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Date : 20110909

Dossier : IMM‑6777‑10

Référence : 2011 CF 1064

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

OMAR HASSAN KAHIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Omar Hassan Kahin visant la décision par laquelle une agente d’immigration a refusé sa demande de visa de résident permanent en raison de son défaut de documenter de façon suffisante les détails de sa vie depuis son arrivée au Canada en 1993.

 

[2]               M. Kahin est somalien et a obtenu l’asile au Canada en 1993. Le défendeur a approuvé de façon provisoire sa demande de résidence permanente en novembre de la même année.

 

[3]               Pour des raisons dont l’explication complète ne figure pas au dossier qui a été soumis à la Cour, le défendeur n’a pas traité ou mené à terme l’étude de la demande de résidence permanente de M. Kahin et des parties du dossier ont été archivées ou détruites.

 

[4]               En juillet 2006, le procureur de M. Kahin a écrit au défendeur afin de vérifier l’état de sa demande. Le défendeur a alors invité M. Kahin à soumettre une nouvelle demande, ce qu’il a fait en septembre 2006. Le défendeur a par la suite retrouvé la demande initiale de M. Kahin.

 

[5]               Pendant le traitement de la nouvelle demande de M. Kahin, le défendeur a soulevé de nombreuses questions concernant les allées et venues de M. Kahin et ses activités au cours des 13 dernières années.

 

[6]               Dans sa demande de 2006, M. Kahin a déclaré qu’il avait travaillé dans un « magasin de chasse » à Edmonton, en Alberta, en 2006, qu’il avait été employé comme gardien de sécurité chez Vanguard Security à Vancouver, en Colombie‑Britannique, de 2001 à 2003, ainsi que comme gardien de sécurité chez Avalon Security à Surrez, en Colombie‑Britannique, de 1994 à 1998. Il a également informé le défendeur qu’il avait travaillé la majeure partie du temps « au noir », sans numéro d’assurance sociale.

 

[7]               L’agente d’immigration a demandé des renseignements additionnels concernant les antécédents d’emploi de M. Kahin au cours des dix années précédentes, y compris les noms de ses employeurs, leurs adresses et la nature de son travail. M. Kahin a répondu en déclarant son emploi auprès de la société Avalon Security à Surrez, de 1994 à 1998, et son emploi actuel chez Ipex, à Edmonton.

 

[8]               L’agente d’immigration a de nouveau écrit à M. Kahin afin de lui demander d’obtenir des lettres de confirmation d’emploi des trois employeurs dont il était fait mention dans sa déclaration, c’est‑à‑dire Ipex, Vanguard Security et le magasin de chasse. M Kahin a répondu de façon vague en déclarant qu’Ipex avait refusé sa demande de lettre et qu’il n’avait retrouvé ni Vanguard Security ni le magasin de chasse.

 

[9]               Il ressort du rapport de l’agente d’immigration qui se trouve au dossier qu’elle a en toute légitimité pris l’initiative de vérifier certains détails des antécédents d’emploi de M. Kahin. Elle a communiqué avec la directrice de bureau de Vanguard Security Ltd. qui l’a informée que l’entreprise ne possédait aucun dossier du personnel se rapportant à M. Kahin. La directrice de bureau lui a également confirmé que Vanguard Security Ltd. exigeait de ses gardiens de sécurité qu’ils possèdent un permis délivré par les autorités de la province. L’agente d’immigration a ensuite communiqué avec le ministre de la Sécurité publique à Victoria et elle a appris que M. Kahin avait été titulaire d’un permis lui permettant de travailler comme gardien de sécurité en Colombie‑Britannique seulement pendant quelques mois en 1994. L’agente d’immigration a également effectué une recherche sur Internet concernant Avalon Security (aussi connue comme Avlon) et recensé une seule société au Minnesota. En appelant à la société, elle a appris que cette dernière n’avait jamais exercé ses activités à l’extérieur du Minnesota. Il est admis qu’avant de rejeter la demande de visa permanent l’agente d’immigration n’a pas divulgué à M. Kahin et à son procureur les renseignements qu’elle a elle‑même obtenus.

 

[10]           Voici comment l’agente d’immigration résume ses préoccupations dans la décision contestée :

[traduction]

Ayant soigneusement examiné votre dossier, je ne suis pas convaincue que les renseignements que vous avez fournis concernant vos antécédents personnels, y compris vos lieux de résidence et vos activités sont factuellement exacts et complets. Par conséquent, votre demande est rejetée.

 

Je dois donc clore l’examen de votre demande de résidence permanente à titre de personne protégée. Si vous souhaitez soumettre une nouvelle demande de résidence permanente, vous devrez vous fondez sur des motifs d’ordre humanitaire, et cette demande devra elle aussi être accompagnée des frais de traitement applicables.

 

La présente décision n’a pas d’incidence sur votre statut de personne protégée au Canada.

 

 

[11]           La question déterminante dans le cadre de la présente demande concerne l’obligation d’équité qui, bien entendu, doit faire l’objet d’un examen selon la norme de la décision correcte. Plus particulièrement, la question en l’espèce est de savoir si l’agente d’immigration avait l’obligation de divulguer à M. Kahin les renseignements qu’elle a obtenus de tierces parties et de lui donner la possibilité de répondre.

 

[12]           La procureure du défendeur fait valoir de façon convaincante que M. Kahin savait que les renseignements qu’il fournissait étaient susceptibles de faire l’objet d’une vérification et que M. Kahin était en mesure de comprendre la nature des préoccupations de l’agente d’immigration. En résumé, elle soutient que M. Kahin aurait dû faire les mêmes démarches et produire toutes les preuves dont il disposait en vue de confirmer ses antécédents d’emploi. Étant donné qu’il n’a pas fait la preuve de ses allégués, il ne peut se plaindre des conséquences que l’enquête menée par l’agente d’immigration a eues sur sa crédibilité.

 

[13]           Le défendeur s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 au par. 26, 147 F.T.R. 307 [Mancia], qui établit que les documents provenant de sources publiques ou généralement accessibles au public qu’un décideur peut obtenir avant que le demandeur dépose ses observations n’ont généralement pas à être divulgués.

 

[14]           La position du défendeur pose problème selon moi parce que, par leur nature, les renseignements obtenus par l’agente d’immigration ne répondent pas aux critères énoncés dans Mancia. La majorité des renseignements qu’elle a obtenus provient de conversations privées avec des tierces parties, dont M. Kahin ne pouvait être au courant. Si M. Kahin en avait été informé, il aurait peut‑être souhaité fournir des précisions ou les démentir. À titre d’exemple, les motifs de l’agente d’immigration n’indiquent pas si elle a demandé à sa source chez Vanguard Security quelles sont les pratiques de la société en matière de conservation des dossiers et, plus particulièrement, si les dossiers du personnel pour les années 2001 à 2003 étaient encore disponibles.

 

[15]           À la lecture des motifs de l’agente d’immigration, il est impossible de savoir avec précision quel poids elle a accordé aux renseignements obtenus d’Avalon Security. Toutefois, si des doutes subsistaient dans son esprit en raison du fait qu’elle n’avait pas été en mesure de localiser cette société en Colombie‑Britannique, elle aurait dû se tourner vers M. Kahin afin d’obtenir une explication.

 

[16]           Cette forme de preuve est directement visée par la définition de preuve extrinsèque, une forme de preuve qui doit être divulguée à la partie intéressée avant d’être prise en compte. Ayant procédé à ses propres vérifications, de façon privée, l’agente d’immigration avait l’obligation de divulguer le résultat de ses démarches et de donner la possibilité à M. Kahin de répondre. Une telle divulgation est cohérente avec l’affaire Zamora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.F. 1414, aux par. 17 et 18, 260 F.T.R. 155, dans laquelle le juge Sean Harrington a fait ressortir l’importance de divulguer les résultats de recherches faites de manière indépendante (s’agissant notamment de certains types de documents trouvés sur Internet), en particulier si les renseignements ainsi obtenus sont susceptibles d’être contestés pour cause d’invalidité ou en raison de leur manque d’exhaustivité : voir également Mancia, aux par. 10 à 23. Bien que je sois d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel M. Kahin aurait raisonnablement pu prévoir que l’agente d’immigration chercherait à vérifier ses déclarations, il ne pouvait pas prévoir les résultats d’une telle démarche. Les renseignements obtenus pouvaient très bien être faux, incomplets ou nécessiter une explication de la part de M. Kahin. D’ailleurs, il importe peu que les renseignements soient complets ou exacts. Dans D.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 C.F. 845, [2011] A.C.F. no 1046 (QL) (C.F. 1re inst.), le juge François Lemieux décrit les préoccupations pertinentes, au par. 30 :

L’agente a peut-être eu raison de conclure que les éléments de preuve produits après l’audience n’avaient aucune valeur et étaient peut‑être frauduleux, mais là n’est pas la question. Ce qui est important, c’est que la demanderesse et son conseil n’ont pas eu la possibilité de faire des commentaires sur la preuve que l’agente a ellemême obtenue et sur laquelle elle s’est appuyée pour rendre sa décision.

 

 

L’obligation d’équité commandait que M. Kahin soit informé des conclusions de l’agente d’immigration, et qu’il lui soit donné la possibilité de répondre. Cette possibilité ne lui a pas été accordée, et la décision doit en conséquence être annulée.

 

[17]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 

[18]           L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6777‑10

 

INTITULÉ :                                                   KAHIN c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT                           LE JUGE BARNES

ET JUGEMENT :

 

DATE :                                                           Le 9 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Prathima Prashad

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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