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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20110221

Dossier : T-2078-00

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2011

En présence de monsieur le juge Crampton

 

ENTRE :

 

 

BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY ET

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA INC.

 

 

demanderesses

 

et

 

 

APOTEX INC.

 

 

 

 

 

 

défenderesse

 

 

 

ORDONNANCE

 

(Requête : Ordonnance relative à la présentation de la preuve)

 

            VU LA REQUÊTE, en date du 4 février 2011, déposée au nom des demanderesses et visant le prononcé d’une ordonnance, en vertu des articles 274 et 275 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »), afin que les éléments de preuve relatifs à la contrefaçon, à l’occasion de l’instruction en l’espèce, soient présentés dans un certain ordre, malgré l’ordre de présentation des éléments de preuve relatifs à la validité;

 

ET APRÈS avoir lu les documents déposés par Bristol-Myers Squibb (BMS) et Apotex et après avoir entendu leurs observations orales;

 

ET APRÈS avoir tranché que la présente requête doit être accueillie pour les motifs suivants :

 

Aux fins de la présente requête, il est nécessaire que je détermine si le fardeau de la preuve convaincante incombera à BMS tout au long de l’instruction ou s’il sera transféré à Apotex, après que BMS aura démontré que la néfazodone et le chlorhydrate de néfazodone sont de nouveaux produits et qu’Apotex a fabriqué ou vendu de la néfazodone ou du chlorhydrate de néfazodone. En l’espèce, la pleine portée juridique de l’article 55.1 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, sera déterminée plus tard.

 

Pour le moment, étant donné que les conditions préalables à l’application de l’article 55.1 ne sont plus des questions « non réglées » entre les parties, je conclus que (i) l’article 55.1 s’applique, et que, (ii) à tout le moins, il prévoit un transfert du fardeau de la preuve à Apotex, afin qu’elle prouve que la néfazodone ou le chlorhydrate de néfazodone qu’elle peut avoir fabriqué ou vendu n’a pas été produit grâce au procédé décrit dans les lettres patentes canadiennes no 1 198 436 (le brevet 436). Il s’agit là d’un fardeau beaucoup plus lourd que de simplement devoir présenter certains éléments de preuve selon lesquels la néfazodone ou le chlorhydrate de néfazodone qu’elle peut avoir fabriqué ou vendu n’a pas été produit grâce au procédé décrit dans le brevet 436 (Apotex v. Tanabe Seiyaku & Nordic, [1994] O.J. No. 2613 (QL), au paragraphe 80, 59 C.P.R. (3d) 38; La Reine c. Proudlock, [1979] 1 RCS 525, à la page 548; voir aussi Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant et Michelle K. Fuerst, Sopinka, Lederman et Bryant : The Law of Evidence in Canada, 3e édition (Markham: LexisNexis, 2009), aux pages 149 et 195).

 

Dans cet esprit, et compte tenu du fait que les renseignements concernant les procédés (comme définis ci-dessous) se trouvent uniquement sous le contrôle d’Apotex et de ses fournisseurs, je suis convaincu qu’Apotex est tenue de présenter ses éléments de preuve concernant les procédés qu’elle a utilisés pour produire la néfazodone ou le chlorhydrate de néfazodone, qu’elle peut avoir fabriqué ou vendu (les « procédés »), avant que BMS n’ait à présenter des éléments de preuve à cet égard. Cette façon de procéder correspond mieux à l’esprit de l’article 55.1. Je suis d’avis que cela est également plus logique et plus sensé que d’exiger que BMS présente ses éléments de preuve sur cette question litigieuse avant qu’Apotex ne l’ait fait.

 

C’est particulièrement le cas compte tenu de la complexité des procédés. Ayant maintenant eu l’occasion de procéder à un premier examen de la preuve d’expert concernant les procédés, je suis convaincu que d’entendre les éléments de preuve dans l’ordre proposé par BMS me sera très utile pour mieux comprendre les procédés et les éléments de preuve présentés par les parties. Cela me permettra également de comprendre plus rapidement que dans le cas contraire. Je crains que d’exiger de BMS qu’elle présente sa preuve factuelle et d’expert concernant les procédés avant qu’Apotex n’ait présenté ses éléments de preuve à cet égard soit plus lourd et possiblement plus compliqué, et qu’il me soit beaucoup plus difficile de comprendre la preuve d’expert de BMS.

 

Je suis plutôt d’accord avec BMS qu’il serait assez inhabituel d’exiger de ses experts qu’ils se prononcent sur les éléments de preuve d’Apotex avant que la preuve factuelle et d’expert de cette dernière n’ait été consignée dans le dossier d’instruction. C’est particulièrement le cas compte tenu du fait que les rapports d’expert de BMS ont été présentés après ceux d’Apotex et qu’ils y ont répondu.

 

Exiger d’Apotex qu’elle présente la première sa preuve factuelle et d’expert en ce qui a trait aux procédés est tout à fait conforme à (i) l’ordre dans lequel les rapports d’expert ont été échangés entre les parties et (ii) à ce qui est expressément prévu dans l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch, en date du 18 mars 2010, laquelle a été confirmée par la juge Snider, dans l’ordonnance de cette dernière datée du 19 avril 2010.

 

A fortiori, refuser d’accorder à BMS l’occasion de présenter les rapports en réponse de MM. Wuest et Tsantrizos irait totalement à l’encontre des points (i) et (ii) précités. En effet, comme Apotex l’a reconnu au cours de l’audition de la présente requête, il serait « radical » de refuser que ces rapports en réponse soient présentés en preuve lors de l’instruction en l’espèce.

 

Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu qu’il s’agit d’une affaire où il est approprié que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 275 des Règles, pour modifier l’ordre de présentation de la preuve décrit à l’article 274 des Règles et pour rendre l’ordonnance exposée ci-dessous. La présente ordonnance permettra la détermination la plus juste et la plus rapide des questions litigieuses en jeu dans la partie des procédures concernant les allégations de contrefaçon de brevet des demanderesses.

 

Les principales décisions sur lesquelles s’est fondée Apotex sont différentes. En bref, Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Minister of Health) (1998), 82 C.P.R. (3d) 417, [1998] ACF no 961 (QL) (CAF) concernait (i) des procédures intentées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, tel qu’il a été modifié dans le DORS/98-166, et (ii) les Règles applicables aux demandes. Dans la décision Halford c. Seed Hawk Inc. (2003), 24 C.P.R. (4th) 220, 2003 CFPI 141 (CF 1re inst.), l’article 55.1 ne s’appliquait pas et il n’existait pas d’antécédents préalables à l’instruction approuvant l’échange de rapports d’expert dans l’ordre effectué en l’espèce et prévoyant la présentation de la preuve de la manière proposée par BMS. Dans l’arrêt Elders Grain Co. Ltd. c. Ralph Misener (Navire), 2005 CAF 139, 334 N.R 1, il a été conclu que les circonstances requises pour donner lieu à la présomption légale en litige n’existaient pas. En outre, cette présomption était substantiellement différente de celle énoncée à l’article 55.1, et l’appelante n’avait pas déposé un rapport de réfutation, comme l’exigent les Règles. Quant à la décision Merck & Co. Inc. et al v. Apotex Inc. et al, 2010 FC 1265, aucun élément de preuve n’a été présenté dans cette requête concernant le motif pour lequel les demanderesses, dans cette affaire, avaient présenté l’ensemble de leur preuve principale, bien qu’elles se soient fondées sur l’article 55.1. Je ne vois aucune incohérence entre les conclusions de la juge Snider dans cette décision et mes motifs pour accueillir la présente requête.

 

 

 

 

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

1.    La requête est accueillie avec dépens, payables à BMS, quelle que soit l’issue de la cause. L’ordre de la présentation de la preuve de contrefaçon, lors de l’instruction, sera comme suit :

 

a.    BMS présentera la preuve factuelle et d’expert qu’elle peut détenir pour démontrer que (i) la néfazodone et le chlorhydrate de néfazodone sont de nouveaux produits et (ii) qu’Apotex a fabriqué ou vendu de la néfazodone ou du chlorhydrate de néfazodone;

 

 

b.    Apotex présentera la preuve factuelle et d’expert qu’elle peut détenir pour démontrer que ses fournisseurs ont utilisé un procédé non contrefait pour fabriquer le chlorhydrate de néfazodone; et

    

 

c.     BMS répondra aux éléments de preuve décrits au paragraphe 1 (b) ci-dessus qu’Apotex peut présenter.

      

 

                                                                                                « Paul S. Crampton »

Juge

 

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