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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110624

Dossier : T-1295-10

Dossier : T-1315-10

Référence : 2011 CF 762

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

DOUGLAS TIPPLE

 

 

 

 

défendeur

 

ET ENTRE :

 

 

DOUGLAS TIPPLE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit de deux demandes de contrôle judiciaire distinctes, qui portent toutes deux sur la même décision du membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), D.R. Quigley (l’arbitre de grief), qui était chargé d’instruire et de trancher le grief de M. Douglas Tipple relativement à son licenciement par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC). La demande dans le dossier T-1295-10, déposée par le procureur général du Canada, et la demande dans le dossier T-1315-10, déposée par M. Tipple, n’ont pas été réunies conformément à l’article 105 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106); toutefois, comme elles contestent différents aspects de la même décision, elles ont été instruites conjointement. En conséquence, les présents motifs traiteront des deux demandes et une copie sera versée dans chacun des dossiers de la Cour.

 

[2]               Les deux parties soutiennent que l’arbitre de grief a commis des erreurs ou est arrivé à des conclusions déraisonnables en ce qui concerne les réparations qu’il a ou n’a pas accordées dans sa décision en conséquence de sa principale conclusion, à savoir que M. Tipple a été licencié contrairement à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la LRTFP). Bien que la conclusion principale ne soit pas remise en question, l’analyse des questions en litige nécessite une compréhension des faits qui sous-tendent la conclusion principale selon laquelle le licenciement contrevenait à la LRTFP.

 

Contexte

[3]               M. Tipple est un cadre spécialisé en biens immobiliers. En 2004, TPSGC a adopté un nouveau plan stratégique appelé « Les prochaines étapes » qui a été mis en œuvre afin de réduire les dépenses relatives aux locaux occupés par la fonction publique fédérale. Le sous-ministre de TPSGC à l’époque, M. I. David Marshall, a décidé de recruter des cadres du secteur privé comme « conseillers spéciaux » afin d’atteindre cet objectif. TPSGC a embauché M. Tipple à titre de responsable des biens immobiliers. M. David Rotor a aussi été embauché, à titre de responsable des approvisionnements. M. Tipple a signé un contrat de trois ans (couvrant la période allant du 11 octobre 2005 au 6 octobre 2008), qui prévoyait un salaire annuel de 360 000 $ ainsi qu’un boni de rendement de 15 p. cent si certains objectifs de rendement étaient atteints. Sa lettre d’offre indiquait également ce qui suit : [traduction] « Vos services pourraient être requis pour une période plus courte selon la disponibilité du travail et le maintien des fonctions à accomplir […] ».

 

[4]               M. Tipple a commencé à exercer ses nouvelles fonctions en octobre 2005 et a finalement déménagé avec sa famille, quittant Toronto pour s’installer à Ottawa. La première année, il a atteint les objectifs fixés par TPSGC et le ministère a réalisé des économies de 150 millions de dollars.

 

[5]               Pendant la durée de son emploi à TPSGC, M. Tipple a plaidé en faveur de la transformation du ministère en une société d’État. Toutefois , le gouvernement n’avait toutefois pas l’intention de transformer TPSGC en une société d’État ou de recourir à l’externalisation. De plus, des employés de TPSGC étaient en train de préparer une campagne pour contester une telle impartition. D’avril à juin 2006, le sous-ministre Marshall a eu de nombreuses discussions avec Mme Yvette D. Aloïse, sous-ministre adjointe par intérim, qui estimait que le rôle de M. Tipple comme conseiller spécial « ne fonctionnait pas ».

 

[6]               Néanmoins, en juin 2006, M. Tipple a eu un examen de rendement pour lequel il a reçu la cote maximale (« a excédé les attentes), et on lui a versé le boni négocié de 15 p. cent. Les observations jointes à l’examen étaient hautement élogieuses. En outre, M. Marshall a approuvé le paiement des frais de l’adhésion prochaine de M. Tipple au National Club de Toronto en juin 2006.

 

[7]               Puis, du 25 au 30 juin 2006, MM. Tipple et Rotor se sont rendus au Royaume-Uni afin de rencontrer des fonctionnaires pour discuter de l’approche de ce pays en ce qui concerne la transformation opérationnelle. M. Tipple était accompagné de son épouse et a profité de son voyage d’affaires pour prendre quelques jours de vacances additionnels, et ce, à ses propres frais et avec l’approbation de M. Marshall.

 

[8]               TPSGC a planifié les préparatifs du voyage et a organisé les réunions avec des fonctionnaires britanniques. Catherine Dickson, employée du Haut-commissariat du Canada au Royaume-Uni, était chargée de l’organisation des réunions. Il a été difficile de planifier l’horaire de M. Tipple en raison, semble-t-il, d’une mauvaise communication entre TPSGC et le Haut-commissariat du Canada. Au cours de son séjour au Royaume-Uni, M. Tipple a été invité à assister à des réunions au sujet des approvisionnements, mais, puisque cette responsabilité relevait de M. Rotor, il a décidé de n’assister qu’aux réunions relatives à son champ de compétence, c’est-à-dire les biens immobiliers.

 

[9]               On a insinué, après ce voyage, que M. Tipple avait raté des réunions. M. Tipple a quant à lui déclaré que le voyage avait été une réussite et qu’il avait assisté à toutes les réunions relatives aux biens immobiliers, et que les réunions portant sur les approvisionnements auxquelles il n’avait pas assisté ne constituaient ni l’objet de son voyage ni celui de son mandat. Malgré l’opinion de M. Tipple voulant qu’il n’ait pas manqué de réunions, le gouvernement du Canada a envoyé des lettres d’excuses au gouvernement du Royaume-Uni le 12 juillet 2006. Les lettres semblaient indiquer que MM. Tipple et Rotor étaient responsables de leurs absences. Par exemple, une lettre envoyée par le haut-commissaire par intérim du Canada au Royaume-Uni indiquait ce qui suit : « […] je tiens à m’excuser très sincèrement du comportement de MM. David Rotor et Douglas Tipple […] » La sous-ministre adjointe par intérim, Yvette D. Aloïse, a également envoyé des lettres d’excuses au nom de M. Marshall.

 

[10]           Le 12 juillet 2006, MM. Marshall et Tipple se sont réunis pour discuter du voyage; toutefois, M. Tipple ne savait pas alors que des lettres d’excuses avaient été envoyées. Il n’a été informé de l’existence de ces lettres que le 9 août 2006. Le même jour, il a appris que le rapport de voyage qu’il avait produit avait été divulgué à M. Daniel Leblanc, journaliste du Globe and Mail. M. Leblanc a fait des allégations voulant que des parties du rapport aient été plagiées; or, elles ne l’avaient pas été. La version du rapport dont M. Leblanc a obtenu copie était préliminaire et n’incluait pas les références contenues dans le rapport final de M. Tipple. Les lettres d’excuses et un certain nombre de courriels ont également été communiqués clandestinement au Globe and Mail.

 

[11]           Du 15 au 18 août 2006, le Globe and Mail a publié une série d’articles qui laissaient entendre que MM. Tipple et Rotor [traduction] « avaient annulé une série de réunions » et formulé des allégations de plagiat et de comportement contraire à l’éthique. M. Tipple a estimé que les articles contenaient [traduction] « un certain nombre d’affirmations et d’imputations mensongères, désobligeantes et diffamatoires » qui ont été source de troubles émotionnels et ont nui considérablement à son bien-être personnel et à sa réputation.

 

[12]           Tout au long de la tempête médiatique qui a suivi, M. Tipple a demandé à maintes reprises à TPSGC de le défendre contre les allégations dans les médias et de lui permettre de répondre en personne aux médias. M. Tipple a insisté sur le fait qu’il n’avait pas manqué de réunions, mais des représentants de TPSGC ont dit aux médias que ces réunions avaient été « annulées en raison de problèmes logistiques ». TPSGC n’a pas permis à M. Tipple de parler aux médias et l’a assuré qu’un plan de communication serait élaboré. M. Tipple souhaitait que TPSGC adopte une approche plus proactive et a exprimé à plusieurs reprises son mécontentement à l’égard des actions du ministère par rapport aux médias. M. Tipple prétend que TPSGC n’a jamais mis en place un plan de communication, mais a plutôt sacrifié sa réputation dans le seul but de « limiter les dégâts ».

 

[13]           En réponse à l’attention médiatique, TPSGC a lancé une enquête interne sur le voyage au Royaume-Uni. L’enquête (le rapport Minto) a disculpé M. Tipple. Le rapport Minto a notamment conclu que, malgré la confusion administrative, [traduction] « … les deux conseillers semblent avoir eu un emploi du temps responsable et productif… [et] toutes les dépenses réclamées et autorisées seront raisonnables et approuvées conformément aux règles réglementaires ». Le rapport n’a pas été rendu public.

 

[14]           Le vendredi 25 août 2006, M. Marshall s’est entretenu avec le ministre de TPSGC. Ils ont discuté du travail de M. Tipple et de la question à savoir si l’embauche de cadres du secteur privé était efficace. M. Marshall a réfléchi à leur conversation au cours du week-end et, le lundi 28 août 2006, a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Tipple pour les raisons suivantes : M. Tipple avait réalisé ses principaux engagements; l’initiative Les prochaines étapes était en avance sur la planification; TPSGC ne pouvait pas absorber d’autres changements; il n’y avait pas d’autres initiatives d’importance pour M. Tipple; M. Tim McGrath, sous‑ministre adjoint par intérim pour les biens immobiliers de TPSGC, connaissait suffisamment l’initiative Les prochaines étapes pour prendre en charge le reste des travaux.

 

[15]           À l’audience devant la CRTFP, M. Marshall a déclaré qu’aucune intégration ni analyse de la structure organisationnelle n’avait été réalisée avant le licenciement de M. Tipple. M. Tipple a témoigné qu’avant son congédiement, on ne lui avait jamais dit que son rendement était insatisfaisant, ni que l’initiative Les prochaines étapes avait atteint son point de saturation, ni qu’il y avait possibilité qu’il soit mis en disponibilité.

 

[16]           Le 31 août 2006, M. Marshall a congédié M. Tipple. M. Rotor a aussi été remercié ce jour-là. On a versé à M. Tipple une indemnité égale à un mois de salaire. La seule raison qu’on lui a donnée pour expliquer cette cessation d’emploi était que M. Marshall avait accepté une recommandation de son personnel de transférer et fusionner les responsabilités des conseillers spéciaux à celles de leur sous-ministre adjoint respectif. M. Tipple a déclaré que son licenciement était très inhabituel, étant donné qu’il n’y avait pas eu de plan de transition pour le transfert de ses responsabilités à M. McGrath, d’analyse du plan de travail, de compte rendu donné à son personnel et qu’on lui avait demandé de quitter les lieux immédiatement. M. Tipple a également déclaré qu’on l’avait embauché afin d’achever la mise en œuvre et la planification de l’initiative Les prochaines étapes, et que la phase de mise en œuvre n’était pas encore complétée. M. Tipple a ajouté qu’il avait été embauché en tant qu’« idéateur » et non seulement pour la planification et la mise en œuvre. Sinon, il n’aurait pas déménagé avec sa famille à Ottawa.

 

[17]           Le lendemain, le Globe and Mail rapportait le congédiement de M. Tipple et laissait entendre que sa conduite lors du voyage au Royaume-Uni en était la cause.

 

[18]           M. Tipple a déposé, devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, des déclarations afin d’intenter des actions contre TPSGC et le Globe and Mail. L’action en congédiement injustifié contre TPSGC a été suspendue; celle en diffamation contre le Globe and Mail se poursuit. Il a également déposé un grief auprès de TPSGC concernant son licenciement, qu’il a ensuite renvoyé à l’arbitrage de grief conformément à la LRTFP. L’arbitre de grief a fait droit en partie au grief de M. Tipple. C’est cette décision qui fait l’objet des présentes demandes de contrôle judiciaire.

 

[19]           M. Tipple n’a pas réussi à obtenir un emploi permanent après son licenciement. En 2007, il n’a eu aucun revenu et, en 2008, il n’a gagné que 38 172 $. Or, ce n’était pas en raison d’un manque d’effort de sa part. En vue d’obtenir du travail, il a contacté quinze recruteurs de cadres et 37 sociétés d’experts-conseils. Les recruteurs lui ont dit que tant qu’il n’aurait pas obtenu réparation, il était [traduction] « pour ainsi dire persona non grata » et que lorsqu’on cherchait son nom dans Internet, on obtenait comme résultats des articles de journaux comportant des remarques désobligeantes et dommageables qui remettaient en question son intégrité. M. Tipple a essayé d’obtenir un poste dans une entreprise privée pour laquelle il aurait eu comme fonction de vendre des biens immobiliers au gouvernement du Canada. Toutefois, TPSGC a refusé de lui permettre d’occuper ce poste en raison d’une clause contractuelle qui prévoyait une période d’attente de douze mois avant que M. Tipple puisse accepter un tel emploi dans le secteur privé.

 

[20]           M. Tipple a déclaré qu’à cause de son licenciement, [traduction] « il a subi des épisodes de manque d’estime de soi, de perte de confiance, de stress et d’angoisse, et s’est senti trahi, humilié et blessé ». Il a ajouté ceci : [traduction] « cette épreuve s’est révélée très difficile sur le plan émotif et traumatisante et a eu des incidences sur ma santé mentale et physique ».

 

[21]           L’arbitre de grief a fait droit au grief de M. Tipple et lui a accordé un total de 1 358 454,58 $ en dommages-intérêts. La plus grande partie de cette somme représentait des dommages-intérêts pour perte de salaire (688 751,08 $), perte de boni de rendement (109 038,46 $) et perte d’avantages sociaux (109 038,46 $). Aucun de ces dommages-intérêts n’est contesté ni visé par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[22]           L’arbitre de grief a également octroyé une somme de 125 000 $ à M. Tipple en dommages-intérêts pour préjudice psychologique et 250 000 $ en dommages-intérêts pour atteinte à la réputation. Le procureur général conteste ces dommages-intérêts et demande à la Cour de les annuler.

 

[23]           M. Tipple a demandé à l’arbitre de grief d’ordonner à TPSGC de payer la totalité des frais juridiques liés à sa représentation. L’arbitre de grief a estimé qu’il n’avait pas le pouvoir d’adjuger des dépens sous le régime de la LRTFP, mais qu’il avait la compétence pour dédommager une partie pour toute perte subie par suite des gestes de l’autre partie. L’arbitre de grief a conclu que le défaut constant de TPSGC de divulguer complètement les documents pertinents, en temps opportun et conformément aux ordonnances de divulgation de la CRTFP, a prolongé « considérablement et indûment » l’audience, a entraîné de nombreuses lettres demandant que le défendeur se conforme aux ordonnances de divulgation et a entraîné la tenue de nombreuses conférences de gestion des cas. L’arbitre de grief a en outre conclu que M. Tipple a engagé des frais juridiques supplémentaires en raison de l’inobservation des ordonnances de divulgation par TPSGC. Par conséquent, bien qu’aucuns dépens n’aient été adjugés à M. Tipple, l’arbitre de grief a ordonné à TPSGC de payer des dommages-intérêts pour entrave à la procédure d’un montant équivalant aux frais juridiques engagés, que les parties ont, d’un commun accord, fixé à 45 322,03 $. M. Tipple demande à la Cour d’annuler la décision de l’arbitre de grief selon laquelle la CRTFP n’a pas compétence pour adjuger des dépens. Le procureur général demande à la Cour d’annuler l’octroi de dommages-intérêts pour entrave à la procédure.

 

[24]           L’arbitre de grief a accordé à M. Tipple des intérêts sur les montants accordés, en faisant remarquer que cela était justifié par l’article 226 de la LRTFP ainsi que par les arrêts Nantel c. Canada, 2008 CAF 351 et Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (CA). L’arbitre de grief a conclu qu’il était convenable d’adopter le taux des obligations d’épargne du Canada pour calculer l’intérêt dû à M. Tipple. Dans ses motifs de décision, l’arbitre a déclaré expressément que M. Tipple ne réclamait pas l’intérêt jusqu’à la date de la décision, mais qu’il avait limité sa réclamation à la période allant du 1er octobre 2006 au 6 octobre 2008 et, en conséquence, l’intérêt n’était accordé que pour cette période. M. Tipple soutient que l’arbitre de grief a commis une erreur et qu’il n’a pas limité ainsi sa demande. Il demande à la Cour d’annuler cette partie de l’ordonnance et de la renvoyer à l’arbitre de grief.

 

Questions en litige

[25]           Les parties ont formulé plusieurs questions. Les trois premières sont proposées par le procureur général du Canada et les deux autres, par M. Tipple :

a.              L’arbitre de grief a-t-il commis une erreur en accordant des dommages-intérêts de 125 000 $ au titre du préjudice psychologique?

b.              L’arbitre de grief a-t-il commis une erreur en accordant des dommages-intérêts de 250 000 $ pour l’atteinte à la réputation, soit parce qu’il a commis une erreur en concluant que TPSGC avait le devoir de protéger la réputation de M. Tipple, soit parce que le montant accordé n’était pas étayé par la preuve?

c.              L’arbitre de grief a-t-il commis une erreur en accordant des dommages-intérêts de 48 322,03 $ pour entrave à la procédure soit parce qu’il n’avait pas compétence pour accorder ces dommages-intérêts, soit parce qu’il a commis une erreur en concluant que le comportement du défendeur équivalait à une entrave à la procédure?

d.              L’arbitre de grief a-t-il commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas compétence pour adjuger des dépens à la partie qui a gain de cause?

e.              L’arbitre de grief a-t-il commis une erreur en limitant l’intérêt sur les montants octroyés à la période allant du 1er octobre 2006 au 6 octobre 2008?

 

[26]           Toutes ces questions ont trait à la compétence en matière de réparation d’un arbitre de grief qui instruit un grief en vertu du paragraphe 228(2) de la LRTFP, lequel dispose :

228. (2) Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée. […]

228. (2) After considering the grievance, the adjudicator must render a decision and make the order that he or she considers appropriate in the circumstances. …

 

Norme de contrôle

[27]           La norme de contrôle quant à la plupart des questions en litige est celle de la décision raisonnable, étant donné qu’elles concernent des questions mixtes de fait et de droit, qui commandent la déférence à l’égard de l’opinion de l’arbitre de grief. Toutefois, même si les parties partagent l’avis que la norme de contrôle judiciaire pour la question des dépens est celle de la décision correcte, une analyse complète est nécessaire avant d’accepter leur recommandation commune, étant donné qu’elle semble être en conflit avec la jurisprudence.

 

[28]           Dans Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, jugement dont appel a été instruit et pris en délibéré par la Cour suprême, la Cour d’appel fédérale a jugé que la norme de contrôle judiciaire appropriée à l’égard de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne concernant le pouvoir d’adjuger des dépens était celle de la décision correcte. Pour effectuer son analyse de la norme de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale, s’appuyant sur les arrêts de la Cour d’appel de l’Ontario Taub c. Investment Dealers Association of Canada, 2009 ONCA 628, au paragraphe 65, et Abdoulrab c. l’Ontario (Commission des relations de travail), 2009 ONCA 491, au paragraphe 48, a souscrit à la proposition selon laquelle lorsqu’il existe deux courants jurisprudentiels raisonnables qui entrent en conflit dans l’interprétation d’une même disposition, il n’est pas raisonnable de la part d’une cour de confirmer les deux : voir Mowat au paragraphe 45. À l’instar de la Cour d’appel de l’Ontario, la Cour d’appel a estimé dans Mowat que le fait de considérer comme raisonnables des interprétations contradictoires d’une loi entrerait potentiellement en conflit avec le principe de la primauté du droit et le besoin d’uniformité, qui permettent aux parties qui comparaissent devant le Tribunal de savoir comment mener leurs affaires.

 

[29]           Dans certaines affaires ultérieures à Mowat, notre Cour a imposé la norme de la décision correcte lorsqu’une question d’interprétation de la loi requiert certitude et cohérence : voir, par exemple, Postes Canada c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes, 2010 CF 154; Bonamy c. Canada (Procureur général), 2010 CF 153; Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod, 2010 CF 97.

 

[30]           Les préoccupations concernant une interprétation uniforme sont importantes en l’espèce parce que la CRTFP est parvenue à différentes conclusions au sujet de son pouvoir d’adjuger des dépens. Dans Matthews et Service canadien du renseignement de sécurité, [1999] C.R.T.F.P.C. n31, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a décidé qu’elle avait compétence pour adjuger des dépens. Toutefois, depuis l’arrêt Mowat de la Cour d’appel, la Commission a estimé qu’elle n’a plus le pouvoir d’adjuger des dépens; en plus de la décision faisant l’objet du présent contrôle, voir Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 124.

 

[31]           On pourrait faire valoir que la conclusion de la Cour d’appel dans Mowat, voulant que des décisions contradictoires quant à l’interprétation de la loi doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte, est incompatible avec l’arrêt récent de la Cour suprême Smith c. Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, où la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable à la décision de l’Office national de l’énergie concernant les paramètres de son pouvoir d’adjuger des dépens. Aux paragraphes 38 et 39, la Cour a écrit :

Sur cet aspect de l’affaire, Alliance soutient enfin que l’adoption de la norme de la décision raisonnable irait à l’encontre du principe de la primauté du droit, en mettant à l’abri du contrôle judiciaire les décisions contradictoires des comités d’arbitrage quant à l’interprétation appropriée du paragraphe 99(1) de la LONE. Je ne partage pas les craintes de l’intimée. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour a affirmé qu’une question de droit qui ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique « peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité » (par. 55), ajoutant qu’« [i]l n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit [en fonction de cette norme] » (par. 56; voir également l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., paragraphe 71).

 

D’ailleurs, même avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de la décision raisonnable a toujours « [reposé] sur l’idée qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution », de telle sorte que « la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, par. 41).

 

Je remarque également que, précédemment, dans Nolan c. Kerry (Canada) Inc, 2009 CSC 39, au paragraphe 35, la Cour suprême avait appliqué la norme de la décision raisonnable à une conclusion du Tribunal des services financiers de l’Ontario relative à l’étendue de son pouvoir en matière d’adjudication de dépens.

 

[32]           Dans Alliance Pipeline Ltd, la Cour suprême a examiné le paragraphe 99(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, lequel accorde compétence à l’Office national de l’énergie pour déterminer l’indemnité, qui comprend « tous les frais, notamment de procédure et d’évaluation » ayant été raisonnablement engagés par la partie expropriée. L’ordonnance faisant l’objet du contrôle judiciaire dans Alliance Pipeline Ltd indiquait que les dépens devant être payés comprenaient tous les frais de procédure engagés dans la cadre de l’action en justice intentée par la compagnie de pipeline contre un propriétaire exproprié. L’article 24 de la Loi de 1997 sur la Commission des services financiers de l’Ontario, ch. 28, a conféré au Tribunal des services financiers le pouvoir d’« ordonner à une partie à l’audience de verser les dépens d’une autre partie ou les frais du Tribunal ». Dans Nolan, l’ordonnance faisant l’objet du contrôle judiciaire indiquait que les dépens devaient être payés par prélèvement sur la caisse en fiducie, étant donné que celle-ci n’était pas partie à l’instance.

 

[33]           La contradiction apparente entre Mowat et ces décisions peut être résolue en faisant la distinction entre la compétence pour adjuger des dépens tout court, examinée dans Mowat, et l’étendue du pouvoir d’adjuger des dépens, examinée dans Alliance Pipeline Ltd et Nolan. La première est une question touchant véritablement à la compétence, la deuxième ne l’est pas. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans Nolan, au paragraphe 34 :

Selon ce qui ressort des par. 54 et 59 de Dunsmuir, la déférence est habituellement de mise lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive et il convient d’appliquer la norme de la décision correcte uniquement dans des cas exceptionnels, c’est-à-dire lorsque l’interprétation de cette loi soulève la question générale de la compétence du tribunal. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           Dans la présente affaire, la compétence de l’arbitre de grief en matière d’adjudication des dépens est remise en question; il s’agit d’une question générale de la compétence de la Commission, ce qui tend à indiquer qu’il faudrait recourir à la norme de la décision correcte. Toutefois, deux autres éléments de l’analyse de la norme de contrôle militent en faveur de la norme de la décision raisonnable : l’existence d’une clause privative à l’article 51 de la LRTFP et l’objet du régime législatif, qui comprend le règlement rapide et efficace des litiges; voir Canada (Procureur général) c. Amos, 2009 CF 1181, au paragraphe 26.

 

[35]           Ces deux considérations militent en faveur de la norme de la décision raisonnable, mais le dernier facteur dans l’analyse dans la norme de contrôle, soit l’expertise du décideur, invite à l’application de la norme de la décision correcte étant donné que, comme l’a affirmé M. Tipple, l’arbitre de grief ne s’appuyait pas sur son expertise en droit du travail, mais plutôt sur l’application d’un jugement de la Cour d’appel concernant la compétence des tribunaux des droits de la personne en matière d’adjudication de dépens. En conséquence, je suis d’accord avec les parties pour dire que l’analyse de la norme de contrôle judiciaire requise révèle que la norme de la décision correcte est appropriée pour la question de la compétence de la Commission quant à l’adjudication de dépens.

 

Analyse des questions en litige

1. Dommages‑intérêts pour préjudice psychologique

[36]           Dans son grief, M. Tipple a demandé des dommages-intérêts de 250 000 $ en raison du [traduction] « comportement injuste, fallacieux, insouciant, capricieux, arbitraire et tyrannique de TPSGC ». L’arbitre de grief a cité des extraits des arrêts de la Cour suprême Wallace c. United Grain Growers Limited, [1997] 3 R.C.S. 701, et Honda Canada c. M. Keays, 2008 CSC 39, et s’est appuyé sur ces décisions pour lui accorder 125 000 $ à titre de dommages-intérêts pour « préjudice psychologique ».

 

[37]           Avant l’arrêt Wallace, il y avait de la controverse quant à la question de savoir si un employé qui intente une action en congédiement injustifié pouvait se voir accorder des dommages‑intérêts plus élevés que le salaire et les avantages perdus pendant la période de préavis raisonnable. Dans l’arrêt Wallace, la Cour a examiné une action en congédiement injustifié intentée par un employé de 59 ans ayant, pendant 14 ans, rendu des services exemplaires. Dans les circonstances, le comportement de l’employeur était manifestement contestable. Après avoir été le meilleur vendeur de la société pendant toutes ses années de service et avoir été, quelques jours plus tôt, félicité par des cadres supérieurs pour son rendement au travail, M. Wallace a été congédié sommairement sans aucune explication. Dans une lettre remise à la suite du renvoi, l’ancien employeur a déclaré que la principale raison du congédiement était l’incapacité de M. Wallace à exercer ses fonctions de façon satisfaisante. L’entreprise a défendu son geste en alléguant qu’elle était justifiée de mettre fin à l’emploi de M. Wallace et elle a maintenu ce moyen de défense pendant deux ans, jusqu’à la date du procès; elle a alors abandonné ce moyen. M. Wallace a fourni des éléments de preuve tendant à démontrer que l’allégation de motif de congédiement avait engendré chez lui des problèmes émotifs et qu’il avait dû demander l’aide d’un psychiatre. M. Wallace a été incapable de trouver un autre emploi après son licenciement. Le juge de première instance a estimé que son incapacité à se trouver un emploi découlait, en grande partie, de son congédiement péremptoire ainsi que des actes subséquents de son employeur qui ont « écarté presque toute possibilité » de trouver un emploi dans son domaine.

 

[38]           Le juge de première instance a octroyé des dommages‑intérêts à M. Wallace pour congédiement injustifié en fonction d’une période de préavis de 24 mois. La Cour d’appel a ramené cette période à quinze mois, concluant que le juge de première instance avait laissé un élément de dommages-intérêts majorés se glisser dans l’évaluation de la période de préavis.

 

[39]           En rétablissant la période de 24 mois, la Cour suprême a estimé que « pour que les employés puissent bénéficier d’une protection adéquate, les employeurs devraient assumer une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement, de sorte que tout manquement à cette obligation serait compensé par une prolongation de la période de préavis ». Par la suite, on a commencé à appeler les dommages‑intérêts majorés octroyés en raison de la violation de cette obligation les « dommages‑intérêts Wallace ».

 

[40]           Quelque dix ans plus tard, dans l’arrêt Honda, la Cour suprême a reconsidéré l’approche qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Wallace. L’arrêt Wallace avait créé deux difficultés. Premièrement, on ne savait pas avec certitude quel comportement de l’employeur entraînerait l’octroi de dommages‑intérêts Wallace. Deuxièmement, l’arrêt Wallace n’énonçait pas de principes quant au calcul des dommages‑intérêts Wallace.

 

[41]           Dans l’arrêt Honda, la Cour suprême s’est éloignée de l’idée, répondue par l’arrêt Wallace, que des dommages-intérêts majorés octroyés lors d’une action en congédiement injustifié prolongeaient la période de préavis. Elle a plutôt affirmé que les dommages sont calculés en fonction de principes établis : l’employé licencié a droit aux dommages-intérêts qui représentent les pertes raisonnablement prévisibles découlant de la violation. La Cour a affirmé que l’employeur a l’obligation d’agir de bonne foi lors d’un licenciement et que, lorsque le mode de son licenciement cause préjudice à l’employé, des dommages‑intérêts relatifs au préjudice envisagé par les parties doivent être accordés. Le juge Bastarache, qui a rédigé le jugement de la majorité, a expliqué ceci aux paragraphes 59 et 60 :

Pour clarifier tout à fait ma pensée, je conclus cette analyse de la jurisprudence de notre Cour en affirmant qu’il n’y a aucune raison de continuer de faire une distinction entre les « dommages-intérêts majorés proprement dits » accordés sur le fondement d’une cause d’action distincte et les dommages-intérêts accordés pour le préjudice moral infligé par le comportement de l’employeur lors du congédiement. Le préjudice causé par les circonstances du congédiement est toujours indemnisable suivant le principe de l’arrêt Hadley, à condition qu’il y ait eu manquement à l’obligation de bonne foi examinée précédemment. Par ailleurs, lorsque le droit à l’indemnisation est reconnu, il n’y a pas lieu d’allonger le préavis pour déterminer le juste montant de l’indemnité. Le montant de l’indemnisation est calculé en appliquant les mêmes principes et de la même manière que pour les autres préjudices moraux. Partant, lorsque l’employé peut prouver que les circonstances du congédiement lui ont infligé un préjudice moral que les parties avaient envisagé, l’indemnisation se fera non pas par l’allongement arbitraire du préavis, mais bien par l’octroi d’une somme dont le montant reflète le préjudice réel. À titre d’exemple de comportements qui infligent un préjudice indemnisable, mentionnons l’atteinte à la réputation de l’employé découlant de déclarations faites lors du congédiement, l’inexactitude du motif invoqué ou le dessein de priver l’employé d’un droit, notamment celui à des prestations de retraite ou à la titularisation (voir les exemples donnés dans l’arrêt Wallace, par. 99-100).

 

Au vu de ce qui précède, la confusion entre les dommages-intérêts accordés pour les circonstances du congédiement et les dommages-intérêts punitifs n’a rien d’étonnant, les deux indemnités étant versées à cause du comportement de l’employeur lors du congédiement. Il convient de signaler l’importance de préserver la nature fondamentale des dommages-intérêts liés aux circonstances du congédiement, c’est-à-dire que la somme accordée pour le préjudice psychologique doit toujours viser l’indemnisation. La Cour doit éviter la double indemnisation ou la double sanction, comme celles intervenues dans la présente affaire. [Non souligné dans l’original.]

 

[42]           La Cour suprême a ainsi réaffirmé qu’il était convenable d’accorder des dommages‑intérêts au titre du préjudice moral afin d’indemniser l’ancien employé pour le préjudice subi en raison du comportement de l’employeur lors du licenciement, lorsque les parties pouvaient envisager, au moment du contrat, qu’un tel comportement causerait ce préjudice. La Cour a énuméré certaines situations où des dommages‑intérêts moraux pourraient être accordés :

                     i.                        lorsque les circonstances du congédiement causent des souffrances morales;

                   ii.                        lorsqu’il est porté atteinte à la réputation de l’employé par de fausses déclarations faites lors licenciement;

                  iii.                        lorsque l’employeur invoque un motif inexact pour justifier le licenciement de l’employé;

                 iv.                        lorsque le dessein du licenciement est de priver un employé d’une prestation de retraite ou d’un autre droit en matière d’emploi, comme la titularisation;

                   v.                        lorsque l’employeur communique à d’autres employeurs éventuels des accusations erronées sur la conduite de l’employé congédié;

                 vi.                        lorsque l’employeur refuse de fournir une lettre de recommandation après la cessation d’emploi;

                vii.                        lorsque l’employeur fait des déclarations visant à rassurer l’employé quant à son avenir, alors qu’au même moment il envisage son licenciement;

              viii.                        lorsque l’employeur omet de communiquer à l’employé sa décision de mettre fin à l’emploi tout en sachant que l’employé est engagé dans un processus de prise décisions coûteuses (comme vendre sa maison) car il s’attend à conserver son emploi;

                 ix.                        lorsque l’employeur a pris la décision de licencier un employé pendant qu’il était en congé d’invalidité, mais ne l’en informe pas avant qu’il ne reprenne le travail à la suite du congé, causant ainsi une dépression majeure;

                   x.                        lorsque des changements qui auront une incidence sur la poursuite de l’emploi de l’employé, comme les ajustements de salaires, ne sont pas divulgués à l’employé, mais qu’il est mis au courant de ces changements et de son licenciement dans des annonces placées dans les journaux par l’employeur.

 

[43]           À la lumière de Honda, les préjudices moraux pour de tels actes sont par nature indemnisables; comme la Cour suprême l’a déclaré, les montants accordés doivent refléter « le préjudice réel » subi.

 

[44]           En l’espèce, l’arbitre de grief a conclu que « M. Tipple a satisfait au critère énoncé dans [Honda] et que le manquement du défendeur à son obligation de bonne foi et d’équité quant au mode de licenciement lui a causé un préjudice psychologique que les parties avaient envisagé ».

 

[45]           L’arbitre a conclu que TPSGC avait manqué à son obligation de bonne foi et d’équité dans le mode de congédiement en raison de ce qui suit :

                              i.         TPSGC a invoqué un motif erroné pour justifier le licenciement de M. Tipple. Les éléments de preuve ont démontré que M. Tipple n’a pas été mis en disponibilité « en raison d’un manque de travail ou de la suppression d’une fonction, mais plutôt que son licenciement a été dissimulé en invoquant de façon factice la LEFP et qu’il s’agissait d’un subterfuge ou d’un camouflage ».

                            ii.         M. Tipple a déménagé avec sa famille à Ottawa parce qu’on lui avait dit que la durée de son mandat serait de trois ans et peut-être plus.

                           iii.          M. Marshall a approuvé le voyage au Royaume-Uni et le paiement des frais d’adhésion au National Club, et a présenté à M. Tipple une évaluation qui « a excédé les attentes » en plus de lui accorder son boni de 15 p. cent. En conséquence, M. Tipple n’avait aucune indication de la fin prochaine de son emploi, même si M. Marshall a déclaré, lors de son témoignage, qu’il envisageait déjà de mettre fin à son l’emploi.

                          iv.          M. Marshall a dit à M. Tipple de ne pas s’inquiéter quant à la couverture médiatique relative au voyage au Royaume-Uni et, en dépit des réunions régulières qu’ils ont eues, M. Marshall ne lui a jamais indiqué qu’il envisageait de mettre fin à son emploi ou que des lettres d’excuses au sujet du voyage au Royaume-Uni avaient été envoyées.

                            v.          M. Marshall n’a pas communiqué le rapport Minto à M. Tipple.

                          vi.          M. Marshall a licencié M. Tipple sans avertissement et lui a dit qu’il n’y avait pas de discussion possible et qu’il devait quitter les lieux sur-le-champ.

 

[46]           En somme, l’arbitre de grief a conclu que « M. Marshall a agi de manière fallacieuse et cavalière en licenciant M. Tipple […] [et] avait faussement incité M. Tipple à se sentir en sécurité. […] M. Marshall s’est comporté de façon injuste ou a fait preuve de mauvaise foi en mentant et en trompant M. Tipple et en se montrant indûment insensible à son égard ».

 

[47]           Le procureur général ne conteste pas que l’arbitre de grief a compétence pour accorder des dommages-intérêts sur le fondement des principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Honda; toutefois, il soutient que l’octroi de 125 000 $ dans la présente affaire est excessif et déraisonnable, n’est pas conforme à d’autres affaires où de tels dommages-intérêts ont été accordés et n’est pas étayé par la preuve. En outre, le procureur général soutient que l’arbitre de grief a omis de justifier le montant des dommages-intérêts accordés, se contentant de réduire de moitié le montant de 250 000 $ réclamé par M. Tipple en raison de l’absence de preuves médicales.

 

[48]           Le procureur général cite un certain nombre de décisions « de principe » où étaient en question des dommages‑intérêts au titre des souffrances morales à la suite d’un congédiement. Dans chacune de ces décisions, les montants octroyés étaient beaucoup moins élevés que le montant accordé à M. Tipple : Lumsden c. Manitoba, 2009 MBCA 18 (25 000 $); Brien c. Niagara General Motors Ltd, 2009 ONCA 887 (0 $); Cooke c. HTS Engineering Ltd, [2009] O.J. No 5650 (C.S.J. de l’Ont.) (3 500 $); Bru c. AGM Entreprises, 2008 BCSC 1680 (12 000 $); Wallace, précité (15 000 $), Beggs c. Westport Foods Ltd, 2010 BCSC 833 (20 000 $); Chapell c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2010 ABQB 441 (20 000 $); Pagliaroli c. Rite-Pak Produce de Co Ltd, 2010,ONSC 3729 (25 000 $); et Piresferreira c. Ayotte, 2010 ONCA 384 (45 000 $). Ces décisions sont énumérées dans un tableau au paragraphe 39 du mémoire du procureur général dans le dossier T-1295-10, et le procureur général fait valoir que le tableau illustre que l’octroi maximum de dommages-intérêts au titre des souffrances morales résultant d’un congédiement est de 45 000 $, et que la moyenne est de 17 500 $.

 

[49]           Bien que M. Tipple n’ait pas contesté l’affirmation du procureur général selon laquelle [traduction] « ce tableau illustre que l’octroi maximum au titre des souffrances morales résultant d’un licenciement est de 45 000 $ », cette déclaration nécessite quelques éclaircissements. Il se peut que le procureur général ait raison de soutenir que la plupart de dommages-intérêts octroyés par un tribunal pour ce qu’il est convenu d’appeler des « dommages-intérêts pour souffrances morales » sont de 45 000 $; cependant, les tribunaux ont accordé des dommages‑intérêts plus élevés pour des préjudices moraux qui, bien qu’ils ne soient pas limités aux souffrances morales, contiennent une composante visant à indemniser le préjudice psychologique subi par l’employé congédié. Par exemple, dans Zesta Engineering Ltd c. Cloutier, 2010 ONSC 5810, le juge Stinson a octroyé 75 000 $ au titre des préjudices moraux découlant de la façon dont le licenciement avait été fait et de ses effets sur M. Durante. Le juge a expliqué comme suit, aux paragraphes 335 et 336, sur quoi reposait sa décision d’octroyer une telle somme :

[traduction] À mon avis, les actions de Zesta en ce qui concerne le licenciement de M. Durante démontrent amplement la mauvaise foi de l’entreprise, qui a notamment posé les gestes suivants :

 

(a)    M. Durante a été soumis à une série d’interrogatoires intimidants menés par Bernard Eastman, qui l’a à plusieurs reprises essentiellement menacé de le priver de son gagne-pain.

 

(b)   M. Durante a été licencié par téléphone, le premier jour de ses vacances, cinq jours avant Noël, parce qu’il a confirmé « l’affront » contre Marcel Jones. En fait, il a été congédié pour avoir dit la vérité ou, en d’autres mots, pour avoir choisi le mauvais côté dans un différend familial enraciné qui est devenu un véritable cercle vicieux.

 

(c)    M. Durante n’a reçu aucune indemnité de départ (pas même le minimum requis par la Loi sur les normes d’emploi) et il a immédiatement été mis fin à ses avantages sociaux.

 

(d)   Zesta a obstinément et constamment, pendant deux ans, fait preuve d’une attitude cavalière pour faire échec à la demande d’assurance-emploi de M. Durante et n’a pas assisté à l’audience finale.

 

(e)    Zesta a intenté contre M. Durante et son épouse une action connexe concernant un transfert frauduleux, de nombreuses années après avoir pris connaissance du transfert, et l’a maintenue en dépit de la rétrocession à M. Durante de son intérêt dans le foyer conjugal. Cela a été une source de stress, de soucis et de dépenses additionnelles pour lui et son épouse.

 

(f)     Tout en étant pleinement conscients des répercussions importantes que ce comportement aurait sur M. Durante et sa famille, Zesta et Eastmans ont continué à avoir ce comportement, malgré le fait que M. Durante avait été très loyal tout au long de sa carrière, présentant un dossier de travail sans reproche, qu’il avait été traité et considéré comme un membre de la grande famille.

 

Les témoignages présentés par M. Durante et sa femme faisaient état de sentiments de dévastation, de stress et de tristesse chez M. Durante. Sa colère et ses angoisses relativement au traitement qui lui avait été réservé étaient évidentes lors de son témoignage, près d’une décennie après son licenciement. Sa famille et lui ont subi, et continuent de subir, les conséquences néfastes, importantes et durables de cette situation. Dans ces circonstances, j’octroie à M. Durante 75 000 $ pour le préjudice moral subi conformément aux principes décrits par le juge Bastarache dans l’arrêt Honda, précité (au paragraphe 59).

 

 

[50]           En plus de l’argument selon lequel les sommes octroyées à M. Tipple n’étaient pas conformes aux montants accordés dans d’autres affaires, le procureur général fait valoir que les dommages-intérêts accordés pour les préjudices non pécuniaires, comme le préjudice psychologique, doivent être fixés à un niveau modeste, bien qu’il puisse varier en fonction du degré de souffrance de la personne : Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27.

 

[51]           La Cour suprême a octroyé 5 000 $ à M. Ward, un montant modeste; toutefois, il est souligné que le contexte était très différent de celui dont devait tenir compte l’arbitre de grief dans la présente affaire. La Cour suprême a expliqué au paragraphe 71 ce qui suit :

[M. Ward] n’a jamais été touché durant la fouille, et rien n’indique que celle-ci lui ait causé un préjudice physique ou psychologique. Certes, le préjudice subi par M. Ward est grave, mais on ne peut pas dire qu’il se situe au haut de l’échelle de gravité. La situation appellerait donc des dommages-intérêts d’un montant modéré. [Non souligné dans l’original.]

 

[52]           Le procureur général soutient enfin que l’arbitre de grief s’est fondé uniquement sur le témoignage « limité » de M. Tipple non étayé par des preuves médicales et fait par conséquent valoir que M. Tipple avait au mieux droit à des dommages-intérêts d’un montant symbolique au titre du préjudice psychologique. Il cite à l’appui le passage suivant de Martin c. Goldfarb et al (1998), 41 O.R. (3d) 161 (CA) :

[traduction] Je conclus qu’il existe un principe bien établi selon lequel lorsque, dans un cas particulier, des dommages-intérêts sont de par leur nature même difficiles à évaluer, la Cour doit faire du mieux qu’elle peut dans les circonstances. Cela ne veut toutefois pas dire qu’un plaideur est relevé de son obligation de prouver les faits sur lesquels les dommages-intérêts sont évalués. Selon moi, la distinction établie par les diverses autorités est que, lorsque l’évaluation est difficile en raison de la nature des dommages-intérêt avérés, la difficulté de l’évaluation ne saurait en aucun cas justifier de ne pas accorder des dommages-intérêts substantiels, même si on se trouve en pleine conjecture. Toutefois, dans le cas où l’absence de preuve rend l’évaluation des dommages-intérêts impossible, la partie plaidante a au mieux droit à un montant symbolique.

 

[53]           Je suis d’accord avec le procureur général pour dire qu’une somme de 125 000 $ n’est pas un « montant symbolique »; cependant, il existait des éléments de preuve justifiant l’octroi d’une certaine somme. Dans la présente affaire, le témoignage de M. Tipple quant aux conséquences du comportement de son ancien employeur sur son état psychologique était la seule preuve d’un préjudice psychologique.

 

[54]           L’arbitre de grief a conclu ce qui suit au paragraphe 327 de la décision, en se fondant sur les éléments de preuve produits : « le manquement du défendeur à son obligation de bonne foi et d’équité quant au mode de licenciement lui a causé un préjudice psychologique que les parties avaient envisagé. En conséquence, je conclus que M. Tipple a droit à des dommages pour préjudice psychologique ». Il est clair que l’arbitre de grief a accepté le témoignage de M. Tipple selon lequel il a [traduction] « subi des épisodes de perte de confiance, de préjudice moral, de manque d’estime de soi, d’humiliation, de tension, d’angoisse et [s’est] senti trahi » en raison du comportement de son ancien employeur.

 

[55]           L’analyse et la discussion de l’arbitre de grief quant au montant des dommages-intérêts au titre du préjudice psychologique se trouvent dans le passage suivant de sa décision, au paragraphe 328 :

Pour établir le montant du dédommagement à adjuger, je dois tenir compte du poste de M. Tipple dans la collectivité des cadres de direction. Il est vrai que M. Tipple n’a pas produit de preuve médicale d’un état particulier ou d’un traitement administré à la suite de son licenciement. Toutefois, je conviens que si M. Tipple avait présenté une telle preuve, elle aurait probablement affecté sa capacité de vendre avec succès ses compétences comme cadre de direction à des employeurs et des relations d’affaires possibles. Dans de telles circonstances, et en l’absence d’une preuve particulière qui justifierait un plus gros dédommagement, je conclus qu’un montant de 125 000 $ dédommage raisonnablement M. Tipple pour la perte de dignité, le préjudice moral et l’humiliation qui ont résulté du mode de son licenciement. En conséquence, je conclus que M. Tipple a droit à des dommages pour préjudice psychologique d’un montant de 125 000 $.

 

 

[56]           Il est évident dans ce passage que l’arbitre de grief n’octroyait pas des dommages‑intérêts pour le préjudice moral subi en raison du comportement prétendument contestable de l’employeur, mais qui n’a pas causé de préjudice psychologique; il a plutôt octroyé une somme pour indemniser expressément M. Tipple pour « la perte de dignité, le préjudice moral et l’humiliation ».

 

[57]           La somme octroyée par l’arbitre de grief est importante; ce montant atteint presque trois fois ce qui a déjà été octroyé par un autre tribunal pour le dédommagement d’une perte semblable. Je n’accepte pas la prétention de M. Tipple voulant que l’arbitre de grief ne soit pas tenu d’appliquer la common law, car cela signifierait que l’arbitre de grief pourrait rendre n’importe quelle décision. Des dommages-intérêts doivent être accordés et les montants, déterminés sur le fondement de principes, même lorsqu’il est difficile de faire un calcul. En l’espèce, l’arbitre de grief a fait référence aux deux précédents faisant autorité, Wallace et Honda, et, ce faisant, a démontré qu’il respectait la jurisprudence élaborée au Canada.

 

[58]           Pour établir les dommages-intérêts, le tribunal doit examiner chaque cas en se basant sur les faits de l’espèce. Aucune cour n’a affirmé qu’il existe un plafond pour l’octroi de dommages-intérêts relatifs à un préjudice psychologique causé par un employeur qui n’a pas su faire preuve de bonne foi et qui n’a pas su traiter un employé licencié de façon équitable. Plus la conduite est flagrante, plus la probabilité qu’un préjudice grave ait été causé à l’employé est grande. On peut à juste titre dire que, dans le présent dossier, l’arbitre de grief a conclu que la conduite de TPSGC était flagrante. Toutefois, les dommages-intérêts sont octroyés pour les préjudices réels, et non pour les préjudices probables.

 

[59]           La Cour n’a pu bénéficier de l’enregistrement des témoignages devant l’arbitre de grief, car aucune des parties ne l’a déposé. Tout ce qui a été déposé devant la Cour et qui provient de la CRTFP, ce sont la décision et les motifs de l’arbitre de grief. M. Tipple soutient que la Cour est invitée à réviser la décision sur les dommages-intérêts comme s’il s’agissait d’une audience de novo, et non pas comme un contrôle judiciaire. Il souligne à juste titre qu’il ne s’agit pas de savoir si la cour de révision aurait octroyé des dommages-intérêts de 125 000 $, mais de savoir si cette décision est raisonnable, conformément à la description de la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[60]           Bien qu’il faille faire montre d’une grande déférence à l’égard des conclusions de l’arbitre de grief, je ne peux conclure, en me basant sur les faits présentés à l’arbitre de grief et à la Cour, que l’octroi de 125 000 $ à titre de dommages-intérêts relativement à un préjudice psychologique constitue une des« issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » pour les raisons suivantes. Premièrement, l’arbitre de grief n’explique pas pourquoi l’octroi d’un montant de 125 000 $, plutôt que celui de tout autre montant, est convenable, hormis le fait que ce montant soit la moitié du montant réclamé. Deuxièmement, M. Tipple ne présente aucune preuve, hormis son propre témoignage, du fait qu’il a souffert d’un manque de confiance, d’un préjudice moral, d’un manque d’estime de soi, d’humiliation, de stress, d’anxiété et d’un sentiment de trahison. Plus précisément, il n’existe pas de preuve que M. Tipple a dû recevoir des traitements médicaux ou qu’il a reçu un diagnostic psychologique causé par la conduite de l’employeur lors de la cessation d’emploi, la seule preuve étant qu’il avait été licencié. Troisièmement, contrairement aux faits dans Zesta Engineering, la décision n’indique aucunement que le préjudice psychologique subi par M. Tipple était important et durable, et qu’il en souffrait toujours. Quatrièmement et enfin, le montant octroyé est grandement disproportionné par rapport aux montants accordés dans des décisions antérieures, alors que l’effet du licenciement sur l’état psychologique de l’employé semble être moins important en l’espèce que dans ces autres affaires. Ici, M. Tipple a décrit cet effet comme étant « une perte de dignité, un préjudice moral et une humiliation ».

 

[61]           Par conséquent, bien que l’on doive faire montre d’une grande déférence envers les conclusions de l’arbitre de grief, je conclus que le montant octroyé de 125 000 $ n’est pas une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’il doit être annulé. Toutefois, TPSGC a reconnu que certains montants étaient convenables compte tenu des preuves présentées à l’arbitre de grief. Par conséquent, l’affaire doit être renvoyée à la CRTFP pour qu’elle détermine le montant approprié pour les dommages-intérêts relatifs au préjudice psychologique subi, en se basant sur les preuves présentées à l’audience et sur les montants antérieurement octroyés dans d’autres affaires.

 

2. L’employeur avait-il le devoir de protéger la réputation de M. Tipple?

[62]           L’arbitre de grief a octroyé à M. Tipple des dommages-intérêts de 250 000 $ pour « perte de réputation ».

 

[63]           Le fondement de cette décision se trouve aux paragraphes 348 et 349 des motifs :

L’aspect le plus troublant de la conduite du défendeur est que malgré les demandes faites par M. Tipple à TPSGC de protéger sa réputation, TPSGC ne l’a pas fait quand le premier article a été publié par The Globe and Mail ni n’a, par la suite, fait quoi que ce soit pour atténuer les dommages causés à la réputation de M. Tipple. De fait, M. Marshall a empiré la situation en mettant fin illégalement à l’emploi de M. Tipple dans une atmosphère de scandale. Je conclus donc que le défendeur n’a pas respecté son obligation de protéger la réputation de M. Tipple.

 

Des dommages peuvent être adjugés si une partie subit une perte par suite des gestes d’autrui. Pour évaluer le montant des dommages auxquels M. Tipple a droit pour perte de réputation, je dois, encore une fois, tenir compte de son poste au sein de la communauté des cadres de direction et reconnaître l’impact des dommages à sa réputation sur sa capacité de vendre avec succès ses compétences comme cadre de direction à des employeurs éventuels ainsi qu’à des relations d’affaires. Dans les circonstances de la présente affaire, je n’ai aucune réserve à accepter que M. Tipple a droit à sa réclamation de 250 000 $. [Non souligné dans l’original.]

 

[64]           M. Tipple note que, malgré les arguments détaillés concernant d’autres questions dont était saisi l’arbitre de grief, le procureur général ne s’est pas opposé à sa demande de dommages‑intérêts au titre de l’atteinte à la réputation et le fait pour la première fois dans le cadre de la présente demande. Il affirme qu’il est « bien établi en droit » qu’un demandeur ne peut soulever une nouvelle question lors du contrôle judiciaire, à moins qu’il ne s’agisse d’une question de compétence : 334156 Alberta Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 1133, paragraphe 16.

 

[65]           Cette prétention préliminaire voulant que le procureur général tente de manière inacceptable de soulever une nouvelle question lors du contrôle judiciaire doit être rejetée. La règle selon laquelle une décision ne peut être attaquée si la question n’était pas soumise au décideur n’aide pas M. Tipple, car le décideur était saisi de cette question. Le principe qu’invoque M. Tipple à l’appui de sa prétention est lié aux questions soumises au décideur et non aux arguments présentés par les parties.

 

[66]           M. Tipple cite le passage suivant de la décision 334156 rendue par la juge Dawson, maintenant juge de la Cour d’appel fédérale :

Cet argument n’a pas été avancé devant l’instance décisionnelle, que ce soit au premier ou au deuxième niveau. Il est de jurisprudence constante à la Cour qu’on ne peut attaquer une décision dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en se fondant sur une question qui n’a pas été soulevée devant l’instance décisionnelle, à moins qu’il ne s’agisse d’une question de compétence (ce qui n’est pas le cas ici). Voir par exemple : Toussaint c. Canada (Conseil des relations du travail), [1993] A.C.F. no 616 (C.A.), au paragraphe 5; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1954 (1re inst.), aux paragraphes 9 à 12 inclusivement; Nametco Holdings Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national), [2002] A.C.F. no 592, 2002 CAF 149, au paragraphe 2; et Armstrong c. Canada (Procureur général), 2006 C.F. 505 (C.F.), au paragraphe 26.

 

La « question » à laquelle la juge Dawson fait référence est une question qui doit être tranchée, et non une allégation particulière présentée par une partie. L’« argument » auquel renvoie la juge Dawson est un argument qui soulève une question, et non un argument avancé sur la manière dont on devrait trancher une question particulière. Toutes les affaires citées par la juge Dawson appuient la proposition que la Cour ne peut trancher une question qui n’a pas été portée à l’attention du décideur. Encore une fois, la question des dommages-intérêts relatifs à l’atteinte à la réputation a été soulevée par M. Tipple et le décideur en avait été clairement saisi.

 

[67]           Le procureur général affirme que les paramètres de la « nouvelle obligation » de protéger la réputation d’un employé sont « impossibles à définir » et un certain nombre de questions hypothétiques sont posées à l’appui de cet argument au paragraphe 55 de son mémoire dans le dossier T-1295-10. Subsidiairement, le procureur général affirme que si l’obligation de protéger la réputation d’un employé existe effectivement, TPSGC a [traduction] « plus que respecté » cette obligation étant donné qu’il a fourni à la presse une déclaration concernant le voyage à Londres dans laquelle il a expliqué que les réunions avaient été annulées en raison de problèmes logistiques.

 

[68]           M. Tipple conteste que l’arbitre de grief ait créé une nouvelle obligation de prendre des mesures actives pour protéger la réputation des employés. Il dit que le procureur général a porté son attention sur une seule des phrases de la décision de l’arbitre de grief et l’a interprétée hors contexte. Cette phrase, qui se trouve au paragraphe 342 de la décision, est la suivante :

Dans les circonstances de la présente affaire, je conclus qu’une fois que TPSGC a dit à M. Tipple qu’il s’occupait des communications externes, et en particulier une fois que M. Tipple a fait part de ses préoccupations sur sa réputation ternie et qu’il a reçu la directive de ne pas s’adresser aux médias, le défendeur était tenu de protéger la réputation de M. Tipple.

 

M. Tipple soutient que l’arbitre de grief a simplement conclu que TPSGC avait fait preuve de mauvaise foi et que, dans les circonstances, cet écart de conduite a porté atteinte à la réputation de M. Tipple et qu’il avait droit, selon Wallace, de se voir accorder des dommages-intérêts pour cette perte.

 

[69]           Je ne puis accepter les allégations de M. Tipple. Il prétend que l’obligation de protéger sa réputation a été incorporée par l’arbitre de grief dans l’obligation générale de faire preuve de bonne foi lors d’une cessation d’emploi. Toutefois, même la mesure de réparation que M. Tipple a cherché à obtenir de l’arbitre de grief ne réunissait pas ces notions, mais les différenciait plutôt. Il a demandé « des dommages-intérêts parce que TPSGC a enfreint son obligation d’agir de bonne foi à l’égard de M. Tipple et son obligation de protéger la réputation de M. Tipple et de ne pas lui porter préjudice [...] » [Non souligné dans l’original]. En outre, la décision en soi contient de nombreuses références à l’obligation de l’employeur de protéger la réputation d’un employé qui, à première vue, appuient la position du procureur général. En plus de la phrase du paragraphe 342 reproduite ci-dessus, ces références comprennent :

  • « Toutefois, il incombait à TPSGC non seulement de protéger ses propres intérêts et sa réputation, mais également les intérêts et la réputation de M. Tipple. » (paragraphe 343)
  • « M. Tipple avait droit à la protection de sa réputation par le défendeur. Ce droit ne lui a pas été reconnu. » (paragraphe 345)
  • « Je crois que TPSGC savait que le fait de pas fournir de renseignements pertinents et exacts aux médias ferait en sorte que la réputation de M. Tipple ne serait pas protégée. » (paragraphe 346)
  • « La stratégie de communication utilisée par le défendeur était intéressée et comportait un seul objectif précis : protéger ses propres intérêts en veillant à ce qu’aucun scandale n’embarrasse le défendeur ou le gouvernement du Canada. Malheureusement, cette démarche a été faite aux dépens de la réputation de M. Tipple. […] Il peut maintenant trouver un certain réconfort dans cette décision qui reconnaît que sa réputation a été sacrifiée pour préserver celle de TPSGC. » (paragraphe 347)
  • « L’aspect le plus troublant de la conduite du défendeur est que malgré les demandes faites par M. Tipple à TPSGC de protéger sa réputation, TPSGC ne l’a pas fait quand le premier article a été publié par The Globe and Mail ni n’a, par la suite, fait quoi que ce soit pour atténuer les dommages causés à la réputation de M. Tipple. De fait, M. Marshall a empiré la situation en mettant fin illégalement à l’emploi de M. Tipple dans une atmosphère de scandale. Je conclus donc que le défendeur n’a pas respecté son obligation de protéger la réputation de M. Tipple. » (paragraphe 348)

 

[70]           Ces déclarations, de même que le libellé de l’ordonnance réparatrice octroyant des dommages‑intérêts de « 250 000 $ pour perte de réputation », indiquent clairement que le point central de l’analyse de l’arbitre de grief n’était pas l’écart de conduite de TPSGC, mais plutôt l’atteinte à la réputation de M. Tipple, plus précisément en raison des actions notées par l’arbitre de grief au paragraphe 348 de sa décision : (1) il n’a pas protégé la réputation de M. Tipple « quand le premier article a été publié par The Globe and Mail ni, par la suite, fait quoi que ce soit pour atténuer les dommages causés à la réputation de M. Tipple » et (2) a aggravé la situation « en mettant fin illégalement à l’emploi de M. Tipple dans une atmosphère de scandale ».

 

[71]           Il n’y a guère de doute que si un employeur informe un employé qu’il s’occupera des communications externes et qu’il protégera sa réputation, c’est alors son devoir de le faire. Mais ici, ce n’est pas ce qui s’est produit. En l’espèce, M. Tipple a demandé la permission de s’adresser aux médias, mais ne l’a pas obtenue. On l’a informé que TPSGC s’occuperait de toutes les communications. On ne lui a fourni aucune garantie que TPSGC protégerait sa réputation. Afin de tenir TPSGC responsable des dommages causés à la réputation de M. Tipple, l’arbitre de grief doit conclure qu’il avait l’obligation de protéger sa réputation en l’absence de telles garanties.

 

[72]           Dans l’exposé des arguments déposé dans le dossier T-1295-10, M. Tipple déclare, au paragraphe 38, que [traduction] « les cours ainsi que les arbitres de grief ont tous deux accepté qu’ils ont, dans certaines circonstances, la capacité d’octroyer des dommages-intérêts à un employé pour atteinte à la réputation sous le régime du Code canadien du travail ». À l’appui de cette proposition, il cite comme faisant autorité Lockwood c. B & D Walter Trucking Ltd, [2010] C.L.A.D. No 172, au paragraphe 86; Marcil et Autocar Connaisseur, [1995] D.A.T.C. no 1032, au paragraphe 148, conf. par [1996] A.C.F. no 1439 (1re inst.), au paragraphe 7; Ribeiro c. Canadian Imperial Bank of Commerce (1989), 67 O.R. (2d) 385 (HCJ), modifiée en appel (1992), 13 O.R. (3d) 278 (CA); Wygant c. Regional Cablesystems, [2001] C.L.A.D. No 427, au paragraphe 152. Il cite plus loin la conclusion tirée par la Cour suprême au paragraphe 59 de Honda, selon laquelle « l’atteinte à la réputation de l’employé découlant de déclarations faites lors du congédiement » est un exemple de comportement lors d’un congédiement qui inflige un préjudice indemnisable.

 

[73]           Ces décisions sont, à mon avis, peu utiles. Dans Lockwood, l’arbitre de grief a dit qu’il avait le pouvoir, en vertu de l’alinéa 242(4)c) du Code canadien du travail, d’exiger que l’employeur [traduction] « prenne toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier » et d’exiger que cela comprenne une indemnisation pour [traduction] « atteinte à la réputation professionnelle. » Toutefois, une telle indemnisation n’a pas été accordée. Aucune analyse n’a été fournie concernant l’octroi de dommages-intérêts relatifs aux dommages causés par les commentaires d’un tiers, et non de l’employeur, alors que la seule faute alléguée contre l’employeur était de ne pas avoir pris les mesures nécessaires afin de prévenir les dommages causés à la réputation.

 

[74]           Dans Marcil, l’arbitre de grief et la Cour fédérale ont examiné une situation dans laquelle l’atteinte à la réputation avait été causée par un employeur ayant faussement accusé son ancien employé de malhonnêteté. De la même façon, dans Ribeiro, l’employeur a renvoyé l’employé après l’avoir accusé de fraude, allégation qui n’était pas fondée et qui n’était pas étayée par la preuve. Dans Wygant, l’employeur avait également fait de fausses allégations, prétendant que M. Wygant avait falsifié des enquêtes, et il avait maintenu ce moyen de défense bien après qu’il soit devenu évident que l’allégation ne pouvait être prouvée.

 

[75]           Il n’y a aucun doute que de fausses déclarations, formulées lors de la cessation de l’emploi et ternissant la réputation de l’ancien employé, peuvent mener à une indemnisation. Le scénario le plus courant est celui illustré dans les décisions susmentionnées, où l’employeur affirme qu’il existe un motif valable de congédiement, faisant état d’un écart de conduite de la part de l’employé alors que ce moyen de défense n’est pas établi lors du procès ou est abandonné avant l’instruction. Ici, il n’y a tout simplement pas de preuve que TPSGC a « porté atteinte » à la réputation de M. Tipple. L’employeur n’a jamais prétendu que M. Tipple avait été congédié en raison d’un écart de conduite quelconque ni formulé quelque déclaration que ce soit pouvant être interprétée comme attaquant sa réputation ou sa conduite, à l’exception peut‑être de celle concernant les réunions prétendument manquées au Royaume-Uni. Il est possible que la déclaration de TPSGC selon laquelle les réunions manquées avaient été « annulées en raison de problèmes logistiques » ne soit pas une description exacte des faits, mais il est difficile de la considérer comme étant une atteinte à la réputation de M. Tipple.

 

[76]           Je suis d’accord avec le procureur général pour dire que l’arbitre de grief a étendu l’obligation de bonne foi au-delà des paramètres définis dans Wallace. Il a créé un nouveau devoir selon lequel un employeur a l’obligation positive de protéger la réputation de l’employé. Une telle obligation n’existe pas en common law, et l’arbitre de grief n’a fourni aucun précédent faisant autorité à l’appui. L’arrêt Wallace de la Cour suprême, qui énonce que les employeurs ont l’obligation « d’être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés » n’exige pas qu’un employeur prenne des mesures concrètes en réponse à des articles dans les journaux qui pourraient ternir la réputation de l’un de leurs employés.

 

[77]           Je suis également d’accord avec la prétention du procureur général voulant que chaque employeur, notamment le gouvernement du Canada, ait des responsabilités qui dépassent celles qu’il a envers un employé en particulier. Les actions de la Couronne reflètent l’intérêt du public, et il est raisonnable que l’intérêt du public présenté aux médias soit exposé par une voix unique coordonnée dans le cadre d’une stratégie médiatique. Envoyer une lettre d’excuses à des fonctionnaires étrangers, alors qu’il n’est peut‑être pas nécessaire de le faire, est plutôt une question de protocole ou de courtoisie. Cela équivaut à offrir des excuses lorsque quelqu’un vous bouscule. Il ne fait aucun doute pour moi que de telles lettres ne sont pas sincères; toutefois, la Couronne a une relation continue avec des gouvernements étrangers et doit, en plus des intérêts particuliers d’un fonctionnaire qui s’offusque du geste, tenir compte de nombreuses autres considérations.

 

[78]           Pendant qu’il était l’employé de la Couronne, M. Tipple n’était pas libre de [traduction] « corriger le dossier » étant donné que TPSGC lui avait ordonné de ne pas le faire. Cependant, une fois qu’on a mis fin à son emploi, cette restriction a été levée. Or, il n’a entamé aucune démarche, hormis une poursuite pour diffamation contre The Globe and Mail et son journaliste, afin de faire connaître son histoire. L’arbitre de grief n’a pas examiné ce point. À mon avis, pour évaluer la responsabilité quant à une possible atteinte à la réputation, il n’était pas raisonnable de ne considérer que l’inaction de TPSGC, et non celle de M. Tipple, qui était alors en mesure d’agir. De plus, il n’était pas raisonnable d’omettre de tenir compte du fait que la véritable source de tout dommage était le Globe and Mail et son journaliste, qui pourraient tous deux être tenus d’indemniser M. Tipple dans le cadre de son action en diffamation.

 

[79]           En bref, je conclus que l’octroi de dommages-intérêts pour atteinte à la réputation n’a aucun fondement juridique ou factuel. Même s’il avait eu un fondement juridique, j’aurais trouvé le montant des dommages-intérêts déraisonnable. Même si l’on suppose que la réputation de M. Tipple a été ternie, ce sont les actions et la conduite du Globe and Mail et de son journaliste qui en sont la cause directe. L’arbitre de grief n’a aucunement considéré ce fait; il semble avoir plutôt attribué l’entière responsabilité à TPSGC. En outre, si TPSGC était tenu responsable d’une quelconque manière, cette responsabilité serait fondée sur le droit contractuel et M. Tipple aurait eu l’obligation de limiter le préjudice. Son inaction après la cessation de son emploi pour rétablir les faits et améliorer sa situation porte à conclure qu’il n’a pas su minimiser les dommages. Par conséquent, s’il avait eu droit à des dommages-intérêts, il n’aurait eu droit qu’à un montant beaucoup plus bas.

 

3. Dommages-intérêts pour entrave à la procédure

[80]           Le procureur général affirme que l’arbitre de grief n’avait pas la compétence pour octroyer des dommages-intérêts relativement à une prétendue entrave à la procédure, car la LRTFP ne permet pas à l’arbitre de grief d’adjuger des dépens. Il est reconnu que l’adjudication des dépens sous la forme d’une indemnité au titre d’une perte subie par une partie dans le cadre d’un grief intenté en raison de l’action de l’autre partie accorderait à la CRTFP un pouvoir qui irait à l’encontre de la volonté du législateur.

 

[81]           M. Tipple soutient que l’octroi d’une somme pour entrave à la procédure n’équivaut pas à une adjudication de dépens. Il indique que les dépens sont adjugés pour que « le perdant paie », alors que l’octroi d’une somme pour entrave de la procédure vise à dédommager une partie pour les véritables pertes subies en raison d’une violation des ordonnances de divulgation. M. Tipple note que l’arbitre de grief a reconnu qu’il n’avait pas compétence pour adjuger des dépens et a abordé la question de l’entrave en dehors du régime normal en matière de dépens. Il ajoute qu’il n’y a pas de droit sans réparation et qu’il doit y avoir des conséquences pour un employeur qui ne se conforme pas aux décisions de la Commission.

 

[82]           Le précédent faisant autorité cité par M. Tipple à l’appui de sa prétention selon laquelle les tribunaux se sont fondés sur « l’entrave à la procédure » pour justifier des réparations semblables est inutile, car la décision qu’il invoque, Stone c. British Columbia (Ministry of Health), 2008 BCHRT 96, visait une loi qui conférait expressément au Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique le pouvoir d’adjuger des dépens. En effet, le Tribunal, au paragraphe 59 de Stone, a expressément indiqué que [traduction] « le Code ainsi que les Règles confèrent au Tribunal le pouvoir exprès d’adjuger des dépens en cas de non-respect des Règles, de rendre des ordonnances et de donner des directives : alinéa 37(4)b) du Code et paragraphe 4(1) et article 31 des Règles ».

 

[83]           La prétention de M. Tipple voulant qu’il n’y ait pas de droit sans réparation ne lui est pas non plus utile. M. Tipple disposait d’une réparation si TPSGC entravait la procédure de la Commission en refusant de se conformer aux ordonnances de divulgation. Il aurait pu s’adresser à la Cour fédérale afin de faire respecter ces ordonnances. En effet, M. Tipple savait qu’il lui était possible d’aller à la Cour fédérale, mais il a choisi de ne pas le faire. Comme l’arbitre de grief l’a expliqué au paragraphe 37 de la décision :

[J]’ai informé l’avocat de M. Tipple qu’il lui faudrait peut-être déposer les ordonnances de divulgation en Cour fédérale afin que celle-ci les rende exécutoires. L’avocat de M. Tipple a déclaré que l’audience avait été retardée à de nombreuses reprises pendant qu’il attendait les documents et que dans l’intérêt de M. Tipple, une demande d’une ordonnance d’exécution à la Cour fédérale ne ferait que retarder l’instance et causer d’autres frais qui s’ajouteraient aux frais supplémentaires déjà causés par le défendeur qui ne fournit pas les documents pertinents.

 

[84]           À mon avis, si je me fie aux explications de la Commission, l’octroi d’une somme pour entrave à la procédure constitue essentiellement une adjudication de dépens déguisée. Ce constat ressort clairement de l’ensemble de la décision et du fait que l’arbitre de grief a conclu que le montant des dommages-intérêts équivalait aux frais de justice supplémentaires engagés par M. Tipple et directement attribuables au présumé non‑respect d’une ordonnance. Il n’est pas utile que l’arbitre de grief les ait qualifiés de « dommages pour entrave à la procédure ». Il faut examiner le fond de l’octroi, et non sa forme. Le législateur a prévu dans la LRTFP un mécanisme assurant le respect des ordonnances de la Commission, à savoir l’article 52 de la LRTFP, qui prévoit le dépôt d’ordonnances devant notre Cour. En conséquence, la Commission n’a pas compétence pour faire appliquer directement ses ordonnances ni pour conclure à un non‑respect; une telle question doit être tranchée par notre Cour. En qualifiant, à tort à mon avis, l’ordonnance d’octroi de dommages-intérêts pour non-respect, lesquels correspondent aux frais de justice supplémentaires engagés, la Commission a tenté de faire indirectement ce qu’elle n’avait pas la compétence de faire directement, à savoir, d’adjuger des dépens.

 

[85]           L’issue définitive de cette question est liée à ma décision concernant la question suivante : est-ce que l’arbitre de grief avait compétence pour adjuger des dépens? S’il l’avait, l’octroi doit être maintenu. S’il ne l’avait pas, l’octroi doit être annulé.

 

4. Compétence pour adjuger des dépens

[86]           M. Tipple soutient que l’arbitre avait compétence pour adjuger des dépens. À ses dires, tous les arbitres de grief ont compétence pour adjuger des dépens sous le régime du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, à l’instar des arbitres de la Commission des griefs de la fonction publique de l’Ontario, de la Commission des relations de travail de l’Ontario et de la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique, bien que certains d’entre eux aient adopté la politique de ne pas exercer cette compétence. Il fait valoir que, sous le régime de la LRTFP, un arbitre de grief a une compétence similaire à celle d’un arbitre en vertu de la Partie III du Code canadien du travail pour décider si un congédiement était justifié et, dans la négative, pour déterminer la mesure de réparation. En vertu de l’alinéa 242(4)c) du Code, l’arbitre de grief peut enjoindre à l’employeur qui a congédié une personne de « prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier » alors que la LRTFP prévoit que l’arbitre de grief « tranche [le grief] par l’ordonnance qu’il juge indiquée ».

 

[87]           Dans Banca Nazionale Del Lavoro of Canada Ltd c. Lee-Shanok, [1988] A.C.F. no 594 (CA), le juge Stone de la Cour d’appel fédérale a écrit :

Je n’ai aucune difficulté de voir dans le large pouvoir de « faire toute autre chose qu’il juge équitable d’ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d’y remédier » celui d’accorder des frais. Cependant, je vois difficilement comment une indemnité visant le recouvrement de frais juridiques pourrait avoir pour effet de rendre le plaignant entier. Les frais juridiques engagés réduiraient effectivement l’indemnité visant la perte de salaire, alors que leur recouvrement semblerait remédier à un effet du congédiement, ou tout au moins le contrebalancer. […] Nous n’avons pas à définir en l’espèce la portée exacte de l’alinéa c), et je suis convaincu qu’il englobe sûrement le recouvrement de frais par un plaignant dans des circonstances appropriées.

 

 

[88]           M. Tipple affirme également que des dépens ont été adjugés en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans la décision Matthews et Service canadien du renseignement de sécurité, précitée, et que le paragraphe 228(2) de l’ancienne Loi prévoyait un pouvoir de réparation moins large qu’en vertu de la Loi actuelle; en effet, il portait seulement que « l’arbitre tranche [le grief] » après étude de celui‑ci.

 

[89]           M. Tipple indique que l’arbitre de grief s’est erronément fondé exclusivement sur l’arrêt Mowat de la Cour d’appel fédérale pour décider qu’il n’avait pas compétence, étant donné que Mowat ne s’applique pas en l’espèce, et ce, pour trois motifs. Premièrement, le libellé de la Loi canadienne sur les droits de la personne est différent de celui de la LRTFP. La Loi canadienne sur les droits de la personne permet d’indemniser la victime pour « des dépenses entraînées par l’acte », alors que Mowat a établi que les dépens visent une fin autre qu’indemniser l’acte. À l’opposé, M. Tipple dit que la LRTFP ne limite pas le pouvoir de réparation de l’arbitre de grief en matière d’indemnisation, mais lui donne plutôt la compétence d’accorder des réparations « appropriées ». Deuxièmement, dans larrêt Mowat, la Cour a noté que, puisque certaines lois provinciales régissant les droits de la personne prévoient des dispositions particulières concernant les dépens, celles qui n’en prévoient pas ont été interprétées comme ne conférant pas de compétence en matière d’adjudication de dépens. En conséquence, la Cour a estimé qu’il serait incongru d’accorder un traitement différent à la loi fédérale qui ne confère aucun pouvoir explicite d’adjuger des dépens. M. Tipple soutient que, contrairement aux régimes des droits de la personne, d’autres tribunaux fédéraux et provinciaux s’occupant de litiges en matière de travail ont conclu qu’ils ont effectivement compétence pour adjuger des dépens même lorsque cette compétence n’est pas conférée de façon expresse. Troisièmement, dans Mowat, la Cour s’est fondée sur le fait que le législateur avait tenu compte d’une proposition de modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui aurait explicitement prévu la compétence d’adjuger des dépens. M. Tipple dit qu’un tel projet de loi n’a jamais été proposé pour la LRTFP ou la loi qui l’a précédée.

 

[90]           De plus, M. Tipple fait valoir que la LRTFP s’intéresse à des questions différentes des litiges portés devant le Tribunal canadien des droits de la personne. En l’espèce, l’arbitrage de griefs relatifs à des congédiements remplace l’action civile devant une cour supérieure provinciale où les dépens sont la norme, alors qu’il n’y a pas d’action civile correspondante disponible dans les cas de discrimination.

 

[91]           J’estime que les décisions portant sur la compétence d’autres tribunaux en matière d’adjudication de dépens en vertu de leurs lois habilitantes sont peu utiles pour interpréter la LRTFP, et plus précisément, pour déterminer si un arbitre de grief a compétence pour adjuger des dépens en vertu de la LRTFP.

 

[92]           L’arrêt Mowat n’est utile que dans la mesure où il expose les principes d’interprétation et observations générales suivants à suivre afin d’éclairer mon examen de la question :

                       1.             La compétence pour adjuger des dépens doit être prévue dans la loi; les tribunaux créés par la loi n’ont pas de compétence inhérente pour adjuger des dépens.

                       2.             Pour interpréter la loi, il faut chercher l’intention du législateur en donnant aux mots leur sens grammatical et ordinaire, et ils doivent être examinés dans leur contexte et selon l’esprit et l’objet de la loi.

 

[93]           La question fondamentale qui doit être abordée à la lumière de ces principes est celle de savoir si le paragraphe 228(2) de la LRTFP accorde le pouvoir d’adjuger des dépens à un arbitre de grief. Pour des raisons de commodité, je reproduis cette disposition :

228. (2) Après étude du grief, il tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiquée. …

228. (2) After considering the grievance, the adjudicator must render a decision and make the order that he or she considers appropriate in the circumstances. …

 

 

[94]           Bien que le pouvoir qu’a l’arbitre de grief de « tranche[r] [le grief] par l’ordonnance qu’il juge indiquée » semble conférer à l’arbitre une grande liberté quant à la réparation à accorder, j’ai conclu, pour les motifs suivants, que le législateur n’avait pas l’intention d’inclure dans la compétence de l’arbitre de grief le pouvoir d’adjuger des dépens sous le régime de la LRTFP.

 

[95]           Premièrement, la LRTFP prévoit un mécanisme de grief et d’arbitrage pour les fonctionnaires, y compris ceux couverts par des conventions collectives et représentés par des agents négociateurs. Les délais fixés dans la LRTFP sont courts et il est évident que ces questions étaient destinées à être traitées de façon expéditive. Le procureur général fait remarquer que la LRTFP n’exige pas que les fonctionnaires s’estimant lésés soient représentés par un avocat et qu’ils sont souvent représentés par leur agent de négociation. En fait, les fonctionnaires représentés par un agent de négociation sont tenus, en vertu du paragraphe 208(4) et de l’article 213 de la LRTFP, d’être représentés par leur agent de négociation lors de la présentation de leurs griefs individuels et de leur arbitrage. En vertu de l’article 212, un fonctionnaire non représenté peut « demander l’aide de n’importe quelle organisation syndicale et, s’il le désire, être représenté par l’organisation de son choix à l’occasion de la présentation d’un grief individuel ou du renvoi d’un tel grief à l’arbitrage ». Alors qu’il n’y a rien dans la LRTFP qui interdise expressément aux fonctionnaires s’estimant lésés, et non représentés comme M. Tipple, d’avoir recours à un avocat, la LRTFP semble envisager une procédure dans le cadre de laquelle des représentants du ministère et de l’agent de négociation parleraient au nom des deux parties intéressées.

 

[96]           Deuxièmement, l’arbitre de grief n’a pas à mon avis carte blanche en ce qui concerne les dispositions de son ordonnance, nonobstant le libellé du paragraphe 228(2) selon lequel il « tranche [le grief] par l’ordonnance qu’il juge indiquée ». La pertinence de l’ordonnance et donc la compétence de l’arbitre de grief doivent être évaluées en fonction de la nature de la plainte en question, soit en l’espèce le licenciement.

 

[97]           Lorsque, comme en l’espèce, le grief porte sur « une mesure disciplinaire entraînant le licenciement », décrite à l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, et que la mesure s’avère injustifiée, le fonctionnaire s’estimant lésé est en droit d’être remis dans la situation dans laquelle il se serait retrouvé si la mesure n’avait pas été prise. Cela peut comporter la réintégration ou lorsque, comme en l’espèce, le contrat a pris fin, des dommages-intérêts pour perte de salaire et d’avantages sociaux ainsi que des dommages-intérêts compensatoires pour les pertes subies en conséquence de l’acte fautif (c’est-à-dire des dommages-intérêts moraux tels que décrits par la Cour suprême dans l’arrêt Honda). Ces indemnités sont de nature réparatrice, et non punitive. Ces dommages-intérêts portent directement sur le grief de l’employé licencié ainsi que sur le comportement de l’employeur donnant lieu au grief.

 

[98]           La Cour d’appel fédérale a fait observer qu’il existe une « triple finalité recherchée par l’adjudication de dépens […] l’indemnisation, l’incitation à régler et la dissuasion de comportements abusifs » : Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115. Les dépens ne sont pas de nature réparatrice. S’ils l’étaient, les tribunaux auraient le droit d’adjuger des dépens en l’absence de disposition législative expresse à cet effet dans le cadre de leur compétence en matière de réparation des préjudices. Toutefois, comme on l’a vu, les tribunaux n’ont pas cette compétence inhérente, ce qui donne à penser que le paragraphe 228(2) de la LRTFP n’autorise pas l’adjudication des dépens.

 

[99]           De plus, je ne suis pas d’accord avec la déclaration suivante faite par M. Tipple aux paragraphes 391 et 392 des observations écrites qu’il a présentées à l’arbitre de grief :

[traduction] […] La LRTFP et les autorités compétentes ont exigé que M. Tipple dépose un grief en vue d’obtenir des dommages-intérêts de son ancien employeur, en excluant le recours au système judiciaire civil dans le cadre duquel M. Tipple aurait normalement le droit de réclamer des dommages-intérêts pour mauvaise foi, des dommages-intérêts punitifs, des intérêts et le remboursement des frais de justice.

 

[…] un arbitre de grief traitant une réclamation faite par un employé comme M. Tipple possède une compétence illimitée en matière de réparation, et devrait accorder les mêmes dommages-intérêts qu’un tribunal, y compris des dommages-intérêts pour mauvaise foi, des dommages-intérêts punitifs, des intérêts et le remboursement intégral des frais de justice.

 

Premièrement, comme indiqué, une adjudication des dépens n’équivaut pas à une ordonnance de dommages-intérêts, et, deuxièmement, les tribunaux n’adjugent des dépens que parce que ce pouvoir leur a été expressément conféré.

 

[100]       Enfin, je trouve convaincante l’observation du procureur général selon laquelle l’intention du législateur quant à l’adjudication des dépens sous le régime de la LRTFP est révélée dans la manière dont le législateur a traité cette question à l’article 394 de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, L.C. 2009, ch. 2 (la LERSP). Cette loi est plus pertinente que les autres dispositions législatives citées par M. Tipple, y compris celles du Code canadien du travail, puisque la compétence accordée au tribunal en vertu de la LERSP est la même que celle conférée en l’espèce à la CRTFP.

 

[101]       La LERSP, lorsqu’elle entrera en vigueur, transfèrera la compétence quant aux plaintes relatives à l’équité salariale dans la fonction publique de la Commission des droits de la personne à la CRTFP. Des fonctionnaires syndiqués ou non syndiqués pourront déposer une plainte contre l’employeur ou le représentant syndical, ou les deux. L’article 34 de la LERSP traite expressément des dépens et dispose :

34. La Commission peut, en rendant toute ordonnance en vertu de la présente loi, exiger de l’employeur, de l’agent négociateur ou des deux, selon le cas, qu’ils paient au plaignant tout ou partie des dépenses exposées par celui-ci par suite du dépôt de la plainte.

34. The Board may, in making an order under this Act, require the employer, the bargaining agent or the employer and the bargaining agent, as the case may be, to pay to the complainant all or any part of the costs and expenses incurred by the complainant as a result of making the complaint.

 

[102]       Bien que la compétence en matière de réparation conférée à la CRTFP en vertu de la LERSP soit libellée différemment que sa compétence aux termes du paragraphe 228(2) de la LRTFP, je suis d’accord avec le procureur général pour dire que la LERSP [traduction] « démontre que l’intention du législateur est de conférer à la CRTFP le pouvoir d’adjuger des dépens dans des circonstances précises et limitées ».

 

[103]       Pour ces motifs, je conclus que l’arbitre de grief a eu raison de conclure qu’il n’avait pas compétence en vertu de la LRTFP pour accorder des dommages-intérêts. En conséquence, et à la lumière de la discussion qui précède, l’ordonnance accordant des dommages-intérêts pour entrave à la procédure, qui s’est avérée être une adjudication de dépens, doit être annulée.

 

5. Intérêts

[104]       L’arbitre de grief a accordé des intérêts sur les montants accordés « au taux des obligations d’épargne du Canada qui s’appliquerait chaque année du 1er octobre 2006 au 6 octobre 2008 ». Il a limité la période des intérêts à cette période parce qu’il était d’avis qu’il s’agissait de la période réclamée par M. Tipple, malgré le fait qu’il aurait autrement eu droit à des intérêts jusqu’au paiement : Canada (Procureur général) c. Morgan, [1991] A.C.F. no 1105 (CA).

 

[105]       M. Tipple soutient que l’arbitre de grief a commis une erreur en jugeant, au paragraphe 308 de sa décision, qu’il avait « décidé de limiter sa réclamation à la période allant du 1er octobre 2006 au 6 octobre 2008 ». M. Tipple dit qu’il n’a jamais limité ainsi sa réclamation, mais a plutôt revendiqué des intérêts jusqu’à la date de la décision de la CRTFP.

 

[106]       M. Tipple a déposé un grief qui comportait une lettre d’accompagnement et la déclaration antérieurement déposée devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (maintenant suspendue), dans laquelle il demandait entre autres des [traduction] « intérêts… à partir du 31 août 2006 ». M. Tipple fait observer que son grief ne limitait aucunement sa réclamation concernant les intérêts pour la période se terminant le 6 octobre 2008. De plus, il a énoncé la réparation qu’il cherchait à obtenir au paragraphe 418 des observations qu’il a présentées à l’arbitre de grief, dans lesquelles il réclamait [traduction] « des intérêts sur le montant ci-dessus » sans toutefois limiter la période pour laquelle les intérêts étaient réclamés. Enfin, M. Tipple fait remarquer que, dans ses observations finales à la Commission, il a précisé qu’il sollicitait des intérêts pour l’ensemble de la période, jusqu’à la date de la décision de l’arbitre de grief.

 

[107]       M. Tipple a formulé l’hypothèse que l’arbitre de grief aurait peut-être mal compris sa réclamation relative aux intérêts en raison du libellé du paragraphe 412 de ses observations écrites concernant le taux d’intérêt approprié à appliquer :

[traduction] J’estime, en toute déférence, qu’il n’y a aucune raison en l’espèce de s’écarter de l’approche Pepper, et que le fonctionnaire s’estimant lésé devrait se voir accorder des intérêts au taux de la Banque du Canada pour la période allant du 1er octobre 2006 au 6 octobre 2008, eu égard à son salaire et à ses avantages au moment de son licenciement.

 

M. Tipple dit que ces observations portaient sur le taux d’intérêt approprié applicable, et non à la période de temps pour laquelle il réclamait des intérêts.

 

[108]       Le procureur général ne soutient pas que l’arbitre de grief a bien compris l’observation de M. Tipple. Il fait plutôt valoir que l’ordonnance relative aux intérêts doit être confirmée à moins qu’il ne soit établi qu’elle était déraisonnable. Il indique également que la norme de la décision raisonnable commande la déférence.

 

[109]       À mon avis, il est clair que M. Tipple n’a pas limité sa réclamation relative aux intérêts de la manière décrite par l’arbitre de grief. Outre les autres documents au dossier, y compris le grief et les observations écrites fournies à l’arbitre de grief, je me fonde sur la déclaration suivante faite par M. Tipple dans son affidavit déposé dans le cadre de la présente demande :

[traduction] Dans ses observations finales, mon avocat a précisé que je réclamais des intérêts pour la totalité de la période, jusqu’à la décision de l’arbitre de grief, et non seulement pour la période allant du 1er octobre 2006 au 6 octobre 2008.

 

 

[110]       En conséquence, l’ordonnance de l’arbitre de grief relative aux intérêts qui ne vise que la période allant jusqu’au 6 octobre 2008, fondée sur la conclusion que M. Tipple réclamait des intérêts jusqu’à cette période seulement, est déraisonnable et doit être annulée et renvoyée à la Commission.

 

Sommaire des conclusions

[111]       Je suis arrivé aux conclusions suivantes en ce qui concerne les questions en litige :

1. L’octroi de 125 000 $ pour préjudice psychologique ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Le montant est déraisonnable et cette mesure doit être annulée. L’arbitre de grief possédait des preuves sur lesquelles il pouvait très bien se baser pour octroyer des dommages-intérêts au titre du préjudice psychologique. Cette partie de la décision doit donc être renvoyée à la CRTFP afin qu’elle rende une nouvelle décision à cet égard qui soit compatible avec les présents motifs et la jurisprudence.

2. Il n’existait aucun fondement juridique pour l’octroi de dommages-intérêts pour l’atteinte à la réputation puisque l’employeur n’avait aucunement l’obligation de protéger la réputation de M. Tipple. S’il y avait eu un quelconque fondement juridique, le montant de 250 000 $ aurait été déraisonnable puisque l’arbitre de grief n’a pas pris en considération, pour établir ce montant, le fait que les dommages ont été causés directement par les actions et par la conduite du journaliste et du Globe and Mail, et que M. Tipple a manqué à son devoir de limiter le préjudice.

3. L’octroi de dommages-intérêts pour entrave à la procédure était en réalité une adjudication de dépens et outrepassait par conséquent la compétence de l’arbitre de grief. Cette mesure doit être annulée.

4. L’arbitre de grief a eu raison de conclure qu’il n’avait pas compétence en vertu de la LRTFP pour adjuger des dépens à la partie qui a gain de cause.

5. La mesure relative aux intérêts qui limite ceux‑ci à la période se terminant le 6 octobre 2008 reposait sur une erreur de fait, soit que M. Tipple avait limité ainsi sa demande. Cette mesure est donc déraisonnable et doit être annulée et renvoyée à la Commission afin qu’elle statue à nouveau à cet égard.

 

[112]       En somme, j’accueillerai la demande du procureur général dans le dossier T-1295-10 et j’annulerai les mesures prévoyant des dommages-intérêts pour préjudice psychologique, atteinte à la réputation et entrave à la procédure; la mesure prévoyant des dommages-intérêts au titre du préjudice psychologique sera renvoyée à la CRTFP afin qu’elle statue à nouveau à cet égard. Je ferai droit à la demande de M. Tipple dans le dossier T-1315-10 seulement en ce qui concerne la mesure relative aux intérêts, et cette question devra être renvoyée à la CRTFP pour qu’elle statue à nouveau à cet égard.

 

[113]       L’arbitre de grief, D.R. Quigley, a pris sa retraite et ne travaille plus pour la CRTFP. Les parties sont d’accord pour qu’un autre membre de la CRTFP soit nommé par le président de la CRTFP pour rendre les décisions nécessaires à la suite de mon jugement.

 

[114]       Les parties ont informé la Cour qu’elles sont d’avis que le montant approprié pour les dépens relativement aux deux demandes serait de 7 500 $. Puisque chaque partie a partiellement gain de cause, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour n’adjuger aucuns dépens dans ces dossiers.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE :

    1.               La demande introduite par le procureur général dans le dossier T-1295-10 est accueillie :

a)                  L’octroi de dommages-intérêts de 125 000 $ pour préjudice psychologique est annulé et la détermination du montant de ces dommages-intérêts est renvoyée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour qu’elle statue à nouveau à cet égard;

b)                  l’octroi de dommages-intérêts de 250 000 $ pour atteinte à la réputation est

annulé;

c)                   l’octroi de 45 322,03 $ pour entrave à la procédure est annulé.

 

    2.               La demande de M. Tipple dans le dossier T-1315-10 est accueillie en partie.

L’octroi d’intérêts pour la période se terminant le 6 octobre 2008 est annulé et la question des intérêts est renvoyée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique afin qu’elle statue à nouveau à cet égard en gardant à l’esprit les observations de M. Tipple selon lesquelles les intérêts devaient continuer de courir jusqu’à la date de la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

 

    3.               Aucuns dépens ne sont adjugés dans ces dossiers.

 

« Russel W. Zinn »

Juge


 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-1295-10

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. DOUGLAS TIPPLE

 

                                                            T-1315-10

DOUGLAS TIPPLE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 avril 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen Victor, c. r.

David Cutler

Christopher Rootham

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Ciavaglia

Claudine Patry

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VICTOR AGES VALLANCE LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario )

POUR LE DÉFENDEUR

 

[115]        

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