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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110202

Dossier : T-233-10

Référence : 2011 CF 118

Ottawa (Ontario), le 2 février 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

LE MASSIF INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

STATION TOURISTIQUE MASSIF DU SUD (1993) INC.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’appel, présentée en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R., 1985, ch. T‑13 (la Loi), d’une décision rendue le 9 décembre 2009 par un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) rejetant la demande d’enregistrement de la marque de commerce déposée par la demanderesse.

 

[2]               Au début de l’audience, j’ai fait remarquer aux parties que l’acte introductif d’instance était irrégulier, en ce qu’il y est indiqué qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et suivants de la Loi sur les Cours fédérales (LCF) et non d’un appel conformément au paragraphe 56(1) de la Loi et à la règle 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Il est toutefois utile de noter que dans leurs mémoires respectifs, les parties ont bien identifié l’instance comme étant un appel de la décision de la Commission et non comme une demande de contrôle judiciaire, qui aurait d’ailleurs été irrecevable en vertu de l’article 18.5 de la LCF. Le procureur de la demanderesse a fait une requête orale fondée sur les règles 56 et 57 des Règles et le procureur de la défenderesse ne s’est pas opposé à la requête.

 

[3]               La règle 57 des Règles prévoit que : « La Cour n’annule pas un acte introductif d’instance au seul motif que l’instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d’instance. » Il s’agit clairement d’un cas où, à mon sens, la règle 57 doit s’appliquer. Une situation similaire s’était produite, quoique dans un contexte différent, dans Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 174, 120 A.C.W.S. (3d) 567, et la juge Snider avait permis que la demande de contrôle judiciaire soit modifiée en appel. Tel que je l’ai indiqué lors de l’audience, la demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse dans la présente instance est donc modifiée en appel interjeté contre la décision rendue par la Commission le 9 décembre 2009, et l’intitulé est modifié pour y radier le registraire des marques de commerce à titre de défendeur.

 

Contexte

[4]               Le Massif inc. (la demanderesse) exploite une station de ski dans la région de Charlevoix. La preuve révèle que la demanderesse a été constituée en personne morale en 2002 et qu’elle a acquis l’entreprise exploitée sous le nom commercial le Massif au cours de l’année 2002. La preuve révèle également qu’avant 2002, la station de ski était exploitée par la Société de développement du Massif de Petite‑Rivière‑Saint‑François.

 

[5]               Le 31 mars 2004, la demanderesse a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce « LE MASSIF » basée sur son emploi de ce nom au Canada, et ce, depuis au moins 1982, afin d’offrir des marchandises et des services reliés à l’exploitation d’une station touristique de ski. Le 5 mai 2004, la demanderesse a demandé l’examen accéléré de sa demande. La demande d’enregistrement a été publiée dans le Journal des marques de commerce le 1er septembre 2004.

 

[6]               Le 28 janvier 2005, la société Station Touristique Massif du Sud (1993) inc. (la défenderesse) a produit une déclaration d’opposition fondée sur les motifs suivants :

  • La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30a) de la Loi parce qu’elle ne renferme pas un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises ou services spécifiques en liaison avec lesquels la marque a été employée ;
  • La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi en ce que la marque de commerce dont l’enregistrement est demandé n’a pas été employée au Canada par la demanderesse depuis 1982, comme elle l’affirme dans sa demande d’enregistrement ;
  • La marque de commerce n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, parce que la marque dont l’enregistrement est demandé « décrit un caractère qui est souvent associé aux marchandises et services décrits dans la demande, à savoir, le mot « massif » est un terme qui désigne dans l’industrie touristique en général des produits ou des services reliés aux activités tenues en montagne tels, par exemple, le ski alpin, le surf des neiges, la randonnée pédestre ou d’autres sports et loisirs d’extérieur »;
  • La marque de commerce est une marque dont l’article 10 de la Loi interdit l’adoption ;
  • La marque de commerce n’est pas distinctive des marchandises et services mentionnés dans la demande (paragraphe 38(2) et article 2 de la Loi).

 

[7]               Les parties ont par la suite déposé leur preuve respective, de même que la transcription de certains contre‑interrogatoires des auteurs d’affidavits. La défenderesse a également produit un plaidoyer écrit.

 

[8]               Après avoir tenu une audience, la Commission a rendu une décision le 9 décembre 2009 par laquelle elle a accueilli l’opposition de la défenderesse fondée sur la non‑conformité à l’alinéa 30b) de la Loi et a repoussé la demande d’enregistrement de la demanderesse. La Commission a jugé que la demande d’enregistrement n’était pas conforme à l’alinéa 30b) de la Loi parce qu’elle ne faisait pas état de l’emploi de la marque par le prédécesseur en titre de la demanderesse au cours de la période revendiquée, soit depuis au moins 1982.

 

[9]               La Commission a également refusé d’accepter l’affidavit de Jean‑Luc Brassard, porte‑parole de la station de ski, comme preuve d’expert. La Commission a jugé que M. Brassard, dont l’affidavit contenait son opinion quant à la notoriété et au caractère distinctif de la marque, n’était pas un expert en marques de commerce, en marketing ou en toute autre matière lui permettant de donner l’opinion qu’on lui avait demandée. Même si la Commission lui avait reconnu cette expertise, elle n’aurait pas retenu son opinion parce que M. Brassard ne possédait pas l’indépendance nécessaire pour formuler une opinion en tant que témoin expert, puisqu’il travaillait pour la demanderesse depuis 2005.

 

Les questions en litige

[10]           Les reproches formulés par la demanderesse à l’encontre de la décision de la Commission soulèvent les deux questions suivantes :

1)         La Commission des oppositions a‑t‑elle fondé sa décision sur un motif d’opposition qui n’avait pas été invoqué par la défenderesse lors de son opposition et, le cas échéant, a‑t‑elle excédé sa compétence ou rendu une décision déraisonnable ?

2)         La Commission des oppositions a‑t‑elle erré en décidant de ne pas retenir le témoignage de M. Brassard en tant qu’expert ?

 

[11]           Pour les motifs qui suivent, je considère que la première question doit recevoir une réponse affirmative. Comme cette conclusion est déterminante quant à l’issue du présent appel, il n’est pas utile que je discute de la deuxième question en litige.

 

La norme de révision applicable

[12]           La défenderesse a soutenu qu’en l’absence de nouveaux éléments de preuve, la norme de révision que la Cour doit appliquer à l’égard de la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable, et elle a invoqué la décision Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145, 180 F.T.R. 99 [Brasseries Molson]. La demanderesse, qui n’avait pas traité de la norme de révision dans son mémoire, s’est déclarée en accord avec l’affirmation de la défenderesse.

 

[13]           Dans Brasseries Molson, le juge Rothstein a décrit comme suit la norme de contrôle qui doit s’appliquer à l’égard des décisions du registraire lorsqu’aucune preuve nouvelle n’est produite devant la Cour :

51        [...] Même s’il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d’un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l’objet d’une certaine déférence. Compte tenu de l’expertise du registraire, et en l’absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu’une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l’exactitude de la décision du registraire.

 

[14]           Avec égards, je considère que la première question en litige met en cause la compétence et les pouvoirs conférés par la Loi au registraire et que la décision de la Commission, qui agissait au nom du registraire, doit être révisée selon la norme de la décision correcte. Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême a décrit comme suit la norme de contrôle applicable aux questions de compétence, au par. 59 :

Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. […] La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14‑3 et 14‑6. […]

 

[15]           J’estime que ces principes doivent s’appliquer en l’espèce, même s’il s’agit d’un appel et non d’une révision judiciaire. Je tiens également à préciser que mes conclusions auraient été les mêmes si j’avais appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable.

 

Positions des parties

[16]           La demanderesse soutient que la Commission a fondé sa décision sur une non‑conformité à l’alinéa 30b) de la Loi autre que celle soulevée dans l’opposition de la défenderesse. Elle allègue qu’à l’appui de son opposition, la défenderesse a invoqué l’absence de preuve d’emploi de la marque depuis 1982 et non l’omission de la demanderesse d’avoir indiqué dans sa demande d’enregistrement l’emploi de la marque de commerce par son prédécesseur en titre. Le procureur de la demanderesse a insisté sur le fait que la défenderesse n’a jamais soulevé ni invoqué l’absence de mention du prédécesseur en titre de la demanderesse dans la demande d’enregistrement.

 

[17]           La demanderesse soutient que, ce faisant, la Commission a excédé sa compétence et outrepassé le pouvoir que lui confère la Loi en rejetant sa demande d’enregistrement pour un motif qui n’avait pas été soulevé dans la déclaration d’opposition.

 

[18]           La défenderesse soutient pour sa part que le motif d’opposition retenu par la Commission était inclus dans sa déclaration d’opposition et qu’il a été soulevé de manière satisfaisante et détaillée. La défenderesse soutient que son opposition fondée sur la non-conformité à l’alinéa 30b) de la Loi comportait deux volets : le défaut d’avoir mentionné le prédécesseur en titre dans la demande d’enregistrement et l’absence de preuve d’emploi de la marque depuis la date d’emploi revendiquée, soit depuis 1982. La défenderesse soutient qu’elle n’avait pas à particulariser sa déclaration d’opposition, puisque la non-conformité de la demande d’enregistrement en raison de l’absence d’identification du prédécesseur en titre apparaît à la simple lecture de la demande d’enregistrement et que sa déclaration d’opposition doit être lue en conjonction avec la demande d’enregistrement et avec l’alinéa 30b) de la Loi.

 

Les motifs

[19]           Je considère, pour les motifs qui suivent, que la Commission a commis une erreur qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[20]           Le processus d’opposition est prévu à l’article 38 de la Loi :

 

Déclaration d’opposition

 

38. (1) Toute personne peut, dans le délai de deux mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

 

Statement of opposition

 

38. (1) Within two months after the advertisement of an application for the registration of a trade‑mark, any person may, on payment of the prescribed fee, file a statement of opposition with the Registrar.

 

Motifs

 

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

 

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

 

 

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

 

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

 

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

 

Grounds

 

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

 

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

 

(b) that the trade‑mark is not registrable;

 

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade‑mark; or

 

(d) that the trade‑mark is not distinctive.

 

Teneur

 

(3) La déclaration d’opposition indique :

 

a) les motifs de l’opposition, avec détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre;

 

b) l’adresse du principal bureau ou siège d’affaires de l’opposant au Canada, le cas échéant, et, si l’opposant n’a ni bureau ni siège d’affaires au Canada, l’adresse de son principal bureau ou siège d’affaires à l’étranger et les nom et adresse, au Canada, d’une personne ou firme à qui tout document concernant l’opposition peut être signifié avec le même effet que s’il était signifié à l’opposant lui‑même.

 

Content

 

(3) A statement of opposition shall set out

 

(a) the grounds of opposition in sufficient detail to enable the applicant to reply thereto;

and

 

(b) the address of the opponent’s principal office or place of business in Canada, if any, and if the opponent has no office or place of business in Canada, the address of his principal office or place of business abroad and the name and address in Canada of a person or firm on whom service of any document in respect of the opposition may be made with the same effect as if it had been served on the opponent himself.

 

Opposition futile

 

(4) Si le registraire estime que l’opposition ne soulève pas une question sérieuse pour décision, il la rejette et donne avis de sa décision à l’opposant.

 

Frivolous opposition

 

(4) If the Registrar considers that the opposition does not raise a substantial issue for decision, he shall reject it and shall give notice of his decision to the opponent.

Objection sérieuse

 

(5) Si le registraire est d’avis que l’opposition soulève une question sérieuse pour décision, il fait parvenir une copie de la déclaration d’opposition au requérant.

 

Substantial issue

 

(5) If the Registrar considers that the opposition raises a substantial issue for decision, he shall forward a copy of the statement of opposition to the applicant.

 

Contre‑déclaration

 

(6) Le requérant doit produire auprès du registraire une contre‑déclaration et en signifier, dans le délai prescrit après qu’une déclaration d’opposition lui a été envoyée, copie à l’opposant de la manière prescrite.

 

Counter statement

 

(6) The applicant shall file a counter statement with the Registrar and serve a copy on the opponent in the prescribed manner and within the prescribed time after a copy of the statement of opposition has been served on the applicant.

 

Preuve et audition

 

(7) Il est fourni, de la manière prescrite, à l’opposant et au requérant l’occasion de soumettre la preuve sur laquelle ils s’appuient et de se faire entendre par le registraire, sauf dans les cas suivants :

 

a) l’opposition est retirée, ou réputée l’être, au titre du paragraphe (7.1);

 

 

b) la demande est abandonnée, ou réputée l’être, au titre du paragraphe (7.2).

 

[...]

 

Evidence and hearing

 

(7) Both the opponent and the applicant shall be given an opportunity, in the prescribed manner, to submit evidence and to make representations to the Registrar unless

 

 

(a) the opposition is withdrawn or deemed under subsection (7.1) to have been withdrawn; or

 

(b) the application is abandoned or deemed under subsection (7.2) to have been abandoned.

 

. . .

Décision

 

(8) Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, le registraire repousse la demande ou rejette l’opposition et notifie aux parties sa décision ainsi que ses motifs.

 

Decision

 

(8) After considering the evidence and representations of the opponent and the applicant, the Registrar shall refuse the application or reject the opposition and notify the parties of the decision and the reasons for the decision.

 

 

 

[21]           La défenderesse soutient que sa déclaration d’opposition incluait le motif sur lequel la Commission a fondé sa décision. Je considère que les éléments au dossier n’appuient pas cette prétention. Il est vrai que la défenderesse a fondé un de ses motifs d’opposition sur le non-respect de l’alinéa 30b) de la Loi, mais le fondement de son opposition avait trait à l’utilisation de la marque depuis 1982 et non à l’identité de l’utilisateur de la marque ou au défaut de la demanderesse d’avoir mentionné le nom de son prédécesseur en titre dans sa demande d’enregistrement.

 

[22]           La défenderesse soutient que le libellé de son opposition était suffisamment large pour inclure le motif relié à l’absence de mention du prédécesseur et celui relié à l’absence de preuve d’emploi de la marque depuis la date d’emploi revendiquée dans la demande. A priori, cette proposition apparaît raisonnable. Dans sa déclaration d’opposition, la défenderesse a énoncé comme suit son opposition fondée sur l’alinéa 30b) de la Loi :

[…] la demande numéro 1,212,361 ne satisfait pas aux exigences de l’article 30b) de la Loi en ce que la marque de commerce dont l’enregistrement est demandé n’a pas été employée au Canada par la Requérante tel que décrit dans sa demande d’enregistrement depuis 1982.

 

[23]           La défenderesse a toutefois choisi de déposer un plaidoyer écrit détaillant ses motifs d’opposition. Dans son plaidoyer, elle a notamment examiné et commenté l’affidavit de Marc Deschamps, les pièces déposées au soutien de son affidavit et la transcription de son contre‑interrogatoire. M. Deschamps a participé à l’exploitation du centre de ski de la demanderesse depuis 2002 ; il a été directeur de la Société de développement du Massif de Petite‑Rivière‑Saint‑François de 1982 à 2000 et il est administrateur de la demanderesse depuis 2003. Le contre‑interrogatoire de M. Deschamps a porté sur les périodes d’utilisation de la marque de commerce en liaison avec les marchandises et services visés par la demande, et ce, sans distinction quant à l’identité de l’utilisateur de la marque. Les commentaires formulés par la défenderesse dans son plaidoyer à l’égard de la preuve au dossier traitent aussi des dates d’utilisation de la marque en liaison avec les marchandises et services, mais aucun commentaire n’est fait quant à l’utilisateur de la marque (la demanderesse ou son prédécesseur en titre). Après avoir discuté de la preuve, la défenderesse a exposé comme suit son opposition :

7. ARGUMENTATION

 

Ce qui suit est un survol des arguments de l’opposante. Cette dernière complètera ses arguments et les approfondira lors de l’audition.

 

1. Contenu de la demande d’enregistrement

Tout d’abord, tel que mentionné à la déclaration d’opposition de l’Opposante, la demande d’enregistrement du requérant ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce en ce que la marque dont l’enregistrement est demandé n’a pas été employée au Canada par la Requérante depuis la date inscrite à sa demande d’enregistrement, soit 1982, en relation avec les produits et services décrits à la demande.

 

En effet, lors du contre‑interrogatoire de monsieur Marc Deschamps, ce dernier a candidement avoué que presque la totalité des marchandises et services décrits dans la demande n’ont pas été utilisés depuis 1982. Voir à ce sujet la section intitulée « Contre‑interrogatoire de Marc Deschamps » dans la présente plaidoirie écrite.

 

Tel que déjà mentionné, à lui seul, ce motif d’opposition, eu égard aux aveux de monsieur Deschamps, est suffisant pour rejeter la demande d’enregistrement, cette dernière étant entachée d’irrégularités dès le moment de sa production.

 

[Je souligne]

 

 

[24]           À mon avis, il ressort du plaidoyer écrit de la défenderesse que son opposition fondée sur l’alinéa 30b) de la Loi comportait non pas deux, mais un seul motif d’opposition, et que ce motif avait trait non pas à l’absence de mention du prédécesseur en titre de la demanderesse, mais plutôt à l’absence de preuve de l’utilisation de la marque pendant la période revendiquée.

 

[25]           Il ressort également du passage suivant de la décision que c’est la Commission, et non les parties, qui a relevé le fait que la demande d’enregistrement ne précisait pas le nom du prédécesseur en titre. La Commission a en outre indiqué que, compte tenu de sa décision à cet égard, il était inutile qu’elle se prononce sur l’opposition qu’avait formulée la défenderesse :

[32]      Selon les représentations de l’Opposante, les lacunes de la preuve d’emploi présentée aux paragraphes 6 à 17 de l’affidavit de M. Deschamps de même que ses admissions lors de son contre‑interrogatoire démontrent que la preuve est clairement incompatible avec l’allégation d’emploi de la Marque par la Requérante depuis 1982. Pour sa part, lors de l’audience, l’agent de la Requérante a fait valoir à juste titre que la Requérante n’avait pas le fardeau initial de prouver l’emploi de la Marque en liaison avec les marchandises et services libellés dans la demande depuis la date de premier emploi revendiquée. Quoiqu’il en soit, l’agent de la Requérante a fait des représentations à l’effet que la preuve démontre l’emploi de la Marque par la Requérante et par son prédécesseur en titre depuis la date de premier emploi revendiquée dans la demande.

 

[…]

 

[35]      Il est clairement établi par la jurisprudence qu’une demande d’enregistrement doit identifier, le cas échéant, le(s) prédécesseur(s) en titre ayant employé la marque de commerce pour laquelle l’enregistrement est demandé. […]

 

[36]      La demande d’enregistrement ne fait pas état de l’emploi de la Marque par le prédécesseur en titre de la Requérante pendant la période d’emploi revendiquée dans la demande, ce que j’ai d’ailleurs souligné au parties lors de l’audience. Le défaut de la Requérante d’indiquer le nom de son prédécesseur en titre dans la demande d’enregistrement fait en sorte que celle‑ci n’est pas conforme à l’article 30b) de la Loi. En conséquence, il n’est pas nécessaire que je me penche sur les représentations des parties quant à la preuve d’emploi pour conclure que la preuve de la Requérante est clairement incompatible avec l’allégation d’emploi de la Marque par la Requérante en liaison avec les marchandises et services identifiés dans la demande depuis au moins aussitôt que 1982.

 

[37]      Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’Opposante s’est déchargée de son fardeau de preuve et je fais droit au motif d’opposition fondé sur la non‑conformité à l’article 30b) de la Loi.

 

[26]           Le paragraphe 38(3) de la Loi exige que la déclaration d’opposition indique les motifs de l’opposition avec « détails suffisants pour permettre au requérant d’y répondre ». En l’espèce, la déclaration doit être lue à la lumière des précisions qui ont été apportées par la défenderesse dans son plaidoyer. Comme ce plaidoyer ne fait état que d’un seul motif d’opposition prévu à l’alinéa 30b) et que ce motif n’a rien à voir avec une irrégularité de la demande d’enregistrement, je considère que la Commission a accueilli l’opposition en se fondant sur un motif qui n’était pas invoqué par la défenderesse.

 

[27]           Or, la jurisprudence a reconnu que la Commission ne possède pas le pouvoir d’accueillir une opposition sur la base d’un motif qui n’a pas été invoqué par la partie opposante. Dans Imperial Developments Ltd. c. Imperial Oil Ltd., 26 A.C.W.S. (2d) 155, 79 C.P.R. (2d) 12, (le juge Muldoon), la Cour a énoncé qu’un organisme tel que le registraire des marques de commerce est créé par une loi et qu’il n’a aucun pouvoir inhérent et extrinsèque à sa législation constitutive. La Cour a en outre déclaré que le registraire appelé à trancher une opposition ne pouvait pas baser sa décision sur un motif qui n’avait pas été énoncé dans la déclaration d’opposition.

 

[28]           Plus récemment, dans l’arrêt Procter & Gamble Inc. c. Colgate‑Palmolive Canada Inc., 2010 CF 231, 364 F.T.R. 288, au par. 26, le juge Boivin a également adopté ce principe jurisprudentiel :

La défenderesse soutient qu’il est établi en droit qu’il n’existe pas de compétence pour trancher une question qui ne se trouve pas dans la déclaration d’opposition et que la Cour n’a pas compétence pour entendre des questions qui n’ont pas été soulevées devant la Commission (McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd., (1994), 76 F.T.R. 281, 55 C.P.R. (3d) 463, décision confirmée à (1996), 199 N.R. 106, 68 C.P.R. (3d) 168 (C.A.F.)). Je suis d’accord avec la défenderesse.

 

[29]           Je souscris à ces principes. En l’espèce, même si la Commission a rejeté la demande d’enregistrement sur la base du défaut de respecter les exigences de l’alinéa 30b) de la Loi et que l’opposition de la défenderesse était elle aussi fondée sur le défaut de respecter cet alinéa, l’opposition de la défenderesse avait trait à un « défaut » différent de celui sur lequel la Commission a fondé sa décision.

 

[30]           Aux termes de l’article 37 de la Loi, le registraire a le pouvoir de rejeter de son propre chef une demande d’enregistrement qui ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de la Loi. La lecture du paragraphe 37(1) combinée à celle du paragraphe 39(1) de la Loi démontre toutefois que ce pouvoir ne peut être exercé qu’avant l’annonce de la demande. Ces dispositions se lisent comme suit :

 

Demandes rejetées

 

 

37. (1) Le registraire rejette une demande d’enregistrement d’une marque de commerce s’il est convaincu que, selon le cas :

 

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

 

[...]

 

 

Lorsque le registraire n’est pas ainsi convaincu, il fait annoncer la demande de la manière prescrite.

 

When applications to be refused

 

37. (1) The Registrar shall refuse an application for the registration of a trade‑mark if he is satisfied that

 

(a) the application does not conform to the requirements of section 30,

 

. . .

 

and where the Registrar is not so satisfied, he shall cause the application to be advertised in the manner prescribed.

 

Avis au requérant

 

(2) Le registraire ne peut rejeter une demande sans, au préalable, avoir fait connaître au requérant ses objections, avec les motifs pertinents, et lui avoir donné une occasion convenable d’y répondre.

 

Notice to applicant

 

(2) The Registrar shall not refuse any application without first notifying the applicant of his objections thereto and his reasons for those objections, and giving the applicant adequate opportunity to answer those objections.

 

Cas douteux

 

(3) Lorsque, en raison d’une marque de commerce déposée, le registraire a des doutes sur la question de savoir si la marque de commerce indiquée dans la demande est enregistrable, il notifie, par courrier recommandé, l’annonce de la demande au propriétaire de la marque de commerce déposée.

 

Doubtful cases

 

(3) Where the Registrar, by reason of a registered trade‑mark, is in doubt whether the trade‑mark claimed in the application is registrable, he shall, by registered letter, notify the owner of the registered trade‑mark of the advertisement of the application.

 

 

Quand la demande est admise

 

 

39. (1) Lorsqu’une demande n’a pas fait l’objet d’une opposition et que le délai prévu pour la production d’une déclaration d’opposition est expiré, ou lorsqu’il y a eu opposition et que celle-ci a été décidée en faveur du requérant, le registraire l’admet ou, en cas d’appel, il se conforme au jugement définitif rendu en l’espèce.

 

When application to be allowed

 

39. (1) When an application for the registration of a trade‑mark either has not been opposed and the time for the filing of a statement of opposition has expired or it has been opposed and the opposition has been decided in favour of the applicant, the Registrar shall allow the application or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

 

 

[31]           Il appert du paragraphe 39(1) qu’après l’annonce de la demande d’enregistrement, le pouvoir du registraire est strictement encadré : il doit soit admettre la demande d’enregistrement si la demande n’a pas fait l’objet d’une opposition, soit trancher l’opposition.

 

[32]           En l’espèce, l’irrégularité de la demande d’enregistrement était apparente avant même que le registraire ne l’ait annoncée. Le 5 mai 2004, les procureurs de la demanderesse ont déposé auprès du registraire une demande d’examen accéléré accompagnée d’une déclaration signée par le président de la demanderesse, Daniel Gauthier. Or, dans sa déclaration, M. Gauthier a clairement identifié le prédécesseur en titre de la demanderesse et a indiqué que la marque de commerce avait été utilisée par le prédécesseur en titre de la demanderesse à compter de 1982, et par la demanderesse elle‑même depuis 2002. Cette déclaration contenait donc l’information révélant l’irrégularité de la demande. Le registraire n’a pas relevé l’irrégularité et il a annoncé la demande d’enregistrement le 1er septembre 2004. Il était par la suite lié par la déclaration d’opposition et ne pouvait rejeter la demande pour des motifs autres que ceux soulevés par l’opposante.

 

[33]           Pour tous ces motifs, je considère que la Commission a excédé sa compétence en faisant droit à l’opposition fondée sur la non‑conformité à l’alinéa 30b) sur la base d’un motif autre que celui invoqué par la défenderesse.

 

[34]           Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur le deuxième motif d’appel.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit modifiée en appel interjeté contre la décision rendue le 9 décembre 2009 par la Commission.

2.         L’intitulé soit modifié et que le registraire des marques de commerce soit radié comme défendeur.

3.         L’appel soit accueilli, que la décision de la Commission soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un autre membre de la Commission afin qu’il ou qu’elle se prononce sur les motifs d’opposition invoqués par la défenderesse.

 

Le tout avec dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                   


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-233-10

 

INTITULÉ :                                       LE MASSIF INC. c. STATION TOURISTIQUE MASSIF DU SUD (1993) INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Bédard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques Blanchard

 

POUR LA DEMANDERESSE

Simon Lemay

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEIN MONAST, s.e.n.c.r.l

Québec, Québec

 

POUR LA DEMANDERESSE

LAVERY, DE BILLY, s.e.n.c.r.l.

Québec, Québec

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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