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Cour fédérale

 

Federal Court


 


Date : 20101221

Dossier : T-746-09

Référence : 2010 CF 1315

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

 

CONCEPT DEVELOPMENTS LTD.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

CHARLES WEBB et

LORNA WEBB

 

 

 

défendeurs

 

 

et

 

 

 

 

HIGH GRADE HOMES INC.

 

 

 

tierce partie

 

  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.  INTRODUCTION

  • [1] La demanderesse a déposé une requête en jugement sommaire contre les défendeurs, M. et Mme Webb (les Webb), au titre de la règle 213. L’autre défenderesse, High Grade Homes Inc. (High Grade), a été libérée du présent litige en contrepartie du versement d’une somme de 25 000 $.

 

II.  CONTEXTE

  • [2] La demanderesse effectue la conception de maisons et la construction des maisons qu’elle conçoit. Elle a enregistré un droit d’auteur pour les plans d’une maison avec entrée à mi-étage, portant le nom de « Plan Stratford », et pour la conception de la même maison, portant le nom de « Bâtiment Stratford ».

 

  • [3] Le recours de la demanderesse repose principalement sur la prémisse selon laquelle les défendeurs Webb ont autorisé High Grade à construire une maison essentiellement semblable au Bâtiment Stratford (à quelques modifications mineures près) et que High Grade a construit cette maison. La demanderesse réclame 124 000 $ pour la perte directe qu’elle a subie, à savoir la perte découlant du fait qu’elle ait été privée de construire la maison –l’utilisation du Plan Stratford étant liée à l’exigence selon laquelle Concept doit construire la maison– ainsi qu’un montant de 40 000 $ pour la perte immatérielle qu’elle a subie. La demanderesse réclame également des dommages exemplaires ou punitifs.

 

  • [4] Bien que tous les faits n’aient pas été établis, il est admis, pour les fins de la présente requête, que les Webb ont visité une maison-test Stratford, ont trouvé trop élevé le prix de construction proposé par Concept et ont ensuite décidé de plutôt faire affaire avec High Grade, un autre constructeur de maisons. Les Webb ont montré le Plan Stratford à High Grade et l’informée qu’ils désiraient une construction semblable à celle qui figurait au plan, avec toutefois certaines modifications. Les Webb ont dessiné le modèle qu’ils désiraient et ont remis le dessin à High Grade. Il n’est pas certain, cependant, que High Grade ait assuré les Webb que leur dessin ne violerait pas le droit d’auteur de la demanderesse.

 

  • [5] Il ne fait aucun doute qu’un litige important existe quant aux mesures prises par les parties pour assurer l’absence de contrefaçon. Par conséquent, il existe également un litige important quant à savoir quelle partie est responsable et l’objet de cette responsabilité. Les faits entourant les plans, l’échange d’idées entre les parties et ultimement, l’amalgame des idées, constituent des faits importants devant être déterminés avant d’en arriver à quelque conclusion quant à la partie qui a effectivement violé le droit d’auteur.

 

  • [6] La question principale consiste à déterminer si les plans des Webb et la maison qui a été construite selon ceux-ci constituent une violation du droit d’auteur. L’un des éléments importants de cette question consiste à établir l’envergure des différences entre le plan des Webb et le Plan Stratford.

 

  • [7] L’autre question d’importance est de savoir si les Webb ont autorisé la violation du droit d’auteur. La demanderesse prétend que la connaissance de la violation n’est pas importante, dès lors que survient ladite violation. Même si la prétention de la demanderesse quant à la non-pertinence de la préconnaissance était exacte, le degré et la nature de ladite connaissance représentent des facteurs importants pour l’évaluation des recours possibles.

 

  • [8] La demanderesse reconnaît, pour les fins de l’argumentation, que sa proposition voulant qu’un constructeur dont les droits d’auteur ont été violés soit admissible à une indemnité pour pertes de bénéfices, est inédite. La demanderesse étend aux concepteurs et constructeurs la tendance jurisprudentielle connue sous le nom de « jurisprudence afférente aux architectes ».

 

III.  ANALYSE

  • [9] L’enjeu juridique de la présente requête consiste à déterminer si la cause des défendeurs est sans fondement au point où elle n’a aucun mérite devant un tribunal. Le fardeau de la preuve incombant à la demanderesse pour faire valoir cet argument est élevé.

 

  • [10] Dans l’affaire Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Maple Leaf Sports & Entertainment, 2010 CF 731, la Cour a présenté un résumé des principes applicables à ce type de requête aux paragraphes 14 à16 :

[traduction]

14  Les procédures afférentes au jugement sommaire, maintenant devenu procès sommaire, constituent des outils importants pour un tribunal en ce qui a trait au contrôle du nombre de causes qui lui sont soumises. Dans le cas particulier des jugements sommaires, la Cour suprême du Canada a confirmé leur importance dans l’administration de la justice.

 

... La règle du jugement sommaire sert une fin importante dans le système de justice civile.  Elle permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès.  L’instruction de prétentions manifestement non fondées a un prix très élevé, en temps et en argent, pour les parties au litige comme pour le système judiciaire.  Il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et avantageux pour les parties, que les demandes qui n’ont aucune chance de succès soient écartées tôt dans le processus.  Inversement, la justice exige que les prétentions qui soulèvent de véritables questions litigieuses susceptibles d’être accueillies soient instruites.

 

Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, paragraphe 10

 

15  Ces procédures sommaires ont toutefois des limites. L’instruction constitue la façon de résoudre les litiges réels. Les gens ont le droit de s’adresser aux tribunaux. Ces derniers doivent être conscients qu’une requête en jugement sommaire peut priver une partie de l’exercice de ce droit.

 

16  Dans l’affaire Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. (1ère instance.), [1996] 2 R.C.F. 853, la Cour souligne les principes généraux applicables aux jugements sommaires.

 

8  J'ai examiné toute la jurisprudence se rapportant aux jugements sommaires et je résume les principes généraux en conséquence :

 

1.  ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al, [1994] A.C.F. n° 1631);

 

2. il n'existe pas de critère absolu (Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] A.C.F. nº 866), mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

 

3.  chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien (Blyth, [1994] A.C.F. n° 560, et Feoso);

 

4.  les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [R.R.O. 1990, Règle. 194]) peuvent faciliter l'interprétation (Feoso et Collie, [1996] A.C.F. n° 193);

 

5.  saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire (ce principe est plus large que celui qui est posé à la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario) (Patrick, [1994] A.C.F. n° 1216);

 

6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire (Pallman, [1995] A.C.F. n° 898, et Sears, [1996] A.C.F. n° 51);

 

7. lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès (Forde, [1995] A.C.F. n° 48, et Sears). L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit "se pencher de près" sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher (Stokes, [1995] A.C.F. n° 1547).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

  • [11] La requête de la demanderesse est vouée à l’échec pour plusieurs raisons :

(a)  la preuve nécessaire est absente. La question de la violation réelle du droit d’auteur et de l’ampleur des modifications apportées par les Webb au Plan Stratford ne peuvent être déterminées à partir de la preuve présentée. La question de l’ampleur des modifications ou celle visant à déterminer si le plan des Webb était essentiellement le même que le Plan Stratford sont des questions de fait et de degré qu’un juge du procès sera mieux en mesure d’évaluer;

(b)  il existe de graves questions de crédibilité, notamment en ce qui a trait à l’explication des Webb, au rôle de High Grade, au fait que l’on ait fourni ou non une assurance qu’il n’y avait pas de violation du droit d’auteur et à la détermination de la personne effectivement à l’origine de ladite violation;

(c)  la question de l’« autorisation » est complexe tant du point de vue juridique que factuel. Elle est très bien décrite dans l’affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 38 :

38   « Autoriser » signifie « sanctionner, appuyer ou soutenir » : Muzak Corp. c. Composers, Authors and Publishers Association of Canada, Ltd., [1953] 2 R.C.S. 182, p. 193; De Tervagne c. Beloeil (Ville de), [1993] 3 C.F. 227 (1re inst.). Lorsqu’il s’agit de déterminer si une violation du droit d’auteur a été autorisée, il faut attribuer au terme « countenance » son sens le plus fort mentionné dans le dictionnaire, soit [TRADUCTION] « approuver, sanctionner, permettre, favoriser, encourager » : voir The New Shorter Oxford English Dictionary (1993), vol. 1, p. 526. L’autorisation est néanmoins une question de fait qui dépend de la situation propre à chaque espèce et peut s’inférer d’agissements qui ne sont pas des actes directs et positifs, et notamment d’un degré suffisamment élevé d’indifférence…

 

Ce sont là des questions qu’un juge du procès sera mieux en mesure de pondérer en ayant en main toute la preuve;

(d)  la mesure des dommages-intérêts n’est pas déterminée. Le fait d’invoquer le caractère inédit d’une proposition pour réclamer des dommages-intérêts ne représente que l’un des facteurs indiquant que la question doit être instruite. L’allocation de dommages exemplaires nécessite une matrice factuelle complète; le fait de tenir un procès distinct pour la question des dommages ne constituerait pas une utilisation efficiente des ressources du tribunal étant donné que cela nécessiterait la production d’une bonne partie de la preuve en matière de responsabilité civile.

 

  • [12] Par conséquent, la présente requête est rejetée avec dépens aux défendeurs Webb, établis selon l’échelle habituelle.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens aux défendeurs Webb, établis selon l’échelle habituelle.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-746-09

 

INTITULÉ :  CONCEPT DEVELOPMENTS LTD.

 

  et

 

  CHARLES WEBB et LORNA WEBB

 

  et

 

  HIGH GRADE HOMES INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 16 DÉCEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT :  Le 21 DÉCEMBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Anthony Lambert

 

POUR LA DEMANDERESSE

M. G. Bruce Comba

 

POUR LES DÉFENDEURS,

CHARLES WEBB et LORNA WEBB

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LAMBERT INTELLECTUAL

PROPERTY LAW

Edmonton (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

EMERY JAMIESON LLP

Barristers & Solicitors

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS,

CHARLES WEBB et LORNA WEBB

 

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