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Date : 20111122


Dossier : IMM-7093-10

Référence : 2011 CF 1342

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

JEYAKUMAR KRISHNAMOORTHY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision datée du 17 novembre 2010 selon laquelle il était interdit de territoire, parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire, selon ce que prévoit l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, qu’il était membre d’une organisation terroriste.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision est déraisonnable et contraire à l’équité procédurale. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur est un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka. Il est marié à une Canadienne et ils ont deux enfants nés au Canada.

 

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada le 27 avril 2003. En août de la même année, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il s’était désisté de sa demande d’asile. Une demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de cette décision a été rejetée par la Cour fédérale le 15 février 2005.

 

[5]               En septembre 2004, parrainé par son épouse, le demandeur a présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente. La demande a été approuvée en principe en septembre 2006.

 

[6]               Le demandeur a été convoqué pour une entrevue avec le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) en janvier 2007. Les fonctionnaires du SCRS ont rédigé un mémoire indiquant que des renseignements les conduisaient à croire que le demandeur était membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). La Section de la lutte antiterroriste (la SLA) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a rédigé une note faisant état de la possible interdiction de territoire du demandeur. Le demandeur a réclamé la communication du rapport du SCRS et de la note de la SLA, mais cela lui a été refusé.

 

[7]               Le demandeur a eu une entrevue avec un agent d’immigration le 20 avril 2010. Au cours de l’entrevue, il a indiqué que, en 1986, alors qu’il était en 10e année, il avait vendu du savon et distribué des tracts pour les TLET. Il en avait été ainsi jusqu’en 1988, année au cours de laquelle il était allé vivre ailleurs. Il était âgé de 17 et 18 ans lorsqu’il avait participé à ces activités. Il a déclaré que, au cours de cette période, les TLET constituaient l’administration locale, ne se livraient pas à des hostilités et n’étaient pas craints dans son district. Il dit qu’il fut plus tard contraint d’apporter une aide additionnelle aux TLET durant une période d’hostilités au cours des années 90.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[8]               L’agent a admis que c’était par crainte et sous la contrainte que le demandeur avait exercé des activités au bénéfice des TLET durant les années 90. Il a conclu cependant que, bien que le demandeur eût nié à plusieurs reprises avoir été membre des TLET et avoir volontairement aidé les TLET, l’aide qu’il leur avait apportée alors qu’il était à l’école secondaire était une aide volontaire, et non une aide forcée.

 

[9]               L’agent a aussi relevé que le demandeur avait reconnu avoir donné de fausses informations dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), et il a constaté qu’il y avait plusieurs incohérences entre le FRP du demandeur, son entrevue avec le SCRS et les déclarations qu’il avait faites durant son entrevue avec l’agent. Selon l’agent, il y avait donc lieu de douter de sa crédibilité.

 

[10]           L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire, parce qu’il avait volontairement participé à des activités qui finançaient et encourageaient les TLET, une organisation terroriste, lorsqu’il fréquentait l’école secondaire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

                                 i.            L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur était membre des TLET?

                               ii.            L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne communiquant pas au demandeur la note de la SLA et le rapport du SCRS?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[12]           La norme de contrôle applicable aux questions se rapportant au paragraphe 34(1) de la LIPR est la décision raisonnable : Hussain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1196, au paragraphe 12; Kanendra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 923, aux paragraphes 9 à 12; Jalil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246, aux paragraphes 19 et 20; Ugbazghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, au paragraphe 36. La norme de la décision raisonnable est décrite dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 48.

 

[13]           Les conclusions du décideur n’appellent aucune retenue judiciaire lorsque l’équité procédurale est en cause : arrêt Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 43. La question à trancher n’est pas de savoir si la décision était fondée, mais plutôt de savoir si la procédure appliquée était équitable : Pusat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 428, au paragraphe 14.

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[14]           La présente demande de contrôle judiciaire concerne l’article 33 et les alinéas 34(1)c) et f) de la LIPR :

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

[…]

 

c) se livrer au terrorisme ;

 

[…]

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

 

(c) engaging in terrorism;

 

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

 

ANALYSE

 

La requête en protection des renseignements contenus dans le dossier certifié du tribunal

 

[15]           Avant l’audience, le défendeur a déposé, en vertu de l’article 87 de la LIPR, une requête pour que certains renseignements qui avaient été retranchés des documents du SCRS et de la SLA inclus dans le dossier certifié du tribunal ne soient pas communiqués au demandeur et au public. Le demandeur ne s’est pas exprimé sur la requête, priant seulement la Cour d’examiner les documents pour savoir si les renseignements retranchés étaient tels que, s’ils étaient divulgués, ils seraient préjudiciables à la sécurité nationale ou mettraient en péril la sécurité de quiconque. Après examen des documents, à huis clos et ex parte, y compris de leur contenu non retranché, la Cour a fait droit à la requête.

 

[16]           Une bonne partie du contenu retranché des documents a été considérée comme renseignements non pertinents, et de nature interne ou administrative, qu’il est d’usage de ne pas communiquer pour des raisons de sécurité nationale. D’autres parties plus consistantes des documents, qui pourraient avoir une valeur probante, semblaient contenir des renseignements qui avaient déjà été communiqués au demandeur, sous une forme ou une autre, ailleurs dans le dossier certifié.

 

[17]           À la demande du défendeur, j’ai pris en compte, pour arriver à une décision sur le fond de la présente demande, les renseignements retranchés.

 

L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur était membre des TLET?

 

[18]           Le demandeur reconnaît que les TLET sont une organisation terroriste au sens de l’alinéa 34(1)f). Le défendeur reconnaît qu’il n’est pas établi que le demandeur lui-même s’est livré à des activités terroristes au nom des TLET.

 

[19]           Je suis d’avis que l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur était membre des TLET, parce qu’il a laissé de côté le critère applicable, énoncé dans la jurisprudence, qui permet de déterminer l’« appartenance » dont parle l’alinéa 34(1)f). L’agent n’a pas pris en compte les intentions du demandeur, son niveau de participation et son engagement envers les TLET.

 

[20]           Ce sont les « motifs raisonnables de croire » qui constituent le niveau de preuve permettant de conclure à l’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 34(1) de la LIPR. Cette expression signifie davantage qu’un simple soupçon, mais moins que la prépondérance des probabilités : article 33 de la LIPR; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanaratnam, 2005 CAF 122, au paragraphe 22.

 

[21]           Le mot « membre » n’est pas défini dans la LIPR, mais, eu égard au régime législatif, il doit être interprété d’une manière libérale : voir Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, aux paragraphes 27 à 29; Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 25; Kanendra, aux paragraphes 22 et 23).

 

[22]           Dans la décision Re Suresh, [1997] ACF n° 1537, le juge Teitelbaum avait conclu que le demandeur était membre d’un groupe terroriste, compte tenu de l’ensemble des circonstances, lesquelles comprenaient des activités inoffensives, par exemple le fait de recueillir de la nourriture, et des activités plus décisives et plus « sérieuses », par exemple le fait d’être un dirigeant à temps plein et le fait de recueillir des fonds pour l’organisation (voir les paragraphes 20 et 21). Dans cette affaire, le demandeur n’avait sans doute pas participé à des activités terroristes violentes et directes, mais son rôle dans l’organisation terroriste et le soutien qu’il lui apportait, de même que son intention, étaient sans équivoque.

 

[23]           Dans la décision Tharmavarathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 985, le juge Mandamin écrivait ce qui suit :

[28] La conclusion relative à l’appartenance aux TLET n’est pas justifiée si l’on tient compte des activités du demandeur, de la période pendant laquelle il a été actif, du degré d’engagement envers l’organisation et de ses objectifs, en fonction des faits exposés dans le FRP de la mère, tout cela montre que le demandeur a tout au plus exécuté quelques tâches mineures, voire aucune, sous la contrainte des TLET. [Non souligné dans l’original.]

 

La jurisprudence fait état d’un certain nombre de critères – rôle, durée, niveau d’engagement – qui définissent ce en quoi peut consister l’appartenance au sens large. L’appartenance à un groupe terroriste ne découlera pas nécessairement de toute manifestation de soutien pour un groupe dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’il est engagé dans des activités terroristes.

 

[24]           Comme l’écrivait le juge O’Reilly dans la décision Sinnaiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576, au paragraphe 6 :

Pour démontrer que l’intéressé « fait partie » d’une organisation, il faut à tout le moins qu’il y ait des éléments de preuve tendant à établir l’existence de « liens institutionnels » ou d’une « participation consciente » aux activités du groupe (arrêt Chiau et jugement Thanaratnam, précités). [Non souligné dans l’original.]

 

[25]           Cette approche est préconisée dans les décisions suivantes : Poshteh, aux paragraphes 30 à 32; Motehaver c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 141, au paragraphe 30; Kashif Omer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 478, au paragraphe 13; Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, aux paragraphes 19 et 22; Farkhondehfall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 471; Toronto Coalition to Stop the War c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 957, aux paragraphes 118, 120, et 124 à 128. Comme je l’écrivais dans la décision Toronto Coalition to Stop the War, aux paragraphes 118 et 128 :

[118] Cependant, une interprétation large et libérale ne donne pas carte blanche au décideur pour considérer quiconque ayant déjà eu affaire à une organisation terroriste comme étant membre de cette organisation. Il faut tenir compte des faits de chaque affaire, y compris de la preuve contredisant une conclusion d’appartenance : Poshteh, paragraphe 38.

 

[128] L’appartenance peut être inférée de la preuve dans son ensemble, comme dans les affaires citées ci‑dessus, y compris des déclarations et des gestes qui donnent à penser que le but poursuivi par le donateur était d’accroître la capacité du groupe de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter. [Non souligné dans l’original.]

 

[26]           Dans les cas, tels Ugbazghi et Motehaver, précités, où l’on a jugé que des activités de faible niveau, par exemple la distribution de tracts, peuvent être la preuve qu’une personne est membre d’une organisation terroriste, le décideur initial avait conclu que les demandeurs s’étaient livrés pour l’organisation à d’autres activités plus importantes qui supposaient un niveau plus élevé d’engagement et de participation. Dans l’affaire Ugbazghi, la demanderesse avait participé à des réunions et fait des dons, et elle faisait partie d’un groupe qui appuyait l’organisation terroriste (voir les paragraphes 38 et 39). Dans l’affaire Motehaver, le demandeur avait, lui aussi, participé à des réunions et donné des fonds. Il avait aussi exercé un rôle dans l’organisation durant une longue période, et il était bien au fait de l’organisation et de ses buts (voir le paragraphe 24).

 

[27]           En l’espèce, l’agent aurait dû tenir compte des critères de l’appartenance qui sont exposés dans la jurisprudence. D’après le dossier qui m’a été soumis, y compris les renseignements retranchés que j’ai examinés, la preuve ne permettrait pas de conclure que le demandeur avait un quelconque engagement envers les TLET et leurs objectifs quand il a aidé l’organisation durant la décennie 1980. La preuve ne montre pas que le demandeur, à l’époque un jeune garçon qui participait à des activités de faible niveau, était de quelque façon intégré dans les TLET. Il ne s’agit pas ici d’un cas où une jeune recrue s’était jointe à la hiérarchie militaire des TLET.

 

[28]           Il n’est pas établi que le demandeur avait été contraint de distribuer des tracts et de vendre du savon, mais il semble que ces activités étaient courantes parmi les élèves des écoles secondaires de son district dans une période de paix relative au sein de la collectivité. Selon mon appréciation de la preuve, ces activités étaient davantage considérées par eux comme un divertissement anodin en marge de leurs études et de leurs tâches domestiques. Le demandeur a dit qu’il trouvait cela [traduction] « amusant ». Lorsqu’il n’était pas à l’école, le demandeur avait peu à faire hormis s’occuper des produits de la ferme familiale. Sa connaissance de la véritable nature des TLET, une connaissance acquise au cours des années ultérieures, ne saurait être retenue contre lui pour exagérer le rôle qu’il a pu y exercer durant quelques mois en 1985 et en 1986. À l’époque, selon ce que révèle la preuve documentaire, le Nord du Sri Lanka était de facto aux mains des TLET, surveillés par des Gardiens de la paix des Nations Unies originaires de l’Inde.

 

[29]           Aucune preuve ne donne à penser que le demandeur était membre de l’organisation, puisqu’il n’a pas appuyé spontanément les TLET au cours des années subséquentes, n’a pas volontairement participé à d’autres activités des TLET et n’a pas soutenu, financièrement ou autrement, les TLET.

 

[30]           Des doutes sur la sincérité du demandeur n’équivalent pas en soi à des motifs raisonnables de croire qu’il était membre de l’organisation : Shanmugasundaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 900, aux paragraphes 24 et 25. Ils pourraient mettre en question la version des événements donnée par le demandeur, mais ils ne constituent pas une preuve de sa participation. Ici, il n’y avait que des contradictions mineures dans le FRP du demandeur et dans ses réponses durant les entrevues. De telles contradictions pouvaient être prises en compte dans l’appréciation de la valeur de son témoignage, mais elles ne prouvaient rien. Le demandeur est demeuré cohérent en ce qui concerne son rôle durant les années 1985 et 1986.

 

[31]           Compte tenu du droit applicable et de la preuve soumise, je suis d’avis que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait été membre des TLET à la fin des années 80. Sa décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne communiquant pas au demandeur certains documents?

 

[32]           Ma conclusion sur le point précédent suffit à disposer de la présente demande, mais je crois nécessaire de m’exprimer sur la question de l’équité procédurale soulevée par le demandeur.

 

[33]           Selon le demandeur, le ministre a manqué à l’équité procédurale en ne lui communiquant pas le mémoire du SCRS et la note de la SLA avant son entrevue avec l’agent. Il prétend que la communication préalable de preuves extrinsèques de cette nature est requise lorsque les documents « ont une influence telle sur le décideur » qu’ils peuvent être considérés comme des outils d’assistance judiciaire (voir Mekonen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1133, aux paragraphes 18 et 19; voir aussi Baybazarow c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665, aux paragraphes 13 et 14).

 

[34]           Le défendeur fait valoir que le mémoire du SCRS et la note de la SLA n’étaient pas des preuves extrinsèques. Le principe d’équité exigeait seulement que le demandeur soit, durant l’entrevue, informé de l’essentiel des allégations trouvées dans les rapports. Selon le défendeur, c’est ce qui a été fait.

 

[35]           Le défendeur invoque la décision Nadarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1112, pour affirmer qu’une communication préalable des documents n’était pas requise. Dans cette affaire-là, la Cour a bien dit que le droit à la communication préalable des documents sur lesquels s’était fondé le décideur n’était pas absolu. Cependant, elle a aussi considéré ce que comporterait l’obligation d’équité quand des documents ne sont pas communiqués. Le juge de Montigny écrivait que les renseignements contenus dans de tels documents « doivent être communiqués au demandeur pour lui donner l’occasion de prendre connaissance des renseignements qui lui sont défavorables » (au paragraphe 25). En l’espèce, cette communication n’a pas eu lieu.

 

[36]           Le défendeur a raison d’affirmer que l’obligation d’équité peut être remplie sans qu’il faille procéder à la pleine communication de rapports sur lesquels s’est fondé l’agent. On pourrait, par exemple, faire connaître au demandeur l’essentiel des allégations contenues dans les rapports et lui donner l’occasion d’y réagir. La question est de savoir si une communication préalable est requise dans les circonstances particulières de l’affaire considérée. La difficulté ici est que le demandeur n’a été informé des allégations que vers la fin de l’entrevue, après que l’agent lui eut posé plusieurs questions fondées sur des renseignements qui figuraient dans les rapports.

 

[37]           Il appert de la décision de l’agent qu’il a accordé beaucoup de poids aux rapports du SCRS et de la SLA pour arriver à sa décision. Il s’est fondé sur des contradictions entre les diverses entrevues et a clairement suivi les recommandations énoncées dans la note de la SLA. Je suis donc d’avis que ces documents doivent être considérés comme des outils d’assistance judiciaire, selon les mots employés par la juge Dawson dans la décision Mekonen :

[19] Le contenu et l’objectif du mémoire de l’ASFC m’amènent à la conclusion qu’il a servi d’outil d’assistance judiciaire destiné, selon les termes de la Cour d’appel fédérale dans Bhagwandass, « à avoir une influence telle sur le décideur que la communication à l’avance est requise pour "équilibrer les chances" ».

 

[38]           La communication préalable aurait donné au demandeur une meilleure occasion de répondre aux allégations selon lesquelles il était membre de l’organisation. Dans l’affaire Pusat, précitée, une affaire semblable à celle-ci, la Cour a jugé que le demandeur avait droit, au nom de l’équité, à une communication préalable ou du moins à une mesure compensatoire, par exemple la possibilité pour lui de s’exprimer après l’entrevue, afin de pouvoir répondre d’une manière éclairée aux allégations dont il était l’objet (voir les paragraphes 31 à 34).

 

[39]           Dans le contexte de la présente affaire, l’équité procédure requérait une communication préalable des allégations figurant dans les documents du SCRS et de la SLA.

 

[40]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision de l’agent d’immigration en date du 17 novembre 2010 est annulée;

2. L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs;

3. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7093-10

 

INTITULÉ :                                       JEYAKUMAR KRISHNAMOORTHY

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Krassina Kostadinov

Waldman et Associés

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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