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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111027

Dossier : T-962-10

Référence : 2011 CF 1218

Ottawa (Ontario), ce 27e jour d’octobre 2011

En présence de l’honorable juge Pinard

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

RAYMOND ROBITAILLE

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« CRTFP ») présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, par le Procureur général du Canada (le demandeur). L’arbitre a accueilli les quatre griefs déposés par M. Raymond Robitaille (le défendeur).

[2]               Le défendeur est à l’emploi du ministère des Transports depuis 1990. Il occupe le poste de gestionnaire, Exploitation et matériel roulant ferroviaire pour la direction « Surface de la région du Québec », classifié au niveau TI-08.

 

[3]               Le 16 avril 2004, Mme Colette Deslauriers a déposé une plainte de harcèlement contre le défendeur dont elle était la subalterne. Le défendeur fut avisé de cette plainte par lettre datée du 6 juillet 2004. Le nom de l’enquêtrice lui a été communiqué ainsi qu’à Mme Deslauriers le 13 août 2004.

 

[4]               Le 26 novembre 2004, Mme Deslauriers a acheminé à la directrice des ressources humaines un document dans lequel elle a inclus onze nouvelles allégations de harcèlement contre le défendeur. Le 22 décembre, la directrice et Mme Deslauriers ont travaillé ensemble à l’élaboration d’un nouveau document contenant les nouvelles allégations. Le défendeur a reçu ce document le 3 janvier 2005 et l’enquête a débuté le 4 janvier 2005.

 

[5]               Mme Deslauriers a été rencontrée par les enquêteurs le 10 janvier 2005. Ceux-ci ont ensuite rencontré 11 autres témoins avant de voir le défendeur le 24 janvier 2005. Ce dernier leur a remis un cartable contenant plusieurs documents visant à réfuter les allégations de Mme Deslauriers. Par souci d’économie, les enquêteurs n’ont pas enregistré les portions du témoignage du défendeur en rapport avec des extraits du cartable, lequel n’a pas été remis à l’employeur avec le rapport d’enquête.

 

[6]               Le 21 février 2005, Mme Hélène Gagnon, la supérieure hiérarchique du défendeur, lui a ordonné, par courriel, de ne plus se présenter au bureau et de travailler à distance. Au début de mars 2005, le défendeur a reçu une copie du rapport préliminaire. Il a envoyé sa réplique écrite le 20 mars 2005 et considère que celle-ci a été ignorée par les enquêteurs. Le 16 mars 2005, le Dr Yves Faucher avait mis le défendeur en arrêt de travail pour une période indéterminée à cause de stress et dépression alléguée par le défendeur. Le demandeur prétend qu’aucun motif ne figurait dans le rapport du Dr Faucher.

 

[7]               Le 26 avril 2005, le défendeur a reçu une copie du rapport d’enquête qui soutenait que dix des faits présentés, sur un total de seize, correspondaient à la définition du harcèlement. Le 5 mai 2005, le défendeur a demandé à la directrice des ressources humaines quels étaient ses recours à l’encontre du rapport. Sa demande est demeurée sans réponse. Le 18 mai 2005, la gestion a rencontré le défendeur afin de l’informer qu’il ne serait pas réintégré à son poste de gestionnaire au retour de son congé de maladie, ni à aucun autre poste exigeant des responsabilités de gestion.

 

[8]               Le 29 mai 2005, le défendeur a déposé son premier grief, contestant l’iniquité de la procédure d’enquête et la décision de ne pas le réintégrer à son poste. Le 7 juin 2005, Mme Gagnon a imposé au défendeur une deuxième mesure disciplinaire, soit une suspension de 15 jours sans rémunération. Le 22 juin 2005, le défendeur a déposé son deuxième grief à l’encontre de cette suspension. Mme Gagnon a rejeté les griefs au premier palier de la procédure. Les griefs ont subséquemment été rejetés au deuxième palier.

 

[9]               Le 6 septembre 2005, à son retour de congé de maladie, le défendeur a dû se présenter à Dorval au sein du groupe « Sûreté des transports et préparatifs d’urgence » pour y travailler. Le poste à Dorval n’exigeait aucune responsabilité de gestion, le défendeur n’ayant que peu de tâches à accomplir. De plus, ce poste était classifié de simple niveau TI-06, bien que le salaire du défendeur et son niveau de classification étaient demeuré inchangés. La suspension de 15 jours a eu lieu du 12 septembre au 30 septembre inclusivement.

 

[10]           Le 4 octobre 2005, la directrice régionale des ressources humaines a remis au défendeur une offre d’emploi déterminée pour deux ans sous le Programme de rémunération d’affectation spéciale (« PRAS »). La directrice a informé le défendeur que s’il n’acceptait pas cette offre, il serait muté sans son consentement dans un poste inférieur au sien. Le 9 novembre 2005, Mme Nicole Pageot, la directrice générale régionale de Transports Canada, a tenté d’obtenir un décret d’exclusion permettant une mutation sans consentement du défendeur. Toutefois, un tel décret n’était pas permis. Dès janvier 2006, le bureau du défendeur à Montréal a été vidé, bien qu’il était toujours titulaire de son poste d’attache.

 

[11]           Le troisième palier de la procédure des griefs a eu lieu le 17 mars 2006. Le 20 juin 2006, n’ayant pas reçu de réponse, le défendeur a renvoyé ses deux griefs à la CRTFP pour arbitrage. La décision au troisième palier aurait dû être rendue au plus tard le 2 juin 2006. Cependant, celle-ci a été finalement rendue le 6 juillet 2006 et n’a été reçue par le défendeur que le 17 juillet 2006. Dans cette décision, l’employeur réduit la suspension de 15 jours à une réprimande écrite, mais maintient le transfert au bureau de Dorval. Le 23 août 2006, le défendeur formule donc un troisième grief concernant cette réprimande écrite.

 

[12]           Le 29 novembre 2006, Mme Gagnon a rencontré le défendeur pour lui parler d’un retour à son poste s’il acceptait de corriger son comportement décrit dans le rapport d’enquête. Le défendeur contestant toujours les allégations de ce rapport, le troisième grief fut envoyé en arbitrage le 18 décembre 2006.

 

[13]           À la mi-décembre 2006, Mme Gagnon attribue au défendeur un « coach en gestion ». Les sessions de coaching débutèrent en mai 2007 et furent suivies d’une recommandation que le défendeur reprenne ses tâches de supervision.

 

[14]           Le 22 juin 2007, le défendeur a déposé une plainte de harcèlement psychologique contre Mme Gagnon. La direction a refusé de faire enquête à ce sujet.

 

[15]           Le 3 octobre 2007, Mme Gagnon a rencontré le défendeur pour lui remettre un « Plan d’amélioration en vertu d’une réintégration » selon lequel le défendeur pourrait être réintégré à son poste deux ans plus tard. Le 17 octobre 2007, le défendeur a refusé ce plan et, le 24 octobre 2007, il a déposé un quatrième grief à l’encontre de celui-ci.

 

[16]           Les quatre griefs envoyés à l’arbitrage sont bien résumés dans la décision de l’arbitre aux paragraphes suivants :

[5]     Le premier grief (dossier de la CRTFP 566-02-421) conteste le rapport final de l’enquête menée sur les allégations de la plainte. Le fonctionnaire allègue un manque d’équité procédurale, la partialité des enquêteurs, un rapport incomplet et, par conséquent, des conclusions non fondées. Le fonctionnaire demande sa réintégration dans son poste de gestionnaire, le retrait de toute référence à la plainte de son dossier personnel et le remboursement des frais, déboursés et honoraires professionnels engagés pour se défendre.

 

[6]     Le deuxième grief (dossier de la CRTFP 566-02-420) conteste la mesure disciplinaire de 15 jours de suspension à la suite du rapport d’enquête déclarant comme étant fondées les allégations de harcèlement déposées contre le fonctionnaire. Le fonctionnaire demande sa réintégration dans son poste de gestionnaire et le remboursement des pertes pécuniaires, présentes et futures.

 

[7]     Le troisième grief (dossier de la CRTFP 566-02-710) conteste les conclusions d’une lettre de réprimande qui a remplacé la suspension de 15 jours, que le fonctionnaire allègue comme étant une mesure disciplinaire déguisée parce qu’elle reprend et traite d’incidents prescrits et qui ont été écartés par la décision rendue sur le grief portant le numéro 566-02-420 au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels. Le fonctionnaire demande la cessation des tactiques d’acharnement et de discrimination envers lui suite à l’enquête, une déclaration que l’enquête et ses conclusions sont viciées, le retrait de la réprimande écrite, sa réintégration dans son poste de gestionnaire et le remboursement de toutes les pertes pécuniaires subies.

 

[8]     Le quatrième grief (dossier de la CRTFP 566-02-1777) conteste le plan de redressement du 3 octobre 2007 que l’employeur veut imposer au fonctionnaire comme condition d’une possible réintégration dans son poste de gestionnaire. Le fonctionnaire allègue que le plan de redressement est directement lié aux conclusions viciées du rapport d’enquête concernant la plainte et en vertu duquel le fonctionnaire a déjà reçu une mesure disciplinaire définitive 29 mois plus tôt. Le fonctionnaire allègue qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée et d’une double pénalité qui a des conséquences pécuniaires. Le fonctionnaire demande l’octroi de dommages au montant de 112 000 $, le remboursement de tous les crédits de congé de maladie qu’il a pris depuis avril 2004, sa réintégration dans son poste de gestionnaire, une déclaration que l’enquête est viciée, le retrait de toute référence à la plainte ou de ses séquelles de ses dossiers personnels, le remboursement des frais, déboursés et honoraires professionnels encourus pour se défendre, la remise d’une lettre d’excuse pour les sévices qu’il a subis et des dommages compensatoires, exemplaires et punitifs de l’ordre de 1 895 00 $.

 

 

 

[17]           L’audience concernant les trois premiers griefs a débuté le 8 janvier 2008 devant l’arbitre de grief Michele A. Pineau. L’employeur ne s’est pas objecté au regroupement des griefs. Le quatrième grief a été rajouté le 25 janvier 2008. Les questions soulevées par les griefs ayant été considérées comme étant liées les unes aux autres, les griefs ont donc été finalement réunis pour fin d’audience.

 

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[18]           Dans une décision fort élaborée, l’arbitre a rejeté les objections de l’employeur quant à sa compétence et a accueilli les quatre griefs du défendeur. La décision résume le témoignage de chaque témoin quant aux plaintes de Mme Deslauriers et conclut qu’aucune de celles-ci n’aurait dû être retenue. L’arbitre a en outre soulevé des contradictions et des incohérences dans le témoignage de Mme Deslauriers et a donc plutôt cru le défendeur.

 

[19]           Ayant reconnu sa compétence et ayant accueilli les griefs, l’arbitre a ordonné les mesures réparatrices suivantes :

[349]     À l’égard de l’imposition de mesures disciplinaires injustifiées, dont une rétrogradation, j’ordonne ce qui suit :

 

-         le fonctionnaire est réintégré dans son poste de gestionnaire – Exploitation et matériel roulant ferroviaire au centre-ville de Montréal, rétroactivement au 6 septembre 2005, et ce sans pénalité ou autre conséquence;

-         toutes les mesures faisant l’objet des griefs sont annulées, comme si elles n’avaient jamais existées;

-         l’administrateur général doit retirer toute mention de la plainte de Mme Deslauriers et de l’enquête du dossier personnel du fonctionnaire ainsi que de tout autre dossier le concernant;

-         l’administrateur général doit indemniser le fonctionnaire pour toute perte de temps supplémentaire, depuis le 6 septembre 2005, par une somme calculée sur la moyenne du temps supplémentaire des trois années qui ont précédé sa réaffectation à Dorval.

 

[350]     En ce qui concerne l’atteinte à la santé du fonctionnaire causée par le stress d’une enquête injustifiée, j’ordonne à l’administrateur général de rembourser les crédits dans la banque de congés de maladie pris par le fonctionnaire entre le 16 mars et le 6 septembre 2005.

 

[351]     En ce qui concerne les pertes encourues pour le temps de déplacement journalier et les dépenses de transport, j’ordonne à l’administrateur général de payer au fonctionnaire ce qui suit :

 

-         les frais de kilométrage du fonctionnaire entre le domicile du fonctionnaire et son bureau à Dorval depuis le 6 septembre 2005;

-         le temps de déplacement, jusqu’à deux heures par jour, pour chaque journée travaillée à Dorval depuis le 6 septembre 2005.

 

[352]     En ce qui concerne la carrière du fonctionnaire, j’ordonne à l’administrateur général de faire faire, à ses frais, une évaluation monétaire de la perte de perspective d’avancement de carrière du fonctionnaire, depuis le 6 septembre 2005 par un spécialiste en ressources humaines et de rembourser au fonctionnaire toute perte de salaire et de bénéfices, y compris la pension, qui en a résulté.

 

[353]     En ce qui concerne la perte de biens personnels encourue par le fonctionnaire afin de payer les honoraires et frais de son procureur, j’ordonne que soit faite une évaluation actuarielle, aux frais de l’administrateur général, de la perte encourue, et j’ordonne à l’administrateur général de rembourser au fonctionnaire la valeur actuarielle de cette perte.

 

[354]     En ce qui concerne les actes fautifs de l’administrateur général, soit avoir eu un comportement malveillant, répréhensible et malicieux à l’endroit du fonctionnaire, j’ordonne à l’administrateur général de payer au fonctionnaire la somme de 50 000 $ à titre de dommages punitifs.

 

[355]     Je demeure saisie de cette affaire pour une période de 90 jours suivant l’émission de cette décision pour trancher tout désaccord entre les parties, y compris le choix d’un spécialiste en ressources humaines, d’un actuaire, des valeurs actuarielles et du calcul des montants ordonnés.

 

 

 

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[20]           Les articles pertinents de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. (2003), ch. 22 (la LRTFP) sont les suivants :

Droit du fonctionnaire

 

  208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

 

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

 

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

 

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

Right of employee

 

  208. (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

 

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

(i) a provision of a statute or regulation, or of a direction or other instrument made or issued by the employer, that deals with terms and conditions of employment, or

 

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award; or

 

 

(b) as a result of any occurrence or matter affecting his or her terms and conditions of employment.

 

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

 

  209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

 

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

 

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

 

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

 

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

 

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

 

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

Reference to adjudication

 

  209. (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

 

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

 

(c) in the case of an employee in the core public administration,

 

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

 

 

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

 

(d) in the case of an employee of a separate agency designated under subsection (3), demotion or termination for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

 

Audition du grief

 

  228. (1) L’arbitre de grief donne à chaque partie au grief l’occasion de se faire entendre.

 

 

Décision au sujet du grief

 

  (2) Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée. Il transmet copie de l’ordonnance et, le cas échéant, des motifs de sa décision :

 

 

a) à chaque partie et à son représentant ainsi que, s’il y a lieu, à l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle appartient le fonctionnaire qui a présenté le grief;

 

 

 

b) au directeur général de la Commission.

 

Hearing of grievance

 

  228. (1) If a grievance is referred to adjudication, the adjudicator must give both parties to the grievance an opportunity to be heard.

 

Decision on grievance

 

  (2) After considering the grievance, the adjudicator must render a decision and make the order that he or she considers appropriate in the circumstances. The adjudicator must then

 

(a) send a copy of the order and, if there are written reasons for the decision, a copy of the reasons, to each party, to the representative of each party and to the bargaining agent, if any, for the

 

bargaining unit to which the employee whose grievance it is belongs; and

 

(b) deposit a copy of the order and, if there are written reasons for the decision, a copy of the reasons, with the Executive Director of the Board.

 

Caractère définitif des décisions

 

  233. (1) La décision de l’arbitre de grief est définitive et ne peut être ni contestée ni révisée par voie judiciaire.

 

Interdiction de recours extraordinaires

 

  (2) Il n’est admis aucun recours ni aucune décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action de l’arbitre de grief exercée dans le cadre de la présente partie.

 

Decisions not to be reviewed by court

 

  233. (1) Every decision of an adjudicator is final and may not be questioned or reviewed in any court.

 

No review by certiorari, etc.

 

  (2) No order may be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any of the adjudicator’s proceedings under this Part.

 

 

 

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[21]           L’argumentation du demandeur soulève les questions en litige suivantes :

a.       L’arbitre a-t-elle outrepassé sa compétence en se saisissant du grief portant sur une réprimande écrite?

b.      L’arbitre a-t-elle outrepassé sa compétence en se saisissant du grief portant sur le plan de redressement?

c.       L’arbitre a-t-elle erré en concluant que le défendeur a subi une atteinte à sa santé causée par le stress d’une enquête injustifiée?

d.      L’arbitre a-t-elle erré en ordonnant à l’administrateur général de faire faire, à ses frais, une évaluation monétaire de la perte de perspective d’avancement de carrière du défendeur et de lui rembourser toute perte de salaire et de bénéfices, y compris la pension, qui en a résulté?

e.       L’arbitre a-t-elle erré en droit en ordonnant à l’administrateur général de faire, à ses frais, une évaluation actuarielle de la perte des biens personnels encourue par le défendeur pour payer les honoraires et frais de son procureur et de lui rembourser la valeur actuarielle de cette perte?

f.        L’arbitre a-t-elle erré en ordonnant à l’administrateur général de payer au défendeur la somme de 50 000 $ à titre de dommages punitifs?

 

 

 

[22]           La norme de contrôle applicable à une question de droit ou d’excès de compétence d’un arbitre sous la LRTFP est celle de la décision correcte (Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176 aux para 14-15; Olson c. Procureur général, 2008 CF 209 au para 16). Les questions d’excès de compétence traitent de la compétence « au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 au para 59).

 

[23]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de l’arbitre et aux questions mixtes de fait et de droit est celle de la décision raisonnable (Canada (Procureur général) c. Basra, [2008] A.C.F. no 777, para 11 et suivants et Nitschmann c. Conseil du Trésor, 2008 CF 1194 aux para 8-9). La Cour doit donc décider de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au para 47).

 

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I.  Analyse

     A.  Compétence de l’arbitre à l’encontre du grief portant sur la réprimande écrite

[24]           La preuve révèle qu’en date du 6 juillet 2006, l’employeur a réduit la mesure disciplinaire de 15 jours de suspension sans rémunération à une réprimande écrite, et que cette décision a été confirmée par Mme Gagnon dans une lettre adressée au défendeur en date du 13 juillet 2006. C’est par la suite, le 24 août 2006, que le défendeur a déposé son grief contre cette réprimande écrite.

[25]           L’article 208 de la LRTFP permet à un fonctionnaire s’estimant lésé de présenter un grief à l’égard de toute question portant sur ses conditions de travail.

 

[26]           Je suis d’accord avec le demandeur que tout grief présenté en vertu de l’article 208 de la LRTFP n’est pas nécessairement arbitrable. Le Parlement a précisé à l’article 209 de la LRTFP que seulement les griefs portant sur des matières aux alinéas 209(1)a), b), c) et d) peuvent être renvoyés à l’arbitrage.

 

[27]           Plus spécifiquement, en ce qui a trait aux mesures disciplinaires, le Parlement a décidé que seulement les griefs contestant les mesures disciplinaires les plus sévères peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Selon l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, seul un grief contre une mesure disciplinaire entraînant un licenciement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire peut être renvoyé à l’arbitrage.

 

[28]           Une réprimande écrite, quoiqu’une mesure disciplinaire, n’entraîne pas les conséquences énumérées à l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP et par conséquent, un grief portant sur une réprimande écrite ne peut être renvoyé à l’arbitrage. La Cour fédérale a confirmé cette interprétation dans Canada (Procureur général) c. Lachapelle, [1978] A.C.F. no 145, au paragraphe 11 :

. . . En édictant ce texte, le Parlement entendait manifestement limiter et préciser les cas où un employé, syndiqué ou non, aurait droit de soumettre son grief à ce mode d’arbitrage qu’il établissait d’autorité et dont il confiait la surveillance à cette commission qu’il venait de créer. Il est clair que pour lui tous les cas de griefs n’exigent pas l’intervention d’un arbitre officiel par-delà les paliers de la procédure ordinaire. […] En s’exprimant comme il l’a fait, le Parlement me semble avoir voulu envisager globalement tous les griefs ayant trait à des mesures disciplinaires imposées à des individus pour ne retenir que ceux relatifs à des mesures ayant entraîné le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire.

 

 

 

[29]           Cette interprétation a été également adoptée par la CRTFP dans Lamarre c. Le Conseil du Trésor (Pêches et Océans), [1996] C.R.T.F.P.C. no 20 :

[7]     Or l’article 92 limite de façon précise les griefs qui peuvent faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage. Seule la mesure disciplinaire qui dans l’immédiat a entraîné une suspension, une peine pécuniaire, un licenciement ou une rétrogradation peut être renvoyée à l’arbitrage.

 

[8]     La lettre de réprimande ne constitue pas une sanction qui donne droit au renvoi à l’arbitrage même si de fait il s’agit d’une mesure disciplinaire qui, dans le cadre d’un système de discipline progressive, pourrait un jour justifier l’imposition de sanctions plus sévères.

 

 

 

[30]           Considérant que la lettre de réprimande en question n’a pas eu pour effet d’entraîner le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, et considérant, au contraire, qu’elle a eu l’effet de renverser une sanction pécuniaire résultant de la suspension de 15 jours imposée initialement au défendeur, je suis d’avis que l’arbitre a outrepassé sa compétence, et, par ce fait, a erré en droit, en se saisissant du grief portant sur la réprimande écrite.

 

     B.  Compétence de l’arbitre à l’encontre du grief portant sur le plan de redressement

[31]           À cet égard, le demandeur soutient essentiellement que le plan de redressement remis par Mme Gagnon au défendeur, le 3 octobre 2007, ne constitue pas une mesure disciplinaire et que le plan n’a pas eu pour effet d’entraîner le licenciement, la rétrogradation, la suspension du défendeur ou de lui imposer une sanction pécuniaire. Le demandeur conclut que le plan ne tombe donc pas dans les paramètres édictés à l’article 209 de la LRTFP.

[32]           Pour sa part, le défendeur, dans son grief, allègue que le plan de redressement est directement lié aux conclusions viciées du rapport d’enquête concernant la plainte et en vertu duquel il a déjà reçu une mesure disciplinaire définitive 29 mois plus tôt. Le défendeur y allègue qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée et d’une double pénalité qui a des conséquences pécuniaires.

 

[33]           À ce sujet, il importe de reproduire ici ce qu’a exprimé l’arbitre dans sa décision :

[228]     L’intention bien arrêtée d’affecter le fonctionnaire à d’autres tâches pour une durée indéterminée a été communiquée au fonctionnaire lorsqu’il a été rencontré le 18 mai 2005. Mme Paris et Mme Gagnon lui ont offert une affectation dans le cadre du PRAS pour deux ans et il devait se chercher un nouvel emploi pendant cette période, faute de quoi il serait mis en disponibilité après 18 mois. Ensuite, le fonctionnaire a été menacé d’un décret d’exemption qui l’aurait réaffecté de façon permanente s’il n’acceptait pas une mutation, alors que cette mesure était illégale. Mme Gagnon a réaffecté le fonctionnaire à Dorval sous la menace d’être considéré en congé non autorisé s’il ne se présentait pas à la date indiquée. Mme Gagnon lui a offert les services d’une « coach », mais n’a pas consenti aux dernières recommandations de la « coach ». Mme Gagnon a proposé un plan de redressement, fondé sur des comportements relevés par l’enquête, qui dépendait entièrement de sa bonne volonté. Eu égard à ces circonstances, je suis d’avis que l’assignation à des tâches à Dorval était une mesure disciplinaire.

 

[229]     Même si le fonctionnaire maintenait sa classification, l’aspect punitif de sa réaffectation se dégageait du fait que le fonctionnaire ne supervisait plus d’employés; il n’accomplissait aucune activité de son poste d’attache; il était isolé de son lieu habituel de travail; les tâches qui lui étaient assignées avaient peu de valeur; il était souvent à rien faire; il était relégué à un bureau de subalterne. Le maintien de la classification ne donne pas libre cours à un employeur de réaffecter un fonctionnaire contre son gré à des tâches dévalorisantes. Somme toute, la réaffectation du fonctionnaire à d’autres tâches était une rétrogradation même si son niveau de classification a été maintenu et, par conséquent, elle équivalait à une deuxième mesure disciplinaire déguisée.

 

[230]     Une rétrogradation disciplinaire relève de la compétence d’un arbitre de grief.

 

 

 

[34]           L’appréciation des faits faite par l’arbitre pour conclure à une mesure disciplinaire déguisée m’apparaît tout à fait raisonnable. La simple affirmation par le demandeur, dans son mémoire, que le plan en question « avait pour objectif d’aider le défendeur de réintégrer son poste substantif » ne saurait contredire l’analyse sérieuse et détaillée faite par l’arbitre qui a bien tenu compte de toutes les circonstances mises en preuve.

 

[35]           Vu la raisonnabilité de la conclusion de fait voulant que nous soyons en présence d’une mesure disciplinaire déguisée, le plan tombe dans les paramètres édictés à l’article 209 de la LRTFP et la décision de l’arbitre de se saisir du grief à cet égard est une décision correcte.

 

     C.  Atteinte à la santé du défendeur

[36]           Le demandeur conteste la conclusion de l’arbitre à l’effet que le défendeur a subi une atteinte à sa santé causée par le stress d’une enquête injustifiée. Le demandeur s’en prend particulièrement au texte contenu au paragraphe 337 de la décision de l’arbitre :

     Le fonctionnaire a témoigné que la longueur des procédures et le stress relié à l’enquête a fait en sorte qu’il a fait une dépression majeure au point d’épuiser sa banque de congés de maladie. Sa conjointe l’a quitté en raison du stress familial causé par toute cette affaire. Au moment de l’audience, le fonctionnaire habitait dans une pension. Il est ruiné. Bien qu’une preuve médicale puisse s’avérer utile pour démontrer une atteinte physique ou psychologique, elle n’est pas essentielle pour démontrer le caractère grave et nocif de conduite de l’employeur, ni l’atteinte à la dignité du fonctionnaire. Le fonctionnaire avait droit à un milieu de travail exempt de malice et de mauvaise foi, soit un milieu sain et productif comme l’a préconisé l’employeur.

 

[37]           À ce sujet, la preuve médicale que le demandeur juge insatisfaisante est complétée par le témoignage clair et direct du défendeur à l’effet qu’il souffrait d’une dépression majeure entre mars et septembre 2005, ce dont l’arbitre pouvait, comme elle l’a fait, tenir compte.

 

[38]           Dans la décision récente Attorney General of Canada v. Tipple, 2011 FC 762, mon collègue le juge Russel W. Zinn précise que seule la preuve testimoniale de la victime peut suffire pour conclure que la victime a subi un préjudice moral, telle une détresse. Cette appréciation de la preuve est laissée à l’arbitre. L’absence de preuve médicale ne nie pas le dommage souffert par la victime, en autant que le lien de causalité entre le préjudice moral subi et le comportement fautif reproché est néanmoins démontré.

 

[39]           Dans les circonstances, la conclusion de l’arbitre voulant que le stress de l’enquête injustifiée ait porté atteinte à la santé du défendeur ne me semble pas déraisonnable.

 

[40]           S’agissant ici d’une question mixte de fait et de droit, ce que reconnaît d’ailleurs le demandeur lui-même, l’intervention de la Cour sur cette question n’est pas justifiée.

 

     D.  Remboursement pour la perte de perspective d’avancement de carrière du défendeur

[41]           Il s’agit encore ici, comme le reconnaît toujours le demandeur lui-même, d’une question mixte de fait et de droit qui implique la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

[42]           À ce sujet, le demandeur soumet que le défendeur n’a pas prouvé sur la balance des probabilités avoir subi une perte de perspective d’avancement de carrière. Le demandeur soumet en outre que le défendeur n’a pas prouvé le lien de causalité nécessaire entre l’enquête de harcèlement et les autres circonstances de la présente affaire.

 

[43]           À ce sujet, il importe de reproduire les extraits suivants de la décision de l’arbitre :

[43]     Le 29 août 2005, le fonctionnaire informe Mme Gagnon qu’il est apte à revenir au travail le 6 septembre 2005. Par courriel daté du 31 août 2005, Mme Gagnon lui répond qu’il servira ses 15 jours de suspension du 12 au 30 septembre 2005, et lui ordonne de se présenter aux bureaux de Transports Canada à Dorval le 6 septembre 2005, plutôt qu’à son lieu de travail habituel au centre-ville de Montréal, sous peine d’être considéré en absence non autorisée. Le fonctionnaire doit occuper un poste à la Direction sûreté et préparatifs d’urgence dans la section de l’aviation et du transport maritime et éventuellement le développement du transport ferroviaire des passagers. Le fonctionnaire se présente à Dorval le 6 septembre 2005 tel qu’ordonné. La charge de travail assignée au fonctionnaire est minime, pour ne pas dire inexistante. Il occupe un bureau à aire ouverte, directement en face du déchiqueteur, d’une imprimante et du télécopieur.

 

[51]     Le fonctionnaire rencontre la « coach » le 18 janvier 2007 en vue de s’entendre sur les modalités du coaching. Sa prochaine rencontre avec la « coach » a lieu le 29 mai 2007. Après quelques rencontres, le coaching se termine. Comme partie du coaching, la « coach » recommande que le fonctionnaire ait l’occasion de superviser des employés, ce que refuse Mme Gagnon.

 

[52]     Le 27 août 2007, le fonctionnaire rencontre M. Lapointe, le nouveau directeur général. M. Lapointe lui dit que, puisqu’il a été conclu que le fonctionnaire a commis du harcèlement pendant plusieurs années, il ne sera pas réintégré dans un poste de gestionnaire dans un avenir rapproché et sa gestionnaire le rencontrera prochainement pour lui présenter un plan de redressement.

 

[54]     Le 3 octobre 2007, Mme Gagnon rencontre le fonctionnaire pour lui remettre un document intitulé « Plan d’amélioration en vertu d’une réintégration », accompagné d’une lettre explicative, qui prévoit que le fonctionnaire pourrait éventuellement réintégrer son poste de gestionnaire, à certaines conditions, dont le fait que le fonctionnaire reconnaisse les torts relevés dans le rapport d’enquête. Le 17 octobre 2007, le fonctionnaire refuse le plan de redressement proposé au motif que l’employeur tente par des moyens détournés de l’empêcher d’aller de l’avant avec l’arbitrage de ses griefs. Le 24 octobre 2007, il dépose un quatrième grief individuel (dossier de la CRTFP 566-02-1777) contestant l’imposition d’un plan de redressement et sa réaffectation. Il y réclame aussi des dommages.

 

 

 

[44]           L’appréciation de ces faits, par l’arbitre, n’est pas déraisonnable. La décision de l’arbitre m’apparaît justifiée, transparente et son processus, intelligible (voir Dunsmuir au para 47). Le demandeur cherche simplement à minimiser les effets néfastes de l’enquête en cause sur la carrière et la réputation du défendeur, un gestionnaire pourtant injustement accusé de harcèlement sexuel.

 

[45]           Étant donc d’avis que l’arbitre a eu raison, dans les circonstances, de conclure à une perte de perspective d’avancement de carrière du défendeur, le même arbitre pouvait-elle ordonner comme elle l’a fait l’évaluation monétaire de cette perte par et aux frais de la partie tenue responsable de la perte?

 

[46]           À mon avis, cette façon d’agir est autorisée par le paragraphe 228(2) de la Loi. Ayant raisonnablement conclu que le défendeur avait subi une perte de perspective d’avancement de carrière en raison de la faute de son employeur, il est clair que l’arbitre pouvait ordonner à ce dernier de verser des dommages à l’employé. Le pouvoir d’accorder des mesures réparatrices « qu’il juge indiquées », en vertu du paragraphe 228(2) de la Loi, est très large. En demandant à l’administrateur général de faire, à ses frais, une évaluation monétaire de la perte subie par le défendeur par un spécialiste en ressources humaines m’apparaît non seulement conforme à la Loi, mais aussi fort raisonnable. En laissant l’employeur choisir l’expert, l’arbitre a voulu s’assurer d’une évaluation juste et non excessive.

     E.  Remboursement pour les frais du procureur

[47]           Il s’agit ici d’une question de droit qui requiert l’application de la norme de contrôle de la décision correcte, comme le souligne le juge Zinn dans Tipple, ci-dessus, au paragraphe 35 :

     Notwithstanding that these two considerations point to a reasonableness standard, the final factor in the standard of review analysis, the expertise of the decision maker, points to a correctness standard of review given that, as suggested by Mr. Tipple, the Adjudicator was not relying on his expertise in labour law but rather was applying an appellate-court decision regarding the jurisdiction of human rights tribunals to award costs. Accordingly, I agree with the parties that when one conducts the required standard of review analysis it indicates that correctness is the appropriate standard for dealing with the Board’s jurisdiction to award costs.

 

 

 

[48]           Le demandeur soutient que l’arbitre fait partie d’un tribunal statutaire, tirant ses pouvoirs uniquement de la Loi et que celle-ci ne donne pas à un arbitre de grief le pouvoir d’adjuger des frais juridiques au fonctionnaire lésé qui obtient gain de cause. Le demandeur soumet que l’arbitre a ordonné indirectement à l’administrateur général de rembourser au défendeur les frais de son procureur. À cet égard, le demandeur invoque l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, [2010] 4 R.C.F. 579, où la Cour d’appel fédérale a considéré qu’« [a]ucun tribunal, ni organisme constitué en vertu d’une loi n’a compétence inhérente pour accorder des dépens […], la Commission se voit conférer le pouvoir d’accorder des dépens seulement s’il y a dans le Code ou dans toute autre loi une disposition le prévoyant expressément » (para 80). La juge Layden-Stevenson au paragraphe 91 précise qu’il est « bien établi en droit que ce pouvoir doit être expressément prévu » et que la question d’une telle compétence implicite serait peu commune. Elle mentionne aussi au paragraphe 93 qu’un tel pouvoir implicite « ne peut être inféré que dans le cas où « ce pouvoir était vraiment nécessaire à l’application du texte de loi concerné; la cohérence, ainsi que le caractère logique et souhaitable ne suffisent pas » ». (Il importe de noter que cette décision a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada qui n’a pas encore rendu de décision.)

 

[49]           Tipple, ci-dessus, à son paragraphe 91, note également que les décisions d’autres tribunaux quant à leur pouvoir d’accorder des frais ne sont pas pertinentes dans le cas de la CRTFP, car ce pouvoir est dérivé exclusivement de la loi créatrice de chaque tribunal. Tipple précise en outre que bien que l’arbitre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en formulant ses ordonnances selon l’article 228 de la Loi, celui-ci n’a aucun pouvoir selon la Loi d’accorder des frais (au paragraphe 94). Finalement, le juge Zinn ajoute, au paragraphe 99, qu’un arbitre de la CRTFP ne peut pas condamner une partie à payer les frais ni ordonner le paiement d’un montant équivalent à ces frais et honoraires.

 

[50]           En l’espèce, les extraits suivants de la décision de l’arbitre démontrent clairement qu’elle a erré en droit en tentant de faire indirectement ce qu’elle ne pouvait faire directement, à savoir adjuger des frais juridiques au défendeur :

[336]     En tant que personne exclue de l’unité de négociation, le fonctionnaire a encouru des frais pour se défendre. J’ai été persuadée que la complexité de cette affaire justifiait que le fonctionnaire obtienne des conseils professionnels et se fasse représenter par un avocat. Le manque de célérité de l’employeur à traiter la plainte et les conséquences de l’enquête sont des facteurs que je juge aggravants. Pour soutenir les honoraires et frais de son avocat, le fonctionnaire a vendu sa maison à perte, sa moto et une deuxième voiture. Il a aussi encaissé ses REER. J’estime que les manquements de l’employeur justifient que le fonctionnaire soit indemnisé pour ces pertes. Dans la présente affaire, l’employeur a contribué largement à la longueur des procédures, que ce soit dans le traitement de la plainte ou l’enquête, de la procédure de grief et de l’arbitrage.

 

[353]     En ce qui concerne la perte de biens personnels encourue par le fonctionnaire afin de payer les honoraires et frais de son procureur, j’ordonne que soit faite une évaluation actuarielle, aux frais de l’administrateur général, de la perte encourue, et j’ordonne à l’administrateur général de rembourser au fonctionnaire la valeur actuarielle de cette perte.

                                                            [C’est moi qui souligne.]

 

 

 

     F.  Dommages punitifs

[51]           Il n’est pas contesté par les parties que l’arbitre a le pouvoir, en vertu de l’article 228 de la Loi, d’ordonner le paiement de dommages punitifs. La question est celle de savoir si l’arbitre, en l’espèce, a eu raison d’en accorder.

 

[52]           D’une part, le demandeur reprend la jurisprudence citée par l’arbitre voulant que ce ne soit que lorsque l’acte reproché constitue en lui-même une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action que des dommages punitifs peuvent être accordés (voir Honda Canada Inc. c. Keays, [2008] 2 R.C.S. 362 aux para 62 et 68). Le demandeur soutient particulièrement que dans l’affaire Le Procureur général du Canada c. Bédirian, 2007 CAF 221, au paragraphe 24, il est indiqué qu’une obligation de bonne foi et de traitement équitable ne constitue pas une faute distincte donnant ouverture à des dommages punitifs. Toutefois, à mon avis, la Cour d’appel fédérale ne va pas jusqu’à dire que la mauvaise foi de la part d’un employeur ne peut jamais constituer une faute civile distincte. À mon sens, il est plus juste de dire que l’arrêt enseigne que la preuve de la mauvaise foi ne constitue pas nécessairement une faute distincte donnant ouverture à des dommages punitifs.

 

[53]           Dans le présent cas, l’arbitre a bien apprécié les principes applicables en la matière :

[344]     La notion de dommages punitifs est bien encadrée par la common law. Les comportements doivent être durs, vengeurs, répréhensibles et malicieux. Il n’existe toutefois aucun critère précis pour déterminer ce qui constitue de la malice. Toutefois, dans Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39 ¶62, la Cour suprême du Canada a déclaré que des dommages peuvent être accordés uniquement lorsque « l’acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu’il justifie une sanction indépendante ». Ainsi, les dommages punitifs sont accordés dans le cas d’une faute donnant elle-même ouverture à un droit d’action. Dans Keays, la Cour suprême du Canada a fait deux mises-en-garde, soit que le pouvoir discrétionnaire devait s’exercer avec une grande prudence et de façon exceptionnelle. Je suis aussi consciente du fait que la Cour d’appel fédérale, dans Canada (Procureur général) c. Bédirian, 2007 CAF 221, a refusé d’accorder de tels dommages.

 

 

Puis l’arbitre a effectivement jugé être en présence de la faute distincte requise pour octroyer, comme elle l’a fait, des dommages punitifs au défendeur :

[346]     Après avoir pris connaissance de la jurisprudence qui m’a été soumise, et en particulier l’affaire Bédirian, je suis d’avis que les faits de la présente affaire démontrent que les représentants de l’employeur ont agi délibérément et avec malice à l’égard du fonctionnaire en procédant comme suit :

 

-         en faisant mener une enquête sans vérification des faits et sans expliquer au fonctionnaire pourquoi l’enquête portait sur des incidents : a) qui ne faisaient pas partie de la plainte originale (16 incidents alors que la plainte en comptait 5); b) exclus de la définition de sa politique (comme l’abus de pouvoir); c) prescrits par sa politique (c’est-à-dire qui ont eu lieu plus d’un an avant le dépôt de la plainte); d) clairement exclus du pouvoir d’enquête (l’agression sexuelle); et e) qui se sont produits avant que la politique n’entre en vigueur (les incidents qui précèdent le 1er juin 2001);

-         en ne communiquant au fonctionnaire les éléments essentiels à la plainte que quelques jours avant la tenue de l’enquête et en ne lui communiquant ni la plainte de Mme Belliveau ni le document chronologique des événements préparé par Mme Deslauriers au soutien de ses allégations;

-         en favorisant Mme Deslauriers, soit : en rencontrant le délégué syndical de celle-ci avant qu’elle dépose une plainte formelle; en rencontrant Mme Deslauriers et son délégué syndical en septembre 2004 en vue d’accepter de faire enquête sur des allégations d’agression sexuelle; en rencontrant Mme Deslauriers à trois reprises pour l’aider à formuler une plainte conforme aux attentes des enquêteurs; en demandant aux enquêteurs de rencontrer Mme Belliveau au motif que sa déclaration pourrait soutenir les allégations de Mme Deslauriers, alors que l’employeur avait rejeté la plainte de Mme Belliveau;

-         en décidant de mener une enquête concernant l’ensemble du « climat organisationnel » de la section gérée par le fonctionnaire, sans le lui communiquer et sans lui permettre de s’expliquer;

-         en jugeant le fonctionnaire coupable d’actes de harcèlement sans évaluer pleinement le dossier;

-         en tentant de persuader le fonctionnaire d’accepter une rétrogradation en le menaçant avec un décret d’exemption que l’employeur savait être illégal, puis, lorsque le fonctionnaire a refusé d’être intimidé, en le relevant de ses fonctions de gestionnaire et en l’affectant à des tâches dévalorisantes;

-         en continuant de maintenir dans le dossier personnel du fonctionnaire une mesure disciplinaire devenue désuète, et de s’en servir pour imposer au fonctionnaire un « plan de redressement » dont le succès dépendait entièrement de la bonne volonté de Mme Gagnon, le tout sans expliquer au fonctionnaire les lacunes qui lui étaient reprochées;

-         en réaffectant le fonctionnaire à un lieu de travail à plus de deux heures de route de son domicile tous les jours, avec la menace d’une mesure disciplinaire s’il ne se présentait pas au travail, et ce, sans le consulter ou tenter d’atténuer les effets sur sa vie personnelle;

-         en tentant de soustraire le fonctionnaire de son droit à l’arbitrage par le renversement d’une suspension de 15 jours en une lettre de réprimande.

 

J’estime que tous ces gestes étaient destinés à nuire au fonctionnaire et n’étaient pas la simple conséquence de l’enquête ou de la discipline et qu’ils constituent un comportement malveillant en soi. L’employeur ne m’a fourni aucune explication raisonnable pour avoir procédé de la sorte. Les mesures disciplinaires injustifiées, dont la réaffectation à des fonctions ne comportant pas de gestion, ont nui indûment à l’avancement du fonctionnaire qui, jusqu’au moment du dépôt de la plainte, avait des évaluations de rendement supérieures, était apprécié de ses supérieurs et avait un dossier disciplinaire vierge. Je suis donc d’avis qu’en raison de ces circonstances, le fonctionnaire a droit à des mesures réparatrices monétaires visant à l’indemniser pleinement pour toutes ses pertes dues à ce que je qualifie être la malice de l’employeur.

 

[. . .]

 

[354]     En ce qui concerne les actes fautifs de l’administrateur général, soit avoir eu un comportement malveillant, répréhensible et malicieux à l’endroit du fonctionnaire, j’ordonne à l’administrateur général de payer au fonctionnaire la somme de 50 000 $ à titre de dommages punitifs.

 

 

 

[54]           Il ne m’a pas été démontré que l’appréciation des faits qu’impliquent les extraits ci-dessus de la décision de l’arbitre est déraisonnable. À cet égard, la décision est supportée par d’importants éléments de preuve au dossier, notamment les témoignages de Mmes Brouillette, Pageot, Paris et Gagnon et celui du défendeur, témoignages qui ont amené l’arbitre à s’exprimer ainsi :

[339]     L’audience de la présente affaire m’a persuadée que Mmes Brouillette, Pageot, Paris et Gagnon n’ont pas agi par omission ou par ignorance, que ce soit au niveau de l’enquête ou des sanctions imposées au fonctionnaire. Toutes quatre ont témoigné avoir reçu des conseils spécialisés avant de prendre leurs décisions, voire même les conseils du MDN. Les manquements relevés dans cette décision sont inexcusables. Le fonctionnaire a été démoli sur le plan personnel et professionnel en raison de leurs agissements.

 

[340]     Somme toute, l’employeur a manqué à son devoir de diligence, de prudence et d’impartialité. L’acharnement avec lequel il s’est livré pour faire craquer le fonctionnaire et provoquer son départ est injustifiable. Que ces gestes aient été posés par des hauts gestionnaires de l’employeur est un élément particulièrement aggravant. Le caractère abusif des mesures prises par l’employeur et le manque d’impartialité dans le cadre de l’enquête sont condamnables et indignes des responsabilités qui sont accordées à la haute gestion.

 

 

L’arbitre a de plus relevé plusieurs contradictions et incohérences dans le témoignage de la plaignante Mme Deslauriers, ce qui n’est pas contesté.

[55]           Dans les circonstances, il serait tout à fait inapproprié pour cette Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle faite par un arbitre spécialisé qui doit bénéficier d’une grande déférence, compte tenu notamment des dispositions du paragraphe 233(1) de la Loi.

 

[56]           À la lumière de ces faits, dont l’appréciation m’apparaît en fin de compte raisonnable, je suis d’avis que l’arbitre a correctement conclu à l’existence d’une faute distincte, à savoir « la malice de l’employeur », faute qui a causé au défendeur des dommages que l’arbitre a estimé avoir été établis, le tout en conformité de la jurisprudence applicable ci-dessus citée.

 

* * * * * * * *

 

[57]           Pour toutes ces raisons, la décision de l’arbitre étant en majeure partie bien fondée, il n’est pas indiqué de faire reconsidérer l’affaire dans sa totalité. Il y a plutôt lieu d’accorder la demande de contrôle judiciaire et de retourner l’affaire au même arbitre pour qu’elle révise et modifie sa décision, en se basant strictement sur la même preuve que celle déjà faite devant elle, de façon à simplement la faire accorder avec les présents motifs. Plus spécifiquement, l’affaire est retournée au même arbitre aux fins suivantes :

(1)        pour qu’elle reconnaisse ne pas avoir la compétence pour se saisir du grief du défendeur portant sur la réprimande écrite et pour évaluer l’impact, s’il y a lieu, de cette reconnaissance sur le reste de sa décision; et

(2)        pour qu’elle n’accorde pas au défendeur, directement ou indirectement, une compensation pour ses honoraires d’avocat et ses frais judiciaires.

 

[58]           Vu le succès partagé, il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

 


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est accordée. L’affaire est retournée au même arbitre pour qu’elle révise et modifie sa décision, en se basant strictement sur la même preuve que celle déjà faite devant elle, de façon à simplement la faire accorder avec les motifs émis ce jour au soutien du présent jugement. Plus spécifiquement, l’affaire est retournée au même arbitre aux fins suivantes :

(1)        pour qu’elle reconnaisse ne pas avoir la compétence pour se saisir du grief du défendeur portant sur la réprimande écrite et pour évaluer l’impact, s’il y a lieu, de cette reconnaissance sur le reste de sa décision; et

(2)        pour qu’elle n’accorde pas au défendeur, directement ou indirectement, une compensation pour ses honoraires d’avocat et ses frais judiciaires.

 

            Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-962-10

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. RAYMOND ROBITAILLE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Adrian Bieniasiewicz                      POUR LE DEMANDEUR

 

Me .Maryse Lepage                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan                                    POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Bastien, Moreau, Lepage                      POUR LE DÉFENDEUR

Gatineau (Québec)

 

 

 

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