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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110415

Dossier : T-861-10

Référence : 2011 CF 449

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2011

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

 

STÉPHANE DESCHÊNES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 5 janvier 2010 par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le tribunal) refusant la demande de réexamen de la décision du comité d’appel qui avait refusé le droit à une pension au demandeur en vertu de l’article 21(2) de la Loi sur les pensions L.R.C., 1985, ch. P-6, pour une affection d’hémorroïdes.

 

[2]               Pour les raisons ci-dessous, la demande sera accueillie.

 

 

Faits

[3]               M. Deschênes (le demandeur) travaille pour les Forces régulières depuis 1988.

 

[4]               Il soumet sa demande le 18 novembre 2005 pour son affection d’hémorroïdes. Il soutient qu’elles ont été causées par la nature de son service en tant que fantassin et tireur d'élite. Dans l’exécution de ses tâches, il devait adopter certaines positions qui avaient comme conséquence d’augmenter la pression intra-abdominale favorisant ainsi le développement d’hémorroïdes.

 

[5]               Sa demande est refusée par un délégué du Ministre, en révision, par le comité d’appel du tribunal et en réexamen.

 

[6]               La question en litige devant les instances inférieures était celle de savoir si les fonctions militaires du demandeur avaient joué un rôle déterminant dans le développement de ses hémorroïdes.

 

 

Décision contestée

[7]               Le tribunal a révisé la décision du comité d’appel du 27 mai 2009 et a conclu qu'aucune erreur de droit et de fait n'avait été démontrée et en conséquence la demande en réexamen n'était pas justifiée.

 

 

[8]               Le tribunal s'est dit d'avis que le comité d'appel n'avait pas commis d'erreur en obtenant des renseignements supplémentaires après l'audience. En effet, ce dernier s'était servi en particulier de certains passages de texte médicaux soit, les documents Merck Manuel Home Edition (dossier du tribunal, volume 1, page 209) et l’Australian Statements of Principles (dossier du tribunal, volume 1, page 212) sur le site web afin d'expliquer les raisons pour lesquelles il estimait que le rapport du médecin spécialiste du demandeur, le  Dr Pierre Hallé, ne constituait pas une preuve crédible aux fins de l'octroi d'une compensation.

 

[9]               Malgré que le demandeur soulève plusieurs motifs de révision judiciaire, soit une erreur dans l’interprétation de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants, L.C. 1995, ch.18; une erreur en statuant que le comité d’appel avait outrepassé ses pouvoirs, la Cour croit qu’un seul est suffisant pour disposer du présent dossier. Il s'agit ici d’une brèche à l'équité procédurale ou d’un bris aux principes de justice naturelle.

 

[10]           Dans des cas semblables, la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Marshall Johnston c Canada (Procureur général) (2010) CF 348).

 

[11]           Dans le présent dossier, le demandeur avait produit un rapport médical de son gastro-entérologue, le Dr Hallé, qui mentionnait ceci « La revue des exercices détaillés qu’il nous a rapportée depuis 1993 confirme de nombreux exercices en position accroupie pendant plusieurs heures, augmentant la pression intra-abdominale et favorisant un prolapsus hémorroïdaire. La présence d’hémorroïdes internes a été confirmée lors d’une coloscopie courte effectuée au CHUL en janvier 2006, par la docteure Valéry Lemelin…. »

[12]            La conclusion du rapport du spécialiste se termine ainsi : « Les exigences de l'entraînement dans l’exécution des fonctions militaires de monsieur Stéphane Deschênes ont joué un rôle prépondérant dans le développement des hémorroïdes internes et des symptômes qui s'y associent.»

 

[13]           Le défendeur plaide que le comité d'appel était tout à fait justifié de consulter des sources externes soit le Merck Manuel Home Edition et l’Australian Statements of Principles afin de contredire et de mettre de côté le rapport médical provenant du spécialiste du demandeur. Cette justification est fondée sur deux arguments soit: la juridiction du comité d'appel de consulter d'autres sources que celles qui sont au dossier; le fait que d'autres éléments de preuve contemporains au dossier suggèrent que les hémorroïdes sont causées par d'autres facteurs y inclus la constipation.

 

[14]           La Cour ne peut pas cautionner ce raisonnement. Le défendeur a tout à fait raison lorsqu'il plaide que le comité d'appel peut consulter d'autres sources que celles qui sont au dossier. Cependant, avec respect, il ne peut pas se servir de cette preuve pour venir contredire un rapport médical d’un spécialiste comme c'est le cas en espèces, sans avoir donné l’opportunité au demandeur de faire des représentations additionnelles ou s’il le désire, obtenir un complément à la preuve médicale qu'il a déjà déposée.

 

[15]           La preuve ici démontre clairement que les sources externes ci-haut mentionnées consultées par le comité d'appel, n'ont pas été fournies au demandeur avant les décisions du 27 mai 2009 et celle du 5 janvier 2010.  On y a fait référence antérieurement mais de là à s'en servir pour déclarer que le rapport du Dr Hallé n'est pas crédible, ceci m’apparaît comme étant déraisonnable.

 

[16]           Selon la Cour, il aurait fallu au comité d'appel tout au moins d'annoncer clairement et de discuter avec le demandeur les sources externes sur lesquelles il voulait se baser avant de mettre de côté le rapport du gastro-entérologue, Dr Hallé, qui avait conclu que les hémorroïdes du demandeur étaient « très probablement reliées aux exercices qu'il a dû effectuer au cours de toutes ses périodes d'entraînement, surtout comme tireur d'élite ».

 

[17]           D'ailleurs, le Dr Hallé avait tenu compte des antécédents du demandeur dans son rapport d'expertise (affidavit de Stella Aucoin, volume 1, page 97). Pour émettre son opinion, le spécialiste ne s'était pas basé uniquement sur les dires du demandeur, mais avait consulté son dossier ainsi que  l’examen clinique fait par la docteure Lemelin.

 

[18]           La Cour ne prétend pas que le rapport du Dr Hallé ne peut pas être contredit, mais pour ce faire, il aurait fallu plus que de se référer à une source externe et conclure que la cause la plus évidente de l’affection du demandeur n’était pas celle déterminée par le Dr Hallé. Le défendeur aurait pu de son côté, s’il le désirait, obtenir une expertise contraire en vertu de l’article 38 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants.

 

[19]           L'intervention de la Cour est justifiée.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision du 5 janvier 2010 est annulée. Le dossier est retourné pour être réévalué par un différend comité du tribunal d'appel des anciens combattants. Le défendeur paiera des frais sous forme d'une somme globale pour un montant de 1,500 $ au demandeur.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE

 

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (L.C. 1995, ch. 18)

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

14. Le Tribunal et chacun de ses membres ont, pour l’exercice des fonctions que leur confie la présente loi, les pouvoirs d’un commissaire nommé au titre de la partie I de la Loi sur les enquêtes.

14. The Board and each member have, with respect to the carrying out of the Board’s duties and functions under this Act, all the powers of a commissioner appointed under Part I of the Inquiries Act.

38. (1) Pour toute demande de révision ou tout appel interjeté devant lui, le Tribunal peut requérir l’avis d’un expert médical indépendant et soumettre le demandeur ou l’appelant à des examens médicaux spécifiques.

Avis d’intention

 

(2) Avant de recevoir en preuve l’avis ou les rapports d’examens obtenus en vertu du paragraphe (1), il informe le demandeur ou l’appelant, selon le cas, de son intention et lui accorde la possibilité de faire valoir ses arguments.

38. (1) The Board may obtain independent medical advice for the purposes of any proceeding under this Act and may require an applicant or appellant to undergo any medical examination that the Board may direct.

Notification of intention

 

(2) Before accepting as evidence any medical advice or report on an examination obtained pursuant to subsection (1), the Board shall notify the applicant or appellant of its intention to do so and give them an opportunity to present argument on the issue.

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

 

 

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall:

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

 

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

 

Loi sur les enquêtes (L.R.C., 1985, ch. I-11)

 

4. Les commissaires ont le pouvoir d’assigner devant eux des témoins et de leur enjoindre de :

 

a) déposer oralement ou par écrit sous la foi du serment, ou d’une affirmation solennelle si ceux-ci en ont le droit en matière civile;

 

b) produire les documents et autres pièces qu’ils jugent nécessaires en vue de procéder d’une manière approfondie à l’enquête dont ils sont chargés.

4. The commissioners have the power of summoning before them any witnesses, and of requiring them to

(a) give evidence, orally or in writing, and on oath or, if they are persons entitled to affirm in civil matters on solemn affirmation; and

 

(b) produce such documents and things as the commissioners deem requisite to the full investigation of the matters into which they are appointed to examine.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-861-10

 

INTITULÉ :                                       Stéphane Deschênes

                                                            et le Procureur général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Frédéricton

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 avril 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Bertin Thériault

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Nicole Arsenault

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maître Bertin Thériault

Avocat Notaire

Shippagan (Nouveau-Brunswick)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Maître Myles J. Kirvan,

Sous procureur général du Canada,

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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