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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100601

Dossier : IMM-2738-09

Référence : 2010 CF 571

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2010

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Sabir Mohammad SHEIKH

Seema Sabir SHEIKH

Ashra Kamwal SHEIKH

Sami Mohammad SHEIKH

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision rendue le 27 mars 2009 par laquelle l’agent d’examen des risques avant renvoi F. Osmane (l’agent) a rejeté la demande de dispense réglementaire fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (demande CH) présentée par les demandeurs afin qu’ils puissent demander la résidence permanente depuis le Canada.

 

[2]               M. Sabir Mohammad Sheikh (Sabir) est le demandeur principal. Il est marié à Mme Seema Sabir Sheikh (Seema), et tous deux ont trois filles et un fils. La fille aînée, Mme Tayyaba Kanwal, est mariée et vit avec son époux à North York, en Ontario; elle a deux enfants. Elle n’est pas partie à la présente demande parce que son époux la parraine. La benjamine de Sabir est née au Canada et n’est pas elle non plus une demanderesse. Le fils de Sabir, Sami Mohammad (Sami), est né aux Émirats arabes unis, et son autre fille, Ashra Kamwal (Ashra), au Pakistan. Tous les demandeurs sont des citoyens du Pakistan.

 

[3]               Les demandeurs ont allégué dans le cadre de leur demande CH que les liens de Sabir avec le parti du peuple pakistanais (PPP) les exposaient à un risque de préjudice. L’épouse et les enfants du demandeur principal ont soutenu qu’ils s’exposeraient au même risque en raison de leur appartenance à un groupe social particulier, à savoir la famille.

 

[4]               Le 21 décembre 2001, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendu une décision qui leur était favorable. Cette décision a été annulée le 20 août 2007, en raison de la découverte d’une fausse déclaration et de l’absence d’autres éléments de preuve justifiant d’accorder l’asile au Canada aux demandeurs. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée à l’égard de cette décision.

 

[5]               L’agent a reconnu que l’évaluation du risque en cas de retour dans le pays d’origine dans le cadre d’une demande CH différait d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). On peut appliquer les articles 96 et 97 de la Loi dans le cadre d’un ERAR, tandis qu’il est essentiel pour trancher une demande CH d’établir s’il y aurait ou non des difficultés injustifiées ou excessives. L’agent a souligné que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve qui provenait d’une source indépendante ou qui corroborait leurs allégations afin de démontrer qu’ils feraient face à des difficultés du fait de leurs opinions politiques, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social particulier. C’était là le fardeau de preuve qui leur incombait, et ils ne s’en sont pas acquittés.

 

[6]               Dans le cadre d’une demande CH, il y a également lieu d’évaluer le degré d’établissement du demandeur au Canada. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 21 décembre 2000, et ils vivent ici depuis que, il y a près d’une dizaine d’années, leur demande d’asile a été accueillie.

 

[7]               De janvier 2003 à juin 2007, le demandeur principal a travaillé à son compte dans un bureau de consultants en immigration et, depuis juillet 2007, il travaille au Marché B.K. comme gérant. L’agent a relevé que le demandeur principal n’avait pas fourni de déclarations de revenu ni d’avis de cotisation pour confirmer son revenu ou corroborer son assertion selon laquelle il a payé de l’impôt sur le revenu depuis son arrivée au Canada. L’absence de ce type de preuve a influé défavorablement sur les conclusions de l’agent quant au facteur de l’établissement, le demandeur principal étant une personne instruite qui a travaillé au sein d’une banque dans les Émirats arabes unis – qui lui a décerné un certificat en reconnaissance de ses services – et qui était représentée par un avocat chevronné. Bref, l’omission de ces renseignements était inexcusable.

 

[8]               Le demandeur principal a fourni un relevé bancaire pour les mois de mars et de juin 2008, mais l’agent a conclu que ces relevés ne pouvaient pas remplacer valablement des relevés d’impôt ou des avis de cotisation visant de nombreuses années. L’agent a ensuite tourné son attention vers la déposition de M. Bilal Bakar, président de Marché B. K., qui révélait que le demandeur principal a occupé dans son entreprise le poste de gérant pendant un an. M. Bakar, néanmoins, a confirmé à l’agent que le demandeur principal n’occupait plus ce poste depuis février 2008.

 

[9]               Le décideur a conclu que de manière générale, quant à la question de l’établissement, le demandeur principal ne s’était pas acquitté du fardeau de preuve lui incombant. Il a relevé le fait que le demandeur principal avait produit six lettres attestant qu’il avait toujours été un homme bienveillant et généreux. L’agent a jugé que ce facteur, quoique favorable, ne justifiait pas de faire exception à l’obligation de présentation depuis l’étranger d’une demande de résidence permanente.

 

[10]           L’agent a ensuite continué et a évalué le facteur de l’établissement pour chacun des autres demandeurs.

 

[11]           En ce qui concerne l’épouse du demandeur principal, Seema, l’agent a conclu que celle-ci n’avait produit aucun élément de preuve démontrant qu’elle avait déployé des efforts pour s’intégrer à la collectivité. Le décideur a pris en compte le fait qu’elle avait eu un enfant en 2004, ce qui ajoutait à sa charge de travail à la maison, et il a ajouté comprendre qu’il puisse être difficile pour elle de s’intégrer pleinement à la société canadienne. Elle n’a fourni aucun indice, toutefois, quant à sa participation à des activités qui favoriseraient cette intégration. Le retour au Pakistan ne lui occasionnerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[12]           Pour ce qui est d’Ashra, la fille âgée de 25 ans du demandeur principal, l’agent a relevé qu’elle était divorcée, qu’elle avait récemment obtenu un diplôme d’études secondaires et qu’elle avait commencé à fréquenter l’Université Concordia en mai 2008. Elle est appréciée au magasin Walmart où elle travaille à temps partiel. L’agent a conclu qu’Ashra avait déployé des efforts certains pour s’établir après l’échec de son mariage.

 

[13]           L’autre enfant du demandeur principal, Sami, né en 1988 aux Émirats arabes unis, est citoyen du Pakistan et il a terminé ses études secondaires à Montréal en 2006. Depuis mars 2006, il travaille pour une société de sondage.  

 

[14]           L’agent a conclu au vu de la preuve que les enfants avaient fait davantage d’efforts que leurs parents pour réussir leur établissement au Canada. Ces efforts s’avéraient toutefois insuffisants en fin de compte, puisqu’il incombait aux enfants de démontrer en quoi présenter depuis l’étranger une demande de visa leur occasionnerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[15]           L’agent n’était pas convaincu que l’obligation faite aux deux enfants concernés de quitter leur emploi et d’interrompre leurs études occasionnerait, même en tenant compte de la conjoncture économique et des perspectives d’emploi, des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[16]           L’agent a pris en considération, enfin, l’intérêt supérieur de l’enfant née au Canada, Sabrina. L’agent a reconnu qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une enfant si jeune ait tissé des liens à Montréal et, qu’à son âge, cette enfant continuait d’être à la charge de ses parents. Mis à part une préoccupation générale, à savoir que Sabrina n’aurait pas la chance d’avoir la même qualité de vie à l’étranger, aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de besoins personnels ou médicaux particuliers démontrant que cette enfant pourrait subir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent a également fait remarquer que la plupart des membres de la famille élargie des demandeurs vivaient au Pakistan, ce qui ne jouait pas en faveur d’une conclusion selon laquelle l’enfant née au Canada serait exposé à des difficultés.

 

* * * * * * * *

[17]           Les décisions quant aux demandes CH sont de nature discrétionnaire et à « caractère largement factuel », de sorte qu’elles appellent la retenue et la norme de la raisonnabilité (Zambrano c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 481, 326 F.T.R. 174, paragraphe 31; Mooker c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 518). Les questions essentielles à examiner en l’espèce ont donc trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).

 

[18]           Le facteur des difficultés est d’importance lorsqu’il s’agit de trancher les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire présentées au Canada en vue d’obtenir une dispense des exigences réglementaires au Canada, principe qui sous‑tend la décision Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 10 Imm. L.R. (3d) 206, [2000] A.C.F. n° 1906 (1re inst.) (QL) de la Cour fédérale, où le juge Denis Pelletier a tiré la conclusion suivante :

[26]     Je reviens à l’observation que j’ai faite, à savoir que la preuve donne à entendre que les demandeurs s’intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n’est pas le critère. Si l’on appliquait ce critère, la procédure d’examen des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d’examen ex post facto l’emportant sur la procédure d’examen préalable prévue par la Loi sur l’immigration et par son règlement d’application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s’ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu’ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l’état du dossier, il ne s’agit pas d’une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. Quelle que soit la norme de contrôle que l’on applique à la décision de l’agente qui a examiné la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, cette décision satisfait à la norme. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[19]           Dans les observations à l’appui de leur demande CH, les demandeurs ont recommandé à l’agent de prendre en compte les facteurs de risque suivants en regard de leur situation familiale :

-  De longue date, des membres de la famille ont appartenu au PPP et exercé des activités en son sein; ils ont et été harcelés et tués (le père et un neveu du demandeur principal) par des terroristes liés au MQM. M. Sheikh et sa famille seraient exposés à un risque excessif de violence en raison de la recrudescence, attestée par des documents, de la violence sectaire au Pakistan.

-  La fille du demandeur principal serait exposée à un risque particulier en cas de retour, parce que l’État ne protège pas les femmes qui sont les cibles d’actes de violence. Les professionnelles et les femmes occidentalisées, en outre, risquent encore davantage d’être les cibles de tels actes.

-  L’avocat des demandeurs a fait valoir comme dernier facteur de risque dans le cadre de la demande CH la situation critique des droits de la personne au Pakistan. Parmi les documents invoqués à l’appui, il y avait une communication des Nations Unies de 1994 concernant la torture dont sont menacés au Pakistan les dissidents politiques du Cachemire.

 

 

[20]           Le défendeur insiste pour sa part sur le fait que la Commission, après découverte de fausses déclarations, a jugé que le demandeur principal n’était pas crédible. Selon le défendeur, le demandeur est tout simplement en désaccord avec les conclusions de la Commission concernant l’évaluation du risque en cas de retour. Le défendeur ajoute que, dans l’examen de la preuve produite par le demandeur principal pour faire valoir le risque en cas de retour, il faudrait tenir compte de la conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations tirée par la Commission lors de l’audience sur la demande d’annulation. Je partage cet avis. Quoique j’aurais pu en arriver moi-même à une conclusion différente à l’égard de la preuve, la conclusion du décideur, selon laquelle le demandeur principal ne serait pas exposé à un risque advenant son retour du fait de ses opinions politiques, n’était pas déraisonnable compte tenu de l’ensemble de la preuve et elle ne devrait pas être modifiée. Selon une règle de droit bien connue, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier la preuve de nouveau.

 

[21]           Toutefois, on n’a évalué le risque couru par Ashra advenant son retour ni dans le cadre de la demande d’annulation ni dans le cadre du processus d’ERAR. Le risque allégué pour Ashra ne semble avoir été examiné qu’aux fins des composantes « intérêt supérieur de l’enfant » ou « établissement » de la décision sur la demande CH.

 

[22]           L’avocat des demandeurs a fait valoir expressément l’existence d’un risque en cas de retour pour Ashra, fille du demandeur principal, et ce risque n’a pas fait l’objet d’examen dans la décision.

 

[23]           Ashra a été victime de violence aux mains de son ancien époux. Maintenant divorcée, elle poursuit ses études en sciences politiques et aspire à devenir criminaliste. Son ex-époux est d’origine pakistanaise. Ses projets professionnels et la lutte qu’elle mène pour se protéger de son ex‑époux seraient profondément minés si elle devait demander du Pakistan son visa de résident permanent. L’ex-époux d’Ashra a menacé de tuer cette dernière si elle retournait au Pakistan. Son intention de se venger du préjudice qu’il estime avoir subi (à savoir le divorce) est démontrée par sa dénonciation aux responsables de l’immigration des fausses déclarations des membres de la famille – dénonciation qui a fait perdre leur statut à ces membres.

 

[24]           Dans ses observations présentées au soutien de la demande CH, l’avocat des demandeurs a renvoyé au rapport d’avril 2002 d’Amnistie internationale comme source permettant d’affirmer que les femmes victimes de violence ne sont pas protégées au Pakistan. Ashra ne pourrait se réclamer de la protection de l’État si son ex-époux décidait de mettre sa menace à exécution.

 

[25]           Il est significatif qu’on explique dans le rapport d’Amnistie internationale que le meurtre de femmes par des hommes soit fréquent au Pakistan pour motif de relations [traduction] « illicites » ou d’« insubordination apparente » (c.-à-d. le divorce). Le risque couru par Ashra est mis en évidence par les conclusions suivantes d’Amnistie internationale : [traduction] « En vertu du droit international des droits de la personne, les autorités de l’État sont tenues d’empêcher la violence de la part des simples citoyens et des agents de l’État, mais l’État pakistanais s’est systématiquement soustrait à cette obligation. » On fait particulièrement état dans le rapport du nombre alarmant de meurtres de femmes qui demandent le divorce et l’obtiennent, à l’étranger ou au Pakistan. Les hommes qui tuent ces femmes ne sont pas persécutés et la société leur accorde son appui. Ce sont souvent les hommes de la famille de l’ex-époux qui tuent ou torturent ces femmes.

 

[26]           Le défaut de l’agent de prendre en considération ce risque particulier a assurément son importance, compte tenu de l’assertion d’Ashra selon laquelle son ex-époux lui avait infligé des mauvais traitements et avait menacé de la tuer si elle retournait au Pakistan et de la preuve documentaire corroborant l’existence d’un tel risque. Cela rend déraisonnable à mon avis la décision concernant Ashra, l’agent ayant caractérisé erronément les éléments de preuve et les observations présentés.

 

[27]           Dans les observations visant à démontrer la réussite de leur établissement au Canada les demandeurs ont en outre fait valoir les éléments clés qui suivent :

- Sabir – Il est bien établi dans son entreprise et il prend part aux activités de nombreux organismes communautaires.

-  Ashra – Elle a terminé ses études secondaires, elle travaille à temps partiel chez Walmart et elle poursuit actuellement ses études à l’Université Concordia, tout en visant ensuite à étudier le droit à l’Université McGill.

-  Sami – C’est un excellent étudiant qui aspire à devenir ingénieur.

-  Aucun des enfants adultes n’a jamais vécu au Pakistan. Le peu qu’ils connaissent de ce pays, ils l’ont appris lors de courts voyages de vacances effectués là-bas en famille.

 

 

 

[28]           Le défendeur soutient que l’agent, qui a louangé les enfants pour leur courage et leur détermination dans la poursuite de leurs études, a manifestement pris en considération la situation personnelle de ceux-ci. Je relève toutefois que l’agent n’a pas mentionné le fait que les enfants vivaient depuis dix ans au Canada, qu’avant leur arrivée ici ils avaient vécu dans les Émirats arabes unis et qu’ils n’avaient jamais vécu au Pakistan. L’agent n’a pas tenu compte non plus de l’immense choc culturel que les enfants adultes du demandeur principal auraient à vivre s’ils devaient être renvoyés vers le Pakistan. L’interruption de leurs études et de leur carrière pour une période indéterminée, la séparation d’avec leur sœur Tayyaba et ses enfants et d’avec leurs amis, de même que leur méconnaissance du Pakistan et l’absence de tout lien avec ce pays occasionneraient aussi manifestement des difficultés aux enfants adultes du demandeur principal. Or l’agent n’a pas évalué la preuve présentée à cet égard.

 

[29]           Je ne suis pas disposé à intervenir face à l’analyse par l’agent de la situation des parents et de leur plus jeune enfant, qui semble raisonnable au vu de l’ensemble de la preuve. Je suis toutefois d’avis qu’on ne peut pas estimer être raisonnable la décision relative aux enfants adultes, vu le défaut d’avoir reconnu et examiné leurs liens culturels avec le Canada et l’absence de tout lien avec le Pakistan. Ces enfants, qui étaient des personnes à charge aux fins de la demande d’asile de leur père, vivent maintenant au Canada depuis plus de dix ans, et leur situation devrait être prise en compte de manière distincte.

 

[30]           L’agent ne fait pas de distinction entre les difficultés « inhabituelles et injustifiées » – les difficultés non prévues à la Loi ou qui résultent de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur – et les difficultés « excessives » – celles qui auraient des répercussions excessives sur le demandeur en raison de sa situation personnelle (guide opérationnel IP-5). Quelle que soit la terminologie employée, toutefois, j’estime que la décision de l’agent portant que ni l’un ni l’autre enfant adulte ne serait exposé à des difficultés était déraisonnable, compte tenu de la preuve quant  au risque en cas de retour pour Ashra (et du défaut de reconnaissance de ce risque par l’agent) et de l’établissement réussi au Canada des deux enfants adultes, et que cette décision devrait donc être annulée.

 

[31]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur de la plus jeune enfant, finalement, j’estime tout comme le défendeur qu’il a suffi comme analyse de cet intérêt de faire état du fait que cette enfant était jeune et entièrement dépendante de sa famille immédiate.

* * * * * * * *

 

[32]           Pour tous les motifs qui précèdent, la décision de l’agent F. Osmane relative aux demandeurs Ashra Kamwal Sheikh et Sami Mohammad Sheikh sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. La décision rendue à l’égard de Sabir Mohammad Sheikh, le demandeur d’asile principal, et de son épouse, Seema Sabir Sheikh, appartenait aux issues possibles raisonnables et n’a pas à être modifiée.

 

[33]           Les demandeurs proposent la question suivante en vue de sa certification :

[traduction]

Les garanties énoncées aux articles 23 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques quant à la protection de la famille et la protection de l’enfant rendent-elles obligatoire l’acceptation de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire lorsqu’un conjoint canadien ou un enfant canadien est touché par la décision en l’absence de facteurs défavorables d’envergure?

 

 

 

[34]           Comme l’avocate du défendeur, j’estime que la question proposée ne devrait pas être certifiée parce qu’elle ne satisfait pas aux critères énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Liyanagamage c.Canada (M.C.I.) (1994), 176 N.R. 4.

 

[35]           La question des demandeurs est liée à un point sur lequel la Cour d’appel fédérale s’est déjà prononcée plus d’une fois (se reporter, par exemple, à l’arrêt Okoloubu c. Canada (M.C.I.), [2009] 3 R.C.F. 294). La question proposée n’est donc pas certifiée.

 


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 27 mars 2009 par l’agent d’examen des risques avant renvoi F. Osmane à l’égard des demandeurs Ashra Kamwal Sheikh et Sami Mohammad Sheikh est accueillie, la décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. La décision rendue à l’égard du demandeur principal, Sabir Mohammad Sheikh, et de son épouse Seema Sabir Sheikh est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2738-09

 

INTITULÉ :                                       Sabir Mohammad SHEIKH, Seema Sabir SHEIKH, Ashra Kamwal SHEIKH, Sami Mohammad SHEIKH c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET DU JUGEMENT :                       LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 1er JUIN 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stewart Istvanffy                                                                       POUR LES DEMANDEURS

 

Zoé Richard                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                                                       POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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