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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101126

Dossier : T-2011-09

Référence : 2010 CF 1188

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2010

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

PREMIÈRE NATION WAYCOBAH

 

 

 

 

demanderesse

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de M. Brian McCauley, sous‑commissaire, Direction générale des politiques législatives et des affaires réglementaires de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), de ne pas recommander au ministre de faire une remise de la taxe de vente harmonisée (TVH) que la demanderesse avait demandée en vertu du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la Loi). La demanderesse a sollicité la remise concernant son obligation fiscale à l’égard de la TVH non déclarée applicable à l’essence et aux produits du tabac vendus à des non autochtones dans une station‑service achetée par la bande de Waycobah et qui se trouvait sur la réserve de la bande.

 

I. Les faits

[2]               La demanderesse, la Première nation Waycobah (Waycobah), est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, et fait partie de la nation micmaque. La réserve de Waycobah, désignée comme telle au sens de la Loi sur les Indiens, est située sur la rive ouest du lac Bras d’or dans la région rurale du Cap‑Breton, en Nouvelle‑Écosse. Le 31 décembre 2008, Waycobah comptait une population totale de 895 personnes, dont 810 sur la réserve et 85 à l’extérieur de la réserve.

 

[3]               En avril 2000, la demanderesse a acheté les actifs d’une station‑service exploitée sous le nom de « Rod’s One Stop », située sur la réserve de Waycobah. Selon l’ancien propriétaire, en raison de certains droits issus de traités, les Micmacs n’étaient pas tenus de percevoir et de verser la TVH aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15, sur les ventes de produits taxables à des clients non autochtones. Lorsqu’elle a acheté la station‑service, la demanderesse croyait sincèrement qu’elle détenait des droits similaires issus de traités et elle a donc continué de ne pas percevoir la TVH.

 

[4]               Cette question relative aux droits issus de traités a fait l’objet d’un litige concernant des questions constitutionnelles devant la Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale : voir Pictou c. Canada, [2000] A.C.I. no 321; confirmée 2003 CAF 9. Dans cette affaire, les détaillants Micmacs ont porté en appel les cotisations établies à l’égard de leurs ventes taxables à des clients non autochtones. Les appels ont été rejetés devant les deux cours; la demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada a été rejetée en juin 2003 : voir [2003] A.C.S.C. no 107. La Cour suprême ayant refusé l’autorisation de pourvoi, la demanderesse a considéré que l’affaire était réglée et a commencé à percevoir la TVH à Rod’s One Stop sur les ventes taxables à des clients non autochtones.

 

[5]               Rod’s One Stop a fait l’objet d’une vérification en octobre 2002 pour la période allant du 1er avril 2000 au 31 décembre 2001. Selon une note de service en date du 25 juin 2009 adressée par Karen Stirling à Maureen O’Leary (DCT, p. 8), la question centrale portait sur l’inobservation apparente par la demanderesse des exigences prévues par la loi en ce qui concerne les activités commerciales menées sur le territoire de la réserve, plus précisément concernant le tabac, le carburant et d’autres produits taxables de dépanneur, vendus à Rod’s One Stop à des clients non autochtones. Lors de l’une des réunions initiales, un représentant de Grant Thornton, qui avait pris en charge la cogestion de la bande à la demande du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a indiqué que la demanderesse n’avait pas l’intention de percevoir des taxes sur le territoire de la réserve, se fondant apparemment sur l’exemption constitutionnelle en vertu des traités du 18e siècle. La bande a été invitée à faire une divulgation volontaire de la TVH qui aurait dû faire l’objet d’une remise à l’égard des ventes taxable à des non autochtones tout au long de la période visée par la vérification, ce qui aurait entraîné l’annulation des pénalités se rapportant à toute cotisation subséquente. Toutefois, la demanderesse n’a fait aucune divulgation volontaire.

 

[6]               Le 26 mars 2003, une cotisation à été établie à l’égard de la demanderesse, au montant de 1 153 547 $ au titre de la TVH nette, 127 438 $, au titre des pénalités, et 66 589 $ au titre des intérêts. La demanderesse a contesté cette cotisation; par la suite, son obligation fiscale a été réduite de 130 000 $.

 

[7]               Entre le 26 mars, date de la cotisation, et décembre 2003, l’ARC a poursuivi les négociations avec la demanderesse et Grant Thornton au sujet des modalités de paiement. La demanderesse a accepté de verser 10 000 $ par mois au titre de la dette et, le 6 avril 2004, les fonctionnaires de l’ARC ont accepté d’annuler un montant d’environ 420 123 $ en pénalités et intérêts, en raison des difficultés financières éprouvées par la demanderesse entre le 1er janvier 2000 et le 30 septembre 2003.

 

[8]               En septembre 2003, la demanderesse a fait l’objet d’une vérification à l’égard de l’exploitation de Rod’s One Stop pour la période du 1er janvier 2002 au 31 décembre 2002. Le 18 mars 2003, une cotisation a été établie à son égard au montant de 543 508 $ au titre de la taxe nette, 23 542 $ au titre des intérêts et 54 558 $ au titre des pénalités. La demanderesse n’a pas déposé d’avis d’opposition.

 

[9]               Le 13 novembre 2004 et le 20 avril 2005, les pénalités et les intérêts, au montant de 90 000 $ et de 60 000 $ respectivement, ont été annulés en ce qui a trait à l’obligation fiscale de la demanderesse au titre de la TVH.  

 

[10]           La demanderesse a fait l’objet d’une vérification pour la période allant du 1er janvier 2003 au 31 mars 2005. Un avis de cotisation a été établi le 9 janvier 2006 : à l’égard des ventes taxables d’essence et de produits du tabac à des non autochtones, elle devait verser 758 381 $ au titre de la taxe nette, 35 354 $ au titre des intérêts et 86 991 $ au titre des pénalités. Elle devait également verser une pénalité pour faute lourde de 179 818 $, en raison du fait que les nombreuses réunions, les personnes‑ressources et les deux vérifications avaient mis les dirigeants de la bande parfaitement au courant de leurs obligations relatives à la TVH. Par suite de cette cotisation, des fonctionnaires de l’ARC ont informé la demanderesse qu’elle contrevenait aux modalités négociées relativement à son obligation fiscale et que l’allégement fiscal qui avait été appliqué quant à cette obligation fiscale était menacé.

 

[11]           Par lettre datée du 6 décembre 2005, le chef de la demanderesse à l’époque informait l’ARC qu’il n’y avait pas de fonds permettant d’acquitter l’obligation fiscale et que la demanderesse enregistrait un déficit d’exploitation de 3,4 millions de dollars. Les logements, les écoles, les réseaux d’aqueduc et d’égout et l’infrastructure routière de la réserve avaient un urgent besoin de remise en état et, dans ces circonstances, il n’était pas possible  d’attribuer des fonds au paiement des arriérés dus à l’ARC. Dans cette lettre, le chef Googoo a fait valoir que la demanderesse n’avait pas contrevenu en connaissance de cause à son obligation, et que les montants établis lors de la vérification de la période du 1er janvier 2003 au 31 mars 2005 découlaient d’erreurs d’écriture et de difficultés éprouvées avec une carte magnétique servant à indiquer les ventes d’essence et de produits du tabac à des autochtones.

 

[12]           Lors d’une réunion avec l’ARC tenue le 26 janvier 2006, la demanderesse a convenu de continuer à verser les arriérés mensuels de 10 000 $ et de produire des déclarations de TVH exactes. En échange, l’ARC a convenu de ne prendre aucune mesure de recouvrement à l’égard de la demanderesse. Des discussions ont eu lieu au sujet d’une demande de décret de remise, et les arriérés de $10 000 $ ont été suspendus en mars 2006 jusqu’à révision du dossier.

 

[13]           En mai 2006, Grant Thornton a proposé comme règlement définitif de la dette un paiement de 10 000 $ par mois pendant cinq ans. L’ARC a rejeté cette proposition; aucun autre paiement mensuel d’arriérés n’a été effectué par la suite.

 

[14]           Une demande de remise en date du 27 juin 2008 a été préparée par Grant Thornton et déposée auprès des fonctionnaires de l’ARC au bureau des services fiscaux de la Nouvelle‑Écosse (BSF de la Nouvelle‑Écosse) le 3 juillet 2008, lors d’une réunion. La demanderesse faisait valoir dans la demande que l’existence de la dette relative à la TVH l’empêchait d’emprunter l’argent nécessaire aux projets liés aux logements, aux réseaux d’égout et d’aqueduc ainsi qu’à l’infrastructure routière de la réserve. Les documents déposés avec la demande de remise comprenaient une lettre par laquelle une société d’ingénierie informait la demanderesse que le réseau d’égout fonctionnait à 90 % de sa capacité et que le raccordement d’une nouvelle école et d’unités de logement pourrait finir par excéder la capacité du réseau, pouvant ainsi causer des dommages aux biens et aux lacs Bras d’Or. La même société informait dans une deuxième lettre qu’un montant de 1 000 000 $ était nécessaire à court terme pour régler des problèmes critiques touchant l’alimentation en eau et l’environnement ainsi qu’un puits hors d’usage ou ancien. La demanderesse a ajouté que, si la remise n’était pas approuvée, elle déclarerait faillite. L’ARC était le seul créancier de la bande.

 

[15]           Les fonctionnaires de l’ARC au sein du BSF de la Nouvelle‑Écosse ont recommandé des mesures d’allègement en raison de difficultés excessives, soulignant que la demanderesse avait réduit son déficit de 5 500 000 $ en 2002 à 700 000 $ en 2007, mais que cela avait eu des incidences négatives sur les ressources financières disponibles pour l’éducation, les logements et les infrastructures. Le déficit de la demanderesse devait atteindre 7 000 000 $ en 2014 en raison de l’incapacité de celle‑ci d’effectuer les paiements d’arriérés dus à l’ARC. Le rapport de recommandation mentionne les lettres de la société d’ingénierie, les états financiers de la demanderesse pour l’exercice se terminant le 31 mars 2007, les éléments figurant dans les rapports techniques concernant les dépenses totales nécessaires pour la remise en état des réseaux d’aqueduc et d’égout et de l’infrastructure routière ainsi que les projections financières de la demanderesse au sujet de la baisse de ses revenus.

 

[16]           Ce rapport et les renseignements contenus dans le dossier de la demanderesse ont été envoyés à la Division des publications techniques et des programmes, Direction de l’accise et des décisions de la TPS/TVH, et transmis à Karen Stirling pour examen. Son rapport recommandant de refuser la remise a été examiné par le directeur de son unité et approuvé par le directeur de la division avant d’être envoyé au Comité de l’Administration centrale sur les remises. Le comité s’est réuni le 2 septembre 2009. Après examen du dossier et de la présentation faite par Karen Stirling, le Comité a également recommandé que la remise soit refusée.

 

[17]           Un projet de lettre de refus a été préparé par Karen Stirling et examiné par ses supérieurs avant d’être envoyé à Pierre Bertrand, Directeur général, Direction de l’accise et des décisions de la TPS/TVH, pour examen supplémentaire et approbation. Enfin, le 20 octobre 2009, la lettre a été envoyée à Brian McCauley, sous‑commissaire, Direction générale des politiques législatives et des affaires réglementaires de l’ARC, accompagnée des copies du rapport de recommandation au Comité en date du 25 juin et du procès‑verbal de la réunion du Comité du 2 septembre 2009. Le 9 novembre 2009, M. McCauley a signé la lettre informant la demanderesse de sa décision de ne pas recommander au ministre du Revenu national de prendre un décret de remise.

 

II. La décision contestée

[18]           Le sous‑commissaire Brian McCauley a résumé d’abord le contexte du dossier et les différentes vérifications effectuées par l’ARC. Il a ensuite expliqué dans plusieurs paragraphes pourquoi la remise n’était pas recommandée. La décision repose essentiellement sur ce qui suit :

[traduction] J’ai le regret de vous informer que la remise n’est pas recommandée.

 

Vous citez, à titre de circonstance atténuante, les questions constitutionnelles soulevées devant la Cour canadienne de l’impôt et la Cour d’appel fédérale. Compte tenu du contexte des lignes directrices, une remise peut être accordée très rarement par suite d’une décision judiciaire, mais uniquement lorsque celle‑ci infirme la politique de l’ARC. Tel n’est pas le cas du litige en question. Quoi qu’il en soit, Waycobah aurait dû percevoir la TVH à l’égard des ventes taxables aux clients non autochtones de Rod’s One Stop même si les tribunaux étaient en train d’examiner la question de l’exemption constitutionnelle.

 

Enfin, nonobstant les difficultés financières éprouvées par la bande, les lignes directrices concernant les remises prévoient qu’il faut tenir compte du dossier de conformité du demandeur pour déterminer s’il est opportun, dans les circonstances, d’accorder l’allègement demandé. Un élément crucial dans la présente affaire repose sur les antécédents de la bande en ce qui concerne la non‑conformité à ses obligations concernant la TVH à l’égard des ventes taxables à des clients non autochtones de Rod’s One Stop, malgré les communications constantes à ce sujet avec les fonctionnaires de l’ARC depuis janvier 2002.

 

Compte tenu de ce qui précède, les faits de la présente affaire ne sont pas conformes aux lignes directrices de l’ARC concernant les remises et ne justifient pas un allègement.

 

 

III. Questions en litige

[19]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

 

a)   Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

b)   Le sous‑commissaire de l’ARC a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a appliqué le critère relatif à la remise? Plus particulièrement, le sous‑commissaire de l’ARC a‑t‑il omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou a‑t‑il pris en considération des facteurs non pertinents lorsqu’il a décidé de ne pas recommander la remise de taxe?

 

c)      Le sous‑commissaire de l’ARC a‑t-il commis une erreur en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

 

d)   Le sous‑commissaire de l’ARC a‑t‑il manqué aux principes de justice naturelle en omettant de tenir compte de la preuve présentée par la Première nation Waycobah?

 

 

IV. Analyse

A. La norme de contrôle

[20]           La Cour suprême du Canada a indiqué que, pour déterminer la norme de contrôle applicable, le processus se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour examine la jurisprudence pour vérifier si celle‑ci a déjà établi la norme de contrôle. Dans la négative, la cour doit entreprendre une analyse relative à la norme de contrôle : voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 63.

 

[21]           La seule décision concernant le refus de recommander une remise demandée en vertu du paragraphe 23(2) de la Loi est celle du juge Noël, Axa Canada Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 17. Dans cette décision, la Cour a suivi l’approche pragmatique et fonctionnelle (appelée maintenant l’« analyse relative à la norme de contrôle ») et a établi qu’il fallait faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision de ne pas recommander une remise. Dans le cadre de cette analyse, la Cour a fait observer ce qui suit :

 

1)   Il n’y a aucune clause privative dans la Loi; 

2)   L’expertise relative du décideur constitue un facteur très important, qui commande une grande retenue à l’égard de la décision de l’ARC. La Cour a dit que l’ARC avait une expertise certaine dans l’application des « Lignes directrices de l’ARC concernant les remises d’impôt sur le revenu, de TPS/TVH, de taxe d’accise, de droits d’accise ou de TVF en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques » (lignes directrices de l’ARC concernant les remises). Les membres du Comité, en particulier, sont des fonctionnaires de l’ARC provenant de différents secteurs du Ministère; ils ont une expérience et une connaissance pointue des faits, du droit applicable en semblable matière tout en tenant compte de l’intérêt public;

3)   La question en litige est une question mixte de fait et de droit, qui requiert une connaissance approfondie des faits de dossiers très complexes. La Cour a fait remarquer que l’ARC doit appliquer les lignes directrices aux faits tout en tenant compte d’un ensemble de facteurs reliés à l’intérêt public;

4)   La loi en question autorise le gouverneur général en conseil à faire remise de taxes ou pénalités, ou des intérêts afférents, s’il estime que leur perception est déraisonnable ou injuste, ou qu’elle n’est pas « d’intérêt public ». La Cour a estimé que l’intention du législateur (c’est‑à‑dire l’objet de la loi) commande également une grande retenue. Bien que la décision attaquée soit de nature administrative, la Cour a conclu que le paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques visait à conférer au gouverneur général en conseil un large pouvoir discrétionnaire pour décider si un montant payé doit ou non être remis.  Le gouverneur général en conseil doit évaluer divers facteurs et doit donc jouir d’un large pouvoir discrétionnaire.

 

[22]           La Cour a établi ensuite que la norme de contrôle était celle de la décision manifestement déraisonnable. L’arrêt Dunsmuir, précité, établit qu’il n’existe plus maintenant que deux normes de contrôle : celle de la décision correcte et celle de la raisonnabilité. En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, ou lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés, la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité.

 

[23]           L’argument fondé sur l’entrave au pouvoir discrétionnaire, soulève, par contre, une question de droit. Essentiellement, la demanderesse soutient que le sous‑commissaire de l’ARC n’a pas appliqué correctement le critère relatif à la remise énoncé dans la Loi sur la gestion des finances publiques et a omis de tenir compte de l’intérêt public, choisissant plutôt d’attribuer un caractère législatif aux lignes directrices de l’ARC. Une telle entrave au pouvoir discrétionnaire équivaut à une erreur de droit susceptible d’examen : voir, par ex. SRC c. Canada (Commission d’appel du droit d’auteur); 30 C.P.R. (3d) 269, [1990] A.C.F. no 500 (C.A.F.). Cela dit, il ne s’agit pas d’une question de droit qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif : Dunsmuir, précité, au par. 55. La décision contestée commande donc l’application de la norme de la raisonnabilité.

 

[24]           Enfin, il est bien établi que les questions de justice naturelle n’ont pas à faire l’objet d’une analyse relative à la norme de contrôle. Elles s’apparentent davantage à des questions de droit. Dans ces cas, aucune déférence n’est nécessaire : soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation : voir Sketchley c. Procureur général, 2005 CAF 404.

 

B.   Le sous‑commissaire de l’ARC a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a appliqué le critère relatif à la remise? Plus particulièrement, le sous‑commissaire de l’ARC a‑t‑il omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou a‑t‑il pris en considération des facteurs non pertinents lorsqu’il a décidé de ne pas recommander la remise de taxe?

 

[25]           Selon la demanderesse, le sous‑commissaire a commis une erreur en omettant de prendre en considération les facteurs énoncés au paragraphe 23(2) de la Loi lorsqu’il a rejeté la demande de remise. Cette disposition énonce ce qui suit :

23. (2) Sur recommandation du ministre compétent,

le gouverneur en conseil peut faire remise

de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts

afférents, s’il estime que leur perception ou

leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste

ou que, d’une façon générale, l’intérêt public

justifie la remise.

23. (2) The Governor in Council may, on the

recommendation of the appropriate Minister,

remit any tax or penalty, including any interest

paid or payable thereon, where the Governor in

Council considers that the collection of the tax

or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public

interest to remit the tax or penalty.

 

[26]           La demanderesse a souligné que le décideur n’a jamais employé les mots « intérêt public », « injuste », ou « déraisonnable » dans la partie pertinente de sa décision et qu’il s’est simplement fondé sur les lignes directrices de l’ARC concernant les remises. Selon la demanderesse, le sous‑commissaire de l’ARC a commis une erreur parce qu’il n’a pas examiné les observations écrites de Waycobah selon lesquelles la remise était dans l’intérêt public pour des raisons liées à la santé et à l’environnement, et parce qu’elle favoriserait l’autonomie administrative de la Première nation et éviterait la faillite de Waycobah.

 

[27]           La demanderesse a également soutenu que le sous‑commissaire a commis une erreur lorsqu’il a pris en considération un facteur non pertinent pour refuser de recommander la remise. L’avocat de la demanderesse a expliqué que la lettre de refus suivait de près le rapport préparé par Karen Stirling, dont la recommandation reposait en partie sur la prémisse qu’une remise accordée à Waycobah créerait un [traduction] « précédent dangereux » pour d’autres bandes autochtones.

 

[28]           Dans le même ordre d’idées, la demanderesse a fait valoir que le sous‑commissaire a commis une erreur lorsqu’il a considéré que la non‑conformité à ses obligations fait obstacle à la remise. Invoquant le libellé général du législateur ainsi que la portée de l’article 23 de la Loi, selon lequel la remise peut être accordée à toute étape de la procédure, à l’égard de toutes taxes et pénalités, et même à une partie ayant commis une infraction, l’avocat a souligné que cela ne permet pas d’affirmer que la non‑conformité aux obligations de la demanderesse constitue un obstacle à la remise. De plus, la demanderesse a fait valoir que le sous‑commissaire n’a pas tenu compte du motif réel de la non‑perception de la TVH, et qu’il ne s’agit pas d’un cas où la TVH a été perçue, mais n’a pas été remise.

 

[29]           Comme je l’ai déjà mentionné, la décision faisant l’objet du contrôle est de nature discrétionnaire et la Cour ne peut intervenir que si le décideur administratif a omis de prendre en considération des facteurs pertinents ou s’il a considéré des facteurs non pertinents. La Cour d’appel fédérale a résumé dans Genex Communications Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 283, ce principe général de droit administratif, tel qu’il s’appliquait au CRTC :

187. […] À partir du moment où la mesure administrative retenue en est une autorisée par le législateur, il n’appartient pas à cette Cour de s’immiscer dans la justesse et l’à‑propos de la mesure prise et encore moins de se prononcer sur le mérite et l’opportunité de choisir celle‑ci plutôt qu’une autre et vice versa. Tout au plus la Cour peut s’assurer que, dans l’exercice de la discrétion, le CRTC a considéré les facteurs pertinents, sans y ajouter des facteurs non pertinents. L’exercice même de pondération de ces facteurs, qui généralement relèvent du champ d’expertise du CRTC, appartient à ce dernier. « Il n’est pas habituellement du ressort de la cour siégeant en révision de substituer son opinion sur l’importance relative à accorder aux divers aspects pris en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire à l’opinion du tribunal administratif spécialisé que le législateur a investi de ce pouvoir » : Ferroequus Railway Co. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2003 FCA 454 [2004], (C.A.F.), au paragraphe 14 (par le juge d’appel Evans).

 

 

[30]           Une remise de taxe constitue clairement une mesure exceptionnelle que le gouverneur en conseil peut accorder, s’il estime que la perception de cette taxe est déraisonnable ou injuste, ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise. Bien que chaque demande de remise doive être examinée au mérite, des lignes directrices ont été élaborées pour aider les fonctionnaires de l’ARC dans cet examen. Les lignes directrices prévoient quatre cas où un décret de remise peut être recommandé : difficultés excessives, mesure ou conseil erroné des fonctionnaires de l’ARC, difficultés financières assorties de circonstances atténuantes, et résultats imprévus découlant de la législation. Ces cas ne visent manifestement pas à limiter le pouvoir discrétionnaire des fonctionnaires de l’ARC, comme il est précisé dans le paragraphe suivant des lignes directrices de l’ARC concernant la remise :

[traduction] Les présentes lignes directrices présentent un cadre justifiant les remises. Toutefois, il faut garder à l’esprit qu’elles ne sont pas exhaustives; il peut y avoir d’autres raisons justifiant un décret de remise. Il faut faire preuve en tout temps de bon jugement et il faut tenir compte de tous les facteurs pertinents, par ex., les antécédents de conformité, la crédibilité, les circonstances, l’âge et l’état de santé de la personne.

 

Lignes directrices de l’ARC concernant la remise, à la p. 9

 

 

[31]           Je conviens avec le défendeur que la notion d’« intérêt public » ne s’entend pas simplement des intérêts d’un groupe quelconque de contribuables, mais plutôt des intérêts de l’ensemble de la société. Au moyen d’un décret de remise, la demanderesse veut être exemptée de l’application d’une loi à laquelle est assujetti le reste de la société canadienne. L’octroi d’un décret de remise implique nécessairement, dans le cas particulier d’un contribuable, une dérogation, non seulement aux règles ordinaires de la taxation, mais aussi au principe de l’égalité de traitement. La notion d’« intérêt public » doit donc être interprétée dans le contexte général du régime d’application des lois fiscales et en tenant compte des principes exprimés dans la Loi sur la taxe d’accise, dans son ensemble.

 

[32]           Le sous‑commissaire était au courant des arguments concernant l’« intérêt public » formulés par la demanderesse. Le rapport de recommandation dont il disposait en fait la mention, et renvoie aux documents à l’appui présentés par la demanderesse en ce qui concerne le mauvais état du réseau d’égout, le risque de dommages aux biens et aux lacs Bras d’Or, les fonds nécessaires pour régler les problèmes d’aqueduc et d’environnement, ainsi que le coût de l’amélioration des puits. Le sous‑commissaire disposait également des faits présentés par la demanderesse à l’égard de sa situation financière, de la nécessité d’engager de dépenses considérables pour l’infrastructure, de son désir de retrouver l’autonomie financière et du risque de faillite.

 

[33]           Le sous‑commissaire n’était pas tenu de retenir l’interprétation que faisait la demanderesse de l’« intérêt public ». Selon elle, les besoins de sa communauté sont une question d’intérêt public. Toutefois, l’intérêt public dont le ministre a la garde est beaucoup plus vaste.

 

[34]           Le fait que le sous‑commissaire n’a pas employé le terme « intérêt public » dans sa lettre à la demanderesse ne peut être considéré comme une indication qu’il n’a pas pris en compte cet aspect. Il ressort clairement de son affidavit que l’ébauche de la lettre de refus lui a été transmise accompagnée des copies de la recommandation au comité du 25 juin 2009 et du procès‑verbal de la réunion du comité du 2 septembre 2009. D’ailleurs, sa lettre est fondée essentiellement sur la recommandation au comité.

 

[35]           L’avocat de la demanderesse reconnaît implicitement que la lettre et la recommandation doivent être prises ensemble lorsqu’il soutient que le sous‑commissaire a commis une erreur en tenant compte d’un facteur non pertinent, à savoir qu’une remise créerait un précédent regrettable pour d’autres bandes autochtones qui se trouvent dans des situations semblables. Bien que ce facteur ait été mentionné dans la recommandation, il ne se retrouve pas dans la lettre envoyée par le sous‑commissaire. Dans la mesure où il faut considérer que ce facteur fait partie intégrante de la décision du sous‑commissaire, il était toutefois tout à fait légitime de le prendre en considération. Là encore, le sous‑commissaire était en droit  (et je suis d’avis qu’il était même tenu) d’évaluer les répercussions plus générales d’une recommandation de remise; un tel exercice était clairement compatible avec le mandat que lui conférait la loi d’établir si l’intérêt public justifiait la remise de taxes ou pénalités.

 

[36]           L’argument de la demanderesse selon lequel le sous‑commissaire a eu tort de considérer la non‑conformité de Waycobah à ses obligations comme un obstacle à un décret de remise n’est pas confirmé par une lecture attentive de sa lettre. Premièrement, il ressort clairement des lignes directrices de l’ARC concernant les remises qu’il s’agit d’un facteur légitime à prendre en considération, comme le démontre l’extrait cité au paragraphe 31 des présents motifs. En fait, dans la même partie des lignes directrices de l’ARC concernant les remises, sont énumérés quatre cas où le refus d’une remise peut être recommandé, dont lorsqu’ [traduction] « il est  raisonnable de conclure que le client a fait preuve de négligence ou d’imprudence dans l’observation de la loi, ou qu’il a tout simplement pris une décision imprudente » (Lignes directrices de l’ARC concernant les remises, p. 13).

 

[37]           Deuxièmement, rien ne démontre que la non‑conformité a été perçue comme un élément écartant tout autre facteur pertinent. Il ne fait aucun doute que la non­‑conformité a constitué un facteur important dans la décision. Cela dit, la décision énonce que [traduction] « nonobstant les difficultés financières éprouvées » par la demanderesse, on a tenu compte de son dossier de conformité. Le sous‑commissaire a ainsi évalué ces questions distinctes. La demanderesse avait des antécédents de non‑conformité à la loi découlant de sa décision délibérée d’ignorer ses obligations fiscales. Lorsque le gouverneur en conseil doit évaluer l’intérêt public et si la perception des taxes est juste, la conformité à la loi constitue certes un élément pertinent. Le système fiscal est fondé sur l’autodéclaration et la réussite de son administration repose avant tout sur la franchise du contribuable. Il est à la fois dans l’intérêt public de maintenir l’intégrité de ce système, et juste d’exiger que tous les Canadiens soient assujettis à la même norme de conformité à l’intérieur du système.

 

[38]           En ce qui a trait à l’argument de la demanderesse selon lequel le sous‑commissaire n’a pas tenu compte de son motif de refuser de percevoir et de verser la TVH jusqu’à l’arrêt de la Cour suprême du Canada, il doit être rejeté. Tout d’abord, le sous‑commisssaire était manifestement au courant de la position de la demanderesse relativement à la perception de la TVH et de ses doits issus de traités, résumée dans le rapport de recommandation, et il fait référence à cette « circonstance atténuante » dans sa lettre. De plus, la demanderesse a dit avoir commencé à percevoir la TVH à l’égard des ventes taxables aux clients non autochtones en juin 2003, après l’arrêt de la Cour suprême du Canada. Le sous‑commissaire répète dans sa lettre les propos de la demanderesse lorsqu’il souligne que, la Cour suprême ayant refusé l’autorisation de pourvoi, la demanderesse [traduction] « a considéré que l’affaire était réglée et a commencé à percevoir la TVH sur les ventes taxables à des clients non autochtones ».

 

[39]           Toutefois, le sous‑commissaire savait également que la cotisation établie le 9 janvier 2006 à l’égard de la demanderesse pour la période du 1er janvier 2003 au 31 mars 2005 – dont la plus grande partie était postérieure au moment où la demanderesse avait officiellement commencé à percevoir et à verser la TVH – comprenait une pénalité pour faute lourde. L’ARC a établi cette pénalité parce qu’elle estimait que la demanderesse aurait dû connaître ses obligations en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, vu ses communications fréquentes avec l’ARC. De plus, le montant de la cotisation, 758 381 $ au seul titre de la taxe nette, n’indique pas la conformité au cours de la période en question.

 

[40]           Le sous‑commissaire a fait remarquer que les antécédents de non‑conformité de la demanderesse ont persisté malgré les communications constantes avec les fonctionnaires de l’ARC sur la question de ses obligations concernant la TVH, qui remontent à janvier 2002. Il était loisible au sous‑commissaire d’évaluer tous les facteurs liés à la non‑conformité. Il pouvait raisonnablement conclure que l’explication que la demanderesse a donnée de son erreur était contredite par sa non‑conformité systématique aux exigences de la loi qu’elle connaissait.

 

C.  Le sous‑commissaire de l’ARC a‑t‑il commis une erreur en limitant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

 

[41]            Selon l’avocat de la demanderesse, le sous‑commissaire a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en élevant les lignes directrices concernant les remises au niveau d’une loi et en ignorant d’autres facteurs pertinents. À l’appui de sa prétention, l’avocat a fait référence au dernier paragraphe de la lettre du sous‑commissaire ainsi qu’au procès‑verbal du Comité de l’Administration centrale sur les remises de l’ARC et à la recommandation au comité, datée du 25 juin 2009,  qui semblaient tous indiquer que la remise n’était pas justifiée parce que les faits de l’affaire n’étaient pas conformes aux lignes directrices.

 

[42]           Il est bien établi en droit administratif qu’un décideur commet une erreur s’il donne force de loi à des lignes directrices :

À mon avis, en appliquant rigoureusement cette politique d’application comme il l’a fait (et comme les quartiers généraux de Revenu Canada l’ont avisé de faire), le Directeur a élevé des lignes directrices au niveau d’une loi et, ainsi, limité l’autorité décisionnelle dans l’exercice de la discrétion à lui conférée par une loi habilitante.

 

Alex Parallel Computers Research Inc. c. Canada, (1998) 157 F.T.R. 247; A.C.F. no 1742, au par. 12. Voir également : Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la p. 7.

 

 

 

[43]           En d’autres mots, le pouvoir discrétionnaire du décideur est limité lorsqu’un facteur qui peut à juste titre entrer en ligne de compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire est érigé en règle générale qui aboutit à la recherche de l’uniformité quel que soit le mérite des cas particuliers. Le pouvoir discrétionnaire réside essentiellement dans le fait que son exercice varie selon le cas. Toutefois, le recours aux politiques ou lignes directrices pour rendre une décision n’est pas contestable en soi. De tels instruments, qualifiés parfois de « soft law », peuvent s’avérer fort utiles pour assurer l’uniformité et permettre aux personnes visées par les dispositions législatives de connaître les facteurs susceptibles d’influer sur leurs revendications. Il est donc tout à fait légitime pour une autorité administrative de s’appuyer sur une politique ou une ligne directrice lorsqu’elle rend une décision, dans la mesure où la politique ou la ligne directrice ne réduit pas à néant son pouvoir de décideur ni ne sert à déterminer à l’avance le sort d’une affaire sans examen au fond. Dans Glaxo Wellcome PLC v. Canada (Ministre du Revenu national) [1997] A.C.F. no 1636; 142 F.T.R. 181 (C.F.), par exemple, la Cour a conclu que le ministre n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a suivi les lignes directrices et qu’il les a invoquées comme raison première pour refuser la demande de la requérante : voir également Sebastian v. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board) [1994] S.J. no 523; 119 D.L.R.(4th) 528, à la page 548 (C.A. Sask.).

 

[44]           En l’espèce, rien ne montre que la décision a été déterminée à l’avance. Les observations de la demanderesse ont été examinées par les fonctionnaires de l’ARC qui ont appliqué les lignes directrices. Le rapport de recommandation énonce en détail toutes les observations de la demanderesse. Ces observations concernaient de façon particulière la demanderesse, tout comme la décision. Rien ne démontre que le sous‑commissaire a entravé son pouvoir discrétionnaire ou qu’il a estimé qu’il était lié par une politique.

 

[45]           Le sous‑commissaire a écrit dans sa lettre que les antécédents de non‑conformité de la bande constituaient un élément important de sa décision, non qu’il s’agissait du seul élément. Il a aussi tenu compte d’autres faits pertinents, notamment de la situation financière de la demanderesse et des décisions judiciaires citées par elle. De plus, il était clairement au courant des difficultés financières éprouvées par la bande, puisqu’il les a mentionnées expressément. Pour arriver à sa décision, le sous‑commissaire a évalué l’importance de tous ces facteurs.

 

[46]           Il faut également tenir compte du contenu et de la nature des lignes directrices elles‑mêmes. Les lignes directrices concernant la remise comprennent une liste de « caractéristiques communes » établies dans le contexte d’une demande de remise. Elles rappellent au décideur de tenir compte de tout facteur pertinent. Par conséquent, elles ne prévoient pas un ensemble exhaustif de critères à respecter qui limiteraient le pouvoir discrétionnaire du décideur. Les lignes directrices rappellent plutôt la nécessité d’être ouvert à toutes les questions pertinentes, comme l’a été le sous‑commissaire.

 

[47]           La demanderesse soutient que le sous‑commissaire a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a écrit que les [traduction] « faits de la présente affaire ne sont pas conformes aux lignes directrices de l’ARC concernant les remises et ne justifient pas un allègement ». Toutefois, chaque déclaration formulée dans la décision doit être considérée dans le contexte de la décision dans son ensemble. La décision du sous‑commissaire, prise dans son ensemble, démontre que celui‑ci a fait observer que la demande de la demanderesse était fondée sur ses difficultés excessives, ses déboires financiers ainsi que sur des circonstances atténuantes, et sur l’affirmation selon laquelle l’intérêt public justifierait la remise. La demanderesse a formulé ses observations en fonction des considérations générales énoncées dans les lignes directrices. La décision a été rendue sur le fondement des faits spécifiques du dossier de la demanderesse.

 

[48]           De plus, on ne saurait affirmer que les lignes directrices limitent l’application de la Loi et qu’elles constituent une entrave au pouvoir discrétionnaire du décideur. Non seulement les quatre cas de remise prévus par les lignes directrices ne sont pas censés être exhaustifs, mais aussi le premier paragraphe de cette section des lignes directrices de l’ARC concernant les remises énonce explicitement que [traduction] « [c]haque demande de remise est examinée au mérite pour déterminer si la perception des taxes ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste, ou que l’intérêt public justifie la remise, conformément aux termes généraux énoncés à l’article 23 de la Loi sur la gestion des finances publiques » (p. 9). Par conséquent, on ne saurait dire que l’application stricte des lignes directrices équivaudrait à une entrave au pouvoir discrétionnaire, puisqu’elles reflètent le libellé de la Loi et qu’elles ne limitent aucunement sa portée.

 

D.  Le sous‑commissaire de l’ARC a‑t‑il manqué aux principes de justice naturelle en omettant de tenir compte de la preuve présentée par la Première nation Waycobah?

 

[49]           Selon la demanderesse, le sous‑commissaire a commis une erreur lorsqu’il a pris sa décision en se fondant sur la recommandation défavorable d’un membre du personnel sans même avoir lu la recommandation favorable d’un autre membre du personnel. Cet argument n’est pas très convaincant, parce que le rapport de recommandation en date du 25 juin 2009, préparé par Karen Stirling, résumait la recommandation favorable formulée antérieurement par le BSF de la Nouvelle‑Écosse. De plus, rien n’indique que le sous‑commissaire de l’ARC est tenu d’examiner la recommandation de chaque membre du personnel. L’examen du rapport final qui faisait consensus suffit et répond aux pratiques établies de saine gestion.

 

[50]           Se fondant sur le principe de common law suivant lequel « celui qui entend doit trancher », la demanderesse a fait également valoir que le sous‑commissaire a manqué aux principes de justice naturelle en omettant d’examiner lui‑même les observations formulées par Waycobah dans sa lettre de demande et en se fondant plutôt uniquement sur les rapports et le procès‑verbal de la réunion du comité. Cet argument est également erroné pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la décision faisant l’objet du contrôle est une décision administrative, et non une décision judiciaire ou quasi judiciaire. Aucune audience ni entrevue avec le sous‑commissaire de l’ARC n’est requise dans un tel contexte. Il est bien établi que le principe invoqué par la demanderesse ne s’applique pas aux décisions administratives : voir, par ex., Ayatollahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 248, aux par. 14 et 15; Silion c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1999) 173 F.T.R. 302, aux par. 10 et 11; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1381, au par. 26.

 

[51]           Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier : Moreau-Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, au par. 74. La nature souple de l’obligation d’équité reconnaît qu’une participation valable peut se faire de différentes façons dans des situations différentes : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au par. 33.

 

[52]           La Loi sur la gestion des finances publiques ne précise pas la procédure que doit suivre le ministre pour arriver à une recommandation, lui permettant ainsi de choisir la procédure à suivre.

 

[53]           L’analyse des procédures requises par l’obligation d’équité procédurale devrait tenir compte des choix de procédure faits par l’organisme lui‑même. Cela est d’autant plus vrai lorsque la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou que l’organisme a l’expertise voulue pour déterminer les procédures qui s’imposent dans les circonstances.

 

[54]           De plus, la décision de recommander ou non une remise est très différente d’une décision judiciaire, puisqu’elle laisse une grande place à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et exige l’examen de plusieurs facteurs. En outre, la remise de taxes constitue une exception aux principes généraux du droit fiscal et ne constitue clairement pas un droit de la personne concernée, même si elle peut manifestement avoir une grande incidence sur la situation de cette personne. Pris dans leur ensemble, ces facteurs commandent une obligation d’équité procédurale minimale.

 

[55]           En l’espèce, la demanderesse a présenté des renseignements sur sa situation financière, l’omission antérieure de percevoir la TVH, et a déposé, à titre de pièces, plusieurs documents à l’appui. Bref, la demanderesse n’a pas été empêchée de soulever tout facteur qu’elle jugeait pertinent quant à la demande de remise. Il est vrai que ces renseignements n’ont pas été envoyés au sous‑commissaire. Toutefois, ils ont été examinés par les fonctionnaires de l’ARC qui ont préparé un rapport détaillé. Le rapport de recommandation renfermait un résumé des faits présentés par la demanderesse et par les fonctionnaires du BSF de la Nouvelle‑Écosse qui recommandaient la remise. Ces faits n’étaient pas contestés dans le rapport. Le rapport de recommandation a été ensuite transmis au sous‑commissaire.

 

[56]           Je suis convaincu que le sous‑commissaire a respecté l’obligation d’équité procédurale requise dans les circonstances. Bien qu’il n’ait pas eu directement accès aux observations de la demanderesse et à la recommandation formulée par les fonctionnaires du BSF de la Nouvelle‑Écosse lorsqu’il a formé sa décision, il a été informé du contenu des observations et de la recommandation en question par le biais du rapport de recommandation neutre et détaillé. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation d’équité procédurale dans le contexte du par. 23(2) de la Loi.

 

V.  Conclusion

[57]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2011-09

 

INTITULÉ :                                       Première nation Waycobah

                                                            c.

                                                            Procureur général du Canada

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 juillet 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 26 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bruce Russell

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel Wallance

POUR LA DEMANDERESSE

 

Caitlin Ward

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McInnes Cooper

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan,

Sous procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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