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Date : 20100526

Dossier : T-1862-09

Référence : 2010 CF 566

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 mai 2010

En présence de monsieur le protonotaire Kevin R. Aalto, chargé de la gestion de l’instance

 

ENTRE :

NOVOPHARM LIMITED

demanderesse

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Même s’il s’agit théoriquement d’une requête en confidentialité déposée en vertu de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, il y a en réalité en jeu une question beaucoup plus importante.La question concerne l’application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement). Plus particulièrement, un titulaire de brevet devrait-il être constitué comme partie à une demande de contrôle judiciaire visant une décision du ministre de la Santé (le ministre), laquelle oblige un fabricant de médicaments génériques (en l’espèce la demanderesse, Novopharm) à tenir compte d’un brevet du titulaire figurant au Registre des brevets canadiens (le registre)?

 

  • [2] Novopharm a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) et le ministre a décidé que Novopharm devait tenir compte d’un brevet précis figurant au registre, avant de pouvoir obtenir un avis de conformité.Novopharm conteste la décision du ministre pour différents motifs et demande à la Cour d’effectuer le contrôle judiciaire de la décision.Seule la décision du ministre est attaquée dans le présent avis de demande de contrôle judiciaire.Cette affaire devrait-elle être soumise à la Cour sous la forme d’une requête en confidentialité, dans laquelle le brevet en litige serait uniquement identifié par une lettre, tout comme le médicament en litige?Voici ce qu’a affirmé le ministre dans ses observations écrites :

[traduction]
En raison de la délivrance d’une ordonnance de non-divulgation et du dépôt subséquent d’un affidavit confidentiel, une partie directement touchée et ayant le droit de participer à l’instance ne sera pas en position de savoir qu’elle a ce droit.  Essentiellement, la procédure sera tenue secrète et ne sera pas révélée à ceux qui s’y intéressent le plus.

 

Les faits

 

  • [3] Le présent avis de demande de contrôle judiciaire découle du dépôt par Novopharm d’une PADN auprès du ministre pour un médicament qui, pour les fins de la présente requête et de la demande jusqu’ici, a été désigné comme le médicament A. Novopharm a affirmé au ministre que la PADN est telle qu’elle ne commande pas l’application du Règlement.Le ministre n’a pas approuvé; il a affirmé que le Règlement s’appliquait et a par conséquent refusé de délivrer un avis de conformité.En l’espèce, Novopharm souhaite faire annuler la décision du ministre et sollicite un jugement déclaratoire portant que le Règlement ne s’applique pas à la PADN.La décision, datée du 16 octobre 2009 (la décision), a été rendue aux termes du paragraphe 5(1) du Règlement et oblige Novopharm à tenir compte du brevet canadien no X pour pouvoir recevoir un avis de conformité pour la PADN déposée en lien avec le médicament A. Il existe une instance parallèle concernant également une décision du ministre se rapportant au brevet Y et au médicament B.

 

  • [4] L’avis de demande dans ces deux instances désigne les brevets au moyen de lettres, tout comme les médicaments en litige, sans nommer ni les brevets ni les médicaments.Essentiellement, Novopharm affirme qu’elle n’a pas à tenir compte du brevet X ou du brevet Y puisqu’ils ont été ajoutés au registre après l’achat par Novopharm des produits de référence canadiens à l’égard desquels ils ont été inscrits et après que Novopharm eut achevé ses études cliniques.La position de Novopharm est que les médicaments A et B ont été mis au point avant que les brevets X et Y ne soient délivrés et inscrits au registre.

 

  • [5] Novopharm sollicite les ordonnances suivantes :

1.  un bref de certiorari annulant la décision et un jugement déclaratoire selon lequel la demanderesse n’a pas à tenir compte du brevet canadien no X pour recevoir un avis de conformité pour sa présentation abrégée de drogue nouvelle concernant le médicament A;

 

2.  subsidiairement, un jugement déclaratoire portant que le paragraphe 5(1) du Règlement sur les avis de conformité est invalide et, par conséquent :

 

  • (a) un bref de certiorari annulant la décision censément rendue en vertu de cette disposition invalide;

 

  • (b) un jugement déclaratoire selon lequel la demanderesse n’a pas à tenir compte du brevet canadien no X pour recevoir un avis de conformité pour sa présentation abrégée de drogue nouvelle concernant le médicament A;

 

3.  une ordonnance interlocutoire regroupant la présente demande de contrôle judiciaire avec la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse visant la décision du ministre du 16 octobre 2009 concernant le médicament B;

 

4.  ses dépens pour la présente demande;

 

5.  tout autre redressement que l’avocat pourrait conseiller et que la Cour pourrait accorder.

 

  • [6] Le redressement réclamé dans l’instance parallèle T-1863-09 est similaire.

 

  • [7] La question de droit décrite par Novopharm dans son avis de demande est la suivante : un fabricant de médicaments génériques doit-il tenir compte de chaque brevet inscrit au registre des brevets ou doit-il uniquement tenir compte des brevets qui couvrent les inventions qui constituent des « travaux préalables »?Le Règlement énonce les conditions qui doivent être satisfaites avant qu’un avis de conformité puisse être délivré à l’« auteur anticipé » d’une invention.

 

Position de Novopharm

 

  • [8] Novopharm soutient qu’il est approprié de rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 151des Règles des Cours fédérales, dans le but de s’assurer que tous ses échanges avec le ministre se rapportant à l’examen de sa PADN resteront strictement confidentiels.Novopharm a brièvement énoncé sa position comme suit :

[traduction]
5.  Novopharm affirme respectivement que l’innovateur du médicament A et du médicament B ne peut être constitué partie aux présentes demandes.  Les décisions du ministre selon lesquelles Novopharm doit tenir compte du brevet X ont été rendues dans le contexte de la PADN confidentielle déposée par Novopharm.  Ces décisions relevaient du pouvoir discrétionnaire du ministre seulement, et n’ont fait l’objet d’aucune intervention de la part d’une autre partie, y compris l’innovateur du médicament A et du médicament B. Seuls Novopharm et le ministre sont au courant des décisions et, par conséquent, l’innovateur n’a pas qualité pour agir dans le contrôle judiciaire à cet égard.

 

6.  L’innovateur du médicament A et du médicament B n’est également pas un intervenant approprié aux présentes demandes.  L’innovateur n’a qu’un intérêt commercial (et non un intérêt juridique) dans l’issue de ces demandes, ce qui est insuffisant pour obtenir le statut d’intervenant.  En outre, les défendeurs sont tout à fait capables d’étudier toutes les questions légales et factuelles de ces demandes.  Enfin, aucun innovateur n’a demandé le statut d’intervenant depuis l’introduction de ces demandes.

 

7.  L’ordonnance de confidentialité que demande Novopharm est nécessaire pour empêcher un préjudice grave causé à ses intérêts commerciaux.  La divulgation de toute partie de la PADN de Novopharm entraînerait nécessairement la divulgation au public de la stratégie commerciale de Novopharm relativement au médicament A et au médicament B et, surtout, aux concurrents de Novopharm.  Dans une telle éventualité, un préjudice grave serait causé aux intérêts commerciaux de Novopharm en raison de l’interférence ou de l’immixtion de l’innovateur du médicament A et du médicament B.

 

  • [9] La position du ministre est qu’un innovateur a certains droits dans une instance comme celle qui nous occupe et puisque ses droits peuvent être entravés, il est clair qu’il peut être directement touché et qu’il doit être nommé comme défendeur.Le paragraphe 303(1) des Règles des Cours fédérales énonce que toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée dans une demande doit être désignée à titre de défendeur.Le ministre affirme que lorsqu’un fabricant de médicaments génériques intente une procédure concernant les droits d’un innovateur en vertu du Règlement, l’innovateur a le droit d’être partie à la procédure.

 

Questions en litige

 

  • [10] Les questions à trancher sont les suivantes :

    1. Est-ce que les droits de l’innovateur sont touchés d’une façon telle que l’innovateur devrait être partie à ces procédures?

    2. Dans la négative, est-ce qu’il est approprié de rendre une ordonnance de confidentialité dans laquelle on ne nomme ni le brevet, ni le médicament, ni l’inventeur?

Analyse

 

  • [11] La Cour s’est penchée à maintes reprises sur des questions de confidentialité dans le contexte de procédures judiciaires.La confidentialité a été rejetée au motif que le grand principe en jeu dans toute instance est celui de l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires (voir Novopharm Limited v. Company X, 2008 FC 840, et Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 846).

 

  • [12] Les ordonnances de confidentialité et de non-divulgation font partie de la procédure habituelle des actions touchant la propriété intellectuelle, où les droits exclusifs, commerciaux et scientifiques des parties pourraient être gravement compromis par la production ou la divulgation de renseignements.En fait, les ordonnances de ce type sont généralement rendues dans pratiquement chaque instance intentée en vertu du Règlement et immanquablement dans la plupart des actions en contrefaçon de brevet ou en invalidité de brevet.

 

  • [13] L’argument essentiel à la position de Novopharm est la reconnaissance par le ministre et la Cour que les présentations de drogues sont confidentielles, et ne concernent que le ministre et le commanditaire du médicament.La Cour a affirmé que la confidentialité constitue la pierre angulaire du régime de réglementation prévu par le Règlement [voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 5 C.P.R. (4th) 149 (C.A.F.) (aux paragraphes 3 à 7).En l’espèce, il ne fait pas de doute que la PADN constitue un document confidentiel qui ne concerne que Novopharm et le ministre.Elle est déposée en toute confiance et le ministre et tous les fabricants de médicaments génériques, et pas uniquement Novopharm, agissent en tenant pour acquis que la PADN restera un document strictement confidentiel entre le fabricant de médicaments génériques et le ministre.Comme la Cour l’a observé :

 

[2]  L’existence, le contenu et le statut de la demande d’AC de la demanderesse sont confidentiels.  Afin de préserver cette confidentialité, la drogue en question est désignée « pms-X/Y » plutôt que par son nom de marque proposé.  Ses composantes sont désignées « composante X » et « composante Y » plutôt que par leurs noms moléculaires, et l’affection pour laquelle l’approbation est demandée est appelée « affection A » plutôt que par son véritable nom.  La demande d’AC de la demanderesse renvoyait à un produit de référence canadien, qui, pour les mêmes soucis de confidentialité, sera dénommé « REFPRO », fabriqué par une autre entreprise, à savoir « Pharmacompany ».

 

Pharmascience Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1323, au paragraphe 2 (sous la plume du juge Kelen).

 

  • [14] Du point de vue du public, on a souligné que l’intérêt public à l’égard du contenu de telles présentations est minime, s’il existe (voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2003), 5 C.P.R. (4th) 149, au paragraphe 7 (C.A.F.), alors que la Cour d’appel a affirmé ce qui suit :

Ne soyons pas naïfs. L’intérêt public de connaître précisément le procédé de fabrication de médicaments est minime, s’il existe, et personne ne peut sérieusement affirmer que la délivrance d’ordonnances de non-divulgation comme celles qui sont en litige dans une instance relative à un avis de conformité met en danger le principe de la transparence de la justice. Les parties elles-mêmes peuvent contester la confidentialité véritable de certains documents suivant les clauses de ces ordonnances, et la Cour sera toujours disposée à entendre éventuellement la contestation d’un tiers, que les clauses de l’ordonnance le prévoient ou non.

 

  • [15] Novopharm sollicite une ordonnance de non-divulgation protégeant les détails de sa PADN pour le médicament A et le médicament B, et l’examen fait par le ministre de la PADN, d’une éventuelle communication au public.En réalité, il ne s’agit pas d’empêcher leur communication au public, mais plutôt au titulaire du brevet et aux concurrents de Novopharm.À cette fin, Novopharm demande dans son ordonnance de non-divulgation de désigner les brevets uniquement comme le brevet X et le brevet Y et les médicaments comme le médicament A et le médicament B. Novopharm n’a pas communiqué au public l’identité du médicament A ou du médicament B et, à l’exception du ministre et de Novopharm, aucune partie ne connaît l’identité du brevet X, du brevet Y, du médicament A et du médicament B.

 

  • [16] Novopharm affirme que la divulgation des détails relatifs à la PADN entraînera la divulgation de la stratégie commerciale et juridique de Novopharm, ce qui se traduira par un préjudice grave causé à ses intérêts commerciaux.Il est précisément indiqué que les intérêts commerciaux constituent l’un des éléments à protéger.Novopharm souligne de possibles mesures que pourrait prendre un innovateur pour intervenir dans la présente demande ou retarder l’entrée sur le marché de Novopharm, s’il prenait connaissance de la PADN.Cela nous amène à nous demander si l’innovateur peut ou non être constitué en partie et devrait être ajouté à la présente instance.

 

  • [17] Bien sûr, c’est au ministre seul de décider si une seconde personne (Novopharm) entre dans le champ d’application du paragraphe 5(1) du Règlement, par suite du dépôt d’une PADN.Il revient au ministre de décider si Novopharm doit ou non tenir compte des brevets inscrits au registre.L’innovateur ne prend part à aucune partie du processus.Récemment, le juge Hughes a examiné la nature des instances introduites en vertu du Règlement et a fait l’observation suivante :

[92]  Ferring fait valoir un autre argument, soit que les décisions du ministre ont été rendues sans avis donné à Ferring et sans qu’elle ait la possibilité d’être entendue. Elle soutient que ce comportement est inéquitable et contrevient aux principes de la justice naturelle.

[94]  Les parties renvoient à un arrêt de la Cour suprême du Canada, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, aux paragraphes 21 à 28, pour l’examen de ce que l’obligation d’équité pourrait imposer dans des circonstances particulières. Dans cet arrêt rendu à la majorité, la juge L’Heureux-Dubé a dit au paragraphe 21 que la notion est éminemment variable et est tributaire du contexte particulier de chaque cas. Au paragraphe 23, elle a déclaré que plus la procédure prévue ressemble à une procédure judiciaire, plus il est probable qu’il y ait des protections procédurales, comme celles qui sont accordées dans un procès. Deuxième facteur, la teneur de la loi particulière doit être prise en compte. Une troisième considération joue, soit l’importance de la décision pour la personne visée. Un quatrième facteur est l’attente légitime de la personne qui attaque la décision. Cinquièmement, il faut prendre en considération le choix de procédure dont dispose le décideur.

 

[93]  Le ministre soutient que la décision est de nature administrative et que rien dans le Règlement AC ou dans le Règlement sur les aliments et drogues ne l’oblige à aviser l’innovateur qui a soumis une liste de brevets qu’un fabricant de génériques cherche à obtenir un avis de conformité ni à accorder à l’innovateur le droit d’être entendu avant la décision.

 

[95]  Examinons ces critères : premièrement, la décision du ministre de délivrer un avis de conformité, y compris celle de savoir si le fabricant du générique est assujetti au paragraphe 5(1), est de nature administrative; deuxièmement, le Règlement ne prévoit aucune forme d’avis ou d’audience à l’intention d’autres personnes; troisièmement, l’innovateur est touché par la décision en ce qu’il peut perdre la possibilité d’engager une procédure en vertu du Règlement AC, perdant ainsi l’occasion de gagner un sursis de deux mois, encore que ce soit là un recours exceptionnel et dont on ne peut se prévaloir de droit; quatrièmement, rien dans le Règlement ne justifie que l’innovateur s’attende à être consulté et entendu avant la délivrance d’un avis de conformité à un fabricant de générique, sous réserve de la réception d’un avis d’allégation dans le cas et au moment où le fabricant de générique est tenu comme « seconde personne » en vertu du paragraphe 5(1) d’envoyer un tel avis, la procédure entre le fabricant du générique et le ministre étant pour le reste confidentielle; cinquièmement, le ministre n’a pas le choix de faire participer l’innovateur ou de ne pas le faire.

 

[96]  Il n’y a pas de précédent d’un ministre donnant un avis à l’innovateur ou lui accordant la possibilité d’être entendu au cours de la procédure de délivrance d’un avis de conformité à un fabricant de médicaments génériques.  Il est fait référence, dans les motifs de la décision de la Section de première instance dans l’affaire AstraZeneca (2004), 36 C.P.R. (4th) 519, aux paragraphes 55 et 56, à des communications entre le ministre et l’innovateur.  Un examen du dossier visé indique que le ministre a écrit à l’innovateur le 13 janvier 2004, sans lui communiquer l’existence d’une demande d’avis de conformité en instance de la part d’un fabricant de génériques.  Le ministre a simplement demandé des renseignements pour savoir si les comprimés LOSEC 20 de l’innovateur avaient été commercialisés au Canada depuis la date de son avis de conformité, soit le 4 juin 1999.  L’innovateur n’a été invité à présenter des observations d’aucune sorte sur l’impact potentiel de l’absence de commercialisation.  Aucune forme d’audience n’a été tenue par le ministre; il s’agissait d’une simple demande de renseignements.

 

Ferring Inc. c. Canada (Santé), 2007 CF 300

 

  • [18] Le juge a conclu son analyse en faisant remarquer que rien n’obligeait le ministre à informer l’innovateur de la demande en instance du fabricant de génériques.Il a conclu qu’une telle demande devait demeurer confidentielle.De plus, le juge Hughes a souligné que rien dans le Règlement n’obligeait le ministre à accorder à l’innovateur la possibilité d’être entendu avant que le ministre décide si les dispositions du paragraphe 5(1) du Règlement s’appliquaient au fabricant du générique.Ainsi, le juge Hughes a estimé que l’innovateur n’avait pas qualité pour demander un contrôle judiciaire de la décision du ministre de délivrer un avis de conformité.Toutefois, la Cour d’appel fédérale a renversé cette partie du jugement et a conclu que l’innovateur avait qualité pour contester la décision du ministre de délivrer un avis de conformité au fabricant du générique, parce que la décision a été rendue par le ministre dans le contexte de l’administration du Règlement.

 

  • [19] Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.Il n’y a pas eu de décision de délivrer un avis de conformité.La décision porte uniquement sur les brevets dont doit tenir compte Novopharm.Au mieux, l’innovateur pourrait avoir un intérêt à l’égard de la présente instance à titre de partie si Novopharm était obligée de tenir compte des brevets ou si un avis de conformité était émis.Toutes les mesures prises jusqu’ici ne concernent que le fabricant de médicaments génériques et le ministre, et sont confidentielles.Si la décision du ministre est renversée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire et que par la suite le ministre délivre un avis de conformité à Novopharm, le titulaire du brevet aura alors qualité pour demander le contrôle judiciaire de cette décision.Si la décision du ministre est confirmée, Novopharm aura alors l’obligation de tenir compte des brevets.Dans un cas comme dans l’autre, les droits de l’innovateur sont préservés.

 

  • [20] À cette étape des procédures, puisque la décision concerne uniquement les droits de Novopharm, le titulaire du brevet n’apparaît pas comme une partie nécessaire.L’innovateur n’a aucun intérêt si Novopharm a raison et qu’elle n’est pas dans l’obligation de tenir compte des brevets enregistrés ultérieurement; si Novopharm a tort, les droits juridiques de l’innovateur sont alors protégés, puisque Novopharm devra tenir compte des brevets de l’innovateur.Il se pourrait qu’à mesure que l’instance progresse, des développements surviennent et modifient le contexte de telle façon que l’innovateur puisse devenir une partie nécessaire.Mais ce ne semble pas être le cas pour l’instant, vu la façon dont l’affaire se déroule.

 

  • [21] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522, a énoncé le critère à satisfaire pour obtenir une ordonnance de confidentialité :

(a)  elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

 

(b)  ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

  • [22] Il est clair que les intérêts commerciaux de Novopharm sont en jeu.Elle a traité avec le ministre dans le cocon de la confidentialité.C’est uniquement la décision du ministre qui est en litige.Le titulaire du brevet n’a actuellement pas d’intérêt direct en jeu, qui lui donnerait le droit d’être ajouté comme partie.

 

  • [23] Même si le grand principe de notre système judiciaire veut que les tribunaux soient ouverts et accessibles, nous sommes ici devant l’une des rares exceptions où le véritable intérêt commercial de Novopharm doit être protégé à cette étape.Novopharm s’est engagée dans un processus que tous les participants ont considéré comme étant confidentiel et elle se retrouve maintenant dans une position où elle devrait divulguer ses intérêts commerciaux pour contester une décision qu’elle juge erronée.Novopharm a le droit de contester la décision.

 

  • [24] L’avocat représentant le ministre a entrepris de transformer une question qui concerne une décision du ministre et le droit du titulaire de brevet de participer en une question qui concerne le processus décisionnel des tribunaux auquel le titulaire du brevet avait le droit de participer.L’argument a été formulé comme suit :

    1. [traduction]
      Novopharm affirme par erreur que « [...] l’avocat représentant les défendeurs insère effectivement l’innovateur dans le processus décisionnel du ministre [...] ». En l’espèce, bien sûr, c’est le processus décisionnel de la Cour qui est en jeu; le processus décisionnel du ministre est terminé.Ici, le grand principe en jeu est celui de l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

 

  1. De plus, Novopharm affirme que l’innovateur aura le droit de demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre de délivrer un avis de conformité.Toutefois, cela ne signifie pas que l’innovateur doive participer à la présente instance; en fait, l’affirmation renforce la position des défendeurs, de la façon suivante.Si Novopharm devait avoir gain de cause à l’issue du contrôle judiciaire sous-jacent, et que le ministre devait délivrer un avis de conformité, l’innovateur aurait clairement qualité pour contester sa décision.Paradoxalement toutefois, une telle contestation de la part de l’innovateur aurait peu de chance d’être accueillie, parce que la question aura déjà été tranchée – sans la participation de l’innovateur – dans le cadre de la présente instance.

 

  • [25] Selon cet argument, l’innovateur est directement touché.Ainsi, suivant le principe de la publicité des débats judiciaires, puisque l’innovateur est une partie touchée par toute décision que rendra la Cour dans la présente instance, il doit être partie à l’instance.Je ne suis pas d’accord.

 

  • [26] C’est la décision du ministre qui est en litige.Cette décision ne touche que les droits de Novopharm.L’innovateur n’a pas participé aux délibérations ni constitué le dossier sur lequel s’est appuyé le ministre pour rendre sa décision.L’innovateur a un intérêt après le fait.Le ministre renonce, en partie, à sa responsabilité de justifier la décision du présent contrôle judiciaire en invitant l’innovateur à participer et à aider à soutenir la décision, pour des motifs visant principalement à protéger les intérêts de l’innovateur et non l’intégrité du propre processus décisionnel interne du ministre et de son dossier.Pour ce faire, le ministre révélerait à l’innovateur le dossier sur lequel il s’est appuyé pour rendre sa décision, révélant par le fait même des renseignements sur Novopharm qui sont implicitement confidentiels dans le contexte de la procédure de PADN.

 

  • [27] Plusieurs affaires ont été citées durant les plaidoiries pour soutenir le principe de la publicité des débats judiciaires, comme l’a indiqué le ministre.Même si la Cour endosse entièrement ce grand principe de la publicité des débats judiciaires, il s’agit d’une des rares exceptions où la Cour dispose de suffisamment d’éléments de preuve pour justifier le maintien de la confidentialité des brevets et des médicaments en cause.La jurisprudence citée pour appuyer la position du ministre se distingue des faits en l’espèce.

 

  • [28] Dans Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] A.C.F. no 879 [Apotex 1994], la demanderesse n’a pas divulgué l’identité du requérant.Plusieurs innovateurs ont demandé à intervenir et Apotex a reçu ordre d’identifier l’innovateur de façon à ce qu’il puisse décider s’il souhaitait être ajouté à titre de partie à l’instance.Toutefois, dans cette affaire, la question était de savoir si un avis de conformité devrait être délivré à Apotex.Ainsi, on a déterminé que l’innovateur ayant un intérêt exclusif était une partie nécessaire, ou tout au moins avait le droit de décider s’il souhaitait participer à l’instance.La présente affaire ne concerne pas la délivrance d’un avis de conformité.Elle concerne la question de savoir si le Règlement devrait être appliqué, de telle façon que Novopharm ait l’obligation de tenir compte d’un brevet inscrit au registre des brevets.Dans ce contexte, les droits de l’innovateur ne sont pas en jeu à cette étape de la PADN de Novopharm.Il ne s’agit pas d’une demande de contrôle judiciaire où le ministre doit délivrer un avis de conformité.

 

  • [29] Dans Apotex Inc. c. (Ministre de la Santé), 2006 CF 846 (Apotex 2006), la question en litige concernait également une ordonnance de confidentialité.Là encore, l’innovateur n’a pas été identifié.La Cour a estimé qu’aucune ordonnance de confidentialité ne serait accordée tant que l’innovateur ne serait pas avisé.Dans cette affaire, un appel interjeté à l’encontre de la décision d’un protonotaire, le juge Mosley a indiqué ce qui suit :

[...] Apotex cherche à saisir la justice du différend qui l’oppose au ministre en ce qui concerne l’application du Règlement sans avoir à subir l’inconvénient que représente pour elle l’intervention d’une société innovatrice susceptible de posséder des droits exclusifs sur le produit de référence canadien sur lequel elle cherche à se fonder dans sa PADN.

 

[15]  Le grand principe en jeu dans la présente affaire est celui de l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires. Le pouvoir d’accorder une ordonnance de confidentialité constitue une exception discrétionnaire à ce principe. Les intérêts commerciaux de la demanderesse revêtent une importance secondaire mais on peut en tenir compte lorsque, comme il est précisé dans l’arrêt Sierra Club, les effets bénéfiques de l’ordonnance de confidentialité l’emportent sur ses effets préjudiciables. Saisi d’une requête visant à obtenir une telle ordonnance, le protonotaire doit, à mon avis, s’assurer que la partie qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur a avisé toutes les personnes qui sont susceptibles d’être touchées par la demande principale.

 

[16]  Dans ce contexte, on ne saurait dissocier la requête en ordonnance de confidentialité de la question de savoir si toutes les personnes devant régulièrement être constituées parties ont été dûment avisées de la demande principale, étant donné que le prononcé de l’ordonnance sollicitée aura notamment pour effet d’empêcher toute personne qui est susceptible d’être touchée d’être mise au courant de l’existence de cette instance. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est évident que la demande principale et la requête sont susceptibles d’avoir une incidence directe sur les droits exclusifs d’un tiers innovateur. Compte tenu de l’économie du régime réglementaire, il n’était pas nécessaire de présenter des éléments de preuve pour établir ces faits.

 

  • [30] Dans cette affaire, le Règlement s’appliquait.Toutefois, il y a une distinction nette entre cette affaire et la présente instance.La position de Novopharm est que le ministre commet une erreur en demandant à Novopharm de tenir compte d’un brevet inscrit au registre, qui a été enregistré après la PADN.Ce n’est pas cette question que devait trancher la Cour dans Apotex 2006.Même si le Règlement s’applique dans la présente décision, c’est une question liée au registre.À cette étape, seuls les intérêts commerciaux de l’innovateur sont engagés, pas ses intérêts légaux.

 

  • [31] Le ministre affirme que la décision a été uniquement rendue en application du Règlement.Par conséquent, il affirme que les droits légaux de l’innovateur sont automatiquement engagés et qu’il a le droit légal de faire appliquer le Règlement.Même si l’innovateur a le droit légal de s’assurer que le Règlement est respecté, la présente instance traite d’un aspect précis du processus qui n’engage pas encore les droits de l’innovateur.

 

  • [32] Les autres affaires citées par le ministre se distinguent aussi de la présente instance, en ce sens que la question en litige était de savoir si le Règlement s’appliquait [par exemple, voir Apotex Inc. v. Canada (Minister of Health), [2000] F.C.J. No 248; et Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) [1994] A.C.F. no 879].

 

  • [33] Enfin, le ministre s’appuie sur la décision Novopharm Limited v. Company “X”, 2008 FC 840, dans laquelle la Cour a conclu que l’instance ne pouvait se poursuivre sans inclure le nom exact du défendeur. Le principe de la publicité des débats judiciaires était clairement en litige, et la décision rendue était que l’instance devait se poursuivre avec le nom exact du défendeur.Les faits se distinguent nettement de la présente instance.

 

  • [34] Même si le Règlement est appliqué, il s’agit de l’un des rares cas où Novopharm devrait être en mesure de protéger sa PADN d’une divulgation à ses concurrents et à l’innovateur des médicaments, qui n’étaient pas inscrits au registre quand elle a déposé sa PADN.Par conséquent, l’ordonnance de confidentialité doit être prononcée en la forme proposée par l’avocat représentant Novopharm, avec des références aux brevets et aux médicaments en cause par des lettres.


 

ORDONNANCE

 

  LA COUR ORDONNE qu’une ordonnance de confidentialité soit prononcée, en la forme indiquée à l’annexe A de l’avis de requête en l’espèce.

 

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire chargé de la gestion de l’instance

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :  T-1862-09

 

INTITULÉ :  NOVOPHARM LIMITED

c. 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 26 JANVIER 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS :  LE 26 MAI 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan Stainsby

Andrew McIntyre

 

POUR LA DEMANDERESSE

Frederick B. Woyiwada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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