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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110512

Dossier : T‑1118‑09

Référence : 2011 CF 547

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

 

PFIZER CANADA INC.

et EISAI CO., LTD.

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

                      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]                    Il s’agit d’une demande d’interdiction présentée en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, et ses modifications (Règlement AC). Le médicament en cause est un nouveau composé appelé donépézil, qui est censé être utile pour traiter la démence sénile. La demanderesse, Pfizer Canada Inc., a reçu l’approbation du défendeur, le ministre de la Santé, pour vendre au Canada un médicament contenant du chlorhydrate de donépézil sous forme de comprimé de 5 mg et de 10 mg pour administration orale. Ce médicament est approuvé pour l’indication suivante ainsi décrite : le traitement symptomatique de la démence de type Alzheimer d’intensité légère, modérée et sévère.

 

[2]               Les sociétés défenderesses, que je désignerai collectivement ci‑après sous l'appellation « Mylan », ont demandé au ministre de leur délivrer un avis de conformité les autorisant à vendre une version générique de cette drogue au Canada. Les demanderesses sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de donner cette autorisation avant l’expiration du brevet canadien no 1,338,808.

 

[3]               Pour les motifs dont l’exposé suit, j’accueillerai la demande et interdirai au ministre de délivrer un avis de conformité à Mylan avant l’expiration du brevet canadien no 1,338,808.

 

TABLE

[4]               Voici, pour la commodité du lecteur, la table des matières des présents motifs :

 

LES PARTIES                                                                                   Paragraphes 5 à 9

DÉMENCE SÉNILE – MALADIE D’ALZHEIMER                    Paragraphes 10 à 13

ÉVOLUTION DES RECHERCHES AU LABORATOIRE

EISAI                                                                                                  Paragraphes 14 à 17

LE BREVET CANADIEN NO 1,338,808                                         Paragraphes 18 à 34

LES QUESTIONS EN LITIGE                                                        Paragraphe 35

LA PREUVE                                                                                      Paragraphes 36 à 40

LA PREUVE DES EXPERTS                                                           Paragraphes 41 et 42

LES EXPERTS DES DEMANDERESSES                                     Paragraphes 43 à 134

L’EXPERT DE MYLAN                                                                   Paragraphes 135 à 183

LES INSTANCES RELATIVES À UN AC                                     Paragraphes 184 à 187

LA CHARGE DE LA PREUVE                                                       Paragraphe 188

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART                                       Paragraphe 189

REVENDICATIONS 6 ET 18 – INTERPRÉTATION                   Paragraphes 190 à 193

LE BREVET 808 – L’EXACTITUDE DE LA DIVULGATION    Paragraphes 194 à 198

L’UTILITÉ – LA PROMESSE DU BREVET –                   

LA PRÉDICTION VALABLE                                                         Paragraphes 199 à 231

 

1)      L’utilité

 

a)  L’utilité comme condition requise                              paragraphes 201 et 202

b)  Qu’est‑ce que l’utilité?                                               paragraphes 203 à 211

c)  À quoi l’invention est-elle utile? – la promesse

du brevet                                                                     paragraphes 212 à 217

d)  La prudence nécessaire dans l’utilisation de la

preuve d’expert aux fins de l’interprétation             paragraphes 218 à 224

e)  L’utilité réalisée ou l’utilité prédite                           paragraphes 225 à 228

f)  La date pertinente                                                       paragraphes 229 à 231

 

 

L’INTERPRÉTATION DE LA PROMESSE OU              

UTILITÉ DÉCLARÉE DU BREVET 808                                       Paragraphes 232 à 237

 

LA PRÉDICTION VALABLE                                                         Paragraphes 238 à 248

 

CONCLUSION ET TAXATION DES DÉPENS                             Paragraphes 249 à 251

 

LES PARTIES

[5]           La demanderesse Pfizer Inc. est désignée sous l’appellation de « première personne » dans le Règlement AC. Elle a reçu du défendeur, le ministre de la Santé, l’autorisation de vendre le médicament contenant du donépézil, décrit précédemment. Elle vend ce médicament au Canada sous le nom de marque ARICEPT.

 

[6]           La demanderesse Eisai Co., Ltd. est une société japonaise à laquelle le brevet canadien no 1,338,808 a été délivré le 24 décembre 1996. Selon le dossier, Eisai reste titulaire de ce brevet. Or, suivant le paragraphe 6(4) du Règlement AC, le titulaire du brevet doit être joint comme partie à l'instance.

 

[7]           Les sociétés défenderesses, auparavant désignées « Genpharm ULC » et « Mylan Pharmaceuticals ULC », ont fait l’objet d’une requête instruite par le protonotaire Aalto (2010 CF 684), dont la décision a été portée en appel devant la juge Heneghan, lquelle a déposé ses motifs le 29 mars 2011. La décision du protonotaire, confirmée en appel, a eu pour effet la radiation de certaines parties de l’avis de demande des demanderesses qui contestaient la qualité de « seconde personne » de Genpharm LLC sous le régime du Règlement AC. Le protonotaire et la juge ont examiné l’histoire récente des deux entités, notamment leur regroupement sous la dénomination de Mylan. Le protonotaire Aalto a écrit ce qui suit au paragraphe 5 de ses motifs :

[TRADUCTION]

5     On pourra mieux comprendre la question de structure d’entreprise que Pfizer a mise en litige à l’aide de la brève chronologie suivante des événements qui y ont donné naissance :

 

21 décembre 07

 

Genpharm ULC est maintenue sous le régime de l’Alberta Business Corporations Act (l’ABCA).

 

23 décembre 08

 

Genpharm ULC dépose sa PADN auprès du ministre.

 

1er janvier 09

 

Genpharm ULC absorbe Prempharm ULC sous le régime de l’ABCA et est maintenue sous le nom de Genpharm ULC.

 

24 avril 09

 

Enregistrement du changement de nom de Genpharm ULC pour Mylan.

 

 

 

27 mai 09

Signification de l’AA à Pfizer.

 

 

 

18 juin 09

 

Communication au ministre de la preuve de signification de l’AA à Pfizer.

 

 

29 juin 09

 

Pfizer effectue une recherche d’entreprise sur Genpharm ULC.

 

 

10 juillet 09

 

Pfizer dépose l’avis de demande.

 

 

 

14 juillet 09

Pfizer signifie l’avis de demande à Genpharm.

 

 

 

1er octobre 09

 

Genpharm adopte officiellement le nom de Mylan.

 

 

Décembre 09

 

Mylan dépose auprès du ministre des écritures tendant à faire homologuer le remplacement du nom de Genpharm ULC par celui de Mylan Pharmaceuticals ULC.

 

 

[8]           Le protonotaire Aalto, et la juge Heneghan en appel, ont tous deux conclu que devaient être radiés de l’avis de demande les passages où les demanderesses contestaient la qualité de « seconde personne » de la nouvelle entité – Mylan – sous le régime du Règlement AC. Par conséquent, je désignerai les parties en question collectivement sous le nom de Mylan. Elles ont bien qualité de « seconde personne » au sens du Règlement AC. Par ordonnance sur consentement, l’intitulé de la cause a été modifié à l’audience de telle sorte que la société défenderesse y soit dénommée simplement « Mylan Pharmaceuticals ULC ».

 

[9]           Il appartient au ministre de la Santé, codéfendeur de Mylan, d’approuver pour la vente au Canada les drogues telles que celle qui fait l’objet de la présente instance en délivrant un avis de conformité sous le régime du Règlement AC. Le ministre a reçu avis de la présente instance, mais n’y a pas participé activement.

 

DÉMENCE SÉNILE – MALADIE D’ALZHEIMER

[10]       Un clinicien, appelé Alois Alzheimer, qui travaillait dans un hôpital de Francfort en 1901 a détecté et par la suite décrit une affection chez un patient qui avait de la difficulté à nommer des objets familiers, à écrire des phrases complètes et à se rappeler des mots. Cette affection, qui est un type particulier de démence sénile, est maintenant appelée maladie d’Alzheimer, ou alzheimer ou encore MA. Elle frappe en particulier les personnes âgées. La perte de mémoire est un des premiers signes de la maladie, des symptômes plus graves apparaissent ensuite et la mort du malade est l’aboutissement ultime.

 

[11]       Dans les années 80, période dont il est question dans la présente instance, plusieurs théories étaient avancées pour expliquer les causes de la maladie d’Alzheimer. Une de ces théories était centrée sur l’effet décrit comme étant la fonction cholinergique dans le cerveau. On a tenté d’inhiber cette fonction. Je reproduis les propos tenus par le Dr Becker, un expert de Mylan, aux paragraphes 38 et 43 de son affidavit. Lors de l’audience, l’avocat des demanderesses a déclaré que ses clientes acceptaient cette preuve :

 

[traduction]

38.       La MA est une maladie dégénérative du cerveau. Comme je l’ai mentionné précédemment, dans les années 80, la MA était souvent appelée démence sénile ou démence sénile de type Alzheimer (DSTA). La cause de la MA n’était pas connue dans les années 80 et demeure toujours obscure.

 

39.       Des données montraient cependant dans les années 80 qu’un déficit de la fonction cholinergique jouait un rôle important dans le développement des symptômes de la MA et de la maladie elle‑même.

 

40.       Dans les années 80, le rôle de la fonction cholinergique dans la MA était interprété de la façon suivante :

 

a)                  La fonction cholinergique, associée à l’apprentissage et à la mémoire, dépendait de corps cellulaires (neurones cholinergiques) situés dans la base avant du cerveau antérieur (prosencéphale basal dans le noyau basal de Meynert).

 

b)                  La MA entraîne des altérations sélectives profondes et la mort de ces neurones cholinergiques dans le prosencéphale basal.

 

c)                  Ces neurones cholinergiques possèdent de longues projections appelées axones qui s’étendent de façon diffuse dans le cerveau.

 

d)                  Ces projections ou axones fournissent l’acétylcholine nécessaire au bon fonctionnement de tout le cerveau.

 

e)                  L’altération et la mort des neurones dans le prosencéphale basal causent une carence dans une certaine enzyme, l’acétylcholine transférase (enzyme qui fabrique l’acétylcholine). Il en résulte un déficit en acétylcholine dans plusieurs régions du cerveau.

 

f)                   On pensait que ce déficit en acétylcholine pouvait expliquer les problèmes d’apprentissage et de mémoire observés chez les patients atteints de la MA.

 

41.       Des chercheurs ont donc tenté de compenser la diminution de la fonction acétylcholine dans le cerveau afin d’éliminer ou d’atténuer les symptômes de la MA.

 

42.       Une des stratégies adoptées consistait à moduler l’effet des cholinestérases qui inactivaient l’acétylcholine dans le cerveau. Il s’agissait d’inhiber l’effet de la cholinestérase, notamment de l’acétylcholinestérase, en utilisant des composés appelés « inhibiteurs ». Les inhibiteurs exercent leur action en utilisant divers mécanismes, mais en général, ils « empêchent » les enzymes cholinestérases d’avoir accès à l’acétylcholine ou ils « inactivent » la cholinestérase elle‑même. Sous l’action de l’un ou l’autre de ces mécanismes, l’enzyme acétylcholinestérase n’arrive plus à dégrader l’acétylcholine et il en résulte une augmentation de l’acétylcholine dans la synapse, ce qui, selon cette hypothèse, rétablit la fonction de neurotransmission à un niveau plus normal.

 

43.       Deux des médicaments les plus étudiés dans les années 80 étaient la physostigmine et la tétrahydrominoacrydine (« THA »). La physostigmine comme la THA agissent en empêchant les enzymes cholinestérases d’avoir accès à l’acétylcholine. Ces composés présentaient un intérêt parce qu’on a observé une certaine amélioration de l’apprentissage et de la mémoire chez les patients atteints de la MA après l’administration de ces composés et de composés similaires chez les humains. Cette activité de base anti‑acétylcholinestérase de la physostigmine et de la THA n’en faisait pas cependant des agents thérapeutiques indiqués contre la MA.

 

[12]       Au milieu des années 80 est apparue ce qu’on a appelé « l’hypothèse cholinergique », qui postulait que l’introduction d’inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (AChE) dans la région appropriée du cerveau pourrait atténuer les symptômes de la maladie d’Alzheimer. Pour être introduit dans la région appropriée, un composé devrait traverser la barrière hémato‑encéphalique (BHE). En juin 1988, deux composés particuliers étaient connus et étudiés dans cette optique, la physostigmine et la tacrine (THA). Ces composés semblaient fonctionner comme inhibiteurs de l’AChE, mais ils comportaient certains inconvénients. La physostigmine avait une courte durée d’action et certains effets indésirables. La tacrine était toxique pour le foie à des doses plus fortes.

 

[13]       En novembre 1986 est paru dans la prestigieuse revue The New England Journal of Medicine un article du Dr Summers et de ses collaborateurs portant sur les résultats d’une étude menée sur un certain nombre de patients qui avaient reçu des doses d’un inhibiteur de l’AChE. Cette publication a suscité une polémique entre les experts qui s’interrogeaient sur la qualité de cet article et sur la validité des résultats présentés. Cette polémique n’a pas grand‑chose à voir avec la présente instance. C’était l’une des premières fois qu’on essayait de rendre compte des effets d’un inhibiteur de l’AChE. Cet article montre tout simplement que la théorie des inhibiteurs de l’AChE était étudiée à l’époque.

 

ÉVOLUTION DES RECHERCHES AU LABORATOIRE EISAI

[14]       Selon le témoignage de deux des personnes désignées comme inventeurs dans le brevet 808 (Araki et Ogura) et de deux autres personnes qui ont collaboré avec eux à la mise au point du donépézil et de composés connexes (Sumigama et Yamakawa), les travaux en vue de mettre au point un médicament pour le traitement de la démence sénile comme la maladie d’Alzheimer ont débuté au laboratoire Eisai dans les années 80. De nombreux composés ont été fabriqués et testés. On a notamment effectué des tests sur des homogénats de cerveau de souris et de rats ainsi que sur des rats vivants, certains de ces tests étant décrits dans le brevet 808. Beaucoup d’autres tests non décrits dans le brevet ont été réalisés. À la date de dépôt de la demande de brevet au Canada, le 21 juin 1988, aucun test n’avait été mené sur des sujets humains.

 

[15]       Un rapport important exposant le travail de mise au point de ces composés ainsi que les conclusions tirées par les chercheurs a été rédigé et soumis à la direction d’Eisai vers le 28 janvier 1988. Ce rapport est appelé, dans la présente instance, la Proposition Chosa Hokoku. Il n’a pas été rendu public et renferme des détails sur un certain nombre d’autres études dont il n’est pas fait état dans le brevet 808.

 

[16]       Dans l’introduction du rapport (« Theme Outline »), on dit ce qui suit au sujet du composé maintenant appelé donépézil :

 

[traduction] Par la suite, nous avons envisagé la possibilité de le commercialiser comme médicament, compte tenu de son efficacité, de son métabolisme, de son innocuité et de sa formulation. Il est donc apparu que le composé en question contribuait fortement à atténuer les troubles d’apprentissage par le biais d’un mécanisme d’action clair et que son utilité était supérieure à celle de la physostigmine ou de la THA. De plus, il s’est avéré qu’il avait une durée d’action, une marge de sécurité et une biodisponibilité, etc., beaucoup plus grandes que celles des médicaments témoins, et il répondait parfaitement au profil thématique et possédait des caractéristiques d’action presque idéales. En outre, aucune modification toxique dans le foie ou le rein, etc., n’a été détectée dans les résultats de l’étape 2 des essais exploratoires de toxicité, et nous avons découvert que l’innocuité du produit était supérieure à celle de la THA.

 

Cela dit, nous nous attendons à ce qu’ENAG puisse être extrêmement utile en clinique en atténuant le dysfonctionnement intellectuel qui accompagne la démence sénile de type Alzheimer, et nous proposons ici le Chōsa Hōkoku.

 

[17]       Comme vous le savez, la vente du donépézil est aujourd’hui approuvée, et le produit est commercialisé au Canada par Pfizer pour le traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

LE BREVET CANADIEN NO 1,338,808

[18]       Il ne reste qu’un brevet en litige, à savoir le brevet canadien no 1,338,808 (le brevet 808). La demande de ce brevet a été déposée auprès du Bureau canadien des brevets le 21 juin 1988, soit avant le 1er octobre 1989, de sorte qu’elle-même et ledit brevet relèvent des dispositions de l’« ancienne » Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4.

 

[19]       Parmi les questions pertinentes découlant de l’application de l’« ancienne » Loi sur les brevets au brevet 808, il faut noter le fait que sa durée est de 17 ans à compter de sa délivrance, sauf déclaration d’invalidité dans le cadre d’une action appropriée (qui ne peut être une instance relative à un AC). Le brevet 808 doit donc expirer le 24 décembre 2013.

 

[20]       Le brevet 808 est intitulé « Composé amine cyclique », et treize (13) personnes sont désignées comme inventeurs, dont Hiroo Ogura et Shin Araki qui sont venus ici témoigner.

 

[21]       En l'espèce, les demanderesses se basent uniquement sur deux revendications du brevet 808, la revendication 6 ainsi que la revendication 18 dans la mesure où celle‑ci incorpore la revendication 6.

 

[22]       Voici le texte des revendications 6 et 18 :

[traduction]

6.         Le composé 1‑benzyl‑4‑[(5,6‑diméthoxy‑1‑indanon)‑2‑yl] méthylpipéridine ou un de ses sels d’addition acide pharmaceutiquement acceptables.

 

[. . .]

 

18.       Une composition thérapeutique pour le traitement de la démence sénile, qui comprend une quantité du composé ou d’un sel défini dans une des revendications 1 à 17 ayant une activité efficace d’inhibition de l’acétylcholinestérase et un véhicule pharmaceutiquement acceptable.

 

 

[23]       La formule chimique exposée à la revendication 6 est appelée par les parties plus simplement donépézil. Par suite de l’incorporation d’un sel chlorhydrate comme sel d’addition acide pharmaceutiquement acceptable, le composé est appelé chlorhydrate de donépézil. Pour simplifier les choses, les revendications 6 et 18 peuvent être remplacées par ce qui suit :

6.         Le composé donépézil ou le chlorhydrate de donépézil.

 

[. . .]

 

18.       Une composition thérapeutique pour le traitement de la démence sénile, qui renferme du donépézil ou du chlorhydrate de donépézil et un véhicule pharmaceutiquement acceptable.

 

 

[24]       Le mémoire descriptif du brevet 808 débute à la page 1 par un bref énoncé décrivant le domaine de l’invention :

[traduction] Composé amine cyclique

 

            L’invention concerne un composé amine cyclique, une composition thérapeutique et un traitement médical de la démence sénile.

 

 

[25]       Cet énoncé est suivi d’une description de l’art antérieur, qui se poursuit à la page 2 :

[traduction] (Description de l’art antérieur)

 

            Par suite du vieillissement rapide de la population, on aspire à mettre au point un traitement contre la démence sénile, telle que la démence sénile de type Alzheimer.

 

            Diverses tentatives ont été faites pour traiter la démence sénile au moyen d’un médicament. Jusqu’à présent, cependant, aucun médicament ne s’est révélé très utile pour traiter ces maladies.

 

            Des études sur la mise au point d’agents thérapeutiques contre ces maladies ont examiné divers aspects. Vu notamment que la démence sénile de type Alzheimer s’accompagne d’une diminution de la fonction cholinergique, la mise au point de l’agent thérapeutique qui ferait appel à un précurseur de l’acétylcholine et à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase a été proposée et a en fait été tentée. Citons comme exemples représentatifs de l’inhibiteur de l’anticholinestérase, la physostigmine et la tétrahydroaminoacridine. Ces médicaments comportent cependant des inconvénients, comme un effet insatisfaisant et la survenue d’effets secondaires défavorables. Pour le moment, il n’existe aucun agent thérapeutique probant.

 

 

[26]       On indique ainsi au lecteur que des efforts ont été déployés pour mettre au point des médicaments contre la démence sénile de type Alzheimer, mais que, jusqu’à présent, ceux-ci ont des effets peu satisfaisants ou comportent des effets secondaires défavorables.

 

[27]       À partir du premier paragraphe entier de la page 2 du brevet 808 et jusqu’à la fin du deuxième paragraphe entier de la page 3, on nous dit dans le mémoire descriptif que les inventeurs ont trouvé un certain composé, un dérivé de la pipéridine, qui est efficace contre des maladies, comme la démence sénile de type Alzheimer :

[traduction] Compte tenu de la situation, les présents inventeurs ont effectué des études intensives et approfondies des divers composés pendant de nombreuses années afin de mettre au point un médicament qui a une activité persistante et une grande innocuité.

 

Les présents inventeurs ont ainsi découvert qu’un dérivé de la pipéridine représenté par la formule générale suivante (I) permet d’atteindre l’objectif souhaité.

 

Plus précisément, le composé de la présente invention représenté par la formule générale suivante (I) a le grand avantage d’exercer une activité anti‑acétylcholinestérase puissante et très sélective, augmentant la quantité d’acétylcholine présente dans le cerveau, ayant un très bon effet dans un modèle relatif au trouble de la mémoire, une activité persistante et une grande innocuité comparativement à la physostigmine, qui est un médicament populaire classique dans l’art, d’où la grande utilité du composé de la présente invention.

 

Le composé de la présente invention a été découvert à cause de son activité anti-acétylcholinestérase et, partant, est efficace pour le traitement et la prévention de diverses maladies qu’on pense être associées au déficit in vivo en acétylcholine, un neurotransmetteur.

 

Citons comme exemples de telles maladies divers types de démence, dont la démence sénile de type Alzheimer ainsi que la chorée de Huntington, la maladie de Pick et l’ataxie.

 

Les objectifs de la présente invention sont donc d’offrir un nouveau dérivé de la pipéridine qui soit efficace comme produit pharmaceutique, particulièrement pour le traitement et la prévention de maladies du système nerveux central, de présenter un procédé de préparation de ce dérivé et un produit pharmaceutique comprenant ce dérivé comme ingrédient efficace.

 

[28]       Un résumé de l’invention est présenté à partir du bas de la page 3 du brevet 808 et se poursuit par une longue description de la structure chimique du composé et des méthodes pour le produire. Je ne reproduis que le début à la page 3 :

[traduction] (Résumé de l’invention)

 

            L’invention concerne un composé amine cyclique de la formule suivante (XXV) ainsi qu’un sel pharmaceutiquement acceptable de ce composé :

 

 

[29]       À la page 7 du mémoire descriptif du brevet 808, il est question du composé et d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables :

[traduction] De plus, l’invention fournit une composition thérapeutique qui comprend une quantité pharmacologiquement efficace du composé amine cyclique répondant à la formule (XXV) ou d’un de ses sels pharmacologiquement acceptables et un véhicule pharmacologiquement acceptable ainsi qu’une méthode de prévention et de traitement d’une maladie liée à l’activité acétylcholinestérase par l’administration à un patient humain du composé amine cyclique de la formule (XXV) ou d’un de ses sels pharmacologiquement acceptables.

 

 

[30]       Je saute aux pages 63 et 64 du brevet 808, où l’on trouve l’exemple 4 et une description du composé connu sous le nom de donépézil. Ce composé est appelé composé 4 dans le brevet 808.

[traduction]

Exemple 4

 

Chlorhydrate de 1-benzyl-4-[(5,6-diméthoxy-1-indanon) -2-yl]-méthylpipéridine

 

     ·    HCI

 

0,4 g de 1-benzyl-4-[(5,6-diméthoxy-1-indanon)-2- ylidenyl]méthylpipéridine a été dissous dans 16 mL de THF, puis on a ajouté 0,04 g de palladium‑carbone à 10 %. Le mélange a été hydrogéné à la température ambiante à la pression atmosphérique pendant 6 h. Le catalyseur a été filtré, et le filtrat a été concentré sous vide. Le résidu a été purifié au moyen d’une colonne de gel de silice (chlorure de méthylène : méthanol = 50 : 1). L’éluat a été concentré sous vide, et le résidu a été dissous dans le chlorure de méthylène. Une solution à 10 % d’acide chlorhydrique dans de l’acétate d’éthyle a été ajoutée à la solution résultante, puis le tout a été concentré sous vide pour obtenir un cristal, qui a été recristallisé dans le méthanol/IPE pour obtenir 0,36 g (rendement : 82 %) du composé du titre présentant les propriétés suivantes :

 

·                    point de fusion (ºC) :    211-212 °C (déc.)

 

·                    analyse élémentaire : C24 H 29NO 3· HC1

 

C         H         N

 

% calculé :                  69,30   7,27     3,37

 

% trouvé :                   69,33   7,15     3,22

 

[31]       Je reviens à la page 47 du brevet 808, où débute un examen de l’utilité du composé pour le traitement de divers types de démence sénile. Cet examen se poursuit jusqu’à la page 53 et là, à la lumière des expériences décrites, on tire la conclusion que le composé a une puissante activité anti‑acétylcholinestérase (le composé 4 est le donépézil) :

[traduction] Les composés ainsi préparés et leurs sels d’addition acide représentés par la formule générale (I) sont utiles pour le traitement de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer.

 

L’invention sera décrite sous l’angle de son utilité thérapeutique et des données d’expériences pharmacologiques seront présentées.

 

Exemple expérimental I

Activité anti‑acétylcholinestérase in vitro

 

Un homogénat de cerveau de souris a été utilisé comme source d’acétylcholinestérase et son activité estérase a été mesurée à l’aide de la méthode d’Ellman et coll.

 

Ellman G.L.. Courtney, K.D., Andres,

V., et Featherstone, R.M., (1961) Biochem.

Pharmacol., 7, 88-95.

 

De l’acétylthiocholine a été ajoutée comme substrat à l’homogénat de cerveau de souris, ainsi qu’un échantillon pour la détection et du DTNB, puis le tout a été incubé. La quantité de substance jaune formée par la réaction entre la thiocholine et le DTNB a été calculée en mesurant l’absorption à 412 nm pour connaître l’activité acétylcholinestérase.

 

L’activité anti‑acétylcholinestérase de
l’échantillon a été exprimée en concentration
inhibitrice 50 % (CI50).

 

Les résultats sont présentés au tableau 1.

 

 

Tableau 1

 

Composé

Activité anti‑AChE
CI50 (μM)

Composé

Activité anti‑AChE IC50 (μM)

1

0,23

31

0,025

4

0,0053

33

0,030

5

0,10

45

0,36

6

0,017

48

0,019

8

0,013

52

0,80

9

0,051

54

1,0

10

0,009

56

0,017

11

0,068

62

0,0075

12

0,040

65

0,0016

13

0,026

67

0,10

14

0,038

70

0,28

15

0,094

72

0,020

17

0,052

89

0,018

18       

0,68

90

0,035

19

0,064

95

0,085

20

0,54

101

0,11

21       

50

120

0,19

 

23

0,072

124

2,8

24

1,1

176

0,004

26

24

 

 

27

0,41

 

 

29

0,15

 

 

 

Exemple expérimental 2

Action anti‑acétylcholinestérase ex vivo

 

Un échantillon pour la détection a été administré par voie orale à des rats. Une heure après l’administration, les hémisphères cérébraux ont été disséqués et homogénéisés, puis l’activité acétylcholinestérase a été mesurée. Le groupe de rats traités par soluté physiologique a servi de groupe témoin. L’inhibition de l’AChE par les échantillons ex vivo a été exprimée en pourcentage d’inhibition de la valeur témoin. Les résultats sont présentés au tableau 2.

 

Exemple expérimental 3

Effet sur le trouble d’apprentissage de l’évitement induit par la scopolamine

 

Voir Z. Bokolanecky & Jarvik:Int. J.Neuropharmacol,

6, 217—222 (1967).

 

Des rats Wister mâles ont été utilisés comme animaux pour les tests et devaient passer à travers une boîte éclairée et une boîte obscure. Un échantillon pour la détection a été administré par voie orale une heure avant l’entraînement et les rats ont reçu 0,5 mg/kg (i.p.) de scopolamine 30 min avant l’entraînement. Dans une expérience d’entraînement, l’animal a été placé dans un compartiment éclairé et, peu après son entrée dans un compartiment obscur, une porte à guillotine a été refermée, puis un choc électrique a été administré par le grillage du plancher. Après six heures, l’animal a été placé à nouveau dans le compartiment éclairé pour une expérience de rétention, et le temps pris par l’animal pour pénétrer dans le compartiment obscur a été mesuré afin d’évaluer l’effet de l’échantillon.

 

La différence des temps de réponse entre le groupe ayant reçu du soluté physiologique et celui traité par scopolamine a été considérée comme équivalant à 100 %, et l’effet de l’échantillon a été exprimé en pourcentage d’antagonisme provoqué par l’échantillon (% d’inversion).

 

Les résultats sont présentés au tableau 3.

 

Tableau 2

 

Composé

no

Dose

(mg/kg)

Action anti‑AChE (%)

Saline

 

0

 

 

 

4

1

 

3

 

10

 

30

5     *

 

17   **

 

36    **

 

47    **

 

 

 

 

15

10

 

30

 

100

 

5

 

14   **

 

18   **

 

Tableau 3

 

Composé

no

Dose

(mg/kg)

%
d’inversion

 

4

0,125

 

0,25

55

 

36

 

13

0,25

 

0,5

39

 

27

 

15

1,0

 

2,0

 

51

 

30

 

19

0,5

 

1,0

37

 

39

 

69

0,5

 

1,0

22

 

38

 

Le nombre d’animaux par dose variait entre 10 et 17.

NE : non efficace

 

            Les expériences pharmacologiques décrites ci‑dessus ont révélé que le composé de la présente invention exerçait une puissante activité anti‑acétylcholinestérase.

 

 

[32]       Il convient de noter que les tests ont été effectués sur des cerveaux de souris (exemple 1) et sur des rats (exemples 2 et 3). Aucun test chez les humains n’est mentionné dans le brevet 808.

 

[33]       À partir du bas de la page 53 du brevet 808 jusqu’à la page 55, il est dit que le composé offre un traitement efficace contre un certain nombre d’affections, dont la démence sénile. À noter que le premier paragraphe entier de la page 54 indique que le composé 4 (donépézil), entre autres, a fait l’objet de tests de toxicité sur des rats. Aucun effet toxique grave n’a été observé.

[traduction] La présente invention a donc pour objet de fournir un nouveau composé efficace contre divers types de démence et les séquelles des maladies vasculaires cérébrales, d’offrir un procédé de préparation de ce composé ainsi qu’un nouveau produit pharmaceutique contenant comme ingrédient actif ce composé.

 

Des composés représentatifs de la présente invention (composés nos 4, 13, 15, 19 et 69 dans le tableau 3 ci‑dessus) ont été utilisés dans des tests de toxicité sur des rats. Finalement, tous les composés exerçaient un effet toxique à 100 mg/kg ou plus, c.‑à‑d. n’étaient pas gravement toxiques.

 

Le composé de la présente invention est efficace pour le traitement, la prévention, la rémission, l’amélioration, etc., de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer; les maladies vasculaires cérébrales accompagnant l’apoplexie cérébrale, p. ex. l’hémorragie cérébrale ou les infarctus cérébraux, l’artériosclérose cérébrale, les traumatismes crâniens, etc.; et l’aprosexie, les troubles de l’élocution, l’hypoboulie, les sautes d’humeur, les troubles de la mémoire récente, le syndrome hallucinatoire‑paranoïde, les changements de comportement, etc. accompagnant l’encéphalite, l’infirmité motrice cérébrale, etc.

 

De plus, le composé de la présente invention a une activité anticholinestérase puissante et très sélective qui contribue à son utilité comme substance pharmaceutique basée sur ce type d’activité.

 

Plus précisément, le composé de la présente invention est efficace, par exemple, contre la chorée de Huntington, la maladie de Pick et l’ataxie retardée ou la dyskinésie tardive en dehors de la démence sénile de type Alzheimer.

 

 

[34]       Après d’autres développements sans pertinence pour notre propos, le brevet 808 se conclut par l’énoncé de 36 revendications. Comme on l’a vu plus haut, seules deux de ces revendications, à savoir les revendications 6 et 18, sont ici en litige.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[35]       La présente instance mettait à l’origine en litige deux brevets, plusieurs revendications de l’un et l’autre, ainsi que des questions de validité et de contrefaçon afférentes à chacun d’eux, mais grâce aux efforts des avocats et au processus de gestion de l'instance et de l’instruction, les questions en litige ont pu être réduites à une seule, qui porte sur la validité d’un seul des brevets, soit le brevet 808, et de deux revendications de celui‑ci, à savoir les revendications 6 et 18. Cette question peut se formuler comme suit :

 

« Le brevet 808, notamment pour ce qui concerne ses revendications 6 et 18, est‑il invalide au motif qu’il se fonderait sur une prédiction non valable de l’utilité promise? »

 

LA PREUVE

[36]       Les questions en litige ont donc été réduites à une seule. Par conséquent, une grande partie de la preuve déposée à l’origine – le dossier comprenait alors 40 volumes – ne sera plus nécessaire aux fins d’examen de la question unique dont la Cour se trouve maintenant saisie.

 

[37]       Par ordonnance sur consentement prononcée le 18 avril 2011, certaines écritures non nécessaires pour la présente instance ont été retranchées du dossier. De plus, en vertu de la même ordonnance, seules certaines pièces maintenues au dossier demeurent confidentielles. Je vais maintenant récapituler la preuve qui reste au dossier en indiquant pour chaque témoin si sa preuve, en totalité ou en partie, demeure confidentielle. Je préciserai aussi si la preuve en question a été présentée par un témoin expert ou un témoin des faits, si ce témoin a été ou non contre-interrogé, et, dans l’affirmative, si l’on a eu recours à cette fin aux services d’un traducteur.

 

[38]       Les témoins dont la preuve reste au dossier sont les suivants :

Pour les demanderesses :

1.                  Le Dr Shin Araki, témoin des faits. Il est l’un des inventeurs désignés dans le brevet 808. Il a été contre-interrogé avec l’aide d’un traducteur japonais-anglais.

 

La preuve du Dr Araki est confidentielle (volumes 2 et 3, onglet 6; et volume 4, onglet 7).

 

2.                  Le Dr Hiro Ogura, témoin des faits. Il est l’un des inventeurs désignés dans le brevet 808. Il a été contre-interrogé avec l’aide d’un traducteur japonais-anglais.

 

La preuve du Dr Ogura est confidentielle (volumes 5 et 6, onglet 8; et volume 7, onglet 9).

 

3.                  M. Suji Sumigama, témoin des faits. Il a participé chez Eisai à certains tests sur les composés que décrit le brevet 808. Il a été contre-interrogé avec l’aide d’un traducteur japonais-anglais.

 

La preuve de M. Sumigama est confidentielle (volumes 8 et 9, onglet 10; et volume 9, onglet 11).

 

4.                  M. Ichiro Yamakawa, témoin des faits. Il a participé chez Eisai aux tests sur certains des composés que décrit le brevet 808. Il a été contre-interrogé avec l’aide d’un traducteur japonais-anglais. Les parties ont exprimé le souhait que sa preuve reste au dossier, même si elles estimaient peu probable d’en citer des éléments.

 

La preuve de M. Yamakawa est confidentielle (volume 10, onglets 12 et 13).

 

5.                  Le Dr Raymond T. Bartus, témoin expert. Sa preuve portait sur la question restant en litige dans la présente instance. Il a été contre-interrogé.

 

La preuve du Dr Bartus n’est pas confidentielle (volume 11, onglet 14; volume 12, onglets 15 et 16; et volume 13, onglet 17).

 

6.                  Le Dr Kenneth Rockwood, témoin expert. Sa preuve portait sur la question restant en litige dans la présente instance. Il a été contre-interrogé.

 

La preuve du Dr Rockwood n’est pas confidentielle (volume 14, onglets 18, 19 et 20).

 

7.                  Le Dr  A.P. Kozikowski, témoin expert. Sa preuve portait dans une large mesure sur une question de contrefaçon, qui n’est plus en litige. Les parties ont néanmoins exprimé le souhait que sa preuve reste au dossier. Il a été contre-interrogé.

 

La preuve du Dr Kozikowski est confidentielle (volume 15, onglets 21 et 22; et volume 16, onglet 23).

 

8.                  Le Dr Michael McKenna, témoin expert. Sa preuve portait sur la question restant en litige dans la présente instance. Il a été contre-interrogé.

 

La preuve du Dr McKenna n’est pas confidentielle (volume 17, onglets 24, 25 et 26).

 

9.                  Le Dr Jerry Atwood, témoin expert. Sa preuve portait sur une question de contrefaçon. Les parties ont exprimé le souhait que cette preuve reste au dossier, même si elles estimaient peu probable d’en citer des éléments.

 

La preuve du Dr Atwood est confidentielle (volume 18, onglets 27, 28, 29 et 30).

 

10.              M. Mark Kellner, traducteur japonais-anglais qui a témoigné touchant l’exactitude de sa traduction de certains documents japonais.

 

Sa preuve n’a pas été contestée et n’est pas confidentielle (volume 26, onglet 32).

 

11.              Mme Diane Zimmerman, témoin des faits. Elle est stagiaire au cabinet d’avocats qui représente les demanderesses. Son affidavit a servi à verser au dossier un certain nombre de pièces. Elle n’a pas été contre-interrogée.

 

Sa preuve n’est pas confidentielle (volumes 27, 28, 29 et 30, onglet 35), sauf pour ce qui concerne les pièces D, E et M (volumes 28 et 29, pièces D et E; et volume 30, pièce M).

 

Pour la défenderesse Mylan :

1.                  Le Dr Robert Becker, témoin expert. Sa preuve portait sur la question restant en litige dans la présente instance. Il a été contre-interrogé.

 

Sa preuve n’est pas confidentielle (volumes 31 et 32, onglet 36; volume 33, onglet 37; volume 34, onglet 38; et volume 35, onglet 39).

 

2.                  Le Dr Thomas T. Tidwell, témoin expert. Sa preuve portait sur la question de la contrefaçon, qui n’est plus en litige dans la présente instance. Les parties ont exprimé le souhait que cette preuve reste au dossier, même si elles estimaient peu probable qu'elles s'y reportent. Le Dr Tidwell a été contre-interrogé.

 

Sa preuve est confidentielle (volume 36, onglets 40 et 41; et volume 37, onglet 42).

 

3.                  Mme A. Louise McLean, témoin des faits. Elle est stagiaire au cabinet d’avocats qui représentait auparavant Mylan. Son affidavit a servi à verser certaines pièces au dossier. Elle n’a pas été contre-interrogée.

 

Sa preuve n’est pas confidentielle (volumes 38 et 39, onglet 43).

 

[39]       Par lettre en date du 31 mars 2011, les avocats de Mylan ont avisé la Cour qu’ils n’avaient pas l’intention de se reporter aux affidavits ni aux transcriptions des contre-interrogatoires des Drs Tidwell ou Atwood, sauf si cela se révélait nécessaire pour répondre à des prétentions que feraient valoir les demanderesses.

 

[40]       De même, par lettre en date du 1er avril 2011, les avocats des demanderesses ont avisé la Cour qu’ils n’avaient pas l’intention de se reporter aux éléments de preuve suivants :

 

[TRADUCTION]

 

Les demanderesses ne prévoient pas de se reporter aux éléments de preuve suivants :

 

a)                  les affidavits et la transcription du contre-interrogatoire du Dr Atwood;

 

b)                  l’affidavit et la transcription du contre-interrogatoire de M. Yamakawa;

 

c)                  les affidavits de Mme Christine Ingham;

 

d)                  l’affidavit de M. Mark Kellner (traducteur);

 

e)                  la transcription du contre-interrogatoire de M. David Blais;

 

f)                   les affidavits du Dr Kozikowski en date du 9 février 2010 (nous avons cependant l’intention d’invoquer l’affidavit du Dr Kozikowski en date du 9 septembre 2010, notamment ses paragraphes 1 à 35);

 

g)                  les pièces C à M annexées à l’affidavit de Mme Diane Zimmerman;

 

h)                  l’affidavit de Mme Louise MacLean;

 

i)                    les affidavits et la transcription du contre-interrogatoire du Dr Tidwell, exception faite des questions 625 à 645 de cette transcription, auxquelles nous pourrions nous reporter brièvement.

 

LA PREUVE DES EXPERTS

[41]           Je prendrai en considération la preuve des Drs Bartus, Rockwood, Kozikowski et McKenna pour ce qui concerne les demanderesses, et celle du Dr Becker pour ce qui est de Mylan. La date pertinente pour mon examen de la preuve de ces experts, sous le rapport de l’état de la technique et de la signification des termes scientifiques, sera le 21 juin 1988. Leurs déclarations touchant l’interprétation du mémoire descriptif et des revendications du brevet font partie de la preuve, et je les ai examinées et prises en considération, mais j’en ferai usage avec prudence pour les raisons que j’exposerai plus loin.

 

[42]           J’ai tenu compte de la nécessité de distinguer ce qui est exposé dans le brevet 808 des opérations réellement exécutées par les inventeurs d’Esai et d’autres, dont ce brevet peut ne pas rendre compte, ou rendre compte différemment.

 

LES EXPERTS DES DEMANDERESSES

[43]       Le Dr Raymond T. Bartus est vice‑président exécutif et directeur scientifique d’une entreprise de biotechnologie, Ceregene Inc. Il est également professeur adjoint au Département de pharmacologie du Centre médical de l’Université Tufts à Boston, Massachusetts, et professeur adjoint au Département de psychiatrie du Centre médical de l’Université de New York, à New York, New York.

 

Son mandat était :    De déterminer (i) quelle est, le cas échéant, la promesse offerte par la revendication 6 (et la revendication 18 car elle dépend de la revendication 6) dans le brevet 808; (ii) si les inventeurs ont démontré l’utilité des revendications 6 et 18; (iii) dans le cas où l’utilité n’est pas démontrée, si les inventeurs ont ouvert la voie à une prédiction valable.

 

[44]       Le Dr Bartus s’est décrit comme un des « acteurs clés » ayant formulé l’« hypothèse cholinergique »[i]. Il a déclaré que la personne versée dans l’art détiendrait « un diplôme avancé en chimie médicinale ou en biologie ou pharmacologie ou serait un clinicien travaillant dans le domaine de la démence »[ii].

 

[45]       Au paragraphe 23 de son affidavit, le Dr Bartus a résumé son opinion, et ce résumé sera reproduit plus loin dans les présents motifs.

 

[46]       Aux paragraphes 27 à 36, le Dr Bartus a décrit les principes sous‑jacents du fonctionnement chimique du cerveau :

 

  • Les enzymes sont des molécules protéiques qui facilitent les réactions chimiques
  • L’AChE est une enzyme présente dans le cerveau
  • L’AChE, qui est un substrat, joue le rôle d’un neurotransmetteur (messager chimique) dans le cerveau
  • L’AChE agit sur l’ACh, la dégradant pour former de la choline et de l’acétate
  • Les inhibiteurs enzymatiques se lient au site actif d’une enzyme, empêchant cette dernière d’agir sur des substrats
  • Les inhibiteurs enzymatiques peuvent être soit irréversibles (se lient à l’enzyme et la modifient chimiquement) ou réversibles (se lient à l’enzyme sans réaction chimique)
  • La CI50 est une unité de mesure; elle représente la plus faible concentration nécessaire pour qu’un inhibiteur bloque 50 % de l’activité d’une enzyme donnée
  • Un inhibiteur qui a une très faible CI50 est considéré comme un composé puissant
  • Un bon inhibiteur serait biodisponible par voie orale (capable de résister à la dégradation dans l’estomac et le rein) et aurait la capacité de traverser la barrière hémato‑encéphalique pour se fixer au site approprié d’action dans le cerveau

 

[47]       Les neurones qui produisent l’ACh sont appelés neurones cholinergiques[iii]. La maladie d’Alzheimer (MA) est une maladie neurodégénérative; à mesure que les neurones meurent, les symptômes de la MA progressent.

 

[48]       Le Dr Bartus a déclaré qu’avant le 21 juin 1988 (date de dépôt au Canada), l’hypothèse cholinergique était l’une des façons d’expliquer l’apparition des symptômes de la MA. Il a reconnu qu’à l’époque il existait « des divergences quant à la possibilité d’utiliser des animaux pour modéliser des aspects de la mémoire humaine, en particulier les déficits associés à des maladies spécifiques aux humains »[iv], mais selon lui :

 

[traduction] Les troubles de la mémoire récente chez les animaux âgés et les jeunes animaux dont on a altéré la fonction cholinergique (p. ex. en leur administrant de la scopolamine) sont similaires sur le plan conceptuel et opérationnel à ceux constamment observés chez les humains âgés. Comme il a été établi qu’il y avait une similitude frappante chez les animaux et les humains dans le type de troubles de la mémoire récente (y compris ceux à la phase débutante de la MA), on pourrait utiliser des modèles animaux pour étudier le dysfonctionnement cholinergique et les troubles de la mémoire[v].

 

 

[49]       Le Dr Bartus a vanté les mérites des tests effectués par Eisai pour mettre au point le donépézil :

 

[traduction] Les études utilisant des modèles de rongeurs ont contribué à faire la lumière sur les mécanismes responsables des déficits comportementaux liés à l’âge. La meilleure façon de démontrer l’existence d’un trouble de la mémoire récente similaire à celui observé chez les patients atteints de la MA (et d’autres formes de démence sénile causées par un déficit cholinergique) consiste à utiliser un paradigme d’évitement passif à un seul essai (comme celui décrit dans le brevet 808).

 

[. . .]

 

On peut créer des lésions artificielles dans le cerveau d’animaux pour évaluer les traitements pharmacologiques potentiels contre certains des symptômes de la MA. Autrement dit, bien que ces modèles n’imitent pas la cause de la maladie (mort neuronale) ni même la vaste constellation de symptômes associés à la MA, les lésions dans le noyau basal peuvent servir de modèles animaux qui possèdent d’importantes caractéristiques neurodégénératives, neurochimiques et même comportementales de la MA[vi].

 

 

[50]       Aux paragraphes 60 à 80, le Dr Bartus a décrit l’état général des connaissances avant le 21 juin 1988 :

 

  • On comprenait qu’il était possible d’augmenter les concentrations d’ACh dans le cerveau en utilisant des inhibiteurs de l’AChE
  • Il existait deux inhibiteurs connus de l’AChE qui avaient été testés en clinique chez des patients atteints de la MA : la physostigmine et la tacrine (THA)
  • La physostigmine n’était pas un composé viable, car elle avait une demi‑vie médiocre
  • Selon un rapport publié par le Dr Summers en 1986 (le Rapport Summers), 12 patients ont reçu de la tacrine et ont présenté une réponse positive
  • La tacrine n’était pas un composé viable, car elle comportait des inconvénients sans lien avec la maladie comme l’hépatotoxicité

 

[51]       Selon le Dr Bartus, les tests in vitro (en éprouvettes), ex vivo (tests sur des animaux et sacrifices d’animaux pour étudier les effets internes) et in vivo (tests sur des animaux et observation des effets) [traduction] « sont tous importants car chacun fournit différents types d’information »[vii], un test n’étant pas meilleur que l’autre.

 

[52]       Le Dr Bartus a analysé le brevet 808 et a classé les revendications en deux catégories : revendications centrées sur les composés et revendications centrées sur les usages thérapeutiques. Au dire du Dr Bartus, la revendication 6 [traduction] « promet un composé qui peut servir d’inhibiteur de l’AChE » et la revendication 18 « promet un traitement contre la démence sénile »[viii].

 

[53]       Le Dr Bartus a rejeté la liste de promesses dressée par Genpharm (Mylan) dans l’avis d’allégation et a qualifié ces promesses comme des avantages potentiels du brevet 808 :

 

[traduction] Je ne crois pas qu’une personne versée dans l’art interpréterait raisonnablement le brevet de cette façon. Une personne versée dans l’art comprendrait plutôt que ce que les inventeurs veulent dire au sujet de la revendication 6 est qu’il s’agit d’un inhibiteur de l’AChE qui peut traverser la BHE [barrière hémato‑encéphalique]. Les autres énoncés dans le brevet sont soit des descriptions des avantages potentiels (tels que la faible toxicité, la biodisponibilité, les bonnes propriétés physiques) qu’une personne versée dans l’art considérerait comme une description utile mais non une promesse, soit des indicateurs de ce qu’on pourrait faire avec un inhibiteur de l’AChE, notamment son utilisation prédite pour traiter la démence sénile, qui est la promesse faite dans la revendication 18[ix].

 

 

[54]       Aux paragraphes 102 à 104, le Dr Bartus a fait valoir que la revendication 18 promet de façon explicite que le composé peut être utilisé pour le traitement contre la démence sénile chez les humains.

 

[55]       Il a déclaré que Pfizer a démontré l’utilité (c.‑à‑d. la puissante activité anti‑AChE du composé) de la revendication 6 du brevet 808, dans l’exposé de l’invention[x].

 

[56]       Aux paragraphes 109 à 151, le Dr Bartus a examiné les tests mentionnés dans le brevet 808 de même que les affidavits des Drs Araki et Ogura. Il a indiqué que les tests et les méthodes [traduction] « étaient adéquats et usuels dans l’industrie »[xi].

 

[57]       Il a reconnu la présence d’une erreur dans l’exemple 1 à la page 48 du brevet 808, à savoir la mention de données sur des rats concernant le donépézil alors qu’on décrit un test effectué sur des souris. Selon lui, la conclusion demeure la même – le donépézil exerce toujours une puissante activité anti‑AChE[xii].

 

[58]       Le Dr Bartus a indiqué que les résultats des tests divulgués dans le tableau 2 du brevet 808 (page 51) démontrent que le donépézil était un puissant inhibiteur de l’AChE. Il a rejeté toutes les allégations selon lesquelles on aurait dû, dans les résultats des tests, (i) signaler le nombre de rats, (ii) inclure un témoin positif et (iii) inclure un cadre de référence. Selon lui, ces facteurs ne sont pas réellement pertinents et ne modifient pas le fait que le donépézil est un puissant inhibiteur de l’AChE – c’est‑à‑dire qu’il a une utilité démontrée[xiii].

 

[59]       Le Dr Bartus a reconnu que le tableau 3 du brevet 808 (page 52) ne présente pas de statistiques qui aideraient à comprendre le résultat des tests mnésiques chez les animaux traités par la scopolamine. D’après lui, cependant, l’absence de description détaillée de la méthode n’invalide pas les résultats divulgués :

 

[traduction] Encore une fois, même si aucune statistique n’est fournie, une personne versée dans l’art est malgré tout en mesure de tirer la conclusion que le donépézil a été capable d’inverser la perte de mémoire induite par la scopolamine en se basant sur les données présentées au tableau 3, qui portent sur un nombre raisonnablement important d’animaux (10‑17) et sur l’ampleur du changement observé après des doses consécutives, aucune des valeurs indiquées n’étant considérée comme non efficace (NE)[xiv].

 

[60]       Le Dr Bartus a concédé que la description de l’exemple 3 du brevet 808 (page 50 du brevet) contenait une erreur – le test a été effectué à une dose de 1,0 mg/kg de scopolamine et non de 0,5 mg/kg, et du donépézil a été administré deux heures avant l’entraînement, et non une heure avant. Il ne considérait pas que cette erreur était importante :

 

[traduction] Comme le donépézil avait été administré une heure avant l’entraînement dans l’affidavit d’Ogura (c.‑à‑d. 16 % à une dose de 0,25 mg/kg et 51 % à une dose de 0,5 mg/kg), l’observation que le donépézil permet d’inverser le déficit cholinergique induit par la scopolamine après une heure comme après deux heures corrobore la conclusion que le donépézil est un composé capable d’inverser le déficit cholinergique causé par la scopolamine[xv].

 

 

[61]       Le Dr Bartus a reconnu également que le brevet 808 ne fournit aucune donnée comparative démontrant les effets du donépézil dans d’autres tissus que le cerveau. Il signale les données dans la pièce C de l’affidavit d’Araki produites par Eisai comme preuve que des tissus du cœur, de l’intestin grêle, du sérum et des muscles pectoraux ont également été testés[xvi].

 

[62]       Aux paragraphes 156 à 158, le Dr Bartus a expliqué que le donépézil a montré qu’il était capable d’accroître la concentration d’ACh dans le cerveau. Il a cité à l’appui les pièces P et R de l’affidavit d’Ogura. Aucune référence au brevet 808 n’a été présentée.

 

[63]       Le Dr Bartus a déclaré que le donépézil présentait un indice thérapeutique très large comparativement à la physostigmine. Il a mis en relief les données produites dans le Rapport Chosa Hokoku comme preuve[xvii].

 

[64]       Selon lui, Pfizer a démontré que : (i) le donépézil est puissant et très sélectif, (ii) il accroît la quantité d’ACh présente dans le cerveau, (iii) il exerce un excellent effet sur un modèle pour le trouble de la mémoire, (iv) il a une activité persistante comparativement à la physostigmine, (v) il est très sûr comparativement à la physostigmine, (vi) il y a une marge très large entre ses effets principaux et ses effets secondaires, (viii) sa biodisponibilité est grande et (viii) il pénètre très bien dans le cerveau[xviii].

 

[65]       Il a ajouté que la revendication 18 du brevet 808 peut faire l’objet d’une prédiction valable. Il a résumé les données dans le brevet en disant qu’elles créaient le fondement factuel suivant :

[traduction] […] même si l’on considère uniquement les données dans le brevet lui‑même, elles établissent que le donépézil :

 

a)                  est un puissant inhibiteur de l’AChE (tant in vitro     qu’ex vivo);

b)                  atteint le cerveau (traverse la BHE);

c)                  est efficace pour inverser le déficit cholinergique induit par             la scopolamine[xix]

 

 

[66]       D’après lui, il y avait un raisonnement valable qui permettait de prédire l’efficacité du donépézil dans le traitement de la démence sénile chez les humains :

[traduction]

a)               On savait que l’ACh était un important neurotransmetteur, permettant aux cellules du cerveau de « communiquer » ensemble et, plus particulièrement, qu’elle jouait un rôle important dans la mémoire et l’apprentissage;

 

b)               On comprenait que le déficit en ACh contribuait grandement à la démence sénile, notamment la démence sénile causée par la MA;

 

c)               Il avait été établi que le déficit en ACh similaire à celui observé chez les patients atteints de démence sénile pouvait être induit en bloquant la fonction cholinergique au moyen de médicaments comme la scopolamine ou de lésions dans les neurones cholinergiques du cerveau;

 

d)               Lorsque le déficit en ACh a été induit par la scopolamine, les sujets testés ont présenté des troubles mnésiques similaires à ceux signalés dans la démence sénile, notamment dans les premiers stades de la MA;

 

e)               On savait que l’AChE dégradait l’ACh, de sorte que les personnes versées dans l’art comprenaient qu’en inhibant l’AChE, on augmenterait les concentrations d’ACh;

 

f)                 Des recherches avaient  montré que les inhibiteurs de l’AChE (physostigmine et tacrine) réduisaient le déficit cholinergique tant chez les animaux que chez les humains et avaient atténué la gravité des troubles mnésiques chez les patients atteints de démence sénile, notamment de la MA. La plus importante de ces recherches était l’article de Summers dans le NEJM, qui, comme l’ont compris les personnes versées dans l’art à l’époque, démontrait que la tacrine pouvait traiter efficacement la MA[xx].

 

 

[67]       Le Dr Bartus a mentionné que les tableaux 1, 2, 3 et 10 dans le brevet 808 corroborent les principes généraux décrits ci‑dessus. Selon lui, le brevet 808 divulgue adéquatement suffisamment d’information pour qu’on puisse formuler une prédiction valable. Il a mis en relief les résultats des tests in vitro (pages 48‑49 et 147 du brevet), les résultats des tests ex vivo (pages 50‑51 du brevet) et les résultats des tests in vivo (pages 50‑52 du brevet)[xxi].

 

[68]       À la lumière des résultats des tests divulgués et de l’hypothèse cholinergique, le Dr Bartus a indiqué qu’une prédiction valable pouvait être facilement formulée après lecture du brevet 808.

 

[69]       Malgré l’absence de données chez les humains dans le brevet et ailleurs, les résultats des tests sur les animaux sont et étaient, selon lui, plus que suffisants pour qu’on puisse prédire l’utilité du donépézil pour traiter des patients humains :

 

[traduction] […] On fait couramment des extrapolations et des prédictions à partir de données in vitro, ex vivo et/ou in vivo chez les animaux pour déterminer les effets chez les humains. C’est la façon dont procède la communauté scientifique et cela constitue une partie intégrante du processus de mise au point de médicaments […][xxii].

 

[70]       Dans l’affidavit de sa réplique, le Dr Bartus a évalué l’affidavit déposé en réponse par le Dr Becker (expert de Mylan). Le Dr Bartus a rejeté les critiques formulées par le Dr Becker en ce qui concerne l’article de Summers[xxiii].

 

[71]       Selon lui, c’est dénaturer les faits que de minimiser l’importance qu’a eue l’article de Summers pour la communauté scientifique[xxiv].

 

[72]       Le Dr Bartus a réitéré que l’hypothèse cholinergique fournit une base raisonnable pour prédire que les inhibiteurs de l’AChE peuvent être des traitements potentiels contre la MA. Dans les pièces D et E de son affidavit de réplique, le Dr Bartus présente des articles publiés en 1986 et 1984, qui confirment la crédibilité de l’hypothèse cholinergique. Il a également mentionné un article qu’il a lui-même rédigé (publié en 1982, pièce E de son affidavit original) et a indiqué que cet article avait été cité très souvent, selon Google Scholar – mais aucune preuve n’est fournie à l’appui de cette déclaration[xxv].

 

[73]       Le Dr Bartus a répondu au Dr Becker, qui soutenait que des organophosphates létaux répondraient aux critères utilisés dans le raisonnement suivi pour la mise au point du donépézil. À son avis, la comparaison avec les organophosphates, tels que le sarin, n’est pas pertinente, car le brevet 808 et les données incluses dans les rapports limitaient la classe de composés aux inhibiteurs réversibles. Il fait remarquer que les composés proposés par le Dr Becker sont des inhibiteurs irréversibles et sont donc sans rapport[xxvi].

 

[74]       Le Dr Bartus a rejeté la critique faite par le Dr Becker en déclarant qu’il était juste que le brevet 808 tire des conclusions à partir de résultats de tests sur des animaux et qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer des tests sur des tissus cérébraux humains. Selon lui, ce genre de tests est peu pratique et dans les années 80, on n’avait pas accès à du tissu cérébral congelé – pour remédier aux reproches faits par le Dr Becker, il faudrait donc effectuer des tests chez les humains (c.‑à‑d. administrer le composé et attendre que les patients meurent), ce qui est inutile compte tenu de la quantité impressionnante de données recueillies chez les animaux qui ont été divulguées[xxvii].

 

[75]       En contre‑interrogatoire, le Dr Bartus a admis que le brevet 808 compte sur le fait qu’une personne versée dans l’art puisse compléter par elle‑même les renseignements manquants tirés des expériences :

 

[traduction]

Q :       Le brevet escompte ainsi qu’une personne versée dans l’art complète l’information en se fondant sur sa connaissance de ce qui est fait - -

 

R :        C’est vrai.

 

Q :       J’allais terminer en disant ce qui est fait dans le domaine par d’autres personnes ailleurs qui effectuent ces tests sur des animaux?

 

R :        Oui, mais encore une fois, ce qui a été fait ailleurs est très varié. Avec la description même succincte qu’ils [les inventeurs] fournissent, ils éliminent une bonne part de ce qui a été fait ailleurs, ce qui limite la mesure dans laquelle ce qui a été fait ailleurs est lié à ce qu’ils sont en train de faire. C’est un peu nébuleux comme explication[xxviii].

 

[76]       On a demandé au Dr Bartus d’interpréter le passage suivant à la page 54 du brevet 808 :

 

[traduction] Le composé de la présente invention est efficace pour le traitement, la prévention, la rémission, l’amélioration, etc., de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer; les maladies vasculaires cérébrales accompagnant l’apoplexie cérébrale, p. ex. l’hémorragie cérébrale ou les infarctus cérébraux, l’artériosclérose cérébrale, les traumatismes crâniens, etc.; et l’aprosexie, les troubles de l’élocution, l’hypoboulie, les sautes d’humeur, les troubles de la mémoire récente, le syndrome hallucinatoire‑paranoïde, les changements de comportement, etc. accompagnant l’encéphalite, l’infirmité motrice cérébrale, etc.

 

[77]       Selon le Dr Bartus, le passage décrivait des « espoirs. Les inventeurs ne font état que de leurs espoirs »[xxix]. Il a apporté la clarification suivante :

 

[traduction]

R :        Ce paragraphe ne constitue pas une promesse. Et ce n’est pas simplement parce qu’il n’y a pas de démonstration. Une promesse pourrait être uniquement quelque chose qu’on prédit, mais ils ne prédisent même pas toutes ces choses[xxx].

 

 

[78]       Lorsqu’on l’a questionné sur ce qu’enseignait le brevet 808, le Dr Bartus a répondu qu’il [traduction] « montre comment fabriquer une toute nouvelle classe de composés qui ont, entre autres, une forte activité anti‑cholinestérase. » Lorsqu’on lui a demandé si ces « autres choses » pouvaient inclure l’utilité pour traiter la MA, il a répondu par l’affirmative[xxxi].

 

[79]       On a demandé au Dr Bartus de reformuler la promesse du brevet 808 si on éliminait hypothétiquement la revendication 18. Après un long échange, il n’a fourni aucune réponse explicite. Le Dr Bartus était d’accord avec une promesse qu’on lui a suggérée :

 

[traduction]

Q :       Quand vous êtes en train d’examiner le brevet, quand vous parcourez le brevet, n’y voyez‑vous pas une promesse d’une utilité thérapeutique contre la maladie d’Alzheimer?

 

R :        Globalement, oui[xxxii].

 

 

[80]       On a montré au Dr Bartus un document qu’il a publié (pièce 2 du contre‑interrogatoire) où il a confirmé la notion qu’il y avait [traduction] « des limites frustrantes associées aux modèles animaux » en 1985[xxxiii]. Il a admis qu’aucun modèle animal n’était/n’est universellement accepté comme modèle valide ou prédictif des troubles cognitifs chez les humains[xxxiv], et qu’en 1988, « une bonne part de la communauté clinique ne reconnaissait pas encore la valeur des modèles animaux »[xxxv].

 

[81]       On a interrogé le Dr Bartus au sujet de l’exactitude de l’article de Summers. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi la FDA avait critiqué l’étude décrite dans l’article de Summers, le Dr Bartus a répondu ce qui suit :

 

[traduction]

R :        Effectivement, mais dans le cas de la documentation pour la FDA, il faut des dossiers clairs, comme je l’ai déjà dit, indiquant la façon dont vous avez établi l’insu, comment vous l’avez maintenu, les mesures prises lorsque l’insu a été levé et l’impact que cela peut avoir sur l’analyse effectuée.

 

            Apparemment, Summers a fait preuve de négligence à tous ces égards parce qu’il n’était pas au courant des exigences de la FDA et une fois ses données publiées, il a demandé à la FDA d’aller de l’avant et d’amorcer un processus d’approbation. La FDA réagit à cette situation, en expliquant publiquement pourquoi elle ne peut donner son approbation[xxxvi].

 

[82]       On a remis au Dr Bartus la copie d’un rapport rédigé par la FDA (pièce 9 du contre‑interrogatoire) où cette dernière attaque vivement la crédibilité de l’article de Summers. Dans cet article, on décrivait l’utilisation de la tacrine chez des patients qui avaient obtenu des résultats positifs. Les auteurs du rapport de la FDA ont indiqué que [traduction] « dans le meilleur des cas, nous estimons que la preuve équivaut à une information clinique anecdotique, non contrôlée »[xxxvii]. Le Dr Bartus a déclaré :

 

[traduction]

R :        C’est vrai. Compte tenu des critères établis par la FDA pour l’enregistrement, elle ne pouvait qu’en arriver à cette conclusion. Il y avait tellement d’écarts entre ce que Summers avait fait et ce que la FDA exige pour l’enregistrement qu’ils ont rejeté l’essai[xxxviii].

 

 

[83]       Le Dr Bartus a maintenu que même si certains des résultats des tests avaient été omis dans le brevet 808, les données étaient suffisantes :

 

[traduction]

Q :       Après avoir revu ensemble les autres études animales qui ne figuraient pas dans le brevet, vous dites que les inventeurs n’avaient pas besoin de faire toutes ces choses pour pouvoir prédire l’utilité thérapeutique chez les humains?

 

R :        Selon moi, ils n’avaient besoin d’effectuer aucune de ces études pour pouvoir prédire de façon plausible ou raisonnable que ce produit pourrait être utile chez les humains.

 

            Je suis convaincu que ces études ont été effectuées à cause des millions de dollars qui ont dû être investis et du désir d’avoir une plus grande certitude; il y a donc un élément de vérité dans cette affirmation, mais c’est une question de degré[xxxix].

 

[84]       Le Dr Bartus a reconnu que la demande de brevet prioritaire contenait des données comparatives sur la physostigmine et la tacrine alors que cette information ne figurait pas dans le brevet 808. Il a admis que cette information aurait été utile à une personne versée dans l’art [traduction] « pour comprendre l’activité relative du donépézil comparativement à des composés connus[xl]. Il n’a pas voulu admettre cependant que ces données auraient aidé à prédire l’utilité du donépézil dans le traitement de la MA; il a plutôt caractérisé les données comme étant « réconfortantes » et sans aucune valeur[xli].

 

[85]       Le Dr Kenneth Rockwood est professeur de médecine (médecine gériatrique et neurologie) à l’Université Dalhousie. Il exerce la médecine interne et occupe le poste de professeur Kathryn Allen Weldon de recherche sur la maladie d’Alzheimer.

 

Son mandat était le suivant :          (i) fournir les renseignements de base sur la démence, en particulier la démence sénile de type Alzheimer, (ii) répondre à l’allégation de Genpharm selon laquelle l’utilité de la revendication 18 du brevet 808 ne pouvait pas être prédite de façon valable, et répondre à certaines allégations faites dans l’affidavit du Dr Becker (voir infra).

 

[86]       Le Dr Rockwood a donné son opinion concernant la revendication 18 :

 

[traduction] À mon avis, la revendication 18 du brevet 808 (qui dépend de la revendication 6) promet que le composé de la revendication 6 (c.‑à‑d. le donépézil) sera utile dans le traitement des symptômes de la démence sénile qui résultent d’un déficit cholinergique.

 

J’estime que l’utilité de la revendication 18 (c.‑à‑d. l’utilisation du donépézil dans le traitement de la démence sénile) aurait pu être et a en fait été prédite de façon valable le 21 juin 1988[xlii].

 

 

[87]       Aux paragraphes 22 à 28, le Dr Rockwood a fourni des renseignements généraux sur la MA et le processus chimique qui survient dans le cerveau. Le passage suivant résume de façon succincte le processus qui intervient dans le cerveau :

 

[traduction] Dans le cerveau, l’ACh agit comme « neurotransmetteur », c.-à-d. une substance chimique du cerveau qui relaie les « messages » d’un neurone à l’autre à travers la « synapse ». L’ACh est libérée d’un neurone « pré‑synaptique » et traverse la petite fente synaptique jusqu’à un neurone « post‑synaptique » voisin. Elle active alors le neurone post‑synaptique en se fixant à un site appelé récepteur. Une fois que l’ACh a livré son message au neurone voisin, elle se détache du récepteur et est dégradée dans la synapse par une enzyme, appelée AChE. Ce mécanisme de libération de l’ACh et sa dégradation ultérieure par l’AChE permettent à des messages dans le cerveau d’être activés et désactivés[xliii].

 

[88]       En se basant entre autres sur des articles parus entre 1974 et 1976, on pouvait, selon lui, en arriver à la conclusion que [traduction] « c’était un déficit en ACh dans le cerveau qui était responsable de la perte de mémoire »[xliv]. C’est ainsi qu’est née l’hypothèse selon laquelle une « augmentation des concentrations d’ACh aiderait à traiter les symptômes correspondants » – à savoir l’hypothèse cholinergique[xlv]. D’après lui, « il y avait un consensus dans la communauté scientifique voulant que c'était là l’approche la plus prometteuse pour le traitement de la MA »[xlvi].

 

[89]       Le Dr Rockwood a déclaré qu’une stratégie misant sur un inhibiteur de l’AChE était la stratégie thérapeutique la plus perfectionnée contre la MA et qu’actuellement, trois des quatre médicaments approuvés par Santé Canada pour la MA étaient des inhibiteurs de l’AChE[xlvii].

 

[90]       Le Dr Rockwood a cité les tests portant sur la physostigmine comme exemple de l’adhésion de la communauté scientifique à l’hypothèse cholinergique. Autrement dit, malgré la limite connue de la physostigmine, l’utilité générale de l’inhibition de l’AChE était bien établie[xlviii].

 

[91]       Le Dr Rockwood a signalé l’article de Summers, publié en 1986 dans le New England Journal of Medicine. L’article de Summers décrivait l’utilisation de la tacrine pour traiter la MA. Selon le Dr Rockwood, l’article de Summers jetait les fondements théoriques permettant aux scientifiques d’étudier la MA :

 

[traduction] Une fois qu’il a été établi que la physostigmine et la tacrine amélioraient la fonction cognitive chez les patients atteints de la MA, il n’y avait pas lieu de s’étonner que d’autres se mettent à chercher d’autres inhibiteurs de l’AChE qui pourraient être utilisés dans le traitement de la MA[xlix].

 

[92]       Au dire du Dr Rockwood, la revendication 18 porte sur l’utilisation du donépézil ou un de ses sels pharmaceutiquement acceptables pour traiter la démence sénile causée par un déficit en ACh, observé dans la MA – c’est la promesse qu’offre cette revendication[l].

 

[93]       Le Dr Rockwood a passé en revue les données dans le brevet et a constaté ce qui suit :

 

[traduction] Les inventeurs font remarquer que le donépézil semble avoir certains avantages du point de vue de la durée d’action et de l’innocuité par rapport à la physostigmine, mais une personne versée dans l’art comprendrait que ce n’est pas une « promesse ». Il s’agit plutôt d’un avantage observé du donépézil comparativement à la physostigmine, connue dans l’art antérieur[li].

 

[94]       D’après le Dr Rockwood, les données dans le brevet 808 divulguent de façon adéquate le fondement factuel permettant de faire une prédiction valable. Les éléments suivants sont divulgués :

 

  • Le tableau 1 du brevet 808 (page 49) et les résultats du composé 4 (donépézil) – qui montrent que le donépézil est puissant et a une activité inhibitrice.
  • Le tableau 2 du brevet 808 (page 51) et les résultats du composé 4 (donépézil) – qui montrent que le donépézil se rend jusqu’au cerveau.
  • Le tableau 3 du brevet 808 (page 52) et les résultats du composé 4 (donépézil) – qui montrent que le donépézil est capable d’inverser le déficit cholinergique, peu importe l’erreur qui existe dans les données (autrement dit, le composé a été testé après deux heures à une dose de 1,0 mg/kg, et non après une heure à une dose de 0,5 mg/kg)[lii].

 

[95]       Le Dr Rockwood a résumé son opinion quant au raisonnement valable :

 

[traduction] […] En résumé, le 21 juin 1988, il était bien établi que la MA, comme d’autres formes de démence sénile, était associée à un déficit cholinergique. Les chercheurs ont donc tenté de découvrir diverses façons de régler le déficit cholinergique dans ces maladies, notamment en utilisant des inhibiteurs de l’AChE. Des chercheurs ont montré que les inhibiteurs de l’AChE inversaient les déficits induits par l’activité cholinergique. En effet, des études cliniques chez des patients atteints de la MA avaient déjà été effectuées pour deux inhibiteurs de l’AChE : la physostigmine et la tacrine. Le 21 juin 1988, on avait montré que ces deux substances avaient des effets positifs cliniquement détectables chez des patients souffrant de démence sénile. Les connaissances de la personne versée dans l’art relativement à l’importance du déficit cholinergique dans la pathogenèse de la démence sénile, l’efficacité avec laquelle les inhibiteurs de l’AChE inversaient les déficits cholinergiques et l’expérience acquise en clinique avec les inhibiteurs de l’AChE, comme la physostigmine et la tacrine, représentent un raisonnement valable permettant d’inférer que les inhibiteurs de l’AChE pourraient être utilisés dans le traitement de la démence sénile causée par un déficit cholinergique, en particulier la MA[liii].

 

[96]       Le Dr Rockwood a reconnu que les affidavits d’Araki, d’Ogura, de Sumigama et de Yamakawa font état d’autres tests non inclus dans le brevet 808. Il a maintenu sa position que la divulgation dans le brevet 808 demeurait suffisante[liv].

 

[97]       Il a rejeté l’affirmation du Dr Becker selon laquelle pour qu’une prédiction valable soit faite, il faut avoir dévoilé les résultats de tests sur deux espèces différentes. Le Dr Rockwood a indiqué qu’il n’existait pas une telle « règle » et que les connaissances générales existantes en ce qui concerne la physostigmine et la tacrine venaient contredire une telle affirmation[lv].

 

[98]       Il a de plus rejeté l’affirmation du Dr Becker voulant que les données du brevet 808 ne divulguent pas assez de renseignements pour qu’on puisse faire des extrapolations aux humains. Selon le Dr Rockwood, la communauté scientifique se livre régulièrement à de telles extrapolations[lvi].

 

[99]       Dans l’affidavit de sa réplique, le Dr Rockwood a évalué l’affidavit déposé en réponse par le Dr Becker (expert de Mylan). Le Dr Rockwood a affirmé que l’article de Summers a de fait eu un impact sur les personnes qui travaillaient avec les inhibiteurs de l’AChE et que l’hypothèse cholinergique était valide.

 

[100]   Il s’est penché sur les critiques potentielles formulées à l’endroit de l’article de Summers et a fait remarquer que les attaques provenaient de personnes qui doutaient du fait que la tacrine pourrait produire les mêmes résultats chez d’autres patients que ceux du Dr Summers. Le Dr Rockwood a signalé que cela ne revient pas à contester la validité de l’hypothèse cholinergique – la stratégie axée sur les inhibiteurs de l’AChE demeurait la stratégie prédominante[lvii].

 

[101]   Le Dr Rockwood a souligné qu’il était ironique que le Dr Becker cite plusieurs articles critiquant l’article de Summers. Aux yeux du Dr Rockwood, les documents montrent que l’utilisation d’inhibiteurs de l’AChE était une stratégie envisagée par toutes les personnes versées dans l’art à l’époque[lviii].

 

[102]   En contre‑interrogatoire, le Dr Rockwood a admis que depuis 1996, il a exercé les fonctions d’expert‑conseil pour Pfizer, mais a déclaré qu’il n’avait pas participé aux rencontres annuelles du comité consultatif dans les deux à trois dernières années. Il a aussi reconnu qu’il a conseillé Parke‑Davis (l’entreprise qui a précédé Pfizer) en 1994 et était chargé de donner son avis pour aider à préparer une soumission clinique pour le composé tacrine[lix].

 

[103]   Le Dr Rockwood a admis qu’il ne se considérait pas comme un expert dans la réalisation ou l’interprétation d’études animales[lx].

 

[104]   Il a reconnu que les traitements par des inhibiteurs de l’AChE étaient controversés durant les années 80 :

[traduction]

Q :       Vous conviendrez avec moi que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ne réduisent pas tous la gravité de la perte cognitive chez les patients atteints de la MA?

 

R :        C’est vrai.

 

Q :       À l’époque, en 1988, aucun inhibiteur de l’acétylcholinestérase n’avait été approuvé au Canada pour le traitement de la MA?

 

R :        C’est vrai.

 

Q :       Ni n’avait été approuvé, à votre connaissance, par la FDA aux États‑Unis?

 

R :        C’est juste.

 

Q :       Êtes‑vous d’accord avec moi pour dire qu’en 1988 l’efficacité du médicament THA [tacrine] dans le traitement de la MA était controversée?

 

R :        Oui, on se demandait dans quelle mesure la THA était efficace pour traiter la MA[lxi].

 

 

[105]   Le Dr Rockwell a admis que lorsqu’on utilise un modèle d’évitement passif induit par la scopolamine chez des rongeurs, il convient de vérifier si les résultats ont été causés par des effets périphériques[lxii].

 

[106]   Il a reconnu que le tableau 2 du brevet 808 (page 51) contient des astérisques qui ne sont pas définis dans le document. Une personne versée dans l’art connaîtrait la signification statistique. Il a ajouté que la signification statistique est un facteur important sur le plan clinique[lxiii]. Il a admis que le tableau 3 du brevet 808 (page 52) ne contient aucun astérisque et que l’absence de signification statistique limite la capacité de tirer des conclusions valables concernant l’efficacité clinique – [traduction] « mais que cela ne constitue pas un obstacle insurmontable »[lxiv].

 

[107]   Le Dr Rockwood et l’avocat de Mylan ont eu un long échange concernant la pièce 6 du contre‑interrogatoire[lxv], un rapport publié en 1991 qui portait sur les conclusions de la FDA concernant l’article de Summers et qui critiquait sévèrement cet article. Ils voulaient déterminer à quel moment la FDA avait changé d’opinion concernant l’article de Summers : son opinion favorable était‑elle devenue défavorable avant le 21 juin 1988? Après un long débat, ils ont convenu que l’enquête de la FDA sur l’article de Summers a débuté « vers 1987 » et a confirmé les préoccupations de certains membres de la communauté scientifique relatives à la « méthodologie utilisée dans l’étude de Summers »[lxvi].

 

[108]   En contre‑interrogatoire, l’avocat de Mylan a essayé de déterminer si le Dr Rockwell a interprété la promesse offerte par le brevet entier ou uniquement la promesse contenue dans une revendication. L’avocat de Pfizer a interrompu l’interrogatoire :

 

[traduction]

Q :       Êtes‑vous d’accord avec l’énoncé suivant au paragraphe 16 de votre affidavit : « À mon avis, le brevet 808 promet que le composé donépézil sera utile dans le traitement des symptômes de la démence sénile qui résultent d’un déficit cholinergique. » Êtes‑vous d’accord avec cet énoncé?

 

(REF) M. Bernstein :  Ne répondez pas à cette question. La promesse offerte par un brevet, c’est quelque chose qui n’existe pas. Une promesse ne peut être liée qu’à une revendication.

 

M. White :       C’est là où je voulais en venir.

 

Q :       Est‑ce la façon dont on vous a dit d’interpréter la promesse, en examinant chaque revendication? M. Bernstein : C’est la façon dont on lui a dit de répondre en ce qui a trait à la promesse[lxvii].

 

[109]   Le Dr Rockwood a admis que dans ce qui a été divulgué dans le brevet 808, il n’y a aucun renseignement qui  permette d’établir une comparaison entre le donépézil et la physostigmine ou la tacrine[lxviii].

 

[110]   Le Dr Alan Kozikowski est professeur au Département de chimie médicinale et de pharmacognosie à l’Université de l’Illinois. Il a terminé ses recherches post‑doctorales à l’Université de Harvard. Le Dr Kozikowski est surtout un universitaire, mais il a dispensé des services d’expert‑conseil en chimie médicinale à des établissements médicaux et à des entreprises.

 

Son mandat était le suivant :      Donner son avis concernant la contrefaçon potentielle du brevet 808 et présenter un aperçu général des concepts scientifiques pertinents. On lui a demandé ultérieurement dans une réplique de commenter l’allégation d’inutilité.

 

[111]   Le Dr Kozikowski a interprété les revendications 6 et 18 de la façon suivante :

[traduction] À mon avis, la revendication 6 du brevet 808 concerne la découverte d’une composition chimique nouvelle et utile – autrement dit un composé. La revendication 18, qui dépend de la revendication 6, a trait à une composition thérapeutique contenant ce composé nouveau et utile pour le traitement de la démence sénile[lxix].

 

[112]   Il a déclaré que la revendication 6 ne renferme aucune promesse; mais si une promesse doit être inférée, [traduction] « cette promesse porterait sur l’activité anti‑acétylcholinestérase, qui est l’activité biologique fondamentale indiquée pour cette nouvelle entité chimique »[lxx].

 

[113]   Il a qualifié les promesses alléguées par Mylan de simples avantages associés au composé revendiqué[lxxi]. Aux yeux du Dr Kozikowski, le brevet 808 divulgue aux tableaux 1, 2 et 3 (pages 49‑53) suffisamment d’information pour démontrer [traduction] « que le donépézil est un puissant inhibiteur de l’AChE »[lxxii].

 

[114]   En contre‑interrogatoire, on a remis en question son interprétation de la revendication 18 :

 

[traduction]

Q :       C’est ce à quoi je veux en arriver. À quel type d’expert s’adresse, selon vous, la revendication 18, et quel est le domaine d’expertise?

 

R :        Je dirais surtout à des experts cliniques.

 

Q :       Ce que vous n’êtes pas?

 

R :        C’est vrai.

 

Q :       Pour interpréter comme tel ce qu’englobe ou non la revendication 18, vous vous fieriez à l’avis d’un expert clinique?

 

R :        C’est exact, ce qui concorde avec les paragraphes 17 et 18 [de l’affidavit de sa réplique]

 

Q :       Si je comprends bien, lorsque vous indiquez ce que la revendication 18 englobe, il s’agit purement d’une reformulation du libellé de la revendication 18 plutôt que d’un commentaire d’expert indiquant ce que ces termes pourraient signifier. Est‑ce juste?

 

R :        C’est juste. J’espère que vous avez obtenu ce que vous vouliez[lxxiii].

 

[115]   Il y a eu un long échange entre l’avocat de Mylan et le Dr Kozikowski concernant les aspects scientifiques qui débordaient, le cas échéant, le cadre de ses compétences lorsqu’il a tenté d’interpréter la revendication 18 du brevet 808[lxxiv]. À la fin de l’interrogatoire, le Dr Kozikowski a finalement admis que l’aspect clinique de la revendication 18 (c.‑à‑d. l’utilisation pour un traitement) débordait le cadre de ses compétences :

 

[traduction]

Q :       Le domaine couvert par la revendication 18 – pour répéter brièvement et pour être sûr que je comprends bien – est l’utilisation en vue d’un traitement, c’est l’aspect clinique de la revendication 18 qui se situe au‑delà de la chimie et de votre domaine de compétence et c’est la raison pour laquelle vous n’avez pas fait de commentaire concernant la promesse contenue dans la revendication 18. Est‑ce juste? C’est ce que je déduis de votre témoignage.

 

R :        Oui, c’est juste[lxxv].

 

[116]   Le Dr Michael McKenna est un expert‑conseil en biotechnologie et en pharmacie. Il est titulaire d’un doctorat en toxicologie et compte plus de 35 ans d’expérience en toxicologie et en mise au point de produits pharmaceutiques. En 1984, le Dr McKenna travaillait pour Parke‑Davis au sein d’une équipe de gestion préclinique et entre 1986 et 1991, il a supervisé la mise au point de la tacrine (THA).

 

Son mandat consistait à :           Répondre aux questions suivantes : (a) l’utilité du brevet 808 inclut‑elle des promesses concernant la toxicité du donépézil et son profil d’innocuité? et (b) si l’on accepte l’allégation de Mylan voulant que l’utilité du brevet 808 comporte des promesses relatives à la toxicité et au profil d’innocuité du donépézil, le breveté a‑t‑il démontré ces aspects de l’utilité?

 

[117]   Le Dr McKenna a qualifié les références à la toxicité et à l’innocuité de [traduction] « déclarations appuyant certains des avantages observés de ce composé […] comparativement aux produits qui étaient disponibles à l’époque en question ». Selon le Dr McKenna, ces déclarations ne sont qu’« instructives »[lxxvi].

 

[118]   Le Dr McKenna prétend que la revendication 6 ne contient aucune promesse particulière; mais à la lecture de l’ensemble du brevet, il ressort, selon lui, que le composé est un inhibiteur de l’AChE. Il a affirmé que la revendication 18 concerne l’utilisation du composé pour le traitement de la démence sénile[lxxvii].

 

[119]   Le Dr McKenna a examiné les données divulguées à la page 55 du brevet 808 et il considère que cette divulgation offre des enseignements, mais non des promesses[lxxviii].

 

[120]   Selon son expérience, il est rare d’avoir plus qu’une compréhension générale et préliminaire de la toxicité d’un composé au moment de déposer un brevet[lxxix]. D’après lui, une personne versée dans l’art qui lirait le brevet 808 ne s’attendrait pas à ce que les doses cliniques réelles figurent dans le brevet; celles‑ci seraient confirmées dans des études futures :

 

[traduction] Ces divulgations ne constituent pas cependant la promesse offerte par le brevet. Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a rien dans le brevet pour m’amener à penser que les inventeurs promettaient que le donépézil serait sûr à une dose quelconque[lxxx].

 

[121]   Le Dr McKenna a passé en revue le rapport Chosa Hokoku, qui rendait compte des résultats d’un test d’une durée de une semaine et de quatre semaines chez des rats et des chiens décrit par le Dr Sumigama. Selon le Dr McKenna, il était raisonnable que le Dr Sumigama conclue qu’une dose de 100 mg/kg aurait causé des effets toxiques graves, même si ce n’est pas démontré dans le rapport ni dans le brevet 808 :

 

[traduction]

[54]     Pour ce qui est du brevet 808, à mon avis, il était raisonnable que M. Sumigama conclue, d’après ce qu’il avait observé à la dose de 30 mg/kg chez des rats (dose à laquelle aucun effet toxique « grave » n’avait été relevé), que des effets toxiques graves (c.‑à‑d. irréversibles) seraient observables à 100 mg/kg, soit à la dose croissante suivante qui aurait été testée. Cette conclusion corrobore l’affirmation faite dans le brevet que le donépézil « présentait des effets toxiques à une dose de 100 mg/kg ou plus, c.‑à‑d. ne manifestait aucune toxicité grave ». Autrement dit, il n’y a aucun problème de toxicité grave à des doses inférieures à 100 mg/kg, mais à des doses de 100 mg/kg ou plus, le donépézil est associé à une toxicité grave. C’est la conclusion à laquelle en est venu M. Sumigama et c’est une conclusion qu’il est tout à fait raisonnable de tirer[lxxxi].

 

[122]   Le Dr McKenna a déclaré que même si l’on interprétait le brevet 808 en disant qu'il promettait certaines propriétés en ce qui a trait à l’innocuité et à la toxicité, les enseignements provenant du rapport Chosa Hokoku constituent le raisonnement qui sous‑tend la divulgation dans le brevet et qui démontre ainsi l’utilité[lxxxii].

 

[123]   Le Dr McKenna a répondu à la critique formulée par le Dr Becker. Selon le Dr McKenna, il est inapproprié de reprocher l’absence de tests chez les humains dans le brevet 808; de tels tests ne sont pas pratiques, sont irréalistes et peu courants au stade du dépôt d’un brevet dans le processus de mise au point d’un médicament[lxxxiii]  :

 

[traduction] Fondamentalement, les personnes versées dans l’art comprennent que c’est l’approbation réglementaire, et non un brevet, qui témoigne de l’innocuité d’un médicament administré à des humains et elles ne verraient rien dans ce brevet qui n’altérerait leur façon ordinaire de penser[lxxxiv].

 

[124]   Dans l’affidavit de sa réplique, le Dr McKenna a évalué l’affidavit déposé en réponse par le Dr Becker (expert de Mylan). Le Dr McKenna a déclaré que l’article de Summers avait en fait eu un impact sur les personnes qui travaillaient avec des inhibiteurs de l’AChE, plus particulièrement Parke‑Davis – son employeur de 1984 à 1995.

 

[125]   Le Dr McKenna semblait dire que c’était à cause de l’article de Summers que Parke‑Davis avait poursuivi le développement de la tacrine (THA) :

 

[traduction] En effet, Parke‑Davis, une importante société pharmaceutique de pointe, a décidé de poursuivre le développement de la THA à cause des bons arguments scientifiques à l’appui de l’hypothèse cholinergique et à cause de ce qu’on pouvait déduire des travaux de Summers. Le projet de développement de la THA a été accepté par la direction, et des essais cliniques ont été entrepris en 1987. En fait, Parke‑Davis a continué de poursuivre le développement de la THA à toutes les étapes des essais cliniques jusqu’à l’approbation finale du produit par la FDA[lxxxv].

 

[126]   En contre‑interrogatoire, le Dr McKenna a admis que l’activité d’inhibition de l’AChE n’est pas en elle‑même utile sur le plan pharmaceutique à moins qu’elle puisse être utilisée de façon à ne pas produire d’effets toxiques inacceptables[lxxxvi].

 

[127]   Lorsqu’on lui a demandé ce qui démarque une promesse d’un avantage, le Dr McKenna a répondu que les promesses ne sont que des énoncés étayés par des données :

 

[traduction]

Q :       Si j’ai bien compris, la promesse du brevet réside dans les énoncés qui sont étayés par les données présentes dans le brevet, alors que les avantages sont des énoncés qui ont été formulés mais qui ne sont pas étayés par des données dans le brevet?

 

R :        C’est une façon raisonnable d’aborder la chose. C’est la façon dont je procéderais, je crois, en prévoyant peut‑être certaines difficultés de traduction et certains problèmes de langue[lxxxvii].

 

[128]   Le Dr McKenna a affirmé qu’à la lecture du brevet 808, on peut conclure qu’une étude comparative du donépézil et de la physostigmine avait été effectuée. Il a ajouté qu’après lecture du brevet 808, on peut conclure que des tests ont été réalisés pour évaluer la dose produisant des effets secondaires et la dose minimale efficace. Il a toutefois concédé que les données ne figuraient pas dans le brevet 808 et qu’on [traduction] « devait consulter d’autres documents pour les trouver »[lxxxviii].

 

[129]   Il a admis que sa déclaration au paragraphe 48 de son affidavit, où il disait que nulle part dans le brevet, on ne promet que le produit est sûr pour les humains, était incorrecte. Lorsqu’on lui a cité la page 55 du brevet 808, il a admis que ces déclarations étaient contradictoires[lxxxix].

 

[130]   Il a reconnu que son évaluation de la dose seuil pour les chiens (c.‑à‑d. 30 mg/kg au paragraphe 51 de son affidavit) ne concordait pas avec les données divulguées dans les rapports et que le seuil était en fait de 10 mg/kg[xc].

 

[131]   Il a avoué que l’affirmation au paragraphe 54 de son affidavit (extrait ci‑dessus) et celle dans le brevet 808 (page 54 : [traduction] « Par conséquent, tous les composés présentaient des effets toxiques à une dose de 100 mg/kg ou plus, c.‑à‑d. manifestaient une toxicité grave ») ne pouvaient s’appliquer qu’aux rats et que les données ne pouvaient être extrapolées à l'humain. Il a de plus reconnu que les données ne concordaient pas avec celles divulguées lorsque le donépézil a été testé chez des chiens[xci].

 

[132]   Selon le Dr McKenna, les affirmations dans le brevet 808 concernant l’innocuité et l’efficacité chez les humains sont basées sur une prédiction et non une démonstration :

 

[traduction]

Q :       Les affirmations concernant l’innocuité et l’efficacité dans le brevet, dans la mesure où elles s’appliquent aux humains, se fondent sur une prédiction et non une démonstration?

 

R :        C’est exact.


Q :       Le brevet lui‑même ne mentionne pas les tests de toxicité sur lesquels se fonde cette prédiction?

 

R :        C’est exact.

 

Q :       Diriez-vous que la personne versée dans l’art qui lit le brevet ne se trouve pas dans la même position que les inventeurs, M. Sumigama et les autres, pour prédire que le donépézil serait très sûr par rapport à la physostigmine? Une personne versée dans l’art ne dispose simplement pas des données pour…


R :        Il faudrait se fonder sur la déclaration dans le brevet.

 

Q :       C’est juste, mais la personne versée dans l’art qui lit le brevet ne possède pas les renseignements de base et ne se trouve donc pas dans la même position que les inventeurs qui ont fait cette prédiction?

 

R :        C’est exact[xcii].

 

[133]   À la simple lecture du brevet, le Dr McKenna a admis qu’on ne pourrait prédire que le donépézil présenterait une grande innocuité par rapport à la physostigmine[xciii].

 

[134]   Le Dr McKenna a déclaré qu’avant l’article de Summers, Parke‑Davis n’avait pas songé à appliquer l’hypothèse cholinergique dans des essais cliniques[xciv].

 

EXPERT DE MYLAN

 

[135]   Le Dr Robert Becker est un expert‑conseil clinique (section de conception et de développement de médicaments, Laboratory of Neurosciences) au National Institute of Aging. Depuis 1983, les recherches du Dr Becker portent sur le traitement de la MA et plus particulièrement sur la mise au point d’inhibiteurs de la cholinestérase.

 

Son mandat était le suivant :      Répondre aux questions suivantes : (i) Quelle est l’utilité promise dans le brevet 808? (ii) L’utilité promise est‑elle démontrée dans le brevet 808? (iii) L’utilité promise peut‑elle être prédite de façon valable à partir des renseignements divulgués dans le brevet 808?

 

[136]   Le Dr Becker a décrit la personne versée dans l’art de la façon suivante :

 

[traduction] À mon avis, certains aspects du brevet 808 s’adressent à une personne qui possède un diplôme en médecine ou un doctorat dans une science biochimique pertinente, qui connaît les maladies comportant un trouble cognitif et qui cumule plusieurs années d’expérience en recherche dans le domaine de la pharmacologie clinique. Cette personne (ou groupe de personnes) aurait une bonne connaissance et expérience des inhibiteurs de la cholinestérase et de leur utilisation comme médicaments. Elle connaîtrait également bien les tests in vivo et in vitro effectués sur les composés pour évaluer leur activité biologique. Cette personne aurait également de l’expérience dans la formulation de médicaments. La personne versée dans l’art aurait en outre de l’expérience dans la synthèse et d’autres aspects de la chimie organique ou médicinale, mais je ne donne pas mon avis sur ces aspects[xcv].

 

[137]   Le Dr Becker a signalé une autre enzyme que l’AChE, appelée butyrylcholinestérase, qui peut dégrader l’ACh. Il a déclaré que dans les années 80 et encore aujourd’hui, la fonction de cette enzyme et ses rapports avec la neurotransmission demeurent obscurs[xcvi].

 

[138]   Aux paragraphes 46 à 58 de son affidavit, le Dr Becker a donné un aperçu des tests in vitro (en éprouvettes), ex vivo (administration d’un composé à des animaux, leur euthanasie et tests sur des tissus pertinents en éprouvettes) et in vivo (administration d’un composé à des animaux et observation des effets). D’après lui, les résultats des tests in vitro et ex vivo peuvent aider à déterminer les résultats in vivo, mais ne sont pas prédictifs[xcvii].

 

[139]   Il a ajouté que si une maladie ne se manifeste pas chez les animaux, des tests sont tout de même effectués à partir d’un modèle animal mais comportent [traduction] « des limites importantes sur le plan de la prédiction »[xcviii].

 

[140]   Le Dr Becker a critiqué les tests d’évitement passif utilisés pour évaluer le donépézil. À son avis, ces tests ne mesurent pas directement l’activité d’inhibition de l’AChE et ne suivent que la progression de la perte de mémoire, qui n’est qu’un des symptômes de la MA[xcix].

 

[141]   Le Dr Becker a affirmé que les résultats des études in vivo chez une souris ne peuvent pas prédire de façon valable l’activité d’inhibition de l’AChE chez un humain – on ne peut extrapoler d’une espèce à une classe différente d’espèces[c] :

 

[traduction] Ainsi, au moment de tester de nouveaux composés, la personne versée dans l’art ne ferait qu’une prédiction raisonnable que le composé aurait un effet similaire chez une autre espèce ex vivo ou in vivo si cet effet avait été mesuré et observé chez au moins deux espèces (p. ex. souris et rats ou souris et chiens). De toute évidence, la personne versée dans l’art n’aurait pas pu prédire de façon raisonnable qu’un effet observé chez une espèce ex vivo ou in vivo serait également présent chez un humain[ci].

 

[142]   Le Dr Becker a critiqué le verbiage utilisé dans le brevet 808. La mention que la physostigmine et la THA ont des « inconvénients » et des « effets secondaires défavorables » (page 1 du brevet 808) manque de précision et demeure vague[cii]. Pour illustrer la gravité de cette omission, le Dr Becker a noté que s’il n’y a rien pour qualifier la « forte activité anti‑acétylcholinestérase » (page 2 du brevet 808), cette activité pourrait englober celle d’un gaz neurotoxique utilisé comme arme chimique[ciii].

 

[143]   Il a ajouté que certaines expressions comme « activité persistante » (page 2 du brevet 808) et « grande innocuité » (page 2 du brevet 808) sont toutes utilisées en comparaison avec la physostigmine, au sujet de laquelle aucune donnée n’est fournie[civ].

 

[144]   Au paragraphe 76 de son affidavit, le Dr Becker dresse une longue liste de promesses qu’offre, selon lui, le brevet 808. Cette liste suit de près celle établie dans l’avis d’allégation de Mylan rédigé avant que les services du Dr Becker ne soient retenus. Il a noté que nulle part dans le brevet 808, il est dit que [traduction] « l’utilité des composés revendiqués se limite à l’activité de base anti‑acétylcholinestérase [AChE] »[cv].

 

[145]   Le Dr Becker a déclaré que même si on interprétait la promesse du brevet 808 comme ne concernant que l’activité d’inhibition de l’AChE, le brevet n’établit pas même cette promesse de base dans les données qu’il divulgue.

 

[146]   Aux paragraphes 88 à 100, il a expliqué les tests effectués et décrits dans le brevet 808. Il a dénoncé l’inexactitude factuelle des données divulguées dans l’expérience 1, présentées au tableau 1. Bien que dans les descriptions du test, on mentionne l’utilisation d’un homogénat de cerveau de souris, les données sur le donépézil divulguées dans le tableau 1 (page 49 du brevet 808) ont été obtenues chez des rats[cvi]. Vu que les données sur le donépézil provenaient d’un test chez des rats et que le reste du tableau 1 présente correctement des données obtenues chez des souris, le Dr Becker est d’avis que cette erreur exclut toute possibilité d’effectuer une comparaison en vue d’établir l’activité du donépézil[cvii].

 

[147]   Il a jouté que les données divulguées dans l’expérience 3, présentée au tableau 3, contiennent des inexactitudes factuelles :

 

[traduction]

·                    Il est dit dans le brevet 808 que 0,5 mg/kg de scopolamine a été administré.

o       Selon l’affidavit du Dr Ogura, 0,4 mg/kg a été administré à des souris et 1,0 mg/kg a été administré à des rats

 

·                    Dans le brevet 808, on indique que les résultats divulgués ont été mesurés lorsque le composé a été administré une heure avant l’entraînement.

 

o       L’affidavit du Dr Ogura mentionnait que les résultats avaient été obtenus deux heures avant l’entraînement[cviii].

 

[148]   Le Dr Becker a affirmé que les erreurs factuelles présentes dans le brevet 808 [traduction] « ne peuvent constituer le fondement factuel d’une prédiction valable basée sur l’activité anti‑acétylcholinestérase »[cix].

 

[149]   Le Dr Becker a critiqué l’expérience 1 et a mis en doute sa fiabilité vu l’absence de méthodes de contrôle. En raison de l’absence d’un témoin, il est d’avis qu’on ne peut effectuer de comparaison valable en vue de déterminer quel composé est puissant ou a une forte activité[cx].

 

[150]   Il a aussi critiqué l’expérience 2, car on n’indique pas dans les données le nombre de rats utilisés. Bien qu’on ait eu recours dans l’expérience à un témoin négatif, il a indiqué qu’un témoin positif était nécessaire pour déterminer si l’expérience mesurait vraiment ce qu’elle cherchait à mesurer[cxi].

 

[151]   Pour ce qui est de l’expérience 3, le Dr Becker reprochait que les données divulguées dans le brevet 808 ne décrivaient pas les conditions et méthodes de manipulation des animaux. Ces renseignements sont, selon lui, nécessaires et leur absence peut compromettre la fiabilité des données[cxii]. Qui plus est, l’expérience n’est pas conçue pour détecter l’activité d’inhibition de l’AChE, ce qui en diminue d’autant plus la valeur[cxiii].

 

[152]   Selon le Dr Becker, même si les données étaient considérées comme véridiques, elles ne constitueraient pas un fondement suffisant pour démontrer ou prédire de façon valable l’utilité du brevet 808.

 

[153]   Il a déclaré que [traduction] « la prétendue invention du brevet 808 vise à traiter des maladies humaines et à être utile chez les humains »[cxiv]. Il a cité les pages 1‑2, 7, 47‑48 et 54‑55 du brevet 808 à l’appui de son interprétation. Vu que l’invention s’adresse aux humains, on doit divulguer des « données recueillies après l’administration à des humains »[cxv].

 

[154]   Comme le brevet 808 ne décrit pas d’expériences cherchant à évaluer s’il y a « amélioration des maladies » que le produit est censé traiter, le brevet ne démontre pas son utilité, au dire du Dr Becker[cxvi].

 

[155]   Ce dernier a affirmé que c’est la combinaison (i) de faits inexacts, (ii) de données non fiables et (iii) d’absence de contexte qui empêche la personne versée dans l’art d’arriver à une prédiction valable[cxvii].

 

[156]   Il a souligné que même si le brevet 808 revendiquait au chapitre de l’utilité l’activité d’inhibition de l’AChE, il est contredit par son propre mémoire descriptif où il est dit que la physostigmine et la THA inhibent l’AChE mais ne sont pas utiles (page 1 du brevet 808)[cxviii]. À son avis, le brevet 808 concerne manifestement le traitement de la MA chez les humains vu que l’activité d’inhibition de base de l’AChE n’est pas utile, d’après les critères établis dans le brevet 808. Le Dr Becker a indiqué que les renseignements sur la physostigmine dans le brevet 808 compromettent encore davantage toute prédiction valable qu’on pourrait faire. Selon lui, vu qu’un inhibiteur de l’AChE comme la physostigmine n’était pas utile chez les humains, le fait simplement de dire que le donépézil est un puissant inhibiteur de l’AChE n’est pas suffisant pour qu’on puisse prédire de façon valable l’utilisation du donépézil chez les humains[cxix].

 

[157]   Le Dr Becker a cité plusieurs expressions qui ne sont pas définies dans le brevet 808 et a indiqué que l’absence de contexte empêche une personne versée dans l’art de faire une prédiction valable. Par exemple, aucune donnée n’est fournie concernant la butyrylcholinestérase dans le brevet 808; sans ces données, on ne peut, selon lui, comprendre la signification du terme « sélectif » utilisé pour décrire le donépézil (page 2 du brevet 808)[cxx].

 

[158]   Aux paragraphes 222 à 273, le Dr Becker a critiqué les affidavits des inventeurs japonais et de leurs collaborateurs et a mentionné que rien de ce qui est divulgué dans les affidavits et les pièces ne démontre l’utilité ou ne peut servir de fondement à une prédiction valable. Le principal argument du Dr Becker est que la plupart des renseignements produits dans ces affidavits ne se trouvent pas dans le brevet 808.

 

[159]   Dans l’affidavit qu’il a déposé en réponse, le Dr Becker a répliqué à certains des arguments soulevés par les experts de la demanderesse.

 

[160]   Le Dr Becker a rejeté l’affirmation que l’article de Summers montrait que la THA (tacrine) était utile chez les humains. Il n’était pas d’accord avec les Drs Bartus et Rockwood que l’article de Summers pourrait constituer le fondement d’un raisonnement valable et a cité plusieurs articles qui [traduction] « remettaient en question et critiquaient la méthodologie utilisée par Summers dans son étude et les résultats obtenus »[cxxi]. D’après le Dr Becker, l’article de Summers ne peut être utilisé comme un des arguments pour démontrer que le donépézil pourrait servir à traiter la MA.

 

[161]   Le Dr Becker a cité des articles qui [traduction] « mettaient en doute l’utilisation de la THA comme traitement potentiel de la MA à cause de ses effets secondaires connus, notamment son hépatotoxicité »[cxxii]. Il a cité en outre des articles qui critiquaient en général la théorie selon laquelle l’hypothèse cholinergique offre une solution pour le traitement de la MA[cxxiii].

 

[162]   Il a souligné que le brevet 808 lui‑même critique indirectement les renseignements fournis dans l’article de Summers, car on y indique que la physostigmine et la tacrine avaient des effets peu satisfaisants (pages 1‑2 du brevet 808)[cxxiv].

 

[163]   Il a ajouté que l’hypothèse cholinergique [traduction] « ne résolvait pas complètement la question du traitement de la MA » et qu’une personne versée dans l’art saurait que cette théorie ne peut constituer le fondement pour prédire le succès de thérapies potentielles de la MA[cxxv].

 

[164]   Le Dr Becker a rejeté l’affirmation du Dr Bartus selon laquelle il aurait été plus pratique de tester et d’utiliser des tissus humains. Il a déclaré que le tissu cérébral humain congelé était facilement accessible dans les années 80[cxxvi]. S’appuyant sur cet argument, le Dr Becker a indiqué qu’il serait malavisé d’extrapoler des données provenant de tests sur des cerveaux de rongeurs pour [traduction] « effectuer des prédictions quant à l’utilisation chez des humains »[cxxvii].

 

[165]   Le Dr Becker a répété son opinion relative à la toxicité :

 

[traduction] Le Dr McKenna affirme (au paragraphe 58 de son affidavit) que le brevet 808 montre clairement au lecteur que la toxicité n’est pas un problème lorsqu’on administre le donépézil de la façon décrite dans le brevet (c.‑à‑d. à une dose de 4,3 mg/kg/jour chez des humains adultes) et que cet aspect a été démontré par Eisai avant le dépôt du brevet. Je ne suis pas d’accord. Les inventeurs travaillant pour Eisai n’ont pas exclu la possibilité d’effets létaux chez les humains. Ils n’ont pas effectué de tests de toxicité chez les humains, ni de tests chez les humains utilisant les doses spécifiques indiquées dans le brevet 808[cxxviii].

 

[166]   Le Dr Becker a résumé son interprétation de la promesse offerte par le brevet 808 :

 

[traduction] […] Bien que je sois d’accord avec le Dr Kozikowski (au paragraphe 14) pour dire que la revendication 6 ne fait en soi que décrire une molécule, les termes utilisés dans la revendication 6 ne modifient pas mon opinion en ce qui concerne la promesse faite par le brevet 808 qui est décrite dans mon premier affidavit. En limitant la promesse au fait que le donépézil a une activité inhibitrice fondamentale et en ne tenant pas compte des autres propriétés, on ne répond pas aux objectifs du brevet 808 ni ne supprime le soi‑disant inconvénient que comportaient les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase dans l’art antérieur. Il est établi dans le brevet 808 qu’il n’était pas suffisant de posséder une activité anti‑acétylcholinestérase. Les inventeurs du brevet 808 ne recherchaient pas simplement un autre médicament ou un composé ayant une activité anti‑acétylcholinestérase; ils étaient en quête de quelque chose de plus. La personne versée dans l’art qui lit le brevet 808 n’aurait pas compris que ce brevet promettait simplement dans la revendication 6 que le donépézil avait une activité anti‑acétylcholinestérase (comme tout autre inhibiteur dans l’art antérieur)[cxxix].

 

[167]   Le Dr Becker a indiqué que ce que les experts des demanderesses considéraient comme des « avantages » ne peut être distingué des « promesses ». À ses yeux « la personne versée dans l’art ne ferait pas ce genre de distinctions » :

[traduction] Contrairement aux affirmations des experts des demanderesses, il n’est que logique que la personne versée dans l’art comprenne que le brevet 808 fait des promesses spécifiques concernant la biodisponibilité, l’innocuité, la toxicité et les propriétés physiques du donépézil (lui conférant des avantages du point de vue de la fabrication)[cxxx].

 

[168]   Le Dr Becker a admis en contre-interrogatoire avoir reçu de l’aide pour recenser les promesses du brevet 808, y compris la promesse d’efficacité dans le traitement de la maladie d’Alzheimer :

                        [traduction]

Q. :      Donc vous avez examiné le document de brevet à la recherche de tout ce que l’inventeur y disait?

 

R. :       Oui.

 

Q. :      Toutes les caractéristiques?

 

R. :       C’est‑à‑dire que j’ai lu le document et essayé de les y trouver. Puis j’en ai discuté avec [l’avocate qui représentait alors Mylan]et elle m’a posé des questions. Elle m’a certainement posé des questions. Je ne me rappelle pas exactement lesquelles, mais elles étaient du genre « est‑ce là une promesse? ». Si le texte du brevet promettait quelque chose, eh bien c’était une promesse.

 

Q. :      Y a‑t‑il des éléments du brevet qui vous avaient échappé et à propos desquels elle vous a dit : « et ça, Dr Becker, n’est‑ce pas une promesse? »?

 

R. :       Effectivement. Elle a attiré mon attention sur certains éléments.

 

Q. :      Vous rappelez-vous lesquels, précisément?

 

R. :       Eh bien, par exemple, les rédacteurs du brevet écrivent à la page 2 que la drogue en question est efficace dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. L’avocate m’a demandé si c’était une promesse à mon avis. Il a fallu que je relise le passage en question, que j’avais considéré comme une simple déclaration de leur part. Ça m’a un peu déconcerté. Alors elle m’a demandé si c’était une promesse, et j’ai répondu :« J’imagine que c’est une promesse. Ils disent que tel est le cas : que ce sera efficace dans le traitement de la maladie d’Alzheimer [cxxxi]. »

 

[169]   Le Dr Becker a précisé dans les termes suivants sa manière d’établir ce qui constituait une promesse :

                        [traduction]

R. :       J’ai suivi une méthode très simple, toute bête. J’ai lu le brevet. Quand elle attirait mon attention sur un passage, me demandant de me poser la question de savoir s’il disait : « je vais faire telle chose », j’appliquais ce critère et, dans l’affirmative, je considérais ce passage comme une promesse.

 

Q. :      Vous acceptiez ce qu’avait dit [l’avocate qui représentait alors Mylan] et vous définissiez le passage en question comme une promesse?

 

R. :       Je me disais à moi-même, appliquant mon propre jugement : « Je dois considérer ce passage comme une promesse. » C’était conforme à la définition du dictionnaire. C’est un mot étrange pour moi, mais qui a du sens[cxxxii].

 

[170]   Lorsqu’on a comparé devant lui les promesses énumérées dans l’avis d’allégation à celles qu’il avait lui-même recensées dans son affidavit, le Dr Becker a admis que ces listes se ressemblaient beaucoup et que ce n’était [TRADUCTION] « probablement pas » par hasard, puisque l’avocate qui représentait alors Mylan l’avait aidé à rédiger son affidavit [cxxxiii].

[171]   Plus loin dans son contre-interrogatoire, le Dr Becker a été de nouveau mis en présence des similitudes entre son affidavit et l’avis d’allégation :

                        [traduction]

Q. :      C’est là un autre exemple montrant que [l’avocate qui représentait alors Mylan] a établi une liste de promesses qui figure à la fois dans l’avis d’allégation et dans votre affidavit, n’est‑ce pas?

 

R. :       Je n’ai jamais nié que [l’avocate en question] avait rédigé la version finale de ce document. Je n’aurais pas pu synthétiser tous les éléments que nous avions établis ensemble ou les questions qu’elle m’avait posées. J’imagine que, en avocate très compétente qu’elle était certainement, elle m’a posé les questions qu’il fallait pour faire ressortir les points qu’elle voulait ensuite réunir et organiser de cette façon. Il est possible qu’elle ait copié, comme je le fais souvent moi-même, c’est‑à‑dire qu’elle ait rédigé ce document à partir de la liste qu’elle avait déjà sur son ordinateur [cxxxiv].

 

[172]   On a soumis au Dr Becker un certain nombre de propositions et lui a demandé si, en 1988, une personne versée dans l’art connaîtrait l’existence de chacune de ces propositions. Il a admis que les points suivants étaient connus :

 

[traduction]

  • « Une stratégie importante dans la maladie d’Alzheimer consiste à tenter de combler le déficit cholinergique en augmentant les concentrations d’acétylcholine dans le cerveau[cxxxv]. »

 

  • « Pour y arriver, on a utilisé la physostigmine et la tacrine, qui induisent une inhibition de l’acétylcholinestérase[cxxxvi]. »

 

  • « L’usage de la physostigmine et de la tacrine comporte d’importants inconvénients : (1) la physostigmine est un inhibiteur à très courte durée d’action […] (2) la tacrine peut être hépatotoxique[cxxxvii]. »

 

  • « De plus, des améliorations transitoires de la mémoire à l’aide d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase comme la physostigmine, administrée par voie orale ou i.v., et la tacrine ont été observées chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer[cxxxviii]. »

 

  • « Une relation directe entre la réduction de l’innervation cholinergique dans le prosencéphale et certains symptômes de la maladie d’Alzheimer semble plausible[cxxxix]. »

 

  • « Sur la base de l’hypothèse qu’il est possible d’améliorer la fonction cérébrale chez certains patients atteints de la maladie d’Alzheimer en augmentant les concentrations d’acétylcholine au niveau de la synapse, on a utilisé la physostigmine pour améliorer la fonction mnésique[cxl]. »

 

 

[173]   Les propositions qui précèdent proviennent de la pièce 3 du contre-interrogatoire, intitulée « International Publication No. WO 90/06122 ».

 

[174]   Le Dr Becker a de plus reconnu que, en 1988, une personne versée dans l’art aurait été au courant de la proposition suivante (présentée dans la pièce 4 du contre‑interrogatoire) :

[traduction]

§                     « En théorie, une amélioration de la fonction cholinergique devrait réduire la perte de mémoire caractéristique et certains des autres symptômes qui accompagnent la maladie. L’augmentation des concentrations d’acétylcholine au niveau synaptique pour potentialiser la transmission cholinergique dans le cerveau représente une modalité possible de traitement des symptômes de la maladie d’Alzheimer[cxli]. »

 

[175]   Le Dr Becker a confirmé que personne en 1998 n’aurait rejeté la théorie selon laquelle les inhibiteurs de la cholinestérase peuvent être efficaces[cxlii].

 

[176]   On a interrogé le Dr Becker au sujet du mérite des modèles animaux pour les tests. Lorsqu’on lui a lu un passage d’un article classé comme pièce 10, le Dr Becker a admis qu’on pouvait leur attribuer un certain mérite :

 

[traduction]

Q :       Dans certains cas, ces spécialistes en pharmacologie nous disent que des prédictions peuvent être basées sur des études chez des animaux?

 

R :        Oui. Ils font cependant une importante distinction entre la validité apparente, ce que vous observez au niveau du comportement, et la neurochimie sous‑jacente qui peut être altérée chez l’animal[cxliii].

 

 

[177]   Le Dr Becker a admis qu’une personne versée dans l’art aurait considéré en 1988 que l’article de Summers était « encourageant »[cxliv].

 

[178]   On a montré au Dr Becker un manuel publié en collaboration en 1988 (page 1 de la pièce 13 du contre‑interrogatoire). Cet ouvrage contient ce propos sans suite : [traduction] « Dans des expériences sur des animaux, on a également démontré l’importance critique des systèmes cholinergiques au chapitre de la mémoire et de l’apprentissage. » Le Dr Becker a reconnu qu’une personne versée dans l’art aurait été au fait de cette proposition en 1988[cxlv].

 

[179]   Il a aussi reconnu qu’une [traduction] « des opinions très répandues des personnes travaillant dans le domaine en 1988 » était que le traitement par des inhibiteurs de la cholinestérase semblait une modalité prometteuse de traitement de la démence sénile de type Alzheimer[cxlvi]. Plus tard dans l’examen, il a admis qu’on savait en 1988 qu’« il y avait des données montrant que l’inhibition de l’acétylcholinestérase pouvait modifier la fonction cognitive des patients atteints de la maladie d’Alzheimer »[cxlvii].

 

[180]   Le Dr Becker a déclaré que la personne versée dans l’art doit posséder un diplôme, [traduction] « mais cette personne devrait être capable de démontrer une expertise dans son domaine ». Cela contredit le paragraphe 20 de son affidavit, où il a mentionné un doctorat[cxlviii].

 

[181]   À propos des modèles de comportement, le Dr Becker a admis que l’activité d’inhibition de l’AChE peut être déduite :

 

[traduction]

Q :       Monsieur, je vous dis que l’activité anti‑acétylcholinestérase peut être inférée du comportement observé?

 

R :        Oui, oui[cxlix].

 

 

[182]   Le Dr Becker a insisté sur la nécessité de tester deux espèces afin de pouvoir faire une prédiction valable :

 

[traduction]

:       Non, je dis que ce n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à six, sept, huit espèces. Je dis simplement que pour faire une prédiction valable, on devrait avoir au minimum des données relatives à deux espèces, puis à partir des données sur lesquelles se fonde notre prédiction on peut dire, d’accord, il existe une similitude avec la troisième espèce, de sorte qu’on peut faire une prédiction valable quant à une troisième espèce.

            J’essayais simplement de dire qu’on pouvait ajouter un plus grand nombre d’espèces et la prédiction serait plus valable et il devrait y avoir moins de ces éléments communs entre eux[cl].

 

[183]   Le Dr Becker n’a pas précisé sur quelle autorité il fondait ce raisonnement et il n’a pas été interrogé à ce propos.

 

LES INSTANCES RELATIVES À UN AC

[184]   J’ai récemment examiné la nature de la procédure – particulière au Canada – de contestation des avis de conformité aux paragraphes 37 à 42 de la décision GlaxoSmithKline Inc et. al. c. Pharamscience Inc. et. al., 2011 CF 239, dont je reproduis ci‑dessous le paragraphe 41 :

 

[41]     Dans les instances judiciaires, la première personne est tenue d’établir, conformément au paragraphe 6(2) du Règlement AC, « qu’aucune des allégations n’est fondée ». Ainsi, l’objet de l’instance consiste à examiner les allégations, à analyser la preuve, à appliquer la loi et à déterminer si l’allégation faite dans l’avis d’allégation est fondée. Une telle décision, par exemple sur la question de savoir si une allégation d’invalidité est fondée, n’empêche pas cette question d’être débattue dans une action ordinaire concernant le brevet; en d’autres termes, il n’y a pas chose jugée (Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2006), 46 C.P.R. (4th) 401, au paragraphe 7 (C.A.F.)). 

 

 

[185]   Je renvoie également le lecteur au paragraphe 33 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd. (2007), 58 CPR (4th) 1, 2007 CAF 173 :

 

33     L’avis d’allégation énonce les questions à trancher dans l’instance engagée en vertu du Règlement. En outre, le fait pour un juge de décider une affaire sur le fondement d’une question qui n’est pas soulevée par les parties soulève une question d’équité procédurale (voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), par. 16 à 21; Règlement, au par. 5(1) et à l’al. 5(3)a); Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 46 C.P.R. (4th) 281 (C.A.F.), au par. 32). L’avocat de Searle a fait valoir à juste titre que, si la question avait été soulevée devant le juge de première instance, il aurait été possible de produire une preuve et de présenter des observations en conséquence.

 

 

[186]   La tâche de la Cour est donc d’examiner les allégations pertinentes formulées par la seconde personne dans son avis d’allégation (AA) et d’établir si, compte tenu de la preuve produite et des dispositions légales applicables, ces allégations sont « fondées ».

 

[187]   Le texte des allégations relatives à la question qui reste en litige dans la présente instance est très long. On le trouvera en annexe aux présents motifs.

 

LA CHARGE DE LA PREUVE

[188]   Le seul point en litige est la validité de certaines revendications du brevet 808. J’ai examiné la question de la charge de la preuve dans ce contexte aux paragraphes 43 et 44 de la décision GlaxoSmithKline, précitée, que je reproduis ici :

 

LE FARDEAU DE PREUVE

 

[43]     Dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, 59 CPR (4th) 183 (confirmée par 2007 CAF 195, autorisation de pourvoi refusée, [2007] C.S.C.R. no 371), le juge O’Reilly de notre Cour a résumé aux paragraphes 9 et 12 en quoi consiste le fardeau de preuve lorsque la question en litige est l’invalidité :

 

9     À mon avis, la charge qui repose sur un défendeur d’après le Règlement est une « obligation de présentation de preuve » – une obligation de produire simplement une preuve d’invalidité. Après que le défendeur s’est acquitté de cette obligation, la présomption de validité du brevet devient caduque et la Cour doit alors dire si le demandeur a apporté la preuve qu’il devait apporter. Je crois que c’est de cela qu’il s’agit dans les précédents où la Cour a dit que le défendeur doit faire jouer ses prétentions. Le défendeur doit produire une preuve propre à donner un semblant de réalité à ses allégations d’invalidité.

 

[...]

 

12     Pour résumer, Pfizer a l’obligation légale d’établir, suivant la prépondérance de la preuve, que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Apotex assume simplement l’obligation de faire jouer ses prétentions et de produire une preuve qui suffise à donner un semblant de réalité à ses allégations d’invalidité. Si Apotex s’acquitte de cette obligation, alors la présomption de validité du brevet de Pfizer sera réfutée. Je devrai alors dire si Pfizer a prouvé que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées. Si Apotex ne s’acquitte pas de son obligation de présentation de preuve, alors Pfizer pourra simplement invoquer la présomption de validité pour obtenir l’ordonnance d’interdiction qu’elle sollicite.

 

[44]     Dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, 69 C.P.R. (4th) 191, voici ce que j’ai déclaré, au paragraphe 32, concernant la même chose :

 

32     À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971 (aux paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :

 

1.  La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité.

 

2.  La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs.

 

3.  La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation.

 

4.  La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.

 

5.  La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.

 

6.  Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.

 

 

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[189]   Les parties se sont entendues sur la définition de la personne moyennement versée dans le domaine dont relève l’invention ou, comme on dit plus communément, de la personne versée dans l’art. Selon le paragraphe 95 de l’exposé des faits et du droit des demanderesses et le paragraphe 39 du mémoire de Mylan, cette personne, aux fins de la présente instance, peut se définir comme suit :

 

[traduction] « […] quelqu’un ayant un diplôme avancé en chimie médicale, en biologie ou en pharmacologie ou un clinicien travaillant dans le domaine de la démence ».

 

REVENDICATIONS 6 ET 18 - INTERPRÉTATION

[190]   Les demanderesses ont remis en question les revendications 6 et 18 du brevet 808. Je reproduis ces revendications déjà citées et, pour simplifier les aspects chimiques, j’ai remplacé la formule complexe par le donépézil et ai fait directement référence à la revendication 6 dans la revendication 18 :

 

6.         Le composé donépézil ou le chlorhydrate de donépézil.

 

[. . .]

 

18.              Une composition thérapeutique pour le traitement de la démence sénile, qui renferme du donépézil ou du chlorhydrate de donépézil et un véhicule pharmaceutiquement acceptable.

 

 

[191]   Ces deux revendications sont assez claires à première vue. La revendication 6 concerne simplement le composé donépézil ou le chlorhydrate de donépézil. La revendication 18 va plus loin et revendique l’utilisation d’un tel composé comme composition thérapeutique pour le traitement de la démence sénile.

 

[192]   Mylan soutient que l’utilisation du composé donépézil doit être [TRADUCTION] « inhérente » dans la revendication 6. Je dois rejeter cette proposition. Le donépézil ou le chlorhydrate de donépézil est un nouveau composé. Personne n’avait jamais divulgué un tel composé auparavant. Par conséquent, le composé forme à lui seul l’objet légitime d’une revendication (à condition de remplir aussi d’autres critères). L’utilisation d’un tel composé doit être divulguée dans le mémoire descriptif, mais il n’est pas nécessaire qu’elle soit incorporée dans la revendication. J’ai formulé à ce propos les observations suivantes au paragraphe 81 de la décision AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2010 CF 714 :

 

[TRADUCTION]

81     Comme je le rappelais dans le contexte de l’interprétation des revendications, une invention brevetée doit présenter « le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Si l’invention réside dans un nouveau composé, l’utilité doit être divulguée dans la partie descriptive du brevet, mais peut ne pas apparaître expressément dans les revendications. Cependant, si l’invention réside dans une nouvelle utilisation d’un composé déjà connu, l’utilité doit être exposée dans la revendication.

 

 

[193]   Il ne s’ensuit pas que l’utilité telle qu’exposée dans le mémoire descriptif ne puisse être examinée, et elle le sera ici. Je veux simplement dire que, s’agissant d’un nouveau composé, il n’est pas nécessaire d’exposer l’utilité dans le cadre de la revendication. En l’occurrence, la question de l’utilité n’est pas traitée dans la revendication 6, mais elle l’est dans la revendication 18.

 

LE BREVET 808 – L’EXACTITUDE DE LA DIVULGATION

[194]   Mylan soutient dans son exposé des faits et du droit, en particulier aux paragraphes 28 à 38, que certains des tests et des données résultantes dont rend compte le brevet 808 se révèlent inexacts si on les examine à la lumière de la preuve concernant ce qu’Esai a fait en réalité.

[195]   La preuve relative à ce qui s’est passé chez Esai provenait des affidavits, pièces et contre-interrogatoires de deux des inventeurs désignés dans le brevet 808 (les Drs Araki et Ogura), ainsi que de deux autres personnes qui travaillaient au projet en question chez Esai à l’époque (MM. Sumigama et Yamakawa). Ces personnes ont été contre-interrogées par l’intermédiaire d’un interprète japonais-anglais. Une grande partie de la preuve documentaire a été traduite du japonais en anglais. J’ai trouvé les transcriptions de ces contre-interrogatoires difficiles à suivre. Ceux-ci étaient souvent interrompus par le traducteur de la partie interrogeante, ainsi que par les avocats des personnes interrogées.

 

[196]   Toutefois, il n’est pas nécessaire de prendre cette preuve en considération dans le contexte de la présente instance relative à un AC. Mylan n’a formulé dans son avis d’allégation aucune allégation touchant le point de savoir si le brevet 808 rend compte entièrement et exactement du travail fait chez Esai. Je comprends bien que, sans une connaissance réelle de ce qui s’était passé chez Eisai à l’époque, Mylan n’avait rien sur quoi se fonder pour formuler de telles allégations. C’est là l’un des problèmes que posent les instances relatives à un AC comme la présente. Il suffit pour s’en faire une idée de songer au contraste entre, d’une part, une action mettant la validité en litige, où chacune des parties et les inventeurs désignés peuvent être soumis à des interrogatoires préalables, et d’autre part une demande du type AC, où seuls les témoins proposés par les parties peuvent être contre-interrogés. Les résultats risquent de se révéler très différents. C’est ce qui est arrivé avec la décision Ratiopharm Inc. c. Pfizer Limited, 2009 CF 711, où un brevet a été déclaré invalide au motif de l’inexactitude de la présentation des données, alors que dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada, 2006 CAF 214, et la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada, 2008 CF 500, rendus à l’issue d’instances relatives à un AC, les deux Cours avaient rejeté les conclusions contestant la validité du même brevet, qui ne mettaient pas en litige l’exactitude des données.

 

[197]   Comme l’avis d’allégation de Mylan ne soulevait pas le point de savoir si les tests et les données présentés dans le brevet 808 rendaient compte exactement du travail fait chez Eisai, la Cour ne peut examiner ce point dans le contexte de la présente instance.

 

[198]   La question en litige dans la présente instance relative à un AC doit être décidée sur la base du texte de l’avis d’allégation.

 

L’UTILITÉ – LA PROMESSE DU BREVET – LA PRÉDICTION VALABLE

[199]   J’ai considéré ces trois facteurs en bloc. Mylan a donné une formulation concise de son argument à la dernière phrase du paragraphe 7 de son exposé des faits et du droit, dont je retiens le passage suivant :

[TRADUCTION] ... le brevet 808 est‑il invalide au motif de l’absence de prédiction valable de l’utilité promise?

 

 

[200]   La question ainsi posée commande l’examen des concepts d’utilité, de promesse et de prédiction valable tels qu’ils ont été élaborés dans le droit des brevets. J’examinerai maintenant chacun de ces concepts.

 

1)       L’utilité

a)         L’utilité comme condition requise

[201]   L’article 2 de la Loi sur les brevets, précitée, définit l’« invention » comme étant « toute [...] composition de matières, ainsi que tout perfectionnement [d’une telle composition], présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité » :

 « invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

[202]   Il ne fait aucun doute qu’une « invention » brevetée doit présenter le caractère de l’« utilité ». Cependant, il ne faut pas confondre l’exigence de l’utilité avec une quelconque nécessité d’en faire état explicitement dans les revendications ou de l’y donner à déduire. Dans le cas d’un nouveau composé, il suffit que l’utilité soit énoncée dans le mémoire descriptif (cet énoncé de l’utilité étant parfois désigné « promesse »). Mais s’il s’agit d’un composé déjà connu pour lequel on a découvert une nouvelle utilité, celle‑ci doit être exposée à la fois dans le mémoire descriptif et dans les revendications. Voir Shell Oil Co. c. Commissaire des brevets, [1982] 2 R.C.S. 536; et Novo Nordisk Canada Inc. c. Cobalt Pharmaceuticals Inc., 2010 CF 746, paragraphe 157.

 

b)         Qu’est‑ce que l’« utilité »?

[203]   La signification exacte du terme « utilité » est depuis longtemps débattue dans le domaine du droit des brevets. On peut distinguer des degrés d’utilité : une invention peut être parfaitement inutile, se révéler frivole, ne pas présenter d’avantage par rapport à ce qu’on connaît déjà, offrir une autre possibilité valable, constituer un progrès technique ou s’avérer une percée spectaculaire.

 

[204]   D’aucuns font valoir qu’une invention brevetée qui n’a que peu ou pas du tout d’utilité pratique ne sera pas commercialisée ou, si elle l’est, ne sera guère acceptée par les consommateurs; voir par exemple Franzoni, Patentable Inventions, (1997) 6 EIPR 251. La question de l’utilité n’aurait donc jamais à se poser puisque personne ne songerait à contester un tel brevet en justice.

 

[205]   Certains pays, tels que l’Allemagne avant qu’elle n’adhère à la Convention sur le brevet européen, subordonnaient la conclusion d’utilité à la réalisation d’un [TRADUCTION] « progrès technique »; voir Easer, Patent Law, Federal Republic of Germany, World Intellectual Property Guidebook, 1991.

 

[206]   Aux États‑Unis, on a établi un critère de l’utilité dès 1817 dans la décision Bedford c. Hunt, 3 F. Cas 37, 37 (C.C.D. Mass. 1817 (No. 1217) : il suffisait que l’invention se révèle [TRADUCTION] « susceptible d’utilisation », comme l’explique le passage suivant :

 

[TRADUCTION] Il n’est point nécessaire d’établir que l’invention soit d’une utilité si générale qu’elle rende caduque toutes les autres aujourd’hui en usage aux mêmes fins. Il suffit qu’elle n’ait pas de visée odieuse ou pernicieuse, qu’elle puisse recevoir des utilisations pratiques et que, dans la mesure où elle est appliquée, elle soit salutaire. Si son utilité pratique se révèle très limitée, elle sera d’un rapport négligeable ou nul pour l’inventeur; et si elle est futile, elle sombrera dans l’oubli. Le droit, cependant, ne s'intéresse pas au degré d’utilité; il exige simplement que l’invention soit susceptible d’utilisation, et que cette utilisation s’avère telle que la moralité ne la réprouve pas ni ne l’interdise l’ordre public.

[207]   Ce critère se retrouve tout au long de l’histoire de la jurisprudence américaine, comme en témoigne un exemple plus récent de son emploi à la page 1180 de Stiftung c. Renishaw PLC (1991), 945 F. 2d 1173 (Fed Cir), où la Cour formule l’observation suivante :

[TRADUCTION] Il n’est pas nécessaire que l’invention soit la meilleure ou la seule façon de produire un résultat déterminé; il suffit qu’elle soit utile dans une certaine mesure et dans des applications définies.

 

[208]   Les tribunaux britanniques ont établi un critère peu rigoureux pour apprécier l’utilité. Dans cette jurisprudence, l’utilité signifie essentiellement que l’invention marchera [Eyres c. Grundy (1939), 56 RPC 253, page 262] ou que [TRADUCTION] « les roues tourneront » [Mullard c. Philco (1935), 52 RPC 261 (CA), page 287].

 

[209]   Les tribunaux canadiens appliquent eux aussi un critère peu exigeant à la détermination de l’utilité. Il suffit pour eux que l’invention soit nouvelle, qu’elle constitue une amélioration, qu’elle coûte moins cher ou qu’elle procure un choix. L’exemption d’un désavantage est assimilée à l’avantage que doit présenter l’invention. La Cour d’appel fédérale a expliqué ce critère au paragraphe 31 de l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 52 C.P.R. (4th) 241 (C.A.F.) :

 

Pour satisfaire à l’exigence d’utilité découlant du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (ancienne loi), les éléments sélectionnés doivent présenter un avantage par rapport à la catégorie en général (voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, p. 525‑526). Ce dernier arrêt a donné une définition large de l’utilité nécessaire à la validité d’un brevet dont traite Halsbury’s Laws of England (3rd ed.), vol. 29, p. 59 :

 

[TRADUCTION] [...] il y a suffisamment d’utilité pour justifier un brevet si l’invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

 

Toutefois, il n’existe aucune exigence juridique particulière quant au type précis d’avantage nécessaire. Il est établi que le critère en matière d’avantage comprend l’évitement d’un désavantage, comme c’est le cas en l’espèce (voir I.G. Farbenindustrie, p. 322).

 

[210]   Cependant, même si le critère de l’utilité est peu exigeant, il n’en faut pas moins se demander, comme l’a fait la Cour d’appel d’Angleterre à la page 417 de Lane‑Fox c. Kensington [1892], 9 RPC 413, à quoi l’invention est utile.

 

[211]   C’est là qu’entre en jeu le concept de « promesse » du brevet.

 

c)         À quoi l’invention est-elle utile? – la promesse du brevet

[212]   On fait en général remonter la naissance du concept de « promesse » de l’invention en droit britannique à l’exposé qu’en donne lord Birkenhead à la page 237 de Hatmaker c. Joseph Nathan & Co Ltd. (1919), 36 RPC 231 (HL), où il conclut que la [TRADUCTION] « promesse de résultats » formulée dans le mémoire descriptif d’un brevet afférent à un procédé de production de lait en poudre rendrait ce brevet invalide si l’invention se révélait incapable de produire les résultats ainsi promis, soit, en l’occurrence, une reconstitution parfaite après adjonction d’eau chaude, sans altération du lactose ni des solides du lait. Son raisonnement est le suivant :

 

[TRADUCTION] Le droit applicable aux questions de cette nature est bien établi et n’a jamais été plus clairement formulé que par le juge Parker dans la décision souvent citée Alsop’s Patent (24 R.P.C. 733, page 752) : « Il est donc essentiel, lorsqu’on examine la validité d’un brevet de procédé, d’établir avec précision ce que le breveté déclare être le résultat du procédé pour lequel le brevet a été délivré; la contrepartie réelle qu’il donne pour le brevet délivré est la divulgation d’un procédé apte à produire un résultat, et non la divulgation d’un procédé qui pourrait en produire un aussi bien que n’en produire aucun. Si le breveté revendique la protection d’un procédé destiné à produire un résultat déterminé et que celui‑ci ne peut être obtenu au moyen de ce procédé, il ne donne pas à mon avis la contrepartie nécessaire. » Autrement dit, la protection est accordée en échange de la promesse de résultats. Elle ne survit pas, ni ne doit survivre, au manquement – s’il est prouvé – à la promesse de produire les résultats en question.

 

[213]   Les avocats n’en sont pas pour autant invités à faire du zèle en interprétant le mémoire descriptif du brevet de sorte à convaincre le tribunal, d’une façon ou d’une autre, d’adopter leur point de vue sur la nature de la promesse. Le brevet doit être interprété [TRADUCTION] « dans son sens commercial », comme le faisait observer le juge Romer à la page 115 de Leonhardt and Co. c. Kalee and Co. (1899), 12 RPC 103 :

 

[TRADUCTION] Or, dans le processus qui lui a permis d’obtenir ce produit incolore – ce produit incolore de façon permanente –, le breveté est sans aucun doute passé, si je puis dire, par certaines étapes de colorants qu’on estimait alors inutiles ou sans importance et dont on ne tenait pas compte. Mais, en 1888, il a fait breveter cette remarquable découverte que si, au lieu de traiter ce colorant jaune dont je parlais plus haut conformément au brevet de 1886 jusqu’à ce qu’il devienne parfaitement incolore, on le traite avec un agent désoxydant (ou substance oxydable, comme on dit parfois) et s’arrête quand on en a tiré tout le colorant, on obtient une substance qui est en soi une teinture nouvelle et utile, une teinture pouvant aller du jaune au marron en passant par l’orange. On a constaté que c’était une excellente teinture, une teinture résistante, c’est‑à‑dire qu’elle remplissait le critère rigoureux de la résistance aux alcalis, critère fréquemment employé, qu’ont appliqué les demandeurs et leurs experts dans la présente espèce, et qui me paraît équitable. Or cette résistance est sans aucun doute une qualité très importante, et je suis convaincu que cette teinture, qui fait l’objet du brevet de 1888, présente à cet égard un grand avantage sur le colorant jaune dont j’ai parlé plus haut. Cette nouvelle teinture et le procédé par lequel le breveté l’a produite formaient l’objet du brevet de 1888 et, comme je l’ai déjà dit, ils constituaient un objet légitime pour un brevet. Je précise ici, et je n’y reviendrai pas, que la résistance aux alcalis, au sens commercial ou au sens industriel, signifie que le tissu ne change pas de couleur, c’est‑à‑dire ne fonce pas, quand il est soumis à un essai de résistance aux alcalis. Il semble ou il est possible que toutes les couleurs pâlissent quand on les fait bouillir assez longtemps dans une solution sodée, mais ce n’est pas ce que signifie le critère de la résistance aux alcalis.

 

 

[214]   On retrouve souvent dans la jurisprudence canadienne l’idée que l’aide d’experts est utile dans la définition de la « promesse » d’un brevet. Par exemple, la juge Layden‑Stevenson écrivait ce qui suit au nom de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 80 de l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 197 :

 

80        La promesse du brevet doit être définie. Tout comme dans le cas des revendications, l’interprétation de la promesse du brevet est une question de droit. De façon générale, il s’agit d’une analyse qui exige l’aide de témoins experts : Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Co., 2007 CAF 379, au paragraphe 27. Il en va ainsi parce que la promesse doit être bien définie, dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art, par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet.

 

[215]   La juge Layden‑Stevenson, écrivant toujours au nom de la Cour d’appel fédérale, a repris la même idée au paragraphe 101 de Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2009 CAF 222 :

 

101      La détermination de ce que promet le brevet est un élément de l’interprétation des revendications, une question de droit : Bristol-Myers Squibb Co. c. Apotex Inc., 2007 CAF 379, au paragraphe 27. Généralement, cela nécessite l’aide de témoins experts et ce fut le cas en l’espèce.

 

 

[216]   La manière générale d’interpréter le mémoire descriptif du brevet, et notamment la « promesse », fait l’objet des paragraphes 83 à 89 de GlaxoSmithKline, précitée :

 

83        Il existe une jurisprudence considérable concernant l’interprétation d’une revendication, qui fait partie de l’ensemble du mémoire descriptif d’un brevet. Cependant, la jurisprudence est moins importante concernant l’interprétation du mémoire descriptif, plus particulièrement concernant la « promesse » d’un brevet.

 

84        Dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504, la Cour suprême du Canada a énoncé comme suit, aux pages 520 et 521, la manière d’interpréter le mémoire descriptif d’un brevet :

 

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation ([1950] R.C.S. 36]), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada [[1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [TRADUCTION] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son v. Safety Lighting Company [(1876), 4 Ch. D. 607]. Il a dit que l’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ».

 

85        La Cour doit aborder l’interprétation d’un brevet du point de vue de la personne versée dans l’art sans recourir à des « considérations » techniques. Le juge Pigeon, s’exprimant pour la Cour suprême, a écrit ce qui suit à la page 563 de l’arrêt Burton Parsons Chemicals Inc. c. Hewlett‑Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555 :

 

Avec respect, je ne puis admettre que la revendication no 17 est invalide parce que les mots « qui soit compatible avec une peau normale » précèdent le mot « comprenant » au lieu de le suivre, de sorte que la revendication serait valide, semble‑t‑il, si les mots étaient réarrangés de cette façon :

 

17. Une crème pour électrocardiographes, à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, comprenant une émulsion aqueuse stable, anionique, cationique ou non ionique, et contenant suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique et qui est compatible avec une peau normale.

 

A mon avis, on ne peut faire échec aux droits des titulaires de brevets par de telles considérations. Même si la Cour doit interpréter un brevet comme tout autre document juridique, cette interprétation doit se faire en tenant compte du fait que le destinataire est un homme de l’art, et en tenant compte également du savoir que cet homme est censé posséder. Il doit être évident pour l’homme de l’art, qu’une crème à utiliser avec des électrodes de contact avec la peau ne peut pas être composée d’éléments qui seraient toxiques, irritants ou susceptibles de tacher ou de décolorer la peau. L’homme de l’art apercevra tout aussi bien cette nécessité que la crème soit décrite comme « compatible avec une peau normale » ou qu’elle soit décrite comme ne contenant que des éléments compatibles avec une peau normale.

 

86        Pour aider la Cour, il est possible d’utiliser la preuve d’expert afin d’expliquer les expressions techniques, de montrer le fonctionnement pratique d’une invention et d’aider à distinguer ce qui est vieux de ce qui est nouveau. Toutefois, l’interprétation du mémoire descriptif relève exclusivement de la compétence de la Cour; il s’agit d’une question de droit. Le juge en chef Duff, de la Cour suprême, a écrit ce qui suit dans l’arrêt Western Electric Co. v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] S.C.R. 570, aux pages 572 et 573 :

 

[traduction]

Je devrais également ajouter que non seulement l’interprétation du mémoire descriptif relève-t-elle exclusivement de la compétence de la Cour, mais il s’agit également d’une question de droit que la Cour doit examiner. Dans British Thomson‑Houston Co. v. Charlesworth, Peebles & Co. [(1925) 42 R.P.C. 180, à la page 208], lord Buckmaster a déclaré ce qui suit :

 

Vos Seigneuries, que divulguait le mémoire descriptif de 1906 et que protégeait le brevet de 1909? Voilà les questions soulevées dans le présent appel que la Cour doit trancher et leur résolution dépend de l’interprétation de deux documents. Une telle interprétation est du devoir exclusif de la Cour et ce devoir ne peut être ni délégué ni usurpé. Cependant, comme dans les cas habituels, les circonstances prévalant dans lesquelles les documents ont été rédigés, la relation des parties et l’interprétation des termes techniques constituent l’objet pertinent de la preuve, il s’ensuit que dans le mémoire descriptif des brevets, l’état des connaissances du métier, de l’art ou de la science que vise le mémoire descriptif et l’explication des termes, des mots et expressions techniques constituent l’objet pertinent de la preuve pour contribuer à l’interprétation; mais la preuve touchant l’interprétation ne devrait pas s’éloigner de ce qui précède. Enfin, le document doit être considéré comme étant destiné aux artisans appartenant au secteur particulier de l’industrie auquel l’invention alléguée se rapporte.

 

De plus, dans Brooks v. Steele and Currie [(1896) 14 R.P.C. 46, à la page 73], le lord juge Lindley a déclaré ce qui suit :

 

Le juge peut, et en général doit, avoir recours à une preuve d’expert qui lui explique les expressions techniques, qui lui montre le fonctionnement pratique de l’équipement décrit ou dessiné, et qui porte à son attention ce qui est ancien et ce qui est nouveau dans la description du brevet. La preuve d’expert est également admissible, et est souvent nécessaire, pour montrer les situations précises dans lesquelles une invention alléguée a été utilisée par un contrefacteur présumé, et l’importance véritable des différences qui peuvent exister entre l’invention du demandeur et ce qui est fait par le défendeur. Mais au fond, la nature de l’invention à l’égard de laquelle un brevet est délivré doit être vérifiée dans le mémoire descriptif et doit être déterminée par le juge et non un jury, ni par un expert ou autre témoin. Cette méthode est reconnue en droit, même si elle semble souvent ignorée lorsque des témoins sont interrogés.

 

87        Lord Hoffman, écrivant au nom de la Chambre des lords, a récemment traité de la même question dans l’arrêt Kirin-Amgen Inc. v. Hoechst Marion Roussel Inc., [2005] R.P.C. 9 (H.L.), aux paragraphes 32 et 33 :

 

[TRADUCTION]

 

32.       L’interprétation du brevet ou de tout autre document ne concerne évidemment pas directement ce que l’auteur voulait dire. Il n’est pas possible de lire dans les pensées du breveté ou de l’auteur de tout autre document. L’interprétation est objective en ce sens qu’elle porte sur ce que la personne raisonnable à qui le message est adressé aurait compris de ce que son auteur voulait dire. Il y a toutefois lieu de signaler qu’il ne s’agit pas, comme on le dit parfois, de trouver « le sens des mots employés par l’auteur du message » mais bien de déterminer ce que le destinataire fictif a compris que l’auteur voulait dire en employant les mots en question. Le sens des mots est affaire de convention; il est régi par des règles que l’on trouve dans les dictionnaires et les grammaires. Ce qu’on peut penser que l’auteur voulait dire en employant les mots en question n’est pas simplement une question de règles. Tout dépend du contexte dans lequel le message a été donné et non seulement des mots choisis par l’auteur, mais aussi de la nature de l’auditoire auquel il est censé s’adresser et des connaissances et postulats que l’on attribue à cet auditoire. J’ai discuté de ces questions assez longuement dans Mannai Investment Co Ltd v. Eagle Star Life Assurance Co Ltd, [1997] A.C. 749, et Investors Compensation Scheme Ltd v. West Bromwich Building Society, [1998] 1 W.L.R. 896.

 

33.       Dans le cas du mémoire descriptif d’un brevet, le destinataire fictif est l’homme du métier. Il aborde l’interprétation du mémoire avec les connaissances générales courantes de sa spécialité. Et il interprète le mémoire descriptif en partant du principe qu’il sert à décrire l’invention et à en délimiter la portée – une idée pratique que le breveté a eue relativement à un nouveau produit ou à un procédé – et non qu’il constitue un traité de mathématique ou de chimie ou une liste d’emplettes de produits chimiques ou de quincaillerie. Voilà l’idée au cœur de l’« interprétation téléologique ».

 

88        Au paragraphe 78, lord Hoffman a indiqué que l’on doit présumer qu’une personne versée dans l’art connaît les principes de base de la brevetabilité.

 

            [traduction]

78.      D’après l’interprétation que fait valoir Amgen, la revendication 1 devrait être interprétée comme incluant toute séquence d’ADN, exogène ou endogène, qui exprime l’EPO en conséquence de l’application à la cellule de toute forme de techniques de l’ADN recombinant. Il aurait été facile de rédiger une telle revendication. La question de savoir si le mémoire descriptif aurait été suffisant pour l’étayer, dans le sens de permettre l’expression par toute forme de technologie de l’ADN recombinant, est une autre question à laquelle je reviendrai lorsque je traiterai de la question de la validité. Mais la personne versée dans l’art (l’on doit présumer, à mon avis, qu’elle connaît les principes de base de brevetabilité) aurait très bien pu penser que les revendications étaient limitées à la technologie existante en raison de doutes quant à la suffisance plutôt qu’en raison de l’absence de prévision. En 1983, Amgen aurait très bien su que la technologie de l’ADN recombinant progressait rapidement et que la recombinaison homologue artificielle avait été réalisée dans les cellules bactériennes et les cellules de levure et que son utilisation dans les cellules de mammifères était considérée comme étant un objectif souhaitable.

 

89        Dans son livre intitulé « The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Invention », 4e éd., Carswell, Toronto, 1969 (Fox on Patents), feu Harold Fox a fourni un éclairage utile sur ces questions aux pages 208 et 209 (notes de bas de page omises) :

 

[TRADUCTION]

INTERPRÉTATION IMPARTIALE

 

Au départ, les brevets étaient considérés défavorablement au motif qu’ils relevaient de la nature des monopoles et on avait généralement tendance à donner au brevet une interprétation inutilement rigoureuse à l’encontre du breveté. La tendance s’est ensuite inversée et les tribunaux faisaient souvent preuve de beaucoup d’ouverture d’esprit envers le titulaire de brevet qui avait introduit un nouveau procédé. Il ne devrait pas être nécessaire de souligner qu’une interprétation qui est trop rigoureuse ou trop large, même dans la moindre mesure, cesse d’être une interprétation impartiale et est, par conséquent, inappropriée. Le mémoire descriptif d’un brevet est assujetti aux mêmes principes d’interprétation impartiale que ceux qui s’appliquent habituellement aux documents écrits en général. Comme le juge Chitty l’a indiqué dans Lister v. Norton : « Il ne devrait certainement pas être interprété de façon rigoriste; je ne dirais pas qu’il devrait être interprété en faisant preuve d’ouverture d’esprit; je dis qu’il devrait être interprété équitablement. Il doit être lu par un esprit désireux de comprendre, et non pas par un esprit désireux de ne pas comprendre. »

 

[. . .]

 

Lorsqu’il interprète un mémoire descriptif, le tribunal devrait alors être un arbitre juste et impartial entre le titulaire du brevet et le public. L’interprétation doit être raisonnable, équitable et logique, conforme à la façon d’interpréter tous les documents écrits en se fondant sur l’intention véritable. Rien ne devrait être présumé en faveur du breveté ou d’un contrefacteur présumé, bien qu’il soit normal que le tribunal tente de justifier un brevet si un tel exercice peut être honnête et équitable et ne pas verser dans une interprétation erronée, car il est raisonnable de présumer que le titulaire d’un brevet ne revendiquerait rien qui pourrait faire annuler son brevet.

 

 

[217]   Donc, le tribunal chargé d’interpréter le mémoire descriptif d’un brevet, en particulier la « promesse », doit le lire du point de vue de la personne versée dans l’art, en prenant en considération les réalités commerciales, sans prévention favorable ni défavorable, et avec le souci d’en déterminer équitablement l’intention véritable.

 

d)         La prudence nécessaire dans l’utilisation de la preuve d’expert aux fins de         l’interprétation

[218]   Comme nous l’avons vu sous la rubrique précédente, la jurisprudence établit sans ambiguïté que l’aide d’un expert est souvent nécessaire dans l’examen de la promesse d’un brevet. Cependant, ainsi que le rappelle dans le passage cité plus haut le juge en chef Duff de la Cour suprême, citant lui-même les observations formulées par lord Buckmaster dans British Thomson‑Houston, l’interprétation du mémoire descriptif (où la promesse est énoncée) est du ressort exclusif du tribunal. Toutefois, celui‑ci peut, et souvent doit, s’appuyer sur une preuve d’expert pour interpréter les termes techniques et se faire une idée précise de l’état de la technique dans le contexte duquel il convient d’examiner le mémoire descriptif.

 

[219]   La preuve du Dr Becker, le seul témoin expert cité par Mylan, et celle du Dr Bartus, l’un des experts principaux témoignant pour les demanderesses, illustrent le danger de voir l’expert outrepasser ses compétences spéciales pour s’aventurer dans le domaine de l’interprétation des brevets.

 

[220]   Le Dr Becker propose un résumé de la « promesse » du brevet 808 au paragraphe 76 de son affidavit principal. Étant donné sa longueur, je ne reproduirai pas intégralement ce résumé; qu’il me suffise de dire qu’il est pour l’essentiel semblable à celui qu’on peut lire aux pages 9 et 10 de l’avis d’allégation de Genpharm (Mylan). Ledit paragraphe 76 commence comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

L’utilité promise : l’utilité pour les humains

 

76.       Le brevet 808 contient un certain nombre de promesses explicites concernant l’utilité de l’invention, promesses qui toutes s’appliquent aux humains – c’est‑à‑dire touchent à l’utilité et à l’efficacité thérapeutiques pour le traitement, la prévention et la rémission de la MA et d’autres maladies humaines –, ou concernent la mise en œuvre de cette utilité thérapeutique – c’est‑à‑dire font état d’avantages du point de vue de la fabrication de préparations pharmaceutiques. Plus précisément, il est déclaré que les composés faisant l’objet de l’invention qui nous occupe ont l’utilité suivante [...]

 

 

[221]   En contre-interrogatoire, le Dr Becker a expliqué avec une franchise remarquable la manière dont son affidavit, notamment le passage ci‑dessus, avait été rédigé. Étant donné la longueur de ce contre-interrogatoire, je n’en reproduirai ici qu’une partie propre à donner une idée de son contenu :

                        [TRADUCTION]

121      Q. :      Ce document est bien votre article, produit sous la cote P?

            R. :       Oui. Cet article, je le reconnais très bien. Je le leur ai signalé et j’ai insisté pour qu’ils le mettent là.

 

122      Q. :      Voulez-vous dire qu’ils ignoraient l’existence de cet article avant que vous le portiez à leur attention?

            R.         Je ne sais pas s’ils en connaissaient ou non l’existence avant. Mais ce que je sais, c’est que j’ai attiré leur attention sur cet article, parce que je me rappelle que ce n’était pas toujours facile avec [une avocate qui représentait alors Mylan]. Donc je lui disais : « Écoutez, c’est là une question très importante. » Ça, je m’en souviens.

 

123      Q. :      Je suppose qu’en donnant à entendre que ce n’était pas toujours facile avec cette avocate, vous voulez dire que vous aviez certains sujets de désaccord avec elle?

            R. :       Je veux dire qu’elle me posait des questions, que nous discutions, puis qu’elle me demandait : « C’est ça que vous voulez dire? » Je répondais que non et nous discutions encore afin d’expliciter ma pensée. Elle proposait alors verbalement, puis enfin notait, une formulation à laquelle je puisse souscrire ou souscrivait effectivement.

                        Ce que je veux dire, c’est que, après tout, l’affidavit est rédigé en jargon juridique, avec des expressions telles que « la personne versée dans l’art ». Ce jargon ne m’était pas familier, alors quand elle écrivait ces phrases, il fallait qu’elle m’en explique le sens.

 

124      Q. :      Aurais‑je tort de conclure que vous n’avez pas rédigé votre affidavit vous-même, Dr Becker?

            R. :       Laissez-moi vous expliquer comment ça s’est passé.

 

125      Q. :      Je vous en prie.

            R. :       Elle me téléphonait et me posait des questions. Je répondais à ces questions. Elle m’a dit qu’elle prenait des notes. Puis elle est venue une fois à Portland. Elle m’a ensuite convaincu de venir à Toronto, parce que c’était la saison lyrique. Après, j’ai suggéré que nous communiquions par Skype. Enfin, elle est revenue à Portland pour une journée de travail qui s’est achevée par la signature de l’affidavit.

 

[. . .]

 

137      Q. :      Mais il n’était pas là au moment de la signature de votre affidavit, n’est‑ce‑pas?

            R. :       Non.

 

138      Q. :      Alors que vous a‑t‑elle dit?

            R. :       Elle m’a dit que – ça n’a jamais été vraiment tout à fait précis pour moi, aussi précis que ça, en tout cas elle m’a dit que – j’essaie de me rappeler ses propres mots – l’utilité de la chose devait être d’une manière ou d’une autre soit démontrée, soit valablement prédite, par le brevet, et que le brevet devait – là elle n’a pas employé le mot, mais il fallait que l’invention produise les effets énoncés dans le brevet.

 

139      Q. :      Est‑ce là le sens dans lequel vous avez employé le terme « utilité » dans l’affidavit que [l’avocate en question] vous a aidé à rédiger?

            R. :       Je ne vois pas les choses ainsi. Il serait un peu exagéré de dire qu’elle « m’a aidé à rédiger » mon affidavit. Quant au sens que j’attribuais au terme « utilité » dans mon affidavit, c’était qu’il fallait qu’il y ait soit une démonstration, soit une prédiction valable, de chacun des éléments que je relevais dans le brevet comme exprimant ce que les inventeurs prévoyaient de faire.

 

140      Q. :      Était‑ce votre interprétation que s’il y avait une démonstration d’utilité, il fallait qu’elle figure dans le brevet?

            R. :       Comment?

 

141      Q. :      S’il y avait une démonstration de l’utilité, il fallait qu’elle soit dans le brevet?

            R. :       Selon mon interprétation, c’était généralement le cas, mais il y a là des subtilités juridiques, et je ne tenais pas particulièrement à comprendre ces subtilités.

 

142      Q. :      Comme vous ne compreniez pas les subtilités juridiques, vous vous contentiez d’appliquer le critère juridique que [l’avocate en question] vous avait donné?

            R. :       Selon mon interprétation, quelque chose qui est démontré doit être – non, attendez. Voyons voir.

 

[. . .]

 

            LE TÉMOIN :             Je vous parle maintenant, et j’ai oublié le contenu de mon affidavit. Mais même sans me reporter à l’affidavit, je crois comprendre – et croyais comprendre à l’époque, parce que l’avocate m’en a parlé à plusieurs reprises – qu’il y a une différence entre ce qui doit être démontré et ce qui doit être valablement prédit. Elle m’a dit qu’un élément, pour être valablement prédit, devait figurer dans le brevet, tandis qu’il n’avait pas à y figurer pour être démontré. C’est la règle générale que j’ai suivie, le cadre dans lequel j’ai travaillé. Je crois que mon affidavit est conforme à cette règle. Si ce n’est pas le cas, j’aimerais qu’on me corrige.

 

            ME SHAUGHNESSY :

 

143      Q. :      Auriez-vous l’obligeance de passer à la page 5 de votre affidavit? Vous avez employé le terme « utilité » aux alinéas 16a), b) et c); nous venons de discuter de ce point. Vous avez aussi employé le terme « promesse ». Comment interprétiez-vous ce dernier terme, ou que vous a dit [l’avocate en question] à ce sujet?

            R. :       Elle a employé ce terme de « promesse », et je lui ai demandé ce qu’elle entendait par là. Elle m’a répondu : « La promesse, c’est ce que dit le document. » Je me suis alors rendu compte que, évidemment, le rédacteur qui écrit quelque chose et dit que tel élément aura tel effet fait une promesse dans ce sens, et que c’est là ce qu’on entend par le terme « promesse ». D’après ce que je croyais comprendre, une promesse, c’était une formule écrite qui disait : « tel événement va se produire » ou « je vais faire telle chose ». La promesse, à mon avis, ne va pas sans un acteur. C’est ainsi que j’ai lu le document : à la recherche de la promesse qu’il contenait.

 

144      Q. :      Donc vous avez examiné le document de brevet à la recherche de tout ce que l’inventeur y disait?    

            A. :      Oui.

 

145.     Q. :      Toutes les caractéristiques?

            R. :       C’est‑à‑dire que j’ai lu le document et essayé de les y trouver. Puis j’en ai discuté avec l’avocate et elle m’a posé des questions. Elle m’a certainement posé des questions. Je ne me rappelle pas exactement lesquelles, mais elles étaient du genre « est‑ce là une promesse? ». Si le texte du brevet promettait quelque chose, eh bien c’était une promesse.

 

146      Q. :      Y a‑t‑il des éléments du brevet qui vous avaient échappé et propos desquels elle vous a dit : « et ça, Dr Becker, n’est‑ce pas une promesse? »?

            R. :       Effectivement. Elle a attiré mon attention sur certains éléments.

 

 

[222]   Passons maintenant au Dr Bartus, un des experts principaux des demanderesses, qui a résumé son opinion dans les termes suivants au paragraphe 23 de son affidavit principal :

[TRADUCTION]

 

Résumé de l’opinion

 

23.       Me fondant sur mon expérience et mon expertise dans le domaine de la neuropharmacologie, je propose les thèses suivantes, que j’exposerai de manière plus détaillée dans les paragraphes ci‑dessous :

 

a)                  La revendication 6 décrit un composé nouveau. Cette revendication ne contient pas de promesse explicite d’utilité, mais la personne versée dans l’art, à la lecture de la divulgation du brevet 808, interpréterait ce brevet comme lui disant que l’utilisation associée à la revendication 6, qui porte sur le donépézil, est que ce composé exerce une activité anti-acétylcholinestérase (anti-AChE), et qu’il l’exerce dans les cerveaux des animaux sur lesquels il a été testé.

 

b)                  La revendication 18 du brevet 808 porte sur une composition pharmaceutique (à base de donépézil) destinée au traitement thérapeutique d’une pathologie. La promesse de cette revendication, considérée du point de vue de sa dépendance par rapport à la revendication 6, est que le composé revendiqué dans cette dernière (c’est‑à‑dire le donépézil) sera utile pour le traitement de la démence sénile dans un sens scientifique (c’est‑à‑dire qu’il soulagera probablement les symptômes liés à la démence sénile en administration à une population de patients). La divulgation du brevet 808 révèle que la recherche sur le donépézil et ses propriétés thérapeutiques était encore en cours. Le lecteur versé dans l’art aurait compris que la promesse n’était pas nécessairement celle de fournir une drogue susceptible d’être approuvée dans un sens commercial ou réglementaire (étant donné, par exemple, que la question de la toxicité pour les humains ne pourrait trouver de réponse définitive que de nombreuses années après le dépôt de la demande de brevet).

 

c)                  Les inventeurs avaient démontré l’utilité de la revendication 6 au 21 juin 1988 en prouvant que le donépézil est un puissant inhibiteur de l’AChE, aussi bien en éprouvette que sur des cerveaux d’animaux.

 

d)                  Les inventeurs avaient démontré l’efficacité du donépézil, comme moyen de traitement possible, sur un modèle animal de la démence sénile (l’évitement passif). Cependant, ils n’avaient pas encore démontré son efficacité sur les humains. Néanmoins, ils auraient pu faire une prédiction valable de l’utilité de la revendication 18 au 21 juin 1988. Les données dont le brevet 808 rendait compte constituaient en effet un fondement factuel pour la prédiction que le donépézil se révélerait utile dans le traitement de la démence sénile. Les inventeurs pouvaient aussi faire état d’un raisonnement clair et valable permettant d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité, raisonnement fondé sur les connaissances de la personne versée dans l’art concernant l’état de la technique des inhibiteurs de l’AChE. Enfin, le brevet 808 contenait une divulgation suffisante du fondement de la prédiction.

 

e)                  Les savants d’Esai ont fait beaucoup plus que de démontrer l’efficacité du donépézil : ils en ont aussi établi les avantages. Ils ont en effet démontré que le donépézil est hautement sélectif, qu’il accroît la quantité d’acétylcholine (ACh) dans le cerveau, que sa persistance d’activité et son innocuité sont supérieures à celles de la physostigmine, qu’il existe une forte marge entre les doses produisant ses effets principaux et celles qui entraînent des effets secondaires, et enfin qu’il a un niveau élevé de biodisponibilité et une excellente pénétration dans le cerveau.

 

 

[223]   Son contre-interrogatoire comprend une longue discussion où on lui a demandé de quantifier un niveau de certitude, en le fixant par exemple à 50 %, à 40 % ou à une autre proportion. Il a plutôt mieux réussi que le Dr Becker dans l’art de résister aux suggestions des avocats. Voici quelques extraits de son contre-interrogatoire :  

 

72        Q. :      Pensiez-vous que la clarté réduisait la certitude avec laquelle il fallait prédire?

            R.:        J’imagine que c’est là un jugement de valeur parmi d’autres qu’on pourrait formuler. Je pense certainement que ça éclairait les choses, qui m’avaient semblé très ambiguës avant, laissant beaucoup de place à l’interprétation et au débat. Je crois que c’est devenu ainsi plus clair. On pourrait soutenir, je suppose, que ça faisait baisser par conséquent le niveau de certitude, mais ce n’est pas sous cet angle que je préfère voir l’opération.

 

73        Q. :      Mais, selon vous, une inférence raisonnable signifierait une probabilité de réalisation de la prédiction inférieure à 50 %?

            R. :       Vous me demandez si je considérais la probabilité de réalisation comme étant inférieure à 50 %?

 

74        Q. :      Oui.

            R. :       D’où vient ce chiffre?

 

75        Q. :      Que signifie pour vous l’expression « plus probable qu’improbable »?

            R. :       J’imagine que vous avez raison si vous voulez quantifier la chose. Je n’y ai jamais vraiment pensé de ce point de vue. « Plus probable qu’improbable » équivaudrait à une proportion supérieure à 50 %.

 

76        Q. :      Et une inférence raisonnable équivaudrait à une proportion inférieure à 50 %?

            R. :       Je n’en suis pas certain. Je pourrais souscrire à votre logique en extrapolant, mais je pense que la réalisation d’une prédiction non fondée sur une inférence raisonnable serait plus improbable que probable.

                        Cette façon de parler me paraît plus claire. En chiffrant ce genre de propositions, on quantifie artificiellement à mon avis. Et cela me met immanquablement mal à l’aise de quantifier artificiellement.

 

77        Q. :      Je vais vous soumettre quelques propositions et vous me direz avec laquelle vous vous sentez à l’aise. D’accord?

            R. :       D’accord.

 

78        Q. :      Moins de 50 %?

            R. :       C’est artificiellement quantitatif.

 

79        Q. :      Alors une évaluation à moins de 50 % ne vous paraît pas convenir?

            R. :       Je pense que l’expression « inférence raisonnable » est claire.

 

80        Q. :      48 %? 40 %?

            R. :       Je vous ai déjà répondu, Maître.

 

81        Q. :      10 %? Si ma prédiction avait une probabilité de réalisation de 10 %, ce pourrait être une inférence raisonnable?

            R. :       Je ne peux pas souscrire à cette idée. Je ne vois pas bien pourquoi il faut chiffrer la chose ni en quoi c’est utile.

 

82        Q. :      J’essaie seulement de poser des questions et d’obtenir des réponses. Il n’est pas vraiment nécessaire que vous compreniez pourquoi je pose mes questions : je veux seulement savoir si vous pouvez y répondre.

            R. :       Bon, d’accord.

 

83        Q. :      Donc, vous pouvez dire qu’une probabilité de 10 %, ce ne serait pas une inférence raisonnable?

            R. :       Le problème est que nous nageons dans l’abstraction. Il vous faut tenir compte de la totalité du poids de la preuve. Quand vous parlez d’inférence raisonnable, voulez-vous dire la probabilité que le composé soit approuvé pour le traitement de la maladie d’Alzheimer? la probabilité qu’il soit efficace pour le traitement de la maladie d’Alzheimer?De quoi au juste parlons-nous ici dans le contexte de l’invention? Parce que là est la question, non?

 

84        Q. :      Est‑ce que ça fait une différence?

            R. :       Le pourcentage serait différent. L’inférence raisonnable resterait la même, mais pas le pourcentage.

 

85        Q. :      Quelle serait une inférence raisonnable d’efficacité du composé dans le traitement de la maladie d’Alzheimer?

            R. :       Quelle serait une inférence raisonnable?

 

86        Q. :      Oui. Quel serait le pourcentage?

            R. :       Je ne peux pas mesurer cette probabilité par un pourcentage. Je ne vois pas bien pourquoi vous insistez pour que je le fasse. J’ai moi-même été désigné comme inventeur dans plusieurs brevets, et on ne m’a jamais demandé de quantifier la probabilité de réussite de l’invention. Franchement, ce concept m’est étranger; c’est pourquoi j’ai du mal à vous suivre dans cette voie.

 

87        Q. :      Faudrait‑il qu’il y ait plus que des chances égales?

            R. :       Je pense que ça dépend des circonstances.

 

88        Q. :      Je viens de vous définir les circonstances : il s’agit de la prédiction de l’efficacité thérapeutique contre la maladie d’Alzheimer.

            R. :       Oui, et il s’agit aussi du traitement de première ligne. Il faut en outre se rappeler que rien n’a jamais marché avant, que cette maladie a été découverte au début du XXe siècle et qu’elle se répand de plus en plus. J’aurais probablement tendance à dire moins de 50 % si on prend tout cela en considération. S’il était question d’un autre antihypertenseur et d’un neurodépresseur, les chances seraient probablement meilleures.

 

89        Q. :      Donc, le degré de certitude avec lequel on doit faire une prédiction pour remplir le critère juridique selon vous applicable au brevet dépend de la drogue en question. Vous ai‑je bien compris?

            R. :       Non. En fait, vous m’avez emmené dans une direction différente. Je ne songeais pas à la définition juridique aux fins du dépôt d’une demande de brevet, mais plutôt aux facteurs à prendre en considération dans la décision de déposer une demande de brevet. Désolé, je me suis mal exprimé.

 

 

[224]   Ces exemples, qui ne sont nullement les seuls qu’on pourrait citer, montrent le danger qu’il y a, s’agissant de l’interprétation des brevets, à demander aux experts de s’écarter de leur spécialité pour entrer dans le domaine du débat judiciaire. Il est très tentant pour l’avocat d’essayer de faire dire à l’expert ce qu’il n’a pas dit, puis de presser le tribunal d’accepter ce discours d’emprunt comme une aide de l’expert dans l’interprétation du brevet en question.

 

e)         L’utilité réalisée ou l’utilité prédite

[225]   Si le brevet porte qu’un résultat utile a été effectivement obtenu, cette déclaration est acceptée telle quelle, sauf contestation en justice. C’est ce que confirme le juge Nadon au nom de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 82 de Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc., 2010 CAF 242 (autorisation de pourvoi accordée par la Cour suprême du Canada le 5 mai 2011) :

 

82        Je souscris à la prétention de Pfizer et à la conclusion du juge de première instance suivant lesquelles il n’est pas nécessaire que le brevet démontre l’utilité dans l’exposé de l’invention, dès lors que l’arbitre des faits estime que cette preuve a été faite en cas de contestation juridique.

 

[226]   Cependant, si le brevet prédit un résultat déterminé sur la base de faits qu’il expose, cette prédiction doit être « valable ». Le juge Binnie définit ce concept au nom de la Cour suprême du Canada aux paragraphes 70 et 71 de l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153 :

70        La règle de la prédiction valable comporte trois éléments. Premièrement, comme c’est le cas en l’espèce, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, les composés testés constituaient le fondement factuel, mais d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention. Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, le raisonnement reposait sur la connaissance de l’« architecture des composés chimiques » (Monsanto, p. 1119), mais là encore, d’autres raisonnement peuvent être légitimes selon l’objet de l’invention. Troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaire, toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur la divulgation particulière requise à ce sujet, parce que les faits sous‑jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués et que cette divulgation n’est pas devenue un sujet de controverse entre les parties. En conséquence, je ne m’y attarderai pas davantage.

 

71        Il vaut la peine de répéter que la question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait. Il faut présenter, comme on l’a fait en l’espèce, une preuve de ce qui était connu ou inconnu à la date de priorité. Tout dépendra, dans chaque cas, des particularités de la discipline en cause. En l’espèce, les conclusions de fait nécessaires à l’application de la règle de la « prédiction valable » ont été tirées et j’estime que les appelantes n’ont pas démontré l’existence d’une erreur dominante ou manifeste.

 

[227]   Aux États‑Unis, on aborde ce problème sous un angle quelque peu différent. La question s’y pose par rapport au point de savoir quand l’invention a été faite, ou « mise en utilité pratique » comme diraient les Américains. Je reproduis ici un extrait de la section 6:18 (y compris sa note 14), qui concerne les brevets pharmaceutiques, du premier volume de l’ouvrage du juriste Carl Moy intitulé Moy’s Walker on Patents, 4e éd., Thompson/West :

 

[TRADUCTION] Ce point de vue a aussi produit une structure praticable pour l’évaluation de la brevetabilité de composés qui paraissent être vraisemblablement utilisables in vivo dans le traitement des humains. D’une manière générale, la jurisprudence pose en principe qu’on peut prouver l’utilité pratique de tels composés en établissant qu’ils sont pharmacologiquement actifs12.  Évidemment, la preuve directe d’une telle activité par des tests in vivo est suffisamment probante 13. Mais la preuve revêtant la forme de tests in vitro ou sur animaux n’est pas nécessairement suffisante. L’issue des affaires où une preuve de cette nature est produite dépend du point de savoir si les activités divulguées constituent une preuve présomptive suffisante de l’utilité in vivo14. Ainsi, lorsque les gens du métier reconnaîtront la fonctionnalité déclarée par le demandeur comme établissant une probabilité satisfaisante de l’activité in vivo de l’invention chez les humains, le demandeur sera réputé avoir démontré l’utilité pratique de celle‑ci15. Généralement, la jurisprudence pose la question de savoir si les gens du métier reconnaissent ces utilités non humaines comme des substituts ou des précurseurs de l’utilité chez les humains, de telle sorte qu’il existe une probabilité raisonnable d’utilité in vivo16.

[. . .]

 

14Voir par exemple Fujikawa c. Wattanasin, 93 F.3d 1559, pages 1563 à 15665, 39 U.S.P.Q. 2d (BNA) 1895 (Fed. Cir. 1996) [« [I]l n’est pas absolument nécessaire que les résultats de tests prouvent que le composé est pharmacologiquement actif. Il suffit que les tests "laissent plausiblement prévoir la réponse [pharmacologique] souhaitée". Autrement dit, il doit y avoir entre les tests et l’activité pharmacologique déclarée un rapport suffisant pour convaincre la personne versée dans l’art de la probabilité raisonnable que le nouveau composé présente cette activité. »], où l’on cite Nelson c. Bowler, 626 F.2d 853, page 856, 206 U.S.P.Q. (BNA) 881 (C.C.P.A. 1980); In re Brana, 51 F.3d 1560, pages 1565 à 1567, 34 U.S.P.Q. 2d (BNA) 1436 (Fed. Cir. 1995); Cross c. Iizuka, 753 F.2d 1040, page 1050, 224 U.S.P.Q. (BNA) 739 (Fed. Cir. 1985); Application of Langer, 503 F.2d 1380, 183 U.S.P.Q. (BNA) 288 (C.C.P.A. 1974). Voir aussi Application of Krimmel, 48 C.C.P.A. 1116, 292 F.2d 948, page 953, 130 U.S.P.Q. (BNA) 215 (1961) [« [C]elui qui a enseigné au public qu’un composé donné se révèle posséder une propriété pharmaceutique souhaitable quand on le teste sur un animal expérimental type a fait une contribution utile et importante à la technique, même si ce composé s’avère en fin de compte dépourvu de valeur pour le traitement des humains. »]

 

[228]   Ce qu’il faut retenir, c’est que, dans les affaires où le but déclaré du brevet n’a pas encore été mis en pratique, il peut être suffisant, du point de vue de l’utilité pratique, que la réalisation de ce but soit valablement prédite compte tenu des éléments divulgués dans ledit brevet. Le brevet doit exposer le fondement factuel de la prédiction, il doit énoncer un raisonnement clair et valable, et il doit contenir une divulgation suffisante. Tout cela doit figurer dans le brevet tel qu’il pouvait être lu au moment pertinent par la personne versée dans l’art.

 

f)          La date pertinente

[229]   La date du dépôt de la demande de brevet au Canada est la date pertinente pour l’examen de la question de la prédiction valable. En l’occurrence, cette date est le 21 juin 1988.

 

[230]    Un certain nombre de décisions définissent cette date pertinente. Je n’en citerai que deux. La première est l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153 (l’arrêt sur l’AZT), au paragraphe 56 duquel le juge Binnie écrivait ce qui suit au nom de la Cour suprême :

 

56     Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles. Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si, comme l’a affirmé le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, p. 1117, la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ».

 

[231]   La seconde est l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 60 CPR (4th) 81, 2007 CAF 209, au paragraphe 153 duquel le juge Nadon formule les observations suivantes au nom de la Cour d’appel fédérale :

 

153     En tout cas, Pfizer invoque, avec raison à mon avis, l’arrêt récent Aventis Pharma Inc c. Apotex Inc., 2006 CAF 64, où la Cour a statué que la date pertinente pour évaluer la validité d’une prédiction était la date de dépôt au Canada, soit le 30 septembre 1981 dans cette affaire. Contrairement à l’avis d’allégation d’Apotex et à la conclusion de la juge Heneghan, la date pertinente n’est pas la date de priorité qui, en l’espèce, est le 3 octobre 1980. En outre, dans son avis d’allégation daté du 24 juillet 2003, Apotex mentionne des tests de quinapril qui ont démontré que le composé baissait la pression artérielle chez les rats. Les résultats de ces tests ont été reçus le 8 septembre 1980, bien avant la date du dépôt au Canada. Par conséquent, même si quelques tests étaient requis pour établir une prédiction valable, ces tests ont été effectués dans la présente affaire.

 

 

L’INTERPRÉTATION DE LA PROMESSE OU UTILITÉ DÉCLARÉE DU BREVET 808

[232]   Mon évaluation, exposée plus haut, de l’ensemble de la preuve d’expert m’amène à conclure que la « promesse » ou utilité déclarée du brevet 808 est telle qu’on la trouve clairement exposée aux pages 1, 2 et 3 du mémoire descriptif, à savoir qu’on a découvert une nouvelle classe de composés (comprenant le donépézil) qui, dans la perspective de l’hypothèse cholinergique dont se déduit l’opportunité d’inhiber l’AChE, est efficace pour le traitement de la maladie d’Alzheimer. Je reproduis ici les passages des pages susdites du brevet 808 qui formulent cette promesse :

[traduction] L’invention concerne un composé amine cyclique, une composition thérapeutique et un traitement médical de la démence sénile.

 

[. . .]

 

Compte tenu de la situation, les présents inventeurs ont effectué des études intensives et approfondies de divers composés pendant de nombreuses années afin de mettre au point un médicament qui a une activité persistante et une grande innocuité.

 

Les présents inventeurs ont ainsi découvert qu’un dérivé de la pipéridine représenté par la formule générale suivante (I) permet d’atteindre l’objectif souhaité.

 

Plus précisément, le composé de la présente invention représenté par la formule générale suivante (I) a le grand avantage d’exercer une activité anti‑acétylcholinestérase puissante et très sélective, augmentant la quantité d’acétylcholine présente dans le cerveau, ayant un très bon effet dans un modèle relatif au trouble de la mémoire, une activité persistante et une grande innocuité comparativement à la physostigmine, qui est un médicament populaire classique dans l’art, d’où la grande utilité du composé de la présente invention.

 

Le composé de la présente invention a été découvert à cause de son activité anti‑acétylcholinestérase et, partant, est efficace pour le traitement et la prévention de diverses maladies qu’on pense être associées au déficit in vivo en acétylcholine, un neurotransmetteur.

 

Citons comme exemples de telles maladies divers types de démence, dont la démence sénile de type Alzheimer, ainsi que la chorée de Huntington, la maladie de Pick et l’ataxie.

 

Les objectifs de la présente invention sont donc d’offrir un nouveau dérivé de la pipéridine qui est efficace comme produit pharmaceutique, particulièrement pour le traitement et la prévention de maladies du système nerveux central, de présenter un procédé de préparation de ce dérivé et un produit pharmaceutique comprenant ce dérivé comme ingrédient efficace.

 

 

[233]   Il n’est pas contesté que, à en juger d’après la situation actuelle, le donépézil remplit cette promesse. La question est de savoir si l’on était fondé à faire cette promesse à la date du dépôt de la demande, soit au 21 juin 1988.

 

[234]   Pour aborder cette question, il faut examiner chacune des revendications 6 et 18. La revendication 6 ne porte que sur le donépézil; la revendication 18 concerne une utilisation spécifique du donépézil, le traitement de la démence sénile.

 

[235]   Il convient d’examiner chacune des revendications 6 et 18 séparément. Seule la revendication 18 parle effectivement de l’utilité; ce que ne fait pas la revendication 6. L’utilité pour les deux revendications, comme d’ailleurs pour toutes les revendications, est « promise » dans le mémoire descriptif. Comme la revendication 6 ne concerne que le donépézil, le « monopole » revendiqué a trait à ce composé, peu importe son utilisation (pour traiter la maladie d’Alzheimer ou comme cire à chaussure, etc.). Le « monopole » réclamé dans la revendication 18 concerne exclusivement la démence sénile (maladie d’Alzheimer). Si quelqu’un découvrait plus tard un nouvel usage (p. ex. pour le traitement de la calvitie), cette personne pourrait probablement obtenir un brevet pour le donépézil utilisé à cette fin; mais si le brevet 808 existe toujours, cette personne devrait obtenir la permission du breveté d’utiliser et de vendre le donépézil pour cet usage ou tout autre. De même, le titulaire du brevet 808 ne pourrait pas vendre ou utiliser le donépézil dans le but particulier de restaurer la croissance des cheveux sans obtenir la permission du deuxième titulaire de brevet.

 

[236]   Je reprends ici à mon compte l’analyse développée par le juge O’Reilly au nom de notre Cour aux paragraphes 41 à 44 de Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (2007), 59 CPR (4th) 183 [conf. par CAF 60 CPR (4th) 177] :

 

g)  Interprétation des revendications du brevet 748

 

41     J’ai lu le brevet et examiné la preuve d’expert produite par les deux parties, et le brevet fait état en réalité de deux niveaux d’utilité. Le premier niveau concerne les propriétés des composés mêmes en tant qu’inhibiteurs « actifs et sélectifs » de PDE réagissant à la GMP cyclique. Les composés qui présentent ces qualités pourraient être utiles, par exemple, en raison de leur aptitude à faire se relâcher des muscles lisses, de leur action anti‑agrégante ou anti‑hypertensive, ou de leur emploi en laboratoire. Au second niveau, à cause de telles propriétés intrinsèques, les composés pourraient être utiles dans le traitement d’un large éventail de pathologies.

 

42     Une bonne part de l’argumentation d’Apotex porte sur l’absence d’une utilité attestée ou d’une prédiction valable quant à l’utilisation des composés dans le traitement des pathologies désignées dans le brevet. Cependant, je suis d’accord avec Pfizer que, du moins pour sa revendication 6 (une revendication applicable au seul composé qu’est le sildénafil), il suffit à Pfizer de prouver que le sildénafil avait une propriété utile (c’est‑à‑dire qu’il était un inhibiteur actif et sélectif de PDE réagissant à la GMP cyclique) pouvant le rendre apte à une utilisation dans le traitement de certaines maladies ou pathologies, ou à une utilisation en laboratoire. Pfizer montrerait par là que son produit répondait à la définition d’une « invention », énoncée dans la Loi. Je suis persuadé, au vu de la preuve, que, à la date de priorité du brevet, on croyait que des inhibiteurs de PDE pourraient être utiles dans le traitement de certaines pathologies. Les savants étaient en quête de composés qui fussent des inhibiteurs plus actifs et plus sélectifs de PDE réagissant à la GMP cyclique que ceux qui existaient alors. Par conséquent, pour la revendication 6, il suffit à Pfizer d’établir qu’il avait été démontré ou que l’on avait valablement prédit que le sildénafil était utile du seul fait de sa capacité à agir comme inhibiteur actif et sélectif de PDE réagissant à la GMP cyclique.

 

43     Cependant, lorsque le brevet est plus précis et prétend qu’un composé est véritablement utile dans le traitement de maladies et pathologies particulières, le breveté doit établir l’utilité du composé dans ces domaines. Par conséquent, pour la revendication 17 du brevet de Pfizer (revendication portant sur l’emploi des composés dans des traitements particuliers), Pfizer doit prouver l’utilité effective dans ces domaines, ou établir que telle utilité pouvait être valablement prédite dans ces domaines. Mais Pfizer ne pourra réussir à justifier la revendication 17 de son brevet que si elle réussit à justifier la revendication 6. La preuve de l’utilité du sildénafil dans le traitement des pathologies dont fait état la revendication 17 (c’est‑à‑dire l’angine, l’hypertension artérielle, l’insuffisance cardiaque et l’athérosclérose), ou la prédiction valable que le sildénafil serait utile à ces fins, est évidemment tributaire de la preuve selon laquelle on savait (ou l’on avait prédit valablement) que le sildénafil était en 1990 un inhibiteur actif et sélectif de PDE réagissant à la GMP cyclique.

 

44     Par conséquent, si Pfizer ne parvient pas à montrer qu’il avait été établi, ou qu’il avait été prédit valablement, que le sildénafil était, à la date de priorité du brevet, un inhibiteur actif et sélectif de PDE réagissant à la GMP cyclique, Pfizer ne s’acquittera pas de son obligation de prouver les revendications 6 et 17 de son brevet. Pfizer n’aura pas prouvé que l’allégation la plus fondamentale d’Apotex – celle selon laquelle il n’est pas établi que l’on savait ou croyait effectivement que le sildénafil, voire n’importe lequel des composés du brevet, constituaient des inhibiteurs actifs et sélectifs de PDE – est injustifiée.

 

 

[237]   Dans la présente espèce, le donépézil a été produit et testé, notamment sur des souris et des rats, mais pas sur des humains, avant la date du dépôt de la demande de brevet au Canada. Il faut donc se demander si l’utilité « promise » dans le mémoire descriptif et l’utilité « revendiquée » dans la revendication 18 auraient pu être « valablement prédites » à cette date, c’est‑à‑dire au 21 juin 1988.

 

LA PRÉDICTION VALABLE

[238]   Comme on l’a vu plus haut, le critère de la prédiction valable a été formulé par le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, au paragraphe 70 de l’arrêt sur l’AZT :

 

5. Les exigences de la règle de la « prédiction valable »

 

70          La règle de la prédiction valable comporte trois éléments. Premièrement, comme c’est le cas en l’espèce, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, les composés testés constituaient le fondement factuel, mais d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention. Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, le raisonnement reposait sur la connaissance de l’« architecture des composés chimiques » (Monsanto, p. 1119), mais là encore, d’autres raisonnement peuvent être légitimes selon l’objet de l’invention. Troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaire, toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur la divulgation particulière requise à ce sujet, parce que les faits sous‑jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués et que cette divulgation n’est pas devenue un sujet de controverse entre les parties. En conséquence, je ne m’y attarderai pas davantage.

 

 

[239]   La Cour d’appel fédérale a repris et développé cet exposé dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 197, où la juge Layden‑Stevenson a formulé les observations suivantes aux paragraphes 84 à 87 et 112 :

 

84     L’arrêt sur l’AZT ne définit pas le poids que doit avoir la preuve sur la question de la prédiction valable. Toutefois, de l’avis du juge Binnie, il faut plus que de simples spéculations (paragraphe 69). Il donne également les indices suivants :

 

·        les revendications doivent être honnêtement fondées sur la divulgation contenue dans le brevet (paragraphe 59);

 

·        il doit, à première vue, être raisonnable que le titulaire du brevet puisse formuler une revendication (paragraphe 60);

 

·        il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’une certitude (paragraphe 62);

 

·        il doit être possible d’inférer le résultat souhaité du fondement factuel (paragraphe 70).

 

85     À mon avis, ces indices laissent entendre qu’une prédiction valable exige une inférence prima facie raisonnable de l’utilité. Fait à noter, dans l’arrêt sur l’AZT, le fondement factuel de la prédiction valable d’une utilisation nouvelle d’un composé reposait sur les résultats des tests in vitro effectués pour vérifier l’action de l’AZT sur le VIH dans une lignée cellulaire humaine, ainsi que sur les données de Glaxo sur l’AZT obtenues notamment lors de tests effectués sur des animaux (paragraphe 72). La connaissance que Glaxo possédait du mécanisme de reproduction d’un rétrovirus constituait le raisonnement nécessaire.

 

86          Le raisonnement sous‑jacent de la prédiction valable est expliqué comme suit au paragraphe 66 de l’arrêt sur l’AZT :

 

La règle de la « prédiction valable » établit un équilibre entre l’intérêt public à ce que les inventions nouvelles et utiles soient divulguées rapidement, même avant qu’on en ait vérifié l’utilité par des tests (ce qui peut prendre des années dans le cas des produits pharmaceutiques), et l’intérêt public qu’il y a à éviter d’encombrer le domaine public de brevets inutiles et de consentir un monopole pour une désinformation.

 

87     Les examens dont il a été question précédemment (la promesse du brevet, les données servant à étayer la promesse et les données relatives à la prédiction valable de la promesse) sont des examens bien distincts qui exigent une analyse individuelle.

 

[. . .]

 

112     La question pertinente en l’espèce est de savoir s’il existait un raisonnement clair et valable à partir de ce fondement factuel pour inférer la prédiction valable. Le juge de première instance a vérifié s’il existait un raisonnement sous-tendant les avantages, mais il a omis de se pencher sur le poids de la preuve nécessaire. J’ai déjà conclu qu’une prédiction valable exige une inférence prima facie raisonnable de l’utilité.

 

[240]   Donc, pour qu’il y ait « prédiction valable », le mémoire descriptif du brevet doit contenir :

1.                  un fondement factuel pour la prédiction;

2.                  un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité (il doit y avoir une inférence prima facie raisonnable, mais cela ne veut pas dire qu’il faille une certitude);

3.                  une divulgation suffisante.

 

[241]   Le fondement factuel exposé dans le brevet 808 est qu’on a produit le donépézil et qu’on l’a testé de diverses manières sur des souris aussi bien que sur des rats.

 

[242]   Le raisonnement clair et valable est le suivant. En juin 1988, les milieux scientifiques intéressés estimaient plausible l’hypothèse de l’utilité d’un inhibiteur de l’AChE dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. On admettait aussi à la même époque que les études sur les souris et les rats du type de celles dont le brevet 808 fait état constituaient des prédicteurs acceptables de l’inhibition de l’AChE. Je me rends bien compte que les experts des demanderesses et celui de Mylan ne s’entendent pas sur la question de savoir jusqu’à quel point ces conceptions étaient répandues en juin 1988, et que, à cette époque, les opinions divergeaient touchant le crédit à accorder à l’hypothèse susdite et aux études scientifiques qui la défendaient. Cependant, il n’est pas nécessaire que le raisonnement en question donne lieu à une « certitude » : il suffit qu’il exprime une « inférence prima facie raisonnable ».

 

[243]   La preuve du Dr Bartus, telle qu’elle est étayée par celle des Drs Rockwood et McKenna, me convainc beaucoup plus que celle du Dr Becker. Les Drs Bartus, Rockwood et McKenna s’en sont tenus plus étroitement à leur rôle d’experts scientifiques que le Dr Becker, qui semblait mal à l’aise dans le rôle de défenseur des intérêts de Mylan que l’ancienne avocate de cette dernière l’avait peut-être poussé à jouer.

 

[244]   Je suis convaincu que le brevet 808 présente un raisonnement qui, en juin 1988, aurait été considéré comme raisonnable à première vue pour prédire l’utilité du donépézil comme inhibiteur de l’AChE et donc, conformément à une théorie raisonnable qui existait alors, son utilité comme produit pour le traitement de la démence sénile telle que la maladie d’Alzheimer.

 

[245]   La troisième condition à remplir pour qu’il y ait prédiction valable est de proposer une divulgation suffisante. La preuve des experts, considérée raisonnablement, établit que le mémoire descriptif du brevet 808 divulgue des renseignements suffisants pour étayer la conclusion que le donépézil est un inhibiteur efficace de l’AChE. Mylan soutient que certaines des données en question sont inexactes ou de nature à induire en erreur. Cependant, comme je le disais plus haut, Mylan n’a pas mis cette question en litige dans son avis d’allégation. (Je me rends bien compte qu’il est « injuste » d’imposer cette exigence à Mylan, puisqu’elle ne disposait pas des renseignements nécessaires pour étayer une telle allégation au moment de la rédaction de son avis, mais la faute en revient au régime de contestation des AC.)

 

[246]   Mylan soutient que la divulgation relative à la toxicité est inadéquate. Son expert, le Dr Becker, affirme au paragraphe 201 de son premier affidavit que, dans une certaine mesure, tous les médicaments sont toxiques et que pour avoir une utilité thérapeutique, un médicament doit avoir un profil de toxicité acceptable. Le Dr McKenna, l’expert en toxicité des demanderesses, affirme ce qui suit au paragraphe 34 de son affidavit :

 

[traduction] […] les déclarations relatives à la toxicité et à l’innocuité, bien qu’elles soient instructives pour le lecteur, ne constituent pas la promesse du brevet, mais sont plutôt des affirmations à l’appui de certains des avantages observés de ce composé (avantages perçus par les inventeurs à une étape préliminaire de la mise au point du médicament), par rapport à ce qui existait antérieurement à l’époque. Selon mon expérience, il est rare d’avoir plus qu’une compréhension très générale et préliminaire du profil de toxicité d’un composé au moment de déposer un brevet parce que les tests détaillés de toxicité sont effectués bien après le dépôt du brevet pour une entité chimique nouvelle.

 

 

[247]   Comme je le faisais récemment observer au paragraphe 116 de GlaxoSmithKline Inc. c. Pharmascience Inc., 2011 CF 239, me fondant sur l’arrêt relatif à l’AZT de la Cour suprême du Canada, la preuve de l’absence de toxicité, à cette étape, n’est pas une condition nécessaire à la démonstration de l’utilité :

 

116     Le titulaire d’un brevet n’est pas tenu d’établir l’utilité d’un médicament, notamment l’absence de toxicité et d’autres caractéristiques; il s’agit d’exigences concernant l’innocuité et l’efficacité, non la brevetabilité. S’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précité, le juge Binnie a écrit ce qui suit au paragraphe 77 :

 

77    Les appelantes contestent la conclusion du juge de première instance. Dans leur mémoire (mais non dans leur plaidoirie), elles allèguent que l’utilité doit être démontrée au moyen d’essais cliniques préalables sur des êtres humains, établissant la toxicité, les caractéristiques métaboliques, la biodisponibilité et d’autres éléments. Ces facteurs sont conformes à ce que la présentation d’une drogue nouvelle doit comporter pour que le ministre de la Santé puisse en évaluer l’« innocuité » et l’« efficacité ». Voir maintenant le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870, par. C.08.002(2), modifié par DORS/95-411, par. 4(2), qui prévoit notamment :

 

La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. [...]

 

Les conditions préalables en matière de preuve que doit remplir le fabricant qui souhaite commercialiser une drogue nouvelle visent un objectif différent de celui visé par le droit des brevets. Dans le premier cas, on parle d’innocuité et d’efficacité alors que, dans le deuxième cas, il est question d’utilité, mais dans le contexte de l’inventivité. De par sa nature, la règle de la prédiction valable présuppose l’existence d’autres travaux à accomplir.

 

[248]   Mylan fait également valoir que le brevet 808 ne précise pas si le donépézil conserve ses effets pharmacologiques en administration répétée. Or cet argument n’a pas été avancé dans l’avis d’allégation, de sorte que je ne l’examinerai pas ici.

 

CONCLUSION ET TAXATION DES DÉPENS

[249]   Je conclus donc que les demanderesses se sont acquittées de la charge qui pesait sur elles de démontrer que, vu la preuve, les allégations de l’avis d’allégation de Mylan qui restent ici en litige ne sont pas fondées. La présente demande sera accueillie, et il sera interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Mylan avant l’expiration du brevet 808. 

 

[250]   Les demanderesses ont droit à des dépens à la charge de Mylan. Je fixerai ces dépens au maximum de la colonne IV du tarif, en comptant deux avocats principaux pour l’audience. Le présent litige a donné lieu à au moins une requête où les dépens ont été adjugés. Certains éléments de preuve ont été retranchés du dossier, et d’autres n’ont pas été invoqués. Je suivrai ici d’une manière générale les règles que j’ai exposées à propos des dépens aux paragraphes 190 à 192 de Bristol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc. (2009), 74 CPR (4th) 85, 2009 CF 137 :

 

190     Les dépens pour deux avocats lors de l’audience, un avocat principal et un avocat adjoint pour les deux premiers jours, et un avocat principal pour le troisième, peuvent être taxés. Ceux pour deux avocats, un principal et un adjoint, s’ils étaient présents, lors des contre-interrogatoires, peuvent être taxés. Un seul avocat, le principal, est admis en défense lors d’un contre-interrogatoire. Je n’accorde pas de dépens pour les autres avocats, internes ou externes, les étudiants, les parajuridiques ou les secrétaires.

 

191     Je demeure préoccupé par le fait que les honoraires accordés pour les experts puissent être excessifs. J’ai tenté de restreindre ces honoraires en introduisant des tarifs et en les plafonnant au tarif demandé par les avocats principaux. Les honoraires peuvent naturellement être calculés en multipliant le tarif par un nombre d’heures donné, ce qui pourrait permettre d’éviter le plafonnement des tarifs horaires en augmentant le nombre d’heures. Ce n’est pas le résultat que j’escompte. Selon ma proposition, les honoraires accordés à un expert donné ne seront pas proportionnellement plus importants que ceux demandés par tout autre expert de l’une ou l’autre partie. En l’espèce, aucun des experts ne m’est apparu, de façon notable, d’une plus grande utilité, ou autrement dit, d’une valeur supérieure. Apotex est libre de payer ses experts selon ce qui a été convenu, ce qui n’autorise cependant pas la taxation de ces honoraires selon un tel tarif. J’ai en conséquence laissé la question entre les mains des avocats pour qu’ils en tiennent compte en précisant que les honoraires ne seront pas accordés s’ils sont trop importants.

 

192     De plus, les honoraires pour les experts seront limités exclusivement à ceux relatifs aux services des experts ayant témoigné dans les affidavits déposés par Apotex en l’instance, soit notamment MM. McClelland, Langer et Cima. Je n’accorde pas d’honoraires pour les experts ou autres personnes dont Apotex aurait pu retenir les services ou dont les services ont été retenus par les experts susmentionnés pour les assister.

 

[251]   Cependant, étant donné la complexité de la procédure, le retrait d’éléments de preuve et peut-être d’autres caractéristiques de la présente affaire, j’invite chacune des parties à soumettre à la Cour, dans les quinze jours suivant le dépôt des présents motifs, des conclusions écrites sur les dépens, qui ne devront pas dépasser cinq pages.

 

[252]   Le ministre n’ayant pas participé activement à la présente instance, il ne lui sera pas adjugé de dépens ni n’en sera mis à sa charge.


JUGEMENT

 

PAR CES MOTIFS,

LA COUR STATUE CE QUI SUIT :

 

1.                  La demande est accueillie.

 

2.                  Il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Mylan avant l’expiration du brevet canadien no 1,338,808.

 

3.                  Les demanderesses ont droit à des dépens à la charge de la défenderesse Mylan sur la base exposée dans les motifs du présent jugement, sous réserve de la décision qui suivra, le cas échéant, la communication par les parties de conclusions écrites sur les dépens, lesquelles ne devront pas dépasser cinq pages et être reçues par la Cour dans les quinze jours suivant le dépôt desdits motifs.

 

4.                  Il n’est pas adjugé de dépens au ministre ni n’en est mis à sa charge.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


[traduction]

1.6 Les revendications du brevet 808 ne sont pas valides

1.6.1 Le brevet 808 est invalide pour défaut d’utilité

Utilité du brevet 808

Il est dit dans le mémoire descriptif du brevet 808 que « [l]es objectifs de la présente invention sont donc d’offrir un nouveau dérivé de la pipéridine qui est efficace comme produit pharmaceutique, particulièrement pour le traitement et la prévention de maladies du système nerveux central, de présenter un procédé de préparation de ce dérivé et un produit pharmaceutique comprenant ce dérivé comme ingrédient efficace » (brevet 808, p. 3).


On mentionne dans le brevet 808 que même si « [d]iverses tentatives ont été faites pour traiter la démence sénile au moyen d’un médicament. Jusqu’à présent, cependant, aucun médicament ne s’est révélé très utile pour traiter ces maladies (brevet 808, p. 1).

On y affirme également que « Vu notamment que la démence sénile de type Alzheimer s’accompagne d’une diminution de la fonction cholinergique, la mise au point de l’agent thérapeutique qui ferait appel à un précurseur de l’acétylcholine et à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase a été proposée et a en fait été tentée. Citons comme exemples représentatifs de l’inhibiteur de l’anticholinestérase, la physostigmine et la tétrahydroaminoacridine. Ces médicaments comportent cependant des inconvénients, comme un effet insatisfaisant et la survenue d’effets secondaires défavorables. Pour le moment, il n’existe aucun agent thérapeutique probant » (brevet 808, p. 1‑2).

Les inventeurs désignés indiquent qu’ils « ont découvert qu’un dérivé de la pipéridine représenté par la formule générale suivante (I) permet d’atteindre l’objectif souhaité » (brevet 808, p. 2).

Le brevet 808 mentionne que le composé de la présente invention « a le grand avantage d’exercer une activité anti‑acétylcholinestérase puissante et très sélective, augmentant la quantité d’acétylcholine présente dans le cerveau, ayant un excellent effet sur un modèle relatif au trouble de la mémoire, une activité persistante et une grande innocuité comparativement à la physostigmine, qui est un médicament classique populaire dans l’art, d’où la grande utilité du composé de la présente invention » (brevet 808, p. 2).

Le mémoire descriptif du brevet 808 souligne également que « Les objectifs de la présente invention sont donc d’offrir un nouveau dérivé de la pipéridine qui est efficace comme produit pharmaceutique, particulièrement pour le traitement et la prévention de maladies du système nerveux central, de présenter un procédé de préparation de ce dérivé et un produit pharmaceutique comprenant ce dérivé comme ingrédient efficace » (brevet 808, p. 3).

Il est dit dans le mémoire descriptif du brevet 808 que les composés de l’invention « sont utiles pour le traitement de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer » (brevet 808, p. 47-48).

On ajoute dans le brevet 808 que « L’invention sera décrite sous l’angle de son utilité thérapeutique, et des données d’expériences pharmacologiques seront présentées » (brevet 808, p. 48).

Le brevet 808 décrit les résultats obtenus pour divers composés, soi‑disant testés pour leur activité in vivo et in vitro. Ces résultats sont illustrés au tableau 1 à la page 49, au tableau 2 à la page 51, au tableau 3 à la page 52 et au tableau 10 à la page 147 du brevet 808.

Le tableau 1 présente l’activité anti‑acétylcholinestérase des échantillons d’homogénat de cerveau de souris et d’un certain nombre de composés testés, dont le donépézil (composé no 4). Les résultats sont exprimés sous la forme de CI50 (activité in vitro). Le tableau 10 énumère les valeurs de la CI50 obtenues pour d’autres composés.

Le tableau 2 résume les résultats d’une expérience visant à évaluer l’activité anti‑acétylcholinestérase des composés dans le cerveau de rats à qui l’on a administré ces composés. Les tests ont été effectués ex vivo.

Le tableau 3 reproduit les résultats d’une expérience visant à mesurer l’effet sur le trouble d’apprentissage par évitement passif induit par la scopolamine. Cette expérience visait à évaluer la mesure avec laquelle la performance d’apprentissage des animaux qui présentaient un déficit d’apprentissage induit par la scopolamine s’améliorait après l’administration de divers composés.

Le mémoire descriptif mentionne que « Les expériences pharmacologiques décrites ci‑dessus ont révélé que le composé de la présente invention exerçait une puissante activité anti‑acétylcholinestérase ». On ajoute ensuite à cet égard que :

En particulier, notamment un composé, où R1 est un groupe dérivé d’un indanone ayant un cycle phényle non substitué ou substitué, qui possède certaines caractéristiques par rapport à l’inhibiteur classique de l’acétylcholinestérase comme une différence remarquable au niveau de la structure, des avantages du point de vue de la fabrication de préparations pharmaceutiques à cause de sa puissante activité anti‑acétylcholinestérase, de la large marge entre ses effets principaux et ses effets secondaires, de son activité persistante, de sa grande hydrosolubilité, de son excellente stabilité, de son avantage pour la formulation en préparations, de sa grande biodisponibilité et de son excellente pénétration dans le cerveau.

La présente invention a donc pour objet de fournir un nouveau composé efficace contre divers types de démence et les séquelles des maladies vasculaires cérébrales, d’offrir un procédé de préparation de ce composé ainsi qu’un nouveau produit pharmaceutique contenant comme ingrédient actif ce composé (brevet 808, p. 53‑54).

À la page 54, le mémoire descriptif du brevet 808 indique que la toxicité de « composés représentatifs » de la présente invention, dont le composé no 4, a été testée chez des rats. Tous les composés étaient toxiques à des doses de 100 mg/kg ou plus, c.‑à‑d. ne manifestaient aucune toxicité grave.

Le brevet 808 mentionne ensuite que :

Le composé de la présente invention est efficace pour le traitement, la prévention, la rémission, l’amélioration, etc., de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer; les maladies vasculaires cérébrales accompagnant l’apoplexie cérébrale, p. ex. l’hémorragie cérébrale ou les infarctus cérébraux, l’artériosclérose cérébrale, les traumatismes crâniens, etc.; et l’aprosexie, les troubles de l’élocution, l’hypoboulie, les sautes d’humeur, les troubles de la mémoire récente, le syndrome hallucinatoire‑paranoïde, les changements de comportement, etc., accompagnant l’encéphalite, l’infirmité motrice cérébrale, etc. (brevet 808, p. 54).

Le brevet 808 signale également que :

De plus, le composé de la présente invention a une activité anticholinestérase puissante et très sélective qui contribue à son utilité comme substance pharmaceutique basée sur ce type d’activité.

Plus précisément, le composé de la présente invention est efficace, par exemple, contre la chorée de Huntington, la maladie de Pick et l’ataxie retardée ou la dyskinésie tardive en dehors de la démence sénile de type Alzheimer (brevet 808, p. 54‑55).

En résumé, le brevet 808 promet donc que le composé de la présente invention comportera une partie ou la totalité des aspects utiles suivants :

·         Utilité thérapeutique par suite de son activité anti‑acétylcholinestérase

·         Avantages :

o        Avoir une activité anti‑acétylcholinestérase puissante et très sélective

o        Augmenter la concentration d’acétytcholine présente dans le cerveau

o        Avoir un excellent effet sur un modèle relatif au trouble de la mémoire

o        Avoir une activité persistante et grande innocuité comparativement à la physostigmine

·         Efficacité comme produit pharmaceutique, en particulier pour le traitement et la prévention de maladies du système nerveux central

·         Efficacité dans le traitement de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer

·         Différence remarquable par rapport à l’inhibiteur classique de l’acétylcholinestérase du point de vue de la structure, des avantages pour la fabrication de préparations pharmaceutiques à cause de :

o        Sa puissante activité anti‑acétylcholinestérase

o        La large marge entre ses effets principaux et ses effets secondaires

o        Son activité persistante, sa grande hydrosolubilité

o        Son excellente stabilité

o        La possibilité de le formuler en préparations

o        Sa grande biodisponibilité

o        Son excellente pénétration dans le cerveau

·         Efficacité contre divers types de démence et les séquelles des maladies vasculaires cérébrales

·         Toxicité à des doses de 100 mg/kg ou plus, c.‑à‑d. absence de toxicité grave

·         Efficacité dans le traitement, la prévention, la rémission, l’amélioration, etc., de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer; les maladies vasculaires cérébrales accompagnant l’apoplexie cérébrale, p. ex. l’hémorragie cérébrale ou les infarctus cérébraux, l’artériosclérose cérébrale, les traumatismes crâniens, etc.; et l’aprosexie, les troubles de l’élocution, l’hypoboulie, les sautes d’humeur, les troubles de la mémoire récente, le syndrome hallucinatoire‑paranoïde, les changements de comportement, etc., accompagnant l’encéphalite, l’infirmité motrice cérébrale, etc.

·         Activité anti‑cholinestérase puissante est très sélective

·         Efficacité dans le traitement de la chorée de Huntington, la maladie de Pick et l’ataxie retardée ou la dyskinésie tardive en dehors de la démence sénile de type Alzheimer.

Genpharm allègue que le brevet 808 ne satisfait pas à l’exigence de l’utilité, en ne présentant pas de démonstration réelle ni de prédiction valable.

Absence d’utilité démontrée

Genpharm allègue que l’utilité de l’invention revendiquée dans le brevet 808 n’a pas été démontrée.

Les états morbides que la soi‑disant invention devrait traiter et prévenir sont des maladies humaines et l’invention alléguée est censée être utile chez les humains. Le produit en question n’a pas été testé chez les humains, mais plutôt dans des modèles in vitro et des modèles in vivo utilisant des rats. Il n’y a donc pas d’utilité démontrée chez les humains et les inventeurs désignés se sont fiés à la doctrine de la prédiction valable pour établir l’utilité du brevet 808.

Quoi qu’il en soit, la prétendue invention n’a pas été vraiment testée et son efficacité n’a pas été démontrée. En particulier, le donépézil n’a pas été testé et on n’a pas prouvé qu’il était utile comme inhibiteur puissant et sélectif de l’acétylcholinestérase ni qu’il a un profil de toxicité acceptable ou est efficace dans le traitement d’une maladie; sa sélectivité n’a pas non plus été testée ni démontrée.

Genpharm allègue notamment qu’on n’a pas évalué ni démontré l’utilité du donépézil comme :

·         Agent thérapeutique utilisé comme précurseur de l’acétylcholine et inhibiteur de l’acétylcholinestérase

o        Qui a une activité anti‑acétylcholinestérase puissante et très sélective

o        Qui augmente la concentration d’acétylcholine présente dans le cerveau

o        Qui exerce un excellent effet sur un modèle relatif au trouble de la mémoire

o        Qui a une activité persistante et une grande innocuité comparativement à la physostigmine

·         Agent efficace comme produit pharmaceutique, en particulier pour le traitement et la prévention de maladies du système nerveux central

·         Agent efficace dans le traitement de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer

·         Agent présentant une différence remarquable par rapport à l’inhibiteur classique de l’acétylcholinestérase du point de vue de la structure, des avantages pour la fabrication de préparations pharmaceutiques à cause de :

o        Sa puissante activité anti‑acétylcholinestérase

o        La large marge entre ses effets principaux et ses effets secondaires

o        Son activité persistante, sa grande hydrosolubilité

o        Son excellente stabilité

o        La possibilité de le formuler en préparations

o        Sa grande biodisponibilité

o        Son excellente pénétration dans le cerveau

·         Agent efficace contre divers types de démence et les séquelles des maladies vasculaires cérébrales

·         Agent toxique à des doses de 100 mg/kg ou plus, c.‑à‑d. qui ne manifeste aucune toxicité grave

·         Agent efficace dans le traitement, la prévention, la rémission, l’amélioration, etc., de divers types de démence sénile, en particulier la démence sénile de type Alzheimer; les maladies vasculaires cérébrales accompagnant l’apoplexie cérébrale, p. ex. l’hémorragie cérébrale ou les infarctus cérébraux, l’artériosclérose cérébrale, les traumatismes crâniens, etc.; et l’aprosexie, les troubles de l’élocution, l’hypoboulie, les sautes d’humeur, les troubles de la mémoire récente, le syndrome hallucinatoire‑paranoïde, les changements de comportement, etc., accompagnant l’encéphalite, l’infirmité motrice cérébrale, etc.

·         Agent ayant une activité anti‑cholinestérase puissante et très sélective ; ou

·         Agent efficace dans le traitement de la chorée de Huntington, la maladie de Pick et l’ataxie retardée ou la diskinésie tardive en dehors de la démence sénile de type Alzheimer.

Par conséquent, l’utilité de la prétendue invention du brevet 808 n’a pas été démontrée.

Pour appuyer son allégation relative à l’absence d’utilité démontrée, Genpharm se base en outre sur ses allégations de fait ci‑dessous, concernant l’absence de prédiction valable.

Absence de prédiction valable

Comme il a été établi, p. ex., dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, un inventeur doit être en mesure d’établir l’utilité de l’invention au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise disponibles au moment du dépôt de la demande de brevet prioritaire ou bien à la date de dépôt au Canada (considérés comme les « dates pertinentes »).

Si l’utilité d’une invention n’est pas démontrée, elle doit se fonder sur une prédiction valable. La règle de la prédiction valable comporte trois éléments :

(a)       La prédiction doit avoir un fondement factuel.

(b)       À la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité.

(c)       II doit y avoir une divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement dans le brevet.

Le brevet 808 n’a pas respecté ces critères.

Fondement factuel insuffisant dans le brevet 808 pour établir une prédiction valable

Genpharm réitère ses allégations concernant « l’absence d’utilité démontrée » et se fonde sur  elles pour affirmer que le brevet 808 ne contient aucun fondement factuel qui permettrait de présenter un raisonnement valable pouvant étayer que la prétendue invention du brevet 808 a démontré l’utilité promise.

Une personne versée dans l’art ne serait pas capable de distinguer l’utilité ni de prédire de façon valable l’utilité de n’importe lequel des composés parce que le brevet 808 ne lui donne pas les outils pour le faire; le fondement pour établir cette prédiction n’est pas lui‑même clair dans le brevet.

Les inventeurs désignés indiquent qu’on a réussi dans une certaine mesure dans le passé à utiliser des inhibiteurs de la cholinestérase pour traiter des maladies du cerveau. Ils mentionnent aussi cependant que les composés utilisés dans le passé n’ont pas finalement été efficaces à cet égard. Ils ne disent pas pourquoi les composés de la présente invention seraient plus efficaces que les composés de l’art antérieur qui avaient échoué et qui possédaient également une activité anti‑cholinestérase.

De plus, la prédiction voulant que le donépézil soit utile pour l’indication déclarée, compte tenu de son efficacité, est affaiblie par le brevet lui‑même, qui mentionne que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase antérieurs n’étaient pas efficaces.

Le fait que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase de l’art antérieur n’aient pas fonctionné signifie que l’activité anti‑acétylcholinestérase ne permet pas à elle seule de prédire qu’un composé est thérapeutiquement utile.

Le brevet 808 ne fournit pas suffisamment de renseignements pour qu’on puisse effectuer une extrapolation à partir des résultats des tests décrits afin de prédire l’efficacité du produit comme agent pharmaceutique pour le traitement et la prévention d’une des multiples maladies que l’invention est censée traiter ou prévenir.

Le brevet 808 ne présente aucune comparaison de l’activité inhibitrice ou d’une autre activité pharmacologique prétendument démontrée à l’aide du donépézil (ou d’un autre composé divulgué ou revendiqué dans ce brevet) avec celle d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase de l’art antérieur.

Rien dans le brevet n’indique en outre le degré d’activité inhibitrice ou sélective qui serait suffisant pour démontrer l’utilité du brevet, alors que, notamment, des composés qui semblaient avoir une meilleure activité inhibitrice que le donépézil n’ont pas été inclus dans les revendications du brevet et que les composés de l’art antérieur qui avaient une meilleure activité inhibitrice produisaient soi‑disant un effet non satisfaisant.

Ainsi, le brevet 808 ne fournit pas de fondement factuel qui permettrait de prédire que les composés revendiqués ont une activité et une sélectivité plus ou moins égales ou une moins grande toxicité que les composés de l’art antérieur.

Il n’y a pas non plus dans le brevet 808 de comparaisons montrant l’existence d’une différence remarquable promise par les inventeurs désignés ni de différence quelconque par rapport aux inhibiteurs classiques de l’acétylcholinestérase (qui sont censés avoir un effet insatisfaisant) en ce qui a trait aux propriétés suivantes :

o        La puissante activité anti‑acétylcholinestérase

o        La large marge entre les effets principaux et les effets secondaires

o        L’activité persistante, la grande hydrosolubilité

o        L’excellente stabilité

o        La possibilité d’être formulé en préparations

o        La grande biodisponibilité

o     L’excellente pénétration dans le cerveau

Il s’ensuit qu’une personne versée dans l’art ne serait pas capable de conclure ni de prédire, à partir de la divulgation, que les composés présentent l’utilité promise dans le brevet.

Genpharm détaille ces allégations ci‑dessous.

Tableaux 1,10 et 2 du brevet 808

Le brevet 808 montre que l’activité anti‑acétylcholinestérase ne suffit pas pour qu’un composé soit considéré utile aux fins déclarées. Par conséquent, le brevet 808 ne divulgue pas le fondement factuel permettant d’établir de façon valable que le donépézil serait utile pour atteindre l’objectif déclaré.

Les tableaux 2 et 10 du brevet 808 présentent les valeurs de la CI50, c.‑à‑d. la capacité qu’ont un certain nombre de composés d’inhiber in vitro l’acétylcholinestérase. Aucune valeur seuil n’est fournie dans le brevet 808, ce qui empêche d’identifier les composés qui, selon les inventeurs désignés, ont une bonne activité inhibitrice.

Les expériences in vitro ont été effectuées sans qu’on utilise un composé de l’art antérieur comme témoin positif; il est donc impossible d’identifier les composés de l’invention qui seraient meilleurs que les composés de l’art antérieur.

De plus, les renseignements fournis dans les tableaux 1 et 10 du brevet 808 ne sont pas fiables parce que :

·         Les paramètres expérimentaux ne sont pas connus.

·         Aucune statistique n’est présentée, de sorte qu’on ne peut vérifier la signification des résultats, le cas échéant.

·         Aucun seuil n’est indiqué pour évaluer les composés qui sont de « bons » inhibiteurs.

·         Aucun témoin positif n’a été utilisé pour comparer l’activité anti‑acétylcholinestérase de chacun des composés ou pour déterminer quels composés sont supérieurs aux composés de l’art antérieur.

Si les valeurs de la CI50 présentées dans le brevet 808 sont considérées comme fiables (ce que nie Genpharm), les composés 1, 29, 31 et 33 ont donc une moins grande activité inhibitrice que le donépézil, mais sont tout de même revendiqués dans le brevet 808. Aucun autre composé énuméré dans le tableau 1 n’est cependant revendiqué dans le brevet 808. Au tableau 10 du brevet 808, les composés ayant des CI50 supérieures et inférieures à celles du donépézil sont inclus dans les revendications du brevet 808.

À partir des renseignements fournis aux tableaux 1 et 10, il est impossible d’évaluer les critères utilisés par les inventeurs désignés pour prédire les composés qui auraient ou non une utilité aux fins de l’invention.

En outre, une personne versée dans l’art ne pourrait pas prédire de façon valable à partir de la divulgation que le donépézil serait utile, compte tenu de son activité ou de sa sélectivité par rapport à celles des produits de l’art antérieur ou des composés non revendiqués.

Le tableau 2 du brevet 808 rend compte de l’activité prétendue du donépézil et du composé 15. Les tests pertinents ont été effectués ex vivo chez des rats auxquels on a administré les composés, lorsqu’ils étaient en vie et après leur euthanasie. Aucun détail n’a été fourni le nombre de rats utilisés pour ces tests, et rien n’indique si les résultats ont une signification statistique quelconque.

On ne mentionne pas dans le brevet si l’on a effectué des tests ou des comparaisons avec un témoin positif, c.‑à‑d. un composé connu pour avoir une activité anti‑acétylcholinestérase, ou avec un témoin négatif. Il n’y a pas moyen non plus d’évaluer la signification des résultats présentés ni de déterminer si les résultats sont significatifs. Seuls deux composés ont été testés et aucune analyse statistique n’a été dévoilée.

Au tableau 2, deux composés ont été testés, et la supériorité du donépézil ne peut être évaluée parce qu’aucune explication n’est fournie quant au seuil d’activité acceptable.

Le composé 15 est identifié plus loin dans le brevet 808 comme étant un composé représentatif de la présente invention (p. 54). Il n’est pas cependant visé par les revendications du brevet 808. Il n’est donc pas possible de discerner ce que les résultats du tableau 2 prétendent démontrer.

De toute façon, les résultats figurant au tableau 2 du brevet ne sont pas fiables parce que :

·         Le nombre de rats utilisés par dose testée n’est pas indiqué.

·         Aucune statistique n’est fournie, de sorte qu’il est impossible d’établir la signification des résultats, le cas échéant.

·         Aucun témoin positif n’a été utilisé pour comparer l’activité anti‑acétylcholinestérase des composés afin de déterminer quels composés seraient supérieurs à ceux de l’art antérieur.

·         La quantité d’acétylcholine dans le cerveau n’est pas mesurée.

Tableau 3 du brevet 808

Au tableau 3 du brevet 808, à la page 52, les inventeurs désignés font état d’une expérience où certains groupes de rats ont reçu un soluté physiologique alors que d’autres ont été traités par la scopolamine.

Aucun témoin positif ou négatif n’est mentionné dans le brevet 808. Par exemple, les inventeurs désignés n’ont pas fourni les résultats des tests où on a administré la scopolamine et un composé connu pour présenter l’activité étudiée ou un composé connu ou la scopolamine en l’absence d’un composé. Il est donc impossible de déterminer si les composés testés sont de fait supérieurs de quelque manière aux composés de l’art antérieur.

Le brevet 808 ne présente pas de courbe de dosage. Il n’y a pas de base adéquate de comparaison entre les composés indiqués, parce que les résultats ne s’appliquent pas le plus souvent aux mêmes gammes de doses d’un composé à l’autre. Seules deux doses sont signalées pour chaque composé. De plus, un effet dépendant de la dose ne peut être mesuré pour l’activité, et aucune tendance ne peut être établie. Une personne versée dans l’art ne pourrait déterminer, à partir des résultats présentés, à quel moment, le cas échéant, l’effet du composé plafonnera. L’activité relative ne peut donc être établi à partir des résultats indiqués au tableau 3.

Le brevet n’établit pas clairement ce que l’information dans le tableau 3 est censée démontrer.

On prétend que le composé 69 a une toxicité acceptable mais cela n’a pas été revendiqué dans le brevet 808.

Le composé 13 présente, à une dose de 0,25 mg/kg, un % d’inversion (c.‑à‑d. un taux de rétablissement) qui est très similaire à celui du donépézil (36 % v. 39 %).

Or, le composé 13 n’est pas visé par les revendications du brevet 808.

Une personne versée dans l’art qui examinerait le brevet 808 ne pourrait pas ainsi déterminer quelles qualités étaient censées rendre la prétendue invention utile.

Les inventeurs ne disent pas dans le brevet 808 si le but recherché est de comparer l’activité de ces composés avec celle des composés de l’art antérieur et non de comparer ces composés les uns par rapport aux autres. Qui plus est, il est impossible de déterminer la signification statistique, le cas échéant, des résultats dans le brevet 808 et de calculer l’erreur‑type, l’écart‑type ou tout intervalle de confiance pour les valeurs obtenues.

Par ailleurs, les composés ont été testés sur 10 à 17 rats. Cette différence dans le nombre « N » influe sur la marge d’erreur, problème qui est accentué par la variabilité inhérente des résultats provenant de tests chez des animaux vivants (Cf. analyse statistique dans, p. ex., Bohdanecky, Z. et Jarvik, M.E. (1967) Int. J Neuropharmacol. 6:217-222, intitulé Impairment of One-Trial Passive Avoidance Learning in Mice by Scopolamine, Scopolamine Methylbromide, and Physostigmine; Haroutunian, V., Kanof, P. et Davis, K.L. (1985) Life Sci. 37(10): 945‑952, intitulé Pharmacological Alkylation of Cholinergic Lesion Induced Memory Deficits in Rats).

Comme l’aurait compris une personne versée dans l’art, une importante marge d’erreur signifie que les résultats présentés pourraient se chevaucher et qu’il n’y aurait en fait aucune différence significative.

De plus, dans le brevet 808, les résultats du test d’évitement passif sont exprimés en pourcentage d’inversion. Ces résultats sont habituellement exprimés en temps de latence (en secondes) en fonction de la dose (mg/kg) (voir p. ex. Bohdanecky, Z. et Jarvik, M.E. (1967) Int. J. Neuropharmacol. 6:217-222, intitulé Impairment of One-Trial Passive Avoidance Learning in Mice by Scopolamine, Scopolamine Methylbromide, and Physostigmine; Haroutunian, V., Kanof, P. et Davis, K.L. (1985) Life Sci. 37(10): 945‑952, intitulé Pharmacological Alleviation of Cholinergic Lesion Induced Memory Deficits in Rats). Les inventeurs désignés se sont donc écartés de la méthodologie de présentation des résultats utilisée dans l’article qu’ils citent, ce qui entache encore davantage la fiabilité des résultats obtenus.

Si les résultats sont fiables, ce que nie Genpharm, les tests divulgués au tableau 3 peuvent tout au plus indiquer que la perte de mémoire induite par le médicament est évitée chez certains rats, observation qui ne peut être extrapolée à d’autres animaux, aux humains, ni à des états morbides comme tels. La perte de mémoire n’est pas une maladie en soi, mais seulement un des symptômes des maladies que les composés de la prétendue invention sont censés traiter ou prévenir.

Dans l’expérience décrite au tableau 3, il n’y a aucune comparaison entre les composés testés et les composés de l’art antérieur, de sorte qu’on ne peut prédire que les premiers sont plus efficaces que les composés de l’art antérieur qui ont prétendumément un effet insatisfaisant.

L’activité divulguée, même si elle est fiable, ne permet pas de faire une prédiction valable

Le brevet 808 promet que le composé de l’invention a une forte ou puissante activité anti‑acétylcholinestérase, et que cette puissante activité constitue le fondement de l’invention.

Pour les raisons exposées précédemment, la force ou la puissance d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase ne peut à elle seule établir l’utilité à des fins pharmaceutiques. De plus, certains pesticides et armes chimiques sont de puissants ou forts inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, mais on ne pourrait pas dire qu’ils ont une utilité pharmaceutique à cause de leurs effets extrêmement nocifs (voir, p. ex., Casida, J.E. (1964) Science 146:1011-1117, intitulé Esterase Inhibitors as Pesticides; Grob, D. et Harvey, J.C. (1957) J. Clin. Invest. 37:350.368, intitulé Effects in Man of Anticholinesterase Compound Sarin (Isopropyl Methyl Phosphonofluoridate); Sivam, S.P., Hoskins, B. et Ho, I.K. (1984) Fundamental and Applied Toxicology 4:531-538, intitulé An Assessment of Comparative Acute Toxicity of Diisopropylfluorophosphate, Tabun, Sarin, and Soman In Relation to Cholinergic and Gabaergic Enzyme Activities in Rats.

L’utilité thérapeutique de l’invention ne pouvait donc être prédite de façon valable en se basant sur le degré d’activité du produit.

De toute façon, le donépézil, comme inhibiteur de l’acétylcholinestérase, est en fait moins actif que la physostigmine qui, selon les inventeurs désignés, exercent un effet insatisfaisant (voir, p. ex., Yamanishi,Y., Ogura, H. et Kosasa, T. Araki S., Sauma, Y. et Yamatsu, K. (1990) Advances in Behavioral Biology 2:409-413, intitulé Inhibitory action of E2020, A Novel Acetylcholinesterase lnhibitor, on Cholinesterase. Comparison with Other Inhibitors; Costagli, C. et Galli, A. (1998) Biochemical Pharmacology 55:1733-1737, intitulé Inhibition of Cholinesterase-Associated Aryl Acylamidase Activity by Anticholinesterase Agents: Focus on Drugs Potentially Effective In Alzheimer’s Disease; Ogura, H., Kosasa, T., Kuriya, Y. et Yamanishi, Y. (2000) Methods Find Exp. Clin. Pharmacol. 22(8):609-613, intitulé Comparison of Inhibitory Activities of Donepezil and Other Cholinesterase Inhibitors on Acetylcholinesterase and Butyrylcholinesterase In Vitro; Sugimoto, H., Iimura, Y., Yamanishi, Y. et Yamatsu, K. (1995) J. Med. Chem. 38(24):4821-4829, intitulé Synthesis and Structure-Activity Relationships of Acetylcholinesterase Inhibitors; 1-Benzyl-4-[(5,6-Dimethoxy-1-Oxoindan-2-Y1)Methyl]Piperidine Hydrochloride and Related Compounds).

Les inventeurs désignés déclarent que le composé de la prétendue invention a une « activité persistante », mais ne définissent pas ce qu’ils entendent, et rien dans le brevet 808 corrobore une prédiction que la prétendue invention aurait une activité persistante. Si l’on présume que « l’activité persistante » est synonyme d’« effets durables », de telles études auraient pu être effectuées, au même titre que celles qui ont été réalisées sur d’autres composés aux dates pertinentes (voir, p. ex., Mattio, T., Mcllhany, M., Giacobini, E. et Hallak, M. (1986) Neuropharmacology 25:1167-1177, intitulé The Effects of Physostigmine on Acetylcholinesterase Activity of CSF, Plasma and Brain. A Comparison of Intravenous and Intraventricular Administration in Beagle Dogs; Hallak, M. et Giacobani, E. (1986) Neurochern. Res. 1 1:1037-48, intitulé Relation of Brain Regional Physostigmine Concentration to Cholinesterase Activity and Acetylcholine and Choline Levels in Rat). Le brevet 808 ne décrit aucune étude de ce type.

Par conséquent, il n’y a pas de fondement factuel pour un raisonnement valable menant à la prédiction de l’utilité promise, basée sur l’activité ou l’effet persistant.

Aucune donnée divulguée sur la sélectivité

Le brevet 808 signale que le composé de la présente invention a une « activité anti‑cholinestérase très sélective, qui rend le composé de la présente invention utile également comme produit pharmaceutique à cause de ce type d’activité » (brevet 808, p. 54, lignes 20‑24).

Le brevet 808 ne définit pas ce qu’on entend par « sélectivité ». Les inventeurs désignés peuvent vouloir dire, par exemple, que le produit peut inhiber sélectivement différents types de cholinestérases ou être sélectif pour un tissu. Il n’y a cependant aucun renseignement dans le brevet qui étaye une prédiction de sélectivité, peu importe la façon dont celle‑ci est définie.

Les mammifères, y compris les humains, possèdent deux principales formes de cholinestérases, à savoir l’acétylcholinestérase et la butyrylcholinestérase, qui sont présentes dans une multitude de tissus (voir, p. ex., Silver, A. (1974) 596 pages, publié sous la direction de Neuberger, A. et Tatum E.L., Elsevier, Amsterdam, intitulé The Biology of Cholinesterases: Frontiers of Biology 36; Edwards, J.A. et Brimijoin, S. (1982) Journal of Neurochemistry 38:1393-1403, intitulé Divergent Regulation of Acetylcholinesterase and Butyrylcholinesterase in Tissues of the Rat).

Aux dates pertinentes, il était possible de distinguer l’activité relative de chacune de ces enzymes. La sélectivité de certains inhibiteurs de la cholinestérase a été étudiée et a fait l’objet de rapports (voir, p. ex., Edwards, J.A, et Brimijoin, S. (1982) Journal of Neurochemistry 38:1393-1403, intitulé Divergent Regulation of Acetylcholinesterase and Butyrylcholinesterase in Tissues of the Rat; Mack, J.R. , Perry, E.K., Bonham, J.R., Candy, J.M. et Perry, R.H. (1986) Journal of Neurochemistry 47:263-277, intitulé Molecular Forms of Acetylcholinesterase and Butyrylcholinesterase in the Aged Human Central Nervous System; Bhattacharyya, B., Flynn, J.R., Cannon, J.G. et Long, 12. (1986) European Journal of Pharmacology 132:107-114, intitulé Anticholinesterase Activity and Structure Activity Relationships of New Series of Hemicholinium-3 Analogs; Becker, R., Giacobini, E., Elble, R., McIlhany, M. et Sherman, K. (1988) Acta. Neurol. Scand. Suppl. 116:19-32, intitulé Potential Pharmacotherapy of Alzheimer Disease. A Comparison of Various Forms of Physostigmine Administration; Grob, D., Lilienthal, J.L., Harvey, A.M., Jones B.F. (1947) Bull Johns Hopkins Hosp 81:217-244, intitulé The Administration of Di-lsopropylfluorophosphate (DFP) To Man. I. Effect on Plasma and Erythrocyte Cholinesterase - General Systemic Effects - Use in Study of Hepatic Function and Erythropoiesis - and Some Properties of Plasma Cholinesterase; Bowers, M.B., Goodman, E. et Sim, V.M. (1964) J. Nerv. Ment. Dis. 138:383-389, intitulé Some Behavioral Changes in Man Following Anticholinesterase Administration; Silver, A. (1974) 596 pages, publié sous la direction de Neuberger. A. et Tatum E.L., Elsevier, Amsterdam, intitulé The Biology of Cholinesterases: Frontiers of Biology 36).

Dans le brevet 808, il n’y a aucun résultat concernant la butyrylcholinestérase. On ne peut dire si les composés de la prétendue invention sont très sélectifs parce qu’il n’y a pas de comparaison entre l’inhibition de l’acétylcholinestérase et l’inhibition de la butyrylcholinestérase ni aucun fondement pour faire une telle prédiction.

Un composé peut être également considéré comme sélectif si son activité vise des tissus particuliers du corps. Le seul tissu étudié et mentionné dans le brevet 808 est le tissu cérébral. On ne peut donc dire que les composés de la prétendue invention ont une grande sélectivité tissulaire, et il n’y a aucun autre fondement pour faire une telle prédiction.

De toute façon, la sélectivité n’offrait pas d’avantage connu pour le traitement de la maladie d’Alzheimer ou de la démence sénile aux dates pertinentes ni ne présente actuellement un avantage.

Par conséquent, la sélectivité alléguée de la prétendue invention ne pouvait être prédite de façon valable, vu l’absence de fondement factuel. De plus, l’utilité thérapeutique pour contrer certaines maladies n’aurait pas pu être prédite de façon valable à partir de la sélectivité, si les inventeurs avaient divulgué un fondement factuel pour la sélectivité.

Aucune donnée fournie sur la toxicité

La toxicité est un aspect important lorsqu’on évalue l’utilité, en particulier lorsqu’on sait que des composés qui agissent sur l’acétylcholinestérase sont utilisés comme des pathogènes.

Pour avoir une utilité pharmaceutique, les composés de l’invention doivent avoir un profil de toxicité acceptable. À la date de priorité, la toxicité des composés pharmaceutiques était souvent exprimée en DL50 de X mg/kg. Les inventeurs désignés affirment que le composé de l’invention a une toxicité de 100 mg/kg chez les rats mais n’expliquent pas comment cette toxicité a été mesurée.

Cette valeur de 100 mg/kg ne correspond pas cependant aux valeurs de la DL50 signalées dans la monographie de produit d’Aricept, qui fait état de DL50 de 45,2 mg/kg et de 48,1 mg/kg chez les souris mâles et femelles, respectivement, pour l’administration par voie orale, de 3,7 mg/kg et de 4,8 mg/kg chez les souris mâles et femelles pour l’administration par voie i.v., de 36,9 mg/kg et de 32,6 mg/kg chez les rats mâles et femelles, respectivement, et de 8,0 mg/kg et 7,6 mg/kg chez les rats mâles et femelles par voie i.v.

D’un autre côté, si la toxicité de I00 mg/kg est considérée comme la dose la plus faible par unité de poids corporel ayant entraîné la mort, c.‑à‑d. la DLmin., alors la valeur de 100 mg/kg ne correspond pas aux valeurs de la DLmin. dans la monographie de produit d’Aricept, où l’on dit que : « l’administration de doses égales ou supérieures à 29,6 mg/kg par voie orale et à 3,5 mg/kg par voie i.v. a été létale pour les souris. Chez le rat, les doses létales ont été respectivement de 28,9 mg/kg et de 7,7 mg/kg ».

La toxicité signalée dans le brevet 808 n’est donc pas exacte et ne fournissait pas un fondement valable pour prédire que le donépézil avait une toxicité faible ou acceptable.

De plus, le brevet 808 ne permet pas de comparer l’innocuité des composés revendiqués avec celle des composés de l’art antérieur. Il n’y a par conséquent aucun fondement factuel pour prédire que le donépézil aurait un bon profil d’innocuité ou un meilleur profil d’innocuité que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase de l’art antérieur.

Un index thérapeutique ou un profil de toxicité aurait dû avoir été établi. Les valeurs de la DL50 des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase de l’art antérieur avaient déjà été calculées et signalées (voir, p. ex., Heyl, W.C. et Stitcher, D.L. (1980) Drug and Chemical Toxicology 3(3):319-332, intitulé Effects of Carbamates on Whole Blood Cholinesterase Activity. Chemical Protection Against Soman; Becker, R.E. et Giacobini, E. (1988) Drug Development Research 12:163-195, intitulé Mechanisms of Cholinesterase Inhibition in Senile Dementtia of the Alzheimer Type: Clinical, Pharmacological, and Therapeutic Aspects; Sivam, S.P., Hoskins, B. et Ho, I.K. (1984) Toxicology 4:531-538, intitulé An Assessment of Comparative Acute Toxicity of Diisopropylfluorophosphate, Tabun, Sarin, and Soman In Relation to Cholinergic and Gabaergic Enzyme Activities in Rats, Fundamental and Applied).

Aucune autre utilité prédite de façon valable

Il est dit ce qui suit dans le brevet 808 : « Le composé de la présente invention a été découvert à cause de son activité anti‑acétylcholinestérase et, partant, est efficace pour le traitement et la prévention de diverses maladies qu’on pense être associées au déficit in vivo en acétylcholine, un neurotransmetteur. Citons comme exemples de telles maladies divers types de démence, dont la démence sénile de type Alzheimer […] » (brevet 808, p. 2, ligne 23 – p. 3, ligne 5).

Le brevet 808 ne présente aucun fondement permettant de prédire de façon valable le traitement ou la prévention de ces maladies ou d’autres maladies mentionnées dans le brevet. Dans le meilleur des cas, les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase peuvent atténuer certains symptômes ou retarder temporairement les effets de la maladie.

Le brevet 808 décrit « […] les avantages en ce qui concerne la fabrication de préparations pharmaceutiques en raison de sa puissante activité anti‑acétylcholinestérase, de la large marge entre ses effets principaux et ses effets secondaires, de son activité persistante, de sa grande hydrosolubilité, de son excellence stabilité, de son avantage à pouvoir être formulé en préparations, de sa grande biodisponibilité et de son excellente pénétration dans le cerveau » (brevet 808, p. 53, lignes 14‑21). Le brevet 808 ne dévoile pas cependant de faits pouvant étayer une prédiction valable de ces propriétés.



 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1118‑09

 

INTITULÉ :                                       PFIZER CANADA INC. et EISAI CO., LTD. (demanderesses) c. GENPHARM ULC, MYLAN PHARMACEUTICALS ULC et LE MINISTRE DE LA SANTÉ (défendeurs)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 26 et 27 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Shaughnessy

Andrew Bernstein

Asma Faizi

Nicola Mantini

(416) 865‑8171

 

POUR LES DEMANDERESSES

J. Brad White

Marcus Klee

Bryan Norrie

(613) 787‑1077

 

 

SANS COMPARUTION

 

POUR LA DÉFENDERESSE

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

 

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

 

Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

 



[i] Voir le dossier des demanderesses (DD), volume 11, onglet 14, affidavit de Raymond Bartus, page 3042, paragraphe 2.

[ii] Ibid., page 3048, paragraphe 21.

[iii] Ibid., page 3057, paragraphe 44.

[iv] Ibid., page 3059, paragraphe 48.

[v] Ibid., page 3062, paragraphe 56.

[vi] Ibid., page 3063, paragraphes 57 et 59.

[vii] Ibid., page 3067, paragraphe 68.

[viii] Ibid., page 3076, paragraphe 96.

[ix] Ibid., page 3077, paragraphe 101.

[x] Ibid., page 3080, paragraphe 107.

[xi] Ibid., page 3084, paragraphe 120.

[xii] Ibid., page 3085, paragraphe 122.

[xiii] Ibid., page 3088, paragraphes 129 à 131.

[xiv] Ibid., page 3092, paragraphe 142.

[xv] Ibid., page 3094, paragraphe 149.

[xvi] Ibid., page 3097, paragraphe 155.

[xvii] Ibid., page 3110, paragraphe 171.

[xviii] Ibid., page 3111, paragraphe 174.

[xix] Ibid., page 3112, paragraphe 177.

[xx] Ibid., page 3113, paragraphe 180.

[xxi] Ibid., page 3114, paragraphe 184.      

[xxii] Ibid., page 3117, paragraphe 193.

[xxiii] Voir DD, volume 12, onglet 15, affidavit en réplique de Raymond Bartus, page 3454, paragraphe 4.

[xxiv] Ibid., page 3455, paragraphes 5 et 6.  

[xxv] Ibid., page 3458, paragraphe 15.

[xxvi] Ibid., page 3459, paragraphes 19 et 20.  

[xxvii] Ibid., page 3459, paragraphes 21 à 23.

[xxviii] Voir DD, volume 12, onglet 16, page 3582, lignes 10 à 24.

[xxix] Ibid., page 3613, lignes 19 et 20.    

[xxx] Ibid., page 3614, lignes 13 à 17.

[xxxi] Ibid., page 3633, lignes 4 à 22.

[xxxii] Ibid., page 3655, lignes 11 à 16.

[xxxiii] Ibid., page 3730, lignes 14 à 24.

[xxxiv] Ibid., page 3750, lignes 3 à 9.

[xxxv] Ibid., page 3754, lignes 8 à 13.

[xxxvi] Ibid., page 3793, lignes 11 à 23.

[xxxvii] Voir DD, volume 13, onglet 17, pièce 9 du contre-interrogatoire de Raymond Bartus, page 4026.

[xxxviii]Voir DD, volume 13, onglet 16, contre-interrogatoire de Raymond Bartus, page 3799, lignes 19 à 24.

[xxxix] Ibid., page 3809, lignes 5 à 20.   

[xl] Ibid., page 3825, lignes 14 à 24.

[xli] Ibid., page 3827, lignes 13 à 15. 

[xlii] Voir DD, volume 14, onglet 18, affidavit de Kenneth Rockwood, page 4032, paragraphes 16 et 17.

[xliii] Ibid., page 4036, paragraphe 28.   

[xliv] Ibid., page 4037, paragraphe 31.

[xlv] Ibid., page 5038, paragraphe 33.

[xlvi] Ibid., page 4039, paragraphe 35.

[xlvii] Ibid., page 4039, paragraphe 36.

[xlviii] Ibid., page 4041, paragraphe 40.

[xlix] Ibid., page 4041, paragraphe 45. 

[l] Ibid., page 4044, paragraphe 53. L’affidavit porte [TRADUCTION] « pharmacologiquement  », mais il a été corrigé au cours du contre-interrogatoire du Dr Rockwood; voir DD, volume 14, onglet 20, contre-interrogatoire de Kenneth Rockwood, page 4227, lignes 20 à 22.    

[li] Ibid., page 4045, paragraphe 56.

[lii] Ibid., page 4046, paragraphe 58.

[liii] Ibid., page 4047, paragraphe 60.       

[liv] Ibid., page 4048, paragraphe 63.

[lv] Ibid., page 4052, paragraphe 76.

[lvi] Ibid., page 4053, paragraphe 80.

[lvii] Voir DD, volume 14, onglet 19, réplique de Kenneth Rockwood, page 4190, paragraphe 5.

[lviii] Ibid., page 4191, paragraphe 7.  

[lix] Ibid., page 4231, lignes 10 à 24.

[lx] Ibid., page 4248, lignes 18 à 23.

[lxi] Ibid., pages 4259 et 4260.

[lxii] Ibid., page 4269, lignes 11 à 16.  

[lxiii] Ibid., pages 4270 à 4273.

[lxiv] Ibid., page 4275, lignes 6 à 15.

[lxv] Ibid., pages 4292 à 4312.

[lxvi] Ibid., page 4313, lignes 17 à 21.

[lxvii] Ibid., pages 4348 et 4349, lignes 1 à 9.

[lxviii] Ibid., page 4355, lignes 2 à 4. 

[lxix] Voir DD, volume 15, onglet 22, affidavit en réplique d’Alan Kozikowski, page 4749, paragraphe 13.

[lxx] Ibid., page 4751, paragraphe 17.

[lxxi] Ibid., page 4751, paragraphe 19.

[lxxii] Ibid., page 4753, paragraphe 27.

[lxxiii] Voir DD, volume 16, onglet 28, contre-interrogatoire d’Alan Kozikowski, pages 4861 et 4862.

[lxxiv] Ibid., pages 4929 à 4964.

[lxxv] Ibid., pages 4963 et 4964.

[lxxvi] Voir DD, volume 17, onglet 24, affidavit de Michael McKenna, page 5013, paragraphe 34.

[lxxvii] Ibid., page 5014, paragraphe 35.

[lxxviii] Ibid., page 5014, paragraphe 37.

[lxxix] Ibid., page 5014, paragraphe 40.

[lxxx] Ibid., page 5017, paragraphe 48.

[lxxxi] Ibid., page 5020, paragraphe 54.

[lxxxii] Ibid., page 5021, paragraphes 57 à 59. 

[lxxxiii] Ibid., page 5023, paragraphe 65.

[lxxxiv] Ibid., page 5025, paragraphe 69. 

[lxxxv] Voir DD, volume 17, onglet 25, affidavit en réplique de Michael McKenna, page 5041, paragraphe 6.

[lxxxvi] Voir DD, volume 17, onglet 25, contre-interrogatoire de Michael McKenna, page 5046, lignes 16 à 21.

[lxxxvii] Ibid., page 5059, lignes 7 à 16.  

[lxxxviii] Ibid., page 5075, lignes 7 à 17; voir aussi ibid., page 5079, lignes 15 à 21. 

[lxxxix] Ibid., page 5082, lignes 1 à 11. 

[xc] Ibid., pages 5098 et 5099.

[xci] Ibid., page 5104, lignes 11 à 22.

[xcii] Ibid., pages 5106 et 5107.

[xciii] Ibid., page 5107, lignes 5 à 17. 

[xciv] Ibid., page 5123, lignes 5 à 10. 

[xcv] Voir DD, volume 31, onglet 36, affidavit de Robert Becker, page 9632, paragraphe 20.

[xcvi] Ibid., page 9635, paragraphe 30.

[xcvii] Ibid., page 9638, paragraphe 49.

[xcviii] Ibid., page 9639, paragraphe 51.

[xcix] Ibid., page 9639, paragraphe 53.

[c] Ibid., page 9640, paragraphes 55 et 56. 

[ci] Ibid., page 9640, paragraphe 57.

[cii] Ibid., page 9642, paragraphe 69.

[ciii] Ibid., page 9661, paragraphes 151 et 159.

[civ] Ibid., page 9642, paragraphe 71.

[cv] Ibid., page 9645, paragraphe 77.

[cvi] Ibid., page 9650, paragraphe 104.

[cvii] Ibid., page 9651, paragraphe 105. 

[cviii] Ibid., page 9651, paragraphes 106 à 111. 

[cix] Ibid., page 9653, paragraphe 114.

[cx] Ibid., page 9653, paragraphe 116.

[cxi] Ibid., page 9654, paragraphe 118.

[cxii] Ibid., page 9655, paragraphe 122.

[cxiii] Ibid., page 9660, paragraphe 147.

[cxiv] Ibid., page 9656, paragraphe 127.

[cxv] Ibid., page 9657, paragraphe 132.

[cxvi] Ibid., page 9658, paragraphe 135.

[cxvii] Ibid., page 9655, paragraphe 169.

[cxviii] Ibid., page 9668, paragraphe 180.

[cxix] Ibid., page 953, paragraphe 210.

[cxx] Ibid., page 8671, paragraphes 196 à 198.

[cxxi] Voir DD, volume 33, onglet 37, affidavit en réponse de Robert Becker, page 10196, paragraphe 8.

[cxxii] Ibid., page 10197, paragraphe 9.

[cxxiii] Ibid., page 10198, paragraphe 10.

[cxxiv] Ibid., page 10199, paragraphe 12.

[cxxv] Ibid., page 10200, paragraphe 15.

[cxxvi] Ibid., page 10201, paragraphe 22.

[cxxvii] Ibid., page 10202, paragraphe 23.

[cxxviii] Ibid., page 10201, paragraphe 27.

[cxxix] Ibid., page 10205, paragraphe 32.

[cxxx] Ibid., page 10206, paragraphes 34 et 35.

[cxxxi] Voir DD, volume 34, onglet 38, contre-interrogatoire de Robert Becker, pages 10488 et 10489.

[cxxxii] Ibid., pages 10491 et 10492.

[cxxxiii] Ibid., page 10495, lignes 2 à 8.

[cxxxiv] Ibid., pages 10496 et 10497.

[cxxxv] Ibid., pages 10515 et 10516. 

[cxxxvi] Ibid., page 10516, lignes 9 à 19.

[cxxxvii] Ibid., pages 10515 à 10517.

[cxxxviii] Ibid., pages 10519 et 10520.

[cxxxix] Ibid., page 10520, lignes 8 à 19.

[cxl] Ibid., pages 10521 et 10522.

[cxli] Ibid., page 10536, lignes 1 à 18.

[cxlii] Ibid., page 10560, lignes 4 à 19.

[cxliii] Ibid., page 10574, lignes 5 à 11.

[cxliv] Ibid., page 10583, lignes 1 à 7.

[cxlv] Ibid., page 10602, lignes 3 à 17.

[cxlvi] Ibid., page 10610, lignes 3 à 13.

[cxlvii] Ibid., pages 10678 et 10679.

[cxlviii] Ibid., pages 10683 et 10684.

[cxlix] Ibid., page 10726, lignes 12 à 15.

[cl] Ibid., page 10807, lignes 5 à 16.

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