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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110211

Dossier : IMM-1564-10

Référence : 2011 CF 171

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2011

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

 

OLUREMI ESTHER AKINMAYOWA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 10 juin 2009, par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente dans la catégorie d’époux ou conjoint de fait au Canada de la demanderesse, du fait qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse satisfaisait aux exigences de l’article 4 et de l’alinéa 124(a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), à savoir que la demanderesse et son répondant vivaient ensemble, et que leur mariage était authentique et ne visait pas principalement l’immigration.

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Nigeria âgée de 58 ans. Elle a trois enfants au Nigeria. Elle est entrée seule au Canada le 25 juin 2002.

 

[3]               Le 23 août 2002, la demanderesse a présenté une demande d’asile sur la base qu’elle était victime de violence familiale de la part de son ex-conjoint au Nigeria. Le 10 novembre 2004, dans une décision motivée, la Commission a rejeté cette demande au motif que la demanderesse manquait de crédibilité.

 

[4]               La demanderesse a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi qui a aussi été rejetée.

 

[5]               Le 14 juin 2004, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente et a demandé une dispense des critères de sélection d’une demande présentée au Canada pour des circonstances d’ordre humanitaire (CH).

 

[6]               Le 7 janvier 2006, la demanderesse a épousé son répondant.

 

[7]               Le 1er décembre 2006, le répondant de la demanderesse a présenté une demande de parrainage dans la catégorie des époux au Canada pour le compte de la demanderesse. Le 10 juin 2009, cette demande a été rejetée après un examen de celle-ci et de la preuve documentaire ainsi qu’une entrevue que l’agent a eue avec la demanderesse et son répondant. Le présent contrôle judiciaire vise le rejet de cette demande.

 

[8]               Le 19 février 2010, la demande CH de la demanderesse a été rejetée, car la demanderesse n’avait pas convaincu le décideur que sa situation était telle que les difficultés auxquelles elle serait exposée, si elle devait obtenir un visa de résidence permanente de la manière habituelle depuis l’extérieur du Canada, seraient inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Cela était directement lié au fait qu’on avait déjà conclu que le mariage n’était pas authentique et que la demanderesse et son répondant ne vivaient pas ensemble.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[9]               Le 10 juin 2009, l’agent a rejeté la demande de parrainage dans la catégorie des époux présentée au Canada par le répondant de la demanderesse pour le compte de celle‑ci. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse et son répondant vivaient ensemble, ni que leur mariage était authentique. L’agent a fondé cette conclusion défavorable quant à la crédibilité sur les nombreuses incohérences dans les réponses qu’ont données la demanderesse et son répondant lors de l’entrevue que l’agent avait eue avec eux.

 

[10]           L’agent a conclu ce qui suit :

[traduction]

Étant donné que la demanderesse et le répondant vivent ensemble depuis janvier 2006, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils eussent donné des réponses identiques aux questions et situations précitées, puisqu’ils vivent ensemble depuis maintenant trois ans. Ils n’ont pas non plus fourni suffisamment de documents valides pour prouver qu’ils vivent ensemble.

 

Compte tenu de l’ensemble des renseignements et des éléments de preuve précités, je ne suis pas convaincu que la demanderesse et le répondant vivent ensemble, ni que leur mariage est authentique; je crois plutôt que celui-ci n’a été conclu qu’à des fins d’immigration.

 

 

 

La nouvelle preuve déposée le 1er février 2011 lors de l’audience devant la Cour

 

[11]            Le 1er février 2011, lors de l’audience devant la Cour, l’avocat de la demanderesse a divulgué à la Cour une lettre, datée du 26 avril 2006, préjudiciable au cas de la demanderesse. Cette lettre, adressée aux Centres de traitement des demandes d’immigration à Mississauga et Vegreville et venant d’une source anonyme se donnant le nom de [traduction] « NIGÉRIANS/CANADIENS PRÉOCCUPÉS, TORONTO », déclarait ce qui suit (je paraphrase) :

1.      le mariage entre la demanderesse et son époux canadien [traduction] « ne devrait pas être examiné favorablement, étant donné son caractère illégal »;

2.      la demanderesse est mariée à un homme d’affaires réputé au Nigeria et [traduction] « aucun problème n’existe au sein de la famille ». Le récit dont dispose la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est [traduction] « fictif »;

3.      la demanderesse a arrangé ce mariage et elle a payé 8 000 $;

4.      il s’agit d’un [traduction] « mariage truqué » conclu à des fins d’immigration.

Cette lettre a été découverte par l’avocat de la demanderesse tout juste avant l’audience. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) avait d’abord envoyé le mauvais Dossier certifié du tribunal (le DCT) à la Cour. On n’a envoyé le bon DCT à la Cour que le 14 décembre 2010. À ce moment-là, l’avocat de la demanderesse était en vacances, en Afrique, et n’a eu connaissance de cette lettre que tout juste avant l’audience. On avait envoyé cette lettre à CIC en 2006, après que la demanderesse eut épousé son répondant, et avant que celui-ci n’ait présenté une demande de parrainage dans la catégorie des époux au Canada.

 

[12]           Puisque l’avocat du défendeur n’était pas au courant que la demanderesse utiliserait cette lettre comme une « preuve extrinsèque » de ce qui aurait amené l’agent à être partial à l’encontre de la crédibilité de la demanderesse relativement à son mariage, la Cour a permis au défendeur de déposer des observations écrites sur la question après l’audience, et à la demanderesse de répondre. La Cour a reçu et examiné ces observations additionnelles.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[13]           L’article 124 du Règlement spécifie quels étrangers peuvent être inclus dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada :

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes: 

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada; 

 

 

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada; 

 

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they 

 

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada; 

 

(b) have temporary resident status in Canada; and 

 

(c) are the subject of a sponsorship application.

 

 

[14]           L’article 4 du Règlement précise qu’un étranger n’est pas considéré comme un époux si le mariage n’est pas authentique et si celui-ci visait principalement l’acquisition d’un statut en matière d’immigration :

 4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas : 

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi

 

b) n’est pas authentique.

 

[...]

 4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership 

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or 

 

(b) is not genuine.

 

[...]

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           La présente demande soulève les questions suivantes pour examen :

1.      L’omission du défendeur de divulguer à la demanderesse la lettre datée du 26 avril 2010, de la part de [traduction] « NIGÉRIANS/CANADIENS PRÉOCCUPÉS, TORONTO », constitue-t-elle un manquement à la justice naturelle et au devoir d’agir équitablement?

2.      Sinon, compte tenu de la preuve, l’agent pouvait-il raisonnablement conclure que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique et que la demanderesse et son répondant ne vivaient pas ensemble?

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[16]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada a jugé que la première étape pour procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[17]           Les questions relatives à la justice naturelle et au devoir d’agir équitablement sont des questions de droit auxquelles s’applique la norme de la décision correcte : Kozak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, au paragraphe 44; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55 et 90; Khosa, précité, au paragraphe 43. Cependant, si le manquement est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice, ou si le résultat n’était pas différent après réexamen, elle n’invalide pas la décision : Khosa, précité, au paragraphe 43, Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.), Gale c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 13.  

 

[18]           Les questions de crédibilité et de l’authenticité d’un mariage ou d’une union de fait sont des questions de fait auxquelles s’applique la norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, ma décision dans Yadav c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 140, au paragraphe 50, et les autres décisions qui y sont citées.

 

[19]           En examinant la décision de l’agent selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit apprécier « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel », de même que la question de savoir si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

Première question :    L’omission du défendeur de divulguer à la demanderesse la lettre datée du 26 avril 2010, de la part de [traduction] « NIGÉRIANS/CANADIENS PRÉOCCUPÉS, TORONTO », constitue‑t-elle un manquement à la justice naturelle et au devoir d’agir équitablement?

 

[20]           La Cour conclut que l’omission du défendeur de divulguer à la demanderesse la lettre datée du 26 avril 2006, adressée à CIC de la part de [traduction] « NIGÉRIANS/CANADIENS PRÉOCCUPÉS, TORONTO », constitue un manquement à la justice naturelle et au devoir d’agir équitablement. Il ne fait aucun doute que la lettre inciterait l’agent, dès le début du processus décisionnel, à remettre en question la crédibilité de la demanderesse et de son époux. Il est bien établi en droit que, si la décision est fondée sur une preuve extrinsèque, celle-ci doit être divulguée au demandeur. De plus, les règles de la justice naturelle et du devoir d’agir équitablement signifient, en l’espèce, qu’on doit donner à la demanderesse l’occasion de voir la lettre qui allègue que son mariage est une fraude, afin que la demanderesse ait l’occasion d’y répondre avant que le décideur ne soit influencé par cette lettre.

 

[21]           Il se peut que cette lettre constitue une dénonciation légitime. La Cour est consciente de l’importance de telles lettres et comprend pourquoi elles doivent être anonymes. Cependant, les règles de la justice naturelle et du devoir d’agir équitablement obligent CIC à divulguer de telles lettres au demandeur concerné afin qu’il ait l’occasion d’y répondre avant qu’on ne se fonde sur celles-ci.

 

[22]           L’obligation de divulguer une preuve extrinsèque sur laquelle un décideur s’est basé dans le cadre d’un processus en immigration a été examinée dans Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a fait la déclaration suivante en tenant compte du droit commun :

 

Les principes applicables à la divulgation de la preuve dont l'intéressé n'a pas connaissance ont été énoncés par le juge Dickson dans l'arrêt Kane, précité, aux pages 1115 et 1116 : 

 

[...] chaque partie à une affaire a le droit d'être informée des éléments de preuve qui ont trait à la décision et de faire valoir ses arguments à leur égard [...]

 

 

[23]           Dans Mancia, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’est pas nécessaire de divulguer au demandeur des documents du domaine public relatifs aux conditions générales en vigueur dans un pays afin de s’acquitter du devoir d’agir équitablement. Cette exception ne s’applique pas en l’espèce. La lettre en question était une preuve extrinsèque dont la demanderesse ignorait l’existence, et il incombait donc au décideur de lui donner l’occasion d’y répondre.

 

[24]           En l’espèce, l’agent n’a pas accordé de poids ni de crédibilité à la preuve documentaire démontrant que le mariage de la demanderesse avec son répondant était authentique et que ceux-ci vivaient ensemble dans un appartement. L’agent, après avoir interrogé la demanderesse et son époux‑répondant canadien séparément, a relevé des divergences dans certaines des réponses que ceux-ci ont respectivement données à la même question. La Cour a examiné les notes de l’agent relatives à ces entrevues et a conclu que certaines de ces « divergences » pouvaient être caractérisées comme n’en étant pas, et que la grande majorité des réponses données lors des deux entrevues étaient cohérentes et identiques. L’agent n’a accordé aucun poids à ces réponses cohérentes. La « lettre de dénonciation » a donc sans aucun doute influencé l’agent, comme elle l’aurait fait pour n’importe qui.

 

[25]           La Cour ne peut donc pas être convaincue que le manquement à la justice naturelle et au devoir d’agir équitablement n’avait pas pu avoir d’impact sur l’issue de la décision du défendeur. Si l’agent n’avait pas préconçu que le mariage était une fraude confidentiellement divulguée à CIC, il aurait peut-être accordé plus de poids à la preuve documentaire étayant le caractère authentique du mariage et de la cohabitation, ainsi qu’aux réponses cohérentes données aux questions lors des entrevues.

 

[26]           La Cour conclut ainsi qu’il y a eu manquement à la justice naturelle et au devoir d’agir équitablement. La deuxième question en litige ne sera donc pas examinée.

 

QUESTION EN VUE DE LA CERTIFICATION

[27]           Les parties ont avisé la Cour que la présente affaire ne soulevait aucune question grave de portée générale en vue de la certification pour un appel. La Cour est d’accord.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que:

1.         la demande de contrôle judiciaire soit accueillie;

2.         la décision de l’agent d’immigration, datée du 10 juin 2009, soit annulée;

3.         la demande de résidence permanente de la demanderesse et la demande de parrainage soient renvoyées à un autre agent d’immigration pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire, avec directive que la demanderesse puisse déposer des observations additionnelles en réponse à la lettre datée du 26 avril 2006, de même que d’autres documents relatifs à l’authenticité du mariage et de la cohabitation.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1564-10

 

INTITULÉ :                                       Oluremi Esther Akinmayowa c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                             LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 11 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hamza Kisaka

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mahan Keramati

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hamza Kisaka

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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