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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100721

Dossier : IMM-6156-09

Référence : 2010 CF 767

[traduction certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

DIUBEL SENCIO HECHAVARRIA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicite un contrôle judiciaire en vue d’obtenir l’exception ministérielle prévue au paragraphe 34(2) de la Loi. Le demandeur prétend que le ministre a pris la décision de ne pas traiter, examiner et trancher sa demande. Le demandeur sollicite également une ordonnance de mandamus visant à ordonner au ministre et à ses agents désignés de traiter, examiner et trancher sa demande.

 

 

Le contexte factuel

[2]               Le demandeur, Diubel Sencio Hechavarria, est citoyen de Cuba. Le 16 novembre 2005, à Cuba, il a épousé Cheryl Hixt, une citoyenne canadienne.

 

[3]               Le demandeur et son épouse ont présenté une demande de parrainage conjugal peu de temps après, puis, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente en juin 2006. Au cours de son entrevue avec l’agent des visas, le 29 mars 2007, à l’ambassade du Canada à Cuba, l’agent a interrogé le demandeur au sujet de ses années de service au sein du ministère des Forces armées révolutionnaires (MINFAR) à Cuba, entre août 1992 et juin 1998. Le demandeur affirme qu’il ne s’est pas enrôlé dans l’armée. Il a été conscrit. Il n’était qu’un simple employé et n’avait accès à aucun renseignement classifié. Il était chargé, notamment, d’écouter des radiosignaux qu’il devait enregistrer et transmettre à ses supérieurs.

 

La décision contestée

[4]               Le 30 janvier 2008, les services d’immigration (l’ambassade du Canada à Cuba) ont décidé que, en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi, le demandeur était inadmissible à l’obtention d’un visa de résident permanent. Le motif invoqué pour le rejet de la demande du demandeur était qu’il avait travaillé au sein du MINFAR.

 

[5]               Le 7 août 2008, le demandeur a présenté une demande en vue d’obtenir l’exception ministérielle prévue au paragraphe 34(2) de la Loi au motif que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Le demandeur attend toujours la réponse du ministre à cet égard.

 

Les questions en litige

[6]               Les questions suivantes sont soulevées dans la présente demande :

a.      Le retard à rendre une décision quant à la demande d’exception ministérielle présentée par le demandeur est-il déraisonnable?

 

b.      Le cas échéant, le redressement approprié est-il la délivrance d’une ordonnance de mandamus?

 

Les dispositions législatives

[7]               Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

 

Sécurité

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

Exception

 

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Security

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

Exception

 

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

La norme de contrôle

[8]               Le paragraphe 34(2) prévoit un mécanisme grâce auquel une personne jugée interdite de territoire en vertu de l’article 34 de la Loi pour des raisons de sécurité peut se voir attribuer le statut de résident permanent si elle convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

[9]               Dans les décisions Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 123, [2007] A.C.F. n° 173 et Miller c. Canada (Solliciteur général), 2006 CF 912, [2007] A.C.F. n° 164, la Cour a jugé que la décision du ministre par laquelle il refuse l’exception ministérielle doit être revue selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[10]           Depuis l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable a été écartée et les trois normes de contrôle existantes ont été réduites à deux normes : la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable. Cependant, lorsqu’il existe de la jurisprudence qui détermine la norme de contrôle applicable, il n’y a pas lieu d’examiner quelle norme s’applique.

 

[11]           Dans la décision Ramadan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1155, [2008] A.C.F. n° 1435, aux paragraphes 1 et 16, la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable à une décision en matière d’exception ministérielle est la norme de la décision raisonnable. En analysant l’exception ministérielle, le juge Zinn a mentionné ceci :

 

[1] Il appartient au ministre de dire si le fait pour lui d’accorder une levée d’interdiction de territoire à un étranger qui est au départ interdit de territoire serait « préjudiciable à l’intérêt national ». Le ministre est le mieux placé pour apprécier la situation. Le rôle de la Cour est de convaincre l’étranger concerné et le public canadien que le processus décisionnel qui a été suivi était équitable et que, au vu de l’ensemble de la preuve, la décision était raisonnable.

 

[…]

 

[16] Nous avons affaire ici à une décision qui traduit ou met en œuvre une politique publique générale. C’est une décision dans laquelle le ministre est tenu d’établir un équilibre entre, d’une part, l’intérêt d’un demandeur qui souhaite obtenir la résidence permanente au Canada afin d’être réuni à sa famille et, d’autre part, l’intérêt du public à ce que la sécurité nationale ne soit pas compromise par une décision favorable au demandeur. Le fait que c’est uniquement le ministre, et non un représentant du ministre, qui est investi de ce pouvoir donne également à penser que sa décision appelle une retenue élevée. Compte tenu de tous ces facteurs, il ne fait aucun doute que la décision ministérielle dont il s’agit ici appelle le niveau de retenue le plus élevé.

 

[12]           Par conséquent, la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable.

Analyse

[13]           L’ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity. Son objet est de contraindre une autorité publique à exécuter l’obligation légale d’agir à caractère public qu’elle refuse ou néglige d’exécuter lorsqu’elle est appelée à le faire. Dans Kalachnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 777, [2003] A.C.F. n° 1016, aux paragraphes 11 à 13, la juge Snider a examiné les exigences qui doivent être satisfaites afin que l’on puisse obtenir une ordonnance de mandamus dans un contexte relatif à l’immigration. Elle a écrit ceci :

Le critère pour l’ordonnance de mandamus

 

[11] L’ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity (voir l’arrêt Khalil c. Canada (Secrétaire d’État), [1999] 4 C.F. 661 (C.A.)), soumise aux conditions préalables ci-après énoncées.

 

1. Il existe une obligation légale d’agir à caractère public;

 

2. L’obligation doit exister envers le demandeur;

 

3. Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

 

(a) le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à l’obligation;

 

(b) il y a eu une demande préalable d’exécution de l’obligation, une période raisonnable pour se conformer à la demande et un refus postérieur qui peut être exprès ou tacite; il y a eu par exemple un délai déraisonnable;

 

4. Le demandeur n’a aucun autre recours.

 

5. La « balance des inconvénients » joue en faveur du demandeur (voir à cet égard l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), confirmé par [1994] 3 R.C.S. 1100, et la décision Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.)).

 

[12] Dans la décision Conille, précitée, [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.), Mme le juge Tremblay-Lamer énonce, au paragraphe 23, trois conditions à remplir pour qu’un délai de traitement soit jugé déraisonnable. Ces conditions sont les suivantes :

 

(1) Le délai en cause a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

 

(2) Ni le demandeur ni son avocat ne sont responsables du délai;

 

(3) L’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

 

[13] Dans la décision Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1677 (1re inst.) (QL), Mme le juge Dawson, au paragraphe 15, fait une mise en garde selon laquelle la jurisprudence antérieure n’est « pas particulièrement utile sauf pour ce qui est de fixer les paramètres dans lesquels la Cour a accepté de prononcer une ordonnance de mandamus parce qu’elle estimait qu’aucune explication raisonnable n’avait été fournie relativement à un délai inhabituel » . Le juge Dawson a accordé une ordonnance de mandamus dans la décision Mohamed, précitée, en raison du long délai nécessaire pour faire l’enquête de sécurité et de l’absence d’explication quant aux raisons pour lesquelles le délai de six mois à un an prévu pour le traitement avait été dépassé. Le juge Dawson n’a pas accepté que la déclaration selon laquelle les délais de traitement étaient dus à des préoccupations à l’égard de la sécurité puisse être une justification satisfaisante pour le fait que, après plus de quatre ans, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur était encore pendante.

 

 

[14]           Le demandeur prétend qu’aucun renseignement ne lui a été donné quant à la progression du traitement de sa demande et que, par conséquent, le temps que prend le ministre pour rendre une décision est déraisonnable.

 

[15]           La Cour, après avoir examiné la preuve, est plutôt d’avis que le demandeur n’a pas alloué suffisamment de temps aux autorités pour répondre à sa demande. En effet, 15 mois se sont écoulés entre le moment où le demandeur a demandé l’exception ministérielle prévue au paragraphe 34(2) de la Loi (le 7 août 2008) et le moment où il a déposé la présente demande (1er décembre 2009).

 

[16]           La Cour conclut que la demande du demandeur est en cours de traitement et que le dossier progresse. Par exemple, la preuve documentaire comprend une lettre du ministre de la Sécurité publique en plus d’une liste d’un certain nombre de conversations téléphoniques liées à l’état du dossier. Par conséquent, il est difficile de conclure qu’il y a refus catégorique de traiter la demande présentée par le demandeur. Compte tenu de la nature de l’interdiction de territoire, à savoir des raisons de sécurité, un délai raisonnable doit être accordé aux autorités afin de leur donner le temps de compléter leur enquête, d’examiner et d’analyser les faits en l’espèce (affidavits de Brett Bush et de Michelle Barette).

 

[17]           À l’audience devant la Cour, l’avocat du demandeur a renvoyé à l’affaire John Doe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 535, 54 Imm. L.R. (3d) 212. Dans cette affaire, le demandeur était arrivé au Canada en 1984 et avait sollicité l’asile, laquelle lui a fut accordée en 1986. Il a alors présenté une demande de résidence permanente. En 1998, des agents ont soulevé certaines questions en matière de sécurité. Le demandeur avait alors présenté une demande d’exception ministérielle. Après huit ans, aucune décision n’avait été prise. La Cour a conclu qu’il y avait eu retard indu sans que des explications raisonnables n’aient été données.

 

[18]           Cependant, en l’espèce, la décision John Doe, précitée, n’ait d’aucune utilité au demandeur. En effet, à ce jour, moins de deux ans se sont écoulés en tout depuis le dépôt de la demande d’exception ministérielle en décembre 2009. La Cour estime que, compte tenu des faits de l’espèce, le retard est raisonnable et justifiable.

 

[19]           Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, même si elle comprend l’incidence que le retard peut avoir sur l’épouse du demandeur, la Cour ne peut pas, à ce stade-ci, rendre une ordonnance de mandamus. La demande est prématurée et, par conséquent, injustifiée. Le demandeur n’a pas démontré, selon la prépondérance des inconvénients, que les exigences relatives à l’obtention d’une ordonnance de mandamus ont été satisfaites. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6156-09

 

INTITULÉ :                                       DIUBEL SENCIO HECHAVARRIA c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 JUILLET 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :                      
LE 21 JUILLET 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter W. Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Caron & Partners LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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