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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111209


Dossier : T-2044-10

Référence : 2011 CF 1444

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

TAKEDA CANADA INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue par le ministre de la Santé (le ministre), par l’entremise du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison (le BMBL), en date du 8 novembre 2010. Le ministre a refusé d’inscrire la drogue de la demanderesse, le DEXILANT, sur le registre des drogues innovantes (le registre) et d’assurer la protection des données en conformité avec l’article C.08.004.1 du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870, modifié par le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (protection des données), DORS/2006‑2411 (le Règlement).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

 

I.          Le contexte

 

[3]               La demanderesse, Takeda Canada Inc., a déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN) concernant le DEXILANT le 11 août 2009. Cette présentation était fondée sur une quantité abondante de données tirées d’essais cliniques visant à établir l’innocuité et l’efficacité de la drogue en vue de l’approbation de sa mise en marché. Un avis de conformité (AC) permettant cette mise en marché a été délivré par le ministre le 22 juillet 2010.

 

[4]               Le DEXILANT contient du dexlansoprazole. Cet ingrédient médicinal est un énantiomère – ou une image inversée – du lansoprazole. Actuellement commercialisé sous le nom de PREVACID, le lansoprazole est un conglomérat racémique de deux énantiomères.

 

[5]               Le DEXILANT est destiné à être utilisé dans le traitement du reflux gastroœsophagien pathologique (GERD).

 

[6]               Le 16 juillet 2009, la demanderesse a sollicité auprès du ministre, au titre du Règlement, la protection des données des études concernant le DEXILANT.

 

II.         La décision faisant l’objet du contrôle

 

[7]               Le BMBL a fourni une évaluation préliminaire, au nom du ministre, dans une lettre datée du 22 juillet 2010. Le DEXILANT n’était pas admissible à la protection des données, parce que, contrairement à ce qu’exigeait le Règlement, il n’était pas conforme à la définition de « drogue innovante ». L’ingrédient médicinal – le dexlansoprazole – était un énantiomère d’un ingrédient médicinal déjà approuvé, à savoir le lansoprazole, lequel est actuellement commercialisé sous le nom de PREVACID.

 

[8]               En réponse, la demanderesse a produit des observations écrites dans lesquelles elle contestait la façon dont le BMBL interprétait le Règlement. Compte tenu de la nature des données produites aux fins de l’approbation réglementaire, la demanderesse soutenait que le dexlansoprazole devait être considéré comme une « drogue innovante », et non comme une variante. Elle rappelait en outre l’interprétation plus libérale qui avait permis d’accorder la protection des données à trois autres drogues (PRECEDEX, AVAMYS et TORISEL) dans des circonstances comparables.

 

[9]               Le BMBL a rendu une décision définitive, au nom du ministre, dans une lettre datée du 8 novembre 2010. Il a confirmé que le dexlansoprazole était une variante au sens du Règlement, car il s’agissait d’un énantiomère d’un ingrédient médicinal déjà approuvé, le lansoprazole. Le BMBL, qui ne souscrivait pas à l’interprétation proposée par la demanderesse, a insisté sur le fait que la nature et l’étendue des données produites dans le cadre du processus d’approbation réglementaire n’étaient pas pertinentes au regard de la décision d’accorder la protection des données. Par conséquent, le dexlansoprazole ne pouvait pas être inscrit sur le registre.

 

[10]           Au sujet des trois drogues mentionnées par la demanderesse dans ses observations écrites, le BMBL a souligné que la décision concernant la protection des données dépend des faits. Les circonstances relatives à la protection des données dans le cas de ces drogues étaient différentes de celles concernant le dexlansoprazole.

 

III.       Les dispositions relatives à la protection des données

 

[11]           Le Règlement prévoit la protection des données produites dans le cadre du processus d’approbation de la mise en marché d’une drogue menant à la délivrance d’un AC. Cette protection ne s’applique cependant qu’à une « drogue innovante », c’est‑à‑dire, aux termes du paragraphe C.08.004.1(1), à « toute drogue qui contient un ingrédient médicinal non déjà approuvé dans une drogue par le ministre et qui ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé tel un changement de sel, d’ester, d’énantiomère, de solvate ou de polymorphe ».

 

[12]           Une fois qu’elle est réputée pouvoir être inscrite sur le registre, une « drogue innovante » fait l’objet d’une protection des données consistant en deux restrictions officielles. Premièrement, un fabricant de médicaments génériques ne peut déposer de présentation sur la base d’une comparaison avec la « drogue innovante » au cours des six premières années de la période de huit ans suivant la date à laquelle un AC a été délivré pour la drogue (alinéa C.08.004.01(3)a)). Deuxièmement, le ministre ne peut délivrer un AC au fabricant de médicaments génériques avant l’expiration de la période de huit ans (alinéa C.08.004.01(3)b)).

 

[13]           Comme l’indique le paragraphe C.08.004.1(2), les dispositions relatives à la protection des données s’appliquent à la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre-échange nord‑américain, 1992, 32 ILM 296 (l’ALENA), et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, 1869 RTNU 299 (les dispositions sur les ADPIC). Lorsqu’une personne produit des données non divulguées aux fins de l’approbation d’un produit pharmaceutique qui comporte des « entités chimiques nouvelles », les États signataires s’engagent à empêcher d’autres personnes de faire « l’exploitation déloyale dans le commerce » de ces données et (pendant une période raisonnable) de les utiliser dans leurs propres demandes d’approbation.

 

IV.       Les questions en litige

 

[14]           La présente demande soulève les questions suivantes :

 

a)         Le ministre a-t-il commis une erreur en interprétant la définition de « drogue innovante » de manière à exclure le DEXILANT, au motif qu’il s’agissait d’une variante au sens du paragraphe C.08.004.1(1) du Règlement?

b)         Le ministre a-t-il manqué à une obligation d’équité envers la demanderesse en refusant de tenir compte des données produites?

 

V.        La norme de contrôle

 

[15]           Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui doit s’appliquer en l’espèce. La demanderesse fait valoir que l’interprétation législative est une question de droit qui exige l’application de la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient par contre que la question en litige consiste à déterminer si le dexlansoprazole est une variante au sens du paragraphe C.08.004.1(1), une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de la raisonnabilité. Il ajoute que cette norme peut s’appliquer aussi si la question en litige est considérée comme une question purement juridique.

 

[16]           Comme la principale question dont je suis saisi en l’espèce a trait à l’appréciation de méthodes divergentes d’interprétation législative, la norme qui s’applique est la décision correcte. Je dois déterminer si le ministre a interprété incorrectement la définition de « drogue innovante » de manière à exclure un énantiomère, comme le dexlansoprazole, au motif qu’il s’agissait d’une variante.

 

[17]           Les facteurs que j’ai définis lorsque j’ai examiné l’interprétation de la définition de « drogue innovante » dans Epicept Corporation c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF 956, [2010] ACF no 1188, sont toujours pertinents. Ces facteurs figurent au paragraphe 39 de la décision :

i.          Ni le Règlement, ni la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27 (la Loi), ne comportent de clause privative.

 

ii.          L’interprétation législative de la définition de « drogue innovante » est une pure question de droit.

 

iii.         Aux termes de la Loi et du Règlement, le ministre a compétence relativement à l’approbation des drogues. Cependant, le ministre n’a pas l’expertise pour décider des questions pures de droit, comme cela a été expliqué plus haut.

 

iv.         La Cour est aussi à même que le ministre de déterminer l’interprétation législative correcte du Règlement.

 

[18]           La norme de la décision correcte que j’ai appliquée dans Epicept, précitée, pour interpréter la définition de « drogue innovante » a aussi été appliquée dans Teva Canada Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2011 CF 507, 2011 CarswellNat 1450, au paragraphe 35.

 

[19]           La Cour suprême s’est récemment demandé, de manière incidente, dans Celgene Corp c Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, 89 CPR (4th) 1, au paragraphe 34, si la norme de la décision correcte était la norme qu’il fallait appliquer à la décision d’un tribunal expert – le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés – concernant l’interprétation de sa propre loi habilitante. Cet arrêt ne s’applique cependant pas en l’espèce. Le ministre et le BMBL n’agissent pas en tant que tribunaux experts interprétant une loi habilitante. De plus, la Cour suprême n’a tiré aucune conclusion définitive sur cette question dans Celgene, précité.

 

[20]           De même, le défendeur se fonde sur Scott Paper Ltd c Canada (Procureur général), 2008 CAF 129, [2008] ACF no 539, au paragraphe 11, pour affirmer que les questions de droit peuvent faire l’objet d’une certaine retenue et être assujetties à la norme de la raisonnabilité, si elles entrent sans contredit dans le champ d’expertise du décideur et qu’elles ne sont pas d’une importance capitale pour le système de justice, même lorsqu’il n’existe aucune clause privative. Cet arrêt a cependant une utilité limitée. La retenue peut parfois être justifiée à l’égard de questions de droit, mais ce n’est pas toujours le cas.

 

[21]           La méthode employée dans Bristol‑Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, 39 CPR (4th) 449, est plus pertinente. La Cour suprême a statué, au paragraphe 36, que, sur la question des interprétations divergentes du Règlement, aucune retenue judiciaire n’a à être démontrée à l’égard de l’opinion du ministre et la norme de la décision correcte s’applique. Comme le juge Bastarache l’a précisé au paragraphe 88 de ses motifs de dissidence, la compétence du ministre a trait à l’appréciation des éléments de preuve scientifique lorsqu’il interprète l’innocuité et l’efficacité de drogues, et « cette compétence n’entre pas en jeu quand il ne s’agit que d’interpréter le Règlement ADC, sans égard à son rapport à la science ».

 

[22]           Le même raisonnement s’applique en l’espèce. La compétence du ministre se limite aux évaluations scientifiques par opposition à l’interprétation juridique. La question de droit est également une question d’application générale au processus d’inscription des drogues. La Cour doit donc appliquer la norme de la décision correcte à l’interprétation de la définition de « drogue innovante » et à l’exclusion de variantes.

 

[23]           Il est bien établi que la norme de la décision correcte s’applique aussi aux questions d’équité procédurale (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 43).

 

VI.       Analyse

 

Question A : le ministre a-t-il commis une erreur en interprétant la définition de « drogue innovante » de manière à exclure le DEXILANT, au motif qu’il s’agissait d’une variante au sens du paragraphe C.08.004.1(1) du Règlement?

 

[24]           La demanderesse soutient que le ministre a interprété de façon trop restrictive la définition de « drogue innovante » contenue dans le Règlement. Elle insiste en particulier sur le fait que le passage « ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé tel un changement de sel, d’ester, d’énantiomère, de solvate ou de polymorphe » ne devrait pas être utilisé de manière à exclure systématiquement les énantiomères, comme le dexlansoprazole. Le ministre devrait tenir compte de la nature et de l’étendue des données fournies. Selon la demanderesse, l’interprétation privilégiée ne respecte pas l’intention du législateur, mène à un résultat absurde et fait en sorte que le Canada ne respecte pas ses obligations internationales. De plus, cette interprétation est incompatible avec la méthode utilisée pour assurer la protection des données dans le cas d’autres drogues.

 

[25]           Le défendeur fait valoir que le Règlement prévoit clairement que la protection des données ne s’applique pas aux drogues qui sont de simples variantes, comme le dexlansoprazole. La protection des données est destinée à s’appliquer aux entités chimiques nouvelles. Un examen de la nature et de l’étendue des données recueillies est pertinent seulement lorsqu’il faut décider si des produits constituent des variantes qui ne sont pas déjà inscrites. De plus, le traitement d’autres drogues n’est pas pertinent pour déterminer si le ministre a commis une erreur dans son application du Règlement en l’espèce.

 

[26]           Pour apprécier ces prétentions, je vais d’abord résumer brièvement les principes d’interprétation législative qui sont pertinents en l’espèce. Je me pencherai ensuite sur l’interprétation appropriée du paragraphe C.08.004.1(1), en particulier le passage concernant les variantes potentielles. Me fondant sur cette interprétation, je déterminerai si le ministre a commis une erreur en excluant le DEXILANT de la protection des données, au motif qu’il s’agissait de l’une de ces variantes.

 

(i)         Les principes d’interprétation législative

 

[27]           La méthode d’interprétation législative prédominante a été décrite par la Cour suprême du Canada dans Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 RCS 601, au paragraphe 10 :

[10]      Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

[28]           Il faut, conformément à ces principes, porter une attention particulière au contexte global de la loi habilitante lorsqu’on interprète un règlement (Bristol Myers‑Squibb, précité, au paragraphe 39). De plus, il existe une présomption contre une interprétation qui mènerait à des conséquences absurdes (Ruth Sullivan, Sullivan on Construction of Statutes, 5e éd. (Markham, LexisNexis, 2008), aux pages 223, 300 et 301).

 

[29]           Les lois doivent, autant que possible, recevoir une interprétation compatible avec les obligations du Canada issues de traités internationaux et avec les principes du droit international (Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 RCS 281, au paragraphe 34). Ces obligations issues de traités devraient être interprétées « de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but » (Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 RTNU 331, article 31).

 

[30]           Ayant ces principes à l’esprit, j’examinerai la définition de « drogue innovante » et le terme « variante » contenus au paragraphe C.08.004.1(1) du Règlement.

 

(ii)        L’interprétation de l’expression « drogue innovante »

 

[31]           Le sens grammatical et ordinaire de la définition de « drogue innovante » est relativement clair. Une drogue ne sera pas considérée comme étant « innovante » et n’aura pas droit à la protection des données, si elle contient un ingrédient médicinal déjà approuvé ou si elle est considérée comme une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé.

 

[32]           Le terme « variante » n’est pas défini explicitement, mais le paragraphe C.08.004.1(1) renferme une liste non exhaustive d’exemples tels « un changement de sel, d’ester, d’énantiomère, de solvate ou de polymorphe ». Ces exemples concrets constituent les types de composés chimiques qui sont présumés constituer des « variantes » d’un ingrédient médicinal déjà approuvé aux fins de la définition de « drogue innovante » et de la protection des données.

 

[33]           La définition de « variante » contenue dans le dictionnaire – [traduction] « un changement ou une légère différence de l’état, de la quantité ou du degré » (Oxford English Dictionary, 11e éd. (New York, Oxford University Press, 2004), à la page 1599) – aide à déterminer ce qui constitue des « variantes » qui ne sont pas expressément mentionnées. Compte tenu du libellé du paragraphe, il semble cependant que, par leur nature même, les exemples donnés représentent un [traduction] « changement » ou une [traduction] « légère différence de l’état ». C’est certainement le cas d’un énantiomère, terme qui désigne [traduction] « une molécule qui est l’image inversée d’une autre » (Concise Canadian Oxford Dictionary (Toronto, Oxford University Press, 2005), à la page 431). Compte tenu de la terminologie employée dans la définition et de son sens ordinaire, il est possible que, comme les exemples qui sont mentionnés, un énantiomère constitue toujours une « variante » au sens du paragraphe C.08.004.1(1).

 

[34]           Cette interprétation est étayée également par le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR) (voir Gazette du Canada, Partie I, vol 140, no 21, 2006‑10‑18). Le REIR a été utilisé dans le passé pour déterminer l’intention du législateur (voir, par exemple, Bristol‑Myers Squibb, précité, et Bayer Inc c Canada (Procureur général et al) (1999), 87 CPR (3d) 293, 243 NR 170 (CAF). Il est question de la définition de « drogue innovante » et des variantes à la page 1496 :

La définition de « drogue innovante » interdit spécifiquement aux innovateurs d’obtenir une période supplémentaire de protection des données du fait qu’ils ont varié les ingrédients médicinaux. La liste des variations n’est pas exhaustive, mais se veut plutôt une liste d’exemples des types de variations qui n’avaient pas été prises en compte en matière de protection. L’exclusion de variations d’un ingrédient médicinal préalablement approuvé de la portée de la protection a été adoptée afin d’éviter l’octroi d’une période de protection supplémentaire de huit années quand un innovateur tente de faire approuver une modification mineure à un médicament. Pour d’autres variations douteuses qui ne sont pas incluses sur la liste, comme les métabolites, une évaluation sera effectuée dans le but de déterminer si oui ou non l’approbation demandée est principalement fondée sur des données cliniques préalablement soumises (c.-à-d. sans l’appui de données cliniques nouvelles et significatives). Cette position est conforme à l’ALÉNA et aux dispositions des ADPIC qui n’exigent l’octroi d’une protection que pour les données non divulguées, dont la création nécessite un effort considérable.

The definition of “innovative drug” specifically prohibits innovators from obtaining additional terms of data protection for variations of medicinal ingredients. The list of variations is not exhaustive, but rather meant to give examples of the types of variations not considered for protection. The exclusion of variations of a previously approved medicinal ingredient from the scope of protection was introduced to avoid the granting of an additional eight years of protection where an innovator seeks approval for a minor change to a drug. For other arguable variations not included in the list, such as metabolites, an assessment will be made as to whether or not approval is being sought primarily on the basis of previously submitted clinical data (i.e. without the support of new and significant clinical data) or not. This position is consistent with both NAFTA and TRIPS which only require the granting of protection for undisclosed data, the origination of which involved a considerable effort.

 

 

[35]           Le REIR donne des indications concernant la manière dont la définition devrait être interprétée. Il fait ressortir l’importance accordée à l’exclusion des variantes de la protection des données lorsqu’une « modification mineure [est apportée] à un médicament ». Le ministre tiendra compte d’autres variantes que celles qui sont mentionnées, mais les exemples donnent une idée des changements mineurs visés par la disposition.

 

[36]           Le fait qu’un examen plus poussé doive être effectué « [p]our d’autres variations douteuses qui ne sont pas incluses sur la liste » est particulièrement important. Cet examen comporte une évaluation de données cliniques nouvelles et significatives dont la création a nécessité un « effort considérable ». Cependant, ce type d’examen n’est exigé que pour les « variations douteuses », afin de déterminer si elles devraient aussi être exclues de la définition de « drogue innovante » – il n’est pas requis pour les exemples donnés qui sont présumés constituer des variantes ne faisant pas entrer en jeu la protection des données.

 

[37]           En outre, cette interprétation ne mène pas à un résultat absurde. Lorsque la question de savoir si un ingrédient médicinal constitue une variante est controversée, la nature et l’étendue des données est un facteur qui doit être pris en compte pour déterminer s’il s’agit d’une « drogue innovante ». Par contre, les ingrédients médicinaux énumérés sont exclus d’emblée, parce qu’il est largement reconnu qu’il s’agit de variantes chimiques. Même si l’étendue des données était prise en compte dans ces cas, ce facteur ne serait pas suffisant pour assurer la protection des données. Le ministre pourrait toujours, en se fondant sur l’intention du législateur, rejeter ces types d’ingrédients médicinaux qui, par leur nature même, constituent des variantes. Par conséquent, il convient de refuser la protection des données sans effectuer un examen plus poussé.

 

[38]           L’analyse effectuée par la Cour d’appel fédérale dans Association canadienne du médicament générique c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CAF 334, [2010] ACF no 1582, aux paragraphes 113 et 114, est pertinente au regard du contexte plus large et de l’objet de la protection des données :

[113]    À mon avis, l’examen de ce contexte intégral révèle que le RPD est un mécanisme jugé nécessaire pour équilibrer les effets du système de réglementation établi par le Règlement, dont l’objet est de protéger la santé et la sécurité publiques. On remarque notamment que le RPD joue un rôle important relativement à la procédure de la PADN, en neutralisant ou réduisant les effets défavorables qu’elle pourrait entraîner. Plus précisément, le RPD, en octroyant aux innovateurs une période d’exclusivité de marché de huit ans, met en place un régime propre à les inciter à poursuivre leur recherche de « drogues innovantes ». En dernière analyse, le RPD a pour raison d’être d’encourager la création et le développement de drogues nouvelles, ce qui, on ne saurait guère le contester, constitue un objectif valable de santé et de sécurité publiques.

 

[114]    S’il est vrai, comme le juge l’a conclu au paragraphe 79 de ses motifs, que le RPD vise « un équilibre de considérations commerciales entre la protection des investissements des fabricants innovateurs [...] et l’approbation éventuelle par un avis de conformité de la PADN d’un fabricant de génériques », il s’est trompé, à mon humble avis, en omettant de prendre en considération l’intégralité du contexte de ce règlement. L’objet véritable du RPD n’est pas d’établir un équilibre entre les intérêts commerciaux des innovateurs et des génériqueurs, mais plutôt de faire en sorte que les Canadiens aient suffisamment accès à des drogues nouvelles, sans danger et efficaces, à des prix raisonnables. Autrement dit, le Règlement considéré dans son ensemble encourage la recherche et le développement de nouveaux médicaments propres à sauver des vies, à prévenir et guérir des maladies, et à améliorer en général la santé des Canadiens, qui ne peuvent profiter de la découverte et du développement de tels médicaments qu’après que les données et l’information produites par des essais précliniques et cliniques approfondis ont démontré l’innocuité et l’efficacité de ces « drogues innovantes » de manière à convaincre le ministre. Le RPD joue un rôle important dans ce système de réglementation.

 

[39]           La protection des données est considérée comme un élément essentiel du régime réglementaire global pour assurer la protection de la santé et de la sécurité publiques. Elle vise à favoriser la recherche et le développement de drogues dans le but d’améliorer la santé des Canadiens. En tout temps cependant, la protection des données doit être offerte aux « innovateurs », ce qui les encourage à créer des « drogues innovantes ». Cela ne signifie pas que la protection des données est toujours dans l’intérêt de la santé publique lorsqu’elle s’applique à des changements moins importants touchant des ingrédients médicinaux. On peut se demander si l’accès à l’information relative à la recherche et au développement de ces simples variantes ne devrait pas être élargi.

 

[40]           Cette interprétation est également compatible avec les obligations du Canada issues de l’ALENA et des dispositions sur les ADPIC. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 63 d’Epicept, précitée, la protection des données s’applique aux « nouvelles entités chimiques » par opposition aux « nouvelles drogues ». En conséquence, ce ne sont pas toutes les « nouvelles drogues » qui auront droit à la protection des données. C’est pour cette raison que le Règlement canadien connexe énumère des variantes précises qui ne seront pas considérées comme des « drogues innovantes », même si elles peuvent faire l’objet d’une PDN. En d’autres termes, ces variantes ne peuvent être considérées comme de « nouvelles entités chimiques ».

 

(iii)       Le DEXILANT en tant que variante

 

[41]           Compte tenu de cette interprétation, le ministre a eu raison d’exclure le DEXILANT de la protection des données. Le dexlansoprazole, l’ingrédient médicinal du DEXILANT, est un énantiomère reconnu du lansoprazole. Il constitue donc l’une des variantes reconnues au sens du paragraphe C.08.004.1(1), peu importe l’étendue des données recueillies par la demanderesse dans le cadre de la PDN. La protection des données s’applique seulement aux « nouvelles entités chimiques » qui sont incluses dans la définition de « drogue innovante » et qui ne constituent pas des variantes.

 

[42]           Les prétentions de la demanderesse concernant les autres drogues qui ont joui de la protection des données et qui n’ont pas été systématiquement exclues au motif qu’elles étaient l’une des variantes reconnues ne changent rien à mon interprétation. Je ne peux évaluer quels facteurs ont été pris en compte pour accorder la protection des données dans ces cas. L’interprétation donnée par le ministre à la définition de « drogue innovante », de manière à exclure systématiquement le DEXILANT au motif qu’il s’agit d’une variante, est conforme au sens ordinaire et à l’intention du législateur et est compatible avec les obligations internationales.

 

Question B : le ministre a-t-il manqué à une obligation d’équité envers la demanderesse en refusant de tenir compte des données produites?

 

[43]           Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenue au regard de la question A, il n’est pas nécessaire que j’analyse longuement la prétention de la demanderesse selon laquelle il y a eu manquement à l’équité, parce que la nature des données produites n’a pas été prise en compte. À mon avis, la façon dont le ministre a traité les drogues de comparaison mentionnées (PRECEDEX, AVAMYS et TORISEL) qui sont peut‑être similaires est peu pertinente. Ces drogues ont été traitées en fonction des faits particuliers les concernant.

 

[44]           Nonobstant le mécontentement de la demanderesse à l’égard du résultat, le processus mis à sa disposition était équitable, car elle a eu la possibilité de présenter des observations écrites et la décision rendue a été motivée.

 

VII.      Conclusion

 

[45]           Le ministre a adopté la bonne interprétation lorsqu’il a déterminé que le dexlansoprazole contenu dans le DEXILANT ne pouvait pas jouir de la protection des données, car cet énantiomère était une variante au sens de la définition de « drogue innovante » prévue au paragraphe C.08.004.1(1). Il ne pouvait pas être inscrit sur le registre des drogues innovantes. De plus, il n’y a eu aucun manquement à l’équité à laquelle la demanderesse avait droit.

 

[46]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2044-10

 

INTITULÉ :                                       TAKEDA CANADA INC. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AUTRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Van Barr/Jane Clark

 

                        POUR LA DEMANDERESSE

John L. Syme

 

                        POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Christopher Van Barr/Jane Clark

Gowling Lafleur Henderson

Ottawa (Ontario)

 

                        POUR LA DEMANDERESSE

John L. Syme

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

                        POUR LES DÉFENDEURS

 

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