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Date : 20110627


Dossiers : IMM-6000-09

IMM-6005-09

IMM-6009-09

IMM-6010-09

 

Référence : 2011 CF 773

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2011

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

 

HENOK AYNALEM GHIRMATSION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

ET ENTRE :

 

 

Dossier : IMM-6005-09

 

TSEGEROMAN ZENAWI KIDANE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 




ET ENTRE

 

 

Dossier : IMM-6009-09

 

TSEGAY KIFLAY WELDESILASSIE

(alias TSEGAY FIKLAY WELDESILASSIE)

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

ET ENTRE

 

 

Dossier : IMM-6010-09

 

SELAM PETROS WOLDESELLASIE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Chacun des demandeurs a eu gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, soit dans les affaires Ghirmatsion c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, [2011] ACF no 650 (QL), Kidane c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 520, [2011] ACF no 651 (QL), Weldesilassie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 521, [2011] ACF no 652 (QL) et Woldesellasie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 522, [2011] ACF no 653 (QL) (désignés conjointement les cas types). Dans chaque affaire, la décision de la même agente des visas a été annulée. Se conformant aux directives de la Cour, les parties ont soumis leurs observations écrites relativement aux dépens.

 

[2]               Dans leurs observations (présentées conjointement pour les quatre cas types), les demandeurs sollicitent des dépens procureur-client d’un montant de 166 500 $, plus la TVH. Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), soutient pour sa part qu’aucuns dépens n’ont à être attribués. Après examen des observations des parties, j’estime justifiée, compte tenu des circonstances exceptionnelles en cause dans les quatre cas types et de mon pouvoir discrétionnaire, l’attribution d’un montant total de dépens de 24 000 $. Je vais maintenant en exposer les motifs.

 

[3]               Le fondement du pouvoir d’attribution des dépens se trouve à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] et à l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [les Règles en matière de protection des réfugiés]. L’article 22 des Règles en matière de protection des réfugiés prévoit que la demande d’autorisation ou la demande de contrôle judiciaire ne donnent pas lieu à des dépens, sauf si la Cour estime que des raisons spéciales le justifient. Or, des raisons spéciales existent dans les quatre cas types qui nous occupent, soit le contexte dans lequel elles s’inscrivent, la prolongation inutile des instances et la nature des erreurs dans les décisions rendues.

 

[4]               La première raison spéciale – et la plus importante – est le contexte ayant entouré les quatre cas types. Ces cas étaient jugés représentatifs de plus de 40 affaires laissées en suspens en attendant qu’il soit statué sur les demandes de contrôle judiciaire dans les quatre cas types. On m’a récemment informée de l’acquiescement à jugement du ministre dans toutes les affaires restantes. Ces affaires, sans que de nouvelles procédures ne soient nécessaires, seront renvoyées pour nouvel examen. Il s’agit de circonstances inhabituelles, et grâce au choix attentif des quatre cas types et à la bonne préparation dans ces dossiers, les parties n’ont pas eu de part et autre, dans les dossiers restants, à longuement se préparer ni à engager des frais de litige additionnels. Ce contexte milite en faveur de l’attribution de dépens.

 

[5]               La seconde raison a trait au déroulement de ces affaires devant la Cour. La Cour fédérale a statué qu’on pouvait conclure à l’existence de « raisons spéciales » si une partie avait prolongé l’instance de manière inutile ou déraisonnable (Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, 275 FTR 316, paragraphe 26), ou lorsqu’il ressortait, après examen du dossier, que les motifs exposés par l’agent à l’appui de sa décision n’allaient pas résister à un contrôle judiciaire et que l’affaire aurait dû être « menée à son terme rapidement » (Ndererehe c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 880, 317 FTR 23, paragraphe 35). L’un et l’autre facteurs militent aussi, quant à nos affaires, en faveur de l’octroi de dépens.

 

[6]               Le processus a été long dans les quatre cas types et les autres qui ne sont plus en suspens. Le tout a débuté le 4 novembre 2009 lorsque les demandeurs, par l’entremise du directeur du Conseil canadien pour les réfugiés, ont porté des « questions communes » à l’attention de hauts fonctionnaires à l’administration centrale de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Ottawa. C’était plusieurs semaines avant que ne soient introduites dans ces dossiers les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire. J’estime tout comme les demandeurs que, si le ministre avait étudié avec soin en novembre 2009 les plaintes formulées, le litige aurait pu être évité. Ce problème est amplifié par la nature même des demandes d’asile des demandeurs. Les quatre demandeurs représentatifs et tous les autres demandeurs sont des réfugiés dans un pays étranger dangereux qui n’ont pas l’argent nécessaire pour demander le contrôle judiciaire au Canada des décisions sur leurs demandes d’asile. Cela aurait dû être pris en considération par le ministre en 2009. Le ministre n’est assurément pas tenu de faire faire enquête dans tous les dossiers qui parviennent jusqu’à son bureau. Toutefois, comme une organisation réputée avait porté à l’attention du ministre un bon nombre de problèmes similaires originant du même bureau des visas, le bon sens et le souci d’équité m’amènent à conclure qu’il aurait dû prendre les plaintes davantage au sérieux. Cela ne semble pas s’être produit, du moins pas de manière satisfaisante.

 

[7]               Les demandeurs soulignent que le ministre a eu plusieurs fois l’occasion de régler ces affaires au fur et à mesure que devenaient plus manifestes les problèmes soulevés par les décisions de l’agente des visas. L’avocat du ministre répond à cela que les actions des avocats des demandeurs l’ont obligé à [traduction] « défendre vigoureusement les intérêts de son client » et à « présenter une défense solide et énergique ». Je suis entièrement d’accord avec lui. Toutefois, il est également dans l’intérêt du ministre de régler le litige lorsque tout porte à croire qu’un demandeur aura gain de cause sur le fond dans sa demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               Le fait que les demandeurs aient sollicité, aux dires du ministre, [traduction] « une injonction de manière injustifiée et inappropriée », était une question d’ordre secondaire qu’on aurait vraisemblablement pu régler au moyen soit de négociations, soit d’une procédure fort réduite de contrôle judiciaire.

 

[9]               Un événement particulier se démarque dans le processus préalable à l’instruction dans les quatre cas types. Le contre-interrogatoire de l’agente des visas à l’égard de ses affidavits a constitué un point tournant, à partir duquel l’existence de certaines erreurs et leur importance auraient dû être manifestes pour le ministre.

 

[10]           Les demandeurs font également valoir l’absence de formation et les erreurs « flagrantes » de l’agente des visas, qui font contraste avec la bonne compréhension et les compétences attendues d’un agent des visas faisant preuve de professionnalisme. Face à une telle situation, l’octroi de dépens peut être justifié pour inciter CIC à se pencher sur la formation et les pratiques des agents des visas en poste à l’étranger, et à apporter les modifications requises (voir, par exemple, Qin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1154, 225 FTR 136, paragraphe 34). Dans les quatre cas types, les erreurs de l’agente des visas étaient plus que manifestes au vu du dossier. Cela est devenu frappant par son évidence, on l’a dit, lors du contre‑interrogatoire de l’agente, où son absence de formation et de soutien adéquats ne faisaient plus aucun doute. Ce facteur une fois encore milite en faveur de l’octroi de dépens.

 

[11]           La Cour a déjà statué que l’attribution de dépens pouvait être justifiée lorsqu’une partie avait agi de mauvaise foi ou d’une manière pouvant être qualifiée d’inéquitable, d’abusive ou d’inappropriée (Kargbo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 469, [2011] ACF no 577 (QL), paragraphes 33 à 35). Je partage l’avis du ministre selon lequel il n’y a pas eu de comportement atteignant un pareil niveau en l’espèce. J’estime qu’on aurait dû examiner ou régler plus tôt les problèmes en cause et, quant aux quatre cas types, que l’agente des visas aurait dû avoir une préparation ou une formation meilleure pour exercer ses fonctions, mais rien ne dénote de la part de l’agente, du ministre ou de l’avocat du ministre un comportement inéquitable, abusif ou inapproprié.

 

[12]           Compte tenu des circonstances exceptionnelles entourant les quatre cas types et des motifs ci-dessus exposés, il y a des « raisons spéciales » sortant du cadre habituel d’un contrôle judiciaire d’attribuer des dépens. Il est par conséquent justifié d’accorder des dépens en l’espèce.

 

[13]           On l’a dit, les demandeurs sollicitent les dépens sur la base procureur-client. L’octroi de tels dépens n’est justifié que s’il y a preuve d’une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » de la part du défendeur (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c.  Harkat, 2008 CAF 179, [2008] ACF no 761 (QL), paragraphe 13). Or, la preuve n’a pas été faite en l’espèce de l’existence d’un tel comportement.

 

[14]           À mon avis, l’octroi d’un montant forfaitaire de 5 000 $ par dossier plus un montant total de débours 4 000 $ pour les quatre dossiers, soit une somme totale de 24 000 $, TVH comprise, peut se justifier et est raisonnable en fonction des faits en cause dans ces affaires.

 

[15]           Je souhaite finalement traiter de l’argument présenté par les demandeurs dans une lettre datée du 31 mai 2011. Les demandeurs ont joint à cette lettre copie d’un rapport intitulé The PSR QA Project: Managing Quality Counts, et demandé à la Cour de prendre en compte ce document dans le calcul des dépens. Selon les demandeurs, ce rapport constitue la preuve que, si on avait mis en œuvre les recommandations formulées pour régler les problèmes qui y ont été relevés, il n’aurait vraisemblablement jamais été nécessaire de s’engager dans le litige qui nous occupe. Je ne prendrai pas ce rapport en compte pour les deux motifs suivants : (1) il n’y a pas lieu de considérer un rapport déposé une fois mené à bien le de contrôle judiciaire et après la date fixée pour la soumission d’observations sur les dépens, et (2) le rapport a été présenté sans aucun contexte permettant d’établir si l’une quelconque des recommandations a jamais été mise en œuvre. Ce rapport n’a donc pas été pris en compte en vue de fixer le montant des dépens.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Des dépens d’un montant de 6 000 $, débours et TVH inclus, sont attribués aux demandeurs dans chacun des dossiers de la Cour suivants : IMM-6000-09, IMM-6005-09, IMM‑6009-09 et IMM-6010-09, pour un montant total de 24 000 $.

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6000-09, IMM-6005-09

                                                            IMM-6009-09, IMM-6010-09

 

INTITULÉ :                                       HENOK AYNALEM GHIRMATSION, TSEGEROMAN ZENAWI KIDANE, TSEGAY KIFLAY WELDESILASSIE (ALIAS TSEGAY FIKLAY WELDESILASSIE), SELAM PETROS WOLDESELLASIE

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

OBSERVATION ÉCRITES SUR LES DÉPENS PRÉSENTÉES CONFORMÉMENT AUX MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT DE LA JUGE SNIDER DATÉS DU 5 MAI 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE                         LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 JUIN 2011

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

 

Andrew Brouwer

Timothy Wichert

 

POUR LES DEMANDEURS

Stephen H. Gold

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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