Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100608

Dossier : T‑955‑08

Référence : 2010 CF 612

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

et PFIZER INC.

 

demanderesses

et

 

RATIOPHARM INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

VERSION PUBLIQUE

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande visant à obtenir, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-1333 (le Règlement AC), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Ratiopharm un avis de conformité pour une version générique de REVATIO tant que le brevet canadien 2,324,324 (le brevet 324) de Pfizer ne sera pas expiré, en 2014. Ratiopharm soutient que le brevet de Pfizer pour REVATIO est invalide pour les motifs d’absence de prédiction valable d’utilité, d’évidence et d’antériorité, de sorte que la vente de la version générique de REVATIO devrait être immédiatement autorisée sur le marché canadien.

TABLE DES MATIÈRES

 

Paragraphe

 

LE CONTEXTE................................................................................................................. [2]

 

ANALYSE

            La charge de la preuve.......................................................................................... [62]

            Interprétation des revendications du brevet............................................................ [63]

 

QUESTION NO 1 :

            Le brevet 324 peut‑il revendiquer une date de priorité en s’appuyant sur GB 970?. [79]

 

QUESTION NO 2 :

Le brevet 324 est‑il invalide pour cause d’absence de prédiction valable?............... [91]

 

QUESTION NO 3 :

            Le brevet 324 est‑il invalide pour cause d’évidence au regard de l’art antérieur?..... [98]

 

CONCLUSION........................................................................................................ .... [183]

 

 

LE CONTEXTE

Le brevet 324

[2]               Le brevet 324 revendique l’utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. La demanderesse Pfizer Ireland Pharmaceuticals est propriétaire du brevet 324, tandis que la demanderesse Pfizer Canada Inc. commercialise le citrate de sildénafil au Canada sous le nom commercial de REVATIO.

 

[3]               Les demanderesses ont obtenu le brevet 324 le 20 décembre 2005, à la suite de la demande qu’elles avaient déposée au Canada le 26 octobre 2000 et par laquelle elles revendiquaient la priorité sur la base de la demande de brevet no 9925970.7, déposée au Royaume-Uni le 2 novembre 1999. Le brevet 324 expirera le 26 octobre 2020.

 

[4]               Le brevet 324 revendique l’utilisation du  sildénafil ou, de préférence, du citrate de sildénafil pour le traitement et la prévention de l’hypertension artérielle pulmonaire. Les revendications du brevet 324 sont reproduites à l’annexe 1 des présents motifs.

 

Les parties

[5]               La demanderesse Pfizer Canada Inc. est la filiale canadienne de la multinationale pharmaceutique Pfizer Inc., qui fabrique le REVATIO. La demanderesse Pfizer Ireland Pharmaceutical est propriétaire du brevet, et Pfizer Canada détient une licence d’exploitation de ce dernier.

 

[6]               La demanderesse Ratiopharm Inc. a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès de Santé Canada le 2 avril 2008 pour ses comprimés de citrate de sildénafil de 20 mg, à administration orale. La PADN comparait les comprimés de Ratiopharm avec les comprimés de 20 mg de citrate de sildénafil de REVATIO. Les comprimés de Ratiopharm sont indiqués pour « le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire primitive et de l’hypertension pulmonaire secondaire à une affection des tissus conjonctifs chez les patients appartenant à la classe fonctionnelle II ou III de l’OMS qui ne répondent pas au traitement classique ». Le 1er mai 2008, Ratiopharm a signifié à Pfizer un avis d’allégation dans lequel elle contestait la validité du brevet 324.

 

[7]               Le ministre de la Santé, codéfendeur, s’est abstenu de participer à la présente procédure, comme c’est normalement le cas dans les instances de cette nature.

 

Hypertension artérielle pulmonaire

[8]               Pfizer a décrit l’hypertension artérielle pulmonaire aux paragraphes 8 et 11 de l’affidavit de son témoin, le Dr Ghazwan Saleem Butrous, qui a été souscrit le 5 septembre 2008:

[traduction]

¶8        L’hypertension artérielle pulmonaire est une maladie cardiovasculaire qui finit par entraîner des problèmes cardiaques. Il existe deux systèmes circulatoires distincts dans le corps, qui partent tous deux du cœur et y aboutissent […] Le système circulatoire pulmonaire […] est surtout situé à l’intérieur des poumons et joue un rôle crucial dans le transport du sang et de l’oxygène entre le cœur et les poumons. Pour simplifier, disons que l’hypertension artérielle pulmonaire est un trouble pulmonaire caractérisé par une élévation anormale de la pression dans les vaisseaux sanguins menant du cœur aux poumons […]

 

[…]

 

¶11      L’hypertension artérielle pulmonaire est caractérisée par la constriction ou le rétrécissement des vaisseaux sanguins connectés aux poumons et à l’intérieur des poumons. Il s’ensuit une augmentation de la résistance dans les vaisseaux sanguins, qui entraîne à son tour une élévation de la pression dans ces vaisseaux. Par suite de l’augmentation de la résistance et de la pression, le cœur a de plus en plus de difficulté à pomper le sang à travers les poumons […] Cela peut finir par entraîner une insuffisance cardiaque (en particulier une insuffisance du « cœur droit ») […]

 

 

[9]               Bien qu’on la qualifie couramment de « maladie », l’hypertension artérielle pulmonaire est en fait un trouble vasculaire rare de la circulation pulmonaire (décrite également comme une anomalie hémodynamique) caractérisé par une constriction des artères ou veines pulmonaires et un épaississement de la paroi des artères, le sang ayant plus de difficulté à être éjecté du ventricule droit du cœur parce que la pression artérielle pulmonaire est supérieure à la normale. Les patients souffrant d’hypertension artérielle pulmonaire présentent les symptômes suivants : essoufflement après un effort minime, fatigue, étourdissements et évanouissement.

 

[10]           Les causes de l’hypertension artérielle pulmonaire n’ont pas été tout à fait élucidées, mais les recherches actuelles indiquent qu’elle peut être due à un certain nombre de maladies chroniques, aiguës ou troubles pathologiques.

 

[11]           En l’absence de traitement, l’élévation de la pression dans le ventricule droit du cœur endommagera les muscles cardiaques, entraînera un dysfonctionnement et finalement une insuffisance cardiaque et le décès dans les deux à trois années qui suivent, souvent chez de jeunes adultes âgés de 20 à 30 ans.

 

[12]           L’hypertension artérielle pulmonaire a été classée dans le passé comme étant soit « primitive » (aussi appelée idiopathique ou inexpliquée) ou « secondaire », la forme primitive étant diagnostiquée lorsque toutes les autres causes secondaires connues d’hypertension artérielle pulmonaire ont été écartées. Ces dernières années, les connaissances relatives à l’hypertension artérielle pulmonaire se sont développées et on a abandonné l’ancien système de classification. Le nouveau système de « classification d’Évian » pour l’hypertension artérielle pulmonaire doit son nom à la réunion qui a eu lieu à Évian en France et qui a mené à son adoption.

 

Façon dont le sildénafil agit sur l’hypertension artérielle pulmonaire

[13]           Le sildénafil réduit la résistance dans le système circulatoire pulmonaire en relâchant les muscles lisses. Les patients se sentent mieux, et la diminution prolongée de la résistance vasculaire obtenue grâce au sildénafil permet de réduire les dommages cardiaques.

 

[14]           La meilleure mesure de l’hypertension artérielle pulmonaire consiste à calculer la résistance vasculaire d’après la résistance vasculaire pulmonaire (RVP) et la résistance vasculaire générale (RVG). Ces mesures sont effectuées au moyen d’un « cathétérisme cardiaque droit » chez les patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire. La formule pour calculer la RVP est la suivante :

 

 

La formule pour calculer la RVG est la suivante :

 

 

L’objectif du traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire consiste à réduire la RVP en abaissant la pression dans les artères pulmonaires et en augmentant le volume de sang pompé par le cœur. La baisse de la RVP devrait être supérieure à celle de la RVG pour que le traitement soit efficace et sûr. Une chute de plus de 10 % de la RVG est considérée comme dangereuse.

 

[15]           Comme je l’ai mentionné dans Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltée, 2009 CF 638, 76 C.P.R. (4th) 83 [ci‑après appelée ma « décision relative à VIAGRA »], le sildénafil a été mis au point au départ par Pfizer au milieu des années 80 en même temps qu’un certain nombre de composés pour le traitement de l’hypertension artérielle et de l’angine, deux troubles vasculaires impliquant les cellules des muscles lisses. Le tissu cardiaque est composé de petits vaisseaux sanguins ou passages entourés de muscles lisses qui peuvent se contracter ou se relâcher, comme tout type de muscles.

 

[16]           J’ai discuté de l’effet du sildénafil sur le tissu pénien chez les hommes qui souffrent de dysfonction érectile [DE] dans ma décision relative à VIAGRA, aux paragraphes 10 à 12 :

¶10      Le sildénafil est un inhibiteur d’une substance chimique présente dans les tissus péniens, appelée phosphodiestérase de type 5 (PDE5), qui limite l’afflux de sang dans le pénis et empêche l’érection.

 

¶11      On savait en 1993 que de nombreuses cascades différentes de premiers et de seconds messagers, appelées « voies », permettaient de relâcher et de contracter la musculature lisse du pénis. Citons entre autres la voie non adrénergique non cholinergique (ou NANC). Il est maintenant établi, ce qui n’était pas le cas en 1993, que le sildénafil exerce des effets sur la DE en agissant sur la voie NANC, dont le premier messager est le monoxyde d’azote (NO) et le deuxième messager est la guanosine monophosphate cyclique (GMPc), elle-même régulée par la PDE5.

 

¶12      Le sildénafil, d’abord mis au point par Pfizer au milieu des années 80, faisait partie d’une série de composés destinés au traitement de l’hypertension et de l’angine, affections cardiovasculaires mettant en cause les cellules de la musculature lisse. Comme le sildénafil est un inhibiteur puissant et sélectif de la GMPc-PDE, il peut être utilisé pour traiter la DE chez les hommes en raison de son action sur la voie NO-GMPc.

 

 

[17]           On savait au moment de l’invention de VIAGRA qu’il y avait des tissus riches en PDE5 non seulement dans le pénis, mais également dans le cœur et le système pulmonaire. Le tissu cardiaque est constitué de petits vaisseaux sanguins ou de passages entourés de fibres musculaires lisses capables de se contracter ou de se relâcher, comme tout type de muscles.

 

[18]           Comme le sildénafil est un inhibiteur puissant et sélectif de la PDE5 spécifique du GMPc, il fait augmenter la teneur en messager GMPc, ce qui entraîne le relâchement des muscles lisses dans certains tissus. La concentration de PDE5 est forte dans ces tissus. Autrement dit, le sildénafil abaisse sélectivement la RVP dans une plus grande mesure que la RVG et atténue donc l’anomalie hémodynamique chez les patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire. En termes simples, le sildénafil cause un relâchement des muscles lisses qui permet au sang de circuler avec moins de résistance entre le cœur et les poumons.

 

LA PREUVE

Pfizer

[19]           Pfizer a soumis des affidavits souscrits par deux de ses employés et deux témoins experts :

Employés de Pfizer

 

1.                  Dr Ghazwan Saleem Butrous

2.                  M. Ian Machin

 

Experts de Pfizer

 

3.                  Dr Lewis J. Rubin

4.                  Dr John Granton

 

 

Témoignage du Dr Butrous concernant sa découverte du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire

 

[20]           Le Dr Butrous est l’un des inventeurs nommés dans le brevet 324. C’est un cardiologue. Il occupe le poste de directeur principal et de responsable scientifique du domaine du traitement des maladies respiratoires et des allergies à Pfizer au Royaume‑Uni.

 

[21]           Le Dr Butrous commence par expliquer ce qu’est l’hypertension artérielle pulmonaire et classe cette affection en cinq catégories selon le système de classification d’Évian établi en 1998, qui a été utilisé pour classer les patients dans les études cliniques du brevet 324. Voir le paragraphe 15 de son premier affidavit daté du 5 septembre 2009 :

1.   hypertension artérielle pulmonaire, qui inclut les cas primitifs et certains cas secondaires;

 

2.   hypertension veineuse pulmonaire, qui comprend les cas d’insuffisance cardiaque congestive;

 

3.   hypertension pulmonaire hypoxique, qui inclut les cas de maladie pulmonaire obstructive chronique;

 

4.   thromboembolie pulmonaire (caillot de sang au poumon);

 

5.   affections diverses.

 

 

 

[22]           En mai 1998, M. Steve Felstead, alors directeur de la recherche clinique à Pfizer, a communiqué avec le Dr Butrous et lui a demandé d’examiner d’autres usages du sildénafil pour le traitement des maladies cardiovasculaires. Le sildénafil était utilisé à l’époque pour traiter la dysfonction érectile et était vendu sous le nom de marque VIAGRA. Le Dr Butrous explique l’intérêt de Pfizer pour le sildénafil au paragraphe 16 :

[traduction]

¶16      […] Le sildénafil a vu le jour comme médicament cardiovasculaire (contre l’angine), avant que Pfizer n’apprenne qu’il pouvait être utilisé pour la dysfonction érectile. Pfizer a donc continué à s’intéresser à son utilisation pour des indications connexes.

 

 

[23]           Le Dr Butrous déclare au paragraphe 19 qu’il s’est fondé sur sa connaissance du mode de fonctionnement du sildénafil dans le traitement de la dysfonction érectile pour avancer l’hypothèse que ce produit pouvait servir à élever les concentrations de GMPc dans les vaisseaux sanguins du poumon, ce qui contribuerait à son tour à relâcher la musculature lisse et à réduire les symptômes d’hypertension artérielle pulmonaire. Toutefois, l’absence de connaissances quant à l’emplacement de la PDE5 dans le poumon, à son rôle dans l’hypertension artérielle pulmonaire et à l’effet du sildénafil sur la vasculature générale rendait impossible tout essai clinique visant à déterminer si le sildénafil pouvait en fait être utilisé pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire. Le Dr Butrous a commencé à travailler sur un projet d’utilisation du sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire vers les mois de mai et juin 1998.

 

[24]           Une étude clinique a été mise au point vers la fin de 1998 pour déterminer l’effet de l’administration intraveineuse du sildénafil sur la RVP chez les patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire. Il s’agissait de l’étude clinique 1024 (étude 1024).

 

[25]           L’étude 1024 a été effectuée du 7 janvier 2000 au 29 janvier 2002. En voici les caractéristiques principales :

  1. [LES MENTIONS D’ÉLÉMENTS DE PREUVE CONFIDENTIELS ONT ÉTÉ RETRANCHÉES DE LA VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE
  2. ______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________
    1. ________________________________________________________________________________________
    2. _______________________________________________________________________________________________________
    3. __________________________________________________________________________________________________________________________]
  3. tous les patients ont reçu du monoxyde d’azote (« NO ») avant l’administration de sildénafil. Selon la théorie du Dr Butrous, si le NO ne faisait pas rétrocéder l’hypertension artérielle pulmonaire, alors le sildénafil ne le pourrait pas non plus;
  4. des mesures hémodynamiques pour déterminer la RVP et la RVG des patients ont été recueillies par cathétérisme cardiaque avant tout traitement, après l’administration de NO et après l’administration de sildénafil;
  5. le protocole prévoyait que les patients seraient exclus de l’étude s’ils présentaient une baisse de plus de 10 % de leur RVG;
  6. du sildénafil a été administré en petites doses de 100, 300 et 500 nanogrammes par millilitre de plasma pendant 20 minutes chaque fois (ce qui correspond environ à des doses orales de 25, 50 et 100 mg, respectivement);
  7. trois des 12 patients dans le groupe 1a ont reçu un placebo, de même que 3 des 10 patients dans le groupe 1b. Les 6 patients du groupe 2 ont reçu du sildénafil;
  8. les résultats préliminaires ont montré que le sildénafil réduisait la RVP sans influer sur la RVG et qu’il ne semblait pas dépendre de la dose pour être efficace.

 

[26]           Le Dr Butrous n’avait reçu que les résultats intérimaires concernant le groupe 1a avant que la demande de brevet ne soit déposée le 26 octobre 2000. Les résultats de l’étude 1024 obtenus le 2 août 2000 indiquaient que le sildénafil abaissait la RVP de 23,7 %, de 27,9 % et de 32,6 % aux trois doses alors que la RVG était réduite de 14 %, de 17 % et de 14 %, respectivement. Ces résultats ont incité Pfizer à émettre les conclusions suivantes :

1.      le sildénafil agit efficacement sur la pression artérielle pulmonaire;

2.      il a un effet plus marqué sur la circulation pulmonaire que sur la circulation générale;

3.      il ne dépend pas du NO;

4.      il est sûr.

 

[27]           Le rapport de l’étude 1024, joint à l’affidavit du Dr Butrous, présente à la page 68 la conclusion générale suivante :

[traduction] Le sildénafil par voie IV avait tendance en général à réduire la RVP chez les sujets atteints d’hypertension artérielle pulmonaire. Cet effet n’a pas été observé chez les sujets placebo. Toutes proportions gardées, la baisse de la RVP était supérieure à la baisse de la RVG dans tous les groupes.

 

 

 

[28]           Le Dr Butrous a ajouté que le brevet 324 avait été déposé sur la foi des résultats intérimaires de l’étude 1024, qui n’incluaient qu’une portion des résultats relatifs au groupe 1a et aucun des résultats concernant les deux autres groupes. Le Dr Butrous soutient qu’il a été en mesure de démontrer l’utilité du brevet 324 à partir des données qu’il avait en main en date de juillet 2000.

 

Témoignage de M. Machin concernant sa découverte du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire

 

[29]           M. Machin est l’un des inventeurs nommés dans le brevet 324. Il a obtenu son B.Sc. en pharmacologie de l’Université de Leeds en 1977. Il travaille depuis 1980 pour Pfizer Global Research and Development où il occupe actuellement le poste de directeur du Traitement de la douleur/Biologie et Découverte au Royaume‑Uni. Son premier affidavit a été souscrit le 5 septembre 2008.

 

[30]           En février 2000, M. Machin a effectué, pour le compte de Pfizer, une étude visant à déterminer les effets de l’administration intraveineuse de sildénafil sur la vasoconstriction pulmonaire hypoxique (VPH) chez 6 chiens anesthésiés sur 10. Le but de cette étude était d’examiner les effets du sildénafil sur des états artificiels d’hypertension artérielle pulmonaire aiguë qui avaient été induits chez les chiens en ajoutant de l’azote dans un mélange gazeux au point de faire passer les concentrations d’oxygène de 40 % à 10 %.

 

[31]           L’étude a mis en évidence une baisse plus marquée de la RVP que de la RVG en réponse à l’administration de diverses doses de sildénafil.

 

[32]           Le Dr Machin a admis que l’utilité de ce vasodilatateur pulmonaire est largement reconnue pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. Par conséquent, l’étude chez le chien a été [traduction] « menée afin d’appuyer l’exploration, l’examen du potentiel du sildénafil dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire ».

 

Témoignage du Dr Rubin concernant le brevet 324

[33]           Le Dr Rubin est professeur de médecine à l’Université de la Californie, École de médecine de San Diego, et expert dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. Il a obtenu son diplôme en médecine du Collège de médecine Albert Einstein en 1975. Son affidavit a été souscrit le 22 mai 2009.

 

[34]           Le Dr Rubin s’est prononcé sur l’allégation d’invalidité du brevet 324, la date de revendication du brevet 324, et sur l’interprétation de certains termes dans le brevet 324.

 

[35]           Le Dr Rubin commence par déclarer qu’un vétérinaire ou un spécialiste en formulation pharmaceutique ne sont pas des personnes versées dans l’art, car le brevet 324 porte sur le traitement des humains et que l’invention n’est pas une formulation issue de la chimie, mais plutôt un traitement contre une maladie.

 

[36]           Aux paragraphes 43‑44, le Dr Rubin affirme qu’à son avis, le brevet 324 revendique l’utilisation du sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire en monothérapie et non en association avec d’autres traitements ou substances.

 

[37]           Il ajoute au paragraphe 50 qu’une personne qui s’occupe du diagnostic et du traitement des patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire n’aurait pas tenté de trouver ni découvert une bonne part des documents de l’art antérieur cités par la défenderesse.

 

[38]           Le Dr Rubin traite ensuite de l’art antérieur décrit dans l’affidavit du Dr Waxman.

 

[39]           Pour ce qui est de l’article de Weimann et coll., le Dr Rubin rejette aux paragraphes 55‑56 de son affidavit l’applicabilité de l’étude sur le mouton à l’hypertension artérielle pulmonaire :

[traduction]

¶55      La seule chose que ce résumé révèle est que le sildénafil (un vasodilatateur) réduit la RVP chez les moutons qui avaient reçu U46619 (un vasoconstricteur). Le résumé de Weimann ne divulgue pas l’invention revendiquée dans le brevet 324. L’invention revendiquée dans le brevet 324 ne concerne pas l’utilisation du sildénafil pour traiter des problèmes de vasoconstriction aiguë. L’invention concerne plutôt l’utilisation du sildénafil dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. Cette maladie n’est pas l’équivalent de la vasoconstriction pulmonaire. Ces deux termes ne sont pas synonymes ni interchangeables. Le simple fait de traiter une vasoconstriction artificielle ne signifie pas que vous avez traité l’hypertension artérielle pulmonaire, la maladie.

 

¶56      De plus, le modèle animal utilisé par Weimann demeure un simple modèle animal. Weimann ne montre pas que le sildénafil peut être utilisé pour traiter des humains. Ce modèle animal ne peut être considéré comme analogue à un état pathologique, notamment à l’hypertension artérielle pulmonaire, chez les humains […]

 

 

[40]           Le Dr Rubin écarte le reste des articles de revue et des brevets soit parce qu’ils sont basés sur des sujets qui ne sont pas atteints d’hypertension artérielle pulmonaire, sont postérieurs à la date du brevet 324 ou traitent des inhibiteurs de la PDE5 et du sildénafil en général, soit parce qu’ils portent sur le traitement de la DE. Ces articles ne constituent donc pas des pièces d’art antérieur.

 

[41]           Le Dr Rubin a reconnu lors de son contre‑interrogatoire, le 21 octobre 2009, que si la date de revendication est le 26 octobre 2000, l’article d’Abrams antériorise le brevet. (Je n’ai pas fait référence à cet article parce que j’ai conclu ultérieurement dans les présents Motifs que la date de priorité était le 2 novembre 1999. Si je fais erreur, les parties reconnaissent alors que le brevet 324 était antériorisé par l’article d’Abrams.)

 

[42]           Le Dr Rubin a reconnu que Weimann et coll. ont effectué l’étude chez le mouton pour perfectionner le traitement potentiel de l’hypertension artérielle pulmonaire chez les humains, mais a maintenu qu’il serait malavisé d’extrapoler à des patients humains les observations de Weimann chez des moutons qui présentaient des vasoconstrictions aiguës induites sans s’appuyer sur des études d’innocuité chez les humains.

 

Témoignage du Dr Granton concernant le brevet 24

[43]           Le Dr Granton est professeur agrégé de médecine à l’Université de Toronto, médecin‑conseil en pneumologie et en soins critiques au sein du Réseau universitaire de santé et à l’Hôpital Mount Sinaï et est directeur du Programme d’hypertension artérielle pulmonaire à l’Hôpital général de Toronto. Il a obtenu son diplôme en médecine de l’Université McMaster en 1987. Il a souscrit son premier affidavit le 19 juin 2009 et un deuxième affidavit en réplique le 1er septembre 2009.

 

[44]           Le Dr Granton considère que l’« art » dans le brevet 324 est le traitement des patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire. La personne versée dans l’art est donc un médecin praticien spécialisé dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire, ce qui peut inclure un pneumologue, un cardiologue ou un spécialiste en soins critiques.

 

[45]           Le Dr Granton affirme que le brevet 324 concerne « l’hypertension artérielle pulmonaire pathologique », figurant dans le système de classification d’Évian et non les manifestations aiguës de l’hypertension artérielle pulmonaire résultant de causes temporaires comme la chirurgie. Il fait cette distinction parce que pour de nombreuses formes d’hypertension artérielle pulmonaire aiguë, le besoin de nouveaux médicaments n’est pas aussi criant que pour les formes d’hypertension artérielle pulmonaire pathologiques, vu qu’elles peuvent être traitées efficacement par le NO pendant de courtes périodes. Par conséquent, la personne versée dans l’art ne considérerait pas que les revendications du brevet 324 ont trait aux diverses affections aiguës causées par la vasoconstriction, figurant à la page 9 du brevet, qui incluent par exemple les étourdissements ou l’essoufflement.

 

[46]           Le Dr Granton traite ensuite de l’art antérieur et conclut que l’art antérieur ne divulgue pas l’invention exposée dans le brevet 324.

 

[47]           Le Dr Granton a déclaré dans son contre‑interrogatoire, daté du 12 septembre 2009 (page 2582 du dossier des demanderesses), qu’avant la divulgation du brevet 324, il n’existait aucun autre document, y compris la demande de priorité du brevet au R.‑U., qui permettrait de formuler une prédiction valable.

 

[48]           Le Dr Granton affirme que, sans avoir pris connaissance plus en détail de l’étude 1024, il ne pourrait pas, en se reportant uniquement au brevet 324, faire une prédiction valable que le sildénafil est efficace pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire chronique.

 

[49]           Selon le Dr Granton, les pièces d’art antérieur sont soit basées sur des modèles animaux, qui ne fournissent qu’un fondement hypothétique pour l’invention, ou ont trait à des affections très aiguës qui ne nous apprennent rien sur le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire chronique.

 

Ratiopharm

[50]           Ratiopharm a soumis des affidavits souscrits par deux experts :

Experts

1.      Dr Aaron Waxman

 

2.      Dr Gregory Elliott

 

 

Témoignage du Dr Waxman concernant le brevet 324

[51]           Le Dr Waxman est professeur adjoint de médecine à l’Unité des soins pulmonaires et critiques de l’École de médecine de Harvard, et médecin traitant à l’Hôpital général du Massachusetts à Boston. Il a obtenu son diplôme en médecine en 1992 de l’Université Yale. Le Dr Waxman est un spécialiste reconnu en pneumologie. Son premier affidavit a été souscrit le 17 février 2009.

 

[52]           Suivant son interprétation du terme « hypertension artérielle pulmonaire », le Dr Waxman affirme que les personnes versées dans l’art sont des médecins praticiens ou des vétérinaires spécialisés dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire et des spécialistes en formulation pharmaceutique travaillant à la mise au point de médicaments contre l’hypertension artérielle pulmonaire. La personne versée dans l’art tiendra compte du paragraphe suivant à la page 9 du brevet 324 :

[traduction] Les composés de l’invention peuvent également être utilisés pour traiter les enfants qui présentent une hypertension artérielle pulmonaire après une opération ou à cause d’un syndrome de détresse respiratoire ou d’une hypoxie néonatale.

 

Le Dr Waxman conclut donc au paragraphe 38 de son affidavit que le brevet 324 ne se limite pas aux maladies chroniques. L’exposé de l’invention indique plutôt que les inventeurs comptaient inclure tout type d’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[53]           Aux paragraphes 53 à 57 de son affidavit, le Dr Waxman déclare que le brevet 324 était divulgué dans les pièces d’art antérieur notamment l’article de Weimann et coll., ce qui permettait à la personne versée dans l’art d’en arriver à l’invention. Par exemple, il est dit au paragraphe 56 de cet article :

 

[traduction]

¶56      Une personne versée dans l’art comprendrait à partir de cet extrait que Weimann et coll. voulaient montrer que le sildénafil cause une vasodilatation pulmonaire dans les cas d’hypertension artérielle pulmonaire aiguë et, en particulier, que le sildénafil abaissait de façon sélective la RVP sans réduire la RVG. À cet égard, la divulgation dans Weimann et coll. est étroitement apparentée à la divulgation dans les études sur le chien du brevet 324. Dans les études sur le chien de Weimann et coll. et dans les études sur le chien du brevet 324, une hypertension artérielle pulmonaire a été induite chez les animaux testés, du sildénafil a été administré, les paramètres hémodynamiques ont été mesurés, les effets sur la RVP et la RVG ont été évalués et on a conclu que le sildénafil réduisait de façon sélective la RVP, comparativement à la RVG. Ainsi, l’article de Weimann divulgue l’utilisation du sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire au sens donné à ce terme dans les revendications du brevet 324.

 

[54]           Le Dr Waxman répète la même analyse dans le cas, entre autres, du document de l’art antérieur d’Atz et coll.

 

[55]           Pour ce qui est de l’évidence, le Dr Waxman ajoute qu’avant le dépôt du brevet 324, les pièces d’art antérieur avaient établi les éléments d’information suivants :

1.      la PDE5 est la phosphodiestérase prédominante dans les artères pulmonaires;

2.      les inhibiteurs de la PDE5, en tant que classe, se sont révélés efficaces contre l’hypertension artérielle pulmonaire;

3.      on savait que le sildénafil était sûr et efficace comme médicament administré par voie orale;

4.      on savait que le sildénafil réduisait de façon sélective la pression artérielle et avait été recommandé pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire;

5.      le sildénafil avait été utilisé en clinique pour traiter efficacement l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Témoignage du Dr Elliot concernant le brevet 324

[56]           Le Dr Elliot est professeur de médecine à l’École de médecine de l’Université de l’Utah et président du Département de médecine au Centre médical Intermountain à Salt Lake City, Utah. Il a obtenu son diplôme en médecine de l’Université du Maryland. Son affidavit a été souscrit le 17 février 2009.

 

[57]           Le Dr Elliot affirme que le terme « hypertension artérielle pulmonaire » est utilisé pour décrire toute affection répondant aux critères hémodynamiques reconnus qui ont été établis par le National Registry on Primary Pulmonary Hypertension des National Institutes of Health.

 

[58]           Selon le Dr Elliot, de nombreux documents de l’art antérieur ont fait valoir l’utilité des inhibiteurs de la PDE5, notamment du sildénafil, pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire, et certains de ces documents ont présenté les résultats d’études sur des humains et des animaux.

 

[59]           Le Dr Elliot est d’avis que l’étude 1024 ne permet pas d’établir l’utilité ou la prédiction valable.

 

[60]           De plus, l’exposé de l’invention dans le brevet 324 présente une lacune en ce qu’il n’indique pas le nombre de patients dans l’étude 1024 sur laquelle se fonde le brevet 324, ce qui mine la crédibilité scientifique de cette étude.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[61]           La question que soulève la présente demande en interdiction est celle de savoir si sont fondées les allégations d’invalidité du brevet 324 formulées par la défenderesse Ratiopharm. Ratiopharm a mis en litige dans son AA un certain nombre de questions, qui ont été débattues devant moi :

1.      Les revendications du brevet 324 peuvent-elles être datées en fonction du 2 novembre 1999, date du dépôt au Royaume-Uni de la demande de brevet GB 970?

2.      Le brevet 324 est‑il invalide pour cause d’absence de prédiction valable?

3.      Le brevet 324 est‑il invalide pour cause d’évidence au regard de l’art antérieur?

4.      Le brevet 324 est‑il invalide pour cause d’antériorité ou d’absence de nouveauté?

 

 

ANALYSE

La charge de la preuve

[62]           J’ai résumé au paragraphe 36 de ma décision relative au VIAGRA la question des charges de preuve  qui pèsent respectivement sur les parties à une demande en ordonnance d’interdiction formée sous le régime du Règlement AC :

1. Novopharm a l’obligation de produire des éléments de preuve suffisants pour donner « un semblant de réalité » à ses allégations d’invalidité (la jurisprudence explique que le fardeau de persuasion de Novopharm l’oblige à présenter un fondement factuel et juridique suffisant pour étayer ses allégations d’invalidité au moyen d’une preuve prépondérante « suffisante ».) Le fardeau est ensuite déplacé parce que Novopharm a réfuté la présomption de validité du brevet;

 

2. Pfizer a l’obligation légale d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que les allégations d’invalidité faites par Apotex sont injustifiées.

 

Voir aussi : Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153, 361 N.R. 308, la juge Sharlow, aux paragraphes 8 et 9; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, 366 N.R. 347, le juge Nadon, aux paragraphes 109 et 110; Pfizer c. Apotex, 2007 CF 971, 319 F.T.R. 48, le juge Mosley, aux paragraphes 123 à 129; et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, 306 F.T.R. 254, le juge O’Reilly, au paragraphe 12.

 

Interprétation des revendications du brevet

[63]           Dans les litiges relatifs aux brevets, la première étape consiste à interpréter les revendications. L’interprétation des revendications doit précéder l’examen des questions liées à la validité et à la contrefaçon : Whirlpool Corp. c. Camco Inc. 2000 CSC 67, 9 C.P.R. (4th) 129, au paragraphe 43. Cette interprétation s’applique à l’ensemble du brevet, s’il y a lieu, et non pas seulement aux revendications : Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555, à la page 563.

 

[64]           L’interprétation d’un brevet doit se faire en partant du principe que le destinataire est une personne versée dans l’art, de sorte qu’il faut prendre en considération les connaissances que cette personne est censée posséder. La personne fictive versée dans l’art possède des compétences et des connaissances usuelles dans le domaine dont relève l’invention, ainsi qu’un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec. Voir Free World Trust c. Électro Santé Inc. (2000), 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, 9 C.P.R. (4th) 168, le juge Binnie, au paragraphe 44.

 

[65]           À la lumière du témoignage par affidavit des experts de Pfizer et de Ratiopharm, la Cour conclut que la personne versée dans l’art est un médecin spécialisé en cardiologie, en pneumologie ou dans un autre domaine de la médecine interne qui traite des patients souffrant d’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[66]           Lorsqu’il interprète les revendications d’un brevet dans le but d’établir si celui‑ci est valide, le tribunal doit examiner d’abord et avant tout les revendications. Selon Hughes & Woodley on Patents, 2e éd, 2005, §26, pages 311 et 312, le tribunal ne peut recourir au mémoire descriptif que dans certains cas bien définis :

[TRADUCTION] Les revendications constituent le point de départ de l’interprétation d’un brevet. Elles définissent à elles seules le monopole reconnu par la loi, et le titulaire du brevet est légalement tenu de déclarer, dans les revendications mêmes, en quoi consiste l’invention dont il demande la protection. Aux fins d’interprétation des revendications, le recours au reste du mémoire descriptif : 1) est permis pour éclairer le sens des termes employés dans les revendications; 2) n’est pas nécessaire lorsque le libellé de celles‑ci est clair et sans ambiguïté; 3) est abusif si l’on cherche par ce moyen à modifier la portée ou l’étendue des revendications. Il ne s’ensuit pas qu’on ne peut jamais interpréter les revendications à la lumière du reste du mémoire descriptif, mais plutôt qu’on ne doit le faire qu’afin de mieux comprendre le sens de leurs termes.

 

[67]           Cependant, il n’est pas permis au breveté de récrire ses revendications dans le cadre de leur interprétation (Whirlpool, précité). Il n’est pas permis non plus de se servir de l’interprétation des revendications pour éviter les effets de l’art antérieur : Whirlpool, précité, au paragraphe 49.

 

[68]           Le brevet 324 porte sur l’utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire.

 

[69]           Pfizer invoque les revendications 1, 6 (en tant qu’elle dépend de la revendication 1), 7 (en tant qu’elle dépend de la 6 et en tant que celle‑ci dépend de la revendication 1), 10, 15 (en tant qu’elle dépend de la 10) et 16 (en tant qu’elle dépend de la 15 et en tant que cette dernière dépend de la 10) du brevet 324, lesquelles définissent clairement selon elles le concept inventif de ce brevet. Ces revendications sont formulées comme suit :

[traduction]

1. Utilisation d’une dose efficace de sildénafil ou d’un de ses sels, solvates ou polymorphes pharmaceutiquement acceptables, pour la fabrication d’un médicament visant à traiter ou à prévenir l’hypertension artérielle pulmonaire.

[…]

6. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, dans laquelle le médicament peut être administré par voie orale.

 

7. Utilisation selon la revendication 6, dans laquelle le citrate de sildénafil est employé.

[…]

10. Utilisation d’une dose efficace de sildénafil ou d’un de ses sels, solvates ou polymorphes pharmaceutiquement acceptables, pour le traitement ou la prévention de l’hypertension artérielle pulmonaire.

[…]

15. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 10 à 14, dans laquelle la dose efficace est administrée par voie orale.

 

16. Utilisation selon la revendication 15, dans laquelle le citrate de sildénafil est employé.

[…]

 

[70]           Les questions qui se posent en ce qui concerne l’interprétation des revendications du brevet 324 sont les suivantes :

1.      le brevet s’applique‑t‑il au traitement des animaux de même que des humains?

2.      les revendications du brevet incluent‑elles l’administration simultanée du sildénafil et d’autres médicaments?

3.      la définition du terme « hypertension artérielle pulmonaire » est-elle assez étroite dans le brevet pour n’inclure que la forme « pathologique » de ce trouble?

 

[71]           Les Drs Elliot et Waxman ont affirmé, respectivement, que la personne moyennement versée dans l’art pourrait non seulement être un médecin spécialiste et un spécialiste en pharmacologie, mais également un vétérinaire. Rien n’indique que le brevet 324 concerne l’utilisation du sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire chez les animaux. Le fait que le brevet 324 réfère à des études animales et que des animaux peuvent souffrir d’hypertension artérielle pulmonaire (p. ex. mouton dans la forme de la maladie de Brisket) n’indique pas l’emploi qu’on compte faire du médicament. La Cour conclut que le brevet 324 concerne le traitement des humains, et non des animaux. Par conséquent, la personne moyennement versée dans l’art ne serait pas un vétérinaire.

 

[72]           Au paragraphe 41 de son affidavit, le Dr Waxman déclare que les revendications du brevet 324 englobent l’utilisation du sildénafil seul ou en association avec d’autres composés (voir également le paragraphe 38 de l’affidavit du Dr Elliot). Il se fonde sur la ligne 20 à la page 9 du brevet 324 :

[traduction]        Les composés de l’invention peuvent également être administrés en même temps que des prostacyclines (p. ex. époprosténol), de l’oxygène, des inhibiteurs calciques (p. ex. nifédipine, diltazème, amlodipine), des antagonistes des récepteurs de l’endothéline (ETa), l’iloprost, l’adénosine et/ou du monoxyde d’azote.

 

Non souligné dans l’original.

 

[73]           Pfizer soutient que le brevet 324 ne fait qu’indiquer qu’il n’y aurait pas de danger à administrer du sildénafil avec d’autres composés. Selon Pfizer, la revendication concerne l’utilisation [traduction] « d’une quantité suffisante de sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire », par opposition à la prise de sildénafil en association avec une autre substance pour traiter efficacement l’hypertension artérielle pulmonaire. Pfizer insiste sur l’expression « dose efficace », qui indique, d’après elle, l’emploi d’une quantité plus petite de sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire que la quantité nécessaire de sildénafil pour traiter seule la DE, sans être associé à d’autres médicaments. Rien ne justifie l’interprétation proposée par Pfizer.

 

[74]           Le Dr Butrous a reconnu que les patients dans l’étude 1024 ont été traités pour une hypertension artérielle pulmonaire à l’aide d’inhibiteurs calciques et du NO, entre autres. Certaines des pièces d’art antérieur à la fin des années 90 traitaient de l’utilisation du sildénafil en association avec d’autres médicaments pour abaisser la RVP. Les connaissances scientifiques à l’époque semblaient militer en faveur de l’emploi du sildénafil seul pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[75]           De plus, la Cour a conclu dans Abbot Laboratories Ltée c. Canada (ministre de la Santé), 2006 CF 1411, 304 F.T.R. 104, motifs du juge Von Finckenstein au paragraphe 26, confirmés dans 2007 CAF 251, 367 N.R. 120 au paragraphe 16, qu’en interprétant les revendications d’un brevet, la Cour ne peut introduire de restrictions implicites ou explicites pour ce qui est des mélanges de médicaments, à moins que les revendications ne comportent expressément une telle restriction :

¶26      Par conséquent, même s’il existait une restriction implicite ou explicite dans la divulgation, elle ne pourrait pas s’appliquer aux revendications. Dans bien des cas, les médicaments ne sont pas administrés à l’état pur, mais plutôt sous forme de mélange avec un excipient ou d’autres médicaments et, de ce fait, l’utilisation de tels médicaments serait grandement restreinte si on devait interpréter que la mention de l’utilisation d’un médicament signifie qu’il doit être utilisé seul. À moins que l’utilisation revendiquée ne comporte des termes comme « seul » ou « non mélangé avec d’autres composés », il serait erroné de supposer que la revendication comporte une telle restriction. […]

 

 

Les revendications du brevet 324 ne limitent pas expressément l’application du sildénafil comme devant être utilisé seul. Rien dans le libellé du brevet ou les connaissances scientifiques de l’époque ne justifie l’imposition d’une telle restriction.

 

[76]           Pfizer soutient que l’expression « hypertension artérielle pulmonaire », telle qu’elle est utilisée dans la revendication 1 du brevet, devrait être nuancée par l’ajout du terme « pathologique », qui apparaît à la page 1 du mémoire descriptif du brevet 324 :

[traduction] L’hypertension artérielle pulmonaire est un trouble pathologique qui se caractérise par une élévation anormale de la pression artérielle pulmonaire et qui peut entraîner des changements hémodynamiques pouvant menacer le pronostic vital. Au nombre des symptômes d’hypertension artérielle pulmonaire figurent l’essoufflement après un effort minime, la fatigue, les étourdissements et l’évanouissement […]

 

À la même page, les inventeurs ajoutent :

 

Comme l’hypertension artérielle pulmonaire est causée en général par une constriction des vaisseaux sanguins pulmonaires, la résistance vasculaire est l’indicateur privilégié de cette maladie.

 

 

[77]           À mon avis, les termes utilisés dans la revendication 1 sont clairs et non ambigus. La limitation de la portée du brevet 324 proposée par Pfizer viendrait en contradiction avec l’usage répandu du médicament comme vasodilatateur dans diverses circonstances et sous‑affections observées chez des patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire. Il est dit dans le brevet à la page 9 que :

[traduction] […] Les composés de l’invention peuvent également être utilisés pour traiter les enfants qui présentent une hypertension artérielle pulmonaire après une opération ou à cause d’un syndrome de détresse respiratoire ou d’une hypoxie néonatale.

 

[78]           La Cour interprétera maintenant les revendications pertinentes du brevet. Si l’on tient compte des revendications pertinentes du brevet et du témoignage des experts, les éléments essentiels des revendications peuvent être décrits de la façon suivante :

Utilisation du sildénafil, du citrate de sildénafil ou d’un sel de sildénafil sous la forme d’un médicament à administration orale, pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire chez les humains. La posologie peut varier, et le sildénafil peut être administré seul ou en association avec d’autres médicaments. Le brevet ne comporte aucune limitation quant au type d’hypertension artérielle pulmonaire contre laquelle le sildénafil est efficace.

 

 

Question no 1 :   Le brevet 324 peut‑il revendiquer une date de priorité en s’appuyant sur GB 970?

 

[79]           Selon Pfizer, le brevet 324 peut revendiquer une date de priorité antérieure parce qu’il a fait l’objet auparavant d’une demande de brevet au Royaume‑Uni, GB 9925970.7 (GB 970), déposée le 2 novembre 1999. Pfizer soutient que GB 970 divulgue le même objet que la revendication 10 du brevet 324, en réaffirmant dans des termes presque identiques que le sildénafil peut être utilisé efficacement pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[80]           D’après Ratiopharm, GB 970 ne divulgue pas la même invention que le brevet 324 parce que GB 970 ne fait que présenter l’hypothèse non démontrée selon laquelle le sildénafil, en raison de son mécanisme d’action comme inhibiteur puissant et sélectif de la PDE5, pourrait être utilisé pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Le droit

[81]           Le sous-alinéa 28.1(1)a)(ii) de la Loi, promulgué en 1993, permet au déposant d’une demande de brevet canadien de revendiquer une date antérieure au dépôt de cette demande (la date de priorité) si lui-même ou son représentant a antérieurement déposé dans un autre pays une demande de brevet divulguant l’« objet » que définit la revendication du brevet canadien :

28.1 (1) La date de la revendication d’une

demande de brevet est la date de dépôt de celle‑ci,

sauf si :

 

a) la demande est déposée, selon le cas :

[…]

(ii) par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre

pays ou pour un autre pays, ou dont l’agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l’a fait, une demande de

brevet divulguant l’objet que définit la revendication, dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada;

 

b) elle est déposée dans les douze mois de la date de dépôt de la demande déposée antérieurement;

c) le demandeur a présenté, à l’égard de sa demande, une demande de priorité fondée sur la demande déposée antérieurement.

 

 

(2) Dans le cas où les alinéas (1)a) à c) s’appliquent, la date de la revendication est la date de dépôt de la demande antérieurement déposée de façon régulière.

28.1 (1) The date of a claim in an application for a patent in Canada (the "pending application") is the filing date of the application, unless

 

(a) the pending application is filed by

[…]

(ii) a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any

other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens

of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the

claim;

 

 

(b) the filing date of the pending application is within twelve months after the filing date of the previously regularly filed application; and

 

(c) the applicant has made a request for priority on the basis of the previously regularly filed application.

 

(2) In the circumstances described in paragraphs (1)(a) to (c), the claim date is the filing date of the previously regularly filed application.

[Non souligné dans l’original.]

 

[82]           Établir si la demande prioritaire divulgue l’objet que définit la revendication n’a rien de compliqué. La Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Malone, a formulé le critère applicable à cette question au paragraphe 55 de Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 323, [2007] 3 R.C.F. 588 :

55      [...] lorsqu’une demande canadienne contient des documents relatifs à un objet inventé après la date de priorité, cet objet ne peut recevoir cette date.

[Renvois omis.]

 

[83]           Cette affaire a été décidée sous le régime de l’ancienne version de la Loi sur les brevets, c’est‑à‑dire la version antérieure aux modifications de 1993. L’ancienne version du paragraphe 28(1) était libellée comme suit :

28. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la demande de brevet d’invention déposée au Canada par quiconque dont les droits sont protégés par un  traité ou une convention relatifs aux brevets auquel ou à  laquelle le Canada est partie et qui a personnellement ou dont l’agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit a déposé selon les règles une demande de brevet décrivant la même invention dans un autre pays qui par traité, convention ou loi accorde une protection similaire aux citoyens canadiens, a la même force et le même effet qu’aurait cette demande si elle avait été déposée au Canada à la date où elle a été déposée en premier lieu dans cet autre pays. La demande doit toutefois être déposée au Canada dans les douze mois suivant cette date.

[…]

28. (1) Subject to subsection (2), an application for a patent for an invention filed in Canada by any person entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed an application for a patent describing the same invention in any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada has the same force and effect as the same application would have if filed in Canada on the date on which such an application was first filed by that person or by the agent, legal representative or predecessor in title of that person in any other country, if the application in Canada is filed within twelve months after that date.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

 

[84]           Dans Merck , précité, le génériqueur soutenait que la demande prioritaire avait pour effet de limiter au contenu de ses revendications ce qui pouvait être revendiqué à bon droit dans la demande canadienne postérieure, sous peine d’invalidation du brevet; voir Merck, précité. La Cour d’appel a rejeté ce moyen au paragraphe 55. Une demande de brevet canadien postérieure à une demande prioritaire n’est pas limitée aux revendications de celle‑ci. La Cour d’appel a aussi conclu que, si de nouvelles revendications sont formulées, le brevet canadien n’a pas droit à la date de priorité. Elle a en outre rejeté la thèse que l’invalidité puisse être prononcée sous le régime du sous‑alinéa 28.1(1)a)(ii). Cette question se posait parce que la demande prioritaire revendiquait la découverte d’une large classe de composés, à savoir les inhibiteurs ECA. La divulgation de la demande canadienne était identique, sauf qu’on y avait ajouté 127 exemples qui divulguaient expressément trois médicaments, dont l’un avait été commercialisé. On avait ajouté à la demande canadienne de nouvelles revendications portant spécialement sur ces trois médicaments, y compris donc celui qui avait été mis sur le marché.

 

[85]           Dans Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2009 CAF 222, 75 C.P.R. (4th)  443, la juge Layden‑Stevenson, confirmant 2008 CF 825, 67 C.P.R. (4th) 241, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel interjeté contre la décision rendue par la juge Snider en première instance. L’une des questions examinées dans cette affaire était celle de la date de priorité. Apotex soutenait que la juge Snider avait commis une erreur en décidant d’effectuer l’examen relatif à l’évidence en fonction de la date du dépôt canadien plutôt que de la date de priorité. La juge Snider avait formulé les observations suivantes concernant le choix de la date pertinente :

¶228    L’évidence doit être évaluée à la date de l’invention (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1205, au paragraphe 89, infirmée pour d’autres motifs par 2007 CAF 209, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, no 32132, 15 novembre 2007, [2007] C.S.C.R. no 377 (Pfizer)). En l’espèce, il n’est pas pertinent de se demander si la date de l’invention est le 1er octobre 1981, comme le soutient Apotex dans son acte de procédure, ou le 1er octobre 1980, comme elle l’a soutenu dans sa plaidoirie finale. En conséquence, j’utiliserai la date plus tardive, celle du 1er octobre 1981.

 

L’arrêt Servier, précité, comme l’arrêt Merck, également précité, portait sur une action en contrefaçon relative à un inhibiteur de l’ECA utilisé pour le traitement de l’hypertension, action fondée sur la thèse qu’une classe déterminée de composés constituait une seule invention. Comme la date de l’invention était sans conséquence aux fins de l’espèce, ce moyen d’appel a été rejeté.

 

[86]           Il est arrivé à quelques reprises que notre Cour conclue que la demande prioritaire ne divulguait pas l’objet revendiqué dans la demande de brevet canadien. Par exemple, dans G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltée, 2007 CF 81, [2008] 1 R.C.F. 477, infirmée pour d’autres motifs par 2007 CAF 173, [2008] 1 R.C.F. 529, le juge Hugues a conclu au paragraphe 57, sous le régime des modifications de 1993, que les demandes prioritaires ne divulguaient pas « la même invention que celle revendiquée dans le brevet en fin de compte délivré », qu’elles ne divulguaient pas explicitement le médicament breveté en question, qu’elles ne décrivaient pas la même structure chimique que celle de ce dernier et qu’elles ne précisaient pas l’utilité de leur objet :

Ainsi, les documents de priorité ne décrivent pas ni ne divulguent la « même invention » que les revendications 4 ou 8, la structure est différente et, surtout comme je l’ai mentionné précédemment, on ne décrit pas ni ne divulgue dans les documents de priorité que le célécoxib est utile dans le traitement de l’inflammation et entraîne moins d’effets secondaires;

 

[87]           Dans AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2007 CF 688, 314 F.T.R. 177, le juge Barnes a conclu aux paragraphes 62 à 65, sous le régime des modifications de 1993, que, même si l’invention n’est pas divulguée explicitement, il peut se révéler possible d’inférer l’objet revendiqué dans le brevet canadien du libellé du document prioritaire. Il a cependant aussi conclu que cette inférence n’était pas possible sur la base des faits de l’espèce, au motif que la demande prioritaire portait sur un acide différent aux caractéristiques différentes.  

 

[88]           Dans la présente instance, GB 970 revendique l’utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire, soit le même objet qui est revendiqué dans le brevet 324. Il est clair que GB 970 ne s’appuyait pas sur des tests cliniques originaux ni n’a contribué à faire avancer l’état de la technique. La demande de brevet au Canada qui a mené au brevet 324 se fondait sur des tests cliniques sur des humains atteints d’hypertension artérielle pulmonaire qui avaient reçu trois doses différentes de sildénafil. GB 970 se fondait sur des spéculations et l’art antérieur. C’est ce qu’a admis en contre‑interrogatoire le Dr Granton, témoin expert de Pfizer, en réponse à la question 373 :

[TRADUCTION]

 

Q. :      Les documents prioritaires ne font vraiment pas avancer l’état de la technique. L’état de la technique a avancé quand on a fait des essais sur les humains, selon vous. Vous ai‑je bien compris?

 

R. :       Oui, c’est bien cela. 

 

[Dossier des demanderesses, page 2581.]

 

 

[89]           L’invention qui nous occupe ici est fondée sur des essais humains. Pfizer a admis que, avant les essais sur des sujets humains, elle ne savait pas si le sildénafil pourrait traiter l’hypertension pulmonaire. Il est de droit constant au Canada que l’objet d’une demande de brevet fondée sur de simples conjectures, même si celles‑ci se vérifient plus tard, n’est pas une invention. Rappelons à ce propos les observations suivantes formulées par la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Binnie, au paragraphe 84 de l’arrêt AZT, précité :

84      [...] Dans le contexte général de la Loi sur les brevets, il existe également une bonne raison de rejeter la proposition selon laquelle la simple spéculation est suffisante, même lorsque cette spéculation s’avère exacte par la suite.  Le demandeur ne mérite pas un brevet pour une quasi‑invention, dans le cas où la population obtient seulement une promesse selon laquelle une hypothèse pourrait s’avérer ultérieurement utile; cela aurait pour effet d’autoriser et d’inciter les demandeurs de brevet à réserver des idées intéressantes et à attendre que la science soit suffisamment avancée pour qu’elles puissent être réalisées.  Le titulaire du brevet aurait alors un droit de propriété l’autorisant à empêcher autrui de fabriquer, vendre, exploiter ou améliorer cette idée, sans que la population bénéficie de quelque contrepartie utile.

 

 

 

[90]           Notre Cour ne peut décider sous le régime canadien des brevets si une demande de brevet déposée au Royaume-Uni divulgue une invention brevetable en droit britannique. Le sous‑alinéa 28.1(1)a)(ii) reconnaît le dépôt d’une demande de brevet opéré dans un autre pays avec lequel le Canada est lié par un traité ou une convention. La demande GB 970 divulgue « le même objet » que celui que revendique le brevet 324. En conséquence, la Cour conclut que, en vertu du sous‑alinéa 28.1(1)a)(ii) de la Loi sur les brevets du Canada, la demande GB 970 donne à Pfizer le droit d’attribuer à ses revendications la date de priorité du 2 novembre 1999. Notre Cour ne peut invalider la demande GB 970 en appliquant les principes du droit canadien des brevets que sont l’utilité démontrée et la prédiction valable, comme Ratiopharm l’a priée de le faire.

 

 

Question no 2 : Le brevet 324 est‑il invalide pour cause d’absence de prédiction valable?

 

[91]           Ratiopharm soutient que Pfizer n’avait pas démontré l’utilité du brevet 324 à la date du dépôt canadien.  Selon Ratiopharm, l’efficacité du sildénafil n’a pas été démontrée avant qu’on ne présente les résultats de l’étude SUPER de phase III en 2005.

 

[92]           Pfizer soutient quant à elle que le brevet 324, mis en rapport avec les connaissances générales courantes et l’art antérieur, permet à la personne versée dans l’art de prédire valablement que le sildénafil pourrait servir au traitement de l’hypertension pulmonaire. Elle affirme que les résultats de l’étude 1024 relatifs à certains des sujets du groupe 1a ont fourni au Dr Butrous un fondement factuel pour son invention. Ratiopharm réplique que cette étude était en soi défectueuse, mais insiste sur le fait que sa principale objection réside dans l’insuffisance de la divulgation de ladite étude et le recours à des résultats partiels.

 

Le droit

[93]           La définition du terme « invention » donnée à l’article 2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (la Loi), porte que l’invention doit présenter « le caractère [...] de l’utilité » :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de

matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement

in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

 

 

[94]           J’ai récapitulé le droit applicable à l’utilité et à la prédiction valable aux paragraphes 75 et suivants de ma décision relative au VIAGRA :

¶75      Dans leur ouvrage Hughes & Woodley on Patents (2e éd. 2005), les auteurs résument les règles du droit canadien des brevets en ce qui concerne l’« utilité » au § 11, page 139, volume 1 :

 

[TRADUCTION] Une condition essentielle à la validité du brevet est que l’invention revendiquée soit utile […] Par utile, on entend surtout le fait que l’invention décrite dans le brevet produira les résultats promis par le brevet.

 

¶76      L’utilité du brevet doit avoir été effectivement démontrée au moyen de tests à la date du dépôt du brevet canadien ou faire l’objet d’une prédiction valable. Pour pouvoir affirmer qu’il est possible de prédire l’utilité avant d’avoir effectué des tests, il faut remplir les trois conditions suivantes :

 

a)        La prédiction doit avoir un fondement factuel;

 

b)        à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

 

c)        il doit y avoir divulgation suffisante, mais il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. La question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait.

 

Il faut satisfaire aux trois critères.

 

(Hughes & Woodley, § 11, page 139.)

 

Ces principes ont été formulés par le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 52, 66, 69 et 77 de l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 (communément et ci‑après désigné « arrêt AZT »).

 

[95]           Le juge Marc Noël de la Cour d’appel fédérale, aux paragraphes 14, 15 et 18 de l’arrêt Eli Lily Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 97, 392 N.R. 243, a clarifié la question de la charge de divulgation dans les cas où l’on veut démontrer l’utilité par le moyen de la prédiction valable :

¶14      [...] Dans les décisions en matière de prédiction valable, l’obligation de divulguer les faits sous-jacents et le raisonnement est plus élevée pour les inventions contenant la prédiction.

 

¶15      En toute déférence, j’estime que le juge de la Cour fédérale s’est fondé sur le principe approprié lorsqu’il a conclu, en s’appuyant sur l’arrêt AZT, que lorsqu’un brevet est fondé sur une prédiction valable, la divulgation doit inclure la prédiction. Puisque la prédiction devenait valable grâce à l’étude de Hong Kong, cette étude devait être divulguée.

 

[…]

 

¶18      L’appelante soutient qu’en exigeant la divulgation complète du fondement factuel de la prédiction valable (c.-à-d. les données exigées à l’appui de l’invention), le juge de la Cour fédérale a modifié les exigences de divulgation, lesquelles sont énoncées au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Je ne souscris pas à la prétention de l’appelante. Faisant manifestement référence au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets (la disposition remplacée par l’actuel paragraphe 27(3)), la Cour Suprême a conclu dans l’arrêt AZT que lorsque l’invention revendiquée n’a pas encore en fait été présentée sous forme pratique, le brevet devait faire une divulgation telle qu’une personne versée dans l’art, compte tenu de cette divulgation, pourrait, comme les inventeurs l’ont fait, prédire d’une façon valable que l’invention fonctionnerait une fois qu’elle serait présentée sous forme pratique. Qui plus est, la Cour a poursuivi son raisonnement en affirmant que les exigences de divulgation avaient été satisfaites parce que les faits sous-jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués (arrêt AZT, paragraphe 70).

[Non souligné dans l’original.]

 

La preuve d’expert relative à la prédiction valable

[96]           Les experts du domaine en question cités devant notre Cour dans la présente espèce ont déclaré ce qui suit :

1.  Le Dr Rubin, témoin expert de Pfizer, a déclaré en contre-interrogatoire que la divulgation de l’étude 1024 donnée par le brevet 324 ne permet pas à la personne versée dans l’art de savoir que le sildénafil est efficace pour le traitement de l’hypertension pulmonaire :

[TRADUCTION]

 

Q. :      Donc la personne versée dans l’art ne saurait pas, à la lecture de ce brevet, que le sildénafil est efficace pour le traitement de l’hypertension pulmonaire?

 

R. :       La personne versée dans l’art ne saurait pas que le sildénafil est efficace pour le traitement de l’hypertension pulmonaire. Le brevet, pour autant que je sache, ne porte pas sur un traitement efficace de l’hypertension pulmonaire. Il porte plutôt sur l’idée que le sildénafil peut être utilisé pour traiter cette affection. L’efficacité du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire a été démontrée par la publication de l’étude Super‑1.

 

[Dossier des demanderesses, page 2014.]

 

2.  Le Dr Granton, autre témoin expert de Pfizer, a déclaré en contre-interrogatoire (questions 615 et 616) que l’étude 1024 divulguée dans le brevet ne permettait pas à la personne versée dans l’art de prédire valablement l’efficacité du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire chronique :

[TRADUCTION]

 

Q. :      Si les résultats de l’étude 1024 avaient été en fait inclus dans le brevet, vous auriez pu parvenir à cette conclusion simplement en lisant celui‑ci : est‑ce exact?

 

R. :       C’est probable.

 

Q. :      Le fait que ces résultats n’aient pas été inclus a pour conséquence que vous n’êtes pas en mesure, ne disposant que du brevet et de rien d’autre, de tirer la conclusion ou de prédire valablement que le sildénafil sera efficace pour le traitement de l’hypertension pulmonaire : exact?

 

R. :       J’aurais besoin d’un supplément de précisions pour tirer cette conclusion.

 

[Dossier des demanderesses, page 2681.]

 

Le Dr Granton a aussi déclaré, en réponse à la question 613 de son contre-interrogatoire, que la divulgation de l’étude 1024 contenue dans le brevet ne donne pas suffisamment de renseignements touchant les méthodes appliquées à la conduite de cette étude :

[traduction]

 

Q :       La personne sceptique versée dans l’art, telle que vous‑même, qui prendrait connaissance de cette étude sans savoir combien de sujets avaient été examinés ni quel avait été l’effet sur le débit cardiaque, sans connaître la PAP ni la pression capillaire, tout en sachant qu’il ne s’agissait que d’un test hémodynamique et qu’aucun résultat ne portait sur une longue période, la personne sceptique comme vous se dirait : « C’est une étude intéressante, mais je ne peux conclure que cela démontre nécessairement que le sildénafil est efficace pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire chronique. »

 

R :        Permettez‑moi de reformuler la question. Mon interprétation est que je voudrais en apprendre davantage au sujet de cet essai; alors, je tenterai de trouver de l’information sur cet essai. Il s’agit de toute évidence d’un résultat impressionnant. Si vous me dites que le médicament améliore davantage la RVP que la RVG, j’aimerais en apprendre davantage sur cette étude. Une personne sceptique se dirait : « C’est intéressant. Je veux en savoir plus sur cette étude. »

 

À la lumière de ce qui a été présenté ici, je ne serais pas en mesure de déterminer la méthodologie utilisée ni la façon dont l’étude a été menée. L’étude 1024 elle‑même ne fournit pas ces renseignements et on a une bonne idée des effets observés qui permettraient aux chercheurs de faire une telle déclaration, mais il serait difficile, par une simple lecture, d’extraire cette information.

 

[Dossier des demanderesses, pages 2680 et 2681.]

 

 

3.  Le Dr Waxman, témoin expert de Ratiopharm, a déclaré au paragraphe 165 de son affidavit que la divulgation de l’étude clinique contenue dans le brevet 324 ne donne pas de renseignements suffisamment détaillés pour permettre à la personne versée dans l’art de [TRADUCTION] « prédire raisonnablement [...] l’utilité clinique du sildénafil » dans le traitement de l’hypertension pulmonaire :

[traduction]

165    […] le brevet 324 ne contient pas une divulgation suffisamment détaillée pour permettre à la personne versée dans l’art de prédire raisonnablement que l’utilité clinique du sildénafil peut se déduire de l’étude clinique décrite à la page 12 de ce brevet. En fait, la description que donne le brevet 324 de l’étude clinique est remarquable par son absence de précisions fondamentales.

 

4.  Le Dr Elliott, autre témoin expert de Ratiopharm, a déclaré au paragraphe 140 de son affidavit que l’étude 1024 divulguée dans le brevet 324 ne permettrait pas à la personne versée dans l’art de prédire valablement l’efficacité clinique du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire :

[TRADUCTION]

140    La divulgation de l’étude 1024 que contient le brevet 324 est si manifestement incomplète et contradictoire qu’aucune personne versée dans l’art n’estimerait qu’elle donne un fondement factuel sur lequel prédire valablement l’efficacité clinique du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire.

 

 

 

[97]           La Cour constate que tous les témoins experts ont déclaré que l’étude 1024, telle que divulguée dans le brevet 324, ne permettrait pas à la personne versée dans l’art de prédire valablement l’efficacité du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire. Tous les témoins experts sont d’accord sur ce point.

 

Les questions du caractère suffisant de la divulgation et du fondement factuel considérées relativement à l’étude clinique sur laquelle Pfizer se fonde pour invoquer la prédiction valable

 

[98]           Ratiopharm soutient que le brevet 324, concernant l’étude 1024, omet des faits fondamentaux et ne divulgue pas suffisamment de renseignements. Plus précisément, elle fait valoir ce qui suit :

  1. Les inventeurs n’ont pas reçu à temps pour la rédaction du brevet 324 les résultats des groupes 1b et 2 de l’étude 1024, de sorte qu’ils ne disposaient pas d’un fondement factuel pour prédire valablement l’utilité du sildénafil dans le traitement des personnes qui souffrent d’hypertension pulmonaire secondaire par suite d’une insuffisance cardiaque congestive (ICC) ou d’une maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC).
  2. Le brevet 324 ne s’appuie que sur une partie des résultats du groupe 1a et ne précise pas le nombre réel de sujets sur lequel il fonde sa prédiction.
  3. L’étude 1024 n’a été menée en double aveugle que pour les chercheurs.
  4. La portée de l’étude 1024 est trop restreinte pour que ses résultats soient statistiquement significatifs.

 

[99]           Comme nous l’avons mentionné précédemment, le brevet 324 revendique l’utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire, qui englobe les formes primitive et secondaire de cette affection, la forme primitive étant rare. L’hypertension artérielle pulmonaire secondaire, qui est plus fréquente, est définie à la page 1 du brevet :

[traduction] L’hypertension artérielle pulmonaire secondaire est beaucoup plus fréquente et résulte d’autres affections, notamment d’une insuffisance cardiaque congestive, d’un trouble pulmonaire hypoxique chronique, notamment d’une maladie pulmonaire obstructive chronique, d’une maladie inflammatoire ou collagénose vasculaire telle que la sclérodermie et le lupus érythémateux aigu disséminé, d’une cardiopathie congénitale avec shunt gauche‑droite et d’une thrombo‑embolie pulmonaire.

[Non souligné dans l’original.]

Il est évident que le brevet 324 revendique l’utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire résultant d’une ICC ou d’une MPOC.

 

La description de l’étude clinique donnée par le brevet 324

[100]       Le brevet 324 essaie de démontrer la prédiction valable de l’utilité du sildénafil en se référant à l’étude 1024 dans les termes suivants (page 12) :

[traduction] L’efficacité du sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire chez les humains a été démontrée dans l’étude suivante.

 

[…]

 

À partir des données recueillies durant l’essai, la RVP et la RVG ont été mesurées. Les résultats sont présentés à la figure 1 et font ressortir une réduction importante de la RVP chez un certain nombre de patients, ce qui confirme l’utilité du sildénafil pour cette indication. En outre, les résultats indiquent que l’effet du sildénafil sur la RVG était beaucoup plus faible que l’effet sur la RVP.

Figure 1 :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Effect of Sildenafil in Human Patients = Effet du sildénafil chez les patients humains

% Change from Pre-dose = Variation en pourcentage par rapport à l’état avant la dose

PVR = RVP

SVR = RVG

Nitric oxide = Monoxyde d’azote

100ng/ml = 100 ng/ml

300ng/ml = 300 ng/ml

500ng/ml = 500 ng/ml

 

Cette « figure » illustre l’effet positif du sildénafil au chapitre de la réduction de la RVP par rapport à la RVG. On compare cet effet avec la réponse des patients à l’administration de NO, qui est un autre traitement contre l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[101]       Il est évident pour la Cour qu’on n’indique pas dans l’exposé de l’invention le nombre de patients testés dans l’étude clinique, notamment le nombre de sujets qui ont reçu un placebo au lieu du sildénafil en double insu.

 

[102]       Le Dr Butrous, l’inventeur salarié de Pfizer, avait d’abord déclaré que le brevet 324 se fondait sur une analyse de la totalité des données tirées du groupe 1a. Or il a été révélé au cours de son contre-interrogatoire que l’étude clinique avait omis un certain nombre de faits fondamentaux, notamment les suivants :

1.      [LES MENTIONS D’ÉLÉMENTS DE PREUVE CONFIDENTIELS  ONT ÉTÉ RETRANCHÉES DE LA VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE

2.      ______________________________________________________________________________________________________________________________________

3.      ____________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________]

Par conséquent, l’étude clinique, au moment du dépôt du brevet, ne donnait pas de fondement factuel à la revendication comme quoi le sildénafil serait efficace pour le traitement des personnes par ailleurs atteintes d’une ICC ou d’une MPOC.

 

[103]       À la page 1, le brevet 324 renvoie expressément aux formes d’hypertension artérielle pulmonaire comme l’ICC et la MPOC :

[traduction] L’hypertension artérielle pulmonaire secondaire est beaucoup plus fréquente et résulte d’autres affections, notamment d’une insuffisance cardiaque congestive, d’un trouble pulmonaire hypoxique chronique, notamment d’une maladie pulmonaire obstructive chronique, d’une maladie inflammatoire ou collagénose vasculaire telle que la sclérodermie et le lupus érythémateux aigu disséminé, d’une cardiopathie congénitale avec shunt gauche‑droite et d’une thrombo‑embolie pulmonaire.

[Non souligné dans l’original.]

Il est évident que le brevet 324 revendique l’utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire causée par une ICC ou une MPOC. Or, comme elle ne comportait pas d’essais sur les groupes de sujets atteints d’hypertension pulmonaire résultant d’une ICC ou d’une MPOC, l’étude clinique ne pouvait pas, au moment du dépôt de la demande de brevet, prédire valablement l’efficacité du sildénafil pour le traitement de ces deux importantes catégories de patients. Cette omission n’est pas divulguée dans le brevet, mais est devenue évidente lors du contre‑interrogatoire. Il s’agit là de faits fondamentaux qu’on aurait dû divulguer, de manière que la personne versée dans l’art puisse valablement prédire si le sildénafil aurait l’effet revendiqué.

 

[104]       Pfizer a reconnu, par les réponses que le Dr Butrous a données aux questions 658 à 660 de son contre-interrogatoire, que ces deux groupes de sujets représentaient des catégories importantes de souffrants d’hypertension pulmonaire, mais qu’elle n’avait pas achevé l’étude au moment du dépôt de la demande de brevet :

[TRADUCTION]

 

Q. :      Si vous aviez disposé des données relatives aux sujets du groupe 1b et aux trois autres du groupe 2 au moment du dépôt du brevet, y aurait‑il eu une raison quelconque de ne pas les inclure dans celui‑ci?

 

R. :       Si j’avais disposé de ces données à ce moment, je les aurais probablement incluses dans le brevet, oui.

 

Q. :      Vous les auriez incluses parce qu’elles étaient importantes, n’est‑ce pas?

 

A. :       En effet.

 

Q. :      Elles sont importantes parce qu’elles étayent l’application de la revendication à d’autres types d’hypertension pulmonaire?

 

A. :       Oui.

 

[Dossier des demanderesses, pages 1387 et 1388.]

 

 

 

[105]       La preuve découlant du contre-interrogatoire du Dr Butrous démontre un défaut d’articulation entre l’objet de l’étude 1024, qui était d’évaluer l’effet du sildénafil sur les trois groupes de sujets, et le brevet 324, qui revendiquait l’utilisation du sildénafil pour le traitement des trois catégories de malades représentées par ces groupes, mais qui ne se fondait que sur une partie des données provenant du premier groupe :

[TRADUCTION]

 

R. :       L’étude 1024 avait pour objet d’évaluer tous les groupes. Les données que nous avons incluses dans le brevet sont celles qui étaient pertinentes pour nous à ce moment.

 

Q. :      Mais vous ne pouvez pas dire ça, n’est‑ce pas? Vous ne savez pas si ces données étaient à votre disposition à ce moment.

 

R. :       Non. Les données que j’ai analysées à ce moment et que j’ai représentées à la figure 1 concernaient l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[Dossier des demanderesses, page 1346.]

 

[106]       Le Dr Rubin, témoin expert de Pfizer, a répondu en contre‑interrogatoire aux questions 620‑621 et 772‑773 qu’il est impossible d’extrapoler l’efficacité du sildénafil dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire chez les patients atteints d’ICC et d’une MPOC à partir des résultats de l’étude clinique sur des patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire primitive :

[traduction]

Q :       Le sildénafil fonctionne‑t‑il chez tous […] les patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire contre toutes les formes d’hypertension artérielle pulmonaire?

 

R.         Non.

 

Q :       Pouvez‑vous me nommer des formes contre lesquelles il est inefficace?

 

R.         Il semble fonctionner contre l’insuffisance cardiaque congestive accompagnée d’hypertension artérielle pulmonaire. Des études indiquent par contre qu’il ne fonctionne pas contre l’insuffisance cardiaque congestive accompagnée d’hypertension artérielle pulmonaire. La réponse est oui. Le médicament est inefficace dans le cas de la cæcocèle avec hypertension artérielle pulmonaire.

 

[Dossier des demanderesses, page 2093.]

 

[…]

 

Q. :      Pouvez-vous faire une prédiction valable de l’efficacité pour les personnes souffrant d’une MPOC en vous fondant sur l’efficacité contre la forme primitive de l’hypertension pulmonaire?

 

R. :       Je pense – eh bien, je pense que vous découpez la tarte en quartiers plus étroits qu’il n’a été fait. Mais je répondrais par la négative à cette question particulière.

 

Q. :      Et pouvez-vous extrapoler les résultats d’une étude sur des sujets atteints de la forme primitive d’hypertension pulmonaire aux souffrants d’insuffisance cardiaque congestive?

 

R. :       Non, on ne peut pas extrapoler. Il est possible que les résultats soient applicables ou qu’ils ne le soient pas. 

 

[Dossier des demanderesses, page 2144.]

 

Lorsqu’on lui a explicitement demandé à la question 776 s’il pouvait valablement prédire l’efficacité du sildénafil pour les souffrants d’ICC ou de MPOC à partir des données contenues dans le brevet 324, le Dr Rubin a admis à contrecœur que les données limitées provenant du groupe 1a ne permettaient pas une prédiction valable :

[TRADUCTION]

 

Q. :      Et vous ne pourriez pas prédire valablement, sur la base des résultats provenant du groupe 1a, l’efficacité pour les sujets du groupe 1b ou du groupe 2 : est‑ce exact?

 

R. :       Et je ne l’ai pas fait. C’est exact. C’est pourquoi je disais que vous découpez la tarte en quartiers très étroits. Vous pouvez la découper en quartiers aussi étroits que vous voudrez, mais l’extrapolation a été faite à partir de l’étude, et non à partir d’un sous-groupe déterminé. C’est là la limite de l’analyse par sous-groupe et de l’interprétation par sous-groupe, vous savez, lesquelles sont une erreur très commune. C’est pourquoi on considère l’ensemble du groupe et on essaie de faire des prédictions généralisables [sic] plutôt que des prédictions particulières, et c’est ce que j’ai fait.

 

[Dossier des demanderesses, pages 2144 et 2145.]

 

L’étude clinique 1024 était donc inachevée au moment du dépôt de la demande de brevet.

 

[107]       La Cour suprême a conclu au paragraphe 56 de l’arrêt AZT, précité, que la contestation de la validité du brevet réussira si l’on peut établir l’absence de prédiction valable relativement à une partie du domaine visé :

56      Lorsque la nouvelle utilisation est l’élément essentiel de l’invention, l’utilité requise pour qu’il y ait brevetabilité (art. 2) doit, dès la date de priorité, être démontrée ou encore constituer une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise alors disponibles.  Si un brevet qu’on a tenté d’étayer par une prédiction valable est par la suite contesté, la contestation réussira si, comme l’a affirmé le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. c. Commissaire des brevets, [1979] 2 R.C.S. 1108, p. 1117, la prédiction n’était pas valable à la date de la demande ou si, indépendamment du caractère valable de la prédiction, « [i]l y a preuve de l’inutilité d’une partie du domaine visé ».

 

 

[108]       Il ne peut y avoir prédiction valable de l’efficacité du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire chez les personnes atteintes par ailleurs d’ICC ou de MPOC. En fait, la preuve produite devant la Cour établit que le sildénafil n’a pas été approuvé en fin de compte pour les souffrants de l’une ou l’autre de ces deux dernières affections. Par conséquent, il faut déclarer inexact le passage du brevet qui décrit l’étude clinique dans les termes suivants :

[TRADUCTION] L’efficacité du sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire chez les humains a été démontrée dans l’étude suivante.

 

 

[109]       Ratiopharm a aussi fait valoir l’insuffisance de la divulgation pour ce qui concerne la durée des essais sur les patients. [LES MENTIONS D’ÉLÉMENTS DE PREUVE CONFIDENTIELS ONT ÉTÉ RETRANCHÉES DE LA VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE.] Ratiopharm a soutenu que les essais de cette nature ne suffisent pas à fonder une prédiction valable relativement aux personnes atteintes d’hypertension pulmonaire chronique. Je le pense aussi.

 

[110]       Il fallait en conclure que l’étude clinique, telle qu’elle est apparue en contre-interrogatoire, ne pouvait fonder une prédiction valable de l’efficacité chronique. On ne peut en effet baser une telle prédiction sur une étude hémodynamique de courte durée, ce qu’était l’étude 1024 au moment du dépôt de la demande du brevet 324. [LES MENTIONS D’ÉLÉMENTS DE PREUVE CONFIDENTIELS ONT ÉTÉ RETRANCHÉES DE LA VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE.]

 

[111]       Ratiopharm a en outre fait valoir que l’étude en question n’est statistiquement significative pour aucune sorte de prédiction valable, ce qu’a reconnu le Dr Butrous en contre-interrogatoire.

 

Conclusion sur la prédiction valable

[112]       Tous les témoins experts étaient d’accord pour dire que l’étude 1024, telle que divulguée dans le brevet 324, ne prédit pas valablement que le sildénafil pourra servir au traitement de l’hypertension pulmonaire. En outre, la Cour conclut que le fait que l’étude 1024 n’évalue pas l’effet du sildénafil chez les personnes atteintes de MPOC ou d’ICC a pour conséquence que le brevet ne divulgue pas de fondement factuel permettant de prédire valablement l’efficacité du sildénafil pour ces personnes. Pour dire les choses simplement, le brevet 324 prétend prédire valablement l’efficacité du sildénafil pour le traitement de tous les types d’hypertension pulmonaire chronique en se fondant sur un ensemble limité de données provenant de quelques sujets d’un seul groupe. Pfizer étudiait à la même époque l’effet du sildénafil sur les personnes souffrant de formes secondaires importantes de l’hypertension pulmonaire, mais elle a déposé sa demande du brevet 324 le 26 octobre 2000 sans attendre les résultats de ces travaux.

 

[113]       En conséquence, la Cour conclut que Pfizer n’a pas prouvé suivant la prépondérance des probabilités le caractère infondé de l’allégation d’absence d’utilité valablement prédite qu’a formulée Novopharm. Le brevet 324 est donc invalide au motif de l’absence de prédiction valable. La Cour examinera maintenant les autres questions en litige pour le cas où sa conclusion sur la présente question serait infirmée.

 

Question no 3 : Le brevet 324 est‑il invalide pour cause d’évidence au regard de l’art antérieur?

 

[114]        Ratiopharm soutient que l’art antérieur divulgue l’objet revendiqué dans le brevet 324. Selon elle, dans les 6 mois qui ont suivi l’approbation de VIAGRA aux É.‑U. en mars 1998, le sildénafil était déjà utilisé pour des indications ne figurant pas sur l’étiquette, notamment pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire comme le mentionnent Atz et coll. La nouvelle utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire était donc évidente avant la date de priorité (revendication) du 2 novembre 1999.

 

Le droit

[115]       Il ressort de la définition du terme « invention » donnée à l’article 2 de la Loi que l’invention doit présenter « le caractère de la nouveauté » pour pouvoir être brevetée :

« invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de

matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

“invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement

in any art, process, machine, manufacture or composition of matter;

 

 

[116]       L’article 28.3 de la Loi dispose que ne peut être brevetée l’invention qui est évidente à la date de la revendication :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne

versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou

un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de

manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

 

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

 

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

 

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

 

 

[117]       J’ai exposé le critère applicable à la question de l’évidence aux paragraphes 77 à 79 de Biovail Corp. c. Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF 46, [2010] A.C.F. no 46 (QL) :

¶77      La Cour Suprême a adopté, dans l’affaire Sanofi, précitée, au paragraphe 67, la démarche à quatre volets suivante dans le cadre de l’examen relatif à l’évidence :

 

            (1)        a) Identifier la « personne versée dans                           l’art »;

 

             b) Déterminer les connaissances générales         courantes pertinentes de cette personne;

 

            (2)        Définir l’idée originale de la revendication                                  en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

            (3)        Recenser les différences, s’il en est, entre ce                              qui ferait partie de « l’état de la technique »                                     et l’idée originale qui sous-tend la                                               revendication ou son interprétation;

 

            (4)        Abstraction faite de toute connaissance de                     l’invention revendiquée, ces différences                                     constituent-elles des étapes évidentes pour la                       personne versée dans l’art ou dénotent-elles                                   quelque inventivité?

 

¶78      La Cour Suprême a fait remarquer qu’il pouvait être approprié de considérer une analyse fondée sur l’« essai allant de soi », plus particulièrement si de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation (voir le paragraphe 68 de Sanofi). La locution « allant de soi » a été définie comme signifiant « très clair » et l’invention doit aller plus ou moins de soi (Sanofi, paragraphe 66; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 8, au paragraphe 29).

 

¶79      Si le critère de l’« essai allant de soi » est justifié, le juge Rothstein énumère une liste de facteurs non exhaustive dont il faut tenir compte (voir paragraphe 69 de Sanofi) :

 

(1)        Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?

 

(2)        Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

(3)        L’antériorité fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

 

[118]       J’ai conclu au paragraphe 56 de ma décision relative au VIAGRA que, « [a]u Canada, il n’y a évidence que si la personne versée dans l’art est justifiée de rechercher des solutions "prévisibles" qui comportent "des chances raisonnables de succès" ». Voir aussi Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2009 CAF 8, 385 N.R. 148, le juge Marc Noël, au paragraphe 44.

 

L’ART ANTÉRIEUR

[119]       Ratiopharm soutient que les revendications du brevet 324 sont invalides aux motifs de l’antériorité et de l’évidence au regard de l’art antérieur. Comme la Cour l’a conclu plus haut, la date des revendications est le 2 novembre 1999. Pour être déclarée antériorisée ou évidente au regard de l’art antérieur, l’invention doit être devenue accessible au public avant la date des revendications. Ratiopharm invoque les documents suivants comme antériorités : 

1.      WO 1994/28902 A1/CA 2,163,446 – Pyrazolopyrimidinones for the Treatment of Impotence [WO 902] [Usage des pyrazolopyrimidinones pour le traitement de l’impuissance];

2.      WO 1998/37894 A1 – Synergistic Combination of PDE Inhibitors and Adenylate Cyclase Agonists or Guanyl Cyclyse Agonists [WO 894] [Combinaison synergique d’inhibiteurs de la PDE et d’agonistes du récepteur de type adénylate cyclase ou guanylate cyclase];

3.      Cheitlin et al., “Use of Sildenafil (Viagra) in Patients with Cardiovascular Disease”, (1999) Circulation 99:168-177 [Cheitlin et al.] [« Utilisation du sildénafil (Viagra) chez les patients atteints d’une maladie cardiovasculaire »];

4.      Jackson et al., “Effects of Sildenafil Citrate on Human Hemodynamics”, (1999) The American Journal of Cardiology 83(5A) [Jackson et al.] [« Effets du citrate de sildénafil sur l’hémodynamique humaine »];

5.      Weimann et al., “Sildenafil (VIAGRATM) is a Selective Pulmonary Vasodilator in Acute Pulmonary Hypertension in Awake Sheep” (1999) 159(3) American Journal of Respiratory Care and Critical Care Medicine, (Suppl. S. March) A 163 (Meeting Abstract) [Weimann et al.] [« Le sildénafil (VIAGRAMC) est un vasodilatateur pulmonaire sélectif dans l’hypertension artérielle pulmonaire aiguë chez le mouton éveillé »];

6.      Atz et al., “Sildenafil Ameliorates Effects of Inhaled Nitric Oxide Withdrawal”, (July 1999) 91(1) Anesthesiology 307 [Atz et al.]; [« Le sildénafil améliore les effets du sevrage du monoxyde d’azote inhalé »];

7.      Lepore et al., “Sildenafil is Pulmonary Vasodilator Which Augments and Prolongs Vasodiation by Inhaled Nitric Oxide in Patients with Pulmonary Hypertension”, (1999) 100(18) Circulation 168 [Lepore et al.] [« Le sildénafil est un vasodilatateur pulmonaire qui augmente et prolonge la vasodilatation associée à l’inhalation de monoxyde d’azote chez les patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire »].

 

Analyse des pièces d’art antérieur

Document de l’art antérieur no 1 : WO 1994/28902 A1/CA 2,163,446 – Pyrazolopyrimidinones for the Treatment of Impotence [WO 902] [Usage des pyrazolopyrimidinones pour le traitement de l’impuissance]

 

[120]       WO 902 est une demande de brevet internationale publiée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets et datée du 22 décembre 1994. Pfizer Ltée et la Société Pfizer Recherche et Développement sont les déposants désignés.

 

[121]       WO 902 revendique l’utilisation d’une série de pyrazolo [4, 3‑d] pyrimidin‑7‑ones, dont le sildénafil, pour le traitement de l’impuissance ou de la dysfonction érectile. WO 902 divulgue à la page 2 l’utilisation du sildénafil pour le traitement d’un certain nombre de troubles, notamment l’hypertension artérielle pulmonaire :

[traduction] Les composés de l’invention sont de puissants inhibiteurs des phosphodiestérases spécifiques de la 3’,5’‑guanosine monophosphate cyclique (PDE GMPc) comparativement à leur action inhibitrice sur les phosphodiestérases spécifiques de la 3’,5’‑adénosine monophosphate cyclique (PDE AMPc). Cette inhibition enzymatique sélective entraîne une élévation des concentrations de GMPc qui, à son tour, explique les rôles utiles déjà divulgués desdits composés dans EP‑A‑0463756 et EP‑A‑0526004, à savoir dans le traitement de […] l’hypertension artérielle pulmonaire […] et des maladies caractérisées par des troubles de la motilité intestinale, p. ex. côlon irritable (CI).

 

Il s’agit de la seule référence à l’utilisation du sildénafil dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

 

[122]       La Cour ne peut conclure que cette pièce d’art antérieur rend l’invention évidente. Ce document porte sur l’utilisation de composés pour le traitement de l’impuissance et non du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. La seule mention de l’utilité du sildénafil dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire n’est pas suffisante pour divulguer l’objet de l’invention décrit dans le brevet 324, mais cette documentation de base donne un aperçu des connaissances de la personne versée dans l’art.

 

Document de l’art antérieur no 2 : WO 1998/37894 A1 – Synergistic Combination of PDE Inhibitors and Adenylate Cyclase Agonists or Guanyl Cyclyse Agonists [WO 894] [Combinaison synergique d’inhibiteurs de la PDE et d’agonistes du récepteur de type adénylate cyclase ou guanylate cyclase]

 

[123]       WO 894 est une demande internationale publiée en vertu du Traité de coopération en matière de brevets et datée du 3 septembre 1998. Un certain nombre de tierces parties sont les déposants désignés.

 

[124]       WO 894 revendique l’utilisation d’un inhibiteur de la PDE combiné à un agoniste du récepteur de type adénylate cyclase ou de type guanylate cyclase pour traiter un certain nombre de maladies et de troubles, dont l’hypertension artérielle pulmonaire. Le mémoire descriptif dépeint les effets des inhibiteurs de la PDE sur l’AMPc et la GMPc dans les tissus et indique que la polythérapie a donné des résultats positifs plus durables que la monothérapie. Aucun renseignement posologique n’est fourni sur l’utilisation du sildénafil dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire sauf en ce qui concerne son administration [traduction] « à une échelle normale pour l’administration de chacun des composants ».

 

[125]       WO 894 ne trace pas une avenue claire. Il ne fait que divulguer l’utilisation possible du sildénafil dans le cadre d’une polythérapie, mais ne fournit aucune marche à suivre pour l’utilisation du sildénafil dans le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. Il s’agit d’une hypothèse scientifique quant à l’efficacité des inhibiteurs de la PDE en général.

 

Document de l’art antérieur no 3 : Cheitlin et coll., “Use of Sildenafil (Viagra) in Patients with Cardiovascular Disease”, (1999) Circulation 99:168-177 [Cheitlin et al.] [« Utilisation du sildénafil (Viagra) chez les patients atteints d’une maladie cardiovasculaire »]

 

[126]       L’article de Cheitlin et coll. a été publié le 5 janvier 1999 et est fondé sur le consensus d’experts. Un certain nombre d’auteurs sont énumérés à la page 168 :

Membres du groupe de rédaction

 

Melvin D. Cheitlin, MD, FACC, coprésident; Adolph M. Hutter, Jr, MD, MACC, coprésident; Ralph G. Brindis, MD, MPH, FACC; Peter Ganz, MD, FACC; Sanjay Kaul, MD; Richard O. Russell, Jr, MD, FACC; Randall M. Zusman, MD, FACC.

 

Comité exécutif de la technologie et de la pratique

 

James S. Forrester, MD, FACC, président; Pamela S. Douglas, MD, FACC; David P. Faxon, MD, FACC; John D. Fisher, MD, FACC; Raymond J. Gibbons, MD, FACC; Jonathan L. Halperin, MD, FACC; Adolph M. Hutter, Jr, MD, MACC; Judith S. Hochman, MD, FACC; Sanjiv Kaul, MD, FACC; William S. Weintraub, MD, FACC; William L. Winters, Jr, MD, MACC; Michael J. Wolk, MD, FACC.

 

 

[127]       Les auteurs mettent en garde contre l’utilisation de VIAGRA chez les patients qui souffrent d’une maladie cardiovasculaire, en particulier ceux qui prennent en même temps des nitrates organiques vu que la co‑administration de VIAGRA et de nitrates organiques accroît significativement le risque d’hypotension potentiellement mortelle. Les auteurs exposent aux pages 171‑172 leurs observations relativement aux effets secondaires de VIAGRA chez les personnes qui souffrent de DE et de maladies cardiovasculaires.

 

[128]       La personne versée dans l’art reconnaîtrait que les observations de Cheitlin et coll. confirment les connaissances générales de l’époque en ce qui concerne les propriétés vasodilatatrices sélectives des inhibiteurs de la PDE5 tels que le sildénafil. À mon avis, cette publication décrit l’état de la technique en ce qui a trait à la vasodilatation pulmonaire, mais ne propose pas l’utilisation du sildénafil comme traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Document de l’art antérieur no 4 : Jackson et coll., “Effects of Sildenafil Citrate on Human Hemodynamics”, (1999) The American Journal of Cardiology 83(5A) [Jackson et coll.] [« Effets du citrate de sildénafil sur l’hémodynamique humaine »]

 

[129]       L’article de Jackson et coll. a été publié le 4 mars 1999 par les Drs Graham Jackson, Nigel Benjamin, Neville Jackson et Michael J. Allen, du Département de cardiologie de l’Hôpital St. Thomas de Londres au Royaume‑Uni.

 

[130]       Les auteurs ont avancé l’hypothèse que le sildénafil [traduction] « pouvait avoir des effets cardiovasculaires cliniquement utiles en potentialisant la voie de vasodilatation du monoxyde d’azote‑GMPc ». Quatre études ont été entreprises et sont décrites à la page 13C :

[traduction] Trois études ont été entreprises pour évaluer les effets de doses intraveineuses, intra‑artérielles et orales de sildénafil sur la pression sanguine, la fréquence cardiaque, le débit cardiaque ainsi que l’écoulement sanguin et la compliance veineuse dans l’avant‑bras chez des hommes en santé. Une quatrième étude a évalué des effets hémodynamiques du sildénafil administré par voie intraveineuse chez des hommes présentant une cardiopathie ischémique stable.

 

 

[131]       Les hommes en santé auxquels on a administré du sildénafil n’ont pas éprouvé de réactions indésirables. Chez les patients qui souffraient d’une cardiopathie ischémique, le sildénafil semblait exercer un effet modeste sur les mesures hémodynamiques. L’administration de 40 mg de sildénafil par voie intraveineuse à des patients atteints de cardiopathie ischémique a entraîné une baisse de la pression artérielle pulmonaire de 27 % et une réduction beaucoup plus faible de la RVG. Ces résultats ont amené les auteurs à tirer les conclusions suivantes à la page 20C :

[traduction] […] Le sildénafil est un vasodilatateur mixte ayant des effets hémodynamiques qui ressemblent à ceux des nitrates à effet modeste. Le sildénafil a été bien toléré dans ces études, sans qu’on ait à abandonner le traitement. Ces données sont corroborées par une vaste base de données sur l’innocuité qui démontre le profil d’innocuité et la tolérabilité du sildénafil dans de grands groupes de patients.

 

 

 

[132]       L’article de Jackson et coll. fait grandement avancer l’état de la technique pour ce qui est des propriétés vasodilatatrices du sildénafil en mesurant les effets de ce dernier chez un certain nombre d’humains. La conclusion des auteurs selon laquelle les effets hémodynamiques du sildénafil ressemblent à « ceux des nitrates à effet modeste » ne rend cependant aucunement compte de la performance réelle du sildénafil.

 

Document de l’art antérieur no 5 : Weimann et al., “Sildenafil (VIAGRATM) is a Selective Pulmonary Vasodilator in Acute Pulmonary Hypertension in Awake Sheep” (1999) 159(3) American Journal of Respiratory Care and Critical Care Medicine, (Suppl. S. March) A 163 (Meeting Abstract) [Weimann et al.] [« Le sildénafil (VIAGRAMC) est un vasodilatateur pulmonaire sélectif dans l’hypertension artérielle pulmonaire aiguë chez le mouton éveillé »]

 

[133]       L’article de Weimann et coll. a été publié en mars 1999 sous forme de résumé des délibérations d’une réunion. Les auteurs, J. Weimann, B. Ullrich, J. Hromi, Y. Fujino, K.D. Bloch et W.M. Zapol, sont des médecins qui travaillent au Département d’anesthésie et de soins critiques et au Centre de recherches cardiovasculaires, Hôpital général du Massachusetts; École de médecine de Harvard, Boston, Massachusetts.

 

[134]       Les auteurs commencent par affirmer que l’inhibition de la PDE5 entraîne une vasodilatation pulmonaire dans les cas d’hypertension artérielle pulmonaire aiguë. Ils ont donc conçu une étude où ils ont utilisé le médicament U‑46619 pour augmenter la RVP chez le mouton afin d’étudier les paramètres hémodynamiques de l’administration du sildénafil, un inhibiteur de la PDE5. Une fois la vasodilatation induite, les moutons ont reçu des doses cumulatives de sildénafil par une sonde nasogastrique. Les auteurs ont publié les résultats suivants :

[traduction] L’administration séquentielle de 12,5, 25 et 50 mg de sildénafil a provoqué une diminution de la résistance vasculaire pulmonaire (RVP) de 19±9 %, 24±15 % et 43±12 %, respectivement, mais n’a pas altéré la résistance vasculaire générale […] Conclusion : Le sildénafil entraîne une dilatation sélective de la vasculature pulmonaire par un mécanisme dépendant du NO dans un modèle ovin de l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

 

 

[135]       La personne versée dans l’art comprendrait que le sildénafil est efficace pour créer un relâchement de la musculature lisse et réduire la RVP sans abaisser dans la même mesure la RVG. Ce document divulgue une posologie appropriée et un mode d’emploi.

 

[136]       La personne versée dans l’art reconnaîtrait que le sildénafil a causé une dilatation « de la vasculature pulmonaire par un mécanisme dépendant du NO » dans un modèle ovin où la RVP a été artificiellement augmentée. Cette conclusion ne correspond pas à l’objet de l’invention qui revendique le sildénafil comme traitement sûr et efficace de l’hypertension artérielle pulmonaire chez les humains. Comme il en sera question plus tard, cette étude est cependant utile du point de vue de l’évidence pour savoir si « cela valait la peine d’être tenté ».

 

Document de l’art antérieur no 6 : Andrew M. Atz et David L. Wessel, “Sildenafil Ameliorates Effects of Inhaled Nitric Oxide Withdrawal” [Atz et al.] [« Le sildénafil améliore les effets du sevrage du monoxyde d’azote inhalé »]

 

[137]       L’article d’Atz et coll. a été publié en juillet 1999 par deux cardiologues, les Drs Andrew Atz et David Wessel, de l’École de médecine de Harvard.

 

[138]       Les auteurs commencent par souligner le rôle joué par le NO dans l’élévation des concentrations de la GMPc dans le système pulmonaire, ce qui entraîne un relâchement des muscles lisses. Ils ont avancé l’hypothèse que l’administration d’environ 1 mg de sildénafil (équivalant à une dose pour adultes de 50 mg) pendant l’arrêt du traitement par le NO réduirait les effets nocifs d’un sevrage abrupt du NO, en l’occurrence un pic dangereux de la pression artérielle pulmonaire, similaire à la « RVP ».

 

[139]       Trois études de cas chez des nourrissons nés avec des problèmes cardiaques congénitaux qui avaient souffert d’une hypertension artérielle pulmonaire rebond à la suite d’une intervention chirurgicale ont été examinées. Dans deux des trois cas, l’administration de sildénafil n’a causé qu’une augmentation minime de la RVP à l’arrêt du NO. Une mauvaise absorption gastro‑intestinale chez le troisième patient a pu contribuer à réduire l’efficacité du sildénafil.

 

[140]       Atz et coll. affirment à la page 307 de leur article :

[traduction] Le sildénafil (Viagra; Pfizer Laboratories, New York, NY) est un puissant inhibiteur sélectif de la PDE5 spécifique de la GMPc, l’isoenzyme prédominante qui hydrolyse la GMPc dans le corps caverneux. Nous avons émis l’hypothèse que le sildénafil pouvait potentialiser la vasodilatation pulmonaire par le NO ou atténuer les effets délétères d’un arrêt abrupt du traitement par le NO en augmentant la concentration intracellulaire et circulante de la GMPc, ce qui prévient une diminution rapide de la concentration de la GMPc lorsque le NO cesse d’être administré.

 

Cet article a montré que le sildénafil aide à traiter l’hypertension artérielle pulmonaire chez les humains présentant une forme particulière de l’affection.

 

[141]       Dans la figure 1 de l’article, les auteurs tracent le mouvement de la pression artérielle générale (PA) et la pression artérielle pulmonaire (PAP) lors du sevrage initial du NO et de l’ajout du sildénafil. Les auteurs indiquent que le sildénafil [traduction] « atténue considérablement l’effet hypertenseur du sevrage du NO sur le système pulmonaire » sans réduire la pression artérielle générale. De l’avis de la Cour, cet article divulgue exactement l’effet du sildénafil sur la RVP en relation avec la pression artérielle générale, ce que propose de montrer l’étude clinique 1024 de Pfizer propose de montrer et qui est le fondement de la demande de brevet 324.

 

[142]       Atz et coll. mentionnent à la page 308 de l’article que par suite de l’administration de sildénafil, 90 minutes après le sevrage du NO dans le cas numéro 1, ils ont observé une [traduction] « élévation minime de la pression artérielle pulmonaire, qui est demeurée stable pendant 30 minutes ». À la page 309 de l’article, les auteurs ajoutent :

[traduction] Dans les cas 1 et 2, nous avons confirmé que la concentration circulante de la GMPc avait presque doublé après utilisation du nouvel inhibiteur plus spécifique de la PDE5 (à savoir le sildénafil).

 

 

[143]       Les auteurs ajoutent à la page 309 :

[traduction] Nos données préliminaires révèlent cependant une association entre l’augmentation réussie de la concentration de GMPc et l’émoussement de la réponse hypertensive au sevrage du NO.

 

 

[144]       Il est dit plus loin à la page 309 :

[traduction] Le sildénafil mérite d’être étudié plus à fond comme vasodilatateur pulmonaire oral administré seul ou en association avec le NO.

 

 

 

[145]       Cet article a montré que le sildénafil, utilisé dans le traitement des nourrissons atteints d’hypertension artérielle pulmonaire, abaissait sélectivement la pression artérielle pulmonaire sans réduire autant la pression artérielle générale. C’est exactement ce que leur invention revendique dans l’étude clinique 1024, qui a servi de fondement à la demande de brevet 324.

 

[146]       Le 25 août 2008, l’Office européen des brevets a révoqué le brevet européen de Pfizer pour le sildénafil en renvoyant à l’article d’Atz et coll. Il est dit à la page 3 de cette décision que cet article met en évidence une réduction de l’hypertension artérielle pulmonaire après l’administration de sildénafil. On ajoute que cet article divulgue que la résistance vasculaire pulmonaire est davantage réduite par le sildénafil que la résistance vasculaire générale.

 

[147]       L’article d’Atz et coll. montre que l’administration de sildénafil à des patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire a abaissé la pression artérielle pulmonaire. Les auteurs indiquent à la page 308 :

[traduction] […] après 2 minutes, une dose de 1 mg de sildénafil entraîne une légère vasodilatation pulmonaire additionnelle et atténue considérablement l’effet hypertenseur du sevrage du NO sur le système pulmonaire 90 minutes plus tard.

 

L’article divulgue parallèlement que la pression artérielle générale n’a pas diminué dans la même mesure. La diminution était légère.

 

[148]       Pfizer soutient que l’hypertension artérielle pulmonaire rebond n’est pas un « trouble pathologique » et qu’elle n’est pas mentionnée comme une [traduction] « application additionnelle de l’invention » à la page 9 du brevet 324 et, par conséquent, ne peut être incluse dans les revendications, à moins qu’on interprète que les revendications englobent toute élévation de la pression artérielle pulmonaire.

 

[149]       Les experts de Pfizer, les Drs Rubin et Granton, ont déclaré dans leur affidavit que l’article d’Atz et coll. n’antériorise pas le brevet 324 parce que l’hypertension artérielle pulmonaire rebond est un trouble particulier. Voici ce qu’affirme le Dr Rubin au paragraphe 59 de son affidavit souscrit le 21 mai 2009 :

[traduction]

¶59      L’hypertension artérielle pulmonaire rebond est un trouble particulier. En général, l’organisme humain fabrique son propre NO. Dans le cas en question, les nourrissons présentaient un déficit en NO […] Comme les réserves en NO sont très faibles, ce trouble n’est pas tellement différent de la vasoconstriction grave du modèle U46619 de la vasoconstriction dans le résumé de Weimann dont il a été question précédemment.

 

Aux paragraphes 60‑61, le Dr Granton affirme ce qui suit au sujet de l’article d’Atz et coll. :

[traduction]

¶60      […] L’« hypertension artérielle pulmonaire » qui est causée par le sevrage du NO équivaut à l’« hypertension artérielle pulmonaire » causée par l’administration de l’U‑46619; comme il y a déplétion tant du NO inhalé que du NO endogène, il se produit une puissante vasoconstriction aiguë.

 

¶61      Tout comme l’affection décrite dans le résumé de Weimann, l’hypertension artérielle pulmonaire rebond n’a pas de lien avec l’hypertension artérielle pulmonaire comme maladie. On s’attendrait à ce que le sildénafil, à titre de vasodilatateur, traite la vasoconstriction intense qui survient après le sevrage du NO. Ainsi, une personne moyennement versée dans l’art ne saurait pas si le sildénafil traite l’hypertension artérielle pulmonaire comme maladie […]

 

 

[150]        Selon les experts de Ratiopharm, les Drs Waxman et Elliot, Atz et coll. ont déclaré que [traduction] « le sildénafil non seulement a traité efficacement l’hypertension artérielle pulmonaire en association avec le NO, mais serait également efficace comme « vasodilatateur pulmonaire oral en monothérapie » pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire en général » : voir l’affidavit du Dr Waxman daté du 7 février 2009, par. 62, et l’affidavit du Dr Elliott daté du 17 février 2009, par. 62. Les deux experts affirment que suivant la façon dont le brevet 324 est formulé, celui‑ci inclut expressément l’hypertension artérielle pulmonaire rebond comme autre affection.

 

[151]       Nous avons déjà conclu que l’interprétation du brevet 324 de façon à limiter ses revendications aux troubles pathologiques de l’hypertension artérielle pulmonaire n’a aucun fondement scientifique ni juridique. À mon avis, l’hypertension artérielle pulmonaire rebond est un type d’hypertension artérielle pulmonaire secondaire qui est divulgué dans le brevet 324. Le libellé du brevet 324 à la page 1 du mémoire descriptif contredit les arguments de Pfizer à ce sujet :

[traduction] Comme l’hypertension artérielle pulmonaire est causée normalement par une constriction des vaisseaux sanguins pulmonaires […]

 

Selon moi, le libellé du brevet évoque la définition du dictionnaire pour l’hypertension artérielle pulmonaire, soit toute constriction des vaisseaux sanguins pulmonaires.

 

[152]       La Cour ne peut accepter le témoignage des experts de Pfizer. Celui‑ci est en contradiction avec le libellé explicite du brevet 324, qui énumère l’hypertension artérielle pulmonaire post‑opératoire parmi les applications additionnelles de l’invention, à la page 9 :

[traduction] Les composés de l’invention peuvent également être utilisés pour traiter les enfants présentant une hypertension artérielle pulmonaire après une opération chirurgicale ou à cause d’un syndrome de détresse respiratoire ou d’une hypoxie néonatale.

 

 

 

[153]       La personne versée dans l’art conclurait que l’article d’Atz et coll. a divulgué l’usage efficace et sûr du sildénafil dans le traitement d’un type d’hypertension artérielle pulmonaire secondaire. Cet article permet à la personne versée dans l’art d’en arriver à l’invention présentée dans le brevet 324 en suivant les étapes suivantes :

1.      l’hypertension artérielle pulmonaire rebond est diagnostiquée après des pointes répétées de la RVP à la suite d’un sevrage abrupt du NO;

2.      du sildénafil est administré au patient à une dose de 50 mg pour adultes, ou à une dose plus faible selon le poids du patient;

3.      le NO est par la suite arrêté;

4.      une élévation minimale de la RVP sera observée et le patient devra être sevré du NO.

 

[154]       Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’article d’Atz et coll. fournit des instructions directes pour le traitement d’un type d’hypertension artérielle pulmonaire secondaire au moyen du sildénafil. La dose de base suggérée, de 50 mg pour un adulte et d’environ 1 mg pour un nourrisson, se situe bien à l’intérieur de l’intervalle suggéré dans le brevet 324. Aucun tâtonnement important quant à la posologie n’est nécessaire pour appliquer cette invention. Atz et coll. ont décrit en détail les étapes qui ont été suivies et qui ont mené au résultat désiré, soit la prévention d’une pointe de la RVP après sevrage du NO. La Cour juge également qu’il n’y a pas de différence appréciable dans le système d’administration, par sonde nasogastrique ou l’ingestion de comprimés. Les deux méthodes contreferaient le brevet 324 vu qu’elles utiliseraient le sildénafil pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

Document de l’art antérieur no 7 : John J. Lepore et coll., “Sildenafil is a Pulmonary Vasodilator Which Augments and Prolongs Vasodilation by Inhaled Nitric Oxide in Patients with Pulmonary Hypertension” [« Le sildénafil est un vasodilatateur pulmonaire qui augmente et prolonge la vasodilatation associée à l’inhalation de monoxyde d’azote chez les patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire »], résumé (Lepore et coll.)

 

[155]       Le document Lepore et coll. a été publié le 2 novembre 1999. Ses auteurs sont John J. Lepore, Naveen Pereira, Anjli Maroo, Leo Ginns, Luca M. Bigatello, G. William Dec, Robert Rubin, Warren M. Zapol, Kenneth D. Bloch et Marc J. Semigran, lesquels travaillaient tous à l’époque comme médecins au Massachusetts General Hospital, à Boston (Massachusetts). Le Dr Rubin a déclaré en contre-interrogatoire que ce document était le résumé d’une communication prononcée à un congrès de l’American Heart Association au Georgia World Congress Center. La preuve ne permet pas d’établir si cette communication a été prononcée avant ou après le 2 novembre 1999. En conséquence, la Cour ne considérera pas cet article comme faisant partie de l’art antérieur à la date de priorité du 2 novembre 1999.

 

Mes conclusions au sujet de l’évidence

[156]       L’examen des antériorités du point de vue de la personne versée dans l’art révèle que, avant la date de priorité du 2 novembre 1999, on pouvait utiliser le sildénafil pour traiter l’hypertension pulmonaire en augmentant les niveaux de GMPc dans le système pulmonaire. La Cour est arrivée à cette conclusion en appliquant, comme nous allons le voir en détail, chacun des quatre volets de la démarche d’examen relatif à l’évidence que la Cour suprême a exposée sous la plume du juge Rothstein aux paragraphes 67 à 70 de Sanofi, précité.

 

Première étape : La personne moyennement versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes

[157]       Les experts de Pfizer comme ceux de Ratiopharm reconnaissent que la personne versée dans l’art est un médecin spécialisé en cardiologie, en pneumologie ou dans un autre domaine de la médecine interne qui traite des patients souffrant d’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[158]       En janvier 1999, on a découvert que le sildénafil abaissait la RVP dans une plus grande mesure que la RVG chez les sujets humains qui ne souffraient pas d’hypertension artérielle pulmonaire. Dans l’article « Use of Sildenafil (Viagra) in Patients with Cardiovascular Disease », (1999), Circulation 99:168‑177, les auteurs Cheitlin et coll. expliquent aux pages 171‑172 que cette nouvelle découverte résulte de l’observation des effets secondaires du VIAGRA sur les personnes qui souffrent de DE et d’une maladie cardiovasculaire :

[traduction] Le sildénafil a des effets artériodilatateurs et veinodilatateurs sur la vasculature périphérique (Pfizer, données non publiées). Chez 8 patients présentant une angine stable, l’administration intraveineuse de sildénafil a réduit les pressions artérielles générale et pulmonaire ainsi que le débit cardiaque de 8 %, 25 % et 7 %, respectivement, en conformité avec ses effets vasodilatateurs mixtes sur les artères (hypotension générale et pulmonaire) et les veines (chute du volume du débit systolique secondaire à une diminution de la précharge). En conclusion, conformément aux effets prévus découlant de l’augmentation des concentrations de la GMPc dans la musculature vasculaire lisse, le sildénafil a une action vasodilatatrice qui entraîne des baisses légères, généralement minimes sur le plan clinique, de la pression artérielle lorsqu’il est administré en monothérapie.

 

 

[159]       Weimann et coll. ont montré en mars 1999 que le sildénafil réduisait sélectivement la RVP dans le modèle ovin de la vasoconstriction. Cette étude animale a révélé que le sildénafil est efficace contre l’hypertension artérielle pulmonaire chez le mouton et apprendrait à la personne versée dans l’art comment faire des expériences chez les humains.

 

[160]       En juillet 1999, Atz et coll. ont confirmé que le sildénafil abaissait davantage la RVP que la RVG chez les humains qui souffraient d’hypertension artérielle pulmonaire rebond :

[traduction] Dans les cas 1 et 2, nous avons confirmé que la concentration circulante de la GMPc avait presque doublé après utilisation du nouvel inhibiteur plus spécifique de la PDE5 […] Cette étude peut corroborer le rôle important joué par le système des phosphodiestérases dans la genèse et le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[…]

[…] Le sildénafil mérite d’être évalué plus à fond comme vasodilatateur pulmonaire oral utilisé seul ou en association avec le NO. Des études soigneusement conçues de son utilisation thérapeutique possible et de sa toxicité potentielle chez les enfants peuvent être nécessaires.

 

 

[161]       À mon avis, la personne moyennement versée dans l’art saurait à la date de priorité du 2 novembre 1999 que le sildénafil, qui a la propriété connue d’accroître les concentrations de GMPc dans le système pulmonaire et d’entraîner un relâchement de la musculature lisse, a été utilisé avec succès pour traiter un type d’hypertension artérielle pulmonaire secondaire chez les humains.

 

Deuxième étape : L’idée originale des revendications du brevet 324

 

 

[162]       L’« idée originale » (c’est‑à‑dire le concept inventif) du brevet 324 a été définie plus haut dans le présent exposé des motifs. En résumé, le brevet 324 revendique un nouvel usage du sildénafil, soit le traitement de l’hypertension pulmonaire chez les humains.

 

Troisième étape : Les différences entre l’art antérieur et l’objet des revendications du brevet 324

 

[163]       La principale différence entre l’art antérieur et les revendications du brevet 324 est que l’art antérieur était orienté principalement vers l’hypertension pulmonaire rebond (Artz et coll.) et les études sur animaux (Weimann et coll.), tandis que le brevet 324 porte sur toutes les formes d’hypertension pulmonaire.

 

Quatrième étape : Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

[164]       Pfizer soutient que, à moins d’effectuer des études sur un groupe diversifié de sujets humains souffrant de plusieurs formes d’hypertension pulmonaire, il ne serait pas évident pour la personne versée dans l’art que le sildénafil puisse traiter efficacement et sans danger l’hypertension pulmonaire chez les humains. La base du raisonnement de Pfizer apparaît au paragraphe 18 de l’exposé de ses moyens :

[TRADUCTION]

¶18      [...] S’il est vrai que le mécanisme de l’action du sildénafil était compris depuis un certain temps à la date des revendications, la personne versée dans l’art savait que, de la plausibilité biologique de l’efficacité du sildénafil, on ne pouvait déduire nécessairement qu’il fût possible de prédire cette efficacité pour le traitement d’une maladie très complexe [...]

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[165]       Selon moi, c’est un cas où il y a lieu d’appliquer le critère de « l’essai allant de soi ». L’art antérieur suggère l’utilisation du sildénafil pour le traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire. L’article d’Atz et coll. décrit expressément l’utilisation du sildénafil pour le traitement d’un type d’hypertension artérielle pulmonaire chez les humains, alors que celui de Weimann et coll. décrit le traitement chez le mouton.

 

Considérations relatives à « l’essai allant de soi »

i)          Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?

 

[166]       Au moment où Pfizer a déposé sa demande de priorité au R.‑U., il était évident que le sildénafil réduisait sélectivement la RVP dans une plus grande mesure que la RVG chez les patients atteints d’hypertension artérielle pulmonaire.

 

[167]       Contrairement aux arguments de Pfizer, l’idée que le sildénafil serait efficace pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire n’était pas qu’une simple conjecture, fondée sur le mécanisme connu des inhibiteurs de la PDE5. Les experts des parties reconnaissent que les études animales ne peuvent pas prédire les mêmes résultats positifs chez l’humain. Bien que les études animales puissent ne pas permettre de corroborer l’allégation de Ratiopharm relativement à l’absence de prédiction valable, elles peuvent constituer une partie de l’art antérieur qui corrobore l’allégation d’évidence (je remarque que Pfizer s’est fondée sur des études chez le chien dans son brevet 324). Weimann et coll. ont conclu en mars 1999 dans l’étude sur le mouton que :

 

[traduction] Le sildénafil entraîne une dilatation sélective de la vasculature pulmonaire […] dans un modèle ovin de l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

 

Puis Atz et coll. ont indiqué que le sildénafil, dans une étude de cas chez les humains, […] « atténue considérablement l’effet hypertenseur du sevrage du NO sur le système pulmonaire » sans réduire la pression artérielle générale.

 

[168]       Pfizer soutient que les données montrent que l’hypertension artérielle pulmonaire rebond ne figure pas dans le système de classification d’Évian et ne devrait pas être utilisée de façon interchangeable avec l’expression hypertension artérielle pulmonaire. Cela n’a aucune incidence, car le brevet 324 inclut l’hypertension artérielle pulmonaire post‑opératoire chez les nourrissons. Il est dit à la page 9 du brevet :

[traduction] Les composés de l’invention peuvent également être utilisés pour traiter les enfants présentant une hypertension artérielle pulmonaire après une opération ou à cause d’un syndrome de détresse respiratoire ou d’une hypoxie néonatale.

 

 

 

[169]       Les nourrissons dans l’article d’Atz et coll. ont tous développé une hypertension artérielle pulmonaire post‑opératoire. À mon avis, le brevet 324 englobait explicitement l’utilisation du sildénafil comme il est indiqué dans Atz et coll. La Cour estime qu’il allait de soi que le sildénafil serait efficace pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire rebond chez les nourrissons avant la date de priorité pour le dépôt du brevet.

 

[170]       Il n’y a pas non plus lieu d’accepter les arguments de Pfizer en faveur de l’exclusion effective de l’hypertension artérielle pulmonaire rebond de l’analyse relative à l’évidence parce que c’est un trouble aigu, par opposition à un trouble pathologique. Le Dr Butrous a reconnu en réponse à la question 405 dans son contre‑interrogatoire daté du 24 septembre 2009 que le sildénafil avait le même effet sur l’une ou l’autre forme d’hypertension artérielle pulmonaire :

[traduction]

R :        Ce que je veux dire, c’est que dans le cas de l’hypertension artérielle pulmonaire, qu’il s’agisse d’un trouble aigu ou d’un trouble chronique, le comportement du sildénafil semble être identique.

 

 

 

[171]       La Cour conclut qu’il était évident ou clair, étant donné l’art antérieur, plus précisément les études de cas examinées par Atz et coll. et le modèle ovin de Weimann et coll., que le sildénafil avait des chances de se révéler efficace contre l’hypertension pulmonaire. L’essai du sildénafil pour le traitement de cette affection allait donc de soi.

 

ii)         Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

[172]       [LES MENTIONS D’ÉLÉMENTS DE PREUVE CONFIDENTIELS ONT ÉTÉ RETRANCHÉES DE LA VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE.] Les experts de Pfizer ont admis en contre-interrogatoire que le cathétérisme est une intervention courante, malgré le risque de mort qu’il présente pour les patients. Le Dr Butrous a caractérisé comme suit le risque que présente le cathétérisme pour les patients en réponse à la question 97 de son contre-interrogatoire du 24 septembre 2009 :

[TRADUCTION]

 

Q. :      Les cardiologues ont très couramment recours au cathétérisme?

 

R. :       C’est une intervention que pratiquent couramment les cardiologues, mais il ne s’ensuit pas qu’elle est sans danger pour tous les patients. Le cathétérisme peut être dangereux dans certains cas. Évidemment, il est moins dangereux s’il est pratiqué par un cardiologue expérimenté.

 

 

[173]       La Cour conclut de la preuve produite relativement à ce facteur que l’étude préliminaire 1024 n’était ni longue, ni ardue, ni ingénieuse au point de revêtir un caractère inventif.

 

iii)         L’antériorité fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

[174]       Il y avait un puissant motif d’établir l’efficacité du sildénafil, étant donné le caractère limité des traitements disponibles pour l’hypertension pulmonaire. Le sildénafil offrait les meilleures possibilités pour les souffrants de cette affection qui ne réagissaient pas aux traitements traditionnels en usage à l’époque. L’art antérieur établit le vif intérêt que présentait pour les chercheurs la perspective de confirmer l’efficacité du mécanisme d’action connu du sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire.

 

Conclusion relative à l’évidence

[175]       La Cour constate que, avant la date de priorité du 2 novembre 1999, la personne versée dans l’art pourvue des connaissances générales courantes que renfermait l’art antérieur aurait considéré qu’« il allait de soi » d’essayer le sildénafil pour le traitement de l’hypertension pulmonaire et que cette personne aurait eu « des chances raisonnables de succès ». En conséquence, la Cour conclut que Pfizer n’a pas prouvé suivant la prépondérance des probabilités le caractère infondé de l’allégation de Ratiopharm comme quoi le brevet 324 est invalide au motif de l’évidence.

 

[176]       Étant donné cette conclusion, la Cour n’a pas à examiner le point de savoir si le brevet 324 est antériorisé. Le critère préliminaire applicable à cette question est plus rigoureux que celui qui préside à l’examen de l’art antérieur sous le rapport de l’évidence, et il n’est pas nécessaire que la Cour effectue cette analyse. Si je me trompe sur la question de l’évidence, le brevet 324 n’est pas antériorisé.

 

CONCLUSION GÉNÉRALE

[177]       Pour ces motifs, les demanderesses n’ont pas établi suivant la prépondérance des probabilités que sont infondées les allégations de Ratiopharm selon lesquelles le brevet 324 est invalide pour cause d’absence de prédiction valable et pour cause d’évidence au regard de l’art antérieur. En conséquence, la Cour rejette la présente demande en ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm pour une version générique du REVATIO.

 

LES DÉPENS

[178]       Les dépens sont adjugés à Ratiopharm. Dans les affaires de cette nature, les dépens sont taxés suivant le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La demande est rejetée, avec dépens à Ratiopharm.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

 

ANNEXE 1

Les revendications du brevet 324

 

 

Revendications :

1. Utilisation d’une dose efficace de sildénafil ou d’un de ses sels, solvates ou polymorphes pharmaceutiquement acceptables, pour la fabrication d’un médicament visant à traiter ou à prévenir l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

2. Utilisation selon la revendication 1, dans laquelle la dose efficace est inférieure à 50 mg par jour.

 

3. Utilisation selon la revendication 2, dans laquelle la dose efficace est d’au plus 20 mg par jour.

 

4. Utilisation selon la revendication 3, dans laquelle la dose efficace est d’au plus 10 mg par jour.

 

5. Utilisation selon la revendication 4, dans laquelle la dose efficace varie entre 1 et 10 mg par jour.

 

6. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, dans laquelle le médicament peut être administré par voie orale.

 

7. Utilisation selon la revendication 6, dans laquelle le citrate de sildénafil est employé.

 

8. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, dans laquelle le médicament peut être inhalé.

 

9. Utilisation selon la revendication 8, dans laquelle le mésylate de sildénafil est employé.

 

10. Utilisation d’une dose efficace de sildénafil ou d’un de ses sels, solvates ou polymorphes pharmaceutiquement acceptables, pour le traitement ou la prévention de l’hypertension artérielle pulmonaire.

 

11. Utilisation selon la revendication 10, dans laquelle la dose efficace est inférieure à 50 mg par jour.

 

12. Utilisation selon la revendication 11, dans laquelle la dose efficace est d’au plus 20 mg par jour.

 

13. Utilisation selon la revendication 12, dans laquelle la dose efficace est d’au plus 10 mg par jour.

 

14. Utilisation selon la revendication 13, dans laquelle la dose efficace varie entre 1 et 10 mg par jour.

 

15. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 10 à 14, dans laquelle la dose efficace est administrée par voie orale.

 

16. Utilisation selon la revendication 15, dans laquelle le citrate de sildénafil est employé.

 

17. Utilisation selon l’une quelconque des revendications 10 à 14, dans laquelle la dose efficace est inhalée.

 

18. Utilisation selon la revendication 17, dans laquelle le mésylate de sildénafil est employé.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑955‑08

 

INTITULÉ :                                                   PFIZER CANADA INC. ET AL. c. RATIOPHARM INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                         Les 19, 20, 21 et 22 avril 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Bernstein

Yael Bienenstock

 

POUR LES DEMANDERESSES

David W. Aitken

Marcus Klee

 

POUR LA DÉFENDERESSE

RATIOPHARM INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrew Bernstein

Torys, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

David W. Aitken

Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

RATIOPHARM INC.

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.