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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100615

Dossier : T-1689-09

Référence : 2010 CF 644

[traduction certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2010

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

CHRISTOPHER PATERSON

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

(Agence du revenu du Canada)

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans une lettre envoyée le 1er mai 2009, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a informé le demandeur que, à partir du 30 avril 2009, il ne pourrait plus soumettre, en vertu de l’article 150.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi), les déclarations de revenus de ses clients par voie électronique dans le cadre des programmes de la transmission électronique des déclarations (TED) et du système électronique de notification des débits (SEND).

 

[2]               Le demandeur a demandé un examen administratif de la décision et, le 9 septembre 2009, le chef des Appels a confirmé la décision refusant au demandeur l’accès à ces programmes. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur cette dernière décision.

 

[3]               Avant d’examiner les faits en l’espèce, je précise que l’article 150.1 de la Loi établit clairement qu’il n’existe aucun droit quant à la transmission électronique des déclarations. Le paragraphe 150.1(2) précise plutôt que la « personne qui remplit les critères que le ministre établit par écrit peut transmettre par voie électronique une déclaration de revenus pour une année d’imposition » [Non souligné dans l’original.]. Selon le libellé de la disposition, le ministre jouit manifestement d’un pouvoir discrétionnaire complet en matière d’octroi et de révocation du privilège lié à la transmission électronique. Le formulaire « Vérification de l’admissibilité » qui figure sur le site Web de l’ARC énonce une liste des facteurs pertinents qui régissent l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

[4]               Les facteurs pertinents à prendre en compte sont notamment : un participant actuel ou éventuel au programme de la TED ne doit pas avoir été condamné en vertu de la Loi ou d’une loi de l’impôt sur le revenu d’une province ou d’un territoire, ne doit pas avoir omis d’observer l’obligation de payer, de percevoir et de remettre l’impôt et les taxes prévus par la Loi (entre autres lois), ne doit pas avoir fait de fausses déclarations dans sa demande d’adhésion ou de renouvellement et, ce qui est encore plus important en l’espèce, le participant actuel ou éventuel « n’a pas été l’auteur de fraude, d’abus de confiance, ni d’autres conduites malhonnêtes et déshonorantes » [Non souligné dans l’original.].

 

[5]               Le demandeur, qui exploite une entreprise à titre de propriétaire unique, prépare et produit les déclarations de revenus d’un certain nombre de clients. Depuis environ 2004, le demandeur jouissait du privilège de préparer et de produire ces déclarations par voie électronique à titre de participant au programme de la TED mis en place par le ministre.

 

[6]               La preuve au dossier révèle que, avec l’aide de M. Mohammed Gaye, un de ses clients qui travaillait pour une entreprise censée faire campagne pour le compte d’organisations caritatives, le demandeur a accepté des sommes d’argent de contribuables qui désiraient « faire un don » à ces organisations en échange d’un « reçu bonifié » aux fins de l’impôt (le stratagème). Le reçu remis au contribuable faisait état d’un montant plus important que celui qui avait été réellement déboursé et était utilisé lors de la préparation de la déclaration de revenus du client afin que celui-ci puisse déduire un montant important de son revenu imposable.

 

[7]               Par exemple, un client qui participait au stratagème versait 500 $ au demandeur qui envoyait ensuite le montant à M. Gaye. Le client recevait alors, pour fins fiscales, un reçu pour un montant de 7 500 $, apparemment au nom d’une organisation caritative importante. Pour chaque client qui achetait un de ces reçus bonifiés, le demandeur recevait 25 $ de M. Gaye. Rien au dossier ne prouve que les reçus fournis par M. Gaye, bien qu’ils eussent l’air authentiques, étaient émis par des organisations caritatives, ou que celles-ci étaient au courant du stratagème ou l’approuvaient.

 

[8]               Vers le mois de mars de 2009, un des clients du demandeur a communiqué avec lui après avoir reçu une lettre de l’ARC mentionnant que celle-ci était en train d’enquêter au sujet d’allégations relatives à des infractions à la Loi commises au cours de la préparation de sa déclaration de revenus. Le nom du demandeur (à titre de personne qui a préparé ladite déclaration) ne figurait pas dans la lettre, mais ce dernier a quand même communiqué de façon volontaire avec l’enquêteur de l’ARC et a fixé une rencontre.

 

[9]               Le demandeur n’a jamais nié avoir participé au stratagème. Au contraire, il a collaboré, et il collabore toujours, avec l’ARC. Cependant, le demandeur ne croit pas avoir mal agi puisqu’il n’était pas au courant qu’il commettait une fraude. Il affirme qu’il n’avait aucune raison de croire que les reçus bonifiés étaient frauduleux de quelque manière que ce soit. En effet, l’ARC n’avait pas senti le besoin d’examiner les déclarations produites jusqu’en mars 2009. La preuve aus dossier révèle que le demandeur aurait lui-même réclamé des déductions fiscales en utilisant les reçus bonifiés. Il prétend maintenant, en vertu de la Charte des droits du contribuable, que l’ARC aurait du l’avertir à l’avance que cette pratique posait problème.

 

[10]           À la suite de sa rencontre avec l’enquêteur, le demandeur a reçu une lettre datée du 1er mai 2009 lui indiquant que, à compter du 30 avril 2009, il avait perdu ses privilèges en matière de TED. Le demandeur a brièvement recouvré ses privilèges afin de lui permettre de produire les déclarations de trois clients, mais peu de temps après, ses privilèges ont à nouveau été suspendus.

 

[11]           Le demandeur a demandé que cette dernière décision soit révisée. Il ne s’agissait pas d’un appel prévu par la loi, mais plutôt d’un examen administratif. Le chef des appels a effectué un examen de novo du dossier tout entier; il a examiné les nouveaux éléments de preuve portés à son attention. Le 9 septembre 2009, le demandeur a été informé de la décision de maintien de la suspension. La lettre du chef des appels était ainsi libellée :

[traduction]

[…]

Le demandeur s’est conduit de façon déshonorante en participant, en vue de faire un profit, à la vente de reçus faisant état de dons à des organisations caritatives. De plus, [il] a sciemment préparé des déclarations en utilisant ces reçus de dons alors qu’aucune contribution n’avait été faite aux organisations caritatives enregistrées. Par conséquent, [l’ARC] juge que [son] comportement en l’espèce ne fait pas honneur à l’intégrité du programme de la TED […]

 

 

[12]           Aucune jurisprudence ne porte sur le choix de la norme de contrôle applicable dans le cadre de l’évaluation d’une décision de révocation du privilège de transmission électronique des déclarations d’une personne. Cela dit, il est clair que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La question de savoir si un participant actuel ou éventuel est admissible au privilège de transmission électronique des déclarations est une décision discrétionnaire et surtout une question de fait qui appelle un degré appréciable de retenue. En l’espèce, la nature de la question, conjuguée à l’expertise particulière du ministre, étaye la conclusion selon laquelle la décision d’accorder ou de suspendre le privilège de transmission électronique des déclarations est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. Ainsi, le ministre, ou ses « fonctionnaires, commis et préposés » habiletés à appliquer et à exécuter la Loi (voir paragraphe 220(2)), sont en meilleure position que la Cour pour appliquer les normes de la vérification de l’admissibilité et définir ce qui constitue de la « fraude », de la « conduite malhonnête », de l’« abus de confiance » et d’autres « conduites déshonorantes ».

 

[13]           En résumé, le demandeur prétend que la décision contestée justifie une intervention. Il est déraisonnable de conclure que le demandeur ne s’est livré à aucune « conduite malhonnête ou déshonorante » parce qu’il n’a jamais eu de raison de remettre en question l’authenticité des reçus fournis à ses clients. En outre, le demandeur soutient que l’ARC ne l’a jamais informé que des reçus suspects étaient en circulation et que, à une occasion, l’ARC avait fait enquête sur l’un des reçus et avait conclu qu’il faisait état d’un montant raisonnable. Finalement, le demandeur prétend que la décision du chef des appels n’est pas étayée par la preuve car celle-ci ne démontre pas qu’il a reçu des montants d’argent  en échange de sa présumée participation au stratagème.

 

[14]           Pour les motifs que je vais exposer, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[15]           Le demandeur ne souscrit pas à la conclusion du chef des appels selon laquelle son comportement était de nature « déshonorante ». Selon Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il ne fait aucun doute que la décision contestée du chef des appels est raisonnable. Le chef des appels avait certainement le droit de tirer ses propres conclusions, et il l’a fait en l’espèce.

 

[16]           Le demandeur n’avait peut-être aucune raison de douter de l’authenticité des reçus fournis à ses clients, mais il savait que les montants versés par ses clients n’équivalaient pas aux montants figurant sur les reçus qu’il utilisait pour remplir les déclarations de revenus. De toute évidence, le demandeur fermait les yeux. Le simple fait que le demandeur estimait que son comportement n’était pas frauduleux ne change rien au fait qu’il a avoué avoir participé au stratagème qui a permis à des contribuables de réclamer des déductions pour des montants qu’ils n’avaient jamais versés à des organisations caritatives. Comme on dit souvent, nul n’est censé ignorer la loi.

 

[17]           Même s’il n’a pas été prouvé que le demandeur a bel et bien reçu des montants d’argent de la part de M. Gaye, je répète que le demandeur n’a jamais nié sa participation au stratagème et, comme il ressort de son aveu, l’objectif de sa participation au stratagème était de faire un profit. Provenant d’une personne qui avait le privilège de préparer et de produire des déclarations de revenus par voie électronique, ce comportement est troublant. Indéniablement, il est suffisant pour semer le doute et la suspicion. Le ministre doit protéger l’intégrité du système. Il était raisonnable de la part du ministre d’estimer que le comportement du demandeur constituait un abus de confiance ou une autre conduite de nature déshonorante. Une telle conduite ne fait certainement pas honneur à l’intégrité du programme de la TED. Par conséquent, on ne saurait affirmer que la décision de suspendre un privilège discrétionnaire, auquel le demandeur n’a pas droit, est déraisonnable.

 

[18]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur soit rejetée avec dépens.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1689-09

 

INTITULÉ :                                       CHRISTOPHER PATERSON

                                                            c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                            DU CHEF DU CANADA

                                                            (Agence du revenu du Canada)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 JUIN 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :
                       LE 15 JUIN 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Osborne G. Barnwell

 

POUR LE DEMANDEUR

Carol Calabrese

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osborne G. Barnwell

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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