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Date : 20100611

Dossier : T-772-09

Référence : 2010 CF 633

Toronto (Ontario), le 11 juin 2010

En présence de MKevin R. Aalto, protonotaire

 

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

 

 

et

 

 

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

défenderesse

 

MOTIF DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une action intentée par Apotex pour faire invalider le brevet détenu par Pfizer (le brevet 446) pour le médicament connu sous le nom de Viagra (citrate de sildénafil).

 

[2]               Apotex a cherché à contester le brevet 446 à d’autres occasions. Dans un avis d’allégation daté du 15 juin 2005, Apotex a déclaré qu’elle ne contreferait pas le brevet 446 et a contesté la validité des revendications du brevet 446. En réponse, un avis de demande (la demande) a été déposé en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité. Le 27 septembre 2007, le juge Mosley a accueilli la demande et a rendu une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Apotex un avis de conformité (l’ordonnance d’interdiction).

 

[3]               Par la suite, l’ordonnance d’interdiction a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans une décision rendue le 16 janvier  2009. Aucune autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada n’a été demandée.

 

[4]               Apotex a introduit une autre instance afin de faire invalider le brevet 446. En 2005, Pfizer a déposé une demande en réponse à un avis d’allégation d’Apotex. L’avis d’allégation a ultérieurement été retiré.

 

[5]               Un autre fabricant de médicaments génériques (Novopharm Limited) a aussi tenté de faire invalider le brevet 446. Une ordonnance d’interdiction a été rendue dans cette affaire par le juge Kelen le 18 juin 2009.

 

[6]               La présente action a été introduite en mai 2009. Une déclaration modifiée a été signifiée et déposée en juillet 2009 et, par la suite, Pfizer a présenté une requête pour précisions. La défense de Pfizer a été signifiée et déposée en septembre 2009.

 

[7]               Dans sa déclaration, Apotex soulève sept allégations d’invalidité : antériorité, évidence, visées trop ambitieuses, inutilité et absence de prédiction valable, insuffisance de l’exposé, poursuite injustifiable et renonciation insuffisante. Toutes ces allégations, sauf celle de la poursuite injustifiable, ont été soulevées dans l’avis d’allégation sur lequel était fondée l’instance dont a été saisi le juge Mosley. Apotex allègue également l’absence de contrefaçon à l’égard de toutes les revendications du brevet 446. Dans son avis d’allégation, Apotex n’a pas allégué l’absence de contrefaçon à l’égard de toutes les revendications. Apotex invoque également la « défense Gillette » qui n’a pas été soulevée dans la demande.

 

[8]               Dans sa défense, Pfizer fait valoir ce qui suit :

[traduction]

 

il faudrait empêcher Apotex de contester la validité du brevet 446 dans le cadre de la présente instance en raison du principe de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion offensive, de la courtoisie et de l’abus de procédure » (les allégations d’abus).

 

[9]               La présente requête vise notamment à faire radier cette partie de l’acte de procédure. Elle vise également à obtenir des précisions à l’égard d’autres parties de la défense. Je reviendrai sur ces questions.

 

Radiation des allégations d’abus

 

[10]           La présente partie de la requête soulève une question juridique distincte qui a une incidence à la fois sur les procédures (procédures engagées en vertu du Règlement) engagées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) et les instances relatives à des brevets intentées devant la Cour :

[traduction]

 

Un titulaire de brevet devrait-il être autorisé à plaider en défense à une demande d’invalidation intentée par un fabricant de médicaments génériques qu’il y a abus de procédure, notamment lorsque le fabricant de médicaments génériques demandeur, qui a échoué en vertu du Règlement en première instance et en appel, présente la même allégation (et éventuellement la même preuve) à l’égard du même brevet? 

 

[11]           Apotex soutient avec vigueur que la réponse à cette question est un « non » catégorique. Elle demande que soient radiées les allégations d’abus parce que celles-ci ne révèlent aucune cause de défense valable en droit et qu’elles devraient être radiées. Essentiellement, Apotex fait valoir que la jurisprudence de la Cour établit que les procédures engagées en vertu du Règlement n’ont pas de valeur de précédent. Par conséquent, cet acte de procédure devrait être radié.

 

[12]           À l’appui de sa position selon laquelle les allégations d’abus constituent un acte de procédure approprié en défense, Pfizer fournit des comparaisons et des statistiques afin de démontrer les éléments communs soulevés dans la présente action ainsi que dans des procédures antérieures engagées en vertu du Règlement. Les statistiques montrent le grand nombre de procédures juridiques et d’audiences qui ont eu lieu comme partie intégrante d’instances antérieures. Par exemple, l’annexe A des observations écrites renferme un organigramme qui illustre les procédures engagées au Canada à l’égard des brevets du sildénafil, toutes des demandes présentées en vertu du Règlement. Une copie de l’annexe A est jointe aux présents motifs.

 

[13]           À l’annexe B de ses observations écrites, Pfizer énumère les antériorités qui ont été citées par Apotex dans sa déclaration modifiée de la présente instance. Le tableau permet de comparer ces antériorités avec celles qui ont été citées dans l’avis d’allégation d’Apotex du 15 juin 2005. Il convient de noter que les antériorités citées sont les mêmes à l’exception de cinq antériorités additionnelles, soit la demande de brevet canadien n2,073,226 déposée le 6 juillet 1992 et publiée le 10 janvier 1993, ainsi que quatre articles qui, d’après leur titre, semblent tous porter sur des médicaments chinois. Une copie de l’annexe B est également jointe aux présents motifs.

 

[14]           Enfin, à l’annexe C de ses observations écrites, Pfizer a joint un tableau montrant les avis de requête déposés dans chacune des procédures antérieures engagées en vertu du Règlement, le nombre d’affidavits déposés dans le cadre de ces requêtes, le nombre d’affidavits déposés dans le cadre de l’instance principale, le nombre de volumes déposés dans les dossiers de demande, notamment les dossiers d’appel, les cahiers de jurisprudence et les recueils, ainsi que le nombre de jours d’audience consacrés à ces instances et le nombre de décisions et d’ordonnances intérimaires qui en ont résulté. Ces statistiques montrent qu’un nombre impressionnant de requêtes, d’affidavits et de jours d’audience ont occupé la Cour dans ces affaires antérieures. Par exemple, sept audiences ont eu lieu en 16 jours devant un juge de la Cour et cinq audiences ont été tenues en cinq jours devant un protonotaire. Une copie de l’annexe C est jointe aux présents motifs.

 

[15]           S’appuyant sur ces antécédents, Pfizer soutient qu’elle est en droit de soulever les allégations d’abus dans sa défense.

 

[16]           Pfizer fait valoir que, dans la présente requête, Apotex ne s’est pas acquittée du lourd fardeau à l’égard de la radiation sous le régime de l’article 221 des Règles des Cours fédérales (les Règles). Elle soutient qu’il n’est pas évident et manifeste que les allégations d’abus ne constituent pas une cause de défense valable.

 

[17]           En ce qui concerne les requêtes en radiation, l’approche adoptée par la Cour est bien connue :

·                    Aucune preuve n’est admissible à l’appui d’une requête en radiation.

·                    L’acte de procédure doit être considéré comme étant avéré et prouvable.

·                    Il doit être « évident et manifeste » que les allégations doivent être radiées parce qu’elles sont vouées à l’échec.

·                    S’il subsiste tout doute quant au bien-fondé d’un acte de procédure, il appartient au juge de première instance de l’examiner en fonction de la preuve.

(voir Hunt c. Carey (1992) R.C.S. 959, Sweet c. Canada (1999) 249 N.R. 17 (C.A.F.) et Mathias c. La Reine, [1980] 2 C.F. 813 (1re inst.))

 

Analyse

 

[18]           Comme je l’ai indiqué plus haut, toutes les procédures antérieures ont été menées en vertu du Règlement. On dit souvent des procédures engagées en vertu du Règlement qu’elles sont des instances « sommaires ». Le Shorter Oxford English Dictionary définit comme suit le mot « sommaire » (summary) dans le domaine du droit :

[traduction]

 

« applicable aux procédures d’un tribunal de droit qui sont traitées promptement par l’omission de certaines formalités requises par la common law » et, de façon générale, « exécuté ou effectué au moyen d’une méthode rapide; qui est fait sans délai ».

 

Bien qu’elles soient qualifiées de sommaires, généralement les procédures engagées en vertu du Règlement durent environ 20 mois et doivent être achevées dans un délai de deux ans à compter de la date du dépôt de l’avis de demande. Même si les procédures engagées en vertu du Règlement doivent être « sommaires », cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas extrêmement complexes et ne font pas l’objet d’intenses débats. Il arrive très souvent que chaque partie dépose cinq rapports d’expert (parfois même plus si la Cour l’autorise), dont la plupart proviennent d’experts dans le domaine de la pharmacologie et de la médecine qui exposent des analyses très techniques concernant le médicament en cause. Tous les affidavits déposés font habituellement l’objet de contre-interrogatoires longs et intensifs. Bon nombre des questions soulevées dans les procédures engagées en vertu du Règlement reflètent les allégations qui figurent ordinairement dans toute action visant l’invalidation d’un brevet, comme l’évidence, l’antériorité et l’inutilité. L’annexe C démontre amplement le fait que même si les procédures engagées en vertu du Règlement sont décrites comme étant « sommaires » et peuvent ne pas revêtir le caractère officiel d’une instruction complète et de la comparution de témoins, elles soumettent néanmoins à la Cour de nombreuses questions complexes concernant les brevets qu’elle doit trancher en se fondant sur un volumineux dossier. En effet, les motifs des décisions de presque toutes les procédures engagées en vertu du Règlement sont longs, détaillés et contiennent une analyse et une interprétation prudente du brevet en cause.

 

[19]           Le fait qu’il s’agisse de procédures « sommaires » semble constituer le fondement à partir duquel a évolué la jurisprudence, soit que les procédures engagées en vertu du Règlement n’emportent pas chose jugée à l’égard d’une action ultérieure portant sur l’invalidité d’un brevet, qui revêt tous les attributs d’une instruction complète, y compris les actes de procédure, la communication de documents et les interrogatoires préalables, et la comparution de témoins en première instance. Toutefois, la jurisprudence de la Cour d’appel ne va pas aussi loin que le prétend Apotex. La prémisse sur laquelle repose le fait qu’elles n’aient pas force de chose jugée est qu’il s’agit de procédures sommaires. Autrement dit, aucune des étapes habituelles d’une action n’a été franchie, aucun témoin n’a comparu et l’affaire est tranchée sur la foi d’un dossier.

 

[20]           Cependant, Pfizer n’invoque pas l’autorité de la chose jugée pour que l’affaire soit tranchée sur ce fondement à proprement parler. En fait, l’acte de procédure est axé sur la preuve et les témoins qui font les mêmes déclarations dans la présente affaire et que, dans cette mesure, il devrait être loisible au juge de première instance de déterminer si les principes de la chose jugée peuvent s’appliquer à cette preuve. Par conséquent, on ne peut affirmer que l’acte de procédure est voué à l’échec.

 

 

[21]           Apotex soutient que le droit est bien établi et que le présent acte de procédure est voué à l’échec. Cependant, pour les motifs que j’ai déjà mentionnés, je suis d’avis qu’au stade des actes de procédure ces allégations ne doivent pas être radiées. Pour étayer cette conclusion, le juge Kelen a fait observer, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Glaxo Group Ltd., 2001 CFPI 1351, que les procédures antérieures peuvent présenter une certaine pertinence. Il s’exprime ainsi aux paragraphes 8 à 10 :

[8]        La demanderesse admet que ni la préclusion ni la chose jugée ne trouvent ici application, mais elle soutient que cette décision revêt néanmoins une certaine pertinence lors d’une poursuite postérieure mettant en cause le même brevet. Les défenderesses, au paragraphe 18 de la défense et demande reconventionnelle, contestent quant à elles [TRADUCTION] « la qualification de l’historique procédural des affaires T‑415‑98 et T‑806‑00 ». Par conséquent, la question de la « qualification » de ces poursuites est déjà soulevée dans les actes de procédure.

 

[9]        La demanderesse plaide donc que les poursuites antérieures sont pertinentes, alors que les défenderesses leur nient ce caractère. Bien qu’il ne fasse pas de doute qu’une action en contrefaçon de brevet constitue un recours indépendant et distinct de celui engagé en application du Règlement, il reste que l’historique des poursuites et les décisions de la Cour sont susceptibles de présenter quelque pertinence.

 

[10]      En conséquence, le protonotaire pouvait valablement décider de ne pas ordonner la radiation des paragraphes précités de la réponse et défense à la demande reconventionnelle, puisqu’ils peuvent présenter une certaine pertinence, qu’ils ne sont pas scandaleux, non plus que frivoles ou vexatoires, et qu’ils ne nuiront pas à l’instruction équitable et efficace de l’affaire. Le fait d’invoquer une poursuite antérieure n’est pas en soi nettement et indubitablement futile. Quoiqu’il en soit, la jurisprudence a établi que la Cour n’ordonne pas la radiation des parties simplement superflues, dans la mesure où elles n’entraînent aucun préjudice. En l’espèce, le fait d’invoquer les deux poursuites intentées dans le passé en application du Règlement n’empêche pas la Cour de rendre une décision nouvelle et indépendante dans l’action en contrefaçon de brevet dont elle est saisie. Il est irréaliste et déraisonnable de la part des défenderesses de demander à la Cour de ne tenir aucun compte de l’historique des poursuites opposant les parties relativement à des questions connexes. [je souligne]

 

[22]           En l’espèce, on ne peut guère prétendre que les allégations d’abus de procédure et la doctrine de la chose jugée ne revêtent pas une certaine pertinence quant aux questions en litige, étant donné le grand nombre de procédures qui ont opposé Pfizer et Apotex. Bien que la présente procédure ne soit pas devenue une question théorique ou déjà tranchée du fait de l’application de doctrine de la chose jugée, le fait que la preuve qui a été déposée dans le cadre des procédures antérieures soit identique à la preuve produite en l’espèce aura une certaine pertinence, mais ne sera pas nécessairement déterminant quant à la question à l’égard de laquelle la preuve est produite. À tout le moins, elle pourra avoir une incidence sur l’adjudication des dépens.

 

[23]           Il convient également de rappeler que l’expression res judicata (la chose jugée) est une version abrégée de res judicata pro veritate accipitur ou « la chose jugée est tenue pour la vérité » [voir Osborn, P.G., A Concise Law Dictionary (1964, 5éd.), p. 278]. Pfizer ne soutient pas que la présente requête devrait être déterminée uniquement à la lumière de l’application de la doctrine de la chose jugée. Elle invoque plutôt tous les moyens de défense au fond et en plus demande réparation de la manière suivante : [traduction] « il faudrait empêcher Apotex de contester la validité du brevet 446 dans le cadre de la présente instance en raison du principe de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de la préclusion offensive, de la courtoisie et de l’abus de procédure ». Dans la mesure où le témoignage d’une personne est identique à la preuve déposée dans des poursuites antérieures, pourquoi ne laisserait-on pas au juge de première instance le soin de déterminer si les principes invoqués sont applicables et s’il doit évaluer et apprécier les éléments de preuve dans le contexte des poursuites antérieures?

 

[24]           Bien que le Règlement soit conçu pour établir une procédure sommaire, ce qui constitue la justification pour ne pas appliquer de façon stricte la doctrine de la chose jugée aux actions en invalidation ultérieures telle que l’espèce, les parties ne doivent pas être autorisées à « revenir à la charge » indéfiniment et avoir recours à de plus en plus de ressources judiciaires parce qu’elles ne sont pas satisfaites des résultats obtenus et sont suffisamment bien armées pour intenter de nouvelles poursuites.

 

[25]           La Cour a l’obligation de contrôler sa propre procédure pour s’assurer que tous ont accès aux ressources judiciaires. Bien que la politique énoncée par la Cour d’appel fédérale concernant l’application de la doctrine de la chose jugée aux procédures engagées en vertu du Règlement doive être suivie, l’acte de procédure dont je suis saisi devrait être maintenu puisque les procédures antérieures peuvent avoir une certaine pertinence dans le contexte de l’espèce. De plus, dans la mesure où la preuve produite par Apotex en première instance est la même que la preuve présentée sur les mêmes questions dans des procédures antérieures, cela peut aussi avoir une certaine pertinence et, du moins, avoir une incidence sur l’adjudication des dépens. Cela est particulièrement vrai étant donné les nombreuses similitudes entre l’instance en l’espèce et les procédures antérieures décrites ci-dessus. Dans la mesure où elle vise à obtenir la radiation de la présente partie de l’acte de procédure, la requête est rejetée.

 

Autres actes de procédure

 

[26]           Dans sa requête, Apotex demande également que soient radiées des « dénégations pures et simples » ou, subsidiairement, d’obtenir des précisions sur ces allégations contenues dans la défense. Apotex demande que soient radiés les paragraphes de la défense dans lesquels on allègue que l’utilisation par Apotex de son produit de sildénafil contrefera les revendications du brevet 446 ou les paragraphes dans lesquels on nie que les revendications du brevet 446 sont invalides pour certains motifs énoncés dans la déclaration modifiée.

 

[27]           Avant la signification de la défense, Apotex a fourni de fort longues précisions sur les diverses allégations contenues dans la déclaration modifiée. À l’appui de la présente requête, on a déposé les affidavits d’un technicien juridique et du scientifique André Lapierre, travaillant tous deux pour le cabinet d’avocats d’Apotex. L’affidavit du technicien juridique est accompagné de divers documents déposés dans le cadre de l’instance et de correspondance. Dans son affidavit, M. Lapierre déclare notamment que, comme il est affirmé dans la défense que la fabrication et la vente de comprimés de sildénafil par Apotex contreferont les revendications du brevet 446, aucun fait pertinent n’est fourni à l’appui de cette allégation ni aucune explication ou détail quant à savoir pourquoi il en serait ainsi. Comme il a été soutenu, de telles explications ou précisons sont nécessaires afin de fournir une réponse sensée. M. Lapierre affirme également que si l’on ne dispose pas des faits pertinents et de précisions, il est impossible d’évaluer pleinement la nature des allégations formulées. Mis à part ces déclarations pures et simples, soit de ne pas pouvoir comprendre la nature des allégations formulées, aucun détail n’est fourni quant à savoir quelles précisions pourraient permettre de clarifier les allégations.

 

[28]           Les exigences en matière d’actes de procédure entraînent le besoin de comprendre la nature de la preuve à présenter. Les actes de procédure devraient aussi contenir un énoncé concis des faits pertinents sur lesquels se fonde une partie [voir l’article 174 des Règles]. En l’espèce, l’acte de procédure de Pfizer qui nie que le produit de sildénafil d’Apotex ne constituera pas une contrefaçon équivaut à une « dénégation » de l’allégation d’Apotex selon laquelle leur produit n’est pas une contrefaçon. C’est à Apotex qu’il incombe de prouver l’absence de contrefaçon. Il appartient à Apotex d’établir selon la prépondérance de la preuve que son produit de sildénafil ne constituera pas une contrefaçon. En niant l’allégation, Pfizer ne fait que demander à Apotex d’établir clairement sa propre allégation. Une « dénégation » est le fait de nier un fait allégué dans un acte de procédure. Pfizer soutient que son acte de procédure est simplement un démenti pour lequel aucune précision n’est requise et qui revient à dire à Apotex : « Prouvez‑le ». Toutefois, Apotex fait valoir que les simples démentis portent atteinte aux règles des actes de procédure et devraient être radiées ou précisées. Essentiellement, elle soutient que les démentis de Pfizer ne sont pas une dénégation, mais ce que l’on appelait dans les anciennes règles relatives aux actes de procédure un « argument négatif ». Cette notion est définie comme suit dans le dictionnaire Osborn, précité, à la page 219 :

[traduction]

 

Négation littérale contenue dans un acte de procédure qui n’attaque pas l’essence de l’allégation. Lorsqu’une dénégation porte sur une allégation négative de sorte qu’il est évident qu’elle vise à constituer une preuve affirmative, des précisions sur la preuve affirmative doivent être fournies.

 

[29]           À l’appui de sa position selon laquelle les actes de procédure en cause sont une simple dénégation, Pfizer se fonde sur l’arrêt McLeod Lake Indian Band c. Chingee, [1998] A.C.F. no 339. Dans cette affaire, le protonotaire Hargrave a souligné ce qui suit :

[7]        [...] Dans les deux premiers paragraphes de leur défense, les défendeurs nient l’allégation des demandeurs, énoncée dans la déclaration, et que ceux-ci devront prouver à l’audience. Il est établi depuis longtemps qu’une dénégation opposée par un défendeur, même sous une forme affirmative, tant et aussi longtemps qu’elle constitue en substance une dénégation de l’allégation de l’autre partie, ne donne aucun droit à une demande de précision : Weinberger v. Inglis, [1918] 1 Ch. 133, page 138. Dans l’arrêt Weinberger, le demandeur n’avait pas réussi à se faire réélire comme membre de la Bourse. Les défendeurs n’ont soulevé qu’un argument affirmatif, c’est-à-dire qu’ils avaient agi de bonne foi et honnêtement dans l’exercice de leurs fonctions et qu’ils n’avaient pas réélu le demandeur parce qu’ils ne le jugeaient pas admissible à être membre de la Bourse. La Cour a signalé que l’argument des défendeurs, même s’il était formulé de façon affirmative, était en fait une dénégation de l’allégation du demandeur, que celui-ci devait prouver afin d’obtenir gain de cause et que, pour cette raison, cela ne créait pas de droit d’obtenir des précisions, même si cette dénégation correspondait à une affirmation large et non définie. Le juge a signalé que les défendeurs avaient à bon droit laissé le demandeur prouver le bien-fondé de sa cause.

 

[8]        En l’espèce, les demandeurs prétendent qu’ils ont été élus conformément aux coutumes de la bande. Il leur incombe d’établir, devant un juge, que tel est le cas. Les défendeurs laissent simplement aux demandeurs le soin de prouver le bien-fondé de leur cause et il n’est pas nécessaire qu’ils les aident dans cette entreprise. La présente instance ne soulève pas le principe selon lequel une dénégation, même formulée de façon négative, peut être un argument négatif équivalant à une affirmation et donc exiger des précisions : voir Pinson v. Lloyds and National Provincial Foreign Bank, Ltd., [1941] 2 K.B. 72, pages 80, 84 et suivantes (C.A.). En l’espèce, la dénégation nie une allégation. C’est un déni auquel il ne faut pas incorporer une allégation affirmative au-delà de ce que cette dénégation implique nécessairement, étant donné qu’il incombe aux demandeurs de convaincre le juge de première instance qu’ils sont le chef et les conseillers nouvellement et valablement élus, [TRADUCTION] "conformément aux coutumes de la bande" (pour reprendre le paragraphe 1 de la déclaration), et par conséquent la demande de précision doit être refusée : voir par exemple Duke’s Court Estates, Ltd. v. Associated British Engineering, Ltd., [1948] Ch. 458. L’avocat des défendeurs exprime cette idée un peu différemment en faisant valoir que c’est au juge de première instance qu’il incombe de décider de l’existence de la coutume sur laquelle les demandeurs appuie leur cause, mais cela revient au même : aucune précision ne sera donnée concernant la dénégation telle que formulée par les défendeurs.

 

[30]           Selon moi, les observations du protonotaire Hargrave sont pertinentes au même titre que sa conclusion qu’il formule comme suit :

Premièrement, les conclusions des parties, y compris les demandes de précision, doivent être les plus concises possible. Il n’y a pas lieu d’obliger une partie à exposer dans sa conclusion des détails qu’il serait plus indiqué de mettre en preuve à l’instruction : Cercast Inc. c. Shellcast Foundries Inc., [1973] C.F. 28, page 38. Deuxièmement, si j’ordonnais aux défendeurs de fournir des précisions sur les coutumes électorales de la bande indienne du Lac McLeod, je déplacerais le fardeau de la preuve qui incombe aux demandeurs pour l’imposer aux défendeurs. Cela serait inapproprié. La demande de précision est donc refusée.

 

[31]           Bien qu’Apotex invoque un certain nombre d’affaires dans lesquelles des précisions ont été demandées à l’égard de simples dénégations, il y a lieu d’établir une distinction entre ces affaires. Par exemple, Apotex se fonde sur l’arrêt Teknion Furniture Systems c. Precision Mfg. Inc. (1992), 45 C.P.R. (3e) 335 (C.F. 1re inst.), page 339, quant à la proposition suivante :

 

Dans une action en contrefaçon de brevets […] la partie demanderesse devrait exposer :

 

i.          les faits qui permettent d’établir que la partie demanderesse a le droit exclusif de faire certaines choses précises ou, en d’autres termes, donner une description succincte, dépouillée de tout verbiage inutile ou non pertinent, des caractéristiques essentielles que la partie défenderesse se serait censément appropriées; et

 

ii.          les faits qui constituent la violation des droits de la partie demanderesse par la partie défenderesse, c’est-à-dire montrer que la partie défenderesse a fait une ou plusieurs choses précises que seule la partie demanderesse a le droit de faire.

 

[32]           La présente instance est une action en contrefaçon de brevet, et non une action en invalidation de brevet dans laquelle la demanderesse n’a pas fourni de précisions sur les allégations de contrefaçon. Il s’agit d’une affaire dans laquelle la demanderesse porte le fardeau de la preuve. Les autres affaires invoquées par Apotex ne sont pas non plus directement applicables aux circonstances particulières de l’espèce. Un autre exemple est la décision Chart Industries Ltd. c. Hein-Werner of Canada Ltd. (1988), 25 C.P.R. (3d) 373, citée pour la proposition selon laquelle il ne suffit pas de déclarer que le produit de la défenderesse est visé par les revendications du brevet parce que les faits précis de la contrefaçon alléguée n’ont pas été fournis. Dans cette affaire, la demanderesse n’a pas fourni de faits quant à la façon dont la contrefaçon avait eu lieu alors qu’elle connaissait très bien son brevet. En l’espèce, c’est Apotex qui allègue que le brevet 446 est invalide et que le produit d’Apotex ne constituera pas une contrefaçon, et elle a fourni des précisions sur ces allégations. Il incombe à Apotex de prouver ces allégations. L’acte de procédure de Pfizer n’est pas un argument négatif qui peut nécessiter des précisions. Il s’agit simplement d’une dénégation.       

 

[33]           À mon avis, ces actes de procédure ne devraient pas être radiés ni ne requérir de précisions. En outre, à la lumière de la preuve dont je suis saisi, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une affaire qui nécessite des précisions et celles-ci ne sont pas vraiment nécessaires.

 

[34]           La requête sera rejetée et, comme Pfizer a entièrement obtenu gain de cause, elle a droit aux dépens au montant qui sera adjugé par la Cour, sauf entente contraire des parties. Si les parties ne s’entendent pas sur les dépens et, comme la question des dépens n’a pas été directement traitée au cours de l’argumentation, la Cour examinera de brèves observations écrites (ne dépassant pas deux pages) concernant le montant des dépens.

 

 

 


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse qui seront adjugés par la Cour, conformément aux présents motifs, s’il y a lieu.

 

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


ANNEXE A

 


ANNEXE B

Antériorités citées dans la déclaration modifiée d’Apotex (T-772-09) et également citées dans l’avis d’allégation d’Apotex daté du 15 juin 2005 (T-1314-05)

Antériorités citées par Apotex
dans la déclaration modifiée
(T-772-09)

Également citées dans l’avis d’allégation d’Apotex daté du 15 juin 2005
(T-1314-05)

Rajfer et al., « Nitric oxide as a mediator of relaxation of the corpus cavernosum in response to nonadrenergic, noncholinergic neurotransmission », New England Journal of Medicine, vol. 326, no 2, p. 90, 9 janvier 1992.

Oui

Murray, K.J., « Phosphodiesterase VA Inhibitors », Drug News and Perspectives, vol. 6(3), p. 150, avril 1993.

Oui

Korenman et al., « Treatment of Vasculogenic Sexual Dysfunction with Pentoxifylline », Journal of American Geriatrics Society, vol. 41, n4, (avril 1993).

Oui

Bush, M.A., « The role of the L-arginine-nitric oxide-cyclic GMP pathway in relaxation of corpus cavernosum smooth muscle », thèse de doctorat, Université de la Californie à Los Angeles.

Oui

Trigo-Rocha, Flavio et al., « The Role of Cyclic Adenosine Monophosphate, Cyclic Guanosine Monophosphate, Endothelium and Nonadrenergic, Noncholinergic Neurotransmission in Canine Penile Erection », Journal of Urology, vol. 149, p. 872, avril 1993.

Oui

Trigo-Rocha, Flavio et al., « Nitric Oxide and cGMP: mediators of pelvic nerve stimulated erection in dogs », American Journal of Physiology, vol. 264 (Heart Circ. Physiol. 33) H419 à H422, février 1993

Oui

Taher, A. et al., « Phosphodiesterase activity in human cavernous tissue and the effect of various selective inhibitors » (Abstr.), Journal of Urology, vol. 149, p. 285A, avril 1993.

Oui

Taher, A. et al., « Cyclic nucleotide phosphodiesterase activity in human cavernous smooth muscle and the effect of various selective inhibitors » (Abstr.), Int. J. Impotence Res. (1992), 4e suppl. 2.

Oui

Ignarro et al., « Nitric oxide and cyclic GMP formation upon electrical field stimulation cause relaxation of corpus cavernosum smooth muscle », 31 juillet 1990.

Oui

Demande de brevet européen n0,463,756 déposée le 7 juin 1991.

Oui

Demande de brevet canadien n2,044,748 déposée le 17 juin 1991 et publiée le 21 décembre 1991.

Oui

Demande de brevet européen n0,526,004 déposée le 2 juillet 1992.

Oui

Demande de brevet canadien n2,073,226 déposée le 6 juillet 1992 et publiée le 10 janvier 1993.

Non

Nicholson, David C. et al, « Differential modulation of tissue function and therapeutic potential of selective inhibitors of cyclic nucleotide phosphodiesterase isoenzymes », Trends in Pharmacol. Sci., vol. 12, p. 19 à 27, janvier 1991.

Oui

Cortijo, J. et al., « Investigation into the role of phosphodiesterase IV in brochorelaxation, including studies with human bronchus », Br. J. Pharmacol., 1993 : 108 : p. 562 à 568.

Oui

Bensky, Dan, Gamble, Andrew and Kaptchuk, Ted; « Chinese Medicine Materia Medica » : Eastland Press; 1986.

Non

Hson-Mou Chang, Paul Pui-Hay But; « Pharmacology and Applications of Chinese Materia Medica (Vol. II) » : World Scientific Publishing Co. Pte. Ltd.; 1987.

Non

Hong-Yen Hsu; « Oriental Materia Medica: A Concise Guide »: Oriental Healing Arts Institute : 1986.

Non

Yin Ai-Hua, Zhao Yu-Cui and Qinq Jinq-Xing; « Treating 50 Cases of Erectile Dysfunction Using Yin Yang Huo Tu Si Zi », 10(6) Yunnan Journal of Traditional Chinese Medicine : 13 : 1989.

Non

 

 

 


ANNEXE C

INSCRIPTIONS ENREGISTRÉES POUR LES AFFAIRES t-2137-04, t-1314-05 ET LES APPELS CONNEXES ENTRE Pfizer Canada Inc., Pfizer ireland pharmaceuticals et Apotex Inc. concernant les brevets canadiens Nos 2,044,748 ET 2,163,446

No de greffe

Intitulé

Brevet en cause

Inscrip-tions enre-gistrées

Première inscrip-tion

Inscrip-tion la plus récente

Avis de requête

Affidavits relatifs aux requêtes

Affidavits relatifs à l’instance principale

Volumes déposés dans les dossiers de demande / dossiers d’appel / cahiers de jurisprudence / recueils

Audiences

Décisions, ordonnances provisoires

Devant un juge de la Cour

Devant un protonotaire

Total

T-2137-04

Pfizer Canada Inc. et. al. c. Apotex Inc.

Brevet canadien no 2,044,748

183

1er déc. 2004

22 févr. 2008

8

10

35

36

4 audiences en 8 jours

3 audiences en 3 jours

7 audiences en 11 jours

15

A-58-07

Pfizer Canada Inc. et. al. c. Apotex Inc.

Brevet canadien no 2,044,748

44

1er janv. 2007

11 nov. 2008

1

1

0

7

1 audience en une journée

s/o

1 audience en une journée

1

T-1314-05

Pfizer Canada Inc. et. al. c. Apotex Inc.

Brevet canadien no 2,163,446

121

28 juillet 2005

16 janv. 2009

6

5

14

52

1 audience en 5 jours

2 audiences en 2 jours

3 audiences en 7 jours

6

A-484-07

Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc. et. al.

Brevet canadien no 2,163,446

53

10 oct. 2007

15 avril 2009

2

2

0

36

1 audience en 2 jours

s/o

1 audience en 2 jours

3

TOTAL

s/o

s/o

401

s/o

s/o

17

18

49

131

7 audiences en 16 jours

5 audiences en 5 jours

12 audien-ces en 21 jours

25


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-772-09

 

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC.

c.

PFIZER IRELAND PHARMACEUTICALS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 25 janvier 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :                         Le 11 juin 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Sandon Shogilev

 

POUR LA DEMANDERESSE

Patrick E. Kierans

Amy Grenon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ogilvy Renault LLP

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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