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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101220

Dossier : T-246-10

Référence : 2010 CF 1284

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ZINN

 

 

ENTRE :

MIRZA NAMMO

demandeur

 

et

 

TRANSUNION OF CANADA INC.

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la Loi), à l’égard d’une plainte faite par le demandeur à la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (la CPVP) le 8 avril 2008. Le demandeur prétend que la défenderesse (TransUnion) [traduction] « a communiqué des renseignements personnels inexacts à une banque relativement à une demande de prêt ce qui a eu pour effet d’attribuer à M. Nammo les antécédents de crédit d’une autre personne ».

 

[2]               Le 22 janvier 2010, la CPVP a publié son rapport dans lequel elle conclu que [traduction] « l’affaire est fondée et résolue ». Dans la demande qu’il a présentée à la Cour, M. Nammo fait valoir que la défenderesse a violé les articles 4.6, 4.6.1, 4.7, 4.7.1, 4.9.5, 4.10.2 et 4.10.4 de l’annexe 1 de la Loi[1]. Il allègue également que la défenderesse, par sa conduite, a contrevenu à la Fair Trading Act, R.S.A. 2000, c. F-2, de l’Alberta.

 

[3]               M. Nammo demande à la Cour :

                    i)                  d’ordonner un [traduction] « examen procédural » des méthodes de travail employées par la défenderesse pour déterminer comment les données financières inexactes ont été insérées dans son dossier de crédit;

                   ii)                  de lui accorder des dommages-intérêts totalisant 250 000 $ pour les pertes encourues attribuables au fait que la défenderesse a transmis de faux renseignements à son sujet à une banque, nuisant ainsi à sa demande de prêt commercial;

                 iii)                  de lui accorder des dommages-intérêts d’un [traduction] « montant raisonnable » pour le stress, la souffrance morale et l’embarras que lui a causé la défenderesse.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie en partie.


Contexte

[5]               M. Nammo affirme s’être fait offrir une occasion d’affaires par quelqu’un qui désirait lancer une entreprise de camionnage, mais qui n’avait pas les ressources financières pour obtenir un prêt commercial. M. Nammo devait devenir un associé à parts égales dans l’entreprise de camionnage en échange de l’utilisation de son nom, de ses antécédents financiers et de son expertise pour obtenir le prêt commercial nécessaire. Selon M. Nammo, il s’agissait d’une bonne occasion d’affaires. Il affirme que durant les jours suivants lui et son associé ont passé beaucoup de temps à rédiger un plan d’affaires et à chercher où acheter le premier camion.

 

[6]               Avec le plan et l’occasion d’affaires en main, les deux futurs associés se sont rendus à la Banque Royale du Canada (RBC) pour obtenir un prêt commercial. Le demandeur affirme que la banque accepterait de lui accorder le prêt après avoir vérifié son crédit. Je n’accepte pas la prétention de la défenderesse portant qu’il n’y avait aucune preuve établissant que le prêt aurait été approuvé en l’absence des renseignements erronés qu’il a fournis à RBC. Sauf en ce qui concerne les témoignages sous serment du demandeur, j’estime qu’il est très peu probable qu’une banque qui s’engage à faire une vérification de crédit n’ait pas déjà décidé d’accorder le prêt demandé.

 

[7]               M. Nammo affirme que le jour après la demande de prêt, RBC l’a informé que le prêt n’était pas approuvé parce qu’il avait de [traduction] « mauvais antécédents de crédit » et que son associé n’avait pas les assises financières nécessaires pour garantir un prêt du montant requis. C’est TransUnion qui a fourni les renseignements de crédit à RBC. Lorsque M. Nammo a demandé des précisions sur ce qui avait nui à son crédit, il a appris, lors d’un appel avec un membre du personnel de TransUnion le 3 janvier 2008, que la décision de ne pas lui accorder le prêt en raison de ses mauvais antécédents de crédit avait été prise en fonction des renseignements que TransUnion avait dans son rapport, lequel avait été envoyé par l’agence de recouvrement CBV Collection Services Ltd. (CBV).

 

[8]               M. Nammo a communiqué avec CBV et on lui a dit que les renseignements que CBV avait fournis à TransUnion concernaient une autre personne que M. Nammo. M. Nammo a ensuite communiqué avec TransUnion par téléphone, soit le 4 janvier 2008, afin que les corrections nécessaires soient portées à son dossier.

 

[9]               M. Nammo était à juste titre mécontent lorsqu’il a appelé TransUnion et on peut dire que les échanges téléphoniques avec les représentants de la défenderesse étaient tendus. M. Nammo voulait obtenir une réponse immédiatement, mais TransUnion avait besoin de temps pour examiner ce qu’il alléguait, c’est-à-dire que de faux renseignements figuraient dans son dossier.

 

[10]           TransUnion a mené une enquête à la suite des appels de M. Nammo. TransUnion affirme avoir mené une [traduction] « enquête complète », bien que l’enquête semble s’être limitée à un seul appel téléphonique le 23 janvier 2008, soit 20 jours après la plainte de M. Nammo, entre un représentant de TransUnion et « Shirly » de CBV. Shirly a confirmé que les renseignements de crédit ne concernaient pas M. Nammo, mais une autre personne. Le jour même, TransUnion a répondu comme suit à la plainte de M. Nammo :

 

[traduction]

La présente lettre constitue une réponse à votre récente demande concernant la vérification de certains renseignements dans votre dossier de crédit. Nous avons vérifié l’exactitude de vos renseignements et suivant nos observations, nous avons modifié votre dossier de crédit afin de nous y conformer. Veuillez noter que nous avons avisé la Banque Royale des modifications à votre dossier.

 

[11]           TransUnion a également envoyé une lettre à RBC le 23 janvier 2008 avisant cette dernière des modifications au dossier de M. Nammo. Cette lettre était rédigée comme suit :

[traduction]

À la suite de votre demande du 3 janvier 2008, veuillez noter que nous avons modifié le dossier de crédit de votre client. Les coordonnées de votre client sont les suivantes :

 

MIRZA NAMMO

2410 14 ST SW

Calgary AB T2T 3T6

 

Si vous désirez consulter les résultats de notre enquête, nous vous recommandons de demander une copie du dossier de crédit de votre client.

 

Selon le dossier, TransUnion a également envoyé des lettres pratiquement identiques à deux autres institutions à qui elle avait envoyé des rapports de crédit concernant M. Nammo à la suite d’enquêtes de crédit effectuées le 17 décembre 2007 et le 6 juillet 2007.

 

[12]           Après la réception de la lettre de la défenderesse du 23 janvier 2008, M. Nammo a tenté de découvrir comment des renseignements inexacts avaient été inscrits dans son dossier. Ses discussions avec les représentants de CBV l’ont amené à conclure, à juste titre, que l’erreur ne résultait pas d’une faute commise par CBV. Les représentants de CBV ont dit à M. Nammo que les renseignements qu’ils ont fournis à TransUnion se rapportaient un homme dont le nom, la date de naissance, le numéro d’assurance sociale et la province de résidence étaient différents et qui n’avait jamais habité aux adresses de M. Nammo. Il convient de souligner que TransUnion n’a jamais obtenu le numéro d’assurance sociale ou la province de résidence actuelle de ce tiers, que j’appellerai M. X[2].

 

[13]           Les renseignements que TransUnion a réellement reçus de la part de CBV avaient certaines similarités avec le nom et l’adresse de M. Nammo.

 

[14]           M. Nammo a légalement changé son nom pour Mirza Nammo en 1999. Trois variantes de son ancien nom sont inscrites dans les dossiers de TransUnion. Le prénom de M. X avait une seule lettre différente de son ancien prénom et le nom de famille de M. X avait une lettre de moins qu’un de ses noms de famille dans la base de données de la défenderesse.

 

[15]           L’adresse de M. X renvoyait à une rue de Calgary où le demandeur avait déjà habité, mais le numéro municipal était différent. La différence entre les numéros municipaux était inférieure à 100. La défenderesse a souligné que les codes postaux des deux adresses étaient identiques, sauf le dernier chiffre. Or, compte tenu de la façon dont les codes postaux sont répartis, cet élément révélait simplement que les deux résidences étaient près l’une de l’autre.

 

[16]           Les renseignements que CBV a fournis à TransUnion contenaient une différence frappante concernant les dates de naissance. Le demandeur est né le 21 juillet 1966 et a 44 ans. M. X est né en 1982 et a 28 ans.

 

[17]           Après avoir obtenu les renseignements auprès de CBV, M. Nammo a écrit à la défenderesse le 1er février 2008 pour lui poser une série de questions dans le but de déterminer comment l’erreur s’était produite.

 

[18]           Le 15 février 2008, TransUnion lui a répondu par lettre. Il est difficile de déterminer si cette réponse constituait une simple mesure de dissimulation ou, comme l’a fait valoir le demandeur, une fausse déclaration délibérée. Dans sa lettre, TransUnion n’a assumé aucune responsabilité pour l’erreur qui n’était pourtant imputable qu’à elle seule; elle a plutôt affirmé que CBV avait signalé le compte par erreur, laissant ainsi entendre qu’il fallait imputer la faute à CBV.

[traduction]

 

Lorsque vous avez communiqué avec TransUnion le 4 janvier 2008, vous avez demandé que l’on examine l’une des références apparaissant dans votre dossier ainsi que le compte d’une carte Mastercard Canadian Tire et le compte de l’agence de recouvrement CBV. À ce moment, TransUnion a mené une enquête complète et les résultats de cette enquête vous ont été envoyés par courrier le 23 janvier 2008. Dans cette lettre, vous avez été informé que nous avons modifié votre dossier et que nous avons avisé les créanciers pertinents de cette modification. En ce qui concerne le compte de recouvrement qui a été inscrit dans votre dossier, l’agence de recouvrement CBV nous a confirmé qu’elle a signalé le compte par erreur à TransUnion. Nous avons supprimé le compte de votre dossier le 23 janvier 2008 et nous vous avons informé de son retrait dans une lettre le même jour. Nous avons joint une copie de votre dossier de crédit modifié afin que vous puissiez en prendre connaissance. (Je souligne.)

 

[19]           Insatisfait de cette réponse, le demandeur a déposé une plainte auprès de la CPVP. La CPVP s’est exprimée comme suit :

[traduction]

TransUnion ne s’est clairement pas acquittée de l’obligation qui lui incombait en vertu de [l’article] 4.6 [de l’annexe 1 de la Loi] consistant à maintenir des renseignements exacts au sujet du plaignant.

 

Dans les circonstances, le défaut de la part de TransUnion de maintenir des renseignements exacts au sujet du plaignant a nui gravement à ce dernier. TransUnion n’a donc pas respecté la norme établie à [l’article] 4.6.1.

 

Selon moi, la brève enquête menée par TransUnion, le fait qu’elle a modifié le dossier de crédit du plaignant et le rapport qu’elle a fait à la banque sont conformes aux exigences de [l’article] 4.9.5.

 

Par conséquent, je conclus que la plainte est fondée et résolue.

 

Questions en litige et analyse

[20]           Le demandeur soulève plusieurs questions dans son mémoire des faits et du droit. Il souligne que la CPVP a conclu que TransUnion a violé les articles 4.6 et 4.6.1. Il prétend que l’accès non autorisé à son dossier et que l’ajout dans son dossier de renseignements appartenant à quelqu’un d’autre violent les articles 4.7 et 4.7.1. Il allègue que si TransUnion se servait d’un numéro d’identification unique pour faire correspondre les données qu’elle reçoit avec les dossiers personnels dans sa base de données, comme le numéro d’assurance sociale, l’erreur en l’espèce ne se serait pas produite. M. Nammo affirme avoir demandé à TransUnion de lui envoyer le document que CBV lui avait envoyé et qui contiendrait des renseignements au sujet du demandeur, mais que TransUnion a refusé, contrevenant ainsi à l’article 4.9.4. Il conteste la conclusion de la CPVP selon laquelle Trans Union a respecté l’article 4.9.5., alléguant que TransUnion a délibérément perdu du temps et refusé de reconnaître son erreur. De plus, M. Nammo prétend que TransUnion a violé les articles 4.10.2 et 4.10.4 en ne répondant pas aux questions précises qu’il lui a posées concernant l’inexactitude des renseignements et la raison pour laquelle cette erreur s’est produite.

 

[21]           M. Nammo souligne que l’article 16 de la Loi habilite la Cour fédérale à accorder des dommages-intérêts et à ordonner à une organisation de corriger ses pratiques. Il fait valoir qu’il serait facile de modifier les pratiques de TransUnion pour qu’elles soient conformes à la loi parce que toute personne possède un identificateur unique, comme le numéro d’assurance sociale et le numéro de permis de conduire. L’utilisation d’un tel identificateur permettrait à TransUnion d’éviter les erreurs. Enfin, il allègue que TransUnion a mal compris la Fair Trading Act de l’Alberta et que la Cour devrait lui accorder des dommages-intérêts en vertu de l’article 50 de cette loi.

 

[22]           Certaines des questions soulevées par le demandeur peuvent être tranchées rapidement puisque la Cour n’a pas compétence à leur égard. Les questions principales consistant à déterminer si TransUnion a violé la Loi et, dans l’affirmative, la réparation à accorder relèvent parfaitement de la compétence de la Cour.

 

            Questions ne relevant pas de la compétence de la Cour

[23]           TransUnion a raison de dire que la Cour fédérale n’a pas compétence pour accorder une réparation en vertu de la Fair Trading Act de l’Alberta, une loi provinciale. À titre de cour créée par la loi, la Cour fédérale n’a que les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. Ni la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 ni la Loi ne donnent compétence à la Cour en vertu de la Fair Trading Act.

 

[24]           TransUnion a également raison de dire que notre Cour n’a pas compétence pour conclure qu’elle a violé l’article 4.10 de l’annexe 1 de la Loi. L’article 14 de la Loi autorise une partie à demander à la Cour fédérale d’entendre toute question visée aux articles de l’annexe 1 énoncés dans cet article. L’article 4.10 ne figure pas à l’article 14 et la Cour n’a donc pas compétence pour l’examiner.

 

[25]           Je conviens également avec TransUnion qu’en vertu de l’article 14 de la Loi, notre Cour n’a pas compétence pour examiner les questions n’ayant pas fait l’objet d’une plainte auprès de la CPVP ou n’ayant pas été mentionnées dans le rapport de cette dernière.

 

[26]           TransUnion a correctement souligné que l’observation du demandeur portant qu’elle ne lui aurait pas fourni le document demandé, contrairement à l’article 4.9.4, n’a pas été soulevée dans son avis de demande et soutient que la Cour devrait refuser de l’entendre. Je suis d’accord. Non seulement la question n’a pas été soulevée dans l’avis de demande, mais il semble que le demandeur n’a jamais adéquatement demandé le document en vertu de la Loi puisqu’aucune demande écrite n’a été présentée. Le paragraphe 8(1) de la Loi indique clairement qu’une telle demande doit être présentée par écrit. Lors des conversations téléphoniques qui ont eu lieu le 3 et le 4 janvier 2008, on a demandé au demandeur de présenter sa demande par écrit. S’agissant de la « demande » dont il est question dans sa lettre du 1er février 2008, le demandeur sollicite des renseignements généraux sur les raisons de l’erreur, mais ne demande pas précisément le document que TransUnion a reçu de CBV[3]. Cette lettre ne respecte pas l’exigence selon laquelle une demande de document doit être présentée par écrit étant donné qu’elle ne mentionne pas le document requis.

 

Questions relevant de la compétence de la Cour

[27]           TransUnion affirme que la seule question valablement soumise à la Cour est la question de l’exactitude des renseignements parce que dans sa décision, la CPVP a seulement examiné la question de l’exactitude et a uniquement appliqué les articles 4.6, 4.6.1 et 4.9.5, et parce que le demandeur n’a pas démontré que ses allégations liées à l’inexactitude ont été soumises à bon droit à la Cour. Les allégations liées à l’inexactitude formulées par le demandeur se rapportent aux septième et au neuvième principes qui traitent respectivement des mesures de sécurité et de l’accès aux renseignements personnels.

 

[28]           Le libellé de l’article 14, qui confère compétence à notre Cour, est large. Selon cet article, le plaignant peut demander à la Cour fédérale d’entendre « toute question qui a fait l’objet de la plainte » (non en italique dans l’original). À mon avis, « toute question » renvoie à l’objet factuel de la plainte, et non à la qualification juridique des questions de fait soulevées qui relèvent d’un principe ou d’un article en particulier. La décision de la CPVP d’appliquer ou de ne pas appliquer certains principes ou articles pour tirer certaines conclusions ne peut priver le demandeur de présenter des observations à la Cour concernant d’autres principes ou articles, particulièrement compte tenu du fait que la demande en vertu de l’article 14 n’est pas une demande de contrôle judiciaire mais une audition de novo.

 

[29]           M. Nammo prétend que TransUnion a violé le sixième principe (Exactitude) parce que les renseignements personnels qu’elle avait à son sujet n’étaient pas « aussi exacts, complets et à jour que l’exigent les fins auxquelles ils sont destinés », au sens de l’article 4.6.

 

[30]           L’article 4.6, le principe de l’exactitude, n’a pas été interprété par notre Cour. TransUnion exhorte la Cour à interpréter le principe de l’exactitude [traduction] « de façon à fusionner le principe de l’exactitude et la réparation prévue à l’article 4.9.5 ». L’article 4.9.5 prévoit que « [l]orsqu’une personne démontre que des renseignements personnels sont inexacts ou incomplets, l’organisation doit apporter les modifications nécessaires à ces renseignements ». TransUnion fait valoir que la Cour devrait conclure qu’il n’y a aucune violation du principe de l’exactitude lorsqu’une organisation a réagi adéquatement pour corriger les renseignements prétendument faux. TransUnion fait valoir qu’il est possible de conclure qu’une organisation n’a pas réagi de façon adéquate dans deux situations : l’organisation n’a pas respecté les normes de l’industrie et l’organisation n’a pas répondu dans un délai raisonnable. Voici comment elle s’est exprimée :

[traduction]

Il y a violation du principe de l’exactitude lorsque les pratiques d’une organisation en matière d’exactitude sont inférieures aux normes de l’industrie compte tenu des fins auxquelles les renseignements sont destinés. Il y également violation lorsqu’une organisation est informée de l’existence de renseignements inexacts conformément à [l’article] 4.9.5, mais qu’elle ne corrige pas l’inexactitude dans un délai raisonnable.

 

[31]           Je n’accepte pas l’interprétation donnée par TransUnion; elle n’est défendable ni à la lecture du libellé des articles 4.6 et 4.6.1 ni à la lumière de l’objet de la Loi. Ce n’est pas parce qu’une organisation a pris des mesures pour corriger une violation que cette violation ne s’est pas produite. La rectification d’une violation est un élément à examiner lorsqu’il s’agit de déterminer la réparation, le cas échéant, que la Cour doit accorder en vertu de l’article 16 de la Loi. À mon avis, une bonne interprétation de la Loi exige que l’article 4.9.5 soit considéré comme une exigence indépendante, et non comme une issue de secours interprétée comme faisant partie de l’article 4.6.

 

[32]           L’interprétation que TransUnion propose, soit d’inclure l’obligation de diligence d’une organisation pour corriger toute inexactitude à l’article 4.6, est également indéfendable parce que cela signifierait qu’une organisation devrait être avisée en vertu de l’article 4.9.5 avant qu’une violation puisse être considérée comme s’étant produite. Cette exigence n’apparaît nulle part dans le libellé des articles 4.6 ou 4.6.1. L’article 4.6 exige que les renseignements personnels soient « aussi exacts, complets et à jour que l’exigent les fins auxquelles ils sont destinés ». L’article 4.6.1 prévoit que les « renseignements doivent être suffisamment exacts, complets et à jour pour réduire au minimum la possibilité que des renseignements inappropriés soient utilisés pour prendre une décision à son sujet ». Aucun de ces articles ne prévoit qu’il faut déterminer si les renseignements sont exacts, complets et à jour seulement après avoir été informé que ces renseignements ne sont pas exacts et complets et à jour.

 

[33]           La prétention de TransUnion selon laquelle il peut uniquement y avoir violation lorsque les pratiques d’une organisation en matière d’exactitude ne répondent pas aux normes de l’industrie est également indéfendable. Suivant cette interprétation, il faudrait logiquement conclure que si les pratiques d’une industrie tout entière sont contraires aux principes énoncés à l’annexe 1, il n’y a alors aucune violation de la Loi. Selon cette interprétation, les Canadiens ne pourraient effectivement pas contester les normes de l’industrie au motif qu’elles violeraient la Loi.

 

[34]           La Loi reconnaît la réalité, c’est-à-dire que les organisations recueillent, utilisent et communiquent des renseignements personnels. L’article 3 énonce les fins jugées acceptables pour la cueillette, l’utilisation et la communication de renseignements personnels, notamment les fins « qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances ». Il ne s’agit pas nécessairement des normes établies par ou pour une industrie. Sur ce point, je suis d’accord avec la déclaration suivante formulée par la CPVP dans sont rapport :

[traduction]

TransUnion a adopté la position selon laquelle elle a agi en tout temps conformément à la Fair Trading Act de l’Alberta et au paragraphe 3.3(2) du Credit and Personal Reports Regulation de cette loi. Elle prétend que la [Loi] ne s’applique pas dans ces circonstances. Je ne suis pas d’accord. La [Loi] prévoit des obligations indépendantes qui doivent être respectées par toutes les organisations visées par la Loi. Le fait que TransUnion aurait respecté ses obligations en vertu de la Fair Trading Act ne signifie pas qu’elle peut faire fi de ses obligations en vertu de la [Loi].

 

Enfin, je souligne que nulle part dans le principe de l’exactitude ou dans l’annexe 1 n’est-il fait mention des normes de l’industrie. Si toutes les industries avaient des normes correspondant au régime de la Loi, la Loi serait inutile. Fusionner les normes de l’industrie et le régime de la Loi aurait pour effet de neutraliser la Loi et ses répercussions.

 

[35]           TransUnion a donné un aperçu général du processus électronique qu’elle utilise pour faire correspondre les renseignements reçus avec les dossiers des personnes qu’elle crée et conserve. Il s’agit d’un processus informatisé qui n’exige pas une correspondance parfaite. TransUnion affirme qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’une agence d’évaluation du crédit insère des renseignements dans le dossier d’une personne seulement lors d’une correspondance parfaite des renseignements compte tenu des problèmes inhérents à l’administration d’un tel système exigeant une correspondance parfaite. Elle fait également valoir que bien que chaque Canadien possède un numéro d’assurance sociale unique, les numéros ne peuvent être utilisés à cette fin.

 

[36]           Je suis d’accord avec TransUnion sur le dernier point. Le numéro d’assurance sociale de chaque personne est unique; il sert à la gestion du Régime de pension du Canada. Seuls des ministères précis et des programmes particuliers du gouvernement peuvent recueillir et utiliser les numéros d’assurance sociale; la défenderesse et d’autres entreprises similaires ne sont pas autorisées à le faire.

 

[37]           J’accepte également l’argument de TransUnion selon lequel il n’est pas raisonnable sur le plan commercial pour les agences d’évaluation du crédit d’adopter un système à correspondance parfaite. Il ressort clairement du dossier que les renseignements fournis aux agences d’évaluation du crédit peuvent contenir des caractéristiques identiques concernant une personne. Or, il est peu probable qu’ils soient totalement identiques. Par exemple, les agences recueillent des renseignements comme des adresses domiciliaires antérieures et des pseudonymes utilisés par une personne. La correspondance parfaite aurait pour effet de limiter la correspondance et de mettre en doute certains renseignements dans plusieurs circonstances. Les renseignements sur le crédit d’une personne sont importants non seulement pour le prêteur, mais également pour l’emprunteur, dont les renseignements personnels figurent dans le rapport de crédit. Un système de correspondance parfaite ferait davantage de tort aux deux parties.

 

[38]           L’utilisation d’un système de correspondance partielle entraîne à l’occasion des erreurs de correspondance. Toutefois, cela ne permet pas de dire que celui qui recueille des renseignements en utilisant un tel système puisse échapper à la responsabilité de la Loi simplement parce que ce système est commercialement sensé. L’utilité pratique d’un système de correspondance partielle ne signifie pas qu’il ne peut jamais y avoir de violation du principe de l’exactitude ou qu’il n’y a pas eu violation de ce principe en l’espèce. Il n’y a aucune défense de nécessité pratique prévue dans la Loi.

 

[39]           Selon la Loi, les renseignements personnels ne doivent pas nécessairement être complètement exacts, complets et à jour. La Loi exige plutôt que les renseignements personnels soient aussi exacts, complets et à jour « que l’exigent les fins auxquelles ils sont destinés ». Par conséquent, c’est à la lumière de la fin à laquelle les renseignements sont destinés qu’il faut décider si les renseignements sont exacts, complets et à jour.

 

[40]           Les renseignements sur le crédit, comme ceux que TransUnion a fournis, sont destinés à une seule fin : permettre aux fournisseurs de crédit de prendre des décisions éclairées, fiables et objectives. Trancher de façon éclairée, fiable et objective exige que les renseignements sur lesquels de telles décisions se fondent répondent à un degré élevé d’exactitude, d’exhaustivité et de fiabilité. Ce rôle des services d’information sur le crédit et des agences d’évaluation du crédit, comme TransUnion, a été décrit comme suit par le juge Feldman de la Cour d’appel de l’Ontario dans Haskett c. Equifax Canada Inc. et al., [2003] O.J. no 771, au paragraphe 29 :

[traduction]

Le crédit fait partie intégrante de la vie courante dans la société actuelle. Non seulement les gens veulent obtenir des prêts, des prêts hypothécaires ou des crédits-bails automobiles ou encore souscrire à des assurances, mais ceux qui désirent, par exemple, louer un appartement ou même obtenir un emploi peuvent faire l’objet d’une évaluation de crédit; le contenu d’un rapport de crédit peut influencer leur capacité à obtenir le prêt, l’emploi ou les services recherchés. Le paiement par carte de crédit est très courant. Or, l’obtention d’une carte de crédit dépend de la solvabilité d’une personne. Sans crédit, une personne ne peut faire de transaction financière au téléphone ou par Internet. Le crédit est tellement omniprésent qu’il n’y a rien d’exceptionnel à propos du fait que le consommateur s’attend à ce que les organisations d’évaluation du crédit se conduisent non seulement de façon honnête, mais également avec exactitude, compétence et diligence ainsi que conformément aux obligations en vertu de la loi. (Je souligne.)

 

[41]           Les renseignements que TransUnion avait dans sa base de données au sujet du demandeur et, plus important encore, qu’elle a fournis à RBC étaient peut-être complets et à jour, mais ils n’étaient pas exacts; ils étaient sensiblement inexacts.

 

[42]           Selon la Cour, si quelqu’un avait vérifié les renseignements avant de les transmettre à RBC, les faux renseignements n’auraient fort probablement pas été transmis à RBC. Il n’était pas nécessaire d’examiner attentivement les renseignements de la CBV pour conclure qu’ils avaient été indûment insérés dans le dossier de M. Nammo.

 

[43]           J’estime que les renseignements personnels du demandeur que détenait TransUnion n’étaient pas « aussi exacts, complets et à jour que l’exigent les fins auxquelles ils [étaient] destinés » (article 4.6) et qu’ils n’étaient pas « suffisamment exacts, complets et à jour pour réduire au minimum la possibilité que des renseignements inappropriés soient utilisés pour prendre une décision à son sujet » (article 4.6.1). Je suis d’accord avec la conclusion de la CPVP portant que TransUnion n’a pas respecté ses obligations en vertu des articles 4.6 et 4.6.1 et qu’elle a donc violé la Loi.

 

[44]           Pour les raisons mentionnées précédemment, je ne suis pas d’accord avec TransUnion pour dire que la question liée aux mesures de sécurité en vertu du septième principe n’a pas été soumise régulièrement à la Cour. Toutefois, j’estime que TransUnion n’a pas violé le septième principe. Selon ce principe, les renseignements doivent être protégés au moyen de mesures de sécurité correspondant à leur degré de sensibilité. Dans la présente affaire, les renseignements ont été protégés; ils ont été délibérément communiqués à RBC conformément aux pratiques habituelles de TransUnion et avec le consentement du demandeur. Il n’y a eu aucune perte ni aucun vol, ni aucune consultation, communication, copie, utilisation ou modification non autorisée conformément à l’article 4.7.1, du moins en ce qui concerne le présent demandeur (il ne s’agissait pas de ses renseignements personnels, bien qu’ils figuraient dans son dossier). Contrairement à M. Nammo, M. X pourrait valablement porter plainte contre TransUnion au motif que ses renseignements n’ont pas été adéquatement protégés puisque ses renseignements ont été irrégulièrement classés et communiqués.

 

[45]           En vertu de l’article 4.9.5, lorsqu’une personne démontre que des renseignements personnels sont inexacts ou incomplets, comme en l’espèce, l’organisation « doit apporter les modifications nécessaires à ces renseignements ». TransUnion a modifié les renseignements inexacts dans ses dossiers et s’est ainsi acquittée de son obligation en vertu de l’article 4.9.5.

 

[46]           De plus, l’article 4.9.5 prévoit que « [s]’il y a lieu, l’information modifiée doit être communiquée à des tiers ayant accès à l’information en question ». TransUnion prétend avoir transmis rapidement les renseignements modifiés aux tiers concernés et qu’elle n’a donc pas violé l’article 4.9.5.

 

[47]           La Cour doit examiner deux questions : était-il « approprié » dans les circonstances que TransUnion transmette les renseignements corrigés à ceux à qui elle avait précédemment communiqué les renseignements inexacts et, dans l’affirmative, l’a-t-elle fait?

 

[48]           Selon moi, il n’y a aucun doute qu’il était approprié de corriger les renseignements de crédit inexacts qui avaient été communiqués précédemment. Le fait que TransUnion ait pris des mesures pour communiquer les renseignements modifiés à ces trois institutions indique qu’elle jugeait que la correction était appropriée. Il est peu probable que des renseignements, particulièrement les renseignements de nature financière, soient recueillis, utilisés une seule fois et supprimés. Plus vraisemblablement, une institution qui octroie du crédit conservera les renseignements de crédit obtenus et les intégrera dans un dossier qu’elle créera relativement à la demande de crédit. Par conséquent, il est très probable que les faux renseignements seront conservés et que ceux-ci risquent ensuite d’être communiqués et utilisés à nouveau. Il s’agit d’un risque important parce que si de tels renseignements sont utilisés à nouveau, les conséquences liées à la communication de faux renseignements sont exacerbées. Il est donc nécessaire, compte tenu de ce risque, que le dossier soit corrigé.

 

[49]           Comme j’ai conclu qu’il existe une obligation de la part de TransUnion de corriger la situation, la Cour doit donc se demander si la lettre que TransUnion a envoyée est suffisante pour que TransUnion se soit acquittée de cette obligation. Par souci de commodité, je reproduis ci-après la lettre que TransUnion a envoyée à RBC :

[traduction]

À la suite de votre demande du 3 janvier 2008, veuillez noter que nous avons modifié le dossier de crédit de votre client. Les coordonnées de votre client sont les suivantes :

 

MIRZA NAMMO

2410 14 ST SW

Calgary AB T2T 3T6

 

Si vous désirez consulter les résultats de notre enquête, nous vous recommandons de demander une copie du dossier de crédit de votre client.

 

[50]           Peut-on dire qu’au moyen de cette lettre, TransUnion a transmis l’« information modifiée » à RBC comme l’exige l’article 4.9.5? Je ne crois pas. Dans cette lettre, TransUnion informait RBC que les renseignements avaient été modifiés, sans toutefois fournir ces renseignements modifiés. Elle n’a donné aucun détail à RBC au sujet des « modifications » du dossier de son client. TransUnion n’a même pas inclus de rapport de crédit à jour concernant M. Nammo. RBC aurait-elle pu découvrir que les renseignements sur lesquels elle s’est fondée pour refuser la demande de prêt de M. Nammo étaient inexacts? Encore une fois, je ne crois pas. La lettre n’indiquait même pas que les faux renseignements avaient été supprimés, elle indiquait seulement que le dossier avait été « modifié ». Compte tenu du peu d’information que TransUnion a transmis à RBC, le simple fait de mentionner que le dossier a été modifié aurait pu être interprété comme si des renseignements concernant des défauts de paiement additionnels avaient été ajoutés au dossier. Ce que TransUnion était tenu de transmettre à RBC en vertu de l’article 4.9.5 était une copie du rapport de crédit de M. Nammo, tel qu’il figure dans ses dossiers, une fois que les données fournies par CBV ont été supprimées.

 

[51]           À l’audience, M. Nammo a fait valoir que d’après la façon dont TransUnion a répondu à RBC, lui recommandant de demander le rapport de crédit modifié, RBC devait payer des frais à TransUnion pour obtenir le rapport. Il n’y a aucune preuve au dossier ni dans la lettre envoyée à RBC établissant que TransUnion aurait fourni le rapport corrigé gratuitement. Imposer des frais à l’institution à qui TransUnion a envoyé de faux renseignements afin qu’elle puisse obtenir les renseignements modifiés serait, à mon avis, abusif et très certainement contraire à l’article 4.9.5. Inférer que les renseignements modifiés n’auraient été fournis que moyennant le paiement de frais aurait probablement comme conséquence que les renseignements corrigés ne seraient pas demandés puisque la transaction pour laquelle les renseignements étaient demandés en premier lieu était close.

 

 

 

Réparation

[52]           Le demandeur sollicite deux réparations : un « examen procédural » des méthodes de travail employées par la défenderesse pour déterminer comment les données financières inexactes ont été insérées dans son dossier de crédit, et des dommages-intérêts pour les pertes encourues attribuables au fait que TransUnion a transmis de faux renseignements à RBC ainsi que pour le stress, la souffrance morale et l’embarras que lui a causé cette erreur.

 

[53]           Je ne suis pas convaincu que l’examen procédural demandé est nécessaire pour déterminer comment les renseignements inexacts ont été insérés dans le dossier du demandeur. Il est clair que les renseignements ont été insérés par erreur dans son dossier en raison des paramètres de correspondances inexacts utilisés par TransUnion. Il est également évident, selon moi, que les renseignements inexacts ont été envoyés à RBC et à des tiers parce qu’il n’y a eu aucune vérification indépendante des renseignements avant leur transmission.

 

[54]           TransUnion a exhorté la Cour à ne pas accorder de dommages-intérêts au demandeur même si elle concluait qu’il y a eu violation de la Loi. Premièrement, TransUnion prétend que les dommages-intérêts sont à la discrétion de la Cour et souligne qu’à ce jour, aucuns dommages‑intérêts n’ont été accordés en vertu de l’article 16 de la Loi. Je conviens que la Cour a ce pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 16 : « La Cour peut […] accorder au plaignant des dommagesintérêts […] » [Je souligne.]. Or, elle n’est pas tenue de le faire.

 

[55]           Deuxièmement, TransUnion fait valoir que le critère pour déterminer si une violation de la Loi entraîne une responsabilité en dommages-intérêts doit être fondé sur la notion de la raisonnabilité. Selon elle, la Cour doit examiner et prendre en considération la conduite de la défenderesse tout au long des événements ayant mené à la violation. Si sa conduite était raisonnable, aucuns dommages-intérêts ne doivent être accordés. TransUnion prétend que le commentaire formulé par Allen Linden et Bruce Feldthusen dans Canadian Tort Law, 8e éd. (Markham : LexisNexis Butterworths, 2006), à la page 130, qui traite de la nécessité de mettre en balance les intérêts pour déterminer la responsabilité en matière de négligence, s’applique également à une conclusion de responsabilité en vertu de l’article 16 de la Loi :

[traduction]

Si chaque acte comportant des risques pour une personne entraînait une responsabilité, l’exercice de plusieurs activités utiles dans notre société pourrait être jugé trop dispendieux. Le droit en matière de négligence cherche à prévenir seulement les actes qui présentent un risque de préjudice déraisonnable. En déterminant si le risque est déraisonnable ou non, la cour met en balance le risque découlant de la conduite du défendeur d’une part, et l’utilité de cette conduite d’autre part. Si le risque l’emporte sur la valeur sociale de l’activité, le défendeur est tenu responsable; dans le cas contraire, le défendeur est exonéré de toute responsabilité. [En italique dans l’original.]

 

[56]           J’admets que l’appréciation de la conduite d’un défendeur est appropriée lorsque la cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder des dommages-intérêts et qu’elle doit évaluer le montant des dommages-intérêts à accorder. Or, dans ses prétentions, TransUnion semble confondre responsabilité et dommages-intérêts. Dans l’extrait de l’ouvrage cité précédemment, les auteurs soulignent que toute conduite comportant un risque de préjudice ne constitue pas nécessairement de la négligence – seule la conduite qui comporte un risque de préjudice déraisonnable constitue de la négligence et entraîne la responsabilité de son auteur. De même, en vertu de la Loi, tout renseignement personnel inexact n’entraîne pas nécessairement une violation de la Loi – c’est seulement lorsque les renseignements personnels ne sont pas suffisamment exacts compte tenu de l’usage auquel ils sont destinés. Le critère de la « raisonnabilité » est donc compris dans la Loi et est pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu violation des dispositions législatives.

 

[57]           Troisièmement, TransUnion soutient qu’elle ne devrait être condamnée à verser des dommages-intérêts en vertu de l’article 16 de la Loi que si le demandeur [traduction] « a démontré que la conduite de TransUnion était déraisonnable ». Elle affirme que « puisque le principe de l’exactitude est pondéré par l’article 4.9.5, la cour devrait également accorder du poids aux efforts déployés par TransUnion pour corriger l’inexactitude ». Comme il été dit précédemment, je conviens que l’appréciation de la conduite du défendeur est appropriée lorsqu’une cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’attribuer des dommages-intérêts ou non et qu’elle détermine le montant de dommages-intérêts à accorder. Lorsqu’il s’agit d’examiner le caractère raisonnable d’une conduite ayant porté atteinte au principe de l’exactitude, la Cour doit prendre en compte plusieurs facteurs, y compris la nature de la réponse au plaignant, les mesures prises pour enquêter sur l’inexactitude alléguée, les mesures prises pour corriger les renseignements recueillis dans les propres dossiers de l’organisation, les mesures prises pour corriger les faux renseignements que l’organisation a transmis à des tiers, les mesures prises pour informer le plaignant de l’évolution de l’enquête et la célérité avec laquelle l’organisation a pris ces mesures.

 

[58]           Quatrièmement, TransUnion soutient que lorsque des renseignements personnels inexacts se rapportent à des renseignements sur le crédit d’une personne, cette personne a une part de responsabilité en ce qui a trait à leur exactitude. En ce qui concerne M. Nammo, TransUnion a présenté l’argument suivant :

[traduction]

[…] M. Nammo avait la capacité, et était en partie responsable, de réduire le risque que des renseignements inexacts soient insérés dans son dossier. Toute personne est encouragée à vérifier son dossier de crédit, particulièrement lorsqu’elle prévoit faire une demande de crédit. M. Nammo savait qu’il pouvait obtenir un rapport de crédit, savait qu’il était responsable du financement obtenu en son nom, savait, grâce à son expérience, qu’il était possible que des renseignements douteux puissent être insérés dans son dossier, reconnaissait que des renseignements inexacts pouvaient être insérés dans son dossier, mais n’a pas vérifié son dossier de crédit avant de faire sa demande de prêt. Par conséquent, il aurait dû atténuer le risque d’inexactitude en vérifiant son dossier de crédit avant de demander un prêt.

 

 

 

[59]           Le dossier révèle que plusieurs années avant les événements ayant mené à la présente demande, M. Nammo a découvert qu’une agence d’évaluation du crédit autre que la défenderesse avait des renseignements dans son dossier relativement à une facture impayée. M. Nammo avait refusé de payer la facture émise par un dentiste puisque les services que ce dentiste avait facturés n’avaient pas été exécutés. Le dossier a été par la suite modifié par l’agence d’évaluation du crédit. Par conséquent, la défenderesse a raison de dire que M. Nammo savait que de faux renseignements pouvaient être insérés dans son dossier de crédit. Toutefois, il n’y a rien dans le dossier qui étaye la prétention portant qu’il [traduction] « reconnaissait que des renseignements inexacts pouvaient être insérés dans son dossier », à moins que cette allégation signifie qu’il savait qu’une telle chose était possible. Je souscris à l’observation de la Cour d’appel de l’Ontario dans Haskett c. Equifax Canada Inc., précité, selon laquelle [traduction] « dans la mesure où une personne, comme l’appelant, autorise, soit expressément ou implicitement, la cueillette et la communication de renseignements sur son crédit […] il est juste de dire qu’une telle autorisation vise normalement la communication de renseignements exacts de façon non négligente ».

 

[60]           Les circonstances du différend entre M. Nammo et son dentiste quelques années auparavant et les circonstances en l’espèce sont complètement différentes. En ce qui concerne le différend entre M. Nammo et son dentiste, une facture avait été envoyée et n’avait pas été acquittée parce que M. Nammo contestait les services facturés. Néanmoins, les renseignements se rapportaient effectivement à M. Nammo et concernaient réellement une facture impayée qu’on lui avait remise. Les renseignements en l’espèce ne se rapportent aucunement à M. Nammo.

 

[61]           Prétendre, comme l’a fait la défenderesse, qu’une personne doit vérifier son dossier de crédit avant de faire une demande de prêt pour s’assurer que l’agence n’a pas inséré par erreur dans son dossier les renseignements se rapportant à une autre personne constituerait  une initiative raisonnable si les agences d’évaluation du crédit étaient reconnues pour insérer de faux renseignements dans leurs dossiers de crédit. Comme l’on pouvait s’y attendre, TransUnion n’a pas fait cette observation. Si les rapports des agences d’évaluation du crédit étaient souvent inexacts, ces agences devraient rapidement cesser leurs activités. Je ne suis pas d’avis que M. Nammo ait une quelconque part de responsabilité pour l’erreur commise par la défenderesse et, à vrai dire, j’estime que TransUnion agit de manière offensante en tentant de jeter le blâme sur M. Nammo.

 

[62]           Cinquièmement, TransUnion prétend avoir corrigé l’inexactitude « rapidement » et que l’attribution de dommages-intérêts n’est pas indiquée. Je ne suis pas d’avis que l’inexactitude a été corrigée rapidement. En effet, il s’est écoulé 20 jours avant que TransUnion fasse un appel téléphonique pour découvrir que les renseignements qu’elle avait insérés dans le dossier de M. Nammo ne le concernaient pas. Dans Neil c. Equifax Canada Inc., 2006 SKQB 169, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a conclu qu’un délai de 11 jours ouvrables pour mener une enquête n’était pas raisonnable alors que [traduction] « l’appelant aurait pu découvrir l’erreur en vérifiant ses propres dossiers ». Il en va de même en l’espèce. Tout d’abord, comme je l’ai mentionné précédemment, l’erreur était évidente à la lecture des propres dossiers de TransUnion parce que les dates de naissance étaient très différentes. Ensuite, TransUnion n’a donné aucune raison pour expliquer pourquoi elle a pris 20 jours pour faire un simple appel téléphonique pour demander à CBV si les renseignements qu’elle leur avait fournis se rapportaient à M. Nammo. Selon moi, TransUnion n’a corrigé ses erreurs ni rapidement ni dans un délai raisonnable.

 

[63]           J’ai déjà rejeté le sixième argument de TransUnion selon lequel il n’y a aucune preuve établissant que le prêt aurait été accordé à M. Nammo n’eut été des renseignements inexacts transmis à RBC.

 

[64]           En dernier lieu, TransUnion soutient que M. Nammo n’a pas prouvé avoir subi de perte parce que sa demande de prêt a été refusée et, quoi qu’il en soit, n’a pas limité le préjudice qu’il aurait pu subir. Je suis d’accord.

 

[65]           La seule preuve présentée par le demandeur pour étayer la perte de bénéfices d’entreprise qu’il aurait subie était les états financiers fournis par son ancien associé pour les mois d’octobre 2008 et de septembre 2009. Il ne convient pas de demander à notre Cour d’extrapoler à partir de ces quelques renseignements de manière à déterminer les bénéfices qu’aurait générés l’entreprise sur une longue période. De même, rien ne nous permet de prévoir les dépenses qui auraient été engagées. Je conviens avec la défenderesse que [traduction] « d’après la preuve, il est impossible pour la Cour de déterminer les pertes qu’aurait subies [le demandeur] sans recourir à un régime d’évaluation arbitraire ». Par conséquent, aucuns dommages-intérêts ne sont accordés à M. Nammo pour la perte de bénéfices qu’il aurait subie du fait que la défenderesse a violé la Loi.

 

[66]           L’article 16 de la Loi prévoit que « [l]a Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde, […] accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie ». Cette disposition donne à la Cour un pouvoir exceptionnellement large pour accorder des dommages-intérêts. Néanmoins, les dommages-intérêts doivent être accordés sur une base rationnelle et doivent être appropriés et justes dans les circonstances.

 

[67]           Examinons d’abord la demande de dommages-intérêts pour humiliation. Dans son contre‑interrogatoire, M. Nammo a été questionné à propos du fait qu’il aurait éprouvé de la souffrance morale et du stress. Il n’a pas été consulté de médecin, mais a expliqué que la conduite de TransUnion lui a causé du stress et de l’anxiété. Ses explications se rapportent en grande partie au processus devant la CPVP et à la présente demande devant notre Cour. Toutefois, il a également affirmé qu’il voulait que sa bonne réputation soit rétablie et qu’il n’a toujours pas été en mesure de prouver à son futur associé qu’il n’a pas de mauvaise cote de crédit.

 

[68]           Je suis convaincue, compte tenu des événements que M. Nammo a vécus, que seule une personne d’exception ne serait pas humiliée. Il s’était associé avec un ami pour démarrer une entreprise; son rôle était d’obtenir du financement parce qu’il était solvable alors que son ami ne l’était pas, et le prêt a été approuvé, sous réserve d’une vérification de crédit. Après vérification, on a constaté que M. Nammo avait de mauvais antécédents de crédit. M. Nammo devait ensuite informer son associé du résultat de cette enquête de crédit. Bien qu’il ait dit à son associé que les renseignements étaient faux, l’agence d’évaluation du crédit a dit que l’enquête durerait plus de 30 jours, période pendant laquelle M. Nammo a perdu l’occasion d’affaires et le partenariat. De plus, les représentants de RBC ont reçu des renseignements qui les ont amenés à conclure que le demandeur n’avait pas une bonne réputation de solvabilité. Une personne raisonnable, qui sait que l’évaluation de sa solvabilité est inexacte, serait humiliée de devoir faire face à son associé et aux représentants de la banque. Une personne raisonnable se sentirait davantage humiliée si l’erreur n’était pas corrigée adéquatement, c’est-à-dire, en l’espèce, en informant RBC et l’auteur de la demande de crédit qu’une erreur s’est produite, que le demandeur n’avait aucune dette impayée et que l’erreur avait été corrigée.

 

[69]           Une agence d’évaluation du crédit comme TransUnion sait que tout faux renseignement qu’elle transmet indiquant qu’une personne a des dettes impayées nuit à la capacité de cette personne à obtenir un prêt. Elle sait également que dans de telles circonstances, l’auteur de la demande de prêt serait humilié de voir sa demande de crédit refusée. Lorsqu’une agence d’évaluation du crédit ne prend pas des mesures rapides et raisonnables pour corriger le dossier de la personne et pour ainsi atténuer l’embarras qu’elle subit, elle doit s’attendre à être tenue à l’indemniser pour l’humiliation qu’elle lui a causée. Une agence d’évaluation du crédit tire profit de l’échange de renseignements personnels de tiers. Une telle entreprise, peut-être plus que d’autres types d’entreprise, doit saisir l’importance de l’exactitude des renseignements et de la correction rapide en cas d’erreur, et doit s’attendre à être tenue responsable lorsqu’elle ne le fait pas.

 

[70]           Dans la présente affaire, j’estime que TransUnion n’a pas pris des mesures rapides et raisonnables pour corriger le dossier et pour tenter de modifier la situation qu’elle a créée; elle a plutôt aggravé la situation par ses actes et ses omissions :

                                  i)          elle n’a pas pris responsabilité de ses actes lorsqu’elle a informé M. Nammo que l’erreur était corrigée, et a laissé entendre que l’erreur était imputable à la faute d’une autre organisation, soit CBV;

                                    ii)       elle n’a pas informé clairement RBC et les deux autres institutions financières que les renseignements précédemment transmis indiquant que M. Nammo avait une dette impayée étaient erronés;

                                  iii)       elle n’a pas permis à RBC et aux deux autres institutions financières de corriger leurs dossiers en leur envoyant une copie du rapport de crédit modifié de M. Nammo;

                                  iv)       elle n’a pas agi rapidement pour examiner ses propres dossiers afin de vérifier s’ils contenaient une erreur manifeste;

                                   v)       elle n’a pas agi rapidement pour déterminer si une erreur s’était produite.

 

[71]           Comme nous l’avons vu, la Loi prévoit que la Cour a de larges pouvoirs de réparation et, selon moi, l’article 16 de la Loi autorise la Cour, dans les circonstances appropriées, à accorder des dommages-intérêts même lorsqu’aucune perte financière réelle n’a été prouvée. Dans In Randall c. Nubodys Fitness Centres, 2010 CF 681, le juge Mosley a conclu que les dommages-intérêts prévus à l’article 16 ne doivent pas être accordés à la légère et qu’ils doivent uniquement être accordés « dans les cas les plus flagrants ». C’est le cas en l’espèce. Dans Randall, décision dans laquelle le demandeur s’était plaint du fait que des renseignements sur sa fréquentation d’un centre de conditionnement physique avaient été révélés à son ancien employeur, le juge Mosley a statué que la divulgation contestée de renseignements personnels était « minime », que le demandeur n’avait pas subi de préjudice justifiant de lui accorder des dommages‑intérêts, que la défenderesse n’avait obtenu aucun avantage commercial de sa violation de la Loi, que la défenderesse n’avait pas agit de mauvaise foi et, peut-être plus important encore, qu’il n’y avait aucun lien entre la divulgation et le fait que l’employeur aurait pris des mesures de représailles contre le demandeur. On ne peut en dire autant en l’espèce. Non seulement la communication de renseignements inexacts était-elle directement liée à la décision refusant d’accorder le prêt et au préjudice connexe subit par le demandeur, mais la défenderesse a également tiré profit de la communication et a agi de mauvaise foi en ne prenant pas responsabilité pour son erreur et en ne corrigeant pas le problème rapidement. La violation des droits de M. Nammo en vertu de la Loi ne « s’explique [pas] par un malentendu regrettable », contrairement à la situation dans Randall. Il s’agit d’une grave violation concernant des renseignements de nature financière d’une grande importance sur le plan personnel et professionnel. Le fait qu’il n’existe aucun précédent en matière d’attribution de dommages-intérêts en vertu de la Loi ne devait pas empêcher la Cour d’accorder des dommages-intérêts lorsque les circonstances et les règles de la justice le justifient. Selon moi, pour les motifs qui suivent, la présente affaire justifie l’attribution de dommages-intérêts.

 

[72]           Dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, la Cour suprême a accordé des dommages-intérêts en raison d’une violation de la Charte même après avoir conclu que les actes des agents à l’origine de la violation n’étaient pas « intentionnels, en ce sens qu'ils n'ont pas agi d'une manière malveillante, tyrannique ou oppressive » et même si aucune perte financière n’avait été prouvée. La Cour suprême a examiné les différents objectifs en matière d’attribution de dommages-intérêts pour violation de la Charte dont, entre autres, l’indemnisation, à l’égard de laquelle la perte est pertinente, mais également la défense du droit en cause et la dissuasion contre toute nouvelle violation, à l’égard desquelles la perte n’est pas un facteur déterminant. Voici comment la Cour s’est exprimée aux paragraphes 25 et 30 :

Des dommages-intérêts ne seront accordés que s'ils servent les objectifs généraux de la Charte. Trois fonctions interreliées des dommages-intérêts leur permettront de satisfaire à cette condition. La fonction d'indemnisation, généralement la plus importante, reconnaît que l'atteinte à un droit garanti par la Charte peut causer une perte personnelle qui exige réparation. La fonction de défense reconnaît que les droits conférés par la Charte doivent demeurer intacts et qu'il faut veiller à ce qu'ils ne s'effritent pas. Enfin, la fonction de dissuasion reconnaît que les dommages-intérêts peuvent permettre de décourager la perpétration d'autres violations par des représentants de l'État. (En italique dans l’original.)

 

[…]

 

Or, l'absence de préjudice personnel subi par le demandeur n'empêche pas l'octroi de dommages-intérêts si ceux-ci sont par ailleurs manifestement exigés par les objectifs de défense du droit ou de dissuasion. En effet, le point de vue voulant que des dommages-intérêts en matière constitutionnelle ne puissent être accordés que pour un préjudice pécuniaire ou physique a été largement rejeté dans d'autres démocraties constitutionnelles […].

[Je souligne.]

 

 

 

[73]           Aux paragraphes 51 et 52, la Cour a expliqué le processus pour calculer le montant des dommages-intérêts :

Lorsqu'on ne s'intéresse plus à l'indemnisation, mais aux objectifs de défense du droit et de dissuasion, le droit de la responsabilité délictuelle perd de son utilité. Statuer sur ces questions est un exercice de rationalité et de proportionnalité qui s'inspire des précédents établis au gré de l'évolution de cet important chapitre de la jurisprudence canadienne relative à la Charte. Cela dit, certaines observations préliminaires peuvent être faites.

Un paramètre important de la fixation du montant est la gravité de la violation eu égard aux objectifs des dommages-intérêts accordés en vertu du par. 24(1). La gravité de l'atteinte doit être évaluée au regard de son incidence sur le demandeur et de la gravité de la faute de l'État : voir, dans le contexte du par. 24(2), R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353. Règle générale, plus la conduite et ses conséquences pour le demandeur seront graves, plus le montant des dommages-intérêts accordés au titre des objectifs de défense du droit et de dissuasion sera élevé.

 

 

 

[74]           La Cour suprême a conclu que « pour constituer une réparation "convenable et juste", les dommages-intérêts doivent répondre réellement à la gravité de l'atteinte et aux objectifs d'indemnisation, d'affirmation des valeurs de la Charte et de dissuasion contre de nouvelles violations ». À mon avis, le même raisonnement doit s’appliquer à une violation de la Loi, qui est de nature quasi constitutionnelle.

 

[75]           Dans Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, la Cour suprême a statué que la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, était une loi de nature quasi constitutionnelle devant être interprétée en gardant à l’esprit son caractère privilégié. Au paragraphe 100 de la décision Eastmond c. Canadien Pacifique Ltée, 2004 CF 852, le juge Lemieux a confirmé que la Loi bénéficie d’un statut quasi constitutionnel :

Je n'hésite pas à classer la LPRPDE parmi les lois fondamentales du Canada, tout comme la Cour suprême du Canada a jugé que la Loi sur la protection des renseignements personnels bénéficiait d'un statut quasi constitutionnel (voir les motifs du juge Gonthier dans l'affaire Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, aux paragraphes 24 et 25).

 

 

[76]           Lorsqu’elle applique le raisonnement de la Cour suprême dans Ward aux demandes dont elle est saisie et qui sont présentées en vertu de la Loi, la Cour doit déterminer si les dommages‑intérêts sont conformes à l’objet général de la Loi et aux valeurs qui y sont enchâssées pour décider si des dommages-intérêts doivent être attribués et, dans l’affirmative, décider du montant à accorder. De plus, la fonction de dissuasion permettant de décourager la perpétration d’autres violations et la gravité ou l’énormité de la violation seraient des facteurs à prendre en compte.

 

[77]           Un des objets fondamentaux de la Loi est d’encourager ceux qui recueillent, utilisent et communiquent des renseignements personnels à agir avec un degré d’exactitude conforme aux fins auxquelles ils sont destinés et à corriger toute erreur rapidement et efficacement. J’ai conclu que TransUnion n’avait pas recueilli des renseignements exacts se rapportant au demandeur. De plus, après avoir réalisé son erreur, TransUnion n’a pas examiné la plainte rapidement et efficacement et n’a pas non plus corrigé rapidement et efficacement les renseignements inexacts qu’elle avait transmis. Enfin, elle n’a pris aucune responsabilité pour son erreur, blâmant tout d’abord CBV, et tentant ensuite d’attribuer une part du blâme au demandeur. À mon avis, les présentes circonstances justifient l’attribution de dommages-intérêts compte tenu des considérations de nature punitive et dissuasive.

 

[78]           Dans Ward, le juge de première instance a accordé des dommages-intérêts de 5 000 $. Ce montant a été jugé convenable en Cour suprême. Pour ce faire, la Cour suprême a décrit comme suit la nature de la violation des droits de M. Ward, qui a entre autres été fouillé à nu :

L'objectif d'indemnisation est axé principalement sur le préjudice personnel subi par le demandeur : préjudice physique, psychologique ou pécuniaire et atteinte à ses intérêts intangibles. Le demandeur devrait, dans la mesure du possible, être remis dans la même situation que si ses droits garantis par la Charte n'avaient pas été violés. Les fouilles à nu sont fondamentalement humiliantes et constituent de ce fait une atteinte importante aux intérêts intangibles de la personne, peu importe la manière dont elles sont effectuées. Cela dit, la fouille qui nous occupe en l'espèce a été relativement brève et n'a pas été effectuée de manière extrêmement irrespectueuse par comparaison avec d'autres fouilles. Monsieur Ward n'a pas été contraint d'enlever son sous-vêtement ni de dévoiler ses organes génitaux. Il n'a jamais été touché durant la fouille, et rien n'indique que celle-ci lui ait causé un préjudice physique ou psychologique. Certes, le préjudice subi par M. Ward est grave, mais on ne peut pas dire qu'il se situe au haut de l'échelle de gravité. La situation appellerait donc des dommages-intérêts d'un montant modéré.

 

[79]           À mon avis, le même raisonnement s’applique en l’espèce. Bien que le fait de communiquer des renseignements de crédit erronés ne soit pas comparable à une fouille à nu, il révèle la solvabilité d’une personne à ceux à qui sont transmis les renseignements. Selon moi, il s’agit d’une situation aussi dérangeante, embarrassante et humiliante qu’une brève fouille à nu en règle. J’ai donc décidé que M. Nammo a droit à des dommages-intérêts totalisant 5 000 $, montant représentant entre autres l’humiliation qu’il a subie du fait que TransUnion a violé la Loi.

 

[80]           M. Nammo a également droit à un jugement déclarant que TransUnion a violé ses droits en vertu de la Loi et que TransUnion a transmis des renseignements financiers inexacts à son sujet à RBC; espérons que ces déclarations convaincront son associé éventuel que la décision de refuser la demande de prêt n’avait rien à voir avec son insolvabilité.

 

[81]           M. Nammo s’est représenté lui-même. Il a fait un travail remarquable pour une personne n’ayant aucune formation juridique. Bien qu’il ne puisse recouvrer les dépens liés aux honoraires d’avocat, puisque de tels frais n’ont pas été engagés, il a droit aux débours, lesquels sont fixés à 1 000 $, taxes incluses.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  TransUnion a violé les dispositions de la  Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, en :

                                                     i)         recueillant des renseignements financiers personnels inexacts au sujet du demandeur;

                                                       ii)     transmettant des renseignements financiers personnels inexacts au sujet du demandeur à des tiers, y compris la Banque Royale du Canada;

                                                       iii)     omettant de corriger rapidement des renseignements financiers personnels inexacts au sujet du demandeur qui figuraient dans sa base de données;

                                                      iv)    omettant de transmettre les renseignements financiers personnels modifiés au sujet du demandeur à des tiers, y compris la Banque Royale du Canada;

2.                  la défenderesse verse au demandeur des dommages-intérêts totalisant 5 000 $;

3.                  le demandeur a droit aux débours dans la présente demande, lesquels sont fixés à 1 000 $, taxes incluses.

 

« Russel W. Zinn »

juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B.


ANNEXE A

 

Personal Information Protection and Electronic Documents Act, S.C. 2000, c. 5

Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5

 

 

3. La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

 

[…]

5. (1) Sous réserve des articles 6 à 9, toute organisation doit se conformer aux obligations énoncées dans l’annexe 1.

Emploi du conditionnel

 

(2) L’emploi du conditionnel dans l’annexe 1 indique qu’il s’agit d’une recommandation et non d’une obligation.

 

(3) L’organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

 

[…]

14. (1) Après avoir reçu le rapport du commissaire, le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l’objet de la plainte — ou qui est mentionnée dans le rapport — et qui est visée aux articles 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 ou 4.8 de l’annexe 1, aux articles 4.3, 4.5 ou 4.9 de cette annexe tels que modifiés ou clarifiés par la section 1, aux paragraphes 5(3) ou 8(6) ou (7) ou à l’article 10.

 

 

(2) La demande est faite dans les quarante-cinq jours suivant la transmission du rapport ou dans le délai supérieur que la Cour autorise avant ou après l’expiration des quarante-cinq jours.

 

(3) Il est entendu que les paragraphes (1) et (2) s’appliquent de la même façon aux plaintes visées au paragraphe 11(2) qu’à celles visées au paragraphe 11(1).

 

[…]

16. La Cour peut, en sus de toute autre réparation qu’elle accorde :

a) ordonner à l’organisation de revoir ses pratiques de façon à se conformer aux articles 5 à 10;

b) lui ordonner de publier un avis énonçant les mesures prises ou envisagées pour corriger ses pratiques, que ces dernières aient ou non fait l’objet d’une ordonnance visée à l’alinéa a);

c) accorder au plaignant des dommages-intérêts, notamment en réparation de l’humiliation subie.

3. The purpose of this Part is to establish, in an era in which technology increasingly facilitates the circulation and exchange of information, rules to govern the collection, use and disclosure of personal information in a manner that recognizes the right of privacy of individuals with respect to their personal information and the need of organizations to collect, use or disclose personal information for purposes that a reasonable person would consider appropriate in the circumstances.

 

 

 

 

...

5. (1) Subject to sections 6 to 9, every organization shall comply with the obligations set out in Schedule 1.

Meaning of “should”

 

(2) The word “should”, when used in Schedule 1, indicates a recommendation and does not impose an obligation.

 

(3) An organization may collect, use or disclose personal information only for purposes that a reasonable person would consider are appropriate in the circumstances.

 

 

...

14. (1) A complainant may, after receiving the Commissioner’s report, apply to the Court for a hearing in respect of any matter in respect of which the complaint was made, or that is referred to in the Commissioner’s report, and that is referred to in clause 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 or 4.8 of Schedule 1, in clause 4.3, 4.5 or 4.9 of that Schedule as modified or clarified by Division 1, in subsection 5(3) or 8(6) or (7) or in section 10.

 

(2) The application must be made within forty-five days after the report is sent or within any further time that the Court may, either before or after the expiry of those forty-five days, allow.

 

(3) For greater certainty, subsections (1) and (2) apply in the same manner to complaints referred to in subsection 11(2) as to complaints referred to in subsection 11(1).

...

16. The Court may, in addition to any other remedies it may give,

(a) order an organization to correct its practices in order to comply with sections 5 to 10;

 

(b) order an organization to publish a notice of any action taken or proposed to be taken to correct its practices, whether or not ordered to correct them under paragraph (a); and

(c) award damages to the complainant, including damages for any humiliation that the complainant has suffered.

 

 

SCHEDULE 1

Principles Set Out In The National Standard of Canada Entitled Model Code for the Protection of Personal Information, CAN/CSA-Q830-96

 

ANNEXE 1

Principes énoncés dans la Norme nationale du Canada intitulée Code type sur la protection des renseignements personnels, CAN/CSA-Q830-96

 

 

4.6

Les renseignements personnels doivent être aussi exacts, complets et à jour que l’exigent les fins auxquelles ils sont destinés.

[…]

 

4.6.3

Les renseignements personnels qui servent en permanence, y compris les renseignements qui sont communiqués à des tiers, devraient normalement être exacts et à jour à moins que des limites se rapportant à l’exactitude de ces renseignements ne soient clairement établies.

[…]

4.9.5

Lorsqu’une personne démontre que des renseignements personnels sont inexacts ou incomplets, l’organisation doit apporter les modifications nécessaires à ces renseignements. Selon la nature des renseignements qui font l’objet de la contestation, l’organisation doit corriger, supprimer ou ajouter des renseignements. S’il y a lieu, l’information modifiée doit être communiquée à des tiers ayant accès à l’information en question.

4.6

Personal information shall be as accurate, complete, and up-to-date as is necessary for the purposes for which it is to be used.

...

 

4.6.3

Personal information that is used on an ongoing basis, including information that is disclosed to third parties, should generally be accurate and up-to-date, unless limits to the requirement for accuracy are clearly set out.

 

 

...

4.9.5

When an individual successfully demonstrates the inaccuracy or incompleteness of personal information, the organization shall amend the information as required. Depending upon the nature of the information challenged, amendment involves the correction, deletion, or addition of information. Where appropriate, the amended information shall be transmitted to third parties having access to the information in question.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T-246-10

 

INTITULÉ :                                       MIRZA NAMMO c.

                                                            TRANSUNION OF CANADA INC.

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 décembre 2010

 

 

                        

COMPARUTIONS :

 

Mirza Nammo

 

DEMANDEUR

 

Tamara R. Prince

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s.o.

 

LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

 

OSLER, HOSKIN & HARCOURT, LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 



[1] Les articles pertinents de la Loi et de l’annexe 1 de la Loi sont reproduits à l’annexe A.

[2] Par ordonnance de la Cour, tous les renseignements concernant M. X ont été scellés pour motif de confidentialité.

[3] En réalité, il semble que TransUnion n’a reçu aucun document sur support papier étant donné que les renseignements provenant de CBV ont été transmis électroniquement.

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