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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100607

Dossiers : IMM-5155-09

IMM-5157-09

 

Référence : 2010 CF 608

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

IYENKARAN ARIYARATNAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les présents motifs du jugement et le présent jugement concernent deux demandes de contrôle judiciaire de M. Ariyaratnam qui ont été entendues successivement le 27 mai 2010.

 

[2]               La première demande concerne une décision, en date du 20 août 2009, par laquelle l’agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) Susan Neufeld a conclu que M. Ariyaratnam n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens, respectivement, de l’article 96 et de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[3]               La seconde demande concerne une décision datée du 20 août 2009 par laquelle la même agente a refusé de faire droit à la demande de résidence permanente présentée au Canada par M. Ariyaratnam sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire.

 

[4]               S’agissant de la décision d’ERAR, M. Ariyaratnam allègue que l’agente a commis une erreur : (i) en n’examinant pas les principaux facteurs de risque qu’il avait énumérés dans sa demande actualisée; (ii) en interprétant de façon erronée la documentation sur la situation au pays qu’elle avait examinée de son propre chef; (iii) en ne tenant pas compte d’un rapport de juillet 2009 du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), qui avait été publié quelques semaines avant la décision de l’agente.

 

[5]               S’agissant de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire, M. Ariyaratnam allègue que l’agente a commis une erreur : (i) en ne vérifiant pas s’il connaîtrait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait retourner au Sri Lanka, compte tenu du fait qu’il est un jeune homme Tamoul du Nord du pays; (ii) en n’appliquant pas le bon critère pour évaluer sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que les deux décisions susmentionnées sont entachées d’erreurs parce que l’agente n’a pas analysé suffisamment les principaux facteurs de risque énumérés par M. Ariyaratnam et n’a pas expliqué suffisamment les raisons pour lesquelles la preuve présentée ne l’avait pas convaincue que : (i) s’agissant de la décision d’ERAR, il ne serait pas exposé à un des risques prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR; (ii) s’agissant de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire, il ne serait pas exposé à une des difficultés prévues à l’article 25 de la LIPR.

 

I.       Contexte

[7]         Âgé de 28 ans, M. Ariyaratnam est un citoyen d’origine tamoule du Nord du Sri Lanka.

 

[8]         Il a quitté le Sri Lanka en décembre 2000 et est arrivé au Canada en septembre 2003, après avoir séjourné dans l’intervalle en Inde. Peu de temps après son arrivée, il a présenté une demande d’asile. Cette demande a été refusée en septembre 2004, en grande partie en raison des réserves exprimées au sujet de son identité, de sa nationalité et de sa crédibilité. Il a par la suite obtenu un passeport et d’autres documents qui établissaient de façon satisfaisante sa nationalité sri-lankaise.

 

[9]         Dans les observations qu’il a présentées en mai 2008 à l’appui de sa première demande d’ERAR, M. Ariyaratnam a allégué qu’il serait exposé à un risque sous forme de harcèlement et d’extorsion de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), et qu’il risquait aussi d’être détenu par l’armée et par la police, s’il devait retourner au Sri Lanka. Dans ses observations actualisées du 22 juillet 2009, il alléguait que, malgré la défaite des TLET aux mains des forces gouvernementales en mai 2009, il craignait d’être détenu et de subir de mauvais traitements aux mains des autorités gouvernementales s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[10]           Devant la Cour, l’avocat de M. Ariyaratnam a admis que M. Ariyaratnam ne craignait plus vraiment d’être victime de harcèlement ou d’extorsion de la part des TLET.

 

II.      La décision d’ERAR

[11]            L’agente a débouté M. Ariyaratnam de sa demande d’ERAR après avoir conclu : (i) que les reportages et les documents sur la situation au pays qu’il avait soumis [traduction] « ne mentionnent pas expressément le demandeur et semblent ne faire état que d’un risque généralisé »; (ii) que les éléments de preuve qu’il avait soumis au sujet de l’arrestation et de la torture de son cousin et ami ne semblaient pas appuyer ses prétentions relativement aux risques qu’il courrait personnellement ou aux préjudices qu’il pourrait personnellement subir; (iii) que les documents sur le pays que l’agente avait examinés de son propre chef indiquaient que, bien qu’il y ait toujours des problèmes au Sri Lanka, la situation ne cessait de s’améliorer, notamment en ce qui concerne la sécurité et le processus de retour à la vie normale en général.

 

III.       La décision relative aux raisons d’ordre humanitaire

[12]           L’agente a débouté M. Ariyaratnam de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire après avoir conclu : (i) que les éléments de preuve qu’il avait soumis au sujet de l’arrestation et de la torture de son cousin et ami n’étaient pas suffisants pour établir qu’il serait probablement exposé à des difficultés s’il était contraint de retourner au Sri Lanka; (ii) que, même si elle est loin d’être idéale, la situation ne cesse de s’améliorer au Sri Lanka, ainsi qu’il a déjà été précisé – cette partie de la décision de l’agente est pratiquement identique à la partie correspondante de sa décision d’ERAR; (iii) que la nature et l’étroitesse de ses liens familiaux et personnels au Canada n’étaient pas suffisantes pour démontrer qu’il serait probablement exposé à des difficultés s’il était forcé de retourner au Sri Lanka; (iv) qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il s’était établi et intégré au Canada au point où le fait de l’obliger à rompre ses liens constituerait une difficulté inhabituelle et injustifiée ou excessive; (v) qu’il n’y avait pas suffisamment de documents pour appuyer la conclusion qu’il aurait du mal à se réadapter à la société et à la culture sri‑lankaises.

 

IV.     Questions en litige

[13]           L’agente a-t-elle commis une erreur dans sa décision d’ERAR :

 

                                                               i.      en n’examinant pas les principaux facteurs de risque énumérés par M. Ariyaratnam;

 

                                                             ii.      en interprétant de façon erronée la documentation sur la situation au pays qu’elle a examinée de son propre chef;

 

                                                            iii.      en ne tenant pas compte d’un rapport de juillet 2009 de l’UNHCR?

 

 

[14]           L’agente a-t-elle commis une erreur dans sa décision relative aux raisons d’ordre humanitaire :

 

                                                               i.      en ne vérifiant pas si M. Ariyaratnam connaîtrait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait retourner au Sri Lanka, compte tenu du fait qu’il est un jeune Tamoul du Nord du pays;

 

                                                             ii.      en n’appliquant pas le bon critère pour évaluer sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire?

 

V.      Norme de contrôle

[15]           La norme de contrôle applicable aux quatre premières questions soulevées par M. Ariyaratnam est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 46 et 47).

 

[16]           La norme de contrôle qui s’applique à la cinquième question soulevée par M. Ariyaratnam est celle de la décision correcte (Khosa, précité, au paragraphe 44).

 

VI.     Analyse

A.       L’agente a-t-elle commis une erreur en n’examinant pas les principaux facteurs de risque énumérés par M. Ariyaratnam?

 

[17]           Je suis d’accord avec M. Ariyaratnam pour dire que l’agente n’a pas examiné son argument qu’il serait exposé au risque d’être détenu et maltraité par les autorités gouvernementales s’il devait retourner au Sri Lanka.

 

[18]           L’agente a évalué la situation au Sri Lanka dans deux des paragraphes de sa décision. Dans le premier, elle aborde brièvement les éléments de preuve soumis par M. Ariyaratnam. C’est dans ce paragraphe qu’elle a conclu : (i) que les reportages et les documents sur la situation au pays qu’il avait soumis [traduction] « ne mentionnent pas expressément le demandeur et semblent ne faire état que d’un risque généralisé »; (ii) que les éléments de preuve qu’il avait soumis au sujet de l’arrestation et de la torture de son cousin et ami [traduction] « ne semblent pas appuyer ses prétentions relativement aux risques qu’il courrait personnellement ou aux préjudices qu’il pourrait personnellement subir ».

 

[19]           Dans le paragraphe suivant de sa décision, l’agente aborde brièvement la documentation sur la situation au pays qu’elle avait examinée de son propre chef. C’est dans ce paragraphe qu’elle conclut que, bien qu’il existe encore des problèmes au Sri Lanka, la situation ne cesse de s’y améliorer, notamment en ce qui concerne la sécurité et le processus de retour à la vie normale en général.

 

[20]           Immédiatement après ces deux paragraphes, l’agente conclut : [traduction] « vu l’ensemble des faits de la présente affaire, le demandeur n’est pas exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté au Sri Lanka pour l’un ou l’autre des motifs prévus par la Convention ». Elle ajoute ensuite qu’elle n’est pas convaincue que le renvoi de M. Ariyaratnam au Sri Lanka l’exposerait à l’un des risques prévus par l’article 97 de la LIPR.

 

[21]           Nulle part dans sa décision l’agente d’ERAR n’aborde directement ou indirectement la prétention précise de M. Ariyaratnam suivant laquelle il serait exposé au risque de subir de mauvais traitements aux mains des autorités sri-lankaises en raison de son profil personnel de jeune homme Tamoul originaire du Nord du pays.

 

[22]           Or, cette prétention était un élément clé de la demande d’ERAR de M. Ariyaratnam. J’estime donc que l’agente a commis une erreur qui justifie notre intervention parce qu’elle n’a pas expliqué en quoi la preuve présentée n’était pas suffisante pour lui permettre de conclure qu’en tant que jeune homme Tamoul du Nord du pays, M. Ariyaratnam serait exposé à un des risques prévus par les articles 96 et 97 de la LIPR s’il devait retourner au Sri Lanka. Si elle avait examiné ce risque et était parvenue à la même conclusion, sa décision aurait fort bien pu être raisonnable. Toutefois, son défaut de procéder à cet examen constitue une erreur fatale.

 

B.  L’agente a-t-elle commis une erreur en interprétant de façon erronée la documentation sur la situation au pays?

[23]           Le principal document que l’agente a décidé d’examiner de son propre chef était une publication du Home Office du Royaume-Uni intitulée Country of Origin Information Report - Sri Lanka, daté du 26 juin 2009. Ce rapport est une compilation de renseignements provenant de diverses autres sources respectées.

 

[24]           Les rapports du Home Office du Royaume-Uni sur les pays d’origine sont généralement reconnus comme comptant parmi les rapports les plus crédibles et les plus objectifs sur la situation de divers pays.

 

[25]           L’agente a fait observer que, suivant le rapport du Home Office du Royaume-Uni, [traduction] « depuis la fin du conflit avec les TLET rebelles, en mai 2009, même si elle est loin d’être idéale, la situation ne cesse de s’améliorer au Sri Lanka ». Elle a ensuite relevé quelques difficultés qui subsistaient au Sri Lanka qui avaient été mentionnées dans certains des rapports de juin 2009 qui étaient cités dans le rapport sur le pays d’origine.

 

[26]           M. Ariyaratnam soutient que l’agente a mal interprété ce rapport. Plus particulièrement, il affirme qu’il n’était pas raisonnablement loisible à l’agente de conclure que, lorsqu’on le lisait au complet, le rapport confirmait que la situation s’améliorait sans cesse au Sri Lanka. Il ajoute qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de ne pas renvoyer à des pages précises de ce rapport, ce qui lui aurait permis de retrouver les passages précis sur lesquels l’agente se fondait pour formuler ses observations au sujet du rapport.

 

[27]            Lorsqu’on lui a demandé de préciser les passages du rapport qui n’appuyaient pas l’opinion que l’agente avait du rapport, l’avocat de M. Ariyaratnam n’a pu en signaler que trois. Le premier de ces passages faisait état d’un site Internet pro-TLET qui avait signalé que le 4 juin 2009, la police avait appréhendé 25 jeunes Tamouls à Colombo et dans ses banlieues et les avait soumis à un interrogatoire serré. Le second passage est tiré du Country Report on Human Rights Practices, 2008, Sri Lanka du Département d’État des États-Unis. Ce rapport, qui est daté du 25 février 2009, a été publié bien avant la fin de la guerre civile en mai de la même année. Le troisième passage tiré du même rapport semble porter sur les [traduction] « individus soupçonnés de faire partie des TLET » et sur les [traduction] « civils soupçonnés d’avoir des liens avec les TLET ».

 

[28]           On trouve dans le corps de ce rapport les renseignements qui étaient connus avant le 1er juin 2009, date de la victoire des forces gouvernementales sur les TLET. À mon avis, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente d’accorder peu de poids aux renseignements contenus dans cette partie du rapport.

 

[29]           On trouve toutefois dans la section du rapport intitulée [traduction] « Dernières nouvelles » des renseignements sur les faits survenus et les rapports consultés au cours de la période comprise entre le 2 et le 25 juin 2009. Compte tenu de mon examen des renseignements contenus dans cette partie du rapport, il m’est impossible de qualifier de déraisonnable l’opinion que l’agente s’est formée au sujet des renseignements contenus dans le rapport relativement à la situation qui existait à la fin de juin 2009.

 

[30]           Il m’est par ailleurs impossible de qualifier de déraisonnable l’omission de l’agente de citer des sections précises du rapport, d’autant plus que c’était à M. Ariyaratnam qu’il incombait de démontrer qu’il craignait avec raison d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR, ou d’être exposé à un des risques prévus à l’article 97 de la LIPR. L’agente a clairement dit qu’elle tenait compte des renseignements postérieurs à la fin de la guerre civile avec les TLET. Ces renseignements se retrouvent dans la section intitulée [traduction] « Dernières nouvelles » que nous avons déjà mentionnée et qui ne compte que quatre pages.

 

 

B.     L’agente a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport de juillet 2009 de l’UNHCR?

 

[31]           M. Ariyaratnam affirme que l’agente devait tenir compte du rapport de juillet 2009 de l’UNHCR qui avait été publié quelques semaines avant la décision de l’agente. À cet égard, il se fonde sur les décisions rendues par notre Cour dans les affaires Sinnasamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67, et Christopher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 964. À mon avis, ces affaires portaient sur des faits différents.

 

[32]           Dans l’affaire Sinnasamy, l’agente d’ERAR s’était fondée sur un rapport de l’UNHCR de décembre 2006 pour appuyer la conclusion que le demandeur dans cette affaire ne correspondait pas au profil des Tamouls de Colombo qui étaient expressément ciblés. Toutefois, le même document renfermait des renseignements qui contredisaient cette conclusion. Mon collègue le juge de Montigny s’est à juste titre demandé pourquoi l’agente n’avait pas traité de ces autres éléments du rapport, faisant observer que l’agente avait procédé à une lecture très sélective du document (Sinnasamy, précité, aux paragraphes 32 et 33). Il a ensuite fait observer qu’aucune explication n’avait été donnée au sujet de la raison pour laquelle l’agente n’a pas tenu compte de ce document pour conclure que le demandeur disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Colombo.

 

[33]           Dans l’affaire Christopher, l’agent d’ERAR était arrivé à une conclusion qui contredisait carrément les renseignements contenus dans les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur, sans avoir examiné ces éléments de preuve. Mon collègue le juge Kelen a, comme on peut le comprendre, estimé que l’agent d’ERAR aurait dû mentionner et examiner expressément ces éléments de preuve. Il a ensuite examiné l’argument du demandeur suivant lequel l’agent d’ERAR avait commis une erreur en ne tenant pas compte du document de 2006 de l’UNHCR intitulé : Position de l’UNHCR relative aux besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires du Sri Lanka. La lecture de la décision ne permet pas de savoir avec certitude si ce rapport faisait partie des éléments de preuve soumis par le demandeur dans cette affaire. Le juge Kelen a fait observer que « lorsqu’une preuve nouvelle importante contredit la décision de l’agent d’ERAR, l’agent doit explicitement mentionner et analyser cette preuve ». À mon sens, ces propos ne laissent pas entendre que les agents d’ERAR ont l’obligation absolue d’examiner, de leur propre chef, les rapports les plus récents publiés par l’UNHCR au sujet du pays dont ils examinent la situation.

 

[34]           À mon avis, obliger les agents d’ERAR a prendre connaissance du rapport le plus récent de l’UNHCR ou de tout autre document particulier irait à l’encontre de la directive claire que la Cour suprême du Canada a donnée suivant laquelle « le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence » (Khosa, précité, au paragraphe 46; voir également l’arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 48, 49 et 53).

 

[35]           En conséquence, je ne puis conclure que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport de juillet 2009 de l’UNHCR.

 

[36]           Une autre raison pour laquelle je ne crois pas qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de ne pas tenir compte de ce rapport est le fait que ce dernier n’a été publié que quelques semaines avant sa décision. Bien que les agents d’ERAR soient jusqu’à un certain point tenus d’examiner les sources de renseignements les plus récentes pour procéder à leur évaluation du risque (Hassaballa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489, au paragraphe 33), la Cour a reconnu qu’« il ne serait pas réaliste d’attendre des agents d’ERAR qu’ils suivent en permanence l’évolution de la situation existant dans les pays d’origine de tous les demandeurs et qu’ils mettent continuellement à jour leurs analyses » (Pathmanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 6, au paragraphe 7).

 

[37]           Il importe que les demandeurs et leurs avocats se rappellent que c’est au demandeur qu’il incombe de présenter des éléments de preuve suffisants pour établir qu’il craint avec raison d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR ou qu’il serait exposé à un des risques prévus à  l’article 97 de la LIPR s’il devait retourner dans son pays d’origine. Obliger un agent d’ERAR à rechercher et à examiner les renseignements contenus dans un rapport déterminé irait à l’encontre de ce principe fondamental.

 

[38]           Lorsqu’il est convaincu que les éléments de preuve présentés par le demandeur renferment des renseignements fiables, objectifs et à jour, l’agent d’ERAR n’a aucune obligation de rechercher et d’aborder d’autres documents supplémentaires dans ses motifs. Il est toujours loisible à l’agent d’ERAR de compléter par des renseignements supplémentaires les éléments de preuve documentaires présentés par le demandeur. Lorsqu’il a des motifs de croire que les documents sur le pays que le demandeur lui a soumis ne sont pas fiables, objectifs ou à jour, l’agent peut s’acquitter de son obligation d’examiner des documents complémentaires en consultant une ou plusieurs sources généralement reconnues de renseignements fiables et objectifs. Quant à la source ou aux sources précisées consultées, le choix de l’agent d’ERAR appelle un degré élevé de déférence (Khosa, précité, au paragraphe 46).

 

C.     L’agente a-t-elle commis une erreur en ne vérifiant pas si M. Ariyaratnam connaîtrait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait retourner au Sri Lanka, compte tenu du fait qu’il est un jeune homme Tamoul du Nord du Sri Lanka?

 

[39]           La partie de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire dans laquelle l’agente a abordé la question de savoir si M. Ariyaratnam connaîtrait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait retourner au Sri Lanka ressemble beaucoup à la partie correspondante de la décision d’ERAR. Tout comme pour la décision d’ERAR, l’agente n’a pas traité du risque précis invoqué par M. Ariyaratnam et elle n’a pas expliqué pourquoi elle en arrivait à sa conclusion, compte tenu du fait qu’il est un jeune homme Tamoul du Nord du pays.

 

[40]           À l’audience qui s’est déroulée devant la Cour, l’avocat du défendeur a admis que, si je devais conclure que la décision d’ERAR comporte des lacunes sur ce point, il s’ensuivrait que la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire serait considérée comme comportant elle aussi des lacunes.

 

[41]           J’ai effectivement conclu que l’agente a commis une erreur en n’examinant pas, dans la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire, le risque de difficulté précis indiqué par M. Ariyaratnam et en n’expliquant pas pourquoi elle estimait qu’il ne connaîtrait pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait retourner au Sri Lanka, compte tenu du fait qu’il est un jeune homme Tamoul du Nord du pays.

 

 

E.      L’agente a-t-elle appliqué le mauvais critère pour évaluer la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire?

 

[42]           M. Ariyaratnam soutient que l’agente n’a pas appliqué le critère approprié, en l’occurrence le critère axé sur les éventuelles difficultés, pour évaluer sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. À cet égard, il se fonde sur le fait que, dans sa décision d’ERAR, l’agente reprend l’essentiel de l’analyse qu’elle avait faite dans la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire.

 

[43]           Je ne puis souscrire à cet argument. On ne saurait reprocher à un agent d’ERAR de reprendre des éléments de sa décision d’ERAR lorsqu’il rédige une décision en réponse à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, dès lors que les éléments ainsi repris sont analysés dans un cadre qui est axé sur la question de savoir si le demandeur est susceptible de connaître des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[44]           Au début de la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire, l’agente énonce clairement et correctement le critère approprié et elle en fait de même sous chacune des trois premières rubriques de sa décision. D’ailleurs, à la deuxième rubrique, elle propose une définition de l’expression « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Elle évalue également, sous des rubriques distinctes, des questions qui sont habituellement examinées dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, mais qui ne sont pas traitées dans le cadre d’une demande d’ERAR. Parmi ces questions, mentionnons les liens conjugaux, familiaux ou personnels qui pourraient causer les difficultés en question s’ils étaient coupés, le degré d’établissement de M. Ariyaratnam au Canada, le fait qu’il n’a pas d’enfant dont il faudrait examiner l’intérêt supérieur et la question de savoir s’il aurait du mal à se réadapter à la société et à la culture du Sri Lanka.

 

[45]           Il m’est donc impossible de conclure que l’agente n’a pas appliqué le bon critère pour évaluer la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire de M. Ariyaratnam.

 

VII.      Dispositif

 

[46]            Les demandes de M. Ariyaratnam sont accueillies. Les décisions par lesquelles il a été débouté de sa demande d’ERAR et de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire sont annulées. Les demandes en question sont renvoyées à un autre agent d’ERAR pour qu’il les réexamine conformément à la loi et aux présents motifs.

 

[47]           Il n’y a pas de question à certifier.


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que les présentes demandes de contrôle judiciaire sont accueillies. Les décisions par lesquelles M. Ariyaratnam a été débouté de sa demande d’ERAR et de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire sont annulées. Les demandes en question sont renvoyées à un autre agent d’ERAR pour qu’il décide, conformément à la loi et aux motifs qui précèdent, si M. Ariyaratnam (i) a qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR et/ou celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR ou (ii) a droit à une mesure spéciale en vertu de l’article 25 de la LIPR.

 

                                                                                                  « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5155-09 et IMM-5157-09

 

INTITULÉ :                                       IYENKARAN ARIYARATNAM c. MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)        

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 juin 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

Ned Djordjevic

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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