 équipé du train Legacy. Bell n’a fait preuve d’aucun remord et n’a offert aucune excuse pour son comportement. Niant l’existence d’une contrefaçon, Bell a adopté une position vindicative durant toute l’instance, plaidant qu’elle pouvait se prévaloir de l’exception de nature réglementaire ou expérimentale et qu’elle ne faisait qu’appliquer des réalisations antérieures.

 

[435]       Pour exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder des dommages-intérêts punitifs, la Cour tient également compte du fait que la mise au point d’un hélicoptère est une entreprise hautement complexe et coûteuse, et que seuls quelques acteurs au sein de l’industrie possèdent une technologie suffisante et emploient le personnel hautement qualifié qui est nécessaire pour concevoir, mettre au point, mettre à l’essai et fabriquer un train d’atterrissage qui présentera toutes les caractéristiques et tous les avantages requis qu’un tel dispositif doit posséder avant de pouvoir être intégré à un hélicoptère.

 

[436]       Il est nécessaire d’imposer des dommages-intérêts punitifs dans la présente affaire non seulement pour sanctionner Bell, mais aussi pour dissuader d’autres entités de se comporter d’une manière semblable. Le fait que Bell n’a utilisé ou fait fabriquer que vingt-et-un trains Legacy est sans pertinence en l’espèce et ne tient pas compte de la réalité de la durée, de la gravité et de la planification de la contrefaçon. La conduite générale de Bell est hautement répréhensible et constitue une indifférence complète à l’égard des droits d’Eurocopter, qui a été contrainte d’engager la présente action. Bell savait fort bien quels étaient le temps, les recherches, les essais et les fonds qu’avait nécessités la mise au point du train d’atterrissage Moustache.

 

[437]       Dans son article daté d’avril-mai 2008 (RC‑224), M. Minderhoud écrit, à la page 9 :

[traduction]

Les apparences sont trompeuses : le train d’atterrissage de type « traîneau » est un dessin visuellement simple, mais sa mise au point est fort complexe et difficile à cause du grand nombre d’exigences contradictoires. D’énormes améliorations dans les outils d’analyse prévisionnelle et le traitement des données ont contribué à l’évolution qui s’est faite entre le train d’atterrissage à skis fixes du modèle 47 de Bell (premier vol en 1943) et le nouveau train d’atterrissage de type « traîneau » du modèle 429 (premier vol en 2007); voir la fig. 11.

 

[438]       La figure 11 qui apparaît dans l’article de M. Minderhoud montre une photographie du modèle 47 de Bell (équipé d’un train d’atterrissage classique) posé au sol et une photographie du Bell 429 (équipé du train Legacy) en vol. Le train Legacy illustré sur la photographie est présenté comme un produit presque fini et une percée technologique d’envergure par rapport au type classique de train d’atterrissage (encore qu’il reste peut-être encore quelques essais à effectuer). Tant dans le sommaire que dans l’article, il est fait référence au fait que ce train de type « traîneau » [traduction] « a été conçu pour la première fois » par Bell. Cela fait passer un message très clair au public et aux acheteurs potentiels.

 

[439]       Les avocats de Bell suggèrent à la Cour de faire preuve d’indulgence. Les personnes qui ont lu l’article de M. Minderhoud sauraient que l’EC120 était déjà équipé d’un train d’atterrissage de type « traîneau » semblable. Si la déclaration qui précède suscite une certaine ambiguïté, tout doute devrait favoriser Bell. Après avoir lu cette déclaration dans le contexte de l’article tout entier de M. Minderhoud, la Cour conclut qu’il est sous-entendu que Bell est la « première », et on peut se demander si les mots soigneusement choisis donnent à penser que Bell est la première à avoir conçu un train d’atterrissage de type « traîneau ». Sans cela, il n’y aurait pas lieu de célébrer dans l’article le fait que le modèle Bell 429 soit le premier hélicoptère conçu par Bell à utiliser une technologie déjà connue dans le domaine. Il s’avère que le but principal de l’article était d’attirer l’attention sur la technologie de Bell et de stimuler les ventes du Bell 429; nulle part dans l’article ou dans une note de bas de page est-il indiqué que le train d’atterrissage de type « traîneau » est en usage depuis un certain temps dans l’industrie.

 

[440]       Il n’est pas demandé ici d’entendre une action en responsabilité délictuelle pour des allégations de fausses déclarations. La question est de savoir s’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires à Eurocopter à la suite de la conclusion de la Cour selon laquelle l’acte de contrefaçon était planifié et délibéré, et que cet acte a persisté pendant une longue période (2004 à 2008), et ce, même si seulement vingt-et-un trains d’atterrissage ont été fabriqués pour Bell ou utilisés par cette dernière. Dans ce contexte, les observations que Bell a faites publiquement au sujet de la mise au point du train Legacy contrefait sont pertinentes pour ce qui est de déterminer si sa conduite est véritablement outrageante ou non. En fait, la Cour conclut que les observations que contient l’article de M. Minderhoud sont logiquement liées à la contrefaçon, par Bell, du brevet 787 et ajoutent à l’indignation que suscite sa conduite inacceptable.

 

[441]       Non seulement Bell a-t-elle tiré profit de son inconduite – la mise au point du train Production aurait été impossible sans la mise au point du train Legacy – mais il ressort de la preuve que Bell a dissimulé au public et aux acheteurs potentiels du Bell 429 qu’elle avait importé d’un concurrent le train d’atterrissage de type « traîneau » et copié le train d’atterrissage Moustache de l’EC120 d’Eurocopter, tout en laissant entendre que le train Legacy était en quelque sorte une « première » chez Bell et en vantant publiquement dans l’article de M. Minderhoud les avantages singuliers du train Legacy, c’est-à-dire l’amélioration du comportement dynamique (résonance au sol) et un poids inférieur, des avantages qui avaient tous été déjà révélés publiquement dans le brevet 787.

 

[442]       Il a aussi été fait référence lors du procès au vidéo promotionnel dans lequel Bell montre les caractéristiques du Bell 429 (RC‑86 et RC‑225). Dans ces vidéos, on mentionne très brièvement que le train d’atterrissage de type « traîneau » est l’une des technologies clés du programme MAPL. Cependant, d’après Bell, les passages où l’on discute dans ces vidéos du train d’atterrissage de type « traîneau » ne donnent pas à penser que Bell est le premier fabricant d’hélicoptères à adopter un train d’atterrissage de type « traîneau ». Quoi qu’il en soit, la Cour conclut qu’après l’introduction de l’action en mai 2008, Bell et ses distributeurs ont continué de faire la promotion du Bell 429 équipé du train Legacy (voir, notamment, les pièces RC‑226 à RC‑229), ce qui constitue une conduite répréhensible qui aggrave les dommages causés par la contrefaçon du brevet 787.

 

[443]       La Cour rejette également l’argument de Bell selon lequel il serait prématuré à ce stade-ci de décider d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.

 

[444]       Les avocats de Bell se fondent sur la déclaration suivante de la juge Sharlow, écrivant au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc c Merck & Co, 2003 CAF 291, au paragraphe 34 (Apotex) :

Le but des dommages-intérêts punitifs est de punir, de dissuader le fautif et autrui et de dénoncer une conduite fautive. Les dommages punitifs sont accordés seulement lorsque les dommages-intérêts compensatoires et d'autres recours civils ne permettent pas de réaliser ces objectifs, et leur quantum ne doit pas dépasser la somme nécessaire pour réaliser cet objectif : Whiten, précité; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130. Il est évident que jusqu'à ce que tous les recours civils ordinaires soient établis définitivement (ce qui, en l'espèce, inclurait une décision sur la question de savoir si le recours consiste en l'attribution de dommages-intérêts ou en une restitution des bénéfices, et le quantum), il est impossible de décider quels dommages-intérêts punitifs sont nécessaires pour réaliser les objectifs de punition, de dissuasion et de dénonciation.

 

 

[445]       Les avocats d’Eurocopter soulignent que dans l’arrêt Apotex, précité, il n’y a pas eu de procès, juste un jugement sommaire, et que toute la question des réparations appropriées, et non seulement celles du montant, a été disjointe, ainsi qu’il est indiqué aux paragraphes 23 et 24 de cet arrêt. Il est donc nécessaire d’évaluer les commentaires généraux que fait la Cour d’appel fédérale au paragraphe 34 dans le contexte qui leur est propre. Les avocats laissent entendre que la présente espèce est très différente d’un point de vue factuel, car, au procès, des éléments de preuve ont été fournis et des arguments invoqués au sujet de la caractérisation de la conduite de Bell.

 

[446]       La Cour est d’accord avec les avocats d’Eurocopter. Pour pouvoir situer dans son juste contexte ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré au paragraphe 34 de l’arrêt Apotex, précité, il faut garder à l’esprit que cette affaire était « inusitée parce que le bien-fondé de la réclamation en contrefaçon a été traité au moyen de requêtes en jugement sommaire présentées par les deux parties » et que cela a « entraîné une séparation de fait entre la phase relative à la responsabilité et celle relative à la réparation ». [Non souligné dans l’original.] (Apotex, précité, au paragraphe 23).

 

[447]       Le principal problème que pose l’arrêt Apotex, précité, est que le juge des requêtes aurait dû d’abord permettre à « Apotex d’interroger au préalable Merck sur des questions de réparation, de manière à ce qu’elle puisse présenter des observations convenables sur la question de savoir s’il [convenait] d’accorder à Merck d’exercer ce choix », avant de conclure, comme l’a manifestement fait le juge des requêtes, que « les faits se rapportant au droit [n’ont] pas changé » (Apotex, précité au paragraphe 33). La Cour d’appel fédérale a par ailleurs signalé qu’il y avait « une certaine ambiguïté au jugement du juge des requêtes sur la question de savoir si l’arbitre avait le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts punitifs, ou simplement celui de les quantifier » (Apotex, précité, au paragraphe 35).

 

[448]       Il n’est donc pas surprenant que la Cour d’appel fédérale soit arrivée à la conclusion que « le juge des requêtes a commis une erreur en décidant, avant d’établir les autres recours, qu’Apotex était passible de dommages-intérêts punitifs » (Apotex, précité, au paragraphe 35). L’avocat de Bell se fonde également sur l’arrêt Laboratoires Servier, où les commentaires faits dans Apotex, précité, au paragraphe 34, sont cités par la juge Snider, mais, dans cette affaire, les deux parties avaient convenu « qu’il serait prématuré pour [elles] de [se] prononcer sur cette question avant le renvoi sur la question des dommages-intérêts (Laboratoires Servier, précité, au paragraphe 514).

 

[449]       L’ordonnance de disjonction rendue sur consentement le 2 octobre 2009 indique très clairement que l’arbitre n’est pas habilité à accorder des dommages-intérêts (ou les profits), y compris des dommages-intérêts punitifs; il peut simplement calculer le montant de ces dommages-intérêts (ou de ses profits). Par ailleurs, seul le montant des dommages-intérêts, des profits et des dommages-intérêts punitifs a été disjoint, et non le droit à ces réparations. Par conséquent, le juge de première instance est la seule personne qui peut décider s’il convient d’accorder des dommages-intérêts punitifs à Eurocopter.

 

[450]       Si la Cour devait souscrire à l’argument de Bell selon lequel il est prématuré de décider si Eurocopter a droit à des dommages-intérêts punitifs, cela veut dire qu’il faudrait d’abord que l’arbitre calcule le montant des dommages-intérêts ordinaires. Étant donné que les deux parties, selon toute vraisemblance, déposeront des appels et des contre-appels à la suite du présent jugement, le calcul des dommages-intérêts ordinaires, par l’arbitre, devra attendre l’épuisement de tous ces appels et contre-appels.

 

[451]       Sous réserve d’un appel quelconque à l’égard de la décision de l’arbitre au sujet du montant des dommages-intérêts ordinaires, il faudra peut-être plusieurs années avant que la question du droit à des dommages-intérêts punitifs revienne entre les mains du juge de première instance. En présumant que ce dernier soit toujours en fonction, il lui incombera de passer en revue de nombreuses années plus tard la totalité des éléments de preuve déposés au procès (plus de 20 jours passés à entendre des témoins, et quelque 540 pièces) afin de décider si le comportement de Bell justifie l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Le procès ayant eu lieu plusieurs années plus tôt, il sera peut-être nécessaire d’autoriser les parties à présenter de nouveaux éléments de preuve et, peut-être même d’ordonner la tenue d’un nouveau procès si le juge de première instance n’est plus en fonction.

 

[452]       Si le juge de première instance rend un jugement final accordant des dommages-intérêts punitifs, Bell voudra peut-être ensuite déposer un appel au sujet du droit d’Eurocopter à des dommages-intérêts punitifs. Là encore, une audition de l’arbitre sur le calcul de ces dommages‑intérêts punitifs devra attendre que l’on ait épuisé la totalité des procédures d’appel ainsi qu’une confirmation de la décision du juge de première instance d’accorder de tels dommages-intérêts. Ce serait à ce moment, et uniquement à ce moment-là, si l’on souscrivait à l’argument de Bell, que l’arbitre calculerait le montant des dommages-intérêts punitifs par suite de la contrefaçon par Bell du brevet 787.

 

[453]       Il existe un principe directeur clé, consacré à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DSOR/98-106, selon lequel l’application et l’interprétation de n’importe quelle règle de conduite procédurale ne doivent pas aller à l’encontre de la solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. En conséquence, la Cour souscrit à l’observation des avocats d’Eurocopter, à savoir qu’il n’y aurait aucun sens en pratique de différer le jugement sur la question des dommages-intérêts punitifs, et qu’il est contraire aux intérêts des parties et à l’administration de la justice de ne pas trancher à ce stade-ci le droit d’Eurocopter à des dommages-intérêts punitifs.

 

[454]       Il y a eu un examen complet avant le procès et amplement de preuves au cours de ce dernier sur la conduite respective des parties. Bell a notamment soutenu qu’Eurocopter n’avait droit à aucune réparation en equity à cause de sa conduite. La Cour a déjà analysé cette question plus tôt. Elle a refusé d’autoriser Eurocopter à faire un choix entre des dommages-intérêts ou les profits, même si elle n’a relevé aucune faute de la part de cette dernière. Il ne reste que l’évaluation de ces dommages-intérêts, et c’est ce qui fait que la présente affaire est bien différente d’Apotex, précité.

 

[455]       Il est possible que la présente affaire soit exceptionnelle et nettement différente d’autres affaires de contrefaçon de brevet. Dans ces affaires, l’étendue de la contrefaçon est généralement inconnue. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, il est incontesté que Bell a fabriqué ou utilisé vingt-et-un trains Legacy. Ili semble également qu’aucun modèle Bell 429 équipé d’un train Legacy n’a été vendu, même si des commandes anticipées ont été passées et que Bell a reçu des acomptes avant l’introduction de l’action en contrefaçon et l’homologation du Bell 429 équipé du train Production. Compte tenu des éléments de preuve qui figurent actuellement dans le dossier, il y a des chances que, en tout état de cause, une adjudication de dommages-intérêts ordinaires – qui, comme Bell l’a fait valoir, sera minime si Eurocopter n’est pas en mesure de prouver la perte de ventes ainsi qu’un lien de causalité par suite de la contrefaçon – ne sera tout simplement pas suffisante pour atteindre l’objectif de la punition et de la dissuasion.

 

[456]       En bout de ligne, la Cour conclut qu’Eurocopter a droit à des dommages-intérêts punitifs par suite de la contrefaçon par Bell du brevet 787 et de sa conduite délibérée et scandaleuse dans le cas présent. Cependant, le montant des dommages qu’Eurocopter a subis par suite de cette contrefaçon est une question qu’il faudra trancher plus tard, eu égard à l’ordonnance de disjonction.


 

La détermination du montant des dommages-intérêts

[457]       Les deux parties demandent que le montant des dommages-intérêts soit adjugé soit par un arbitre soit par le juge de première instance, si ce dernier opte pour le faire et est disponible pour tenir une audience (après achèvement de l’examen préalable, s’il le faut).

 

[458]       Contrairement à un arbitre, le juge soussigné connaît déjà bien la preuve volumineuse que les parties ont déposée. Cela présente l’avantage d’éviter de reproduire inutilement la preuve et d’imposer aux parties un fardeau financier additionnel. Par ailleurs, le juge soussigné se trouve dans une situation privilégiée pour déterminer le montant des dommages-intérêts compensatoires et punitifs, car il est également pertinent, dans le cadre d’un tel exercice, de mettre en balance les facteurs aggravants et atténuants.

 

[459]       Par conséquent, la Cour déclarera qu’Eurocopter a droit à la totalité des dommages‑intérêts, y compris les dommages-intérêts punitifs, qui résultent de la contrefaçon, par Bell, de la revendication 15 du brevet 787; le montant de ces dommages-intérêts sera fixé par le juge de première instance ou un arbitre (si le juge de première instance n’est pas par ailleurs disponible) dans le cadre d’une audience ultérieure et après épuisement de tous les appels, conformément aux modalités de l’ordonnance de disjonction, et sous réserve de tout autre directive ou ordonnance de la Cour.

 

Les intérêts avant et après jugement

[460]       Les parties conviennent que s’il advient que la Cour ordonne une adjudication de dommages-intérêts, il y aurait lieu d’autoriser le paiement d’intérêts avant jugement à l’égard de tout montant alloué. Il ne faudrait pas que ces intérêts soient composés. Leur taux devrait être calculé séparément pour chaque année depuis que l’activité de contrefaçon a commencé au taux bancaire annuel moyen fixé par la Banque du Canada à titre de taux minimum auquel elle effectue des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe 1 de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46.

 

[461]       Par ailleurs, les parties conviennent que les intérêts après jugement ne devraient pas être composés et qu’ils devraient suivre l’établissement du montant des dommages-intérêts au taux de 5 % établi par l’article 4 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I‑15.

 

Les dépens

[462]       Les deux parties conviennent que la Cour remette le prononcé de la décision relative à la question des dépens et que celle-ci soit débattue à une date ultérieure par les avocats.

 

[463]       Bell préfère que la Cour remette la question des dépens jusqu’à ce qu’un jugement final tranchant la totalité des appels soit rendu, tandis qu’Eurocopter insiste pour que l’on examine les observations relatives aux dépens en fonction d’un échéancier que fixeront les parties et que la Cour approuvera dans les 30 jours suivants la date du jugement rendu par l’instance inférieure.

 

[464]       À défaut d’une entente entre les parties, la question des dépens sera remise et l’une ou l’autre des parties pourra en traiter, par la voie d’une requête écrite, signifiée et déposée auprès de la Cour dans les 30 jours suivant la date où le présent jugement sera devenu final, et sous réserve de tout autre directive ou ordonnance de la Cour.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         la revendication 15 du brevet canadien no 2 207 787 est valide et exécutoire;

2.         les revendications 1 à 14 et 16 du brevet canadien no 2 207 787 sont invalides, nulles et sans effet;

3.         la défenderesse a contrefait la revendication 15 du brevet canadien no 2 207 787 en utilisant un train d’atterrissage Legacy, ainsi qu’il est révélé dans la pièce RC‑538 et illustré ci-dessous :

4.         la défenderesse n’a pas contrefait la revendication 15 du brevet canadien no 2 207 787 en utilisant et en vendant un train d’atterrissage Production, ainsi qu’il est révélé dans la pièce RC‑537 et illustré ci-dessous :

 

5.         il est par la présente interdit en permanence à Bell, par son entremise ou par celle de ses administrateurs, mandataires, préposés, employés, sociétés affiliées, filiales ou toute autre entité placée sous son autorité ou son contrôle, et chacun d’eux, ainsi que toute personne ayant connaissance de cette injonction, de fabriquer, d’utiliser ou de vendre le train Legacy, tel que divulgué dans la pièce RC‑538, ou tout train d’atterrissage semblable qui contrefait la revendication 15 du brevet no 2 207 787, ou tout hélicoptère comprenant ce train d’atterrissage contrefait, jusqu’à ce que ce brevet expire ou qu’un tribunal conclut par ailleurs qu’il est invalide;

 

6.         il est par la présente ordonné à la défenderesse de détruire, sous serment, dans les 30 jours au plus tard qui suivront le jugement final tranchant la totalité des appels maintenant la validité et la contrefaçon de la revendication 15 du brevet no 2 207 787, la totalité des trains Legacy, révélée dans la pièce RC‑538, qui sont en sa possession ou soumis à son autorité ou à son contrôle à la date du présent jugement, à l’exception d’un seul train Legacy que Bell peut entreposer, ou faire entreposer, à seule fin de s’en servir, le cas échéant, dans le cadre d’un litige correspondant à l’encontre d’Eurocopter dans d’autres ressorts, et l’unique train Legacy en question sera détruit, sous serment, dans les 30 jours ou plus tard qui suivront le jugement final tranchant la totalité des appels interjetés dans les autres ressorts;

 

7.         la demanderesse a droit à la totalité des dommages-intérêts, y compris les dommages‑intérêts punitifs, qui résultent de la contrefaçon, par Bell, de la revendication 15 du brevet no 2 207 787; le montant de ces dommages-intérêts sera fixé par le juge de première instance ou un arbitre (si le juge de première instance n’est pas par ailleurs disponible) lors d’une audience ultérieure après épuisement de tous les appels, conformément aux modalités de l’ordonnance de disjonction du 2 octobre 2009, et sous réserve de tout autre directive ou ordonnance de la Cour;

 

8.         la demanderesse aura droit à des intérêts avant jugement sur le montant des dommages‑intérêts, non composés, à un taux qui sera calculé séparément pour chaque année depuis le début de l’activité de contrefaçon, au taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada en tant que taux minimal auquel elle effectue des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe 1 de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46;

 

9.         la demanderesse aura droit à des intérêts après jugement sur le montant accordé, non composés, à un taux de 5 % par année, tel qu’établi par l’article 4 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I-15. Ces intérêts commenceront à courir à partir de l’évaluation finale du montant accordé au titre des dommages-intérêts et, dans l’intervalle, ce seront les intérêts avant jugement qui prévaudront;

 

10.       à défaut d’une entente entre les parties, la question des dépens sera remise et l’une ou l’autre des parties pourra en traiter, par la voie d’une requête écrite, signifiée et déposée auprès de la Cour dans les 30 jours suivant la date où le présent jugement sera devenu final, et sous réserve de tout autre directive ou ordonnance de la Cour.

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-737-08

 

INTITULÉ :                                       EUROCOPTER (SOCIÉTÉ PAR ACTIONS SIMPLIFIÉE) c BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATES DES AUDIENCE :              17 janvier 2011, 18 janvier 2011, 19 janvier 2011, 20 janvier 2011, 21 janvier 2011, 24 janvier 2011, 25 janvier 2011, 26 janvier 2011, 27 janvier 2011, 28 janvier 2011, 31 janvier 2011, 1er février 2011, 2 février 2011, 3 février 2011, 4 février 2011, 7 février 2011, 8 février 2011, 9 février 2011, 10 février 2011, 11 février 2011, 12 février 2011, 14 février 2011, 15 février 2011, 16 février 2011, 17 février 2011, 24 février 2011, 25 février 2011,
11 janvier 2012 et 12 janvier 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 JANVIER 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marek Nitoslawski

Julie Desrosiers

David Turgeon

Chloé Latulippe

Joanie Lapalme

POUR LA DEMANDERESSE/
DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Judith Robinson

Joanne Chriqui

POUR LA DÉFENDERESSE/
DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE/
DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Norton Rose

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE/
DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

 

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