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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110505

Dossier : T-958-10

Référence : 2011 CF 527

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

ODA KAGIMBI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 mai 2010 (la décision de l’arbitre), par l’arbitre de grief, maintenant le congédiement de Mme Oda Kagimbi (la demanderesse), survenu le 18 septembre 2007.

 

I.          Les faits

 

[2]               Le 23 décembre 2006, après avoir terminé une formation d’agent correctionnel d’une durée de treize semaines incluant deux semaines de stage, la demanderesse a accepté une offre d’emploi à durée indéterminée pour un poste d’agent correctionnel de classe et de niveau CX-01, à l’établissement pénitencier de Cowansville.

 

[3]               L’embauche est assujettie à une période de stage probatoire de douze mois qui commence le 19 décembre 2006. Après quatre semaines de travail, le superviseur immédiat de la demanderesse, M. Leduc, la rencontre et lui demande si elle est à l’aise dans son travail. Elle lui répond que non, puisqu’elle n’a pas encore occupé chacun des postes.

 

[4]               Une semaine plus tard, M. Leduc informe la demanderesse qu’elle doit reprendre sa formation avec un deuxième groupe. Au début du mois de février 2007, elle reprend son stage sous la supervision de M. Nicolas Matte, agent correctionnel. Une semaine après, elle est convoquée pour rencontrer la directrice adjointe de l’établissement en compagnie d’un surveillant, d’une représentante syndicale et d’une gérante d’unité. Un tract intitulé « L’énigmatique Oda », faisant référence à la demanderesse, a été distribué dans les véhicules de patrouille.

 

[5]               On précise alors à la demanderesse que le personnel souhaite enquêter pour harcèlement. On lui demande d’identifier les auteurs du tract, ce qu’elle n’est pas en mesure de faire. Durant cette rencontre, Mme Legault s’enquiert aussi du déroulement de la formation de la demanderesse, qui lui répond qu’elle arrive à trouver réponse à ses questions. A la fin de la rencontre, la directrice s’engage à informer la demanderesse des résultats de l’enquête sur le tract et de la revoir éventuellement à ce sujet. Aucun suivi sur les résultats de l’enquête n’a été effectué auprès de la demanderesse.

 

[6]               Au début du mois d’août 2007, le superviseur de la demanderesse lui remet une note de service l’informant qu’elle allait être rencontrée pour une évaluation de rendement au cours du mois de septembre. Cette note précise qu’on discutera des lacunes qui lui ont été signalées depuis le début de son embauche.

 

[7]               Le 17 septembre 2007, le superviseur de la demanderesse l’appelle sur la radio afin de l’informer qu’elle sera rencontrée par la directrice à 11h00 et qu’elle doit se faire accompagner par un représentant syndical. Mme Poisson, la directrice de l’établissement, est accompagnée de Susanne Legault, la sous-directrice. La demanderesse est accompagnée d’une représentante syndicale. La directrice remet à la demanderesse une évaluation négative, qu’elle lui demande de signer. La demanderesse signe l’évaluation, tout en cochant la case « désaccord avec le contenu » prévue à cet effet. La directrice lui remet ensuite une lettre confirmant son congédiement effectif à compter de midi cette même journée.

 

[8]               Le 18 septembre 2007, la demanderesse dépose, par l’entremise du syndicat, un grief à l’encontre du défendeur pour congédiement sans cause juste et suffisante. Un avocat représente initialement la demanderesse mais il se désiste avant les auditions sur le grief.

 

[9]               Le 24 février 2010, le défendeur fait parvenir à la demanderesse des rapports d’observation d’incidents sur lesquels se fonde son évaluation de rendement. La demanderesse soutient qu’elle ignorait l’existence de la plupart de ces rapports et des faits qui y sont rapportés. Elle souligne de plus qu’elle n’a jamais été rencontrée par un supérieur pour lui signifier un manquement ou une erreur relativement à ces rapports d’incidents. La demanderesse se représente seule aux audiences de son grief qui se sont déroulées du 8 au 11 mars 2010, devant l’arbitre Michèle A. Pineau.

 

A.        La décision contestée :

 

[10]           Dans sa décision, l’arbitre résume l’argumentation et les témoignages des deux parties. Elle rappelle que les dispositions de la législation applicables au congédiement en période de stage ne sont pas les mêmes que celles qui s’appliquent pour le congédiement d’une personne nommée pour une période indéterminée. Elle cite l’article 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, 2003, ch. 22 [LEFP], qui prévoit que l’administrateur général peut, à tout moment, licencier un employé en période de stage.

 

[11]           L’arbitre précise ensuite que la jurisprudence limite sa compétence à s’assurer que la décision de licenciement a été prise de bonne foi et pour un motif lié à l’emploi. Le fardeau incombe donc au fonctionnaire, soit en l’occurrence la demanderesse, de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a agi de mauvaise foi. L’arbitre rejette le grief au motif que la demanderesse n’a pas réussi à prouver la mauvaise foi.

 

B.        Les ordonnances demandées :

 

[12]           La demanderesse demande à la Cour de rendre les ordonnances suivantes :

a.       Annuler la décision arbitrale rendue le 19 mai 2010, par Michèle A. Pineau, dans le présent dossier.

b.      Réintégrer la demanderesse dans son emploi d’agent correctionnel (CX-01), avec tous ses droits et privilèges et notamment, le droit à une rémunération et aux avantages sociaux dont elle aurait bénéficié à partir du 17 septembre 2007.

 

c.       Condamner l’employeur à lui verser la somme de 20 000 $ à titre de dommages moraux incluant les intérêts et l’indemnité prévue par la loi.

 

À l’audience, le procureur de la demanderesse a amendé sa demande pour ne retenir que la conclusion visant l’annulation de la décision arbitrale. La Cour a accueillie cette demande d’amendement.

 

II.        Questions en litige

 

[13]           Les reproches formulés par la demanderesse à l’encontre de la décision soulèvent les trois questions suivantes :

 

a.         L’arbitre a-t-il commis des erreurs d’appréciation des faits ou des omissions justifiant l’intervention de la Cour?

 

b.         Les conclusions de l’arbitre étaient elles raisonnables compte tenu des faits et des éléments de preuve au dossier?

 

c.         L’arbitre a-t-il correctement interprété l’article 62(1) de la LEFP?


III.       Normes de contrôle applicables

 

[14]           La première question porte sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par l’arbitre qui possède une expertise en matière de relation de travail. La norme applicable est celle de la décision raisonnable :

Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à [page221] l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

 

[15]           La demanderesse a présenté la deuxième question comme touchant à la compétence de l’arbitre. Dans l’arrêt Lyndsay c Canada (Procureur général), 2010 CF 389 au para 36, le juge De Montigny rappelle qu’une véritable question de compétence ne se pose que lorsque le tribunal doit déterminer si les pouvoirs qui lui ont été conférés par le législateur lui donnent le droit de trancher une question. En l’espèce, il s’agit plutôt d’une question d’appréciation des faits et des éléments de preuve : la Cour doit déterminer si l’arbitre a tiré des conclusions qui étaient étrangères aux éléments de preuve présentés devant lui. La compétence de l’arbitre pour trancher les questions qui lui ont été soumises n’est pas à strictement parler remise en question. C’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

 

[16]           La troisième question en est une mixte de faits et de droit puisqu’elle porte sur l’application de l’article 62(1) de la LEFP aux faits de la présente affaire. La Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de l’interprétation de l’arbitre et c’est encore la norme de la décision raisonnable qui s’applique :

Il n'y a de question mixte de fait et de droit que lorsque la question de droit est inextricablement liée aux conclusions de fait. Dans bien des cas, l'organisme administratif détermine d'abord la règle applicable, puis l'applique. Circonscrire une règle de droit et en déterminer la teneur sont des questions de droit. Toutefois, l'application de la règle de droit aux faits est une question mixte de fait et de droit. La cour de révision qui se penche sur une question mixte de fait et de droit devrait manifester autant de déférence envers le décideur que le ferait une cour d'appel vis-à-vis d'une cour inférieure (Dunsmuir, au para164) et Canada (Attorney General) v Amos, 2011 FCA 38.

 

IV.       Analyse

 

QUESTION 1 : L’arbitre a-t-il commis des erreurs d’appréciation des faits  ou  omis de considérer des éléments de preuve qui justifient l’intervention de la Cour?

 

[17]           La demanderesse soutient que l’arbitre a commis des erreurs d’appréciation des faits et a omis certains éléments de preuve qui revêtent une importance majeure, ce qui vicie sa décision.

D’abord, l’arbitre affirme que M. Matte, qui a effectué la deuxième formation de la demanderesse et  lui a remis une évaluation négative, donnait de la formation depuis six ans alors que ce dernier ne travaillait au centre correctionnel que depuis deux ans. M. Matte a témoigné qu’il n’a pas reçu de formation et n’a pas été choisi par entrevue pour donner de la formation. C’est suite à la réception d’un courriel invitant les agents intéressés qu’il est devenu formateur. L’arbitre a omis d’en faire mention dans sa décision. L’arbitre aurait également erré lorsqu’elle a écrit que M. Leduc était le responsable de tous les surveillants de premier niveau alors que ce n’était pas le cas.

 

[18]           La demanderesse souligne aussi que l’arbitre ne mentionne pas un rapport dont elle conteste fortement le contenu et qui a été égaré. Sa prise en considération aurait discrédité le défendeur. L’arbitre aurait également omis de considérer le fait que plusieurs des rapports d’évènements qui remettent en cause les capacités professionnelles de la demanderesse ont été rédigés plusieurs jours, voir des semaines et des mois après les évènements alors que selon les éléments de preuve au dossier, ces rapports doivent habituellement être rédigés par les agents présents sur le lieu de l’incident avant la fin de leur quart de travail ou au plus tard, le lendemain.

 

[19]           La demanderesse prétend en outre que l’arbitre a omis de tenir compte de son témoignage selon lequel M. Matte avait fait de fausses affirmations et s’était aussi contredit. Elle reproche également à l’arbitre de ne pas avoir tenu compte de l’aveu de M. Leduc qu’il n’avait jamais rencontré la demanderesse pour l’informer du contenu des différents rapports qui blâmaient sa conduite et la qualifiait de non sécuritaire, et ce, parce qu’il n’avait pas eu le temps et était en vacances. L’arbitre aurait également ignoré l’aveu de M. Leduc qui a maintenu la demanderesse dans son emploi durant neuf mois malgré qu’il ait qualifié son comportement de non sécuritaire.

 

[20]           La demanderesse reproche également à l’arbitre d’avoir omis de souligner qu’il n’existait aucun élément de preuve pour établir que l’employeur avait effectué un suivi des rapports d’observation. L’arbitre aurait également omis de relever une erreur dans le témoignage de M. Leduc. Ce dernier affirme avoir demandé à la demanderesse qui était l’auteur du tract alors qu’il n’était même pas présent à la réunion où  l’on en a discuté. L’arbitre aurait aussi erré en indiquant que le deuxième rapport qui blâmait la demanderesse avait été produit à la demande du responsable des stagiaires, M. Boutin alors que M. Matte a témoigné avoir produit ce rapport à la demande de M. Leduc.

 

[21]           Le défendeur admet que M. Matte avait moins de six ans d’expérience comme formateur et que M. Leduc n’était pas le surveillant de tous les agents correctionnels, mais plutôt d’un petit groupe d’entre eux. Il reconnaît  également que M. Matte a produit le premier rapport de son propre chef et le second rapport à la demande de M. Leduc. Le défendeur soutient que ces erreurs n’ont pas d’importance et ne justifient pas l’intervention de la Cour car ces faits n’ont pas été déterminants dans la conclusion de l’arbitre que la demanderesse a fait défaut d’établir la mauvaise foi du défendeur.

 

[22]           Selon le défendeur, la décision ne se fonde pas sur des conclusions tirées de manière abusive ou arbitraire car elle prend en considération les éléments de preuve au dossier. Aucune des erreurs relevées, autant celles qu’il conteste que celles qu’il admet, n’ont une incidence sur la conclusion de l’arbitre à l’effet que le renvoi de la demanderesse était lié à l’emploi, qu’il ne s’agissait ni d’un subterfuge, ni d’une supercherie et qu’il n’avait pas été fait de mauvaise foi.

 

[23]           Le défendeur soutient également que l’arbitre a considéré tous les éléments de preuve devant lui et en a fait ressortir les éléments essentiels. Il n’avait pas l’obligation de faire référence à tous les éléments de preuve qui se trouvaient devant lui. Il affirme en outre que les parties soutenaient des versions contradictoires de certains faits. L’arbitre a décidé d’accorder plus de crédibilité à la version de l’employeur, ce qui ne constitue pas une erreur de fait. Le défendeur soutient de plus que certaines des prétendues erreurs ne constituent que des affirmations de la demanderesse non fondées sur des éléments de preuve. Le fait de ne pas prendre en considération ces affirmations ne peut être qualifié d’erreur. Par exemple, le défendeur admet qu’il n’a pas déposé d’éléments de preuve écrits pour démontrer le suivi des rapports d’observation, tout simplement parce que ces documents n’existent pas. L’arbitre n’a donc pas erré en ne mentionnant pas ces rapports.

 

[24]           L’article 62 de la LEFP se lit ainsi :

 

Renvoi

 

Termination of employment

 

62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

 

62. (1) While an employee is on probation, the deputy head of the organization may notify the employee that his or her employment will be terminated at the end of:

 

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

 

(a) the notice period established by regulations of the Treasury Board in respect of the class of employees of which that employee is a member, in the case of an organization named in Schedule I or IV to the Financial Administration Act, or

 

b) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par l’organisme distinct en cause dans le cas d’un organisme distinct dans lequel les nominations relèvent exclusivement de la Commission. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

(b) the notice period determined by the separate agency in respect of the class of employees of which that employee is a member, in the case of a separate agency to which the Commission has exclusive authority to make appointments, and the employee ceases to be an employee at the end of that notice period.

 

[25]           L’arbitre se devait de déterminer si le congédiement de la demanderesse était lié à l’emploi, qu’il ne s’agissait ni d’un subterfuge, ni d’une supercherie et qu’il n’avait pas été fait de mauvaise foi.

 

[26]           Le paragraphe 18.1(4) (d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R., 1985 ch F-7 énonce les circonstances dans lesquelles il est justifié pour la Cour d’intervenir :

 

Motifs

 

Grounds of review

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le

cas :

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal:

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

[27]           Dans la décision Bellavance c Canada (Développement des Ressources humaines), [2000] ACF no 1284 aux para 39 et 40, après un examen de la jurisprudence existante en semblable matière, le Juge Blais concluait que la Cour fédérale devait faire preuve de retenue face aux décisions des arbitres de grief :

 

La Cour suprême a également maintenu dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614 aux pages 661 et 662:

 

Il ressort que la Commission a pour raison d’être de résoudre les différends ouvriers-patronaux qui peuvent survenir entre le gouvernement fédéral et ses employés. Le domaine d’expertise de la Commission est dans le domaine des relations de travail entre le gouvernement fédéral et ses employés.

 

[...]

La Commission a obtenu des pouvoirs étendus ainsi que la protection d’une clause privative. Ses membres sont expérimentés et compétents dans le domaine des relations de travail. Le législateur a établi clairement que les conflits de travail, comme ceux qui se présentent en l’espèce, devaient être réglés par la Commission. La Cour ne devrait pas s’empresser d’intervenir.

 

 

[28]                       Dans l’arrêt Canada (P.G.) c Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941 au para 42, la Cour suprême explicitait les motifs pour lesquels les cours devaient se montrer déférentes à l’égard des décisions de la Commission :

 

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les cours de justice devraient faire preuve de retenue à l’égard des décisions rendues par la Commission dans les limites de sa compétence. En premier lieu, le législateur a, au moyen de la clause privative contenue dans la loi constitutive de la Commission, indiqué que la décision de celle-ci est définitive. En second lieu, il faut reconnaître que la Commission est composée d’experts parmi lesquels se trouvent représentés et les employés et le patronat. Ceux-ci sont conscients de la complexité des relations du travail et de la nécessité de maintenir entre les parties un équilibre délicat au bénéfice de la société. Dans bien des cas, le mérite de ces experts leur aura valu la confiance des parties. Or, chaque fois qu’une cour de justice modifie une décision d’un tribunal administratif, il y a perte de confiance de la part non seulement des parties qui doivent comparaître devant la Commission, mais aussi de la part de la collectivité en général. Par ailleurs, l’un des plus grands avantages qu’offre la Commission est la rapidité avec laquelle elle peut tenir une audience et rendre une décision. Si les cours de justice se mettaient à intervenir régulièrement dans les décisions de la Commission, la partie victorieuse serait toujours celle qui était le mieux en mesure d’attendre et de supporter le coût d’un litige à n’en plus finir. Le système judiciaire lui-même connaîtrait des retards inacceptables en raison de l’augmentation de la charge de travail qu’amènerait toute tentative de contrôle systématique.

 

[29]           La Cour fédérale a récemment réitéré qu’elle devait faire preuve de retenue face aux conclusions d’un arbitre de grief :

Les arrêts de la Cour suprême et la disposition privative de la LRTFP sont clairs : l’expertise des arbitres en matière de relations de travail dans la fonction publique exige une grande retenue de la part des cours de révision (Canada (Procureur général) c Pepper, 2010 CF 226 au para. 35).

 

En somme, pour que la Cour puisse intervenir, il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée à ses yeux, elle doit être clairement irrationnelle.

 

[30]           Dans sa décision, l’arbitre a pris en considération le témoignage de la demanderesse elle-même. Elle a aussi tenu compte des moyens que cette dernière a fait valoir à l’encontre du congédiement :

 

La fonctionnaire s’est défendue des incidents qui lui sont reprochés comme suit. Selon elle, l’affirmation voulant qu’elle semble manquer d’assurance est une affirmation gratuite. Au contraire, elle a souvent travaillé seule à certains postes, comme lors d’une patrouille, à la tour 2, au contrôle centre ou  à l’entrée principale. On n’a jamais reproché son travail. La fonctionnaire estime que la rencontre du 18 janvier 2007 a été sans conséquence, car M. Boutin lui a seulement demandé si elle était à l’aise aux différents postes de travail. Il n’a pas mentionné de manquements ou de points à améliorer, ni fixé de délais pour ce faire Quant au deuxième stage, la fonctionnaire a souligné qu’elle n’avait pas encore été assignée à tous les postes et donc ne pouvait  répondre à une telle question et elle n’a pas vraiment eu de choix que de suivre ce stage. Elle ne voyait pas l’opportunité de refaire un stage qu’elle avait déjà complété avec succès. La fonctionnaire a témoigné que les communications radio étaient souvent difficiles à comprendre en raison du bruit statique et des coupures dans les messages (…).(Décision de l’arbitre, aux para 15 et 16).

 

[31]           La décision de l’arbitre prend aussi en considération les témoignages des représentants de l’employeur soit celui de France Poisson, directrice de l’établissement de Cowansville, de Nicolas Matte, agent correctionnel ayant agi à titre de formateur auprès de la demanderesse et de Benoît Leduc, supérieur responsable de la demanderesse au moment de son congédiement. L’arbitre fait en outre référence à plusieurs éléments de preuves documentaires qui lui ont été soumis, tels que les rapports d’incidents et la lettre de congédiement. La décision résume également la position argumentative de chacune des parties.

 

[32]           L’arbitre conclut finalement que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer la mauvaise foi du défendeur de manière à ce qu’elle soit en mesure de lui donner compétence pour traiter de son grief :

 

En raison des circonstances de la présente affaire, j’ai conclu que la fonctionnaire n’a pas démontré que la décision de l’employeur de la licencier en période de stage a été prise de mauvaise foi. L’employeur a produit, tel qu’il le fallait, une preuve minimale que le licenciement était lié à l’emploi et non à un autre motif. (Décision de l’arbitre, au para. 67)

 

 

[33]           Suite à un examen attentif de la décision, la Cour constate qu’elle se fonde sur une analyse des éléments de preuve, des témoignages et des positions des parties. Le défendeur a reconnu certaines erreurs de l’arbitre. Lorsqu’on considère la décision dans son ensemble, rien ne nous permet de conclure que ces quelques erreurs alléguées par la demanderesse auraient réussi à faire pencher la balance de la décision en sa faveur.

 

[34]           Les parties ont également présenté une version contradictoire de certains faits. L’arbitre a choisi de retenir une version plutôt qu’une autre. Il n’appartient pas à la Cour d’y substituer sa propre appréciation. Quant aux omissions reprochées par la demanderesse, l’arbitre n’avait pas l’obligation de mentionner chacun des éléments de preuve, ni d’y référer. Il suffit qu’il ressorte clairement d’une lecture de la décision  que l’arbitre a considéré l’ensemble des éléments de preuve et c’est assurément le cas en l’espèce.

 

[35]           L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

QUESTION 2 : Les conclusions de l’arbitre étaient-elles raisonnables compte tenu des faits et des éléments de preuve au dossier?

 

[36]           La demanderesse prétend que l’arbitre a fondé sa décision sur des faits et des éléments de preuve extérieurs au dossier, ce qui constitue un excès de compétence. L’arbitre a écrit qu’elle avait demandé à M. Leduc du « temps pour mieux apprendre » (paragraphe 36 de la décision) alors qu’aucun témoignage ne faisait référence à cet état de fait et qu’en contre-interrogatoire, M. Leduc avait plutôt affirmé qu’il avait décidé de ne pas renvoyer la demanderesse tout de suite parce qu’il voulait lui donner une chance de se reprendre. Elle souligne également que l’arbitre mentionne un incident « d’inaction pour contrôler un détenu lors d’une escorte » (paragraphe 34 de sa décision), alors que cet incident n’a jamais été relaté dans aucun des témoignages. Dans sa décision, l’arbitre aurait également erronément affirmé que la demanderesse n’avait pas nié les faits qui lui étaient reprochés alors qu’elle a, dans les faits, nié les incidents se rapportant à certains rapports d’observation.

 

[37]           Le défendeur soumet que ces prétendues erreurs n’entachent aucunement la décision de l’arbitre et ne justifient pas l’intervention de la Cour. Le défendeur soutient par ailleurs que ces allégations d’erreurs sont, dans les faits, une mauvaise lecture de la décision par la demanderesse. Les phrases citées auraient été prises hors contexte et ne tiennent pas compte de l’ensemble du texte. Ces erreurs ne sont pas déterminantes et n’auraient pas modifié la décision de l’arbitre.

 

[38]           En l’absence d’une transcription de l’audience, la Cour ne peut déterminer si l’arbitre a effectivement commis une erreur quant au témoignage de M. Leduc au paragraphe 36 de sa décision. Même si c’était le cas, cette erreur à elle seule ne peut justifier l’intervention de la Cour puisqu’il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un élément déterminant de la décision.

 

[39]           La demanderesse allègue aussi que l’arbitre a erré en indiquant que « l’inaction pour contrôler un détenu lors d’une escorte » faisait partie des incidents décisifs qui avaient mené à sa décision de congédiement puisqu’il n’existe aucun élément de preuve au dossier pour établir ces faits.

 

[40]           Or, dans les rapports d’observation déposés en preuve, on décrit un incident au cours duquel la demanderesse accompagne un détenu pour une consultation médicale et fait défaut d’intervenir pour le calmer lorsque la situation s’envenime :

Lorsque le détenu s’agite, parle fort et se lève, celle-ci ne s’avance pas vers le local, ne parle pas au détenu pour essayer de le calmer et lorsqu’elle voit que la situation ne s’améliore pas, elle n’appel pas de renfort. J’ai donc appuyé sur mon alarme portative pour demandé de l’aide (Rapport d’observation ou déclaration d’un agent daté du 18 mai 2007).

 

[41]           Bien que la Cour constate que la description que l’on retrouve au paragraphe 34 de la décision soit vague et manque de précision, on ne peut conclure que la référence à cet incident soit pour autant fausse ou erronée. Il est raisonnable de conclure que c’est là l’incident auquel l’arbitre voulait référer.

 

[42]           Enfin, la demanderesse prétend que l’arbitre a erré en concluant que cette dernière « n’a pas nié les incidents qui lui sont reprochés » alors qu’elle nie en fait la survenance même de certains de ces incidents. Dans sa décision, l’arbitre conclut, au paragraphe 74:

 

Par ailleurs, la fonctionnaire n’a pas nié les incidents qui lui sont reprochés, mais plutôt leur interprétation. L’employeur dispose d’une grande marge de manœuvre quant à l’interprétation des faits puisqu’il est celui qui vivra avec les conséquences de sa décision. L’employeur n’a pas à être exact dans son interprétation des faits, en autant que ces faits soient réellement liés à l’emploi, au rendement ou à la conduite du fonctionnaire (…)

 

[43]           La Cour constate que l’arbitre a erré en écrivant que la demanderesse n’a pas nié les incidents alors que cette dernière affirme le contraire. En effet, l’arbitre écrit précisément dans sa décision que la fonctionnaire n’est justement pas d’accord avec les incidents retenus contre elle :

 

Tout d’abord, M. Leduc a demandé la production de rapports, mais n’a pas pris la peine de vérifier les faits de sorte que son évaluation des incidents a été arbitraire. (…). Les rapports étaient truffés d’affirmations gratuites et les incidents étaient exagérés. Le deuxième stage et les rapports qui ont suivi n’ont servi qu’à fonder la décision de l’employeur de la licencier. (…) Les rapports sur lesquels se fondent le licenciement ont été rédigés à son insu et elle n’a pas eu l’occasion de les contester ou de rétablir les faits. (…). La fonctionnaire a soutenu que les incident rapportés par certains employés n’étaient que du ouï-dire et ne lui ont jamais été communiqués. (…). La fonctionnaire a soutenu que l’affirmation de l’employeur qu’elle « semble manquer d’assurance » est un jugement de valeur qui n’est soutenu par aucun fait. La fonctionnaire n’est pas d’accord qu’elle requiert une supervision constante parce qu’elle travaille souvent seule pendant une patrouille, lorsqu’elle travaille à la tour au contrôle centre ou à l’entrée principale. (Décision de l’arbitre aux para 42, 43 et 44).

 

[44]           Malgré que l’arbitre présente ainsi la position de la demanderesse, elle affirme que cette dernière ne contestait pas, à proprement parler, les faits qui lui étaient reprochés. La Cour considère que cette erreur est fatale dans les circonstances car l’arbitre fonde ses motifs sur la prémisse erronée que la demanderesse ne contestait pas les incidents reprochés.

 

[45]           À la lecture de la décision, l’on constate que l’arbitre n’a pas jugé nécessaire d’évaluer la crédibilité de certains témoignages, ni de soupeser la force probante de certains éléments de preuve comme les rapports d’observation et le rapport de l’évaluation de rendement dans lesquels on retrouve les motifs et les incidents qui ont conduit au licenciement de la demanderesse. En fait, ces éléments de preuve documentaire décrivent, à propos de la demanderesse, son « incapacité à atteindre les objectifs attendus en ce qui concerne, notamment, la maîtrise de l’équipement sécuritaire, la maîtrise des postes sécuritaires, la capacité d’apprentissage ainsi que la capacité de réaction à un incident critique». L’arbitre ne se prononce pas sur le contexte dans lequel ces rapports ont été rédigés, ni sur le moment de leur rédaction ou sur les circonstances dans lesquelles ils ont été demandés aux employés.

 

[46]           La Cour n’a pas à déterminer quelle aurait dû être la conclusion de l’arbitre quant à la valeur de ces éléments de preuve à l’encontre de la demanderesse. L’arbitre aurait néanmoins dû prendre en considération les objections de la demanderesse quant aux contenus de ces éléments de preuve et en établir la force probante plutôt que de tout simplement prendre pour acquis leur bien fondé et leur contenu. Le défaut de tenir compte des objections de la demanderesse rend arbitraire la conclusion principale de l’arbitre à l’effet que « ces faits sont réellement liés à l’emploi, au rendement ou à la conduite du fonctionnaire ».

 

[47]           Ainsi, la conclusion de l’arbitre que la demanderesse n’a pas fait la démonstration requise pour faire droit à sa demande repose sur une erreur fondamentale, soit celle de considérer que la demanderesse admet la survenance de l’ensemble des incidents qui lui sont reprochés alors que tel n’est pas le cas. Cela constitue une erreur manifeste, qui remet en cause la raisonnabilité de la décision sous contrôle judiciaire et force l’intervention de la Cour.

 

[48]           Ayant répondu affirmativement à la deuxième question, il n’est pas nécessaire de traiter de la troisième question à savoir si l’arbitre a correctement interprété l’article 62(1) de la LEFP.

 

[49]           La Cour ne peut présumer de ce qu’aurait été la décision de l’arbitre n’eut été de cette erreur. Pour ces motifs, il y a lieu d’annuler la décision rendue le 19 mai 2010, par l’arbitre Michèle A. Pineau, et de renvoyer l’affaire devant un autre arbitre afin qu’il rende une nouvelle décision.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accordée. L’affaire est renvoyée devant un autre arbitre pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

Le tout avec dépens contre le défendeur.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-958-10

 

INTITULÉ :                                       ODA KAGIMBI

                                                                                                demanderesse

 

                                                            c

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               23 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      5 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aymar Missakila

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Anne-Marie Duquette

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aymar Missakila

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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