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 Date : 20120111


Dossier : IMM-9680-11

Référence : 2012 CF 32

Montréal (Québec), le 11 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

LEON MUGESERA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Au préalable

[1]               Dans le cas de Léon Mugesera, la voix de la Cour suprême du Canada a déjà été entendue en 2005 dans un jugement unanime. Ce jugement reconnaît que des milliers de centaines de Rwandais étaient réduits au silence par un génocide incité à l’encontre d’un groupe identifiable caractérisé par son origine ethnique, les Tutsis.

178      Face à certaines tragédies indescriptibles, comme la perpétration de crimes contre l’humanité, l’ensemble des nations doit parler d’une seule voix. L’interprétation et l’application des dispositions canadiennes sur les crimes contre l’humanité doivent par conséquent s’harmoniser avec le droit international. L’attachement profond de notre pays à la dignité humaine individuelle, à la liberté et aux droits fondamentaux n’exige rien de moins.

 

82        Le droit international se trouve à l’origine du crime de génocide. Il est donc appelé à jouer un rôle décisif dans l’interprétation du droit interne, plus particulièrement dans la détermination des éléments constitutifs du crime d’incitation au génocide. En effet, le par. 318(1) du Code criminel reprend presque textuellement la définition de génocide figurant à l’art. II de la Convention sur le génocide, et l’allégation B du ministre renvoie expressément à l’adhésion du Rwanda à cette convention. Le Canada est également lié par la Convention sur le génocide. Outre les obligations conventionnelles, l’on reconnaît que les principes juridiques qui sous-tendent la Convention sur le génocide font partie du droit international coutumier (voir Cour internationale de justice, avis consultatif du 28 mai 1951, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, C.I.J. Recueil 1951, p. 15). Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 69-71, notre Cour a souligné l’importance d’interpréter le droit interne conformément aux principes du droit coutumier international et aux obligations conventionnelles du Canada. Dans ce contexte, les sources internationales comme la jurisprudence récente des tribunaux pénaux internationaux revêtent une grande importance pour les besoins de l’analyse.

 

(Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 RCS 100).

 

[2]               La Cour se réfère aux paragraphes 88, 89, 105, 106, 114 et 115 de ce jugement de la Cour suprême du Canada (Mugesera, ci-dessus).

 

[3]               Dans le cas de Léon Mugesera, la voix unanime de la Cour suprême du Canada, dans sa décision de 2005, sonne un refrain qui réverbère maintenant à travers les décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme et de la chambre d’appel du Tribunal pénal international du Rwanda.

II. Introduction

[4]               Léon Mugesera vit au Canada depuis presque 20 ans. Le 6 décembre 2011, il a reçu une décision de 80 pages par laquelle le gouvernement fédéral tranche que Léon Mugesera ne fera pas face à des risques significatifs s’il retourne au Rwanda.

 

[5]               Le demandeur demande un sursis d’exécution de la mesure de renvoi pendant l’étude de ses demandes d’autorisation et demandes de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions présentement attaquées en contrôle judiciaire.

 

[6]               Le demandeur attaque la décision rendue par le délégué du ministre, selon le paragraphe 15(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de même que la décision d’exécuter son renvoi pour le 12 janvier 2012.

 

III. Résumé du fond de la matière

[7]               Le 28 juin 2005, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision de la Section d’appel de l’immigration [SAI], jugeant que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration Canada [CIC] s’était déchargé de son fardeau de prouver que le demandeur était inadmissible au Canada pour incitation au meurtre, à la haine et au génocide et commission d’un crime contre l’humanité en vertu des alinéas 27(1)a.1)(ii) et 27(1)a.3(ii) des 27(1)g), 19(1)j) de l’ancienne Loi sur l’immigration

 

[8]               Le 19 décembre 2005, l'Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] informait le demandeur qu’elle avait l'intention de solliciter l'opinion du ministre de la CIC, conformément à l'alinéa 115(2)b) de la LIPR, sur la question de savoir si en raison de la nature et de la gravité des actes passés commis par Léon Mugesera, il ne devrait pas être autorisé à rester au Canada. Le demandeur a fourni des observations et des documents additionnels durant les années qui ont suivi en ce qui concerne cet avis. Il a également demandé et obtenu des délais supplémentaires afin de faire des observations. Le demandeur a eu amplement l’opportunité de faire valoir ses moyens.

 

[9]               Le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent. Ces circonstances sont actuellement en place, et ce, depuis le 24 novembre 2011, date où le délégué du ministre a décidé que le demandeur ne devrait pas être présent au Canada en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés en application de l'alinéa 115(2)b) de la LIPR.

 

[10]           Cette Cour a spécifié aux deux parties que leurs deux positions respectives étaient distinctes et nettement, entièrement éloignées une de l’autre. Par la logique inhérente, suite à sa profonde évaluation, cette Cour ne peut pas faire autrement que d’être d’accord avec la position de la partie défenderesse. Changer ou mitiger les propos de la partie défenderesse irait à l’encontre de l’esprit du jugement de la Cour suprême du Canada compte tenu que la partie défenderesse garde continuellement à l’esprit le jugement de la Cour suprême en Mugesera. En plus, la Cour en vient à ce constat en raison de ses recherches et analyses des arguments des deux parties. Selon Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 et Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, une logique inhérente découle de la décision raisonnable du délégué du ministre. Faire autrement que d’accepter la position de la partie défenderesse à l’égard de la décision du délégué du ministre serait enlever des mots comme ajouter des paroles serait illogique à un travail qui démontre la validité à l’égard de cette décision du délégué du ministre qui a été travaillée depuis le jugement de 2005 de la Cour suprême. Ceci est suite à cette décision de la Cour suprême (dans le cas du demandeur) en vertu de laquelle les autorités du Canada ont travaillé pour s’assurer que les assurances du gouvernement rwandais seraient valables à l’égard de la sécurité, le bien-être du demandeur et, également, pour s’assurer qu’il y aurait un procès équitable à son égard. L’ASFC a démontré qu’elle a attendu jusqu’à ce que des garanties solides émanant du Rwanda soient reçues avant que le demandeur ne soit refoulé. Chaque propos de la décision du délégué du ministre démontre un soin qui découle de l’analyse du droit d’immigration du Canada et de la compréhension des faits à l’égard du demandeur. La décision du délégué du ministre est bien motivée et raisonnable. Le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une question sérieuse. Le demandeur n’a pas démontré qu’il subirait un préjudice irréparable si son renvoi était effectué avant que ses demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire ne soient tranchées; et, enfin, la balance des inconvénients penche en la faveur du ministre.

 

IV. Faits

            Dossier d’immigration

[11]           Le 22 novembre 1992, alors qu’il était vice-président du Mouvement républicain national pour le développement et la démocratie [MRND] dans la préfecture de Gisenyi, le demandeur a prononcé un discours appelant à l’extermination notamment des membres de l’ethnie tutsie. Quelques mois avant le discours du demandeur, des Tutsis avaient été massacrés à Gisenyi (Décision du délégué du ministre aux pp 3, 17 et 18).

 

[12]           Le 12 août 1993, le demandeur est arrivé comme réfugié au Canada après avoir obtenu ce statut à l’Ambassade du Canada à Madrid. Il a obtenu sa résidence permanente le même jour (Décision du délégué du ministre à la p 3).

 

[13]           Le 28 juin 2005, la Cour suprême du Canada dans la décision Mugesera, ci-dessus, a conclu que le demandeur était inadmissible en vertu des articles 19 et 27 de l’ancienne Loi sur l’immigration parce qu’en prononçant son discours le 22 novembre 1992, il avait commis les crimes suivants :

·                    Il a incité au meurtre : le demandeur a « non seulement prononcé le discours de manière délibérée, mais il a voulu que la perpétration de meurtres en résulte » (para 79 et 80 de la décision de la Cour suprême);

·                    Il a incité au génocide, alors qu’il savait que des Tutsis avaient été massacrés par des Hutus, il a tenté d’inciter les partisans du MRND à s’en prendre aux membres des partis d’oppositions (para 97 et 98 de la décision de la Cour suprême);

·                    Il a incité à la haine : « le discours de Mugesera visait les Tutsis et incitait à la haine et à la violence contre eux » (para 107, 110 et 111 de la décision de la Cour suprême);

·                    Il a commis un crime contre l’humanité, alors qu’il était au courant des attaques menées contre les membres de l’opposition et plus particulièrement les Tutsis, il a prononcé un discours incitant à leur extermination et qui s’inscrivait dans « le cadre de l’attaque systématique menée au Rwanda contre une population civile » (para 169, 179 et 177 de la décision de la Cour suprême).

 

[14]           Le 24 novembre 2011, le délégué du ministre a conclu :

Après avoir attentivement examiné tous les faits de l'espèce, y compris les circonstances d'ordre humanitaire, et évalué les risques possibles auxquels pourrait être exposé M. Mugesera s'il était renvoyé au Rwanda et la nature et de la gravité de ses actes, je conclus que M. Mugesera peut être expulsé du Canada malgré le paragraphe 115(1) de la LIPR, puisque son renvoi au Rwanda ne violerait pas ses droits prévus à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés

 

(Décision du délégué du ministre à la p 79).

 

[15]           Le 7 décembre 2011, le demandeur a été rencontré, en présence de son avocat, Me Guy Bertrand, par deux agents d’exécution de la loi de l’ASFC qui lui ont remis la décision du délégué du ministre et l’ont informé que son renvoi aurait lieu au début du mois de janvier 2012.

 

[16]           Le 22 décembre 2011, le demandeur a déposé une demande d’autorisation à l’encontre de la décision rendue par le délégué du ministre.

 

[17]           Le 29 décembre 2011, le demandeur a été avisé que son renvoi aurait lieu le 6 janvier 2012. Suite à une demande faite par le nouveau procureur du demandeur, l’ASFC a consenti à reporter son renvoi au 12 janvier 2012 (Dossier du demandeur [DD] aux pp A-81 à A-84).

 

[18]           Le 30 décembre 2011, le procureur du demandeur a demandé à l’ASFC de reporter sine die son renvoi (DD à la p A-84).

 

[19]           Le 4 janvier 2012, le demandeur a déposé une requête à la Cour fédérale demandant de suspendre son renvoi. Il conteste la décision rendue par le délégué du ministre.

 

[20]           Le 5 janvier 2012, l’ASFC a refusé de reporter le renvoi du demandeur. Le renvoi est par conséquent prévu pour le 12 janvier 2012 (pièce B de l’affidavit de Pierre Alain Moreau).

 

V. Décision du délégué du ministre

[21]           Après avoir fait une analyse complète et détaillée de la preuve au dossier, le délégué du ministre a tout d’abord conclu que le discours appelant au meurtre et au génocide prononcé par le demandeur constituait un acte inacceptable pour la société canadienne justifiant son renvoi du Canada (Décision du délégué du ministre aux pp 38 et 39).

 

[22]           Le demandeur n’a pas démontré qu’il ne pourrait pas bénéficier d’un procès juste et équitable s’il retournait au Rwanda :

·                    Depuis la fin du génocide de 1994 et plus particulièrement au cours des dernières années, le gouvernement rwandais a fait des progrès significatifs afin de permettre aux gens accusés d’avoir participé au génocide d’être jugés impartialement et dans un délai raisonnable (Décision du délégué du ministre aux pp 44, 45, 48, 56 et 57);

·                    Le gouvernement rwandais s’est engagé à considérer et à traiter le demandeur comme une personne transférée d’un pays ou d’une cour étrangère (Décision du délégué du ministre et garanties du gouvernement rwandais à la p 53, pièce « A » de l’affidavit d’Aleksandra Wojciechowski). Le demandeur aura un procès devant la Haute Cour (Rwanda) et non devant les gacacas : les crimes dont il est accusé visant les personnes soupçonnées d’être les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs et les encadreurs du génocide sont d’après la loi rwandaise jugés par cette instance. De plus, le gouvernement rwandais s’est engagé à ce que le demandeur ne soit pas jugé par un gacaca (Décision du délégué du ministre à la p 53);

·                    Les juges qui siègent à la Haute Cour (Rwanda) sont des professionnels, expérimentés qui sont soumis à un code d’éthique et qui doivent rendre des jugements écrits et motivés (Décision du délégué du ministre à la p 53);

·                    Le demandeur aura la possibilité de présenter des témoins : le gouvernement rwandais a pris des mesures afin d’assurer la protection des témoins (Décision du délégué du ministre aux pp 60 et 61);

·                    Le demandeur pourra avoir un avocat indépendant et libre (Décision du délégué du ministre aux pp 60 et 61).

 

[23]           Le demandeur n’a également pas démontré qu’il serait, s’il retournait au Rwanda, torturé et/ou victime de mauvais traitements en détention :

·                    Les autorités rwandaises se préoccupent et poursuivent activement les individus qui menacent des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide (Décision du délégué du ministre à la p 64);

·                    Le demandeur ne pourra pas être condamné à une peine plus sévère que l’emprisonnement à perpétuité : la peine de mort a été abolie en 2007 et le gouvernement rwandais s’est engagé à ne pas condamner le demandeur à la réclusion à perpétuité (Décision du délégué du ministre aux pp 62 et 63);

·                    Le gouvernement rwandais s’est engagé à détenir le demandeur dans une prison qui respecte les normes internationales. De plus, la documentation récente démontre que la Croix-Rouge fait la surveillance de 74 000 détenus afin de s’assurer des bonnes conditions de détention (Décision du délégué du ministre aux pp 66 à 70);

·                    Le gouvernement rwandais s’est de plus engagé envers le gouvernement canadien à respecter les droits du demandeur et a fourni des garanties diplomatiques quant au traitement qu’il recevra. Il faut présumer de la bonne foi du gouvernement rwandais et il n’existe pas de preuve qu’il n’a pas respecté dans le passé ses engagements (Décision du délégué du ministre aux pp 71 à 73).

 

[24]           De plus, le demandeur possède un profil important faisant l’objet d’une intense médiatisation. Il est raisonnable de conclure que les autorités rwandaises porteront une attention particulière au respect de ses droits et s’assureront qu’il obtienne un procès juste et équitable (Décision du délégué du ministre à la p 70).

 

[25]           Le demandeur n’a pas démontré que le gouvernement rwandais ne respecterait pas les engagements qu’il a pris envers le gouvernement canadien (Décision du délégué du ministre à la p 73).

 

[26]           En terminant, le délégué du ministre a conclu qu’il n’y avait pas de considérations humanitaires pouvant l’amener à conclure que le renvoi du demandeur vers le Rwanda lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées. Il a notamment conclu que Léon Mugesera n’a jamais éprouvé de remords sur les paroles qu’il a prononcées et continue toujours de nier des propos à l’égard du génocide (Décision du délégué du ministre aux pp 77 et 78).

 

VI. Analyse

[27]           Afin d’évaluer le bien-fondé de la requête en sursis, la présente Cour doit déterminer si le demandeur satisfait aux critères jurisprudentiels émis par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF).

 

[28]           Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a retenu trois critères qu’elle a importés de la jurisprudence en matière d’injonction, plus particulièrement de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110. Ces trois critères sont :

(1)        l’existence d’une question sérieuse;

(2)        l’existence d’un préjudice irréparable; et

(3)        l’évaluation de la balance des inconvénients.

 

[29]           Les trois critères doivent être satisfaits pour que cette Cour accorde le sursis demandé. Si un seul d’entre eux n’est pas rencontré, cette Cour ne peut pas accorder le sursis demandé.

 

[30]           En l’espèce, le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une question sérieuse à être tranchée dans le cadre de sa demande d‘autorisation à l’encontre de la décision du délégué du ministre, ni l’existence d’un préjudice irréparable et, finalement, les inconvénients du demandeur ne sont pas supérieurs à ceux de l’intérêt public, qui veut que le renvoi soit exécuté dès que les circonstances le permettent en vertu du paragraphe 48(2) de la LIPR.

 

 

A. Question sérieuse

[31]           Le demandeur n’a pas démontré l’existence d’une question sérieuse à être tranchée par cette Cour pour les motifs suivants :

i)          Il n’est pas nécessaire que le demandeur ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité pour justifier l’exception au principe de non-refoulement.

 

[32]           Le demandeur plaide que le paragraphe 115(2) de la LIPR devrait être interprété comme exigeant une déclaration de culpabilité conformément au paragraphe 33(2) de la Convention (Mémoire du demandeur aux para 1 à 13). Le demandeur prétend également que l’absence de condamnation définitive du demandeur et le fait que la Cour suprême n’a pas conclu hors de tout doute raisonnable à la commission de crimes ne peuvent justifier en droit une décision de refouler le demandeur selon le paragraphe 115(2) de la LIPR.

 

Norme de preuve applicable

[33]           Il importe de garder à l’esprit que les procédures en ce qui concerne l’interdiction de territoire ou l’inadmissibilité relèvent du droit civil, et non du droit criminel, et de comprendre que le but du législateur n’est pas d’amener le décideur à se prononcer sur la culpabilité d’un individu, mais bien sur son admissibilité suivant le critère légal qu’il est tenu d’appliquer.

 

[34]           Exiger une condamnation définitive revient à appliquer une norme de preuve plus exigeante que celle requise, alors que la norme de preuve applicable dans le cas du paragraphe 115(2) de la LIPR est celle des motifs raisonnables de croire. Le principe selon lequel le recours au droit criminel doit être fait avec circonspection en matière d’immigration :

[67]      Avant de conclure sur cette question, je tiens à formuler deux autres observations. Premièrement, bien qu’on comprenne que les dispositions du Code criminel jouent un rôle important pour déterminer s’il y a complicité dans le contexte précité (surtout lorsqu’on tient compte du paragraphe 34(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21), il n’est pas exclu que d’autres lois fédérales puissent s’appliquer à une situation particulière lorsqu’on conclut à la complicité (paragraphe 4(4) du C.Cr.). En second lieu, ce n’est qu’avec circonspection et avec les adaptations de circonstance que l’on recourt au droit criminel dans le contexte des affaires en matière d’immigration, d’autant plus que la norme de preuve applicable dans le cas du paragraphe 115(2) de la Loi est celle des motifs raisonnables et non celle de la preuve hors de tout doute raisonnable. [La Cour souligne].

 

(Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 RCF 52).

 

Une disposition législative prime sur une règle internationale

[35]           En réponse aux arguments du demandeur concernant le paragraphe 33(2) de la Convention, la Cour est d’accord que le rappel du défendeur dans l’arrêt de Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 RCF 655, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument selon lequel les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme ont préséance sur les dispositions de la LIPR. La Cour a plutôt conclu qu’en cas de conflit entre les deux règles, la disposition législative doit primer sur une règle internationale.

 

Contexte législatif

[36]           De plus, dans de Guzman, ci-dessus, au paragraphe 91, la Cour d’appel fédérale énonce que la conformité d’une disposition législative avec les obligations internationales du Canada doit être examinée dans le contexte de l’ensemble du régime législatif.

 

[37]           Or, en ce qui concerne ce contexte législatif, le maintien de la sécurité des Canadiens et l’interdiction de territoire aux personnes criminelles ou constituant un danger pour la société sont des objectifs importants de la LIPR :

3.      (2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

 

[...]

 

g) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

 

h) de promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire aux personnes et demandeurs d’asile qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité.

 

3.      (2) The objectives of this Act with respect to refugees are

 

 

(g) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society; and

 

(h) to promote international justice and security by denying access to Canadian territory to persons, including refugee claimants, who are security risks or serious criminals.

 

 

[38]           Le renvoi d’une personne à qui le statut de réfugié a été octroyé est généralement proscrit par le principe de non-refoulement prévu au paragraphe 115(1) de la LIPR.

 

[39]           Cependant, afin d’assurer l’atteinte de ces objectifs précités, la LIPR prévoit à l’alinéa 115(2)b) une exception au principe du non-refoulement et permet au ministre de passer outre cette restriction et de déporter une personne dans un pays où elle risque la persécution ou la torture si cette personne est interdite de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou pour criminalité organisée en raison soit de la nature ou de la gravité de ses actes passés soit du danger qu’elle constitue pour la sécurité du Canada.

 

[40]           Le demandeur a commis des crimes graves et est pour cette raison inadmissible en vertu des alinéas 27(1)a.1)(ii) et 27(1)a.3(ii) des 27(1)g), 19(1)j) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Ces alinéas font référence à la commission, à l’étranger, de faits constituant certains crimes ou infractions. Ces dispositions n’exigent pas qu’une déclaration de culpabilité relativement à un crime ait été prononcée.

 

[41]           D’ailleurs, à cet égard, le délégué du ministre s’exprime comme suit aux pages 38 et 39 de sa décision :

J'estime que l'acte posé par M. Mugesera, un discours violent incitant au meurtre, à la lumière des circonstances entourant son discours, soit le climat de tension ethnique existant au Rwanda, sa propre connaissance des enjeux ethniques et politiques, est un acte inacceptable pour toute société. Les objectifs énoncés dans la LIPR et les objectifs visant la répression des crimes graves qui constituent des atteintes aux droits humains, reflétée tant dans les instruments internationaux et les décisions des tribunaux internationaux, que dans notre propre droit criminel canadien, condamnent ces comportements. Je suis satisfait de l'extrême gravité de ce genre de comportement, qui constitue une force dont le potentiel dévastateur et destructif est hautement démontré. Je suis satisfait qu'il existe des motifs raisonnables que la nature et la gravité des actes passés justifient qu'il ne puisse demeurer au Canada. Je suis satisfait que l'acte très grave posé par M. Mugesera soit important et significatif, en ce qu'il est associé à une grande violence ou à du mal envers d'autres personnes. Je suis conscient de l'exception prévue à l'alinéa 115(2)6) en ce qui concerne atteinte aux droits humains ou internationaux s'applique au réfugié au sens de la Convention ou à la personne protégée et je suis satisfait que M. Mugesera ne devrait pas être présent au Canada en raison de la nature et de la gravité des actes qu'il a commis personnellement au sens de nos lois internes, en appliquant la norme des motifs raisonnables.

 

[42]           De plus, les autorités rwandaises ont émis un mandat d’arrêt à l’encontre du demandeur. Bien que le demandeur ne fait pas pour le moment l’objet d’une condamnation définitive et hors de tout doute raisonnable, le fait que les autorités rwandaises aient émis un mandat d’arrêt démontre que le demandeur doit faire l’objet d’une enquête et possiblement subir un procès concernant les faits qui lui sont reprochés. Dans sa décision en vertu du paragraphe 115(2) de la LIPR, le délégué tient compte du système judiciaire rwandais et des assurances diplomatiques données au Canada et estime que le demandeur aura droit à un procès équitable et juste. La Convention n’a certainement pas pour but de permettre à un individu de se soustraire la loi.

 

[43]           Compte tenu de ce qui précède, les arguments de la demanderesse ne soulèvent pas une question sérieuse.

 

L’article 7 de la Charte et les obligations internationales du Canada

[44]           Le demandeur prétend que l’article 7 de la Charte sera violé advenant un renvoi du Canada et que le Canada violerait le « Pacte civil » (Pacte international relatif aux droits civils et politiques) et la Déclaration canadienne des droits.

 

[45]           En l’espèce, il appert de la décision que le délégué du ministre a tenu compte de toutes les circonstances de l'affaire pour conclure que le demandeur ne risque pas la persécution, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités s'il est renvoyé au Rwanda et, en conséquence, il pouvait autoriser son renvoi dans le pays en question (Décision du délégué du ministre aux pp 39 à 74 relativement à l’évaluation du risque).

 

[46]           À cet égard, la Cour suprême du Canada a maintenu à plusieurs reprises qu’une Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle revoit une décision du ministre d’exécuter une mesure de renvoi. Dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3, la Cour a mentionné ceci :

[...] la décision de la ministre relativement à la question de savoir si le réfugié court un risque sérieux de torture en cas d’expulsion ne doit être annulée que si elle n’est pas étayée par la preuve ou si elle n’a pas été prise en tenant compte des facteurs pertinents. Le tribunal ne doit pas soupeser à nouveau ces facteurs, ni intervenir simplement parce qu’il serait arrivé à une conclusion différente. [La Cour souligne].

 

(Également, Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84; Al Sagban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 SCC 4, [2002] 1 RCS 133).

 

[47]           Le demandeur doit démontrer qu’il sera persécuté et/ou soumis à la torture et à de mauvais traitements s’il est renvoyé dans son pays, ce qu’il n’a pas fait.

 

[48]           Le demandeur a bénéficié de toutes les mesures de garantie procédurale. Le représentant du ministre a fourni des garanties procédurales appropriées en ce que le demandeur a été suffisamment informé de la procédure engagée contre lui, qu'il a eu l'occasion pleine et entière d'y répondre et qu'il a obtenu les motifs écrits de la décision. De plus, il appert de la décision du délégué du ministre que le demandeur a bénéficié de plusieurs délais additionnels appréciables afin de faire valoir ses moyens, et ce, depuis 2005 (Décision du délégué du ministre aux pp 5 à 7).

 

Les arguments du demandeur ne soulèvent pas de question sérieuse

[49]           Le demandeur plaide aux paragraphes 31 et suivants de ses prétentions que le délégué du ministre s’est fié à des assurances données par le Rwanda sans considération de la preuve déposée par le demandeur qui démontrait selon lui la non-fiabilité de ces assurances.

 

[50]           Tout d’abord, il appert des motifs du délégué du ministre que ses conclusions en ce qui concerne les risques de retour ne s’appuient pas uniquement sur les assurances diplomatiques obtenues du gouvernement rwandais, mais sur l’appréciation de l’ensemble de la preuve au dossier sur de nombreux facteurs de risque y incluant toutes les représentations soumises.  

 

[51]           Deuxièmement, la lecture des motifs de la décision n’appuie pas les prétentions du demandeur concernant l’ignorance de la preuve. Après avoir résumé la teneur des garanties soumises par le gouvernement rwandais, le délégué du ministre a, au contraire, dûment pris en considération des éléments de preuve soumis à l'effet que ces assurances peuvent être considérées comme fiables étant donné le bilan des droits humains au Rwanda depuis le génocide, l'implication du Front patriotique rwandais [FPR] dans des violations des droits humains, et spécifiquement la responsabilité du FPR et de Paul Kagamé dans le génocide. Le délégué du ministre a également pris en considération le fait qu’Amnesty International, Human Rights Watch et d'autres ONG sont fermement opposés à l'utilisation de garanties diplomatiques.

 

[52]           Après avoir considéré l’ensemble de la preuve, le délégué du ministre a conclu ce qui suit en ce qui concerne les assurances diplomatiques fournies à la page 70 de la décision :

Il ne s'agit pas de notes rédigées en termes généraux, mais qui font référence clairement, sans équivoque, à des droits spécifiques, ce qui y ajoute de la valeur selon moi. J'ai fait le constat que le bilan des droits humains depuis la survenance du génocide est problématique, mais je reconnais aussi que sur de nombreux aspects, le gouvernement du Rwanda a fait des efforts gigantesques afin de surmonter l'état de chaos qui a prévalu après la tragédie qu'elle a connue. Les rapports en ont fait état, non seulement dans les dix années qui ont suivi le génocide, mais aussi dans les rapports plus récents. Bien que des violations des droits humains soient encore rapportées, j'ai estimé que la probabilité que M. Mugesera subisse la torture et des peines ou traitements cruelles et inusitées n'est pas démontrées.

 

Je n'ai pas en preuve devant moi que des assurances offertes par le gouvernement du Rwanda par le passé n'ont pas été respectées. Bien que l'on doive tenir compte du bilan passé en matière de droits humains lorsque vient le temps d'évaluer le poids à accorder à des assurances, la suggestion qu'il faille présumer que le gouvernement est de mauvaise foi ne saurait être acceptée, en l'absence de démonstration de violations d'assurances dans le passé. [La Cour souligne].

 

[53]           Finalement, toujours en ce qui concerne l’appréciation de la valeur probante des garanties fournies, le délégué du ministre a pris en considération le fait que le demandeur possède un profil important faisant l’objet d’une intense médiatisation. En conséquence, le délégué du  ministre a estimé que les autorités rwandaises porteront une attention particulière au respect de ses droits et s’assureront qu’il obtienne un procès juste et équitable :

Il faut également prendre en considération l'intense médiatisation dont a fait l'objet M. Mugesera jusqu'à maintenant et les possibles conséquences pour un État comme le Rwanda de ne pas respecter les assurances compte tenu du fait que des transferts en provenance du TPIR sont demandés par le Rwanda et d'autres juridictions en vertu de demandes d'extradition. Bien qu'on ne puisse déterminer à l'avance quel poids serait accordé par le gouvernement du Rwanda à de telles conséquences, il est raisonnable de conclure que les dommages en termes de crédibilité internationale et de relations diplomatiques sont importants, dans le contexte de l'objectif déclaré de la poursuite des personnes soupçonnées de crimes de génocide et de l'appui dont jouit le Rwanda de la communauté internationale, incluant le Canada, pour rebâtir un pays dévasté par le génocide. [La Cour souligne].

 

(Décision du délégué du ministre à la p 70).

 

[54]           Dans une décision récente concernant l’appréciation par le délégué du ministre des assurances fournies par le gouvernement chinois, la Cour a refusé de soumettre sa propre appréciation de la valeur des assurances fournies et a conclu que cette appréciation ne soulevait pas de question sérieuse (Lai Cheong Sing c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 915).

 

[55]           Le demandeur n’a pas démontré que le délégué du ministre a ignoré des éléments de preuve. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec l’appréciation faite par le délégué du ministre, il appartient au délégué du ministre et non au demandeur d’apprécier la preuve et les conclusions du délégué à cet égard sont soumises à la norme de la décision raisonnable. Dans Nagalingam, ci-dessus, aux paragraphes 32-33, la Cour d’appel fédérale a conclu, à la lumière de Suresh, ci-dessus, et de Dunsmuir, ci-dessus, qu’un degré élevé de déférence doit être accordé aux représentants du ministre de sorte que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable.

 

[56]           Ainsi, par ses prétentions, le demandeur n'a pas démontré que la décision du délégué du ministre était déraisonnable et, par conséquent, il n'existe aucune question sérieuse à trancher à l'égard de la demande de contrôle judiciaire déposée à l'encontre de cette décision.

 

[57]           Par conséquent, la requête en sursis pourrait être rejetée pour ce seul motif.

 

B. Préjudice irréparable

[58]           Récemment, dans l’affaire Jeyamohan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1081, la juge Danièle Tremblay-Lamer, a affirmé :

[37]      Dans l’arrêt Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 18, une fois qu’il est déterminé qu’une personne protégée est interdite de territoire pour grande criminalité et qu’elle est un danger pour le public, la Cour d’appel fédérale a proposé un cadre d’analyse pour le délégué afin qu’il rende son avis de danger en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR:

 

(…) Par contre, si le délégué estime que la personne constitue un danger pour le public, il doit alors évaluer si, et dans quelle mesure, la personne risquerait d’être persécutée, torturée ou de subir d’autres peines ou traitements inhumains si elle était renvoyée. À cette étape-ci, le délégué doit se prononcer sur la gravité du danger qu’entraîne la présence de la personne en question, dans le but de mettre en balance le risque et, apparemment, les autres circonstances d’ordre humanitaire, avec la gravité du danger que cette personne constituerait pour le public dans le cas où celle-ci demeurerait au Canada.

 

[38]      Dans l’arrêt Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 355, le juge Blanchard conclut que le critère de base pour déterminer si le refoulement est possible est de se demander s’il expose le demandeur à un risque sérieux de torture. Ce risque doit être individualisé et présent et doit être évalué en fonction de critères qui dépassent de « simples hypothèses » ou « soupçons »:

 

Si le risque n'est pas démontré, il n'est pas nécessaire de poursuivre l'analyse étant donné que le demandeur n'a pas droit à la protection fournie par le paragraphe 115(1) de la LIPR.

 

[59]           Il est bien établi que le fait qu’un demandeur ait été reconnu « réfugié au sens de la Convention » par le passé n’est pas suffisant pour établir un risque actuel au sens des articles 96 et 97 de la LIPR (Nagalingam, ci-dessus, au para 25; Camara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 168 au para 58).

 

[60]           De plus, l’évaluation du risque allégué doit être personnelle ou partagée par d’autres se trouvant dans une situation similaire. C’est ce qui ressort des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[61]           En l’espèce, le délégué du ministre a effectué une analyse détaillée du risque auquel pourrait être exposé le demandeur dans l’éventualité d’un renvoi.

 

[62]           Le délégué du ministre a procédé à une analyse exhaustive et nuancée de la preuve documentaire concernant toutes les allégations de risque invoquées. Le délégué du ministre a tenu compte des allégations spécifiques du demandeur et les a appréciées à la lumière de la preuve documentaire au dossier.

 

[63]           En ce qui concerne l’article 97 de la LIPR, le délégué du ministre a conclu comme suit à la page 74 :

Pou[r] les raisons mentionnées ci-dessus, selon la balance des probabilités, je suis d'avis ; que, M. Mugesera ne risque pas de subir la torture, compte tenu des constats que j'ai relevés sur la situation récente des droits humains au Rwanda et des améliorations apportées au cours des années par le gouvernement, et étant donné la forte médiatisation et là surveillance dont il sera l'objet advenant sa remise aux autorités rwandaises. Je suis satisfait que le gouvernement rwandais respectera les assurances données étant donné la pression internationale et les conséquences diplomatiques qui pourraient s'ensuivre. Je suis satisfait sur la même base qu'il ne risque pas de subir des peines ou traitements, cruels et inusités, bien qu'il est clair qu'il risque de subir une longue période de détention s'il est reconnu coupable, dans des conditions vraisemblablement difficiles.

 

[64]           Le délégué du ministre a conclu de manière raisonnable, après examen approfondi de documents sur la situation régnant dans le pays ainsi que des éléments de preuve se rapportant directement au demandeur (assurances écrites données par le gouvernement du Rwanda au gouvernement du Canada), qu’il n’y sera pas exposé à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[65]           Le demandeur n’a pas démontré que la décision violait l’article 7 de la Charte. Au contraire, le délégué du ministre a évalué les risques auxquels serait exposé le demandeur précisément pour s’assurer que son refoulement ne serait pas contraire à l’article 7 de la Charte.

 

[66]           Par ailleurs au cours des derniers mois, la chambre d’appel du Tribunal pénal international du Rwanda et la Cour européenne des droits de l’homme ont accepté de transférer aux autorités rwandaises des Rwandais accusés d’avoir notamment participé au génocide et ont notamment conclu :

·                    Ils ont accepté les engagements pris par le gouvernement rwandais;

·                    Le système judiciaire rwandais ne peut être considéré comme système manquant d’impartialité et d’indépendance. Les accusés pourront par conséquent bénéficier d’un procès juste et équitable;

·                    Les conditions de détention des accusés respectent les normes internationales et ceux-ci ne seront pas exposés à de mauvais traitements.   

 

[67]           Ces jugements de deux tribunaux internationaux reconnus confirment les conclusions rendues par le délégué du ministre à savoir qu’il est raisonnable de croire à la bonne foi du gouvernement rwandais et de conclure que les droits des individus accusés d’avoir participé au génocide seront respectés et qu’ils ne seront pas persécutés.

 

[68]           Récemment, cette Cour a indiqué que l’on doit présumer qu’un gouvernement respectera les assurances données au gouvernement canadien :

[6]        C’est pour ces motifs que le Canada a exigé du gouvernement chinois des assurances strictes, claires et sans équivoque à l’égard du demandeur Cheong Sing Lai, qui a fui le système de justice chinois, qui réside au Canada depuis 1999 et qui fait actuellement l’objet d’une mesure d’expulsion. De telles assurances ont maintenant été reçues. On présume que le gouvernement chinois respectera les assurances données, par écrit, pour préserver son honneur et sa réputation, du fait de la surveillance du demandeur sa vie durant, ainsi que du motif de son décès éventuel, de manière naturelle ou autre, en tenant dûment compte de son âge et de son état de santé actuel (en recourant à des mesures de surveillance médicale, tel que le prévoient aussi les assurances). [La Cour souligne].

 

(Lai Cheong Sing, ci-dessus).

 

[69]           Dans les circonstances, les allégations du demandeur sont nettement insuffisantes afin de démontrer que son retour au Rwanda lui causerait un tort irréparable.

 

[70]           Par conséquent, et en l’absence d’une question sérieuse à être tranchée par cette Cour, le préjudice allégué par le demandeur n’a pas été démontré.

 

C. Balance des inconvénients

[71]           La balance des inconvénients milite en faveur du ministre. Le paragraphe 48(2) de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent. Depuis que le délégué du ministre a rendu sa décision en vertu du paragraphe 115(2) de la LIPR, les circonstances permettent l’exécution de la mesure de renvoi. Tel que reconnu par la Cour d’appel fédérale, le renvoi d’un demandeur n’est pas simplement une question de commodité administrative. Il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système (Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261 au para 22).

 

[72]           En l’absence de questions sérieuses et de préjudice irréparable, la balance des inconvénients favorise le ministre, qui a intérêt à ce que l’ordonnance de renvoi soit exécutée à la date fixée (Mobley c MCI, (18 janvier 1995) IMM-106-95).

 

[73]           L’un des objets de la LIPR est de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne.

 

[74]           Tel que reconnu par la Cour suprême du Canada dans Mugesera, ci-dessus, peu de temps après la commission de massacres de Tutsis à Gisenyi, le demandeur a, en tant que vice-président du MRND, demandé à la population et plus particulièrement aux Hutus d’exterminer les Tutsis. Moins d’un an et demi après son discours, plus d’un million de Tutsis et d’Hutus modérés furent massacrés notamment par des milices du MRND. Le demandeur a incité à la haine, au génocide et au meurtre et a commis un crime contre l’humanité. Il s’agit de crimes graves qui vont à l’encontre des valeurs canadiennes.

 

[75]           Le demandeur n’a jamais émis « de remords relativement à son comportement au Rwanda ». De plus, il n’a jamais reconnu l’existence du génocide des Tutsis et des Hutus planifié et organisé par le gouvernement rwandais (Décision du délégué du ministre à la p 77).

 

[76]           Le demandeur vit au Canada depuis à peu près 20 ans et a pu bénéficier de toutes les opportunités de se faire entendre tant en ce qui concerne son inadmissibilité que sur l’avis du Ministre rendu en vertu de l’alinéa 115(2)b) de la LIPR.   

 

[77]           Il est de l’intérêt du Canada d’éviter que des individus qui, comme le demandeur, ont commis des crimes graves, restent au pays. En l’espèce, il est sans contredit que l’intérêt public doit prédominer.

 

[78]           Par conséquent, la balance des inconvénients penche en faveur du ministre.

 

 

VII. Conclusion

[79]           Le fondement factuel ne saurait être apprécié à nouveau. Le jugement de la Cour suprême du Canada ne peut être infirmé directement ou indirectement par la reconsidération de la validité de l’article 115 de la LIPR comme le souhaiterait la partie demanderesse. À ce stade final, il importe également de noter que le contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre que demande la partie demanderesse ne pourra pas non plus adresser à nouveau la légitimité de la mesure de renvoi sans aller à l’encontre du dispositif de la Cour suprême du Canada formulé dans Mugesera, en ces termes :

179      Vu les conclusions de fait de M. Duquette, chacun des éléments de l’infraction prévue au par. 7(3.76) du Code criminel a été établi. Nous sommes donc d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de penser que M. Mugesera a commis un crime contre l’humanité et qu’il est de ce fait non admissible au Canada suivant les al. 27(1)g) et 19(1)j) de la Loi sur l’immigration. [La Cour souligne].

 

[80]           Selon ce raisonnement de la Cour suprême du Canada, si Léon Mugesera reste au Canada suite aux assurances reçues du Rwanda, cette Cour irait entièrement à l’encontre de la décision de la Cour suprême.

 

[81]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la Cour rejette la demande de sursis déposée par le demandeur.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de sursis déposée par le demandeur. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

 

 « Michel M.J.Shore »

Juge


 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9680-11

 

INTITULÉ :                                       LÉON MUGESERA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 11 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Johanne Doyon

Mai Nguyen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lisa Maziade

Anne-Renée Touchette

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés Inc.

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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