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Federal Court

 

Cour fédérale

 


Date : 20101223

Dossier : T-1259-09

Référence : 2010 CF 1331

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

ROGER ACREMAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 25 juin 2009 du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) de rejeter l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision du comité de révision de lui refuser une indemnité d’invalidité des anciens combattants pour sa sclérodermie.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.


Historique

[3]               Le colonel Roger Acreman (le demandeur) a servi dans la Milice du Canada, du 31 mars au 12 août 1958, dans les Forces armées canadiennes, du 6 janvier 1959 au 14 septembre 1961, et dans les Forces régulières, de septembre 1961 jusqu’à sa libération officielle le 10 janvier 1997.

 

[4]               En 1981, le demandeur a reçu un diagnostic de sclérodermie, laquelle se caractérisait à ce moment-là par une hypertension grave et de l’insuffisance rénale. La sclérodermie est une maladie auto-immune rare et chronique dans laquelle un tissu fibreux dense et épais remplace le tissu normal. La sclérodermie n’a pas de cause connue et peut mettre la vie en danger. Des restrictions médicales ont été prescrites au demandeur relativement à son service militaire, ce qui le limitait à des tâches sédentaires au Canada à cause de sa maladie. Ces restrictions ont été modifiées en juin 1982 ainsi qu’en 1989 de façon à ce qu’il puisse continuer son service, mais en le restreignant au grade qu'il avait alors.

 

 

[5]               Malgré ses problèmes de santé, le demandeur a continué de travailler et a servi à Ottawa, à Gagetown (où il a été promu au grade de colonel en 1989), à Montréal et en Corée du Sud, où il a été affecté de 1992 à 1996. Dans ce pays, il a détenu concurremment les postes d’attaché des Forces canadiennes, d’officier de liaison canadien et de membre canadien de la Commission de l’armistice militaire du Commandement des Nations Unies).

 

[6]               Le demandeur se plaint que la charge de travail pour ce poste était particulièrement exigeante, car il devait travailler pendant de longues heures, parfois en restant debout pendant des périodes prolongées, ce qu’il pouvait difficilement faire à cause de sa maladie. Lorsque le demandeur est revenu de la Corée du Sud, il a été jugé invalide et inapte relativement à sa classification et non employable à d’autres postes, quoiqu’il n’ait pas fourni une copie de son formulaire de libération médicale. Le demandeur a été libéré des Forces canadiennes. Son dossier de libération a été par la suite modifié de manière à préciser qu’il avait été libéré pour des raisons médicales.

 

[7]               Le 16 mai 2006, le demandeur a présenté auprès du ministre des Anciens Combattants du Canada une demande d’indemnité d’invalidité des anciens combattants pour sclérodermie, maladie cardiovasculaire périphérique, hypertension, insuffisance rénale, colite ischémique, pontage de l’artère fémorale et phénomène de Raynaud. Le demandeur alléguait que son service militaire avait aggravé son état de santé.

 

[8]               Le ministère des Anciens Combattants (le ministère) a rejeté le 8 novembre 2006 sa demande d’indemnité d’invalidité fondée sur sa sclérodermie, pour le motif que rien ne démontrait que sa maladie avait été causée ou aggravée de manière permanente par son service militaire. Pour parvenir à cette conclusion, le ministère s’est appuyé sur l’avis médical du docteur Verma, un conseiller médical du ministère, lequel avait noté que la cause de la sclérodermie n’était pas connue et qu’il n’avait pas été fait mention du stress comme étant une cause ou un facteur aggravant du développement de la maladie. Le ministère a conclu que l’hypertension, l’insuffisance rénale et le phénomène de Reynaud faisaient [traduction] « partie intégrante » de la sclérodermie et a en conséquence rejeté les demandes relatives à cette maladie. Le ministère a également rejeté les demandes relatives à la maladie cardiovasculaire périphérique et la colite ischémique.

 

[9]               Le demandeur a demandé le réexamen ministériel de cette décision le 20 mars 2007, en présentant de nouvelles observations et de nouveaux éléments de preuve, mais sa demande a été rejetée le 7 mai 2007, pour le motif que le demandeur n’avait pas présenté de preuve médicale précise selon laquelle sa sclérodermie avait été causée ou aggravée de manière permanente par le stress subi durant son service militaire.

 

[10]           Le demandeur a alors présenté au comité de révision une demande de révision visant la décision du ministère sur sa demande d’indemnité relative à sa sclérodermie, quoiqu’il n’ait pas sollicité la révision des décisions sur sa maladie vasculaire périphérique et sa colite ischémique. Le 5 février 2008, le comité de révision a refusé d’accorder une indemnité d’invalidité au demandeur, pour le motif que les avis médicaux du docteur Verma et du docteur Henderson (le rhumatologue du demandeur depuis 1988) ainsi que la preuve documentaire n’étaient pas suffisamment concluants pour établir que la demande d’indemnité d’invalidité du demandeur devait être accordée.

 

[11]           Le demandeur a interjeté appel de cette décision au Tribunal des anciens combattants du Canada (le Tribunal).

 

La décision contrôlée

[12]           Dans une lettre datée du 25 juin 2009, le demandeur a été informé que le Tribunal ne rendrait pas une décision favorable. Le Tribunal n’était pas convaincu que le stress était un facteur de la maladie du demandeur. Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a noté que, bien que le stress fût mentionné dans de nombreuses sources présentées, il ressortait de manière prépondérante de la littérature médicale que l’étiologie de la maladie n’était pas connue.

 

[13]           Le Tribunal a noté les antécédents médicaux du demandeur et les divers articles de la littérature médicale disponibles sur Internet, soumis par le demandeur, selon lesquels le stress jouait un rôle dans l’étiologie de sa maladie. Le Tribunal a également fait référence à l’avis médical du docteur Jamie Henderson, le rhumatologue qui avait contribué à la supervision des soins donnés au demandeur pour sa sclérodermie, selon qui le stress aggrave la maladie. Cependant, le Tribunal a également noté que le docteur Henderson n’avait pas présenté d’articles de la littérature médicale à l’appui de cet avis. Le Tribunal n’a pas non plus estimé que les articles constituaient des sources médicales suffisamment crédibles lui permettant de conclure que le stress jouait un rôle dans l’apparition et la continuation de la maladie.

 

[14]           Le Tribunal a conclu que, même s’il devait admettre que le stress était un facteur de la maladie du demandeur, la preuve dont il disposait donnait à penser que sa maladie n’avait pas été aggravée par le stress subi en conséquence du contexte militaire. Cette preuve comportait la liste des avis médicaux selon lesquels la maladie du demandeur semblait relativement stable, malgré le fait que celui-ci eût travaillé de longues journées, qu’il ne constituait pas un fardeau médical et qu’il était capable de supporter le stress. À la lumière de ces avis, le Tribunal a conclu que l’observation du demandeur selon laquelle le stress avait joué un rôle dans l’apparition ou l’aggravation de sa maladie constituait un [traduction] « acte de foi ». Le Tribunal a conclu que [traduction] « l’on peut tout au plus dire que l’état de santé du demandeur semble s’être stabilisé à la suite de son diagnostic et que sa maladie ne semble avoir nullement bloqué sa capacité d’obtenir des promotions ».

 

 

[15]           Le Tribunal a en conséquence conclu qu’aucun lien n’avait été établi entre les facteurs touchant au service du demandeur et la sclérodermie pour laquelle une demande était présentée. Le Tribunal a donc confirmé la décision du comité de révision.

 


Les dispositions légales pertinentes

La Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21.

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi

« invalidité »

“disability”

« invalidité » La perte ou l’amoindrissement de la faculté de vouloir et de faire normalement des actes d’ordre physique ou mental.

« liée au service »

“service-related injury or disease”

« liée au service » Se dit de la blessure ou maladie :

a) soit survenue au cours du service spécial ou attribuable à celui-ci;

b) soit consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes.

2.(1) The following definitions apply in this Act.

“disability”

« invalidité »

“disability” means the loss or lessening of the power to will and to do any normal mental or physical act.

“service-related injury or disease”

« liée au service »

“service-related injury or disease” means an injury or a disease that

(a) was attributable to or was incurred during special duty service; or

(b) arose out of or was directly connected with service in the Canadian Forces.

45. (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée :

a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

b) soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service.

45. (1) The Minister may, on application, pay a disability award to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

(a) a service-related injury or disease; or

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

 

46. (1) Est réputée être une blessure ou maladie liée au service la blessure ou maladie qui, en tout ou en partie, est la conséquence :

a) d’une blessure ou maladie liée au service;

b) d’une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service;

c) d’une blessure ou maladie qui est elle-même la conséquence d’une blessure ou maladie visée par les alinéas a) ou b);

d) d’une blessure ou maladie qui est la conséquence d’une blessure ou maladie visée par l’alinéa c).

46. (1) An injury or a disease is deemed to be a service-related injury or disease if the injury or disease is, in whole or in part, a consequence of

(a) a service-related injury or disease;

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service;

(c) an injury or a disease that is itself a consequence of an injury or a disease described in paragraph (a) or (b); or

(d) an injury or a disease that is a consequence of an injury or a disease described in paragraph (c).

 

 

La Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la LTAC)

                                                                                       

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

38. (1) Pour toute demande de révision ou tout appel interjeté devant lui, le Tribunal peut requérir l’avis d’un expert médical indépendant et soumettre le demandeur ou l’appelant à des examens médicaux spécifiques.

Avis d’intention

 

(2) Avant de recevoir en preuve l’avis ou les rapports d’examens obtenus en vertu du paragraphe (1), il informe le demandeur ou l’appelant, selon le cas, de son intention et lui accorde la possibilité de faire valoir ses arguments.

 

38. (1) The Board may obtain independent medical advice for the purposes of any proceeding under this Act and may require an applicant or appellant to undergo any medical examination that the Board may direct.

Notification of intention

 

(2) Before accepting as evidence any medical advice or report on an examination obtained pursuant to subsection (1), the Board shall notify the applicant or appellant of its intention to do so and give them an opportunity to present argument on the issue.

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

La question en litige

[16]           Je formulerais la question en litige comme suit :

1.      La décision du Tribunal de rejeter la preuve présentée par le demandeur sur le lien entre le stress et sa sclérodermie était-elle erronée?

 

La norme de contrôle applicable

[17]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a établi deux normes de contrôle judiciaire : la raisonnabilité et la décision correcte. La cour de révision peut considérer et appliquer la jurisprudence qui a déjà établi la norme de contrôle applicable à une situation particulière.

 

[18]           La Cour a maintes fois traité de la norme de contrôle qui s’applique aux décisions du Tribunal. Une question concernant l’évaluation ou l’interprétation par le Tribunal d’éléments de preuve contradictoires présentés sur la question de savoir si une blessure été causée ou aggravée par le service militaire est une question de fait et elle est susceptible de révision selon la raisonnabilité : Boisvert c. Canada (Procureur général), 2009 CF 735, aux paragraphes 33 à 35.

 

[19]           Selon l’article 3 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (la Loi), ses dispositions « doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge ». L’article 39 requiert en outre que le Tribunal tire les conclusions les plus favorables possible au demandeur, accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente le demandeur et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence et tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

Analyse

[20]           Le demandeur fait trois observations principales relativement à la décision du Tribunal. Premièrement, le demandeur fait valoir que le Tribunal a confondu la question du stress comme cause de la sclérodermie avec celle du stress comme facteur aggravant. Le demandeur prétend que, quoique l’étiologie de la sclérodermie ne soit pas connue, le service militaire a exacerbé sa maladie.

 

[21]           Deuxièmement, le demandeur conteste la façon dont le Tribunal a considéré la preuve médicale dont il disposait, particulièrement en ce qui concerne le choix du Tribunal de s'en remettre à l’avis du docteur Verma, un omnipraticien, plutôt qu'à celui du docteur Henderson, le rhumatologue qui avait supervisé les soins donnés au demandeur depuis 1988.

 

[22]           Troisièmement, le demandeur fait valoir que, en donnant une grande importance à la preuve selon laquelle le demandeur pouvait encore fonctionner malgré sa maladie, le Tribunal a confondu la question de savoir si le demandeur avait pu fonctionner en dépit du stress avec la question de savoir si le stress avait contribué à l’exacerbation de sa maladie, laquelle était la seule question qu’il devait trancher.

 

[23]           Le défendeur fait valoir que la décision du Tribunal était raisonnable et que la conclusion de celui-ci selon laquelle la sclérodermie du demandeur n'avait pas été causée ni aggravée par le service militaire du demandeur est tout à fait cohérente avec la preuve présentée au Tribunal.

 

[24]           Le défendeur fait remarquer que le Tribunal a examiné toute la preuve. En particulier, le défendeur affirme que les documents présentés par le demandeur n’ont fait que confirmer qu’il était possible que son service médical ait aggravé sa maladie; cependant, le demandeur n’a pas présenté des éléments de preuve précis qui établissaient un lien entre sa maladie et son service militaire.

 

[25]           Le défendeur fait en outre valoir que, bien que les articles 3 et 39 de la LTAC en prescrivent une interprétation large et téléologique, le Tribunal n’était pas obligé d’accepter la preuve présentée par le demandeur s’il estimait que la preuve n’était pas crédible, même si elle n’était pas contredite. En l’espèce, le Tribunal a conclu qu'une grande partie des éléments de preuve n’étaient pas crédibles et que des éléments de preuve contradictoires lui avaient été présentés.

 

[26]           D’une part, le demandeur a l’obligation de démontrer sa prétention, laquelle, en l’espèce, consiste à soutenir que son service militaire a aggravé sa sclérodermie : Hall c. Canada (Procureur général), [1998] 152 F.T.R. 58, au paragraphe 28. D’autre part, la décision du Tribunal doit être rendue d'une manière qui soit justifiée, transparente et intelligible et appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme le requiert Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[27]           L’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes prévoit que le ministre peut verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui souffre d’une invalidité causée par certains types de blessures. L’alinéa 45(1)b) prévoit expressément que la blessure peut être une blessure non liée au service dont l’aggravation est due au service. Cela donne à penser qu’il n’est pas nécessaire que la blessure ait été causée par le service militaire.

 

[28]           La lecture de la décision du Tribunal ne me convainc pas que celui-ci a confondu la question du stress comme cause de la sclérodermie et celle du stress comme facteur aggravant. Quoique le Tribunal ait noté que la littérature médicale donne à penser que l’étiologie de la sclérodermie n’est pas connue, le Tribunal est bel et bien passé à l'analyse du stress comme facteur de la maladie, y compris comme facteur de continuation ou d’aggravation.

 

[29]           Cependant, je ne suis pas convaincu que le Tribunal ait soupesé d'une manière raisonnable la preuve médicale dont il disposait, compte tenu de la directive énoncée dans les articles 3 et 39 de la LTAC.

 

 

[30]           Je note que le docteur Henderson avait, depuis 1988, examiné physiquement le demandeur et travaillé avec lui, et que le Tribunal s'en est néanmoins remis à l’avis du docteur Verma, qui ne l’a pas examiné. Il me semble que l’avis d’un médecin spécialiste, un rhumatologue, et en particulier d’un médecin qui a examiné le patient, devrait être considéré attentivement.

 

[31]           Le docteur Henderson n’a pas présenté d’article de la littérature médicale, mais il a fait référence aux articles en recherche médicale du demandeur. Le docteur Henderson a écrit ce qui suit le 24 mai 2006 :

[traduction]
En raison de mon expérience du traitement des maladies des tissus conjonctifs au cours des ans, je crois fermement que le stress aggrave la maladie sous-jacente. Les responsabilités croissantes de ce monsieur au cours de sa carrière à différents endroits l’ont certainement mis dans des situations de stress et ont aggravé sa maladie sous-jacente. Je suis sûr que sa carrière militaire a eu une incidence sur le développement ultérieur de sa maladie.



Il a alors fait référence aux articles de la littérature médicale plus tard le 24 janvier 2007 :



[traduction]
J’ai lu quelques-uns des articles de la littérature mondiale que M. Acreman a consultés et ceux-ci semblent certainement étayer mon impression selon laquelle le stress joue un rôle nuisible dans l’exacerbation des maladies auto-immunes sous-jacentes.


 

[32]            Le docteur Verma, le conseiller médical, a écrit : [traduction] « On ne connaît pas la cause de la sclérodermie, laquelle est répandue dans le monde entier […] Il n’est pas fait mention du stress, de quelque sorte que ce soit, comme d’une cause ou d’un facteur aggravant du développement de la maladie [...] » Le docteur Verma n’a fait référence à aucun article de la littérature médicale en présentant son avis.
 

[33]           Certains éléments de la preuve dont disposait le Tribunal étaient contradictoires : l’avis du docteur Verma selon lequel le stress n’était pas mentionné comme facteur et l’avis du docteur Henderson selon lequel le stress était un facteur. Cependant, le demandeur avait également présenté des articles de la littérature médicale qui recommandaient la réduction du stress pour le traitement de la maladie. Le Tribunal est tenu de prendre en compte ces éléments de preuve avant de tirer à sa conclusion.

 

 

[34]           Le Tribunal, notant que le docteur Henderson n’avait pas soumis d’articles de la littérature médicale à l’appui de son avis, n’a pas accepté son avis. Par ailleurs, le Tribunal a aussi rejeté les articles médicaux soumis par le demandeur, estimant qu’ils ne constituaient pas des sources médicales suffisamment crédibles pour lui permettre de conclure que le stress jouait un rôle dans l’apparition et la continuation de la maladie. L’un des articles médicaux provenait de la revue intitulée Annals of Oncology (qui semble être une publication d’Oxford de bonne réputation), qui portait principalement sur le sujet du stress et de la sclérodermie.

 

[35]           Le Tribunal n’a fait montre que de très peu d’appréciation ou de considération pour les articles soumis et il n’a pas non plus expliqué de manière adéquate ses conclusions sur la crédibilité, sur lesquelles reposait sa décision de rejeter les articles de la littérature médicale. Il est difficile de comprendre le raisonnement suivi par le Tribunal pour rejeter la preuve de ces articles.

 

 

[36]           Comme l’article 3 de la Loi prévoit que les dispositions doivent « s’interpréter de façon large » et que l’article 39 requiert du Tribunal qu’il tire les conclusions les plus favorables possible au demandeur, qu’il accepte tout élément de preuve non contredit présenté par celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence, et qu’il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande, le Tribunal doit se pencher convenablement sur la crédibilité des articles de revue et donner des motifs cohérents pour le rejet de la littérature médicale.

                   

 

[37]            Le demandeur s’est appuyé en partie sur ces articles pour démontrer sa prétention que le stress qu’il avait subi lors du service militaire avait exacerbé sa sclérodermie. Aucun autre article de la littérature médicale sur la sclérodermie n’a été présenté au Tribunal. Le défaut du Tribunal de motiver ses conclusions sur la crédibilité de la preuve du demandeur constitue une erreur qui est contraire aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité découlant de l’application de la norme de raisonnabilité.

 

Conclusion     

[38]           Pour les motifs exposés ci-dessus, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal.

 

[39]           En ce qui concerne les dépens, le demandeur a demandé qu’il ne soit traité de cette question qu’une fois la décision prononcée. En conséquence, les parties peuvent présenter des observations sur la question des dépens dans les trente jours suivant le prononcé de la présente décision.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour réexamen.

 

2.      Le demandeur peut présenter de nouveaux éléments de preuve et documents relatifs à sa sclérodermie.

 

3.      Les parties peuvent présenter des observations sur les dépens dans les trente jours suivant la présente décision.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1259-09

 

 

INTITULÉ :                                       ROGER ACREMAN

                                                            c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 mai 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 DÉCEMBRE 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yehuda Levinson

POUR LE DEMANDEUR

 

Rosyln Mounsey

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yehuda Levinson

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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