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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110110

Dossier : T-1064-10

Référence : 2011 CF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

YVETTE METANSININE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LA PREMIÈRE NATION D’ANIMBIIGOO ZAAGI’IGAN ANISHINAABEK AINSI QUE LA CHEF THERESA NELSON ET LES CONSEILLERS PRISCILLA GRAHAM, MORRIS THOMPSON ET DOROTHY RODY, EN QUALITÉ DE REPRÉSENTANTS DU CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION D’ANIMBIIGOO ZAAGI’IGAN ANISHINAABEK

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente demande, Yvette Metansinine conteste la décision par laquelle elle a été destituée de son poste de chef de la Première Nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek (Première Nation d’AZA) et l’élection concomitante de la défenderesse Theresa Nelson pour pourvoir le poste vacant. Les autres personnes physiques défenderesses sont les membres du conseil de bande de la Première Nation d’AZA qui ont décidé de destituer la chef Metansinine.

 

Les faits

[2]               La Première Nation d’AZA est une première nation dont la réserve se trouve au nord-est de Thunder Bay, en Ontario. Fait intéressant à souligner, pour des raisons historiques, aucun des quelque 380 membres de la Première Nation d’AZA ne vit sur les terres de la réserve; les membres habitent plutôt à Thunder Bay ou dans les environs. C’est également à Thunder Bay que la plupart des élections et assemblées de la bande ont lieu.

 

[3]               La Première Nation d’AZA est actuellement régie par sa politique-cadre, qui énonce les conditions relatives à l’appartenance à la bande ainsi qu’aux élections et à la gestion financière de la bande. La direction de la bande est assurée par un chef et trois conseillers élus qui sont en poste pour un mandat de trois ans. L’article 8.1 de la politique-cadre énonce qu’un poste au sein du conseil devient vacant [traduction] « lorsque le titulaire du poste manque trois réunions consécutives du conseil sans avoir reçu l’autorisation du conseil lors d’une réunion où le quorum est atteint ». Lorsque le poste de chef devient vacant, l’article 8.2 exige que l’administrateur de la bande convoque une assemblée communautaire d’urgence pour le combler. L’alinéa 7.1i) énonce que l’administrateur de la bande donne avis de l’assemblée d’urgence au cours de laquelle les candidatures seront acceptées et une élection complémentaire sera tenue.

 

[4]               La chef Metansinine a été élue chef de la Première Nation d’AZA pour la première fois en 1997, poste qu’elle a occupé de façon continue depuis. Elle a été réélue tout récemment le 6 mars 2010, lors d’une élection générale au cours de laquelle elle a obtenu 100 voix comparativement à 83 pour son adversaire, Theresa Nelson.

 

[5]               Le 24 avril 2010, les membres de la bande ont tenu une assemblée pour discuter de modifications qui pourraient être apportées à la politique-cadre ainsi que de certaines questions découlant de l’élection du 6 mars. Selon le procès-verbal de cette assemblée, Theresa Nelson a formulé certaines accusations au sujet de la conduite de la chef Metansinine, notamment en ce qui a trait à l’usage abusif d’une carte de crédit et d’un véhicule de la bande, ainsi qu’au sujet d’irrégularités lors de l’élection. Ces accusations ont été suivies d’une longue discussion concernant surtout la conduite de la chef, certains membres demandant la démission de celle-ci. Vers la même date, on a fait circuler parmi les membres de la Première Nation d’AZA une pétition visant à faire réviser la politique-cadre et à déclencher une nouvelle élection.

 

[6]               Par suite des allégations formulées lors de l’assemblée que la bande a tenue le 24 avril, la chef Metansinine a consulté un médecin au sujet de l’anxiété qu’elle commençait à ressentir. Le 26 avril 2010, elle a été examinée au Nipigon Hospital et a obtenu un diagnostic de dépression et d’anxiété. En outre, le médecin lui a conseillé d’interrompre l’exercice de ses fonctions au conseil de bande pour des raisons de santé et l’a dirigée vers des services de counselling. Le 5 mai 2010, la chef Metansinine a remis à l’agent des finances de la Première Nation d’AZA une note dans laquelle son médecin précisait qu’elle serait absente du travail pour une période indéfinie en raison de l’anxiété aiguë et de la profonde dépression dont elle souffrait.

 

[7]               Le conseil de bande a continué à fonctionner en l’absence de la chef Metansinine et des réunions ont été convoquées les 5 et 19 mai et le 1er juin 2010. Dans le procès-verbal de la réunion du 5 mai, il est fait mention de l’absence non autorisée de la chef Metansinine ainsi que de son état de santé. Il y est également fait état du consentement du conseil à tenir la chef au courant des développements par courriel ainsi que d’une discussion détaillée au sujet de la validité de l’élection du 6 mars. Lors de cette même réunion, le conseil a aussi convenu de convoquer une assemblée de la bande le 6 juin afin de discuter des modifications qui pourraient être apportées à la politique‑cadre de la Première Nation d’AZA. L’assemblée envisagée devait être tenue [traduction] « sous forme d’atelier de travail et de tables rondes » en vue de l’examen de questions liées au code électoral.

 

[8]               Dans le procès-verbal de la réunion que le conseil de bande a tenue le 19 mai 2010, il est fait mention de l’absence non autorisée et continue de la chef Metansinine ainsi que de l’assemblée de la bande qui devait avoir lieu à Thunder Bay le 5 juin.

 

[9]               Le procès-verbal de la réunion du conseil de bande tenue le 1er juin 2010 comporte une mention du fait que la chef Metansinine était encore [traduction] « absente sans autorisation » ainsi que de nouveaux développements liés à l’assemblée de la bande devant avoir lieu à Thunder Bay.

 

[10]           Il appert du procès-verbal de l’assemblée que la bande a tenue le 5 juin qu’un ordre du jour a été adopté et qu’une discussion a eu lieu au sujet de la composition que devrait avoir un éventuel comité sur les politiques qui aurait pour mandat de recommander des modifications aux politiques de la bande. Au cours des discussions en table ronde, de nombreuses propositions relatives à une réforme électorale ont été formulées et consignées en bonne et due forme. Une discussion ouverte a ensuite eu lieu et l’absence de la chef Metansinine pour des raisons de santé a alors été soulevée. Un membre a demandé que des procédures criminelles soient engagées contre la chef, tandis qu’un autre a proposé la tenue d’une nouvelle élection. Theresa Nelson aurait souligné que la convocation d’une autre élection donnerait lieu à un délai de quatre mois, mais que, si le conseil de bande y consentait, une élection pour le poste de chef pourrait être tenue ce jour-là.

 

[11]           Par suite des commentaires formulés par quelques membres de la bande au cours de la discussion ouverte, l’assemblée de la bande a été ajournée de façon que les membres du conseil puissent délibérer. À la reprise de la discussion ouverte, le conseil de bande a annoncé qu’il avait décidé de déclarer vacant le poste de chef en raison des absences non autorisées de la chef Metansinine lors des trois réunions précédentes. Il a également autorisé la tenue immédiate d’une assemblée communautaire d’urgence aux fins d’une élection complémentaire. Cette décision a plus tard été ratifiée dans la résolution suivante du conseil de bande, qui est datée du 7 juin 2010 :

[traduction]

 

ATTENDU QUE la Première Nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek choisit ses dirigeants conformément à un code électoral coutumier daté du 28 octobre 2006;

 

ATTENDU QUE le code électoral coutumier permet également de déclarer vacant un poste au sein du conseil suivant l’article 8.1;

 

ATTENDU QUE l’article 8.1 énonce qu’un poste au sein du conseil devient vacant lorsque le titulaire du poste :

 

I.          démissionne;

II.         décède;

III.       est déclaré coupable d’un acte criminel;

IV.       manque trois réunions consécutives du conseil sans avoir obtenu l’autorisation du conseil lors d’une réunion où le quorum est atteint;

V.        est déclaré coupable de fraude électorale ou de corruption.

 

ATTENDU QU’Yvette Marie Metansinine a manqué trois réunions consécutives du conseil, soit les réunions tenues les 5 mai 2010, 19 mai 2010 et 1er juin 2010;

 

ATTENDU QUE le conseil, lors d’une réunion tenue le 5 juin 2010 où le quorum était atteint, a confirmé que les absences lors des réunions du conseil n’avaient pas été autorisées;

 

EN CONSÉQUENCE, IL EST RÉSOLU qu’Yvette Marie Metansinine a abandonné son poste de chef de la Première Nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabeck à compter du 5 juin 2010.

 

IL EST ÉGALEMENT RÉSOLU que le conseil de la Première Nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek a autorisé l’administrateur de la bande à convoquer immédiatement une assemblée d’urgence suivant la coutume de la bande afin de pourvoir le poste le 5 juin 2010.

 

[12]           L’assemblée de la bande s’est terminée par la présentation d’une motion d’ajournement, suivie de la convocation immédiate d’une [traduction] « assemblée d’urgence en vue de combler le poste de chef ici même aujourd’hui ». Une assemblée d’urgence de la bande a été convoquée et des candidatures visant à pourvoir le poste vacant de chef ont été demandées. La candidature de Theresa Nelson et celle d’une autre personne ont été proposées, et Mme Nelson a été élue par 49 voix contre 41.

 

[13]           Il n’est pas contesté que la chef Metansinine n’a jamais été informée que son poste de chef était en péril au cours de l’une ou l’autre des réunions susmentionnées. Plus précisément, il appert clairement du dossier qu’elle n’a jamais été informée que le conseil de bande envisageait sa destitution de son poste de chef en raison de ses trois absences consécutives lors des réunions. La chef Metansinine a en effet déclaré au cours de son témoignage qu’elle n’avait jamais été avisée de la réunion que le conseil de bande a tenue le 5 mai, soit l’une des trois réunions qu’elle aurait apparemment manquées sans autorisation et que le conseil de bande a invoquées pour la destituer. Les défendeurs n’ont pas contredit ce témoignage et, en fait, Theresa Nelson a affirmé que la réunion du 5 mai [traduction] « a été convoquée de vive voix au bureau, comme le veut la pratique courante du conseil ». De plus, le dossier ne renferme pas le moindre élément de preuve établissant qu’un avis a été envoyé à la chef Metansinine au sujet de la réunion du 5 mai, contrairement à ce qui s’était passé lors des deux réunions subséquentes du conseil de bande, dont la demanderesse a été informée par écrit. Il est également admis que la chef Metansinine n’a pas cherché à obtenir une autorisation formelle auprès de ses collègues politiciens au sujet de ses absences aux réunions du conseil, absences que celui-ci a subséquemment invoquées pour la destituer de son poste de chef.

 

Les questions en litige

[14]           La décision du conseil de bande de destituer la chef Metansinine du poste pour lequel elle avait été élue et de tenir une élection complémentaire était-elle conforme aux principes d’équité procédurale, aux dispositions de la politique-cadre de la Première Nation d’AZA concernant les élections ou aux pratiques coutumières applicables de la Première Nation d’AZA, le cas échéant?

 

Analyse

[15]           Les parties conviennent que la Cour a compétence en l’espèce et je reconnais que la présente affaire entre dans les paramètres bien reconnus en ce qui a trait au contrôle judiciaire d’une décision prise par un conseil de bande semblable à celle dont il est question ici : voir Sparvier c. Bande indienne Cowessess, [1993] 3 C.F. 142, 63 FTR 242.

 

[16]           La question fondamentale que soulève la présente demande est une question d’équité procédurale, qui est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte : voir Giroux c. Première Nation de Swan River, 2006 CF 285, 288 FTR 55, au paragraphe 31. Effectivement, le même argument a été invoqué au sujet de l’interprétation à donner à la politique‑cadre de la Première Nation d’AZA. Étant donné que les faits qui sous-tendent cet argument ne sont pas contestés et qu’ils peuvent être isolés des questions de droit soulevées par la demanderesse, cette même norme doit également s’appliquer à l’examen de cet aspect.

 

[17]           D’après le dossier dont je dispose, il est indéniable que la chef Metansinine n’a nullement été informée que le conseil de bande envisageait de la destituer de son poste avant que cette décision soit prise le 5 juin 2010. Cette question n’a été soulevée à aucune des réunions précédentes du conseil de bande ni n’a fait l’objet d’un point à débattre à l’assemblée de la bande fixée au 5 juin. Selon le procès-verbal de cette même assemblée, la destitution de la chef Metansinine a été soulevée pour la première fois au cours d’une discussion ouverte et c’est à compter de ce moment que cette possibilité a été examinée.

 

[18]           La chef Metansinine soutient qu’en toute équité, elle était en droit de recevoir un avis exprès de toute réunion au cours de laquelle son maintien en poste en qualité de chef serait débattu. Elle fait valoir que tant les règles de la common law que le libellé et l’esprit de la politique‑cadre de la Première Nation d’AZA exigent la communication d’un avis relatif à une telle réunion.

 

[19]           Les défendeurs répondent que les dispositions de la politique-cadre concernant les élections n’exigent pas explicitement qu’un avis soit donné au membre du conseil de bande dont le poste est déclaré vacant en application de l’article 8.1. À leur avis, cette disposition est invoquée automatiquement dès qu’il est prouvé que le membre concerné était absent lors de trois réunions consécutives du conseil. Dans le cas de la chef Metansinine, il a été souligné qu’elle était bien au courant de l’article 8.1 et qu’elle avait participé à une application similaire de cette disposition dans d’autres situations où un poste au sein du conseil de bande avait été déclaré vacant. Ces antécédents auraient créé une coutume de la bande appuyant le traitement sommaire des questions de cette nature, suivi immédiatement de la convocation d’une assemblée communautaire d’urgence pour pourvoir le poste vacant. Les défendeurs ajoutent que, dans le cas du poste de chef déclaré vacant, l’élection complémentaire nécessaire peut avoir lieu sans qu’il soit obligatoire d’aviser les membres de la bande non présents à l’assemblée d’urgence. En d’autres termes, les défendeurs affirment qu’une assemblée ordinaire de la bande qui a été convoquée à une autre fin déclarée peut être convertie sur place en assemblée communautaire d’urgence en vue d’une élection complémentaire non annoncée et que seules les personnes présentes à cette assemblée ont le droit de présenter des candidats et de voter.

 

[20]           Bien entendu, c’est précisément ce qui s’est passé dans le cas de la chef Metansinine. Malgré le fait qu’elle avait remporté l’élection pour le poste de chef contre Theresa Nelson par un résultat de 100 voix contre 83, la chef Metansinine a été destituée trois mois plus tard au cours d’une élection complémentaire dont elle-même et de nombreux autres membres de la bande n’avaient pas été informés, de sorte qu’ils n’ont pas eu la possibilité de présenter leur candidature ni de voter. Lors de cette élection, Theresa Nelson a défait George Nayanookesic pour le poste de chef par 49 voix contre 41, alors que le total des voix exprimées représentait moins de la moitié de celui de l’élection précédente de la bande.

 

[21]           Contrairement à ce que les défendeurs soutiennent, je ne crois pas que la démarche suivie pour la destitution de la chef Metansinine et pour l’élection de sa successeure, Theresa Nelson, était équitable sur le plan de la procédure ou respectait la politique-cadre de la Première Nation d’AZA.

 

[22]           La remise d’un avis explicite à la personne dont les droits sont en péril constitue un élément fondamental de l’obligation d’agir équitablement : voir la décision Sparvier, susmentionnée. L’obligation de donner avis d’une élection à tous les électeurs admissibles est tout aussi fondamentale pour assurer, dans une institution démocratique, l’exercice en bonne et due forme des droits de l’électorat. La démarche suivie en l’espèce constitue une violation fondamentale du droit de la chef Metansinine de contester sa destitution par le conseil de bande et a eu pour effet de priver de leurs droits les membres de la bande qui n’ont pas été informés de l’élection complémentaire subséquente. Cette façon de procéder a permis à Theresa Nelson de présenter de nouveau sa candidature au poste de chef sans devoir faire face à la chef Metansinine comme adversaire et, on peut s’en douter, en l’absence de bon nombre d’électeurs qui avaient soutenu la chef Metansinine à l’élection précédente. Une telle façon de procéder mène à la corruption éventuelle du processus politique en permettant à une minorité de passer furtivement outre à la volonté de la majorité et n’a pas sa place en démocratie.

 

[23]           Je rejette entièrement l’argument des défendeurs selon lequel la chef Metansinine n’était pas en droit d’être informée de l’intention du conseil de bande d’invoquer l’article 8.1 pour la destituer. La démarche suivie n’était pas conforme à la façon dont le conseil de bande avait traité dans le passé les absences des membres aux réunions, y compris celles de la chef Metansinine. Le conseil de bande savait pertinemment pourquoi la chef Metansinine avait manqué des réunions et, d’après ce qu’on lui avait laissé entendre, ces absences ne représentaient pas un problème. En fait, dans le procès-verbal de la réunion tenue par le conseil de bande le 5 mai 2010, il est mentionné que la chef Metansinine serait absente du travail pour une période indéterminée et que [traduction] « [l]es membres du conseil conviennent qu’ils continueront à lui envoyer des courriels afin qu’elle demeure au courant des développements[...] ».

 

[24]           De plus, le fait que, selon son affidavit, la chef Metansinine n’avait reçu aucun préavis de la réunion du 5 mai est très important pour l’examen de la décision relative à sa destitution. Cette réunion a néanmoins été considérée comme l’une des trois réunions qu’elle avait manquées, laquelle absence constituait une condition préalable à sa destitution. Les défendeurs n’ont présenté aucun élément de preuve visant à contredire la version que la chef Metansinine a donnée sur cet aspect important, et Theresa Nelson corrobore jusqu’à un certain point cette version dans son affidavit en soulignant que [traduction] « la réunion du 5 mai 2010 a été convoquée de vive voix au bureau, comme le veut la pratique courante du conseil ». Étant donné que le dossier renferme deux avis envoyés par courriel à la chef Metansinine au sujet des deux autres réunions du conseil fixées au 19 mai et au 1er juin, je ne puis que conclure que la chef Metansinine n’a jamais été informée de la réunion que le conseil de bande a tenue le 5 mai et que, par conséquent, elle n’a pas manqué trois réunions sans autorisation.

 

[25]           L’argument selon lequel l’article 8.1 du code électoral pourrait encore être invoqué à l’encontre de la chef Metansinine parce que celle-ci a appris plus tard que le conseil de bande estimait que son absence à la réunion du 5 mai n’avait pas été autorisée, est dénué de tout fondement. Personne ne peut être puni pour avoir omis d’assister à une réunion n’ayant pas fait l’objet d’une notification. En tout état de cause, c’est précisément la raison pour laquelle la chef Metansinine était en droit d’être informée que son poste de chef était en jeu à la réunion du 5 juin du conseil de bande et à l’assemblée communautaire subséquente tenue le même jour. Si elle en avait été informée, elle aurait pu démontrer que les conditions préalables à l’application de l’article 8.1 n’avaient pas été établies et que toute tentative visant à déclarer son poste vacant était illégale.

 

[26]           Je ne crois pas non plus que l’article 8.1 permet la destitution automatique d’une personne dès qu’il est prouvé que celle-ci a manqué sans autorisation trois réunions du conseil. Le libellé même de l’article 8.1 permet au conseil de bande d’excuser les absences de cette nature. Étant donné qu’elle n’a pas été avisée que son poste était en jeu, la chef Metansinine a également été privée de la possibilité de plaider cet argument.

 

[27]           Le fait que la chef Metansinine n’a pas préalablement sollicité l’autorisation de s’absenter pour des raisons de santé n’a aucune importance. Elle était encore en droit d’être avisée expressément que son maintien en poste à titre de chef serait examiné par le conseil de bande avant que la décision de la destituer de ses fonctions soit prise.

 

[28]           L’argument des défendeurs selon lequel la coutume de la bande permettait ce type de démarche est également sans fondement. Les éléments de preuve que les défendeurs ont présentés pour établir l’existence d’une coutume de la bande se limitent à des comptes rendus anecdotiques de faits assez différents qui, en soi, sont plutôt troublants du point de vue de l’équité. Les coutumes d’une bande sont des pratiques traditionnelles qui sont généralement acceptables pour les membres et qui font l’objet d’un large consensus : voir Prince c. Première Nation de Sucker Creek, [2008] ACF no 1613, 2008 CF 1268, au paragraphe 28. La preuve qui a été présentée est loin d’établir les éléments constituant une pratique coutumière.

 

[29]           Il convient de souligner que c’est en 2006 que la bande a adopté la politique-cadre régissant les faits pertinents en l’espèce, soit après les faits que les défendeurs ont invoqués au soutien de l’existence d’une coutume. L’article 1.5 de la politique-cadre énonce que les coutumes et traditions de la bande constituent le fondement de cette politique et y sont incorporées. Or, aucune disposition de la politique-cadre ne permet d’affirmer que le conseil de bande peut invoquer l’article 8.1 sans informer l’intéressé. La politique-cadre renferme en effet de nombreuses dispositions exigeant la remise d’un avis dans différentes situations, notamment en ce qui concerne les élections complémentaires.

 

[30]           La suggestion selon laquelle les faits survenus le 5 juin faisaient écho à un large consensus au sein de la bande est également contredite par la preuve au dossier montrant que certaines personnes présentes se sont opposées à la démarche. Cette façon de procéder serait peut-être acceptable aux yeux des personnes qui avaient un intérêt direct dans l’issue de l’affaire, mais je ne crois pas qu’un membre de la bande soucieux d’objectivité et d’équité la jugerait acceptable.

 

[31]           Même si les défendeurs ont raison de dire que la politique-cadre n’énonce pas la totalité des coutumes relatives aux élections de la Première Nation d’AZA, je ne crois pas que les lacunes en matière de procédure puissent être corrigées par les pratiques fondamentalement inéquitables qui ont été suivies le 5 juin 2010 : voir la décision Sparvier, susmentionnée.

 

[32]           Il est indéniable que l’élection complémentaire tenue par la bande le 5 juin allait à l’encontre des exigences relatives à l’avis qu’il faut donner pour remplacer le chef. Je n’accepte pas que l’article 8.2 permet la tenue d’une élection complémentaire pour le poste de chef sans que tous les membres de la bande soient avisés. L’article 8.2 est assujetti à l’exigence générale de l’article 7.1, qui prévoit qu’un avis de toute assemblée communautaire d’urgence visant à pourvoir un poste vacant doit être envoyé à tous les membres de la bande. La violation de cette exigence a pour effet de priver de leurs droits les électeurs qui auraient voulu voter et d’empêcher la présentation de candidature par des membres qui auraient souhaité pourvoir le poste vacant s’ils avaient été mis au courant de l’élection.

 

[33]           Il ne s’agit pas non plus d’un cas où, en raison de faits imprévus, la réparation extraordinaire sollicitée en l’espèce devrait être refusée. La chef Metansinine a droit à la réintégration.

 

Conclusion

[34]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la résolution du conseil de bande datée du 5 juin 2010, qui vise à destituer la chef Metansinine de son poste, et l’élection subséquente de Theresa Nelson à titre de chef de la Première Nation d’AZA sont annulées. La chef Metansinine a droit à un jugement déclaratoire portant qu’elle demeure la chef légalement élue de la Première Nation d’AZA.

 

[35]           Les parties m’ont demandé de différer ma décision sur les dépens. Si elles ne peuvent s’entendre à ce sujet, j’accepterai d’elles des observations écrites d’au plus dix pages, la demanderesse devant déposer ses observations dans les 30 jours suivant la présente décision. Les défendeurs pourront déposer les leurs dans les 14 jours qui suivent, après quoi la demanderesse disposera d’un délai de trois jours pour répliquer en présentant des observations supplémentaires dans un document d’au plus trois pages.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.         la décision du 5 juin 2010 du conseil de bande de la Première Nation d’AZA, qui a été ratifiée par la résolution que le conseil de bande a adoptée le 7 juin 2010 en vue de destituer la demanderesse de son poste, ainsi que l’élection subséquente de Theresa Nelson à titre de chef de la Première Nation d’AZA, sont annulées;

 

2.         la demanderesse demeure la chef légalement élue de la Première Nation d’AZA;

 

3.         la question des dépens est différée jusqu’à ce que les parties soumettent des observations écrites à ce sujet.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1064-10

 

INTITULÉ :                                       METANSININE

                                                            c.

                                                            PREMIÈRE NATION D’ANIMBIIGOO ZAAGI’IGAN ANISHINAABEK ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 DÉCEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 JANVIER 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bradley A. Smith

 

POUR LA DEMANDERESSE

Martin G. Masse

Corinne E. Brulé

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Weiler, Maloney, Nelson

Thunder Bay (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lang Michener

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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