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Federal Court

Cour fédérale


 

Date : 20100511

Dossier : T-1476-08

Référence : 2010 CF 510

Toronto (Ontario), le 11 mai 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

MERCK & CO., INC.

ET MERCK FROSST CANADA LTD.

demanderesses

 

 

 

 

et

 

 

 

PHARMASCIENCE INC.

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (Règlement AC). Les demanderesses sont la propriétaire du brevet en litige (Merck & Co., Inc.) et sa licenciée canadienne (Merck Frosst Canada Ltd.). Je les désignerai ensemble sous le nom de Merck. La défenderesse, Pharmascience Inc., est un fabricant de médicaments génériques qui cherche à obtenir de l’autre défendeur, le Ministre de la Santé, l’autorisation de commercialiser au Canada un médicament, le finastéride, pour le traitement de la calvitie chez l’homme.

 

[2]               Les allégations originelles de Pharmascience concernaient plusieurs brevets et plusieurs revendications, mais il ne reste maintenant en litige qu’un seul brevet, le brevet canadien nº 2,173,457 (le brevet 457), et une seule revendication de ce brevet, la revendication 5. La seule question que doit trancher la Cour est de savoir si l’allégation d’invalidité de la revendication 5 du brevet 457 faite par Pharmascience, pour divers motifs, est « justifiée » en vertu des dispositions du paragraphe 6(2) du Règlement AC. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que l’allégation est justifiée, rejette la demande et adjuge les dépens à Pharmascience.

 

Le brevet 457 et la revendication 5

[3]               Le brevet en litige, le brevet 457, porte le titre « Utilisation des inhibiteurs de la 5-alpha réductase et compositions pour le traitement de l’alopécie androgénétique ». Il est régi par les dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, dans sa version postérieure au 1er octobre 1989, parfois désignée comme la « nouvelle » Loi sur les brevets. La demande relative au brevet visé a été déposée au Canada après cette date, soit le 11 octobre 1994. Elle est devenue accessible au public le 20 avril 1995, date de sa publication. Le brevet a été délivré à la demanderesse Merck & Co. Inc. le 23 mars 1999. Il arrive à expiration vingt (20) ans après la date de dépôt au Canada, soit le 11 octobre 2014.

[4]               La seule revendication en litige du brevet 457 est la revendication 5. Il s’agit d’une revendication « dépendante » car son libellé intègre les dispositions d’autres revendications. En l’espèce, il faut lire chacune des revendications 1, 2, 3 et 4 pour comprendre la revendication 5. Je reprends ci‑dessous chacune de ces revendications.

[traduction]

            1.         L’utilisation d’un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 pour la préparation d’un médicament adapté à l’administration orale, utile pour le traitement de l’alopécie androgénétique chez l’humain et dont la dose est d’environ 0,05 à 3,0 mg.

 

            2.         L’utilisation de la revendication 1, dans laquelle l’inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 est le 17β-(N-tert-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-1-ène-3-one.

 

            3.         L’utilisation de la revendication 2, dans laquelle la dose est d’environ 0,05 à 1,0 mg.

 

            4.         L’utilisation de la revendication 3, dans laquelle la dose est d’environ 1,0 mg.

 

            5.         L’utilisation de la revendication 4, dans laquelle l’alopécie androgénétique est une calvitie androgénétique touchant l’homme.

 

 

[5]               Après l’intégration de toutes les références aux revendications antérieures dans la revendication 5, celle‑ci serait libellée comme suit :

            5.         L’utilisation de la 17β-(N-tert-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-1-ène-3-one pour la préparation d’un médicament adapté à l’administration orale, utile pour traiter la calvitie chez l’homme et pour laquelle la dose est d’environ 1,0 mg.

 

[6]               Heureusement, la partie descriptive du brevet 457 à la page 2, lignes 9 et 10, utilise le mot « finastéride » au lieu de la description chimique longue et complexe mentionnée ci‑dessus; par conséquent, la revendication 5 peut être rédigée comme suit :

5.         L’utilisation du finastéride pour la préparation d’un médicament adapté à l’administration orale, utile pour traiter la calvitie androgénétique chez l’homme et dans laquelle la dose est d’environ 1,0 mg.

 

[7]               La revendication est rédigée dans un mode particulier d’origine européenne, désigné sous le nom de revendication « suisse ». J’examinerai plus loin dans les présents motifs le mode « suisse » de la revendication 5.

 

Le brevet 457

[8]               Il faut lire le brevet 457 du point de vue de la personne versée dans le domaine auquel il appartient, à la date de publication du 20 avril 1995. On se rappellera que le titulaire du brevet est lié par ses déclarations, par exemple sur ce qui forme l’état de la technique (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CF 596, 58 C.P.R. (4th) 214, au paragraphe 142 (CF); Whirlpool Corp. c. Camco Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 150, à la page 186 (C.F. 1re inst.), conf. par [2000] 2 R.C.S. 1067; Shire Biochem Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538, 67 C.P.R. (4th) 94, au paragraphe 24; Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2005 CF 1299, 42 C.P.R. (4th) 502, au paragraphe 78).

 

[9]               Le brevet commence à la page 1 par un énoncé général sur le domaine de l’invention. Celui-ci concerne le traitement d’une affection appelée alopécie androgénétique (abrégée en « aa » par les tribunaux anglais), notamment la calvitie androgénétique chez l’homme, à l’aide de composés décrits comme étant des inhibiteurs de l’isoenzyme de type 2 de la 5-alpha réductase (parfois appelée 5α-réductase) :

 

[traduction] La présente invention concerne le traitement de l’alopécie androgénétique, notamment la calvitie androgénétique chez l’homme, à l’aide de composés qui sont des inhibiteurs de l’isoenzyme de type 2 de la 5-alpha réductase.

 

 

[10]           Les pages 1 et 2 du brevet décrivent le contexte de l’invention et examinent plus particulièrement les stéroïdes et les effets hormonaux. Dans la présente procédure, on renvoie souvent à l’acronyme HBP pour désigner la manifestation physique correspondant à l’hyperplasie bénigne de la prostate :

[traduction]

CONTEXTE DE L’INVENTION

 

            Certaines manifestations physiologiques indésirables, comme l’acné vulgaire, la séborrhée, l’hirsutisme chez la femme, l’alopécie androgénétique, qui comprend la calvitie autant chez la femme que chez l’homme, et l’hyperplasie bénigne de la prostate, résultent d’une stimulation hyperandrogénique attribuable à une trop grande accumulation de testostérone (TP) ou d’hormones androgéniques semblables dans le métabolisme. Les premières tentatives visant la découverte d’un agent chimiothérapeutique permettant de contrer les effets indésirables de l’hyperandrogénisme ont abouti à la mise au point de plusieurs antiandrogènes stéroïdiens présentant des activités hormonales indésirables par eux‑mêmes. Par exemple, les œstrogènes non seulement neutralisent les effets des androgènes, mais ont des effets féminisants. Des antiandrogènes non stéroïdiens ont aussi été mis au point, par exemple, le 4’-nitro-3’-trifluorométhylisobutyranilide. Voir Neri et coll., Endocrinol 1972, 91 (2).Toutefois, ces produits, bien qu’ils soient dépourvus d’effets hormonaux, entrent en compétition avec tous les androgènes naturels pour ce qui est des sites sur les récepteurs. C’est pourquoi ils ont tendance à avoir des effets féminisants chez l’homme ou le fœtus de sexe masculin et/ou à amorcer un mécanisme de rétrorégulation qui cause une hyperstimulation des testicules.

 

[11]           Dans le paragraphe suivant de la description du contexte du brevet 457, on considère la 5α-dihydrotestostérone (DHT) comme une substance produite dans des organes cibles, la prostate par exemple, par la 5α-réductase. L’inhibition de la 5α-réductase dans ces organes serait donc bénéfique. Il est à noter qu’il existe au moins deux types de 5α-réductase, le type 1 et le type 2. Dans la présente procédure, on discute beaucoup des interactions avec la 5α‑réductase de type 1 et de type 2 et des endroits de l’organisme où l’on trouve ces types d’enzymes :

[traduction] Le principal médiateur dans certains organes cibles, p. ex. la prostate, ou l’activité androgénique qu’on y décèle est attribuable à une 5α-dihydrotestostérone (DHT), formée localement dans l’organe cible par l’action de la testostérone-5α-réductase. Les inhibiteurs de la testostérone-5α-réductase serviront à prévenir ou à réduire les symptômes d’une stimulation hyperandrogénique dans ces organes. Voir plus précisément le brevet américain nº 4, 377,584 attribué à Merck & Co., Inc., délivré le 22 mars 1983. On sait aujourd’hui qu’il existe une deuxième isoenzyme de la 5α‑réductase, qui interagit avec des tissus cutanés, en particulier les tissus du cuir chevelu. Voir, p. ex., G. Harris et coll., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, Vol. 89, pages 10787 à 10791 (nov. 1992). L’isoenzyme qui interagit principalement dans les tissus cutanés est appelée par convention la 5α-réductase de type 1, tandis que l’isoenzyme qui agit principalement dans les tissus de la prostate est appelée 5α-réductase de type 2.

 

L’extrait ci‑dessus renvoie à un article de Harris qui a été analysé en profondeur par les experts et lors des plaidoiries. Selon le brevet, Harris affirme que la réductase de type 1 se trouve dans les tissus cutanés alors que celle de type 2 se trouve dans la prostate.

 

[12]           Le paragraphe suivant de la partie Contexte du brevet 457 contient une importante reconnaissance du titulaire du brevet à l’égard de ce qui constitue l’état antérieur de la technique. Le titulaire du brevet reconnaît que le médicament visé, le finastéride, est un médicament connu et qu’il a été commercialisé pour être utilisé comme un inhibiteur de la 5α-réductase en vue de traiter des affections concernant la prostate. L’utilité de ce médicament pour traiter l’alopécie androgénétique (aa) est reconnue. Cependant, dans le paragraphe, on mentionne que les doses reconnues par l’état de la technique allaient de 5 à 2 000 mg par patient par jour :

 

[traduction] Le finastéride (17β-(N-tert-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-1-ène-one), qui est commercialisé par Merck & Co., Inc. sous la dénomination commerciale PROSCARMD, est un inhibiteur de la 5α-réductase type 2 et est connu pour son utilité dans le traitement d’affections hyperandrogéniques. Voir p. ex., le brevet américain nº 4 760 071. Le finastéride est actuellement commercialisé aux États‑Unis et dans le monde pour le traitement de l’hyperplasie bénigne de la prostate. On a également traité de l’utilité du finastéride dans le traitement de l’alopécie androgénétique et du carcinome de la prostate dans les documents suivants : EP 0 285 382, publié le 5 octobre 1988; EP 0 285 383, publié le 5 octobre 1988; brevet canadien nº 1 302 277 et brevet canadien nº 1 302 276. Les doses figurant dans les divulgations susmentionnées variaient entre 5 et 2 000 mg par patient par jour.

 

 

 

[13]           Le dernier paragraphe de la partie Contexte du brevet 457 a deux fonctions. Premièrement, on reconnaît qu’il est souhaitable d’administrer le médicament à la plus faible dose possible. Deuxièmement, on y décrit l’invention comme la découverte « surprenante et inattendue » du fait qu’une faible dose quotidienne d’un inhibiteur de la 5α‑réductase est particulièrement utile pour traiter l’alopécie androgénétique :

[traduction] Dans le traitement de l’alopécie androgénétique, qui comprend la calvitie androgénétique chez la femme ainsi que chez l’homme, et d’autres affections hyperandrogéniques, il serait souhaitable d’administrer la dose la plus faible possible d’un composé pharmaceutique à un patient tout en maintenant l’efficacité thérapeutique. Les demanderesses ont découvert, de façon surprenante et inattendue, qu’une faible dose d’un inhibiteur de la 5α‑réductase de type 2 est particulièrement utile dans le traitement de l’alopécie androgénétique. En outre, une faible dose quotidienne d’un inhibiteur de la 5α‑réductase de type 2 peut aussi être particulièrement utile dans le traitement d’affections hyperandrogéniques telles que l’acné vulgaire, la séborrhée, l’hirsutisme chez la femme et le syndrome des ovaires polykystiques.

 

[14]           La description détaillée de l’invention débute à la page 35 du brevet. Dans les trois premiers paragraphes de la page 3, on décrit trois « aspects » différents de l’invention – l’utilisation d’un inhibiteur de la 5α‑réductase à une dose d’environ 0,05 à 3,0 mg, une composition solide de cet inhibiteur dans ces doses et une composition pharmaceutique de cet inhibiteur à cette dose. Le quatrième paragraphe décrit une « réalisation particulière » dont la formulation suit celle des revendications « suisses ». Dans le cinquième paragraphe, il est simplement mentionné une « réalisation particulière », soit l’utilisation de cet inhibiteur à ces doses. Le dernier paragraphe de la page 3 est constitué d’un énoncé général sur l’invention, qui concerne le traitement d’affections comme l’alopécie androgénétique par l’administration de doses inférieures à 5 mg par jour :

[traduction]

-3-

DESCRIPTION DÉTAILLÉE DE L’INVENTION

 

Un aspect de l’invention concerne l’utilisation d’un inhibiteur de la 5α‑réductase de type 2 pour la préparation d’un médicament adapté à l’administration orale et utile pour le traitement de l’alopécie androgénétique chez l’humain et dans laquelle la dose est d’environ 0,05 à 3,0 mg.

Un autre aspect de l’invention concerne une composition solide contenant la 17β-(N-tert-butylcaramoyl)-4-aza-5α-androst-ène-3-one, utile pour le traitement de l’alopécie androgénétique, et dont la dose est d’environ 0,05 à 3,0 mg.

Un autre aspect de l’invention traite d’une composition pharmaceutique contre l’alopécie androgénétique renfermant une quantité efficace d’un inhibiteur de la 5α‑réductase de type 2 permettant d’obtenir une dose variant entre 0,05 et 3,0 mg, en association avec un vecteur pharmaceutiquement acceptable.

Une réalisation particulière de l’invention porte sur l’utilisation de la 17β-(N-tert-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-l-ène-3-one dans la fabrication d’un médicament permettant d’obtenir une dose de la substance en question, soit la 5α-androst-1-ène-3-one, de 0,05 à 3,0 mg, pour le traitement de l’alopécie androgénétique.

Une autre réalisation particulière de l’invention traite de l’utilisation de la 17β-(N-tert-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-l-ène-3-one à une dose d’environ 0,05 à 3,0 mg dans le traitement de l’alopécie androgénétique.

La présente invention prévoit le traitement et/ou le renversement de l’alopécie androgénétique et la stimulation de la pousse des cheveux ainsi que le traitement de l’acné vulgaire, de la séborrhée et de l’hirsutisme chez la femme. En particulier, le traitement comprend l’administration d’une dose inférieure à 5 mg/jour d’un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 à un patient ayant besoin de ce traitement.

 

[15]           Le premier paragraphe de la page 3a mentionne que le médicament peut être administré à une dose variant entre 0,01 et 3,0 mg/jour jusqu’à un intervalle de dose plus petit, par exemple 0,05 à 0,2 mg/jour :

[traduction] Dans une réalisation de cette invention, l’inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 est administré à une dose variant entre 0,01 à 3,0 mg/jour. Dans une classe de cette réalisation, l’inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 est administré à une dose variant entre 0,05 et 1,0 mg/jour, et dans une sous‑classe de cette réalisation, l’inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 est administré à une dose d’environ 0,05 à 0,2 mg/jour. Dans cette sous‑classe, on a indiqué les doses d’environ 0,05, 0,1, 0,15 et 0,2 mg/jour. Dans la sous‑catégorie, on a indiqué les doses de 0,05 et de 0,2 mg/jour. On peut déceler les composés inhibiteurs de la 5α -réductase de type 2 en employant l’essai décrit ci‑dessous, dans l’exemple 3.

 

[16]           Dans les pages 3a à 5, on trouve une description des réactions chimiques des médicaments et de leurs procédés de fabrication. Cette description n’est pas pertinente dans la présente procédure.

 

[17]           À la page 5, le premier paragraphe complet comporte une répétition des intervalles de dose, suivie d’un énoncé indiquant que le médicament peut être utilisé en association avec d’autres médicaments, comme le minoxidil. Cela est important, car un élément du dossier d’antériorité, en particulier une demande de brevet déposée par Diani, qui travaillait pour un concurrent de Merck (Upjohn), porte sur le minoxidil, médicament d’Upjohn, et des mélanges de ce médicament avec le finastéride. Le paragraphe se termine par un énoncé indiquant que les deux médicaments peuvent être administrés par voie topique ou orale, ou l’un par une voie et l’autre par une autre voie :

[traduction]

                        …

Les doses de 0,05 et de 0,2 mg/jour figurent dans l’invention. Le terme « traitement de l’alopécie androgénétique » vise à comprendre l’arrêt et/ou le renversement de l’alopécie androgénétique, et la stimulation de la pousse des cheveux. Aussi, un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2, p. ex., le finastéride, à une dose inférieure à 5 mg/jour peut être utilisé en association avec un agent favorisant l’ouverture des canaux potassiques, comme le minoxidil ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celui‑ci, pour le traitement de l’alopécie androgénétique, notamment la calvitie chez l’homme. L’inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 et l’agent favorisant l’ouverture des canaux potassiques peuvent tous deux être appliqués par voie topique ou chaque agent peut être administré par une voie différente; par exemple, l’inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 peut être administré par voie orale et l’agent favorisant l’ouverture des canaux potassiques, par voie topique.

 

[18]           Le paragraphe qui commence au bas de la page 5 et se poursuit à la page 6 mentionne que le médicament peut être administré dans une variété de formes, toutes considérées comme étant connues des personnes normalement versées dans l’art. Les comprimés sont sécables, et comme en convient l’avocat, ils peuvent être fragmentés pour être administrés en plus petites doses. On discute de ce point au début du dernier paragraphe de la page 6 :

[traduction] Grâce à la présente invention, on vise également à offrir des formulations pharmaceutiques à administrer par voie systémique, orale, parentérale et topique, utiles dans le traitement visé par la présente invention. Les compositions contenant des composés inhibant la 5α-réductase de type 2 jouant le rôle d’ingrédients actifs destinés au traitement des affections hyperandrogéniques susmentionnées peuvent prendre une vaste gamme de formes posologiques thérapeutiques et des vecteurs classiques en vue d’une administration par voie systémique. Par exemple, les composés peuvent être administrés par voie orale dans une forme posologique solide ou liquide, par exemple sous la forme de comprimés, de gélules (y compris, pour chacun, les formulations à libération prolongée), de pilules, de poudres, de granules, d’élixirs, de teintures, de solutions, de suspensions, de sirops et d’émulsions. De même, ils peuvent aussi être administrés par voie intraveineuse (à la fois par bolus et par perfusion), intrapéritonéale, sous‑cutanée, topique avec ou sans occlusion, ou intramusculaire, dans une forme bien connue des personnes moyennement versées dans le domaine pharmaceutique. Dans le cas de la voie orale, par exemple, les compositions peuvent prendre la forme de comprimés sécables ou non contenant 0,01, 0,05,15 0,1, 0,2, 1,0, 2,0 et 3,0 milligrammes de l’ingrédient actif pour le soulagement des symptômes et l’ajustement posologique du patient à traiter.

 

. . .

Il est avantageux que les composés de la présente invention puissent être administrés en une dose uniquotidienne ou en doses fractionnées deux, trois ou quatre fois par jour.

 

 

[19]           À la page 7, le brevet reconnaît que le schéma posologique peut être choisi par un médecin moyennement versé dans l’art qui tient compte d’un ensemble de facteurs :

[traduction] Le schéma posologique faisant appel aux composés de la présente invention est choisi en fonction d’un ensemble de facteurs, dont le type, l’espèce, l’âge, le poids, le sexe et l’état de santé du patient, la gravité de l’affection à traiter, la voie d’administration, la fonction rénale et hépatique du patient et le composé précis employé. Un médecin ou un vétérinaire moyennement versé dans l’art peut facilement établir et prescrire la quantité de médicament requise pour obtenir une efficacité permettant de prévenir, de neutraliser, d’arrêter ou de renverser l’évolution de l’affection. Pour obtenir avec une précision optimale une concentration de médicament située dans la gamme permettant d’obtenir une efficacité sans présence d’effets toxiques, il faut un schéma fondé sur la cinétique de la disponibilité du médicament aux endroits cibles. Cela nécessite une étude de la distribution, de l’équilibre et de l’élimination d’un médicament.

 

[20]           Aux pages 7 à 9, on discute de la formulation du médicament, sujet qui n’est pas pertinent en l’espèce.

 

[21]           Du début de la page 9 à la fin de la partie descriptive du brevet, on présente 5 exemples. Seul l’exemple 5 est pertinent en l’espèce. L’exemple 1 ainsi que l’exemple 2 concernent la préparation du finastéride. L’exemple 3 porte sur la préparation de la 5α-réductase humaine. Dans l’exemple 4, on décrit une méthode de mesure de la chute des cheveux – essentiellement par la prise de photos au cours d’une certaine période. L’exemple 5 couvre tout ce qui a été dit sur les effets de l’administration du finastéride :

 

[traduction]

EXEMPLE 5

Dans un autre essai, le finastéride a été administré par voie orale pendant 6 semaines à des hommes atteints de calvitie androgénétique à la dose de 0,2 mg/jour, 1,0 mg/jour et 5,0 mg/jour. Les résultats de cet essai ont établi une réduction significative de la concentration de DHT dans les tissus du cuir chevelu des participants.

 

[22]           Rien d’autre n’indique au lecteur les raisons pour lesquelles on a conclu à une « réduction significative » de DHT (5α -dihydrotestostérone) ni la dose à laquelle cette réduction s’est manifestée, soit 0,2, 1,0 ou 5,0 mg/jour.

 

[23]           Les revendications suivent. Je reprends ci‑dessous la revendication 5, puisque je l’ai reformulée en y ajoutant les revendications 1 à 4 et en substituant le finastéride à la formule chimique :

 

5.         L’utilisation du finastéride pour la préparation d’un médicament adapté à l’administration orale, utile pour le traitement de la calvitie androgénétique chez l’humain et pour laquelle la dose est d’environ 1,0 mg.

 

 

LES QUESTIONS SOULEVÉES

[24]           La question principale est de savoir si les allégations de Pharmascience concernant l’invalidité de la revendication 5 du brevet 457 sont justifiées au sens du paragraphe 6(2) du Règlement AC. Pour la trancher, je dois me prononcer sur les questions suivantes, que j’aborderai dans l’ordre qui suit :

1.      Le fardeau de la preuve

2.      La preuve

3.      La personne moyennement versée dans l’art

4.      L’interprétation des revendications

a) Historique de l’exigence de revendications au Canada

b) Historique de l’exigence de revendications en Grande‑Bretagne

c) L’état actuel du droit au Canada

d) Récapitulatif

e) La jurisprudence du R.‑U. et de l’Europe relative aux revendications « suisses »

f) Les revendications « suisses » au Canada

g) L’interprétation des revendications – L’avis d’allégation

h) L’interprétation de la revendication 5

5.      La méthode de traitement médical

6.      Le double brevet

7.      La nouveauté et l’évidence

a) Généralités

b) Le brevet 457

c) L’art antérieur

d) L’interprétation de l’art antérieur du point de vue de la personne moyennement versée dans l’art

e) Conclusions sur la preuve relative à la nouveauté et à l’évidence

f) La nouveauté

g) L’évidence

8.      La prédiction valable et la portée excessive

 

[25]           Je sais gré aux avocats des deux parties de leur coopération et de la civilité dont ils ont fait preuve au cours de l’audience. Je leur suis particulièrement reconnaissant de la manière concise et structurée avec laquelle ils ont présenté leur argumentation, en fournissant notamment des aperçus schématiques, des recueils et des clés USB de stockage électronique contenant les argumentations et les éléments de preuve, y compris des hyperliens dans certains cas. Le comportement et la préparation des avocats ont été exemplaires. Personne n’a comparu au nom du ministre.

 

1)         Le fardeau de la preuve

[26]           La seule question soulevée est la validité de la revendication 5 du brevet 457. J’ai examiné la question de la charge de la preuve à l’égard de la validité dans plusieurs instances engagées sous le régime du Règlement AC, notamment dans les décisions Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc. (2008), 63 C.P.R. (4th) 406, au paragraphe 58 (CF), et Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, 69 C.P.R. (4th) 191, aux paragraphes 28 à 33. J’ai adopté le raisonnement que tient le juge Mosley dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971, 61 C.P.R. (4th) 305. Je reprends ci‑dessous ce que j’ai dit au paragraphe 32 de la décision Pfizer, précitée :

[32] À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 971 (aux paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :

 

1. La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité.

2. La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs.

3. La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation.

4. La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.

5. La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.

6. Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.

 

[27]           En l’espèce, Pharmascience a fait beaucoup d’allégations et les deux parties ont produit des éléments de preuve touchant la validité de la revendication 5 du brevet 457. Sous réserve des arguments formulés par Merck sur le point de savoir si la prédiction valable et la portée excessive ont été soulevées dans l’avis d’allégation, je dois trancher la question de la validité en fonction du poids de la preuve et des arguments présentés. Si le poids des deux est en équilibre à l’égard d’une allégation, je dois conclure que cette allégation particulière de Pharmascience n’est pas fondée.

 

2)         La preuve

[28]           Merck et Pharmascience ont toutes les deux produit une preuve. Merck a fait témoigner deux personnes à titre de témoins experts – M. Russell et le Dr Shapiro – et présenté des pièces. Les deux témoins ont été contre-interrogés. Pharmascience a aussi fait témoigner deux personnes à titre de témoins experts – M. Steiner et le Dr Taylor – et présenté des pièces. Les deux ont été contre‑interrogés. Comme il s’agit en l’espèce d’une demande, tous ces éléments de preuve ont été présentés sous forme d’affidavits et seules les transcriptions des contre‑interrogatoires ont été déposées. La Cour n’a pu observer les témoins en personne, ce qui rend difficile de dégager des conclusions valables sur leur crédibilité ou sur la prépondérance de la preuve. Voici quelques observations plus précises sur ces témoins.

 

1.         Les témoins de Merck

a)         David Russell, Ph. D., est un éminent professeur de génétique moléculaire au Southwestern Medical Centre de l’Université du Texas. Il a pris une grande part aux travaux de recherche portant sur les inhibiteurs de la 5α-réductase, notamment comme consultant de Merck au début des années 1990 lorsque l’objet du brevet 457 était en développement. M. Russell a témoigné dans l’affaire anglaise Actavis, que j’aborderai plus en profondeur plus tard et qui comporte de nombreux points communs avec la présente procédure. Dans la décision Actavis U.K. Limited c. Merck & Co. Inc [2007] EWHC 1311 (Ch)), le juge Warren, juge de première instance, avait dit au paragraphe 36 au sujet de M. Russell :

[traduction]

Merck a obtenu la preuve d’expert auprès d’un seul expert, le professeur Russell. Il était, comme M. Thorley le reconnaît, clair, limpide et bien informé. Il est de toute évidence une autorité en la matière et possède des connaissances et une expérience sans égales comme biologiste moléculaire spécialiste de la 5α-réductase. Avec son équipe de l’Université du Texas, il était, comme M. Thorley le souligne, à la fine pointe des travaux en cours sur l’existence et la nature des isoenzymes de la 5α‑réductase et au courant de tous les travaux non publiés de tous ceux qui travaillaient dans le domaine dans le secteur privé. Par conséquent, j’accepte la mise en garde de M. Thorley qu’il faut prendre soin de ne pas attribuer la portée et la profondeur des connaissances du professeur Russell à un scientifique théorique doté de connaissances sur la 5α‑réductase qui ferait partie de l’équipe versée dans l’art dont on doit présumer l’existence. Le professeur Russell n’a pas prétendu détenir une expertise particulière en biologie du cheveu ou en conception d’essais cliniques, mais il serait vain de laisser entendre qu’il n’avait pas de connaissances approfondies sur les deux sujets.

 

 

J’ai lu l’affidavit et le contre‑interrogatoire de M. Russell dans la présente procédure. Je suis généralement d’accord avec l’évaluation du juge Warren, notamment avec sa mise en garde au sujet de la potentielle « surqualification  » de ce témoin comme personne moyennement versée dans l’art. M. Russell le reconnaît lui‑même au paragraphe 19 de son affidavit, où il dit [traduction] « mes propres qualifications dépassent celle de la personne versée dans l’art », tout en affirmant du même souffle qu’il peut néanmoins parler du point de vue de la personne versée dans l’art.

 

L’avocat de Pharmascience a attiré l’attention sur deux endroits dans le contre-interrogatoire de M. Russell où il a témoigné sur des questions pertinentes dans un sens contredisant nettement le témoignage qu’il avait donné sur les mêmes questions au cours de l’affaire anglaise (pages 125 à 127 et 148 et 149 du contre‑interrogatoire). Les explications que donne M. Russell de ces incohérences ne sont pas très satisfaisantes : il fait valoir qu’il était fatigué pendant le procès au Royaume‑Uni, alors que ses réponses ont été présentées tout au début de l’instruction, et que la façon dont il a caractérisé les articles scientifiques faisant partie de l’état de la technique était teintée par sa perception des différences entre le droit canadien et le droit britannique.

 

Dans l’ensemble, je considère M. Russell comme un scientifique très qualifié travaillant dans le domaine des inhibiteurs de la 5α-réductase à l’époque pertinente, mais qui a peut‑être été surexploité du fait qu’il a témoigné pour Merck dans deux instances connexes.

 

b)         Le Dr Jerry Shapiro est un enseignant clinique au département de dermatologie et de soins de la peau de l’Université de Colombie‑Britannique. Il effectue des recherches dans le domaine des soins pour les cheveux et de leur traitement depuis 1986. Il a rédigé plusieurs articles dans le domaine et a été consultant pour plusieurs organisations, dont Merck. J’accepte son témoignage en tant qu’expert du domaine de dermatologie, surtout en ce qui a trait aux cheveux.

 

2.                  Les témoins de Pharmascience

a)                  M. Joseph E. Steiner est doyen et professeur au College of Health Services de l’Université du Wyoming. Il a fait des études en pharmacie, obtenu un doctorat et pratiqué en milieu clinique de 1975 à 1997. Il semble que le travail de M. Steiner soit principalement axé sur les soins ambulatoires, en plus des tâches administratives que lui impose son statut de doyen. M. Steiner a rédigé plusieurs exposés de synthèse, dans lesquels il passe en revue les publications sur un domaine scientifique donné et les présente au lecteur comme représentatives de l’état de la technique du moment. Un de ces articles de revue paru dans Clinical Pharmacy portait sur la pharmacologie, la pharmaceutique et l’utilisation clinique du médicament finastéride en 1992. M. Steiner ne possède pas la profonde expérience des témoins de Merck, mais j’accepte son témoignage d’expert sur l’état de la technique en matière de médicaments, car il éclaire la Cour sur l’état des connaissances de la communauté scientifique à l’égard du finastéride en 1992.

 

b)                  Le Dr E. Kent Taylor est un médecin de Burlington, en Ontario, qui compte plus de 23 ans de pratique en dermatologie clinique. Il semble qu’environ 10 pour cent de sa pratique est orientée vers la chute des cheveux, pourcentage qu’il qualifie de normal dans sa profession de dermatologiste. Il a fait de la consultation pour Upjohn pendant le lancement de son produit à base de minoxidil pour le traitement de la perte des cheveux, dont on discutera plus en détail plus loin. J’accepte que le Dr Taylor est en mesure de fournir une preuve d’expert utile à la Cour à titre de praticien dans le domaine de la chute des cheveux à l’époque pertinente.

 

[29]           L’avocat de Merck attaque vigoureusement les témoignages de M. Steiner et du Dr Taylor, citant l’arrêt R c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, au paragraphe 27, selon lequel l’expert doit faire preuve de connaissances « spéciales ou particulières » pour que son témoignage puisse être admis. Il a fait valoir que M. Steiner et le Dr Taylor ne possédaient pas ces connaissances.

 

[30]           L’avocat de Pharmascience a opposé l’argument suivant, en s’appuyant sur l’arrêt Regina c. Marguard (1993), 108 D.L.R. (4th) 47 (C.S.C.) à la page 78 : « La seule condition à l’admission d’une opinion d’expert est que le témoin expert possède des connaissances et une expérience spéciales qui dépassent celles du juge des faits. »

 

[31]           Je suis disposé à accepter les témoignages de M. Steiner et du Dr Taylor à titre de preuve d’experts. Leurs témoignages sont importants au regard des questions soulevées et dépassent les connaissances que la Cour est censée posséder. À mon avis, l’arrêt Mohan, précité, n’impose pas, pour qu’un témoignage soit admis à titre de preuve, une expertise nettement supérieure ou exceptionnelle. C’est une affaire relevant de l’appréciation du poids de la preuve.

 

3)         La personne moyennement versée dans l’art

[32]           La personne moyennement versée dans l’art est un être fictif servant d’étalon ou de guide à l’égard de certains aspects du droit des brevets, tout comme le rôle que joue la « personne raisonnable » ou « monsieur tout-le-monde » en droit de la responsabilité délictuelle.

 

[33]           Les tribunaux canadiens et étrangers ont très souvent cherché à définir la personne moyennement versée dans l’art. La Cour suprême du Canada s’est penchée sur cette personne dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, aux paragraphes 70, 71 et 74, où le juge Binnie a écrit au nom de la Cour :

[70]      … La personne qui a le lien que M. Pielemeier entretient avec les intimées et qui détient une foule de renseignements internes n’est pas très représentative du « travailleur moyen ». Elle est un destinataire versé dans l’art, mais ses connaissances ne sont pas limitées aux connaissances usuelles du travailleur moyen qui œuvre dans l’industrie. Dans les revendications du brevet, les ingénieurs de recherches de Whirlpool ne s’adressaient pas à leurs collègues de la division du développement des produits. Ces revendications s’adressaient forcément à la population plus large des individus moyennement versés dans la technologie des laveuses. Comme le lord juge Aldous l’a fait remarquer dans Beloit Technologies Inc. c. Valmet Paper Machinery Inc., [1997] R.P.C. 489 (C.A. Angl.), à la p. 494 :

 

[traduction] Le destinataire fictif versé dans l’art est la personne ordinaire qui ne bénéficie peut-être pas des avantages dont peuvent jouir certains employés de grandes sociétés. L’information figurant dans un mémoire descriptif s’adresse à cette personne et doit contenir suffisamment de détails pour qu’elle puisse comprendre et utiliser l’invention. L’aspect inventif ne sera absent que si l’invention est évidente pour cette personne. [Je souligne.]

 

Le juge Dickson a mis le même accent sur le « caractère moyen » dans l’arrêt Consolboard, précité, à la p. 523 :

 

[traduction] Les personnes à qui le mémoire descriptif s’adresse sont « des travailleurs moyens » doués d’habiletés moyennes dans l’art dont l’invention relève et possédant les connaissances générales moyennes qu’ont les gens de ce domaine d’activité précis. On arrive à la bonne interprétation du brevet en tenant compte de ce qu’un ouvrier habile qui aurait lu le mémoire descriptif à l’époque aurait jugé divulgué et revendiqué par le mémoire.

 

[71]      Le « caractère moyen » varie évidemment selon l’objet du brevet. Les brevets en matière de technologie aérospatiale ne sont compréhensibles que par les spécialistes du domaine. Le problème qui se pose dans le cas de M. Pielemeier est qu’il ne pouvait pas offrir un bon exemple des connaissances usuelles des « travailleurs moyens » qui œuvrent dans l’industrie, étant donné que ses opinions reposaient sur des connaissances internes de Whirlpool, et il ne s’en cachait pas.

. . .

 

[74]      … Même s’il n’est pas considéré comme une personne à l’esprit inventif, le « travailleur moyen » hypothétique est tenu pour raisonnablement diligent lorsqu’il s’agit de tenir à jour sa connaissance des progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet. Les « connaissances usuelles » des travailleurs versés dans un art évoluent et augmentent constamment.

 

[34]           L’Association internationale pour la protection de la propriété intellectuelle (AIPPI) est un organisme sans but lucratif et politiquement neutre, qui a son siège en Suisse. L’AIPPI compte actuellement près de 9 000 membres représentant plus de 100 pays. Un nombre important de grands praticiens du monde juridique et des organismes de la propriété intellectuelle au Canada en sont membres. L’Association cherche à développer et à améliorer les lois relatives à la propriété intellectuelle. L’une de ses méthodes de travail est de présenter des questions à ses membres. Les membres de chaque pays formulent des réponses qui font ensuite l’objet de délibérations et de résolutions prises en assemblée générale.

 

[35]           L’une des questions qui sera soumise au Congrès de Paris qui se tiendra cet automne a trait à la meilleure approche de la définition de la personne moyennement versée dans l’art. On m’a fourni une copie des observations que présentera le Groupe canadien de l’AIPPI sur le sujet, qui comporte un certain nombre de réponses reflétant le droit canadien. Un résumé, présenté à la fin, récapitule la définition de la personne moyennement versée dans l’art en droit canadien.

[traduction]

Q. 213 Résumé

 

Au Canada, la « personne moyennement versée dans l’art » est la personne fictive à laquelle s’adresse le brevet. Il peut s’agir d’une seule personne ou d’un groupe représentant diverses disciplines, selon la nature de l’invention. La personne moyennement versée dans l’art est censée être dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, posséder néanmoins un degré moyen de compétence et de connaissances accessoires au domaine dont relève le brevet (c.-à-d. les connaissances générales courantes) et faire preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans ce domaine. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possèdent généralement les personnes versées dans l’art en cause au moment considéré. Par conséquent, elles peuvent inclure les connaissances que se transmettent les personnes du domaine, notamment des renseignements qui ne sont pas publiés. Inversement, tout ce qui est publié ne fait pas partie des connaissances générales courantes.

 

[36]           J’ai présenté ce résumé aux avocats des parties. Ils se sont dits d’accord en général avec le résumé, mais chacun a tenu à faire valoir un point particulier. L’avocat de Merck a convenu que la personne versée dans l’art doit être quelqu’un qui travaille effectivement dans le domaine, ou que le groupe doit inclure ce type de personnes. Il s’est appuyé sur une affirmation du juge Warren dans la décision Actavis UK Limited c. Merck & Co. Inc. [2007] EWHC 1311, que j’examinerai de manière plus détaillée ultérieurement, au paragraphe 46. Cette proposition a été expressément rejetée par la Cour dans la décision Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 57 C.P.R. (4th) 6, 2006 CF 1234, au paragraphe 90 (conf. par 2007 CAF 217), 59 C.P.R. (4th) 116), qui a conclu qu’il n’est pas nécessaire que la preuve d’expert sur la question vienne d’une personne qui travaille effectivement dans le domaine à ce moment‑là et qu’il suffit que cette personne soit en mesure de produire une preuve adéquate sur les connaissances de la personne versée dans l’art au moment pertinent.

 

[37]           L’avocat de Pharmascience a soulevé ce qu’il a appelé un point à éclaircir : compte tenu de la définition de l’évidence à l’article 28.3 de la « nouvelle » Loi sur les brevets, qui prévoit que la personne versée dans l’art est au fait de « l’information […] devenue accessible au public » à la date de la revendication, cette définition a-t-elle une portée plus large que les « connaissances que possèdent généralement les personnes versées dans l’art en cause au moment considéré », comme le dit le résumé du Groupe canadien de l’AIPPI. Je conviens que « l’information […] devenue accessible au public » est peut‑être une notion plus large que l’information « que possèdent généralement », et dans cette mesure, on pourrait modifier le résumé du droit canadien sur la question en supprimant le terme « généralement ».

 

[38]           Lorsqu’elle traite de cas individuels, la Cour doit veiller à ne pas établir de distinction trop fine pour identifier la personne moyennement versée dans l’art « idéale ». Les avocats des parties feront valoir les sens et les nuances sémantiques les plus favorables à leur argumentation et au(x) témoin(s) qu’ils produisent. Chaque avocat soutiendra que son témoin ou ses témoins correspondent parfaitement à la description de la personne moyenne versée dans l’art idéale et que chaque témoin de la partie adverse présente de nombreuses faiblesses.

 

[39]           La Cour doit généralement définir la personne ou le groupe auxquels s’adresse le brevet. Il peut arriver que le brevet puisse être lu par diverses personnes, ayant chacune un intérêt différent. Il faudra peut-être prendre en compte chacune d’elles. L’avocat de Merck est même allé jusqu’à laisser entendre que la Cour doit tenir compte du « ténor » dans le cas d’une équipe de personnes ou d’un groupe de personnes différentes. En l’espèce, il convient manifestement à Merck de présenter M. Russell comme le « ténor ».

 

[40]           Exiger, pour définir la personne versée dans l’art, une précision minutieuse ou un ordre de priorité dans un groupe correspond à placer une série d’« engins explosifs » sur lesquels la Cour risque de buter ou risque la sanction d’une cour supérieure. Il convient d’aborder la question de manière générale et d’atteindre un certain degré de généralisation.

 

[41]           En l’espèce, la Cour peut examiner les termes liminaires du brevet 457 pour obtenir une orientation raisonnable sur le ou les destinataires du brevet :

[traduction] La présente invention concerne le traitement de l’alopécie androgénétique, notamment la calvitie androgénétique chez l’homme, à l’aide de composés qui sont des inhibiteurs de l’isoenzyme de type 2 de la 5-alpha réductase.

 

 

[42]           S’agissant du brevet 457, la personne moyennement versée dans l’art à laquelle le brevet s’adresse s’entend des personnes qui s’intéressent au traitement de la calvitie androgénétique chez l’homme et, en particulier, de la personne ou du groupe qui s’intéresse à l’emploi des composés tels que les inhibiteurs de la 5α-reductase pour l’homme atteint de cette affection. Il pourrait s’agir d’un chercheur ou d’un clinicien, ou encore des deux. Cette personne doit être raisonnablement éclairée sur l’état de la technique. Elle doit être dépourvue d’imagination, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit lente d’esprit ou ait obtenu son diplôme (le cas échéant) de justesse. Elle n’est pas non plus la médaille d’or de la promotion. Cette personne est la personne moyenne du groupe. Tout comme la « personne raisonnable » est censée être raisonnable, la personne moyennement versée dans l’art est censée posséder des compétences moyennes dans l’art.

 

4)         L’interprétation des revendications

 

a)         Historique de l’exigence de revendications au Canada

 

[43]           La Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, dans la « nouvelle» version applicable aux demandes de brevet déposées après le 1er octobre 1989 et aux brevets issus de ces demandes, prescrit que le brevet comporte à la fois un mémoire descriptif, qui décrit l’invention, et des revendications, qui définissent le monopole revendiqué par le titulaire du brevet. Les paragraphes (3) et (4) de l’article 27 de la Loi prévoient :

(3) Le mémoire descriptif doit :

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

 

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

 

[44]           Le mémoire descriptif a pour fonction de décrire l’invention de manière à ce que la personne versée dans l’art puisse comprendre la nature de l’invention et, à l’expiration du brevet, la mettre en pratique. Les revendications ont pour fonction de définir le monopole que revendique le titulaire du brevet. Dans son traité The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions 4e ed., 1969, Carswell, Toronto, Fox a exposé ainsi la nature des revendications aux pages 193 et 194 :

[traduction]

II. LES REVENDICATIONS

 

Historique. Bien que non requises en common law, les revendications ont peu à peu été reconnues comme un moyen efficace de définir et délimiter la portée de la concession et sont maintenant une partie essentielle de l’examen prévu par la loi pour la concession d’un brevet. Comme lord Russell of Killowen l’a souligné dans l’arrêt Electric and Musical Industries Ltd. et al. c. Lissen Ltd. et al. : « … le breveté est tenu par la loi de déclarer dans les revendications, clairement et précisément, quelle est l’invention dont il souhaite assurer la protection ». Dans cette décision, il a exprimé de façon succincte la fonction des revendications : « Le breveté qui décrit l’invention dans le corps du mémoire descriptif ne se voit accorder aucun monopole autre que ce qui figure dans les revendications. »

 

La revendication est une partie du mémoire descriptif qui remplit une fonction propre et distincte. Le domaine interdit doit figurer dans la formulation de la revendication et non ailleurs. La revendication, et elle seule, définit le monopole; le titulaire du brevet est tenu par la loi d’exposer dans les revendications, clairement et précisément, quelle est l’invention dont il souhaite assurer la protection. La nature de l’invention doit être déterminée à partir des revendications. Les revendications doivent être suffisamment précises pour permettre au public de déterminer ce qui est protégé par le brevet sans se reporter au corps du mémoire descriptif, mais elles ne doivent pas excéder l’invention.

 

            La revendication est une limitation. La revendication, par conséquent, n’est pas une description supplémentaire de l’invention, mais elle est une limitation de la description de l’invention figurant dans le corps du mémoire descriptif.

 

[45]           La première Loi sur les brevets du Canada, adoptée après la Confédération de 1867, a été l’Acte concernant les Brevets d’Invention, (1869), 32 & 33 Vic., ch. 11. Cette Loi sur les brevets, comme le dit Fox aux pages 5 et suivantes de son traité, op. cit., s’inspirait de lois américaines antérieures sur les brevets, notamment la loi du 10 avril 1790 (1 St. at L. 109), qui prévoit que la revendication d’une invention doit figurer dans le brevet, mais non nécessairement dans une partie distincte. L’article 2 prévoyait :

[traduction]

ART. 2. Et qu’il soit de plus statué que le titulaire ou les titulaires de chaque brevet, au moment de la délivrance du brevet, sont tenus de déposer auprès du Secrétaire d’État un mémoire descriptif écrit, comportant une description, accompagnée d’esquisses ou de maquettes, et d’explications et de maquettes (si la nature de l’invention ou de la découverte permet la maquette) de la chose ou des choses inventées ou découvertes, et qui sont décrites, comme on l’a dit ci‑dessus, dans les brevets visés; le mémoire descriptif sera suffisamment détaillé et les maquettes seront suffisamment exactes pour qu’il soit possible, non seulement de distinguer l’invention ou la découverte des autres choses déjà connues ou utilisées, mais aussi de permettre à un ouvrier ou une autre personne versée dans l’art ou la technique de la branche dont elle relève ou qui s’en rapproche le plus, de fabriquer, de construire ou d’utiliser l’invention ou la découverte pour que le public puisse en profiter pleinement, après l’expiration du brevet;

 

[46]           La Cour suprême des États-Unis, dans le célèbre arrêt Markman (Markman c. Westview Instruments Inc. 517 U.S. 370 (1996)), présente un historique utile des revendications en droit américain dans les paragraphes liminaires de cet arrêt rendu à l’unanimité par le juge Souter :

[traduction] La question est de savoir si l’interprétation de ce qu’on appelle une revendication de brevet, cette partie du texte du brevet qui définit la portée des droits du breveté, est une question de droit réservée exclusivement au tribunal, ou si elle régie par la garantie du Septième amendement prévoyant qu’il appartient à un jury d’établir le sens de tout terme technique litigieux au sujet duquel témoigne un expert. Nous statuons que l’interprétation d’un brevet, notamment des termes techniques que comprennent ses revendications, est de la compétence exclusive du tribunal.

 

I

 

La Constitution confère au Congrès le pouvoir de « favoriser le développement de la science et des arts utiles, en garantissant aux auteurs et inventeurs, pour une période de temps déterminée, le droit exclusif à leurs livres et à leurs inventions » U.S. Const., Art. I, 8, cl. 8. Le Congrès a exercé ce pouvoir pour la première fois en 1790, en prévoyant la délivrance de « lettres patentes », Act of Apr. 10, 1790, ch. 7, l, l Stat. 109. Comme leurs équivalents modernes, elles conféraient aux inventeurs « le droit d’empêcher d’autres personnes de fabriquer, d’utiliser, d’offrir à la vente, de vendre ou d’importer l’invention brevetée » en contrepartie de la pleine divulgation de l’invention, H. Schwartz, Patent law and Practice 1, 33 (2e éd. 1995). Il est entendu depuis longtemps [2] qu’un brevet doit décrire la portée exacte de l’invention et de sa réalisation pour « garantir au [breveté] tout ce à quoi il a droit, [et] pour informer le public du domaine qui lui reste ouvert » McClain c. Ortmayer, 141 U.S. 419, 424 (1891). Dans le régime des brevets moderne des États‑Unis, deux éléments distincts du texte du brevet visent ces objectifs. Premièrement, le brevet comporte un mémoire descriptif qui décrit l’invention « en termes suffisamment complets, clairs, concis et exacts pour permettre à toute personne versée dans l’art […] de fabriquer et utiliser l’invention » 35 U.S.C. 112, voir aussi 3E. Lipscomb, Walker on Patents 10:1, pages 183 et 184 (3e éd. 1985) (Lipscomb) (qui dresse la liste des exigences à l’égard du mémoire descriptif). Deuxièmement, le brevet comporte une ou plusieurs « revendications » qui « spécifient particulièrement et revendiquent distinctement l’objet que le requérant considère comme son invention » 35 U.S.C. 112. « La revendication vise et garantit la protection d’un procédé, d’une machine, d’un objet manufacturé, d’une composé de matières ou d’un dessin, mais ne vise jamais leur fonctionnement ou leur résultat ou encore l’explication scientifique de leur fonctionnement ». 6 Lipscomb 21:17, aux pages 315 et 316. La revendication « définit la portée du brevet qui est délivré » 3 id, 11:1, à la page 280, et elle fait en sorte d’interdire non seulement les copies exactes de l’invention, mais aussi les produits qui correspondent « à la substance de l’invention, mais se soustraient à la formulation littérale de la revendication en apportant une modification secondaire » Schwartz, précité, à la page 82, 1. Dans la présente opinion, le terme « revendication » est employé exclusivement dans son sens particulier en droit des brevets.

 

[47]           Depuis l’arrêt Markman, il est courant dans les actions en matière de brevet aux États‑Unis de faire décider par un juge, avant l’instruction, l’interprétation des revendications. Le juge peut être saisi des éléments de preuve pertinents. De nombreuses raisons sont invoquées pour justifier cette procédure. Selon certains, une fois l’interprétation des revendications faite, le jury peut trancher rapidement les questions de contrefaçon et de validité ou les parties peuvent arriver à un règlement. D’autres estiment que les procès en matière de brevet sont souvent trop complexes pour que la décision revienne à un jury généralement profane; le fait de confier au seul juge la tâche la plus ardue, soit l’interprétation des revendications, allège considérablement la charge du jury. Au Canada, les tribunaux ont été réticents à rendre des décisions de type « Markman » avant l’instruction. Au Canada, l’instance devant la Cour fédérale, et généralement devant les autres tribunaux, se tient devant un seul juge et entendre à deux reprises la preuve, en particulier les témoignages d’experts, est loin d’être aussi efficace que de l’entendre en une seule fois.

 

[48]           L’Acte concernant les Brevets d’Invention de 1869, précité, n’exigeait pas expressément de revendications au sens moderne du mot. L’article 13 de cette Loi prévoyait que l’« invention ou découverte » soit décrite en « termes suffisamment précis, clairs et exacts ». L’article 14, qui ressemble beaucoup à l’article correspondant actuel, prescrivait que la description soit formulée « clairement et distinctement » :

13.       Le requérant insérera dans sa demande le titre ou le nom, l’objet et une courte description de son invention ou découverte, et énoncera clairement tous les faits nécessaires dans l’intention du présent acte pour lui donner droit de prendre un brevet; et il transmettra en double, avec la demande, une spécification écrite, décrivant son invention ou découverte en termes suffisamment précis, clairs et exacts pour qu’elle puisse être distinguée de toute autre invention applicable aux mêmes fins.

 

14.       La spécification décrira d’une manière exacte et complète le mode ou les modes d’application qu’a en vue le requérant, et énoncera clairement et distinctement les procédés et choses qu’il prétend être nouvelles, et dont il réclame la propriété et l’exploitation exclusives; elle portera la date du jour et du lieu où elle sera faite, et sera signée par le requérant et deux témoins; dans le cas d’une machine, la spécification expliquera pleinement le principe, et les différentes manières dont le requérant entend l’appliquer ou l’exploiter; dans le cas d’une machine ou dans tout autre cas où, pour l’intelligence de l’invention ou découverte, on pourra se servir de dessins, le requérant devra fournir en deux exemplaires, avec sa demande, des dessins représentant intelligiblement toutes les parties de l’invention ou découverte, et chaque dessin portera le nom de l’auteur de l’invention ou découverte avec des indications écrites se référant à la spécification, et sera revêtu du certificat du requérant, attestant que c’est là le dessin auquel renvoie la spécification; mais le Commissaire pourra exiger un plus grand nombre de dessins qu’il n’est mentionné ci‑haut, ou dispenser de quelqu’un d’eux, selon qu’il le jugera à propos; un double de la spécification et des dessins, lorsqu’il y aura des dessins, sera annexé au brevet, dont il formera partie essentielle, et l’autre double restera en dépôt au bureau des brevets.

 

[49]           Le premier brevet du Canada, le brevet nº 1, délivré le 18 août 1869, visait un [traduction] « Appareil de mesure à liquides ». Il illustre bien les moyens dont on servait à l’époque pour se conformer aux dispositions des articles 13 et 14. La première revendication est ainsi conçue :

[traduction] La combinaison et l’arrangement, tels qu’ils sont décrits pour l’essentiel, d’un piston alternatif équilibré de 1 cc et des soupapes d’équilibre cc, construits et actionnés essentiellement de la manière décrite en fonction du but exposé.

 

Par conséquent, le lecteur et le tribunal sont orientés vers le mémoire descriptif pour interpréter et comprendre la nature de l’invention revendiquée. À cette époque, l’interprétation était une nécessité.

 

[50]           Les exigences applicables aux revendications ont évolué avec la modification de la législation canadienne sur les brevets. Dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Limited, [1981] 1 R.C.S. 504, le juge Dickson (tel était alors son titre) a donné un bon résumé de cette évolution à la page 518 :

Toute la législation subséquente à l’Acte des brevets de 1869, 1869 (Can.), chap. 11, découle de celle-ci laquelle suit de près la loi des États-Unis de 1836 (5 Stat. 117). La Loi de 1869 exigeait (art. 14) que le mémoire descriptif décrive correctement et complètement le ou les modes d’opération envisagés par le demandeur et énonce clairement les inventions et choses qu’il réclame comme nouvelles et dont il réclame la propriété et l’usage exclusifs. Les premiers mots du par. 36(1) actuel et les exigences du par. 36(2) sont exprimés à peu près dans les mêmes termes. Une nouvelle loi a été adoptée en 1872, modifiée à l’occasion et révisée en 1886 et en 1906, mais sans grand changement à ce qui correspond maintenant à l’art. 36. En 1923, une nouvelle loi est entrée en vigueur; elle comportait les mots mêmes qu’on trouve aujourd’hui au début du par. 36(1). Elle exigeait que l’inventeur expose clairement les diverses phases d’un procédé et termine la description par une ou plusieurs revendications énonçant avec précision les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété et le privilège exclusifs. On établissait donc une distinction entre les « revendications » et le corps du mémoire.

 

[51]           Le paragraphe 14(1) de la Loi des brevets de 1923 du Canada, 13–14 Geo V. ch. 23, auquel renvoie le juge Dickson, prévoyait :

 

[traduction]

14(1) La description doit donner une explication exacte et complète de l’invention et de son application ou emploi tel que projeté par l’inventeur. Elle doit établir clairement les différentes phases d’un procédé, ou la manière de construire, de constituer ou de réunir, une machine, une fabrication, ou une composition de matières. Elle doit se terminer par une ou plusieurs revendications énonçant avec précision les choses ou combinaisons que le requérant considère comme nouvelles et pour lesquelles il revendique la propriété et le privilège exclusifs.

 

Cette disposition a modifié la perspective de la Cour sur les revendications. Il n’était plus nécessaire de se pencher sur le mémoire descriptif pour comprendre la revendication. Dans l’arrêt Gillette Safety Razor Co. c. Pal Blade Corp., [1933] R.C.S. 142, le juge Rinfret a écrit à la page 147 :

 [traduction] … nous devons être guidés principalement par les dispositions de l’article 14 de la Loi sur les brevets.

 

Cet article prévoit que le mémoire descriptif sera un énoncé correct et complet de la nature de l’invention. L’inventeur doit décrire le fonctionnement ou l’utilisation de l’invention qu’il envisage. Il doit exposer clairement le mode de construction ou de confection de l’objet manufacturé qu’il a inventé. Il doit, à la fin du mémoire descriptif, exposer des revendications qui énoncent distinctement les choses ou les combinaisons qu’il considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété et le privilège exclusifs. Dans tous les cas où l’invention peut être représentée par des dessins, l’inventeur doit envoyer avec sa demande des dessins illustrant clairement toutes les parties de l’invention, chaque dessin comportant des références écrites au mémoire descriptif. Un exemplaire du mémoire descriptif et des dessins, le cas échéant, sera annexé au brevet, dont il formera une partie essentielle.

 

Il s’ensuit que la nature de l’invention protégée par le brevet et la portée du monopole accordé doivent être déterminées à l’aide des revendications. Il faut interpréter les revendications en se référant au mémoire descriptif et aux dessins, mais, comme l’a souligné le juge Lindley, maître du rôle, dans la décision The Pneumatic Tyre Company Limited c. The Tubeless Pneumatic Tyre and Capon Headon Limited, que le breveté ait découvert ou n’ait pas découvert une chose nouvelle, son monopole est limité à ce qu’il a revendiqué comme son invention.

 

[52]           La Loi sur les brevets du Canada a fait l’objet d’une modification ultérieure qui ajoutait l’exigence que les revendications exposent particulièrement, distinctement et en termes explicites le monopole. Cette modification a été prévue à l’alinéa 36(1)e) et au paragraphe 36(2). Ces dispositions sont devenues l’alinéa 34(1)e) et le paragraphe 34(2) des versions suivantes :

34 [Mémoire descriptif]

(1) Dans le mémoire descriptif, le demandeur :

a) décrit d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues l’inventeur;

b) expose clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention;

c) s’il s’agit d’une machine, en explique le principe et la meilleure manière dont il a conçu l’application de ce principe;

d) s’il s’agit d’un procédé, explique la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention d’autres inventions;

e) indique particulièrement et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention.

 

(2) Revendications – Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications exposant distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif.

 

[53]           Dans l’arrêt Consolboard, précité, le juge Dickson a qualifié l’article 36 (l’article 34 actuel) de pivot du système des brevets. Il a dit que la rédaction de cet article n’était pas « heureuse » et que le paragraphe 36(2) ajoutait peu à l’alinéa 36(1)e) et semblait presque redondant. Il a écrit, aux pages 517 à 519 :

L’article 36 de la Loi sur les brevets est le pivot de tout le système des brevets. La description de l’invention qui y est faite est la raison pour laquelle l’inventeur obtient un monopole sur l’invention pour un certain nombre d’années. Comme le souligne Fox dans Canadian Patent Law and Practice (4e éd.), à la p. 163, l’octroi d’un brevet est une sorte de marché entre l’inventeur d’une part et Sa Majesté, agissant pour le public, d’autre part. L’octroi a deux considérations : [traduction] « la première, c’est qu’il doit y avoir une invention nouvelle et utile, la seconde, l’inventeur doit, en contrepartie de l’octroi du brevet, fournir au public une description adéquate de l’invention comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole. » La description dont parle Fox est celle qui est exigée par l’art. 36 de la Loi sur les brevets.

 

On ne peut dire que la rédaction de l’art. 36 est heureuse. Elle donne l’impression d’être un brassage d’idées glanées au hasard plutôt qu’un effort pour énoncer, de façon concise et précise, un ou des principes directeurs. C’est peutêtre explicable parce que l’article est le fruit de modifications successives au cours des années. Ce texte ne se prête tout simplement pas à une interprétation serrée et littérale. Il est et on doit le lire comme un énoncé du législateur, en termes généraux, de ce que le demandeur doit révéler à la face du monde avant d’être autorisé à obtenir la concession d’un monopole en vertu d’un brevet.

 

. . .

 

En 1935, une autre Loi sur les brevets était adoptée dont l’art. 35 était presque le même que l’art. 36 actuel. Elle apportait deux changements qui sont particulièrement pertinents en l’espèce : (i) elle exigeait que les parties explicatives s’adressent à une personne versée dans l’art, ce qui n’était que la codification de ce qui avait toujours été la règle en common law, et (ii) elle ajoute les derniers mots du par. (1), qui sont de première importance en l’espèce, soit : « Il doit particulièrement indiquer la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention ».

 

Ce qu’on a voulu obtenir en ajoutant les mots cités n’est pas tout à fait clair. Ils ont peut-être été ajoutés ex abundante cautela, pour avoir plus de détails dans les descriptions, mais ils semblent presque redondants, si on les rapproche du par. 36(2) et de la définition d’« invention ». À première vue, la modification de 1935 n’a rien ajouté en substance à ce qui était requis depuis 1869.

 

[54]           Par conséquent, lorsqu’il a traité de la divulgation et des revendications du brevet, désignées ensemble comme le mémoire descriptif, le juge Dickson, dans l’arrêt Consolboard, a indiqué que les revendications doivent être lues à la lumière de la divulgation d’une manière équitable. Il a écrit, aux pages 520 et 521 :

Essentiellement, ce qui doit figurer dans le mémoire descriptif (qui comprend à la fois la divulgation, c.-à-d., la partie descriptive de la demande de brevet, et les revendications) c’est une description de l’invention et de la façon de la produire ou de la construire, à laquelle s’ajoute une ou plusieurs revendications qui exposent les aspects nouveaux pour lesquels le demandeur demande un droit exclusif. Le mémoire descriptif doit définir la portée exacte et précise de la propriété et du privilège exclusifs revendiqués.

 

Le paragraphe 36(1) cherche à répondre aux questions suivantes : « En quoi consiste votre invention? Comment fonctionne-t-elle? Quant à chacune de ces questions, la description doit être exacte et complète de sorte que, comme l’exprime le président Thorson dans Minerals Separation North American Corporation c. Noranda Mines, Limited :

 

[traduction] . . . une fois la période de monopole terminée, le public puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur, à l’époque de la demande. [à la p. 316]

 

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, à la p. 574 :

[traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a dit à peu près la même chose il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son c. Safety Lighting Company. Il a dit que l’on devait aborder le brevet « avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile ».

 

 

b)         Historique de l’exigence de revendications en Grande‑Bretagne

 

[55]           Une bonne partie de la jurisprudence canadienne en droit des brevets, surtout jusqu’à la dernière partie du siècle dernier, est basée sur la jurisprudence issue de la Grande‑Bretagne. Ainsi, les tribunaux ont été parfois été induits en erreur en matière de revendications et d’interprétation des revendications par le fait que la législation de la Grande-Bretagne, suivant l’interprétation des tribunaux britanniques, a dégagé assez tardivement la notion d’une ou plusieurs revendications distinctes ayant pour fonction d’exposer clairement la nature du monopole. Les tribunaux britanniques privilégiaient l’examen de la description pour « interpréter » le monopole. En Grande-Bretagne, avant les Acts de 1883 à 1888 (46 & 47 Vict. C. 57, 48 & 49 Vict. c. 63, 49 & 50 Vict. c. 37, 51 & 52 Vict. c. 50), aucune disposition législative n’exigeait expressément qu’une revendication distincte soit exposée dans le brevet. Le brevet était constitué du seul mémoire descriptif, qui exposait les détails de l’invention. Le tribunal devait se pencher sur le mémoire descriptif pour décider de la nature de l’invention et pour se prononcer sur la validité du brevet ou sur la contrefaçon. À cet égard, l’arrêt de la Cour d’appel Lister c. Leather (1858), 8 B.l. & El. 1004, 120 E.R., aux pages 384 et 385, donne un bon exemple de cette façon de procéder. Le juge Williams y déclare, notamment :

[traduction] La combinaison est expressément mentionnée ici comme une partie de l’invention; le jugement de la cour inférieure doit donc, sur ce point, être confirmé. Par conséquent, le troisième point, à savoir si le brevet de 1852 visait une combinaison, nous semble décidé par la description d’une action combinée de battage et de peignage tout au début du mémoire descriptif, compte tenu de la renonciation. La combinaison n’est peut‑être pas revendiquée distinctement et expressément dans l’un ou l’autre de ces brevets. Mais ni la revendication ni la renonciation ne sont essentielles au mémoire descriptif; ce qui semble être l’invention, ou une partie de l’invention, sera protégé, malgré l’absence de revendication; et les objets qui ne font manifestement pas partie de l’invention n’ont pas besoin de faire l’objet d’une renonciation.

 

[56]           Cette pratique encourageait les titulaires de brevet à élargir leur argumentation pour affirmer que leur monopole comprenait non seulement ce qui était décrit dans le mémoire descriptif, mais aussi tout ce qui constituait l’« esprit » de ce qui était décrit. Dans l’arrêt Dudgeon c. Thomson (1877), 3 App. Cas. 34, la Chambre des lords a mis fin à cette argumentation, le lord chancelier Cairns disant aux pages 44 et 45 :

[traduction] Vos Seigneuries, ce que j’en comprends, c’est que s’il y a une invention brevetée et qu’on juge que vous, le défendeur, avez usurpé cette invention, vous ne pourrez vous soustraire à la sanction ou à la restriction imposées par la Cour du fait qu’en usurpant l’invention, vous l’avez maquillée de manière trompeuse, ajoutant quelque chose ici, retranchant peut-être quelque chose là, faisant en sorte que l’on pourra dire, comme le fait l’injonction : Voici une machine qui est, soit la machine du demandeur, soit une machine qui n’en diffère que de manière trompeuse. Au fond des choses, il doit y avoir une usurpation de l’invention du demandeur. Dans notre pays, il y avait autrefois une théorie selon laquelle une personne pouvait contrevenir à l’esprit d’une loi s’il était impossible d’établir qu’elle avait contrevenu à la lettre de la loi; on disait alors qu’elle avait contrevenu à l’esprit de la loi. Je sais aussi qu’une certaine confusion des idées fait parfois croire à l’existence d’une certaine notion de contrefaçon de l’esprit d’un brevet. Vos Seigneuries, je me refuse à penser que notre droit comporterait un sain principe de cette nature; ce qui est protégé est ce qui est spécifié et ce qui est tenu pour une contrefaçon doit contrefaire ce qui est spécifié. Mais je conviens que les ruses et déguisements des ajouts ou des retraits, si réels soient‑ils, ne changent rien à la contrefaçon, à l’usurpation de l’objet protégé par le brevet.

 

Lord Blackburn a dit pour sa part à la page 53:

 

[traduction] Vos Seigneuries, sur ce point je suis d’accord avec ce qu’a dit le noble lord chancelier, que la question est de savoir si cela constitue une contrefaçon du brevet, une usurpation d’une partie du droit à l’utilisation de cette invention qui a été conféré par les lettres patentes. Mais l’expression « de manière trompeuse » risque fort d’induire en erreur dans ces affaires. Si une partie de la propriété de l’invention est réellement usurpée, il y a contrefaçon, sans égard à l’ampleur du maquillage ou de l’effort visant à dissimuler. Si le breveté se rend compte de l’usurpation et si l’objet usurpé fait réellement partie de la propriété qui lui a été conférée par les lettres patentes, il a le droit de poursuivre l’auteur de la contrefaçon, sans égard à l’ingéniosité du maquillage destiné à cacher l’usurpation d’une partie de la propriété. Nonobstant tout cela, il n’est pas juste de dire que tout acte qui répond au même objet est nécessairement une contrefaçon du mémoire descriptif; nous devons considérer ce qui figure dans le mémoire descriptif. Comme condition pour obtenir un brevet, le breveté doit « décrire et identifier particulièrement la nature de l’invention et la manière de la mettre en pratique ». Par conséquent, nous examinons le mémoire descriptif pour déterminer quelle est la nature de l’invention pour laquelle le brevet a été pris selon la description et l’identification du mémoire descriptif.

 

[57]           Les tribunaux britanniques jetaient donc un œil critique sur le mémoire descriptif (la description) pour y trouver l’invention revendiquée. Dans le mémoire descriptif, le breveté faisait parfois un énoncé de ce qui était revendiqué à titre d’invention. On en trouve un exemple dans l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre Plimpton c. Spiller (1876), 6 Ch. D. 412, où lord James a dit, aux pages 426 et 427 :

 

[traduction] Il est important de se rappeler qu’on ne trouve rien dans la Loi ou dans le droit des brevets au sujet des revendications. Le breveté obtient un brevet pour son invention et il est tenu d’effectuer la description de cette invention d’une manière qui indique au public, non seulement la façon de réaliser pratiquement l’invention, mais aussi les limites de l’invention pour laquelle le brevet est pris; et le véritable objet de ce qu’on appelle une revendication, qu’on n’emploie pas beaucoup plus souvent qu’auparavant, n’est pas de revendiquer quelque chose qui n’est pas mentionné dans le mémoire descriptif, mais de renoncer à quelque chose. L’homme qui a inventé quelque chose présente en détail l’ensemble de la machine dans son mémoire descriptif. Pour le faire, il doit très souvent donner des détails sur des choses qui sont parfaitement connues et d’emploi courant – il décrit de nouvelles combinaisons de choses anciennes qui produisent un résultat nouveau, ou quelque chose de ce genre. Par conséquent, ayant décrit son invention et la façon de la mettre en pratique, il ajoute par précaution : « Mais soyez avisés que je ne revendique pas l’ensemble de cette machine, l’ensemble de ce mode de fonctionnement, mais que je revendique ce qui est nouveau, à savoir ce que je m’apprête maintenant à énoncer. » C’est là réellement l’objet légitime d’une revendication et on doit toujours interpréter une revendication en se référant au contexte global du mémoire descriptif.

 

Nous devons maintenant examiner l’effet de cette partie de la revendication. Il dit : « Je revendique premièrement » etc., puis il dit : « Deuxièmement, le mode de fixation des lames et la façon de le rendre réversibles, comme il est décrit ci‑dessus. »

 

[58]           Les tribunaux britanniques ont continué, toutefois, de trouver l’invention dans le mémoire descriptif (description) même si la loi prescrivait que le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications. L’exigence de revendications était considérée comme une condition de pure forme, plutôt qu’une condition de fond, comme en témoigne l’arrêt de la Chambre des lords Tubes Ltd. c. Perfecta Seamless Steel Tube Company Ltd. (1902), 20 R.P.C. 77. Lord Halsbury y a écrit aux pages 99 et 100 :

[traduction] Vos Seigneuries, il va de soi que personne ne peut nier que la revendication, comme toute autre partie importante du mémoire descriptif (et elle fait partie du mémoire descriptif) doit être interprétée par référence au sens du mémoire descriptif. Personne ne querellerait s’ils voulaient dire que si, en y regardant de près, le mémoire descriptif soulevait le doute qu’ils ont exprimé, il pourrait être justifié de dire que le mémoire descriptif était mauvais, du fait que l’exposé fait dans l’ensemble du mémoire descriptif, revendication comprise, n’était pas celui que le breveté avait l’obligation de faire. Mais s’ils voulaient dire que, la revendication étant prise comme un énoncé distinct et séparé du mémoire descriptif, cela constituait un motif indépendant, parce qu’il ne contenait pas de revendication distincte, dans ce cas, vos Seigneuries, cela contredit absolument l’arrêt Vickers c. Siddell de la présente Chambre. Je ne pense pas qu’il soit juste de considérer cet arrêt comme une opinion judiciaire incidente, parce qu’il dépendait de l’établissement des faits dans cette affaire, et il n’est pas juste de dire qu’un motif de l’arrêt est devenu superflu en raison des faits qui y ont été prouvés. Je reprendrai ce que j’ai personnellement dit : « L’objection faisant valoir l’absence d’une revendication distincte en est une de pure forme; je pense que le législateur n’avait pas l’intention de faire de cette prescription, qui figure incontestablement dans la Loi, une condition dont l’inobservation entraînerait la nullité du brevet. On ne trouve aucun indice de cette intention dans la Loi et il ne semble y avoir aucune raison valable de la déduire de l’économie générale de la Loi. Au contraire, j’estime que l’intention était que les questions de pure forme soient traitées dans le nouveau dispositif fourni. » Puis lord Herschell, souscrivant à ma position, explicite ainsi la question : « La dernière objection à l’égard du brevet est que le mémoire descriptif complet ne se "termine pas par un énoncé distinct de l’invention revendiquée", comme l’exige le paragraphe 5 de l’article 5 de la Loi. La Loi ne prévoit pas que le manquement à cette condition entraîne la nullité du brevet et je pense qu’on ne peut pas en déduire pareille condition. Il n’y a pas plus de raison de le faire pour cette disposition qu’à l’égard de l’inobservation de toute autre disposition de l’article visé. La disposition devrait "commencer par le titre". On pourrait difficilement faire valoir sérieusement que si le contrôleur acceptait un mémoire descriptif dont le titre n’occupe pas la première place, le brevet conféré devrait pour ce motif être jugé nul. Vos Seigneuries, je ne vous retiendrai pas plus longtemps sur ce point, qui a d’ailleurs été exhaustivement traité et, à mon avis, correctement décidé par les juges de la Cour d’appel. » Or, cet arrêt de la Cour d’appel, confirmé par la Chambre, ne devrait pas être écarté de manière sommaire pour le simple motif que la condition prévue par la loi n’a pas été observée. Je souhaite donc exprimer mon accord avec l’arrêt antérieur, qui lie vos Seigneuries. Je fais observer qu’aucun des autres lords ayant participé aux délibérations n’a exprimé de dissidence à l’égard de ce que lord Herschell et moi‑même avons dit. Dans ces circonstances, il me semble que si cet argument est présenté comme un motif distinct, dans l’hypothèse où les juges auraient voulu qu’il en soit ainsi, il est clairement en contradiction avec l’arrêt de la Chambre des lords.

 

[59]           Le Patents Act britannique de 1949 (12, 13 & 14 Geo 6, Ch 87) établissait les conditions relatives aux revendications distinctes aux paragraphes 4(1) à 4(4) :

[traduction]

Contenu du mémoire descriptif.

4.

(1) Le mémoire descriptif, complet ou provisoire, doit décrire l’invention et commencer par un titre indiquant l’objet visé par l’invention.

(2) Sous réserve des règles établies par le Board of Trade en vertu de la présente Loi, des dessins peuvent être fournis, et doivent l’être si le contrôleur le demande, aux fins du mémoire descriptif complet ou provisoire; ces dessins, sauf avis contraire du contrôleur, seront réputés faire partie du mémoire descriptif et les références au mémoire descriptif dans la présente Loi seront interprétées en conséquence.

(3) Le mémoire descriptif complet

a) doit décrire particulièrement l’invention et sa méthode de réalisation;

b) doit divulguer la meilleure méthode de réalisation de l’invention connue de l’inventeur et dont il a droit de revendiquer la protection;

c) doit se terminer par une revendication ou des revendications définissant la portée de l’invention revendiquée.

(4) La revendication ou les revendications d’un mémoire descriptif complet doivent viser une seule invention, être claires et succinctes et être honnêtement fondées sur l’objet divulgué dans le mémoire descriptif.

 

 

[60]           La question de l’interprétation des revendications en vertu de la Loi britannique de 1949 a été soulevée devant la Chambre des lords dans l’arrêt Catnic Components Limited c. Hill & Smith Limited, [1982] R.P.C. 183. Dans cet arrêt, lord Diplock, avec l’assentiment de tous les autres lords juristes, a écrit au sujet de l’interprétation des revendications, aux pages 242 et 243 :

[traduction] Vos Seigneuries, le mémoire descriptif d’un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, faite dans ses propres mots et s’adressant à ceux qui sont susceptibles d’avoir un intérêt concret dans l’objet de son invention (c’est‑à‑dire qui sont « versés dans l’art »), par laquelle il les informe de ce qu’il prétend être les caractéristiques essentielles du nouveau produit ou du nouveau procédé pour lequel les lettres patentes lui confèrent un monopole. Ce sont seulement les nouvelles caractéristiques qu’il prétend essentielles qui constituent ce qu’on appelle l’« essence » de la revendication. Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt que l’interprétation purement littérale découlant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est la suivante : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l’invention est destinée à servir comprendraient‑elles que le breveté voulait que l’interprétation stricte d’une expression ou d’un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l’invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s’il se peut qu’elle n’ait aucun effet important sur la façon dont l’invention fonctionne.

 

[61]           Par la suite, la Grande‑Bretagne est entrée dans l’Union européenne et a modifié son Patents Act (1977, c. 37) en 1977 pour en assurer la conformité à la Convention sur le brevet européen. Les articles 69 et 84 de la Convention sur le brevet européen disposent :

69.  L’étendue de la protection conférée par le brevet européen ou par la demande de brevet européen est déterminée par la teneur des revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter la revendication.

 

. . .

 

84.    Les revendications définissent l’objet de la protection demandée. Elles doivent être claires et concises et se fonder sur la description.

 

[62]           L’article 125 du Patents Act britannique, modifié en 1977, vise à assurer la conformité aux dispositions de la Convention sur le brevet européen (voir le paragraphe 130(7) du Patents Act britannique). Il dispose :

[traduction]

125. – (1) Pour l’application de la présente Loi, l’invention qui a fait l’objet d’une demande de brevet ou de l’octroi d’un brevet doit s’entendre, sous réserve du contexte, de ce qui est spécifié dans une revendication du mémoire descriptif de la demande de brevet ou du brevet, selon le cas, interprété en fonction de la description et des dessins figurant dans le mémoire descriptif, et l’étendue de la protection conférée par le brevet ou la demande de brevet sera déterminée en conséquence.

(2) []

(3) Le Protocole interprétatif de l’article 69 de la Convention sur le brevet européen (article comportant une réserve correspondant au paragraphe (1) ci-dessus) s’appliquera, tant qu’il sera en vigueur, au paragraphe (1) ci‑dessus comme il s’applique à l’article visé.

 

[63]           La Chambre des lords s’est penchée sur ces dispositions dans l’arrêt Kirin Amgen c. Hoechst Marion Roussel, [2005] R.P.C. 9. Lord Hoffman, avec l’assentiment des autres lords juristes, a confirmé que l’approche de l’arrêt Catnic mentionnée ci‑dessus était toujours correcte. Il a écrit au paragraphe 48 :

[traduction] Le principe d’interprétation de l’arrêt Catnic est donc, à mon avis, en parfaite conformité avec le Protocole. Il est destiné à donner au breveté la pleine portée, sans plus, du monopole qu’il avait l’intention de revendiquer, aux yeux de la personne du métier raisonnable qui lit les revendications en contexte.

 

[64]           Lord Hoffman a dit très clairement que lorsque la Cour examine l’interprétation d’une revendication, elle ne cherche pas à établir ce que l’auteur du brevet voulait dire ou avait l’intention de dire. La Cour doit déterminer ce que le destinataire comprendrait que le document veut dire. Il a écrit, au paragraphe 32 :

[traduction] L’interprétation du brevet ou de tout autre document ne concerne évidemment pas directement ce que l’auteur voulait dire. Il n’est pas possible de lire dans les pensées du breveté ou de l’auteur de tout autre document. L’interprétation est objective en ce sens qu’elle porte sur ce que la personne raisonnable à qui le message est adressé aurait compris de ce que son auteur voulait dire. Il y a toutefois lieu de signaler qu’il ne s’agit pas, comme on le dit parfois, de trouver « le sens des mots employés par l’auteur du message » mais bien de déterminer ce que le destinataire fictif a compris que l’auteur voulait dire en employant les mots en question. Le sens des mots est affaire de convention; il est régi par des règles que l’on trouve dans les dictionnaires et les grammaires. Ce qu’on peut penser que l’auteur voulait dire en employant les mots en question n’est pas simplement une question de règles. Tout dépend du contexte dans lequel le message a été donné et non seulement des mots choisis par l’auteur, mais aussi de la nature de l’auditoire auquel il est censé s'adresser et des connaissances et postulats que l’on attribue à cet auditoire.

 

[65]           Cela représente fondamentalement l’exposé du droit en Grande-Bretagne au plus haut niveau de l’organisation judiciaire aujourd’hui.

 

c)         L’état actuel du droit au Canada

[66]           Il est pratiquement devenu impératif, dans une procédure en contrefaçon de brevet ou en invalidité ou dans les deux, que la Cour, pour arriver à sa décision, commence par s’engager dans l’interprétation de la revendication ou des revendications en litige. Dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, la Cour suprême du Canada a fait un examen exhaustif des principes de l’approche actuelle en matière d’interprétation des revendications. Je reprends ici des extraits de ce que le juge Binnie a écrit, au nom de la Cour, aux paragraphes 42 à 52 :

1. Les principes d’interprétation des revendications d’un brevet

 

[42] Le contenu du mémoire descriptif d’un brevet est régi par l’art. 34 de la Loi sur les brevets  La première partie est une « divulgation » dans laquelle le breveté doit fournir une description de l’invention « comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole » : Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la p. 517. La divulgation est ce que l’inventeur fournit en contrepartie d’un monopole de 17 ans (maintenant 20 ans) sur l’exploitation de l’invention. On peut faire respecter le monopole au moyen de toute une gamme de recours en droit et en equity, de sorte qu’il importe que le public sache ce qui est interdit et ce qu’il peut faire sans risque lorsque le brevet est encore en vigueur. Les revendications qui concluent le mémoire descriptif servent d’avis public et doivent énoncer « distinctement et en termes explicites les choses ou combinaisons que le demandeur considère comme nouvelles et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif » (par. 34(2)). L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation.

 

[43] Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L’interprétation des revendications précède l’examen des questions de validité et de contrefaçon.

. . .

[45] L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.

 

. . .

Il faut donc donner à un brevet une interprétation qui, selon l’art. 12 de la Loi d’interprétation, « soit compatible avec la réalisation de son objet ». L’intention est exprimée par des mots dont le sens doit être respecté, mais les mots eux‑mêmes sont utilisés dans un contexte qui fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu’une protection contre leur mauvaise interprétation. Dans Interprétation des lois (3e éd. 1999), P.‑A. Côté l’explique succinctement lorsqu’il écrit, à la p. 490 : « Ce sens découle en partie du contexte de leur utilisation, et l’objet de la loi fait partie intégrante de ce contexte » (je souligne). Voir, dans le même sens, Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. Ces principes s’appliquent à l’interprétation des revendications en vertu de la Loi d’interprétation.

 

. . .

L’interprétation téléologique est susceptible d’élargir ou de limiter la portée d’un texte, comme Hayhurst, loc. cit., le souligne, à la p. 194, dans des mots qui laissent présager le jugement de première instance rendu en l’espèce :

 

[traduction] L’interprétation téléologique est susceptible de démontrer qu’on n’a pas voulu qu’une chose qui pourrait littéralement être visée par la revendication le soit, de sorte qu’il ne peut y avoir de contrefaçon

 

De même, deux autres praticiens expérimentés, Carol V. E. Hitchman et Donald H. MacOdrum ont conclu qu’une [traduction] « interprétation téléologique n’est pas nécessairement plus large qu’une interprétation purement littérale, même s’il se peut qu’elle le soit  (Hitchman et MacOdrum, « Don't Fence Me In: Infringement in Substance in Patent Actions » (1990), 7 R.C.P.I. 167, à la p. 202).

 

. . .

[52] J’ai déjà exposé les raisons qui m’incitent à conclure que, dans la mesure où les appelantes préconisent une méthode consistant à s’en tenir au dictionnaire pour interpréter le sens des mots utilisés dans les revendications du brevet 803, cette méthode doit être rejetée. Dans l’arrêt Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, notre Cour a cité des décisions antérieures portant sur le mot [traduction] « conduit » utilisé dans une revendication de brevet. À la page 572, le juge en chef Duff a souscrit à la proposition selon laquelle [traduction] « [i]l faut consulter non pas le dictionnaire pour y vérifier le sens du mot “conduit”, mais plutôt le mémoire descriptif pour vérifier le sens dans lequel les brevetés ont utilisé ce mot ». Comme nous l’avons vu, le juge Dickson a estimé, dans l’arrêt Consolboard, précité, qu’il fallait considérer l’ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) « pour déterminer la nature de l’invention » (p. 520). L’énoncé du juge Taschereau, dans l’arrêt Metalliflex Ltd. c. Rodi & Wienenberger Aktiengesellschaft, [1961] R.C.S. 117, à la p. 122, va dans le même sens :

 

            [traduction] On doit naturellement interpréter les revendications en se reportant à l’ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l’interprétation d’une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications « en empruntant tel ou tel élément à d’autres parties du mémoire descriptif ».

 

Plus récemment, Hayhurst, loc. cit., à la p. 190, a prévenu que [traduction] « [l]es mots doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu’il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif ». J’estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, y compris le dessin, pour comprendre le sens du mot « ailette » utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, ainsi, interprétée.

 

[67]           Cette façon d’aborder l’interprétation des revendications a été formulée avec concision par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 217, 59 C.P.R. (4th) 116, par la juge Sharlow, qui s’exprimait au nom de la Cour, au paragraphe 4 :

L’interprétation de la revendication 4

[4] Chaque fois que la validité ou la contrefaçon d’un brevet est en question, il y a nécessité d’interpréter la revendication : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43. La date pertinente pour l’interprétation du brevet 080 est la date de sa délivrance, soit le 23 juin 1992. Il faut comprendre le brevet comme destiné à une personne versée dans l’art dont il relève et en tenant compte des connaissances qu’une telle personne est censée posséder à la date pertinente. L’interprétation du brevet appartient à la Cour; elle doit se fonder sur l’ensemble de l’exposé de l’invention et de la revendication, lus à la lumière de témoignages d’experts concernant la signification de certains termes et les connaissances que la personne versée dans l’art est censée posséder à la date pertinente.

 

 

d)         Récapitulatif

 

[68]           Au terme de cet historique des revendications de brevet et de l’interprétation des revendications au Canada, qui a subi l’influence de la Grande‑Bretagne, il ressort qu’à l’origine il était essentiel pour la Cour d’interpréter le brevet et ses revendications parce que l’« invention », et par conséquent le monopole, devait se trouver dans le mémoire descriptif. À mesure que les lois sont devenues plus claires au sujet des revendications, le mémoire descriptif a été scindé en deux parties. La description avait pour objet d’« acheter » le monopole par une description de l’invention suffisamment détaillée pour que la personne versée dans l’art visé puisse comprendre la nature de l’invention et la façon de la réaliser. L’autre partie du mémoire descriptif était constituée des revendications, qui avaient pour fonction de définir et fixer les limites du monopole recherché par le brevet.

 

[69]           Désormais, l’interprétation de la revendication n’impose plus à la Cour de fouiller la description pour arriver à établir la nature du monopole; la Cour commence plutôt par la revendication et détermine le sens que lui donnerait la personne versée dans l’art. Elle le fait en se servant de la description comme d’un contexte et, au besoin, en faisant appel au témoignage des experts, qui aident la Cour à se placer au niveau de compréhension de la personne versée dans l’art. La finalité de la démarche est de comprendre ce que le breveté revendique comme son monopole.

 

[70]           Il s’ensuit que l’interprétation des revendications par les tribunaux canadiens est maintenant un travail plus facile que par le passé, parce que la législation a clarifié la fonction des revendications. Cette fonction consiste à définir distinctement et en termes explicites le monopole revendiqué. Dans la mesure où la revendication doit maintenant être « interprétée », cette fonction appartient exclusivement à la Cour. Les experts peuvent aider la Cour de deux manières : premièrement, ils peuvent la renseigner sur les connaissances que la personne versée dans l’art aurait possédées à l’époque pertinente, de manière à ce que ces connaissances soutiennent la lecture à la fois de la description et des revendications; deuxièmement, l’expert peut aider à expliquer les termes techniques qui ne font pas partie de l’expérience que la Cour est censée posséder. Par conséquent, l’interprétation des revendications relève de la Cour exclusivement, mais la Cour devra peut‑être dégager des conclusions factuelles sur les connaissances de la personne versée dans l’art. La meilleure façon de considérer les conclusions de la Cour en matière d’interprétation des revendications est de les voir comme des conclusions mixtes de fait et de droit.

 

e)         La jurisprudence du R.‑U. et de l’Europe relative aux revendications suisses

[71]           Dans la présente instance, quatre décisions des tribunaux du Royaume-Uni et une décision de la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets méritent un examen. Il s’agit des décisions suivantes :

a.       Bristol-Myers Squibb Company c. Baker Norton Pharmaceutics Inc., [1998] EWHC Patents 300 (20 août 1998), décision du juge Jacob (tel était alors son titre) de la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles (Chambre des brevets). J’y ferai référence sous la désignation de décision de première instance Bristol-Myers.

b.      Bristol-Myers Squibb Company c. Baker Norton Pharmaceutics Inc., [2001] R.P.C. 1 (23 mai 2000), arrêt de la Cour d’appel confirmant la décision de première instance. J’y ferai référence sous la désignation d’arrêt Bristol-Meyers.

c.       Actavis UK Limited c. Merck & Co. Inc., [2007] EWHC 1311 (6 juin 2007), décision du juge Warren de la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles (Chambre des brevets). Cette décision concerne un brevet européen qui est fondé sur la même demande prioritaire que le brevet 457 visé dans la présente affaire et une revendication de type « suisse » semblable, sans être identique, à la revendication 5. J’y ferai référence sous la désignation de décision de première instance Actavis.

d.      Actavis UK Ltd. c. Merck & Co. Inc., [2008] EWCA Civ 444, [2009] 1 All ER 196 (21 mai 2008), arrêt de la Cour d’appel infirmant la décision de première instance. Le juge Jacob (juge ayant rendu la décision de première instance Bristol-Myers) a rédigé l’arrêt de la Cour d’appel. J’y ferai référence sous la désignation d’arrêt Actavis. À la date de publication des présents motifs, je n’ai pas été informé si une autorisation de pourvoi avait été demandée à l’égard de la décision de première instance.

e.       Kos Life Sciences, décision n° G 0002/08, décision finale de la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets, en date du 19 février 2010, qui traite de la brevetabilité des revendications de type « suisse ». J’y ferai référence sous la désignation de décision Kos.

 

[72]           La décision de première instance Bristol-Myers du juge Jacob a été confirmée par la Cour d’appel, mais elle formulait des observations importantes au sujet des revendications de type « suisse ». Dans la décision Actavis, le juge de première instance a suivi l’arrêt de la Cour d’appel Bristol-Myers, pour voir ensuite le juge Jacob, en appel, établir très laborieusement une distinction par rapport à l’arrêt Bristol-Myers de la Cour d’appel et infirmer la décision de première instance Actavis. Pendant ce temps, la Grande Chambre de recours européenne, qui se prononce en dernier ressort sur les brevets européens (les tribunaux britanniques peuvent se prononcer sur les brevets européens exécutoires au R.‑U., mais la Chambre européenne se prononce en dernier recours sur des questions comme la validité) avais mis en délibéré la décision Kos et examinait la validité des revendications de type « suisse ». Dans l’arrêt Actavis, on avait demandé à la Cour d’appel du R.‑U., qui avait refusé, de surseoir à statuer jusqu’à la décision Kos de la Grande Chambre de recours. En fin de compte, la Chambre européenne a conclu à l’invalidité des revendications de type « suisse », pour l’avenir.

 

[73]           L’importance de cette jurisprusdence tient au fait que l’affaire Actavis porte sur une revendication  de type « suisse » dans un brevet ayant la même genèse que le brevet 457 et dont le libellé est semblable à celui de la revendication 5. Dans le paragraphe 9 de la décision Actavis, les revendications d’origine se lisent comme suit :

 

[traduction]

a.       Le mémoire descriptif du brevet décrit une « méthode de traitement de l’alopécie androgénétique à l’aide d’inhibiteurs de la 5α-réductase ». Les revendications réelles sont les suivantes :

 

1.                              L’utilisation du [finastéride] pour la préparation d’un médicament destiné à l’administration par voie orale traitant l’alopécie androgénétique chez l’humain, dans laquelle la dose est d’environ 0,05 à 1,0 mg.

 

2.                              L’utilisation conforme à la revendication 1, dans laquelle la dose est de 1,0 mg.

 

3.                              L’utilisation conforme à la revendication 1 ou 2, pour le traitement de la calvitie androgénétique chez l’homme.

 

[74]           Les tribunaux du R.‑U. permettant la modification des revendications au cours d’une procédure judiciaire, ces revendications ont été modifiées et les mots [traduction] « par jour » ont été ajoutés à la posologie exposée au paragraphe 10 de la décision de première instance :

10.       [traduction] Merck dit que, s’agissant de l’interprétation, la revendication 1 du brevet est limitée à la posologie du finastéride indiquée par jour. À la lecture de l’ensemble du brevet, la description comporte des éléments à l’appui de cette conclusion. Toutefois, Actavis conteste cette interprétation, en se fondant sur la définition de l’invention, qui ne fait pas état de la posologie. Mais Actavis ne s’oppose pas à la modification, ce qui donne au litige sur l’interprétation un caractère hautement théorique. Je propose de ne pas trancher la question de l’interprétation, mais d’accueillir la modification pour les besoins de la présente procédure.

 

 

[75]           Dans l’affaire dont je suis saisi au sujet du brevet 457, il n’existe pas actuellement de procédure permettant d’effectuer une modification devant la Cour. Toutefois, Merck soutient que l’interprétation correcte de la revendication 5 demande de considérer que la posologie indiquée de 1 mg est une posologie « par jour ».

 

[76]           À ce stade‑ci, je renvoie à la décision de première instance Bristol-Myers du juge Jacob dans laquelle il a présenté l’historique des revendications de type « suisse ». La teneur particulière de ce type de revendication vise à contourner le problème auquel fait face la personne qui a découvert une nouvelle utilisation médicale pour un composé qui a déjà d’autres utilisations médicales connues, alors que le droit européen semble exclure la revendication applicable à ce genre de situation. Le juge Jacob a dit aux paragraphes 43 à 46 de la décision de première instance Bristol-Myers :

[traduction]

43. Avant de continuer, je dois maintenant parler de la structure générale de la revendication. Sans doute l’homme moyennement versé dans l’art (à qui la revendication s’adresse en théorie) la trouverait curieuse, à moins d’avoir été initié à la logique byzantine du droit et de la jurisprudence en matière de brevets. L’explication se trouve au paragraphe 54(4) de la CBE et dans la jurisprudence. Les passages pertinents de l’article 54 sont rédigés comme suit :

 

(1) Les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle.

 

(4) Ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d’application industrielle au sens du paragraphe 1, les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal. Cette disposition ne s’applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes.

 

44. Sous cette forme, la revendication cherche à éviter deux obstacles à la brevetabilité, soit l’exigence de la nouveauté et l’interdiction des méthodes de traitement thérapeutique du corps humain. La revendication est, ou vise à être, sous ce qu’on appelle la « forme suisse », selon un énoncé de pratique sur les « revendications d’utilisation » publié par l’Office fédéral de la propriété intellectuelle de la Suisse. ([1984] J0 OEB 581). La forme généralisée de ce type de revendication est « l’utilisation du composé X dans la préparation d’un médicament destiné à une utilisation thérapeutique spécifiée (nouvelle) ». Ces revendications ne sont pas nécessaires quand X est nouveau, car il peut dans ce cas être breveté en vertu de la dernière phrase du paragraphe 53(4). Mais quand X est ancien, la forme suisse de la revendication est réputée lui conférer la nouveauté sans en faire une méthode de traitement. La Grande Chambre de recours a rendu cette conclusion dans la décision Eisai. (G5/83 [1985] OJ OJEPO 64). Elle a dit :

 

Il est légitime en principe d’autoriser les revendications visant l’utilisation d’une substance ou d’une composition dans la préparation d’un médicament destiné à une application thérapeutique spécifiée nouvelle et inventive, même dans le cas où le procédé de préparation ne diffère pas des procédés connus utilisant le même ingrédient actif.

 

24. Ainsi, la Grande Chambre de recours a considéré comme nouvelle la préparation d’un comprimé connu destiné à une utilisation dans un nouveau traitement. La justification de la nouveauté résidait dans la nouvelle utilisation thérapeutique. Comme la revendication visait la préparation d’un comprimé, elle ne concernait pas une méthode de traitement. S’agissant des conséquences potentielles sur le plan de la contrefaçon, la Grande Chambre de recours a estimé que ce n’était pas là une question à prendre en compte. Elle a dit :

 

Il est particulièrement important de garder à l’esprit que le paragraphe 64(3) prévoit que les questions de contrefaçon sont appréciées conformément aux dispositions de la législation nationale.

 

25. En fait, le paragraphe 64(3) prévoit simplement que « Toute contrefaçon du brevet européen est appréciée conformement aux dispositions de la législation nationale. » Cela ne veut pas dire que les questions de validité (la nouveauté en particulier) ou d’étendue de la protection sont des questions relevant de la législation nationale. Au contraire, ces deux questions sont expressément visées par la CBE (la nouveauté au paragraphe 54(1) et l’étendue de la protection à l’article 69 et au Protocole d’interprétation de celui-ci). À mon avis, il est essentiel que l’autorité conférant le brevet considère l’ensemble des conséquences des revendications qu’elle autorise sous le double angle de la validité et de la portée de la protection. Il n’est pas utile de se pencher sur la validité (et en particulier sur la nouveauté) et de laisser des difficultés insurmontables au tribunal qui sera saisi de la contrefaçon – ainsi qu’au public qui doit savoir ce qu’il peut et ne peut pas faire.

 

45. La décision Eisai soulève manifestement des difficultés. Prenons le cas d’une nouvelle utilisation découverte pour l’aspirine (comme l’utilisation récemment découverte pour la réduction des risques de crise cardiaque). La préparation des comprimés d’aspirine est un vieux procédé. Pourquoi la découverte d’une nouvelle utilisation conférerait‑elle la nouveauté à la préparation? Ou en quoi l’ajout dans la revendication du but visé dans la préparation de l’aspirine ajouterait‑il de la nouveauté au procédé de préparation de l’aspirine? Dans la décision Wyeth and Scherings Appns. ([1985] R.P.C. 545), la Chambre des brevets anglaise, siégeant en formation plénière (juges Whitford et Falconer), a dû examiner la décision Eisai. Elle s’est formé l’idée que la revendication de type suisse était clairement la revendication d’une méthode de préparation et, par conséquent, d’une invention susceptible d’application industrielle. Selon les mots de la Chambre des brevets, c’est l’exigence de la nouveauté qui « constitue la difficulté réelle ». Elle a estimé à l’évidence que le procédé consistant à formuler la revendication sous la forme suisse ne conférait pas la nouveauté :

 

… nous pensons que, selon la position la plus juste, la revendication sous forme suisse d’une invention visant l’utilisation d’un médicament connu pour la préparation d’un médicament, qui n’est pas en soi nouveau, destiné à une deuxième utilisation médicale ou à une utilisation médicale ultérieure nouvelle, ne serait pas brevetable au motif de l’absence de la nouveauté requise. (Page 565)

 

Cependant, à la lumière de la décision Eisai et « considérant qu’il est souhaitable d’arriver à la conformité », la Chambre des brevets a décidé de ne pas suivre ce qu’elle considérait comme la position la plus raisonnable. Elle a suivi la décision Eisai. M. Thorley n’a pas contesté la décision Eisai devant moi, bien qu’il se soit réservé le droit de le faire en appel. Je pense qu’il avait raison. En qualité de juge de première instance, aller à l’encontre de la décision Eisai impliquerait pour moi non seulement de refuser de suivre une décision sur un point de droit de la Grande Chambre de recours, mais aussi de refuser de suivre une décision réfléchie de la Chambre des brevets anglaise. Selon les règles anglaises actuelles en matière de précédent, je ne suis rigoureusement lié par aucune de ces décisions. Mais s’agissant de la Grande Chambre de recours, le caractère souhaitable de la conformité à l’égard de ses décisions sur des points de droit a été confirmé depuis la décision Eisai. Lord Hoffman, dans l’arrêt Merrell Dow ([1995] RPC 76 à la page 82), a dit que les tribunaux du Royaume‑Uni :

 

… doivent prendre en considération les décisions de l’OEB sur l’interprétation de la CBE. Ces décisions ne lient pas au sens strict les tribunaux du Royaume‑Uni, mais elles ont une grande force de persuasion; premièrement, ce sont les décisions de tribunaux spécialisés (les chambres de recours et la Grande Chambre de recours de l’OEB) qui s’occupent quotidiennement de l’application de la CBE et, deuxièmement, parce qu’il ne serait absolument pas souhaitable que les dispositions de la CBE soient interprétées par l’OEB différemment de la façon dont les tribunaux nationaux d’un État contractant les interprètent.

 

26. Les mots de lord Hoffman ont encore plus de force à l’égard d’un tribunal de première instance. Si tous les tribunaux de première instance des États membres de la CBE pouvaient aisément adopter une position divergente sur les questions de droit tranchées par les chambres d’appel (et particulièrement la Grande Chambre de recours), il en résulterait une fragmentation beaucoup trop facile du système européen du droit des brevets. C’est une affaire extrêment grave pour tout tribunal que de s’écarter d’une décision de la Grande Chambre de recours de l’OEB sur un point de droit et, si un tribunal national était à la limite amené à le faire, j’estime que ce devrait être une juridiction nationale supériure et non pas un tribunal de première instance. Par souci de cohérence de l’ensemble du système, les tribunaux de première instance doivent faire preuve d’autodiscipline, si erronée que puisse être à leur avis une décision particulière sur un point de droit d’une Grande Chambre de recours.

 

46. Je reviens donc à cette revendication particulière. Elle n’est pas aussi simple qu’une revendication sous la forme suisse typique, parce qu’il ne s’agit pas simplement de la préparation d’un seul médicament destiné à une utilisation thérapeutique particulière. Il y a à la fois le taxol et la prémédication qui sont visés. La prémédication, comme je l’ai dit, est un cocktail de médicaments pour prévenir le choc toxique. M. Thorley a soutenu que la revendication appelait une interprétation étroite – disant essentiellement qu’elle concernait une trousse de médicaments (le taxol et la prémédication) spécialement constituée en vue de l’administration. Sur cette base, naturellement, ses clients n’ont pas commis de contrefaçon. Personne n’aurait préparé de trousses spéciales (dans des emballages spéciaux accompagnés d’instructions). La forme normale de traitement serait d’administrer au patient un certain nombre de médicaments différents en prémédication (par exemple en disant au patient, en particulier, de prendre un certain nombre de comprimés différents tant d’heures avant le traitement prévu à l’hôpital). À l’hôpital, la dose de taxol doit être préparée individuellement pour le patient, en combinant sa taille et son poids pour calculer la surface corporelle. Le taxol est alors administré. La prémédication est donc distincte du taxol et le taxol est préparé spécifiquement en fonction du patient particulier. Quelle est la « médicamentation » de cette revendication, demande M. Thorley, si elle vise des médicaments administrés de cette manière? M. Thorley dit qu’on va plus loin que n’est jamais allée une chambre de recours de l’OEB. Cette juridiction a autorisé des revendications à l’égard de compositions présentées côte à côte, à administrer simultanément ou à intervalles (voir Asta‑Werke, T09/81 JO OEB 1983 372). Mais il n’y a pas en l’espèce de présentation côte à côte; il y a uniquement l’administration du cocktail de prémédication suivi de la préparation et de l’administration au patient de sa dose spécifique de taxol. Par conséquent, dit M. Thorley, si la revendication n’est pas limitée à la préparation d’une trousse spéciale, elle vise fondamentalement uniquement une méthode de traitement qui, en tant que telle, n’est pas brevetable.

 

[77]           Le juge Jacob a conclu à l’invalidité du brevet aux motifs de l’absence de nouveauté et de l’évidence.

 

[78]           Dans l’arrête Bristol-Myer, la Cour d’appel a confirmé la décision du juge Jacob. Elle a recensé l’état du droit à l’époque (mai 2000) au sujet des revendications « suisses ». Pour résumer, la Cour a admis que les tribunaux doivent reconnaître que la structure de la revendication est nécessaire pour que le breveté puisse se soustraire à l’interdiction frappant la deuxième utilisation médicale imposée par le droit européen//britannique. Mais dans l’interprétation de la revendication sous l’angle de la nouveauté et de la contrefaçon, la Cour doit ne pas prendre en compte la structure et traiter simplement la revendication comme si elle visait une utilisation nouvelle d’un médicament connu. Aux paragraphes 35 à 41, le lord juge Aldous a écrit :

[traduction]

35.       Un revendication du type jugé légitime par la Grande Chambre de recours est devenu connu sous la désignation de revendication « de type suisse ».

 

36.       La conclusion de la décision Eisai a fait l’objet à l’époque et continue de faire l’objet de nombreuses discussions parmi les avocats spécialisés en droit des brevets. Son importance a été reconnue par les juges Whitford et Falconer qui ont siégé en formation plénière pour décider si la décision devait être suivie au pays. Les juges ont conclu par l’affirmative dans la décision John Wyeth and Brothers Ltd’s Application and Schering AG’s Application [1985] RPC 545. Ils ont conclu qu’on ne pouvait aucunement s’opposer à la brevetabilité d’inventions adoptant la forme de type suisse, si la condition de la nouveauté prévue par la loi pouvait être remplie. Ils ont conclu que, sans égard à la position qui s’était progressivement élaborée parmi les tribunaux des États régis par la Convention, la position la plus juste était que les revendications de type suisse ne peuvent être brevetées pour défaut de nouveauté en vertu du Patents Act de 1977 et selon le même raisonnement en regard de la CBE. Ils se sont ensuite rappelé à eux-mêmes qu’il était nécessaire de tenir compte des décisions des tribunaux des États membres de la CBE ainsi que des décisions de l’OEB, en particulier de la Grande Chambre de recours. Après avoir repris en détail le raisonnement tenu par la Grande Chambre de recours dans la décision Eisai, ils ont dit à la page 567 :

 

L’approche de la Grande Chambre de recours à l’égard de l’exigence de la nouveauté dans une revendication de type suisse visant une deuxième utilisation médicale ou une utilisation médicale ultérieure peut être résumée, me semble‑t‑il, comme suit :

 

1.         En raison des dispositions du paragraphe 53(4) (première phrase) (qui correspond au paragraphe 4(2) de la Loi de 1977), le type normal des revendications d’utilisation, au moyen duquel on peut obtenir la protection pour une nouvelle utilisation d’un produit connu, est interdit aux inventions pharmaceutiques visant l’utilisation de médicaments dans une méthode thérapeutique.

2.         Toutefois, il ne faut pas déduire de la teneur de la CBE ou de l’historique législatif des articles pertinents qu’elle contient l’intention d’exclure de la protection du brevet une deuxième application médicale (et une application médicale ultérieure), si ce n’est par une revendication limitée à une utlisation (en vertu des dispositions du paragraphe 54(5), correspondant au paragraphe 2(6) de la Loi de 1977).

3.         À cet égard, la revendication d’utilisation de type suisse maintenant examinée n’est pas interdite par le paragraphe 52(4) et elle est susceptible d’application industrielle.

4.         S’agissant de la nouveauté, la Chambre considère  que dans le type de revendication expressément prévu au paragraphe 54(5), soit une revendication de produit limitée à l’utilisation d’une substance ou d’une composition connue destinée à une première utilisation pharmaceutique (et de ce fait, nouvelle), la nouveauté exigée de la revendication doit être trouvée dans la nouvelle utilisation pharmaceutique.

5.         De la même manière, dans la revendication de type suisse visant l’utilisation d’un médicament connu dans la préparation d’un médicament, qui n’est pas nouveau en soi, destiné à une deuxième utilisation thérapeutique nouvelle ou à une utilisation thérapeutique ultérieure nouvelle, la nouveauté exigée du procédé revendiqué peut être trouvée dans la deuxième utilisation thérapeutique nouvelle ou dans l’utilisation thérapeutique ultérieure nouvelle.

 

            Cette approche de la nouveauté à l’égard de la revendication de type suisse visant une deuxième utilisation thérapeutique ou une utilisation thérapeutique ultérieure est autorisée également par les dispositions correspondantes de la Loi de 1977. Nonobstant l’opinion exprimée précédemment sur la position la plus juste au sujet de la brevetabilité de la revendication de type suisse en vertu des dispositions pertinentes de la Loi considérée sans égard à la position qui s’était progressivement élaborée dans le cadre des dispositions correspondantes de la CEB, compte tenu qu’il est souhaiable d’atteindre la conformité, la même approche devrait être adoptée à l’égard de la nouveauté de la revendication de type suisse qui fait l’objet du présent examen en vertu des dispositions pertinentes de la Loi.

 

37.       Dans la décision John Wyeth, les juges des brevets ont correctement résumé l’approche de la Grande Chambre de recours et je crois qu’ils ont dégagé la bonne conclusion dans l’affaire dont ils étaient saisis.

 

38.       M. Thorley a souligné avec raison, à mon avis, que la nouveauté dans une revendication de type suisse consistait dans « la deuxième utilisation thérapeutique nouvelle ou  l’utilisation thérapeutique ultérieure nouvelle ». M. Waugh a soutenu que la revendication 1 visait une deuxième utilisation thérapeutique, à savoir l’utilisation du taxol pour la période revendiquée et selon une posologie adaptée à la réduction de la neutropénie. Il a fait valoir que, de toute façon, il n’était pas nécessaire que la nouveauté consiste dans une deuxième utilisation thérapeutique ou une utilisation thérapeutique ultérieure, comme l’avait fait clairement ressortir la Grande Chambre de recours dans la décision Mobil.

 

39.       Dans l’arrêt Merrell Dow portant sur une affaire de contrefaçon, lord Hoffmann a fait état des difficultés que soulève la décision Mobil de la Grande Chambre de recours. Pour les besoins de l’espèce, il est nécessaire d’apprécier ce qui a effectivement été décidé et il n’est pas nécessaire de s’attarder aux difficultés relatives à la contrefaçon. La Grande Chambre de recours a résumé ses conclusions de la manière suivante au paragraphe 10.3 de sa décision :

 

… s’agissant d’une revendication visant une nouvelle utilisation d’un composé connu, la nouvelle utilisation peut correspondre à un effet technique récemment découvert décrit dans le brevet. L’obtention de cet effet technique devrait alors être considérée comme une caractéristique technique fonctionnelle de la revendication (c.‑à‑d. l’obtention dans un contexte particulier de cet effet technique). Si cette caractéristique technique n’a pas été antérieurement rendue accessible au public par l’un ou l’autre des moyens exposés au paragraphe 54(2) de la CBE, l’invention revendiquée est nouvelle, même si l’effet technique peut naturellement se produire dans le cours de la réalisation de ce qui avait été antérieurement rendu accessible au public.

 

40.       Cette conclusion se fondait sur deux lignes de raisonnement. Selon la première, l’utilisation antérieure n’était pas un motif d’invalidité. Donc, l’utilisation antérieure qui n’avait pas rendu l’invention accessible au public ne pouvait pas invalider l’invention. La Chambre des lords, dans l’arrêt Merrell Dow, a appliqué le même raisonnement. Seconde ligne de raisonnement, il fallait une interprétation téléologique de la revendication selon le protocole en matière d’interprétation. Par conséquent, il fallait interpréter les revendications, dans les situations appropriées, en les limitant à l’effet technique, soit l’activité physique. Il s’ensuit que dans l’affaire qui fait l’objet de l’examen, la revendication d’un additif réducteur de friction à l’huile lubrifiante doit être interprétée comme une revendication visant un produit dans son utilisation pour réduire la friction. Cette revendication serait nouvelle si l’utilisation n’avait pas antérieurement été rendue accessible au public. Cependant, il est pertinent de noter qu’on ne peut appliquer un raisonnement semblable à la revendication de type suisse, qui ne peut être interprétée comme visant le produit dans son utilisation, parce que cela constituerait une méthode de traitement interdite par la CBE.

 

41.       Je ne pense pas que la décision Mobil restreigne ou élargisse la conclusion de la décision Eisai. La décision Eisai était fondée sur l’interaction des paragraphes 52(4) et 54(5) de la CBE; la décision Mobil reposait sur l’interprétation téléologique des revendications, limitant les revendications au produit dans son utilisation, et sur l’application du paragraphe 52(2).

 

 

[79]           Le lord juge Buxton, que le juge Holman appuie sur ce point, a également examiné la revendication « suisse » aux paragraphes 76 à  81 :

[traduction] Les revendications « de type suisse » et la décision Eisai de la Grande Chambre de recours

 

76.       Les défendeurs ont soutenu que la Chambre, dans la décision Eisai, avait mal interprété la CBE en concluant que les revendications relatives à la deuxième utilisation médicale étaient, en principe, des inventions brevetables. L’argumentation envisageait au moins la possibilité que même des revendications visant une première utilisation médicale puissent être non brevetables, dans le cas où la substance utilisée est déjà comprise dans l’état de la technique; mais les revendications visant une deuxième utilisation médicale étaient de toute façon interdites par la CBE. Pour les motifs que j’exposerai, je n’estime pas que nous avons la latitude d’agir en fonction de ces critiques, malgré la force qu’on leur attribuait; mais l’examen des critiques formulées contre l’interprétation qu’en donne la Grande Chambre de recours dans la décision Eisai mettra utilement en lumière les conditions et la portée des dispositions de la CBE sur les revendications d’utilisation médicale.

 

77.       Il convient d’abord de nous rappeler le raisonnement de la décision Eisai. La Grande Chambre de recours a reconnu (au paragraphe 21) que dans le domaine industriel normal

 

… la nouvelle utilisation d’un produit connu peut être protégée pleinement en tant que telle par des revendications visant cette utilisation. C’est effectivement la forme appropriée de protection dans ces cas, l’utilisation nouvelle et non évidente du produit connu constituant l’invention.

 

78.       Mais cette approche directe, pourrait‑on penser, est interdite par les dispositions du paragraphe 52(4) dans le cas de produits destinés à une utilisation dans un traitement médical. La Chambre a donc dit :

 

Toutefois, le paragraphe 54(5) de la CBE prévoit une exception à cette  règle générale, pour la première utilisation de médicaments à l’égard de laquelle le type ordinaire de revendication d’utilisation serait interdit par le paragraphe 52(4) de la CBE. En effet, dans ce cas, la nouveauté exigée du médicament qui forme l’objet de la revendication découle de la nouvelle utilisation pharmaceutique. Il semble qu’on peut être justifié, par analogie, de faire découler la nouveauté du procédé formant l’objet du type de revendication d’utilisation examiné actuellement de la nouvelle utilisation thérapeutique du médicament, sans égard au fait qu’une utilisation pharmaceutique du médicament était ou n’était pas déjà connue.

 

79.       Ce raisonnement a été critiqué pour deux motifs. Premièrement, les défendeurs ont dit, de façon un peu hésitante, que les termes de la CBE ne visaient aucune sorte de revendication d’utilisation touchant des produits pharmaceutiques et qu’il n’y avait donc aucune catégorie autorisée de revendications à l’égard d’une première utilisation dont on puisse déduire, par analogie, que les revendications pour une deuxième utilisation médicale étaient autorisées. La prémisse de cette argumentation paraît mal fondée. On voit difficilement quel sens donner à la réserve du paragraphe 54(5) de la CBE si ce n’est celui d’une certaine forme de revendication d’utilisation. Deuxièmement, une argumentation plus étoffée a été avancée précisément sur les revendications visant la deuxième utilisation médicale. Sur le plan de l’interprétation de la réserve, la mention de l’exclusion d’un cas où l’utilisation d’un produit dans « toute » méthode de traitement est compris dans l’état de la technique signifiait qu’une fois le produit rendu « en pharmacie », le médecin avait la liberté, sans crainte de contrefaçon, de le prescrire pour tout type de traitement qui lui semblait le meilleur.

 

80.       Une argumentation de forme semblable semble avoir gagné la conviction de la Chambre des brevets dans la décision Wyeth : voir [1985] RPC à la page 565, 20. Pour ma part, cependant, je l’ai pas trouvée persuasive. Il est loin d’être clair que la teneur du paragraphe 54(5) doive être interprétée, comme le veut l’argumentation, comme visant toute méthode quelle qu’elle soit. On pourrait tout aussi bien comprendre que la mention de l’exclusion de l’état de la technique vise simplement la méthode fondant la revendication de nouveauté. À dire vrai, si le but recherché était d’exclure de la brevetabilité ultérieure toute substance déjà utilisée dans une application médicale, le paragraphe 54(5) aurait pu simplement le dire : à condition que son utilisation dans toute autre méthode de traitement, etc. ne soit pas déjà comprise dans l’état de la technique. Une fois l’objection écartée, la conclusion de la Grande Chambre de recours semble, à mon humble avis, inattaquable : si un produit peut revendiquer la nouveauté en raison de la nouveauté de sa première utilisation médicale, la production d’une deuxième utilisation médicale nouvelle doit également satisfaire aux conditions de la CBE. Comme le paragraphe 52(4) prévoit que les produits destinés à une utilisation dans une méthode de traitement médical ne doivent pas être considérés, pour ce seul motif, comme non susceptibles d’application industrielle, la conclusion qui s’impose est la suivante, comme l’a dit la Chambre au paragraphe 23 du rapport dans la décision Eisai :

 

Il est légitime en principe d’autoriser les revendications visant l’utilisation d’une substance ou d’une composition dans la préparation d’un médicament destiné à une application thérapeutique spécifiée nouvelle et inventive, même dans le cas où le procédé de préparation ne diffère pas des procédés connus utilisant le même ingrédient actif.

 

81.       On pourrait peut-être y voir simplement une façon détournée de chercher à breveter un procédé médical et un moyen qui n’accorde pas tout son poids à la première phrase du paragraphe 52(4). À mon avis, cependant, nous n’avons pas la latitude d’exploiter ces doutes pour ne pas appliquer la décision Eisai. En effet, bien que les observations de la Chambre des lords dans l’arrêt Merrell Dow [1996] RPC à la page 82,25, sur le fait qu’il n’est pas souhaitable de s’écarter des décisions de l’OEB, puissent, rigoureusement parlant, ne pas faire partie du principe de l’arrêt, elles sont considérées comme des directives éclairées d’une Chambre se prononçant à l’unanimité. Je ne pense pas que nous ayons la liberté de nous en écarter. C’est d’ailleurs la perspective qu’a retenue dans la décision Wyeth, sans l’avantage des enseignements de l’arrêt Merrell Dow, la Chambre des brevets siégeant en formation plénière au sujet de l’autorité de la décision Eisai de la Grande Chambre de recours.

 

[80]           Passons maintenant à la décision Actavis, dans laquelle la Cour s’est penchée sur une revendication « suisse », et qui plus est une revendication très semblable à la revendication en litige dans la présente affaire. Le juge Warren, dans la décision de première instance Actavis, a écrit sur la question aux paragraphes 11 à 17 :

[traduction]

La « forme suisse » et l’utilisation médicale

11.       On verra que la revendication 1 adopte la « forme suisse » (pour une description générale, voir à ce sujet Terrell on the Law of Patents (16e éd.) aux pp. 6 -122 et suiv.). Je ne me lancerai pas dans une explication de la justification de la validité des brevets sous cette forme. Mais je ferai état de la législation et je présenterai un court historique.

 

12.       Les paragraphes 4(2) et 4(3) du Patents Act de 1977, qui sont dérivés du paragraphe 52(4) de la Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen) (CBE), prévoient :

 

(2) L’invention d’une méthode de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal ou d’une méthode de diagnostic appliquée au corps humain ou animal n’est pas considérée comme susceptible d’application industrielle.

 

(3) Le paragraphe 2 ci‑dessus n’empêche pas un produit constitué d’une substance ou d’une composition d’être considéré comme susceptible d’application industrielle du seul fait qu’il est inventé pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes.

 

13.       Le paragraphe 2(6) de la Loi de 1977, dérivé du paragraphe 54(5) de la CBE, dispose :

 

(6) Dans le cas d’une invention consistant dans une substance ou une composition destinée à l’utilisation dans une méthode de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal ou une méthode de diagnostic appliquée au corps humain ou animal, le fait que la substance ou la composition soit comprise dans l’état de la technique n’empêche pas l’invention d’être considérée comme nouvelle si l’utilisation de la substance ou de la composition dans l’une de ces méthodes n’est pas comprise dans l’état de la technique.

 

14.       Il en résulte qu’il est possible de faire breveter la première utilisation médicale d’une substance ou d’une composition connue, dans le cas où la substance ou la composition n’avait pas d’application médicale déjà connue : voir Sopharma SA’s Application [1983] RPC 195.

 

15.       En raison de l’interdiction des revendications visant les méthodes de traitement au paragraphe 52(4) de la CBE (correspondant aux paragraphes 4(2) et 4(3) du Patents Act de 1977), la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets a statué qu’il ne peut être délivré de brevet européen à l’égard de l’utilisation d’une substance ou d’une composition dans le traitement thérapeutique du corps humain ou animal.

 

16.       Toutefois, elle a également admis, à la fois pour des raisons de politique et pour suivre la pratique de l’Office fédéral de la propriété intellectuelle de la Suisse, qu’un brevet européen peut être délivré à l’égard de revendications visant l’utilisation d’une substance ou d’une composition dans la préparation d’un médicament destiné à une application thérapeutique nouvelle et inventive. Cette position a donné naissance à la forme actuellement très répandue de la deuxième utilisation médicale, appelée revendication de « forme suisse » : voir la décision Eisai/Second Medical Indication (1985) JO OEB, 64 (Eisai).

 

17.       Par conséquent, la revendication libellée « Utilisation de [X] pour le traitement de [Y] » ne serait pas acceptée, alors que la revendication libellée « Utilisation de [X] dans la préparation d’un médicament pour le traitement de [Y] » le serait.

 

 

[81]           Le lord juge Jacob a rédigé l’arrêt Actavis de la Cour d’appel au nom de la Cour (il se désigne à la troisième personne quand il examine la décision Bristol-Myers, par exemple au paragraphe 10). L’arrêt a infirmé la décision du juge Warren. L’argumentation employée dans l’arrêt a une étroite ressemblance avec l’argumentation avancée dans la présente affaire. Elle est résumée aux paragraphes 11 et 12 :

[traduction]

11.       L’espèce concerne les limites de l’emploi possible des revendications de forme suisse. Dans ses grandes lignes, l’argumentation faisant valoir l’invalidité s’articule de la manière suivante : a) le finastéride comme substance n’est pas nouveau; b) son utlisation comme médicament (dans le traitement de l’HPB) ne l’est pas non plus; c) son utilisation dans la préparation d’un médicament utilisé comme tel est donc dénuée de nouveauté; d) de plus, le finastéride avait été proposé pour le traitement de l’aa, selon une posologie de 5 mg ou plus par jour (voir ci‑dessous); e) son emploi dans la préparation d’un médicament destiné au traitement de l’aa est donc également dénué de nouveauté; f) la mention d’un schéma posologique particulier ne peut établir la nouveauté, même si cette posologie n’est pas comprise dans l’état de la technique; g) même si cette proposition était fausse, la Cour est tenue, selon les règles anglaises en matière de précédent, par son arrêt antérieur BMS, de conclure que le brevet est dénué de nouveauté et/ou est essentiellement un brevet visant une méthode de traitement du corps humain et par conséquent, en vertu du paragraphe 52(4), ne doit pas être considéré comme susceptible d’application industrielle.

 

12.       Merck réplique par l’argumentation suivante : i) les points a) à e) sont acceptés; ii) mais f) est faux, il contredit la décision Eisai et l’autorité de la Chambre de recours de l’OEB dans la décision BMS et la Cour devrait suivre ces décisions; iii) aucun principe ne sous‑tend la décision BMS, à tout le moins aucun principe assez clair pour empêcher la Cour de le faire; iv) même si ce principe existait, la Cour devrait reconnaître (et appliquer) une nouvelle exception aux règles générales du précédent applicables à la Cour, adoptées il y a longtemps et résumées dans Young c. Bristol Aeroplane Co Ltd [1944] 2 All ER 293, [1944] KB 718.

 

 

[82]           La Cour d’appel s’est penchée sur cette argumentation, à partir du paragraphe 11, et s’est livrée à un examen détaillé des revendications sous la forme « suisse ». Elle a conclu que la forme « suisse » des revendications convient non seulement aux nouvelles utilisations d’un médicament connu, mais aussi aux nouvelles formes posologiques d’un médicament connu. Cet examen étant long, je ne reprendrai ci‑dessous que les paragraphes 13 à 18, 33, 44 et 45 ainsi que 48 et 49 :

[traduction]

13        Nous traitons d’abord l’argumentation sans faire référence aux conséquences de BMS. Il y a trois étapes : premièrement, l’examen détaillé de la forme suisse des revendications; deuxièmement, les raisons pour lesquelles une revendication est considéré comme nouvelle, et non comme une méthode de traitement, à la lumière d’un examen attentif de la décision Eisai; troisièmement, la jurisprudence postérieure, notamment celle de l’OEB.

 

EXAMEN DÉTAILLÉ DE LA FORME SUISSE DES REVENDICATIONS

 

[14]      L’une des façons de voir la nouveauté en droit des brevets (en général et sans faire référence à une législation particulière) est de dire : ou la chose est connue ou elle ne l’est pas. Si elle est connue, une revendication qui la vise ne peut revendiquer la nouveauté par des mots qui spécifient une utilisation recherchée, si inventive soit‑elle. Telle était la règle au pays avant le nouveau régime des brevets européens introduit par la CBE et mise en œuvre dans le Patents Act de 1977.

 

[15]      L’arrêt Adhesive Dry Mounting Co Ltd c.Trapp & Co (1910) 27 RPC 341 illustre l’application de la règle. La revendication visait la « mise en pratique » d’un procédé de fixation de photographies sur du carton à l’aide d’un tissu enduit d’une colle thermoadhésive sur ses deux faces. Ce tissu (appelé « une pellicule ») était connu. Le juge Parker a décidé que l’ajout d’une utilisation recherchée ne conférait pas la nouveauté à un produit connu. On pouvait donc breveter un procédé nouveau inventif utilisant un nouveau tissu, mais non le tissu destiné à « mettre en œuvre le procédé ».

 

[16]      Cette règle offrait l’avantage de la certitude du point de vue de la contrefaçon : l’homme qui vendait un produit connu ne pouvait pas commettre une contrefaçon. Elle présentait des inconvénients du point de vue du breveté. La revendication d’une méthode était moins efficace, en pratique, que la revendication d’un produit « destiné à ». La personne qu’il voulait vraiment poursuivre en justice était le vendeur du produit qui allait être utilisé pour le procédé breveté. Mais cela soulevait des difficultés. Le vendeur, sans être coupable de contrefaçon directe, pouvait néanmoins être responsable en vertu de la doctrine de la complicité de contrefaçon ou de l’incitation à la contrefaçon. Le droit n’était pas clair sur ce point (voir la décision Innes c. Short (1898) 15 RPC 449, (1898) 14 TLR 492, la critique de cette décision dans l’arrêt Adhesive Dry mounting et l’examen général du problème par TA Blanco White, c.r. dans Patents for Inventions (4e éd., 1974) au §3-20.

 

[17]      La règle présentait un inconvénient plus important dans le domaine des médicaments. Il était en effet impossible de faire accepter une revendication de méthode, les méthodes de traitement étant à l’époque, comme aujourd’hui, exclues de la protection du brevet. Il n’y avait donc aucun intérêt du point de vue du brevet à explorer si des substances connues avaient une utilisation médicale; ce qui était vrai d’une première utilisation médicale d’une substance connue l’était a fortiori d’une deuxième utilisation médicale.

 

[18]      La jurisprudence de l’OEB établie pour la première fois dans la décision Eisai de 1984 a changé les choses. Avant d’examiner plus en détail cette décision, il est important de noter une décision parallèle très connexe un peu plus tardive, mais hors du contexte de l’utilisation médicale. Dans la décision Additif réduisant le frottement/MOBIL OIL III G 0002/88 [1990] JO OEB 93, [1990] EPOR, « l’utilisation de X comme additif réduisant le frottement dans une composition lubrifiante » a été jugée nouvelle par la Grande Chambre de recours, même si l’utilisation de X dans ce type de composition en vue de prévenir la rouille était connue. La nouveauté du but de l’utilisation peut conférer la nouveauté, même si la substance est connue et non brevetable directement. Lord Hoffman, dans les arrêts Merrell Dow Pharmaceuticals Inc c. HN Norton & Co Ltd et Merrell Dow Pharmaceuticals Inc c. Penn Pharmaceuticals Ltd (1995) 33 BMLR 201, [1996] RPC 76, a noté les difficultés que peut soulever ce type de revendications au point de vue de la contrefaçon, mais il s’est clairement et délibérément abstenu de déclarer invalide la revendication du type visé dans la décision MOBIL.

 

 

[33]      L’OEB adopte un point de vue identique au nôtre sur les effets de la décision Eisai. Il existe maintenant une décision claire et faisant autorité de la Chambre de recours qui conclut, comme nous, qu’il découle de la décision Eisai qu’un schéma posologique nouveau peut conférer la nouveauté à une revendication de type suisse. Dans la décision T 1020/03 GENENTECH/Method of administration of IFG-I [2006] EPOR 9, la Chambre de recours juridique en a spécifiquement statué ainsi. Dans cette décision motivée exceptionnellement détaillée et soigneusement élaborée, elle a dit :

 

            72 … la Chambre interprète la décision G 5/83 [Eisai] comme autorisant les revendications sous la forme suisse visant l’utilisation d’une composition dans la préparation d’un médicament destiné à une application thérapeutique spécifiée qui est nouvelle et inventive, dans le cas où la nouveauté de l’application pourrait reposer uniquement sur la posologie à utiliser ou sur le mode d’application. Il y a onze ans, la présente Chambre a déjà admis ce type de revendication, où la nouveauté reposait uniquement sur le mode d’application, dans la décision T 0051/93 du 8 juin 1994. Dans la décision G 0005/83, l’examen relatif aux indications médicales ultérieures portait effectivement sur une utilisation dans le traitement d’une maladie nouvelle. Mais la Chambre considère que cela signifie seulement que la plupart des revendications d’utilisations médicales ultérieures concerneront une maladie nouvelle, cas où l’on est plus vraisemblablement en présence de nouveauté et d’activité inventive que dans le cas de la modification mineure du traitement connu d’une maladie connue. La logique de la décision G 0005/83, qui permet les revendications visant les utilisations médicales ultérieures de compositions connues, paraît s’appliquer également à toute utilisation d’une composition connue dans un traitement nouveau et inventif, qui ne peut être revendiqué directement en raison de la première phrase du paragraphe 54(4) de la CBE.

 

. . .

 

[44]      Faisons le point pour nous résumer. À l’OEB, en Allemagne et même en Nouvelle‑Zélande, les revendications sous la forme suisse dont la nouveauté repose sur un nouveau traitement faisant appel à un schéma posologique et à une méthode d’administration différents sont considérées comme nouvelles et ne sont pas considérées comme des revendications de méthode d’administration. Voilà une position établie.

 

[45]      Nos tribunaux suivraient normalement cette jurisprudence établie, ce qui serait conforme à ce qu’a dit lord Hoffman dans l’arrêt Merrell Dow Pharmaceuticals Inc c. HN Norton & Co Ltd et dans l’arrêt Merrell Dow Pharmaceuticals Inc c. Penn Pharmaceuticals Ltd [1996] RPC 76 à la page 82 :

 

            … les tribunaux du Royaume-Uni […] doivent prendre en considération les décisions de l’OEB sur l’interprétation de la CBE. Ces décisions ne lient pas au sens strict les tribunaux du Royaume‑Uni, mais elles ont une grande force de persuasion; premièrement, ce sont les décisions de tribunaux spécialisés (les chambres de recours et la Grande Chambre de recours de l’OEB) qui s’occupent quotidiennement de l’application de la CBE et, deuxièmement, parce qu’il ne serait absolument pas souhaitable que les dispositions de la CBE soient interprétées par l’OEB différemment de la façon dont les tribunaux nationaux d’un État contractant les interprètent.

 

. . .

 

[48]      En affirmant que nos tribunaux suivraient et devraient normalement suivre la jurisprudence établie de l’OEB, nous devons comprendre, naturellement, qu’ils ne sont pas obligés de le faire. Dans l’hypothèse peu vraisemblable où nous serions convaincus que le commodore dirige le convoi sur les récifs, nous pouvons changer de cap. Techniquement, nous ne sommes pas dans la même position qu’à l’égard des décisions de la Cour de justice des Communautés européennes (voir ci‑dessous). Naturellement aussi, dans le cas où il n’y a pas de message clair du commodore ou s’il donne des messages disparates, nous devons décider notre propre route de toute façon.

 

[49]      En l’espèce, pour les motifs que nous avons donnés et sous réserve du fait que nous soyons liés, le cas échéant, par la décision BMS, nous suivrions l’OEB et conclurions qu’un nouveau schéma posologique suffit à conférer la nouveauté à une revendication sous la forme suisse.

 

[83]           Dans l’arrêt Actavis, la Cour d’appel s’est ensuite penchée sur l’arrêt Bristol-Myers prononcé par une formation différente de la Cour. Le paragraphe 50 expose l’argumentation d’Actavis :

[traduction]

[50] Actavis soutient que nous ne pouvons pas suivre l’OEB, cependant, parce que l’arrêt BMS de la présente Cour s’y oppose. Nombreux sont ceux qui ont interprété l’arrêt BMS comme statuant 1) qu’un schéma posologique nouveau et non évident spécifié dans une revendication sous la forme suisse ne peut conférer la nouveauté et (2) que ce type de revendication vise une méthode de traitement. Au nombre de ces interprétations figurent celle de la Division des oppositions au sujet des désignations parallèles du brevet de BMS (motifs datés du 22 mai 2002, qui affirmaient le défaut de nouveauté du brevet mais exprimaient expressément un désaccord avec la Cour d’appel au sujet de la méthode de traitement), celle de la Chambre de recours dans la décision GENENTECH (très critique à l’égard de l’arrêt BMS de la Cour d’appel), celle du juge Jacob dans la décision Merck & Co Inc’s Patents [2003] FSR 498 au paragraphe [74] (également mécontent de l’arrêt BMS), celle de l’Office de la propriété intellectuelle du Royaume‑Uni (voir ci‑dessus) et celle du juge Warren dans la décision de première instance Actavis.

 

[84]           Encore une fois, l’examen est long. Mais dans l’arrêt Actavis, la Cour d’appel s’est dépensée en efforts, aux paragraphes 52 à 108, pour établir une distinction avec son arrêt Bristol‑Myers. Le résultat, exposé aux paragraphes 107 et 108, est que les tribunaux du R.‑U. peuvent s’écarter d’une opinion antérieure s’ils sont convaincus que les Chambres de recours européennes se sont formé un point de vue arrêté sur le droit européen des brevets. Pour les besoins de l’espèce, je reprends les paragraphes 69 à 73, qui concernent le plus directement les questions litigieuses dans la présente affaire de brevet :

                        [traduction]

[69]      Ce qui ressort avec une grande clarté ici, c’est que si cette conclusion est correcte, il existe deux voies d’attaque possibles de la nouveauté des revendications sous la forme suisse. La première est ce que l’on pourrait appeler l’attaque « classique » de la nouveauté, soit le critère bien connu des [traduction] « instructions claires et non équivoques » énoncé dans l’arrêt General Tire and Rubber Co c. Firestone Tyre and Rubber Co Ltd [1972] RPC 457 aux pages 485 et 486. Mais il y aurait aussi un critère différent, qui consiste à se demander si la nouveauté de la revendication est attribuable exclusivement au nouveau schéma posologique. Si c’est le cas, peu importe que personne n’ait jamais proposé ce schéma, la revendication est dépourvue de nouveauté.

 

[70]      Nous estimons qu’il ne peut en être ainsi, qu’il y a un seul critère en matière de nouveauté, celui de l’arrêt General Tire. À notre avis, on ne peut conclure que la Cour, dans l’arrêt BMS, concluait à l’existence de deux critères et, à l’évidence, elle ne le faisait pas.

 

[71]      Par conséquent, nous ne sommes pas convaincus que l’affaire BMS formule un principe clair portant que les revendications de type suisse sont dénuées de nouveauté dans le cas où la seule différence qui les distingue de l’état de la technique est un nouveau schéma posologique destiné à une maladie connue.

 

[72]      S’agissant de la méthode de traitement, le lord juge Buxton a fait le même raisonnement que le lord juge Aldous :

 

            Toutefois, s’agissant du brevet en litige, la préparation revendiquée n’est pas l’utilisation de l’ingrédient actif, le paclitaxel, dans la préparation du toxol, mais le mélange du taxol avec d’autres ingrédients réalisé en pharmacie d’hôpital pour produire une solution à injecter au patient. C’est ce dernier procédé qu’on dit susceptible d’une application industrielle, en vertu du paragraphe 52(1) de la CBE. Je crains fort de trouver que l’affirmation est, au mieux, artificielle, et je crois qu’elle n’aurait pas été faite si ce n’était pour démontrer que l’invention ne constitue pas une méthode de traitement. On nous a dit que le mélange pouvait être réalisé à contrat à l’extérieur de l’hôpital et qu’il l’était dans certains cas, mais cela ne l’empêche pas d’être à des lieues de ce qui serait, en langage normal, considéré comme une application industrielle ou, d’ailleurs, selon les anciennes lois anglaises, comme une « fabrication ». Comme Votre Seigneurie l’a décrit, le mélange de quantités et de types de prémédication, et de quantités de taxol, a été déterminé par le médecin en fonction du patient. En réalité, il ne s’agit pas d’une opération autonome, mais subordonnée et accessoire au traitement du patient par le médecin. Il est vrai que, lors du traitement du patient, le médecin administrera les médicaments ou, à tout le moins, pourra le faire, selon les instructions du brevet. Mais cela fait simplement ressortir que le brevet n’enseigne pas la façon de préparer un médicament destiné au traitement du patient, ce qui serait, par la forme du moins, une revendication de type suisse, mais comment traiter le patient, ce qui est l’enseignement que la revendication de type suisse vise précisément à éviter.

 

[73]      Il y a ici une justification, soit que la revendication visait essentiellement une méthode de traitement médical. C’est aussi la justification du lord juge Aldous. Le juge Holman a souscrit à cette position. Toutefois, il semble clair que l’OEB n’en accepterait pas le bien‑fondé. Car il accepte que toute revendication sous la forme suisse, de par sa nature, ne va pas jusqu’à revendiquer une méthode de traitement médical, elle ne monopolise pas le traitement effectif du patient.

 

 

[85]           Par conséquent, on voit que dans l’arrêt Actavis la Cour d’appel a maintenu la position de la nécessité de la revendication de type « suisse » pour éviter l’interdiction frappant la deuxième utilisation médicale, tout en affirmant que cette structure ne doit pas être prise en compte dans l’examen de questions comme la nouveauté. Pour adopter cette position, la Cour d’appel s’est largement appuyée sur sa perception de l’état du droit formulé par les tribunaux de brevets européens. Toutefois, l’examen du postscriptum qui débute au paragraphe 120 fait voir qu’on avait demandé à la Cour d’appel, qui avait refusé, de surseoir à statuer jusqu’au prononcé de la décision Kos de la Grande Chambre de recours, qui était imminent.

 

[86]           Au terme de ce long exposé du contexte, nous devons maintenant passer à la décision Kos de la Grande Chambre de recours européenne. Il s’agissait d’une revendication de type « suisse » à l’égard d’un médicament connu pour une utilisation connue, la différence se trouvant dans la posologie indiquée, soit [traduction] « une fois par jour au coucher ». La Grande Chambre de recours a statué que, en raison de la modification du droit européen, les revendications de type « suisse » ne devaient plus être interprétées. Elle a reconnu que ces revendications figuraient dans de nombreux brevets existants et la décision ne s’appliquait donc que pour l’avenir. Je reprends l’article 7 (7.1 à 7.1.4) de cette décision. Il faut noter le point 7.1.3, où la Chambre reconnaît qu’on serait justifié de s’opposer aux revendications « suisses » dans la mesure où elles ne visent pas vraiment les caractéristiques dans lesquelles on prétend que se trouvent la nouveauté et l’inventivité. En d’autres termes, une revendication qui prescrirait d’utiliser un médicament particulier pour préparer un comprimé d’une posologie donnée en vue du traitement éventuel d’une maladie donnée ne sera ni nouvelle ni inventive si elle vise exclusivement la préparation du comprimé :

[traduction]

7.         Réponse à la troisième question

 

7.1              Conséquences du droit nouveau sur les revendications « de type suisse »

 

7.1.1    La revendication 1 soumise à la Chambre de recours qui nous la renvoie en vue d’un examen est rédigée sous la forme appelée « de type suisse ». C’est une pratique établie depuis la CBE de 1973 qu’un brevet relatif à une application médicale ultérieure d’un médicament connu ne peut être délivré qu’à l’égard d’une revendication visant l’utilisation d’une substance ou d’une composition dans la préparation d’un médicament destiné à une application thérapeutique spécifiée (voir la décision G 5/83, au point 2 de l’ordonnance).

 

Comme le médicament en soi n’était pas nouveau, l’objet de cette revendication acquérait la nouveauté par sa nouvelle application thérapeutique (voir G 5/83, aux points 20 et 21 des motifs). Cette approche prétorienne constituait « une approche spéciale de la dérivation de nouveauté » (voir le point 21 de la décision G 5/83) et, par conséquent, une exception étroite aux principes régissant les conditions de la nouveauté. Cette exception ne devait pas être appliquée à d’autres domaines de la technologie.

 

La justification de cette décision prétorienne était la suivante : la revendication visant l’utilisation d’une substance ou d’une composition dans le traitement thérapeutique du corps humain devait être considérée comme une étape du traitement (voir le point 18, vers la fin de la décision G 5/83). Elle était donc interdite. Par ailleurs, seule la première indication médicale d’une composition connue, sous forme de médicament, pouvait, en vertu du paragraphe 54(5) de la CBE de 1973 (paragraphe 54(4) de la CBE de 2000), être libellée sous forme de revendication de produit destiné à une utilisation. Comme l’intention du législateur n’était manifestement pas d’exclure du champ de la brevetabilité les deuxièmes indications thérapeutiques d’un médicament connu, la revendication appelée de type suisse constituait la solution adéquate, bien qu’exceptionnelle.

 

7.1.2    Le paragraphe 54(5) de la CBE autorise désormais la protection d’un produit liée à une application pour toute utilisation ultérieure spécifiée d’un médicament connu dans une méthode thérapeutique. Par conséquent, comme en fait état le document préparatoire (MR/24/00, point 139), la lacune des dispositions de la CBE de 1973 a été comblée.

 

En d’autres termes, « cessante ratione legis, cessat et ipsa lex », la raison d’être de la loi disparaissant, la loi cesse de s’appliquer.

 

La cause de l’approche prétorienne disparaissant, l’effet doit cesser. Comme l’expose la décision T 406/06 du 16 janvier 2008, au point 5 des motifs :

 

La question se pose de savoir si l’exception à l’exigence générale relative à la nouveauté, acceptée dans la décision G 5/83 en vertu de la CBE de 1973, conserve sa justification dans le nouveau cadre juridique. Ce cadre permet au demandeur de brevet de structurer ses revendications conformément au paragraphe 54(5) de la CBE de 2000 en vue d’obtenir la protection du brevet à l’égard d’une nouvelle application thérapeutique d’un médicament connu.

 

7.1.3    De plus, les revendications de type suisse pourraient être considérées (et l’ont été) comme attaquables sur leur conformité aux conditions de la brevetabilité, en raison de l’absence de toute relation fonctionnelle entre les caractéristiques (appartenant à la thérapie) conférant la nouveauté et le caractère inventif, le cas échéant, et le procédé de préparation revendiquée. Par conséquent, quand la nouveauté de l’objet de la revendication repose seulement sur la nouvelle utilisation thérapeutique du médicament, ces revendications ne peuvent plus adopter la forme appelée revendication de type suisse, comme l’a établi la décision G 5/83.

 

7.1.4    La Grande Chambre de recours est consciente que des brevets comportant des revendications de ce type ont été délivrés et qu’un grand nombre de demandes de brevet en instance contiennent ce type de revendications. Pour assurer la certitude juridique et protéger les intérêts légitimes des demandeurs de brevet, la présente décision, qui supprime cette possibilité en raison de l’interprétation que donne du droit nouveau la Grande Chambre de recours, n’aura pas d’effet rétroactif. Un délai raisonnable de trois mois à partir de la publication de la présente décision au Journal officiel de l’OEB est fixé pour que les demandes à venir puissent se conformer à la nouvelle situation. À cet égard, la date pertinente pour les demandes à venir est la date de dépôt ou, si une priorité a été demandée, la date de priorité.

 

 

f)          Les revendications « suisses » au Canada

 

[87]           Je passe maintenant à l’usage fait au Canada des revendications de type « suisse ». J’ai examiné l’origine et la nature de ces revendications dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 C.P.R. (4th) 406, aux paragraphes 18 à 24 :

[18] Les 17 revendications du brevet 356 sont, comme les revendications 1, 3, 15 et 17, rédigées dans le style « suisse », c’est‑à‑dire :

 

[traduction] L’utilisation d’[un ancien composé] dans la fabrication d’un médicament destiné au traitement d’[un nouveau trouble].

 

[19] Les revendications d’un brevet concernant d’une façon ou d’une autre des médicaments, leur fabrication et leur utilisation ont à divers moments et dans divers ressorts fait l’objet de certaines restrictions et limitations. Ainsi, à un moment donné, le Canada ainsi que certains autres pays ne permettaient pas de revendications portant sur un médicament en soi. Par conséquent, on a commencé à structurer les revendications de certaines façons, de sorte qu’indirectement, une certaine protection sous forme de monopole pouvait être demandée. Dans la décision Deprenyl Research Ltd. c. Apotex Inc., (1994), 55 C.P.R. (3d) 171 (conf. par (1995), 60 C.P.R. (3d) 501 (C.A.F.)), à la page 175, feu le juge en chef adjoint Jerome a procédé à une bonne analyse succincte de l’historique de telles revendications au Canada :

 

[...] Jusqu’à tout récemment, un médicament en soi ne pouvait être breveté, sauf s’il était préparé par un procédé spécialement décrit. Même dans ce cas, cependant, il était essentiel que le médicament ainsi produit ait un caractère de nouveauté. Si le médicament n’avait pas de tel caractère, mais que le procédé permettant de le produire fût nouveau, seulement le procédé pouvait être breveté. Bien que les médicaments en soi puissent maintenant être brevetés en tant que produits, de toute évidence il existe encore un grand nombre de brevets concernant des médicaments préparés par un procédé particulier. Par conséquent, il y a trois types de revendications qui peuvent être faites dans un brevet relatif à un médicament. Il y a la revendication pour le médicament en soi, appelée « revendication pour un produit »; la revendication pour le médicament préparé par un procédé particulier, appelée « revendication pour un produit "dépendant d'un procédé" » et la revendication pour un procédé particulier pour la production du médicament, appelée « revendication pour un procédé ».

 

[20] En Europe, les revendications qui étaient [traduction] « susceptibles d’application industrielle » étaient permises, mais [traduction] « les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain [...] et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain » ne l’étaient pas; toutefois [traduction] « les substances ou compositions, pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes » pouvaient être revendiquées. Par conséquent, un nouveau médicament pouvait être revendiqué, mais pas une nouvelle utilisation d’un ancien médicament. Les Suisses ont élaboré une façon d’éviter ce problème de revendication d’une nouvelle utilisation d’un ancien médicament en qualifiant la fabrication d’un comprimé pour une nouvelle utilisation comme quelque chose qui était [traduction] « susceptible d’application industrielle », de sorte que ce type de revendication est devenu connu sous le nom de « revendication suisse ».

 

[21] Le juge Jacob (tel était alors son titre), de la Chancery (Patents) Division anglaise, a expliqué les revendications suisses d’une façon claire dans la décision Bristol-Myers Squibb Co. c. Baker Norton Pharmaceuticals Inc., [1998] EWHC Patents 300 (confirmé [2000] EWCA Civ. 169 (C.A.)), aux paragraphes 43 et suivants :

 

[traduction]

43. Avant de continuer, j’aimerais maintenant parler de la structure générale d’une revendication. Je dois dire que l’homme moyennement versé dans l’art (à qui la revendication s’adresse en théorie) la trouverait troublante à moins de connaître la logique byzantine du droit des brevets et de la jurisprudence. L’explication se trouve au paragraphe 54(4) de la CBE et dans les décisions. Les passages pertinents de l’article 54 sont rédigés comme suit :

 

(1) Les brevets européens sont délivrés pour les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle.

 

[…]

 

(4) Ne sont pas considérées comme des inventions susceptibles d’application industrielle au sens du paragraphe 1, les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal. Cette disposition ne s’applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes.

 

[22] Par conséquent, la « revendication suisse » est une forme de structure additionnelle de revendication qui peut être ajoutée aux structures examinées dans la décision Deprenyl, précitée, de sorte qu’à l’heure actuelle, au Canada, les revendications portant sur un médicament, et en particulier sur un médicament antérieurement connu, peuvent être structurées de diverses façons, par exemple :

 

l’utilisation d’un ancien médicament pour le traitement d’un nouveau trouble (revendication pour une nouvelle utilisation);

 

le procédé de fabrication d’un ancien médicament qui doit être utilisé dans le traitement d’un nouveau trouble (revendication pour un procédé);

 

l’utilisation d’un ancien médicament lorsqu’il est préparé par un procédé donné pour le traitement d’un nouveau trouble (revendication dépendant du procédé);

 

l’utilisation d’un ancien médicament pour la fabrication d’un médicament pour le traitement d’un nouveau trouble (revendication suisse).

 

[23] Il serait probablement possible de dire que chacune de ces revendications porte en « esprit » ou en « essence » sur la nouvelle utilisation d’un médicament connu, mais chacune est structurée différemment.

 

[24] Lors de la conférence préparatoire qui a eu lieu le 14 janvier 2008, l’avocat d’Apotex a déclaré qu’Apotex ne plaiderait pas la question de savoir si les revendications du type « suisse » sont des revendications appropriées aux fins de l’inscription en vertu du Règlement sur l’AC ni la question de savoir si de telles revendications visent une méthode de traitement médical. Dans la mesure où de tels arguments ont été invoqués dans l’avis d’allégation ou dans le mémoire des arguments d’Apotex, ils ont été abandonnés.

 

Dans cette décision, je n’ai pas eu à me pencher sur l’effet de la formulation des revendications dans un style de type suisse. En l’espèce, je dois le faire.

 

[88]           L’interprétation de la revendication de type « suisse » a donné lieu à une jurisprudence relativement contradictoire au Canada. Dans l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 59 C.P.R. (4th) 1, la Cour d’appel fédérale a conclu que la juge de première instance était « parfaitement fondée » d’interpréter ce type de revendication comme n’étant pas une revendication pour l’utilisation du médicament. Le juge Noël (dans ses motifs concourants, sauf sur une question) a écrit aux paragraphes 32 à 43 :

[32] En ce qui concerne la première question soulevée dans le cadre du présent appel, la revendication 31 est formulée en ces termes :

 

[traduction] L’utilisation de la forme 0 [clarithromycine] d’éthanolate dans la préparation de la forme II [de la clarithromycine] pour obtenir un antibiotique.

 

[33] Abbott ne conteste pas la conclusion de la juge Heneghan selon laquelle la revendication 31 n’est pas une revendication pour le « médicament en soi ». Elle pose simplement la question de savoir si la juge Heneghan a eu raison de conclure que la revendication 31 n’est pas une revendication admissible en vertu du Règlement puisqu’il ne s’agit pas (article 2) d’une « [r]evendication pour l’utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l’atténuation ou de la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes » [cette définition a depuis lors été abrogée par DORS/2006-242, art. 1].

 

[34] Abbott soutient que c’est à tort que la juge Heneghan a statué que la revendication 31 n’est pas une revendication pour l’utilisation du médicament. Selon la juge de première instance, il ressort de la revendication 31 que « c’est l’utilisation de la forme 0 pour fabriquer autre chose, c’est‑à‑dire la forme II, qui est revendiquée » (motifs, paragraphe 120). Selon Abbott, la juge de première instance a commis une erreur en n’accordant aucune importance aux mots [traduction] « pour obtenir un antibiotique » qui figurent dans la revendication 31.

 

[35] Abbott prétend que si l’on donne de la revendication 31 une interprétation téléologique, il s’agit d’une revendication pour l’utilisation du médicament, la revendication pouvant donc, à ce titre, figurer sur la liste des brevets. Autrement dit, s’il avait été tenu compte du membre de phrase [traduction] « pour obtenir un antibiotique », on aurait reconnu qu’il s’agissait d’une utilisation admissible.

 

[36] Abbott fait valoir à cet égard que la revendication 31 devrait être interprétée avec la revendication 30, qui lui est identique sauf qu’elle ne comprend pas les mots [traduction] « pour obtenir un médicament ». Selon Abbott, il convient d’accorder une signification à ces mots qui se trouvent dans la revendication 31 et, en décidant de n’en pas tenir compte, la juge Heneghan a commis une erreur de droit.

 

[37] Je ne crois pas que, dans son interprétation de la revendication 31, la juge Heneghan n’a pas tenu compte du membre de phrase [traduction] « pour obtenir un antibiotique ». En effet, ce membre de phrase revient à plusieurs reprises dans ses motifs. Après une lecture attentive de ses motifs, on constate qu’elle a dit que toute personne versée dans l’art aurait interprété la revendication 31 comme visant l’utilisation de la forme 0 pour obtenir la forme II, estimant que les derniers mots de la revendication n’étaient pas essentiels pour l’invention revendiquée (motifs, paragraphes 104 et 120 à 134). Dans le cadre du présent appel, il s’agit de déterminer si la juge pouvait effectivement tirer cette conclusion. En toute déférence, j’estime qu’elle le pouvait.

 

[38] Selon le sens clair de la revendication 31, il s’agit de l’utilisation d’une substance (la clarithromycine de forme 0) pour obtenir une autre substance (la clarithromycine de forme II). À cette fin, il s’agit de chauffer la forme 0 à de très fortes températures (entre 70°C et 110°C).

 

[39] La portée des 68 revendications du brevet 361 varie, mais toutes les revendications concernent l’utilisation de la forme 0 pour obtenir la forme II. Aucune ne se présente comme revendiquant la clarithromycine de forme 0 en tant que médicament. Les revendications de la clarithromycine de forme 0 en soi et de l’utilisation de la forme 0 en tant qu’antibiotique figurent dans le brevet 2277274 déposé en même temps que le brevet 361 (dossier d’appel, vol. VI, page 2270).

 

[40] Par contre, l’utilisation de la forme II en tant qu’antibiotique est divulguée dans le brevet 2258606 qui a été déposé avant le brevet 361 et dont la date de la revendication précède celle du brevet 361 (ibid.).

 

[41] Il convient de souligner que l’expert cité par Abbott (M. Byrn) a entièrement passé sous silence le membre de phrase [traduction] « pour obtenir un antibiotique » dans sa description de ce que revendique le brevet 361 (dossier d’appel, vol. VI, pages 2171 et 2172). Dans un même ordre d’idées, M. Atwood (qui lui aussi a témoigné comme expert pour le compte d’Abbott) ne considère pas, lui non plus, que le membre de phrase [traduction] « pour utilisation comme antibiotique » est essentiel à la revendication (dossier d’appel, vol. VII, page 2645).

 

[42] De plus, la seule utilisation reconnue de la forme II était en tant qu’antibiotique. C’est ce que déclare M. Byrn au paragraphe 296 de son affidavit (dossier d’appel, vol. VI, page 2333). Il est vrai, comme le fait remarquer l’avocat d’Abbott, que la déclaration de M. Byrn concerne les comprimés de clarithromycine, mais le témoignage de M. Byrn ne permet pas de penser que la forme II utilisée pour les comprimés en question avait une autre utilisation.

 

[43] Même si la Cour devrait s’efforcer de donner aux revendications qui ne sont pas formulées de la même manière une interprétation qui tient compte de ces différences, la juge Heneghan était en l’occurrence parfaitement fondée à conclure que le membre de phrase [traduction] « pour utilisation comme antibiotique », qui se trouve à la fin de la revendication 31, n’ajoute rien à l’invention revendiquée. Ces mots décrivent tout au plus l’utilité de la forme II obtenue au moyen de l’invention revendiquée. Il était bien connu que la clarithromycine de forme II est employée comme antibiotique. On n’ajoute [rien] à l’invention en précisant qu’il s’agit d’un antibiotique employé comme antibiotique.

 

[89]           Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2007), 61 C.P.R. (4th) 305, le juge Mosley de la présente Cour a examiné certaines revendications qu’il a résumées au paragraphe 147 en incluant une revendication de type « suisse », la revendication 8. D’autres revendications visaient plus directement dans leur formulation l’utilisation du médicament :

[147] Voici le libellé des revendications visées en l’espèce, une fois inscrites les renonciations, sous leur forme abrégée et dont je souligne certains passages :

 

1. L’utilisation d’un composé répondant à la formule (I) [qui est définie ici] ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, ou d’une composition pharmaceutique renfermant l’une quelconque de ces entités, pour la fabrication d’un médicament pour le traitement curatif ou prophylactique d’une dysfonction érectile chez l’homme.

 

Les revendications 2 à 4 portent essentiellement sur « L’utilisation selon la revendication 1 » et restreignent les définitions de la formule (I).

 

7. L’utilisation selon la revendication 4 dans laquelle le composé de formule (I) est le 5-[2-éthoxy-5-(4-méthyl-1-pipérazinylsulphonyl)-phényl]-1-méthyl-3-n-propyl-1,6-dihydro-7Hpyrazolo[4,3-d]pyrimidin-7-one] (c.-à-d. le sildénafil) ou l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables (c.-à-d. un sel de sildénafil) [Les italiques sont de moi]

 

8. L’utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 7 pour la fabrication d’un médicament pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez l’homme.

 

10. Une composition pharmaceutique pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez l’homme, caractérisée en ce qu’elle contient un composé de formule (I) selon l’une quelconque des revendications 1 à 7, ou l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, en présence d’un diluant ou d’un support pharmaceutiquement acceptable.

 

18. L’utilisation d’un composé de formule (I) selon l’une quelconque des revendications 1 à 7, ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez l’homme.

 

22. L’utilisation selon l’une quelconque des revendications 1 à 8 caractérisée en ce que le médicament est adapté au traitement par voie orale.

 

23. Une composition pharmaceutique selon la revendication 10 caractérisée en ce qu’elle est adaptée au traitement par voie orale.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[90]           Quand il renvoie à ces revendications au paragraphe 153, il renvoie à l’ensemble, ce qui comprend la revendication « suisse » pour l’utilisation du médicament, la fabrication du médicament n’étant qu’un aspect secondaire :

[153] Il m’apparaît évident, à la lecture des revendications visées, que ce sont les formes multiples de sildénafil, y compris un composé de formule (I), un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, ou une composition pharmaceutique renfermant l’une ou l’autre de ces entités, dont l’utilité est revendiquée dans le traitement de la DE chez l’homme, et que cela peut nécessiter la fabrication d’un médicament. L’utilisation dont il est question est donc l’utilisation du sildénafil (qui est un médicament, conformément à la définition ci‑dessus, c.‑à‑d. une « substance ») pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez l’homme, et la fabrication d’un médicament ou son adaptation pour le traitement oral ne constituent que des aspects secondaires de l’utilisation essentielle qui est revendiquée.

 

[91]           Étant donné les décisions Bristol-Myers, Actavis et Kos, ainsi que les décisions canadiennes mentionnées, quelle est la position canadienne à l’égard des revendications « suisses »? Suivons‑nous les tribunaux britanniques et le juge Mosley en considérant que la structure, libellée en termes de fabrication du médicament, est un aspect simplement secondaire en regard de l’intention réelle de revendiquer une nouvelle utilisation? La différence a son importance, surtout dans l’examen de la validité.

 

[92]           En l’espèce, si la revendication 5 vise simplement la seule fabrication d’un comprimé qui contient en l’occurrence 1 mg du médicament, la préparation du comprimé et sa posologie ne peuvent aucunement être considérées comme nouvelles ou inventives, l’état de la technique comprenant déjà des comprimés du même médicament utilisés aux mêmes fins dans des posologies, par exemple, de 5 mg ou plus. C’est ce qu’a fait le juge Warren dans la décision de première instance Actavis, aux paragraphes 23 à 27 :

[traduction]

Absence de nouveauté

 

23.              M. Thorley estime que la présente affaire ne se distingue pas de l’affaire Bristol-Myers (je suis, évidemment, lié par celle‑ci). S’agissant de l’absence de nouveauté, il dit que dans une revendication de type suisse valide, la nouveauté doit se trouver dans la nouvelle application thérapeutique : elle ne peut se trouver dans un nouveau schéma posologique destiné au traitement connu de la même affection. En l’espèce, il estime que le brevet EP 0 285 382 divulgue l’application thérapeutique, soit le traitement de l’alopécie androgénétique. La modification de la posologie ne peut être considérée comme une nouveauté. Par conséquent, la revendication est dépourvue de nouveauté à la lumière du raisonnement dans l’arrêt Bristol-Myers.

 

24.              À ce stade, je dois mentionner quelque chose à propos d’EP 0 285 382. Cette demande a été publiée en octobre 1988. Elle était intitulée « Méthodes de traitement de l’alopécie androgénétique à l’aide de 17β-N-monosubstitué-carbomyl-4-aza-5α-androst-1-ène-3-ones ». L’un des composés visés est le finastéride.

 

25.       Quant au brevet 382, il commence par un renvoi à plusieurs affections hyperandrogéniques, notamment la calvitie androgénétique chez l’homme et le HBP (pages 2 11‑13). Au bas de la page 2, on fait référence à une nouvelle classe de composés pouvant servir d’ingrédients actifs, à des méthodes permettant d’inhiber la 5α-réductase et à des traitements d’affections sensibles aux androgènes.

 

26.       Après la description des réactions chimiques sous‑jacentes, le mémoire descriptif dit :

 

« Par conséquent, la présente invention vise particulièrement à fournir une méthode de traitement des affections hyperandrogéniques, notamment la calvitie androgénétique chez l’homme, l’acné vulgaire, la séborrhée et l’hirsutisme chez la femme, par l’administration par voie topique, et une méthode de traitement de toutes les affections mentionnées ci‑dessus ainsi que de l’hypertrophie bénigne, par l’administration par voie systémique, des nouveaux composés de la présente invention.

 

Les compositions contenant les composés de la présente invention est [devrait se lire « qui sont »] l’ingrédient actif à utiliser dans le traitement de l’hypertrophie bénigne de la prostate peuvent prendre toute une gamme de formes posologiques thérapeutiques dans des véhicules classiques en vue d’une administration par voie systémique, par exemple, par voie orale sous la forme de comprimés, de gélules, de solutions ou de suspensions, o[u] par injection par voie intraveineuse. La posologie quotidienne des produits peut varier au sein d’une large gamme allant de 5 à 2 000 mg, mais de préférence de 5 à 200 mg. »

 

27.       À la lumière de ce qui précède, il semble clair qu’il n’y a pas de nouveauté dans l’utilisation du finastéride comme traitement possible de la calvitie androgénétique chez l’homme. Le fait de l’utiliser en faibles doses, et il est évident aujourd’hui que cela peut aboutir à la réussite du traitement, plutôt qu’aux doses beaucoup plus fortes figurant dans EP 0 285 382, constitue peut‑être une nouveauté. Mais il s’agit simplement d’un schéma posologique différent, situation qui reprend précisément celle de l’affaire Bristol-Myers.

 

 

[93]           Par contre, si nous ne tenons pas compte de la structure « suisse » et interprétons la revendication comme visant le traitement de la calvitie à l’aide du finastéride dans une posologie particulière, nous sommes alors dans la situation qu’expose le lord juge Jacob dans l’arrêt Actavis aux paragraphes 66 à 71 :

[traduction]

[66]      Si l’on considère la décision du juge Warren sur ces points, elle illustre très clairement pourquoi il est peu probable que l’affaire BMS ait réellement décidé qu’une revendication de type suisse dont la seule différence avec l’état de la technique consiste dans le régime posologique est dépourvue de nouveauté.

 

[67]      Le juge a statué que la revendication 1 était dépourvue de nouveauté parce que sa seule différence avec l’état de la technique consistait dans le nouveau schéma posologique. Énoncée au long, cette conclusion signifie qu’il a statué que « l’utilisation du finastéride pour la préparation d’un médicament destiné à l’administration par voie orale traitant l’aa, dans laquelle la dose est d’environ 0,4305 à 1,430 mg », était dépourvue de nouveauté. Mais personne n’avait jamais utilisé le finastéride à cette fin ou donné des instructions claires et non équivoques dans ce sens. La présente affaire n’est pas comme l’affaire BMS où Winograd avait divulgué le schéma posologique même de la revendication et donné des instructions claires et non équivoques sur son utilisation et, partant, sur l’utilisation du taxol pour la préparation de ce schéma posologique.

 

[68]      Le juge a noté qu’« il peut être nouveau de l’utiliser à la faible dose qui peut, ainsi qu’il appert maintenant, aboutir au succès du traitement ». Il pensait qu’il découlait de l’affaire BMS que cette nouveauté n’était pas suffisante pour être prise en compte en vue de décider de la validité.

 

[69]      Ce qui ressort avec une grande clarté ici, c’est que si cette conclusion est correcte, il existe deux voies d’attaque possibles de la nouveauté des revendications sous la forme suisse. La première est ce que l’on pourrait appeler l’attaque « classique » de la nouveauté, soit le critère bien connu des « instructions claires et non équivoques » énoncé dans l’arrêt General Tire and Rubber Co c. Firestone Tyre and Rubber Co Ltd [1972] RPC 457 aux pages 485 et 486. Mais il y aurait aussi un critère différent, qui consiste à se demander si la nouveauté de la revendication est attribuable exclusivement au nouveau schéma posologique. Si c’est le cas, peu importe que personne n’ait jamais proposé ce schéma, la revendication est dépourvue de nouveauté.

 

[70]      Nous estimons qu’il ne peut en être ainsi, qu’il y a un seul critère en matière de nouveauté, celui de l’arrêt General Tire. À notre avis, on ne peut conclure que la Cour, dans l’arrêt BMS, concluait à l’existence de deux critères et, à l’évidence, elle ne le faisait pas.

 

[71]      Par conséquent, nous ne sommes pas convaincus que l’affaire BMS formule un principe clair portant que les revendications de type suisse sont dénuées de nouveauté dans le cas où la seule différence qui les distingue de l’état de la technique est un nouveau schéma posologique destiné à une maladie connue.

 

[94]           Je termine ici l’examen de la question. Dans les circonstances de l’espèce, comme il s’agit d’une procédure régie par le Règlement AC, je décide, comme on le verra ci‑dessous, que Pharmascience est liée par les allégations de son avis d’allégation relatives à l’interprétation de la revendication 5.

 

g)         L’interprétation des revendications – L’avis d’allégation

[95]           Selon les dispositions du Règlement AC, la fonction de l’avis d’allégation signifié par la seconde personne, Pharmascience en l’occurrence, est de soulever en termes clairs et non équivoques tous les faits et les points de droit pertinents sur lesquels elle entend se fonder. Dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Novoharm Ltd., 2009 CF 301, 76 C.P.R. (4th) 407, j’ai écrit au paragraphe 78 :

78. La jurisprudence de notre cour a évolué au point où il est maintenant acquis que la seconde personne est tenue de soulever dans son avis d’allégation toutes les questions ainsi que tous les faits et toutes les règles de droit sur lesquels elle se fonde et de les exposer de façon claire et sans équivoque pour permettre à la première personne de savoir exactement à quels éléments de preuve elle devra répondre si elle souhaite introduire une instance sous le régime du Règlement AC. À cet égard, voici ce que j’ai déclaré dans le jugement Brystol-Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, au paragraphe 130, en me fondant sur les propos tenus par le juge Stone dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 :

 

[traduction]

[130] L’avis d’allégation est censé être suffisamment complet pour informer la première partie des allégations formulées ainsi que du droit et des faits sur lesquels elles se fondent. L’intention est de décrire de façon détaillée l’ensemble du contexte factuel sur lequel la seconde personne s’appuie. Si l’avis est incomplet, la seconde partie en assume le risque. Je renvoie aux extraits suivants des motifs du juge Stone de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), cité précédemment alors que je traitais de la question de la renonciation. Voici ses propos aux par. 21 et 23 :

 

21. À mon avis, tout ce qui précède donne à penser que la seconde personne doit satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(3)a), c’est-à-dire établir dans l’énoncé détaillé « le droit et les faits sur lesquels elle fonde » les allégations de l’alinéa 5(1)b) et le faire d’une manière suffisamment complète pour permettre au titulaire du brevet d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation. Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), par le juge Strayer, J.C.A. à la page 216. Un examen de l’énoncé détaillé en question est ainsi requis afin de déterminer s’il est satisfait à cette exigence à l’égard de l’allégation voulant que les brevets 693 et 891 ne sont pas valides pour cause d’évidence.

...

23. L’intimée prétend que la liste des antériorités de l’énoncé détaillé ne se veut pas exhaustive, d’où la présence du mot « notamment », de telle sorte que subsistait la possibilité d’ajouter à cette liste dans le cadre de l’instance relative à la demande visée à l’article 6. Je suis toutefois d’opinion que l’alinéa 5(3)a) n’envisage pas cette possibilité. L’intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l’énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l’intimée qu’elles assument le risque qu’une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. Dans l’arrêt Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), le juge Strayer, J.C.A., en faisant référence à l’arrêt de la présente Cour Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 207, a indiqué, aux pages 133 et 134 :

 

L’ordonnance dont il est fait appel a été rendue avant que la Cour n’ait eu l’occasion de clarifier certaines des questions que soulève le Règlement. Précisons que dans l’affaire Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [rapporté depuis à 58 C.P.R. (3d) 207], la Cour a déclaré que :

 

Il nous semble que même si l’avis d’allégation joue un rôle important dans l’issue finale d’un litige de cette nature, ce n’est pas un document au moyen duquel la demande de contrôle judiciaire peut être introduite conformément à l’article 6 du règlement. Ce document a été présenté en guise de preuve par les appelantes; il a pour point de départ la demande déposée auprès du ministre. Parce que ce n’est pas un document qui a été déposé auprès de la Cour, mais auprès du ministre, à notre sens l’avis d’allégation échappe à la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire. Cela étant, la Cour, selon nous, n’a pas la compétence nécessaire pour radier l’avis d’allégation.

 

Cela veut dire, à l’évidence, que la Cour n’a pas la compétence nécessaire pour rendre des ordonnances touchant le dépôt des avis d’allégation ou pour exiger que ces avis soient améliorés à tel ou tel égard. Le principe est que, selon les dispositions mêmes du Règlement, l’avis d’allégation précède le dépôt d’une demande de prohibition devant la Cour. L’avis d’allégation appartient au substrat d’une telle procédure, ce qu’on pourrait peut-être considérer comme une partie constitutive de la « cause d’action ». Une cour de justice ne peut pas ordonner la création d’une cause d’action, ou ordonner que celle-ci soit créée dans tel ou tel délai ou de telle ou telle manière. La Cour ne peut en connaître qu’une fois que celle-ci existe, ou à partir du moment où l’on prétend qu’elle existe. Ceux qui omettraient de déposer un avis d’allégation, ou qui déposeraient un avis incomplet, en supporteront les conséquences lorsque, dans le cadre d’une demande de prohibition déposée devant la Cour, quelqu’un invoque les lacunes de ces allégations.

 

 

[96]           À cet égard, l’avis d’allégation ressemble à un acte de procédure. Une fois que la seconde personne a adopté une position au sujet des faits et du droit, elle ne peut s’en écarter. C’est d’autant plus vrai que l’avis d’allégation ne peut être modifié après le début de l’instance judiciaire.

 

[97]           En l’espèce, Pharmascience a précisé que le brevet 457, y compris la revendication 5, ne visait pas la préparation d’un comprimé; elle a pris la position qu’il visait une posologie particulière. Elle a dit aux pages 2 et 3 de son [traduction] « Énoncé détaillé » :

 

[traduction]

C.        Brevet canadien nº 2,173,457

 

1)         Objet du brevet 457

 

            Le brevet 457 vise le traitement de l’alopécie androgénétique, notamment la calvitie chez la femme et chez l’homme, et d’autres affections hyperandrogéniques par l’administration d’une faible dose quotidienne d’un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2, en particulier, la 17β-(N-tert-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-1-ène-3-one, c.‑à‑d. le finastéride, pour lequel la posologie est de 0,05 à 3,0 mg par jour.

 

2)         Résumé des revendications du brevet 457

 

a)         Revendications 1 à 5 du brevet 457

 

            La revendication 1 du brevet 457 est une revendication générale et indépendante visant l’utilisation d’un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 pour la préparation d’un médicament destiné à l’administration par voie orale et utile pour le traitement de l’alopécie androgénétique chez l’humain, dans laquelle la posologie est d’environ 0,05 à 3,0 mg.

 

            La revendication 2 dépend de la revendication 1, dans laquelle l’inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 est limité au finastéride.

 

            La revendication 3 dépend de la revendication 2, dans laquelle la posologie revendiquée est d’environ 1,0 mg.

 

            La revendication 4 dépend de la revendication 3, dans laquelle la posologie renvendiquée est d’environ 1,0 mg.

 

            La revendication 5 dépend de la revendication 4, dans laquelle l’alopécie androgénétique concerne la calvitie androgénétique chez l’homme.

 

           

[98]           En outre, les deux témoins de Pharmascience, le Dr Taylor aux paragraphes 108 à 115 de son affidavit et M. Steiner au paragraphe 123 de son affidavit, ont pris la position que les revendications, dont la revendication 5, visaient effectivement l’utilisation du finastéride dans une posologie particulière pour le traitement de la calvitie chez l’homme.

 

[99]           Par conséquent, j’examinerai dans la présente instance l’interprétation de la revendication 5 en posant qu’il ne faut pas interpréter littéralement la formulation de type « suisse » de la revendication. Il faut plutôt considérer la revendication comme visant l’utilisation du finastéride administré par voie orale dans une posologie particulière pour le traitement de la calvitie chez l’homme.

 

h)         L’interprétation de la revendication 5

[100]       Après ce long détour, je reviens à l’interprétation de la revendication 5 que je reprends dans la forme comprenant les revendications antérieures et dans laquelle le finastéride a été substitué à la formule chimique complexe :

5.                  L’utilisation du finastéride pour la préparation d’un médicament adapté à l’administration par voie orale, utile pour le traitement de la calvitie androgénétique chez l’homme et dans laquelle la dose est d’environ 1,0  mg.

 

 

[101]       Étant donné l’examen qui précède, qui portait notamment sur la position de Pharmascience à propos de la revendication de type « suisse », j’interprète la revendication comme comportant les éléments essentiels suivants :

a.       un médicament;

b.      préparé à l’aide du finastéride;

c.       destiné à l’administration par voie orale;

d.      pour traiter la calvitie chez l’homme;

e.       dont la posologie est d’environ 1,0 mg.

 

[102]       Pharmascience a soulevé deux points litigieux.

1.      La revendication vise‑t‑elle le finastéride en tant que seul ingrédient actif?

2.      La posologie est-elle une posologie par jour?

 

[103]       S’agissant du premier point, la revendication 5, bien interprétée, vise‑t‑elle l’utilisation du finastéride comme seul ingrédient actif? La revendication ne mentionne pas les mots « seul » ou « uniquement ». La description de la page 5 du brevet 457 indique qu’un médicament comme le finastéride [traduction] « peut être utilisé en association avec un agent favorisant l’ouverture des canaux potassiques, par exemple le minoxidil ».

 

[104]       Du point de vue des témoins de Pharmascience, le Dr Taylor (au paragraphe 152 de son affidavit) et M. Steiner (aux paragraphes 81 et 82 de son affidavit), la revendication 5 n’est pas limitée au seul finastéride. Le témoin de Merck, M. Russell, dans son contre‑interrogatoire, en réponse aux questions 378, 379 et 382, est d’avis que rien dans la revendication 5 n’excluait un autre ingrédient actif, le minoxidil par exemple.

 

[105]       Dans la décision AstraZeneca AB c. Apotex Inc. (2007), 60 C.P.R. (4th) 199, aux paragraphes 21 à 25, et 32 et 33 (conf. par 61 C.P.R. (4th) 97 (CAF) aux paragraphes 22 et 23), le juge Barnes de la Cour, traitant de revendications très semblables, a conclu que ces revendications ne se limitaient pas au seul médicament mentionné.

 

[106]       En l’espèce tout particulièrement, étant donné que la description du brevet 457 mentionne expressément l’inclusion d’autres médicaments actifs, je conclus que l’interprétation correcte de la revendication 5 ne limite pas celle‑ci à l’utilisation du seul finastéride comme médicament actif.

 

[107]       La seconde question a trait à la posologie, à savoir si la mention de 1,0 mg correspond à une posologie par jour. Je note que tous les experts des parties, dans leurs témoignages, comprennent qu’il s’agit d’une posologie quotidienne. (Contre‑interrogatoire de M. Russell, questions 162 à 170; contre‑interrogatoire du Dr Shapiro, page 42, lignes 34 à 41; affidavit du Dr Taylor, paragraphes 108 et 109; affidavit de M. Steiner, paragraphe 33).

 

[108]       Le brevet 457, dans la description qui figure aux pages 3a et 5, mentionne que les posologies sont des posologies quotidiennes. Je conclus, en faisant précisément référence à cette description, que l’interprétation correcte de la revendication 5 commande de considérer la posologie de 1,0 mg comme une posologie quotidienne.

 

5.         La méthode de traitement médical

[109]       Pharmascience attaque la validité de la revendication 5 au motif que la revendication vise, en réalité, simplement une méthode de traitement médical, ce qui, allègue‑t‑elle, ne constitue pas un objet valide de brevet au Canada.

 

[110]       Premièrement, en tant que revendication de type « suisse », si on permet de l’interpréter sous cette forme, la revendication 5 ne concerne pas une méthode de traitement médical; elle concerne un produit vendable, précisément un médicament. Le raisonnement de la jurisprudence britannique et de la jurisprudence européenne antérieure est celui qui s’appliquerait en l’espèce, de sorte que la revendication ne serait pas considérée comme portant sur une méthode de traitement médical.

 

[111]       Par ailleurs, si la revendication doit être interprétée comme visant un médicament pour le traitement d’une maladie humaine selon une posologie particulière, c’est la jurisprudence canadienne qui doit être prise en compte, particulièrement du fait que la revendication 5 est limitée à une posologie déterminée particulière, plutôt qu’à une gamme de doses au sein desquelles il appartient au médecin d’arrêter la posologie finale. Je renvoie ici à l’analyse attentive et fouillée du juge Harrington de la présente Cour dans son examen des revendications visant une gamme de doses dans la décision Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc. (2006), 50 C.P.R. (4th) 321, aux paragraphes 45 à 51 :

[45]  Pharmascience ne conteste pas qu’une utilisation nouvelle d’un composé déjà connu soit brevetable, ainsi qu’il a été statué dans Shell, précité. Cependant, comme le fait observer Monsieur le juge Binnie dans Apotex et Shell, précités, une invention relative au domaine de la compétence professionnelle n’est pas brevetable. Cette question a été examinée par le juge Dubé dans Visx Inc. c. Nidek Co. et al., 3 C.P.R. (4th) 417, conf. par 16 C.P.R. (4th) 251 (Cour d’appel fédérale). Cette affaire portait sur un appareil de chirurgie ophtalmologique au laser. Selon un des moyens avancés, le brevet en cause était invalide au motif qu’il avait trait à une procédure chirurgicale : la revendication, faisait‑on valoir, ne se rapportait pas à une « réalisation » ou à un « procédé », dans le cadre de la définition que donne la Loi du terme « invention ». Le juge Dubé a rejeté cet argument :

 

[173] À mon avis [écrivait‑il], la contestation de la validité des trois brevets en litige ne saurait reposer sur le moyen de défense des compétences professionnelles. Ces brevets ne transmettent pas des compétences professionnelles aux chirurgiens. Ils portent sur un appareil qui est une machine combinant plusieurs éléments. En ce sens, cet appareil est semblable à d’autres appareils de médecine, tels que les machines de radiographie, les foreuses de dentiste, les scalpels, lesquels sont toujours brevetables s’ils sont l’objet d’une invention. L’invention des brevets Visx ne limite pas les compétences du chirurgien. Au contraire, elle vise à aider celui‑ci à opérer sur l’œil humain. Elle focalise et dirige le faisceau et le met en forme. Elle détermine et contrôle une zone d’exposition circulaire et effectue l’ablation. Le chirurgien ne fait que préparer le patient et introduire les mesures de base dans l’ordinateur. Il appuie ensuite sur la pédale pour mettre la machine en marche. De plus, conformément au témoignage du Dr Sher, la myopie, l’hypermétropie et l’astigmatisme ne sont pas des maladies, ils font partie de la condition humaine.

 

[46] L’invention revendiquée dans la présente espèce est tout à fait différente. C’est au médecin qu’il appartient, d’après sa connaissance du taux du métabolisme de son patient et d’autres facteurs, de fixer la dose quotidienne qui convient à ce dernier. Je ne puis envisager un seul instant qu’Axcan puisse revendiquer l’exclusivité sur la posologie et poursuivre un médecin pour avoir prescrit, dans le cadre du traitement d’une CBP, une dose d’ursodiol inférieure à 13 mg/kg/jour ou supérieure à 15 mg/kg/jour. En fait, le Dr Shaffer, appelé à témoigner par Axcan, a déclaré dans son contre‑interrogatoire qu’il lui était arrivé de prescrire des doses d’ursodiol supérieures à celles que prévoit le brevet.

 

[47]  La décision rendue par le juge Mosley dans l’affaire Merck & Co., Inc. et al. c. Apotex Inc. et al., (2005), 41 C.P.R. (4th) 35, est tout à fait pertinente à cet égard. Cette affaire portait aussi sur le RMB(AC). Merck commercialisait depuis longtemps des comprimés d’alendronate sous une forme posologique de 10 mg à prise quotidienne pour le traitement de l’ostéoporose. Ce traitement exigeait des patients qu’ils se conforment à un régime de dosage rigoureux, ce que beaucoup, à leur détriment, ne faisaient pas. Il y avait aussi d’importants effets secondaires indésirables. La présumée invention portait qu’une dose plus forte, administrée une fois par semaine, produisait moins d’effets indésirables. Monsieur le juge Mosley a conclu que l’invention était évidente et donc invalide. Toutefois, il a aussi examiné la question du traitement médical aux paragraphes 133 et suivants. Apotex soutenait que le brevet était invalide au motif qu’il se contentait de donner des instructions au médecin pour la modification du régime posologique. Merck, cependant, a fait valoir que la revendication portait sur un produit vendable, ayant une valeur économique dans le commerce et l’industrie, et que cet objet pouvait être distingué du travail du médecin, qui nécessite l’exercice de compétences spéciales. Les modalités et le rythme de l’administration ne faisaient pas partie du brevet.

 

[48] Contrairement à la position adoptée par les tribunaux britanniques, le juge Mosley a conclu que le brevet portait sur un produit vendable ayant une valeur économique réelle, et non sur une méthode de traitement non brevetable. Cependant, dans la présente espèce, le nombre de capsules qui doit être prescrit est à décider entre la patiente et son médecin et ne fait pas l’objet d’un monopole protégé par un brevet. Par conséquent, le brevet est invalide au motif qu’il revendique une méthode de traitement médical.

 

[49]  Peut également nous intéresser ici la décision rendue par Monsieur le juge Heald de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Imperial Chemical Industries Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1986] 3 C.F. 40, 67 N.R. 121. Le commissaire avait rejeté une demande de brevet dans la mesure où les revendications en portaient sur une méthode. Le brevet revendiquait une méthode de nettoyage des dents par l’application d’une composition aqueuse. La demande a été rejetée au motif qu’elle avait pour objet un traitement du corps humain, non brevetable en vertu de l’arrêt Tennessee Eastman, précité. Cette méthode n’était pas un « procédé » au sens économique. L’appelante a fait valoir que Tennessee Eastman n’avait déclaré non brevetables que les méthodes médicales mettant en œuvre des matières produites par des procédés chimiques, selon le paragraphe 41(1) de la Loi sur les brevets, qui avait été abrogé avant le dépôt de la demande du Dr Poupon. Cependant, le juge Heald, tout comme la Cour suprême dans Apotex c. Wellcome Foundation, précité, a conclu qu’il fallait déduire de Tennessee Eastman la proposition plus générale que les méthodes de traitement médical, en soi, ne sont pas brevetables.

 

[50] Après avoir analysé la décision rendue en première instance par le juge Kerr dans l’affaire Tennessee Eastman, le juge Heald formule les observations suivantes :

 

11 Venons‑en maintenant à l’arrêt de la Cour suprême du Canada; c’est le juge Pigeon qui a rendu cette décision au nom de la Cour. Il commence ses motifs en énonçant l’exposé conjoint des faits et des questions. Aux pages 114 et 115 R.C.S.; à la page 204 du C.P.R., il reproduit, en l’approuvant, la partie des motifs du juge Kerr citée plus haut. Il est vrai qu’il parle de l’incidence de l’article 41, probablement parce que cette affaire était fondée sur le paragraphe 41(1). Toutefois, après avoir traité de ce sujet, il dit à la page 119 R.C.S.; à la page 207 du C.P.R. :

 

Étant arrivé à la conclusion que les méthodes de traitement médical ne sont pas visées comme « procédés » par la définition d’« invention », le même raisonnement doit, pour les mêmes motifs, s’appliquer aux méthodes de traitement chirurgical.

 

À mon sens, il s’agit d’une affirmation claire et sans équivoque selon laquelle « les méthodes de traitement médical ne sont pas visées comme "procédés" par la définition d’"invention" ». C’était là la seule question soumise à la Cour, et il y est répondu de façon claire et sans équivoque. En conséquence, j’estime que la portée de cette affirmation ne peut se limiter uniquement aux situations de fait visées par le paragraphe 41(1) de la Loi. Il s’ensuit donc que le commissaire n’a pas commis d’erreur en se considérant lié par le principe énoncé dans l’arrêt Tennessee Eastman.

 

[51] Il y a une distinction à faire entre la dose contenue dans une capsule et une gamme posologique fondée sur le poids du patient. Selon mon interprétation de la revendication ici en cause, l’accent y est mis sur la gamme posologique, et une gamme posologique n’est pas un produit vendable.

 

 

[112]       Dans la décision Axcan, le juge Harrington a conclu à l’invalidité de la revendication parce qu’elle visait une gamme posologique à l’intérieur de laquelle il revenait au médecin de faire un choix approprié. En l’espèce, il n’y a pas de gamme posologique; c’est une posologie déterminée qui est revendiquée. L’affaire est semblable à la situation dont était saisi le juge Mosley de la Cour dans la décision Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc. (2005), 41 C.P.R. (4th) 35, où il a conclu que la revendication concernait un produit vendable, aux paragraphes 134 à 138 :

[134] Dans Tennessee Eastman, une méthode de traitement chirurgical a été jugée non brevetable parce qu’un tel objet n’est pas visé par un « procédé » ou une « réalisation » au sens de la Loi sur les brevets : Tennessee Eastman Co. c. Canada (Commissaire des brevets) (1974), 8 C.P.R. (2d) 202, à la p. 207 (C.S.C.).

 

[135] Apotex soutient que les revendications contestées du brevet 595 sont essentiellement des méthodes de traitements médicaux en ce qu’elles ne font que donner des instructions au médecin pour modifier le régime posologique, comme l’ont conclu le tribunal australien et la Cour d’appel du Royaume-Uni : Arrow Pharmaceuticals Ltd. c. Merck &Co. Inc., précitée, au paragraphe 89; Instituto Gentili SpA c. Teva Pharmaceutical Industries Ltd., précitée, au paragraphe 69.

 

[136] Merck affirme que lorsque les revendications d’un brevet portent sur un produit qui peut être vendu ou qui possède une valeur économique dans le commerce et l’industrie et qui se distingue du travail d’un médecin, ce qui requiert l’exercice d’une spécialité, le brevet n’est plus visé par l’arrêt Tennessee Eastman. Le mode et la fréquence de l’administration ne font pas partie du brevet. Les inventeurs offrent un nouveau produit que les médecins peuvent choisir d’utiliser dans le traitement des patients, selon leur spécialité et en se fiant à leur jugement : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 C.F. 495 (C.A.); Merck & Co. c. Apotex Inc., (1994), 59 C.P.R. (3d) 133, à la p. 176 (1re inst.); Apotex c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153.

 

[137] Je conclus que le brevet porte sur un produit vendable ayant une véritable valeur économique, comme en témoigne son succès immédiat sur le marché, et, par conséquent, il ne peut porter sur une méthode de traitement non brevetable. Je note, toutefois, que cela est contraire à la conclusion tirée par les tribunaux du Royaume-Uni. N’eût été la décision de la Cour d’appel dans Bristol‑Myers Squibb c. Baker Norton [2001] R.P.C. 1, le juge Jacob aurait statué qu’il ne s’agissait pas d’un brevet portant sur une méthode de traitement. Les propos du juge Holman (au paragraphe 111) dans Bristol‑Myers ont été adaptés par l’avocat de la demanderesse dans cette cause en substituant l’alendronate au taxol, la drogue dont il s’agissait dans cette cause, de la manière suivante :

 

[traduction]

Dans la présente affaire toutefois, l’alendronate est exactement le même; le mode d’administration, oral, est exactement le même; et l’application thérapeutique ou l’objet, nommément la tentative de traiter l’ostéoporose, est exactement le même. La seule différence est la découverte que si le médicament est administré sous forme de dose unitaire hebdomadaire de 70 mg au lieu de 10 mg quotidiennement, un effet secondaire indésirable – les effets GI indésirables – s’en trouve ainsi diminué, tandis que les propriétés thérapeutiques demeurent. Aucune propriété avantageuse du composé chimique qui ne fut déjà connue n’a été découverte [...] Tout ce qui a été découvert [...] est que si le composé est administré une fois par semaine plutôt que quotidiennement, l’un de ses effets secondaires indésirables s’en trouvera atténué par rapport à ce qui existait auparavant.

 

[138] Par conséquent, le juge Jacob a conclu que la revendication était en substance une méthode de traitement du corps humain par une thérapie, laquelle conclusion a été maintenue en appel : [2003] All E.R. (D) 62.

 

[113]       J’estime que la décision Re Allergan (2009), 79 C.P.R. (4th) 161, de la Commission d’appel des brevets ne diffère aucunement de la décision Axcan. Les revendications y concernaient également une gamme de doses parmi lesquelles le médecin devait choisir.

 

[114]       Je note, comme il est expliqué au paragraphe 50 de la décision Axcan, précitée, que le juge Heald de la présente Cour a conclu que l’arrêt Tennessee Eastman de la Cour suprême du Canada, texte dont le raisonnement fait autorité sur la question des méthodes de traitement médical, ne doit pas être distingué au motif que les interdictions législatives expresses en vigueur à l’époque ont depuis été abrogées. Toutefois, il faut distinguer des revendications fondées sur les compétences et le jugement d’un praticien de la médecine et celles qui visent un produit vendable, qu’il s’agisse d’un scalpel, d’un appareil de radiologie ou d’un comprimé de 1 mg, qui sera utilisé ou prescrit par ce praticien. En l’espèce, nous avons un comprimé pris en dose de 1,0 mg par jour. La compétence ou le jugement ne jouent pas. Il s’agit d’un produit vendable, et non d’une méthode de traitement médical.

 

 

6.         Le double brevet

[115]       Le droit canadien a élaboré un concept selon lequel un brevet est invalide s’il est jugé qu’il forme un « double brevet » compte tenu d’un brevet antérieur octroyé au même breveté. Ce concept se fonde sur le principe qu’une personne a le droit d’obtenir « un » brevet pour chaque invention et ne devrait pas pouvoir obtenir un second monopole portant sur ce qui, en réalité, est le même objet. On ne peut « renouveler à perpétuité » le monopole du brevet. Ce concept a été exposé clairement par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, où le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit au paragraphe 63 :

[63]   L’interdiction du double brevet est rattachée au problème du « renouvellement à perpétuité » mentionné au départ. L’inventeur n’a droit qu’à « un » brevet pour chaque invention : Loi sur les brevets, par. 36(1). Si un brevet comportant des revendications identiques est délivré ultérieurement, il y a prolongement irrégulier du monopole. Il est clair que l’interdiction du double brevet implique une comparaison des revendications plutôt que des divulgations, car ce sont les revendications qui définissent le monopole. La question est de savoir à quel point les revendications du brevet ultérieur doivent être « identiques » pour justifier l’invalidation.

 

[116]       La Cour suprême du Canada est revenue sur la question du double brevet dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., [2008] 3 R.C.S. 265, où le juge Rothstein, au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 95 et 97 :

[95] Un seul brevet peut être accordé pour une invention (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, 2000 CSC 67, au paragraphe 63). Apotex soutient qu’un brevet de sélection revendique la même invention que le brevet initial ou brevet de genre, en sorte que le brevet de sélection ne peut être valide.

[97] La perpétuation du brevet est une préoccupation légitime. Selon les circonstances, les stratégies visant à accroître la durée du monopole peuvent aller à l’encontre de l’objectif de la Loi sur les brevets, qui est de favoriser l’inventivité par l’octroi d’une exclusivité pour un temps tout en assurant la divulgation de l’invention pour permettre sa réalisation et son utilisation par autrui une fois le brevet expiré.

 

[117]       Comme l’a dit le juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 63, la Cour doit comparer les revendications du brevet antérieur avec celles du brevet postérieur et déterminer si elles sont « identiques » aux revendications antérieures ou « évidentes » par rapport à elles. Le juge Binnie traite de la question aux paragraphes 65 à 67 de l’arrêt Whirlpool :

 

65        Ce volet de l’interdiction du double brevet est parfois appelé le double brevet relatif à la « même invention ». Étant donné l’interprétation que le juge de première instance a donnée des revendications, on ne peut pas dire que l’objet du brevet 734 est le même que celui du brevet 803 ni qu’il y a « identité » des revendications des deux brevets.

 

66                L’interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence ». Il s’agit d’un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur. Dans Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, la question était de savoir si Farbwerke Hoechst pouvait obtenir un brevet pour un médicament qui constituait une version diluée d’un autre médicament qu’elle avait déjà fait breveter. Il n’y avait pas d’identité des revendications. Le juge Judson a néanmoins conclu à l’invalidité du brevet ultérieur en expliquant, à la p. 53 :

 

[traduction] Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention. La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention. En l’espèce, l’addition d’un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d’augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l’administration, n’est rien d’autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. [Je souligne.]

 

67        Dans l’arrêt Consolboard, précité, le juge Dickson a qualifié l’arrêt Farbwerke Hoechst d’« arrêt qui fait autorité en matière de double brevet » (p. 536) et qui appuie la proposition selon laquelle un second brevet ne saurait être justifié que si les revendications font preuve « de nouveauté ou d’ingéniosité » par rapport au premier brevet :

 

Le juge Judson a dit, au nom de la Cour, que le second procédé ne comportait pas de nouveauté ou d’ingéniosité et qu’en conséquence le second brevet n’était pas justifié.

 

[118]       Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême a jugé que les revendications du brevet en litige n’étaient pas identiques à celles d’un brevet antérieur et que, sur le fondement de la conclusion du juge de première instance en fonction de la preuve, les secondes n’étaient pas évidentes à la lumière des premières.

 

[119]       Dans l’arrêt Sanofi, où elle a traité brièvement d’une argumentation au sujet du double brevet, la Cour suprême a statué que les revendications du brevet postérieur visaient un élément brevetable distinct et n’étaient pas évidentes par rapport aux revendications du brevet antérieur parce qu’elles constituaient un brevet « de sélection » valide par rapport au premier. Dans la présente affaire, les avocats de Merck ont dit expressément à la Cour que le brevet 457 en litige ne devait pas être traité comme un brevet de sélection.

 

[120]       Dans la décision Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Apotex (2009), 74 C.P.R. (4th) 85, 2009 CF 137, j’ai résumé le concept de double brevet, aux paragraphes 173 à 175, de la manière suivante :

[173] En termes simples, l’interdiction de la double protection se fonde sur l’idée que personne ne peut obtenir un deuxième brevet portant sur le même objet que celui d’un brevet antérieur. Le brevet est un monopole valable pour une période de temps limitée qui ne devrait pas être prolongée grâce à la délivrance d’un brevet ultérieur portant sur le même objet.

 

[174] Il n’y a double protection que lorsque la même personne obtient deux brevets ou plus. Si une autre personne a déjà obtenu un brevet, le deuxième doit être pris en compte dans le contexte de l’antériorité ou de l’évidence, ou de l’identité de l’inventeur quant aux demandes de brevet antérieures au mois d’octobre 1989.

 

[175] Même dans le cas où la même personne a obtenu deux brevets, le critère pour différencier l’un de l’autre est semblable au critère applicable en matière d’antériorité ou d’évidence. Il faut se demander si le second brevet revendique le même objet que le premier (littéralement identique) ou s’il revendique un élément manifestement couvert par le premier. La Cour suprême du Canada a reconnu la validité des deux méthodes : voir Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, aux par. 63 à 75.

 

 

[121]       Le concept du double brevet ne semble pas s’être développé en Grande-Bretagne et n’est sûrement pas traité dans l’affaire Actavis. En Australie, il existe des dispositions législatives sur ce qui est appelé la [traduction] « double revendication » (double claiming). On en trouve un bon exposé dans l’arrêt de la Cour fédérale d’Australie Arbitron c. Telecontrol A/G, [2010] FCA 302, aux paragraphes 140 à 159.

 

[122]       Aux États-Unis, il existe à la fois des dispositions législatives et de la jurisprudence concernant le double brevet. On en trouve un bon aperçu dans l’arrêt de la Cour d’appel du circuit fédéral des États-Unis, Boehringer Ingelheim International GMBH c. Barr Laboratories Inc., 592 F.3d 1340 (2010). Aux États-Unis, on peut parfois éviter l’invalidité du second brevet en invoquant des dispositions législatives permettant de faire expirer le brevet postérieur à la même date que le brevet antérieur, c’est-à-dire de faire une « renonciation à la fin de la durée » (« terminal disclaimer »). Le juge du circuit Linn a écrit au nom de la Cour à la page 1346 :

[traduction]

A. Renonciation rétroactive à la fin de la durée

 

Parce que l’article 35 U.S.C. 101 « dispose qu’un inventeur peut obtenir un brevet pour une invention », la loi « permet qu’on obtienne seulement un brevet pour une invention donnée ». In re Lonardo, 119 F 3d 960, 965 (Fed. Cir. 1997) (non souligné dans l’original). « Le rejet pour double brevet empêche une personne d’obtenir plus d’un brevet valide a) soit pour la "même invention", b) soit pour une modification "évidente" de la même invention. » In re Longi, 759 F.2d 887, 892 (Fed. Cir. 1985).

 

Le double brevet relatif à une évidence est une « doctrine d’origine jurisprudentielle fondée sur une politique d’intérêt public (exprimée dans la loi) » qui « empêche la prolongation de la durée du brevet, même en l’absence d’un fondement exprès de rejet dans la loi, en interdisant la délivrance d’un second brevet contenant des revendications qui ne visent pas un élément brevetable distinct de celui des revendications du premier brevet ». Id.

 

Le but de la doctrine du double brevet relatif à une évidence est bien établi.

 

La doctrine du double brevet vise à empêcher le breveté d’obtenir une prolongation dans le temps du brevet (des droits du brevet) pour la même invention ou une modification évidente de celle-ci.

 

Lonardo, 119 F.3d à la page 965; voir aussi l’arrêt Eli Lilly & Co. c. Barr Labs., Inc., 251 F.3d 955, 967 (Fed. Cir. 2001) (« La doctrine du double brevet relatif à l’évidence, d’origine jurisprudentielle, vient conforter la limite législative [de l’article 101] en interdisant à une personne d’obtenir une prolongation du droit d’exclusion par le moyen de revendications dans un brevet postérieur qui ne visent pas un objet brevetable distinct de celui des revendications dans un brevet antérieur appartenant aux mêmes personnes. »)

 

La doctrine du double brevet relatif à l’évidence constitue un moyen important pour empêcher la prolongation irrégulière des droits de brevet par le moyen de demandes complémentaires et de continuation, au moins dans le cas de brevets délivrés sur des demandes déposées avant la modification de l’article 35 U.S.C. 154 visant à instaurer une durée de vingt ans courant à partir de la date de la plus ancienne demande connexe. Voir l’article 35 U.S.C. 154; Uruguay Round Agreements Act, Pub. L. No. 103-465, 108 Stat. 4809 (1994); voir aussi l’arrêt In re Fallaux, 564 F.3d 1313, 1318 (Fed. Cir. 2009) (discutant des justifications du rejet pour double brevet relatif à l’évidence dans le cas de brevets délivrés tant avant qu’après la modification du Patent Act). « La politique sous-tendant le rejet pour double brevet est une politique importante parce qu’elle empêche une prolongation irrégulière de la durée légale de la protection de l’invention par le brevet. » Applied Materials, Inc. c. Advanced Semiconductor Materials Am., Inc., 98 F.3d 1563, 1577 (Fed. Cir. 1996).

 

Le breveté, qu’il soit titulaire de la totalité des droits ou d’une partie de ceux-ci, peut, sur paiement de la taxe prévue par la loi, faire une renonciation à toute revendication complète, en y indiquant l’étendue de ses droits dans le brevet …

 

De même, le breveté ou le demandeur peut renoncer à la totalité ou à la partie terminale de la durée du brevet accordé ou devant être accordé, ou l’attribuer au public.

 

« [L]a renonciation à la fin de la durée peut neutraliser la légère modification de la durée du brevet original et apporter la correction nécessaire pour éviter le rejet pour double brevet. » Geneva Pharms., Inc. c. GlaxoSmithKline PLC, 349 F.3d 1373, 1378 (Fed. Cir. 2003).

 

 

[123]       On peut ainsi voir que le concept du double brevet aux États-Unis, exception faite de la faculté de faire une renonciation à la fin de la durée, n’est pas très différent du concept canadien tel qu’il est exposé dans les arrêts Whirlpool et Sanofi.

 

[124]       Ce qu’il importe de garder à l’esprit dans l’analyse qu’exige l’examen visant à déterminer s’il y a double brevet, c’est que les revendications du brevet antérieur, dont le titulaire est le même que celui du brevet postérieur, doivent être comparées aux revendications du brevet postérieur, pour voir si elles sont « identiques », ou si les revendications du brevet postérieur sont « évidentes » compte tenu de celles du brevet antérieur. Par conséquent, il s’agit d’une analyse différente de celle qu’on doit faire lorsqu’il s’agit de l’évidence du brevet par rapport à la technique qui aurait été connue de la personne versée dans l’art à la date pertinente. L’analyse à l’égard du double brevet consiste à présenter à la personne versée dans l’art les revendications du premier brevet et à se demander si l’objet des revendications du second brevet est « identique » à celui des revendications du premier ou aurait été évident compte tenu du brevet antérieur. Il ne faut pas s’occuper de savoir si le brevet antérieur serait venu à l’attention de la personne versée dans l’art. Ni d’examiner les revendications du brevet antérieur quant à leur validité ou d’un autre point de vue. Ni d’examiner l’« état de la technique » au‑delà du brevet antérieur. Comme l’a écrit le juge Binnie au paragraphe 67 de l’arrêt Whirlpool, l’analyse ne peut établir qu’un second brevet est justifié que si les revendications font preuve « de nouveauté ou d’ingéniosité » par rapport au premier brevet. Comme l’a dit le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, dans un autre arrêt, Apotex Inc. c. AstraZeneca Canada Inc., [2006] 2 R.C.S. 560, au paragraphe 39, une stratégie commerciale évidente (et tout à fait compréhensible) des sociétés pharmaceutiques innovatrices consiste à perpétuer les brevets à l’égard de leurs produits en ajoutant des caractéristiques secondaires au produit originel même après l’expiration du brevet relatif à ce produit. Il s’agit là du problème du « renouvellement à perpétuité » du brevet, examiné dans l’arrêt Whirlpool, précité.

 

[125]       Dans la présente affaire, Merck & Co. Inc. a obtenu un premier brevet – le brevet canadien 1,302,277 (le brevet 277) – qui, comme il est mentionné à la page 1 du brevet, dans la section Contexte, vise une gamme de composés, parmi lesquels figure le finastéride, et l’utilisation de ces composés pour le traitement de l’alopécie androgénétique, notamment la calvitie androgénétique chez l’homme, avec le finastéride.

 

[126]       Le brevet 277 traite longuement de la préparation des composés, y compris du finastéride, et de leur composition. Aux pages 11 et 12 figure un exposé sur l’administration par voie orale d’une dose quotidienne du médicament située [traduction] « dans une large gamme allant de 5 à 2 000 mg, préférablement de 5 à 200 mg » et « très inférieure[] à la dose toxique ».

 

[traduction]

            Les compositions contenant les composés de la présente invention comme ingrédient actif peuvent prendre une grande variété de formes posologiques dans des vecteurs classiques en vue d’une administration par voie systémique, par exemple, par voie orale sous la forme de comprimés, de gélules, de solutions ou de suspensions, ou par injection par voie intraveineuse. La dose quotidienne des produits peut varier dans une large gamme allant de 5 àt 2 000 mg, préférablement de 5 à 200 mg.

 

            Les compositions sont préférablement offertes sous la forme de comprimés sécables contenant 5, 10, 25, 50, 100, 150, et 500 milligrammes de l’ingrédient actif pour l’ajustement de la dose en vue de réduire les symptômes du patient à traiter. La quantité du médicament offrant une efficacité est habituellement une dose d’environ 0,1 mg à environ 50 mg/kg de poids corporel par jour. Préférablement, la gamme est de 0,1 mg environ à 7 mg/kg de poids corporel par jour et, encore mieux, d’environ 0,1 à environ 3 mg/kg de poids corporel par jour. Ces doses sont très inférieures à la dose toxique du produit.

 

[127]       Il est à noter que les comprimés sont sécables, c’est‑à‑dire fragmentables. Chez une personne d’environ 70 kg (160 lb), la dose quotidienne minimale serait d’environ 7 mg.

 

[128]       On trouve 23 revendications à la fin du brevet 277. Celles qui sont pertinentes ici sont les revendications 14, 15 et 19, ainsi conçues :

 

[traduction]

14.       L’utilisation de 17β-(N-t-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-1-ène-e-one pour le traitement de l’alopécie androgénétique.

 

15.       L’utilisation conformément aux revendications 11, 12, 13 et 14, dans laquelle l’alopécie androgénétique est celle de l’homme.

 

. . .

 

19.       L’utilisation de 17β-(N-t-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-1-ène-e-one pour la fabrication d’un médicament destiné au traitement de l’alopécie androgénétique

 

[129]       Après transposition dans la formulation utilisée dans la présente procédure, elles ont la forme suivante :

14.       L’utilisation du finastéride pour traiter l’alopécie androgénétique.

 

15.       L’utilisation conformément à la revendication 14 dans laquelle l’alopécie androgénétique concerne la calvitie androgénétique chez l’homme.

 

. . .

 

19.       L’utilisation du finastéride pour la fabrication d’un médicament destiné au traitement de l’alopécie androgénétique.

 

[130]       Comme on peut le constater, les revendications du brevet 277 ne se limitent pas à une dose ou à une gamme de doses en particulier. On traite d’une gamme de doses dans la partie descriptive du brevet 277, mais non dans les revendications.

 

[131]       Dans le brevet 457, qui est en litige, on décrit le brevet 277 de cette façon à la page 2, lignes 15 à 20 :

[traduction]

l’utilité du finastéride dans le traitement de l’alopécie androgénétique […] est […] divulguée dans […] le brevet canadien nº 1,302,277 […] Les doses particulières données en exemple dans les divulgations susmentionnées variaient de 5 à 2 000 mg par patient par jour. 

 

[132]       À la page 7 de la description, le brevet 457, qui est en litige, indique clairement :

[traduction] Un médecin ou un vétérinaire moyennement versé dans l’art peut facilement établir et prescrire la quantité de médicament requise pour obtenir une efficacité permettant de  prévenir, de neutraliser, d’arrêter ou de renverser l’évolution de l’affection. 

 

[133]       La seule différence entre la revendication 5 et le brevet 457, qui est en litige, et les revendications 14, 15 et 19 du brevet antérieur 277 est que la revendication 5 précise 1 mg/jour. La revendication 5 est‑elle « identique », pour reprendre le terme de l’arrêt Whirlpool, aux revendications antérieures du brevet 277?

 

[134]       L’avocat de Merck soutient que la revendication 5 n’est pas « identique » car, fait-il valoir, les revendications antérieures 14, 15 et 17 doivent être lues conjointement avec la description et, en raison de cette limitation, doivent être restreintes à une gamme de doses située entre 5 et 2 000 mg. Je ne peux me ranger à cet avis. Premièrement, comme le brevet 277 en cause l’indique, et j’en conviens, la gamme de 5 à 2 000 « illustre » la dose; il ne dit pas qu’elle s’y limite ou s’y restreint. Deuxièmement, rien dans le brevet 277 n’indique clairement que la gamme de doses de 5 à 2 000 mg constitue les limites de la dose à administrer. Au mieux, il dit que la dose de 2 000 mg est encore inférieure à la dose toxique. Il n’y a aucune indication sur le fait de restreindre la limite inférieure à 5 mg. Troisièmement, le brevet 457 lui‑même prévoit que  les doses peuvent être facilement établies par un médecin moyennement versé dans l’art.

 

[135]       Le fait de simplement rattacher un chiffre à la dose, même si ce chiffre est situé hors de la gamme « illustrée » dans le brevet antérieur, ne signifie pas que la revendication 5 n’est pas (pour utiliser une double négation) « identique » aux revendications du brevet antérieur. J’estime que la revendication 5 est invalide pour cette raison.

 

[136]       Dans l’éventualité où une juridiction supérieure souhaiterait examiner la question du double brevet, je vais traiter de question du double brevet relatif à l’évidence. À cette fin, je vais suivre l’« hypothèse la plus favorable » présentée en faveur de Merck.

 

[137]       Merck soutient, par exemple, au paragraphe 51 de son mémoire, que le concept inventif réside dans le fait que le finastéride est particulièrement utile dans le traitement de la calvitie androgénétique chez l’homme à la dose quotidienne faible de 1 mg.

 

[138]        Pharmascience plaide, à l’instar d’Actavis dans l’affaire du Royaume‑Uni, que, compte tenu de l’art antérieur, par exemple l’équivalent du brevet 277 présenté devant la Cour du Royaume‑Uni et d’autres éléments, Merck a accepté devant la Cour du Royaume‑Uni que « l’invention » consistant dans l’utilisation de faibles doses de finastéride était évidente. Merck soutient cependant, pour employer le langage imagé de l’affaire du Royaume‑Uni, qu’il y avait un « lion sur le chemin », sous la forme de deux articles, l’un par Harris et coll., l’autre par Thigpen et coll. (deux scientifiques de Merck), qui allaient changer radicalement l’avis des personnes moyennement versées dans l’art et les dissuader de poursuivre des travaux sur les doses faibles. Ces articles ont été publiés après la publication des éléments pertinents de art antérieur, mais avant le dépôt de la demande du brevet en litige. Les arguments ont été exposés par la Cour d’appel dans l’arrêt Actavis, précité, aux  paragraphes 110, 111 et 113 :

[traduction]

[110] De façon plus détaillée, l’argumentation d’Actavis se présentait comme suit 1) Il a déjà été proposé de traiter l’aa avec le finastéride, mais à une dose de « 5 à 2 000 mg, et préférablement de 5 à 200 mg » (brevet de Merck, demande 0285,382A publiée le 5 octobre 1988); 2) Il était évident de poursuivre les travaux et de trouver les bonnes doses. On pourrait ainsi apprendre que la faible dose du brevet en litige serait suffisante. Par conséquent, il était évident de produire le finastéride en vue de fabriquer un médicament pour le traitement de l’aa avec de telles doses faibles. (3) L’article de revue de Sudduth paru en août 1993 (« Finasteride, the First 5α-reductase Inhibitor ») renforce cela. On y lit :

 

« La DHT semble être l’androgène ayant une activité entraînant le dégarnissement du cuir chevelu. Par conséquent, le fait de prévenir la production de DHT par l’inhibition de la 5α-réductase peut constituer une option de traitement viable.

 

Et (après avoir résumé un rapport sur certaines expériences réalisées à petite échelle sur des singes devenant chauves publiées dans un article de Diani) :

 

« Les résultats de cette étude indiquent un rôle dans le renversement d’une calvitie établie. Il semble également que le finastéride et le minoxidil administrés en concomitance peuvent être plus efficaces que l’un ou l’autre des agents seul. La mise au point d’un traitement à base de finastéride administré par voie topique permettrait un traitement local de la calvitie sans modifier considérablement les androgènes dans le corps en entier. On a planifié des essais cliniques chez l’humain pour établir le rôle du médicament en monothérapie ou en association avec le minoxidil pour traiter la calvitie androgénétique. »

 

[111] Uniquement sur la considération de ces éléments (lesquels ont tous été acceptés comme faisant partie des connaissances de la personne versée dans l’art), Merck accepte que l’invention serait effectivement évidente. De fait, Merck accepte cela si l’on pouvait s’en tenir pratiquement à Sudduth seul. Mais, Merck soutient que la personne versée dans l’art, à la date de priorité du brevet, en savait davantage. En particulier, à ce moment‑là, elle saurait qu’aucun type 2 n’est décelable dans le cuir chevelu. Puisqu’il était connu que le finastéride inhibe uniquement le type 2, elle estimerait qu’il est complètement inutile d’essayer ce composé pour traiter l’aa. Elle n’entreprendrait jamais de recherche visant à obtenir les formes posologiques appropriées, car elle estimerait qu’il n’en existe aucune.

 

. . .

 

[113] Merck affirme que l’état des connaissances de la personne versée dans l’art a été radicalement changé en raison de deux documents que la personne versée dans l’art aurait lus à la date de priorité, ainsi qu’elle l’a accepté. Il s’agit de Thigpen et coll. (« Tissue Distribution and Ontogeny of Steroid 5α-Reductase Isozyme Expression »), publié en août 1993, et Harris et coll (« Identification and selective inhibition of an isozyme of steroid 5α-reductase in Human Scalp »), publié en novembre 1992. Merck dit que ces documents indiquent clairement que le type 1 cause la calvitie, par exemple, Harris dit : l’activité de la 5α-réductase de type 1 semble être à l’origine de la principale activité induite par des réductases dans le cuir. Et Thigpen a signalé que le type 2 ne peut être décelé, peu importe la région du cuir chevelu dégarni – dans des expériences dont la sensibilité était assez bonne.

 

 

[139]       L’argumentation de Merck l’a emporté au Royaume-Uni. La Cour d’appel a statué que l’« invention », si elle avait pu être « évidente » à une époque antérieure, ne l’était pas à une date postérieure (le moment critique pour l’appréciation de l’invention est la même date que celle qu’on doit utiliser dans la présente affaire), en raison du « changement de la perspective » provoqué par les articles de Harris et de Thigpen. La Cour d’appel a reconnu que la conclusion était « un peu singulière » et s’est expliquée au paragraphe 119 de l’arrêt Actavis, précité, de la façon suivante :

[traduction] 

[119] Nous ajoutons un petit post-scriptum : superficiellement on peut penser que cette conclusion est un peu singulière étant donné que l’invention a déjà été évidente — on peut supposer que dès lors qu’une invention devient évidente, elle doit le rester par la suite. Mais cette supposition serait erronée : l’évidence doit s’apprécier à une date particulière. Il existe au moins un autre exemple bien connu montrant comment une invention qu’on pourrait juger évidente à une date donnée ne serait pas jugée évidente à une date postérieure. C’est lorsqu’il y a eu succès commercial par suite d’un besoin de longue date. Le moment où l’on se situe peut effectivement changer la perspective que l’on a. La perspective que la cour doit adopter est celle de la personne du métier à la date de priorité, et non à une date antérieure.

 

[140]       La différence entre cette analyse de l’« évidence » et l’analyse du double brevet effectuée ici consiste en ce que, selon l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Whirlpool, précité, nous avons affaire à un type différent d’«évidence » lorsqu’il s’agit du double brevet. Ainsi qu’il est dit au paragraphe 66 de l’arrêt Whirlpool, nous devons comparer le brevet antérieur avec le brevet postérieur pour déterminer si les revendications du brevet postérieur visent un « élément brevetable distinct » des revendications du brevet antérieur. L’exemple donné est particulièrement intéressant :

[traduction] 

[66]      L’interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence ». Il s’agit d’un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur. Dans Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, la question était de savoir si Farbwerke Hoechst pouvait obtenir un brevet pour un médicament qui constituait une version diluée d’un autre médicament qu’elle avait déjà fait breveter. Il n’y avait pas d’identité des revendications. Le juge Judson a néanmoins conclu à l’invalidité du brevet ultérieur en expliquant, à la p. 53 :

 

Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention. La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention. En l’espèce, l’addition d’un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d’augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l’administration, n’est rien d’autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention. [Je souligne.]

 

[141]       Ainsi, pour le double brevet relatif à l’évidence en droit canadien, les articles de Harris et de Thipgen n’existent pas; le « lion sur le chemin » est inexistant en ce qui concerne la présente analyse.

 

[142]       Par conséquent, la revendication 5 est invalide pour cause de double brevet, parce qu’elle est « identique » aux revendications du brevet antérieur 277. Elle est également invalide pour cause de double brevet relatif à l’évidence, compte tenu du brevet 277.

 

7.         La nouveauté et l’évidence

a)         Généralités

[143]       J’ai commencé l’examen des questions de nouveauté et d’évidence en les traitant ensemble. Il est indiscutable qu’une revendication de brevet, pour être valide, doit avoir un objet qui est à la fois nouveau et inventif ou, pour reprendre la formulation souvent employée dans cette analyse, la revendication doit avoir un objet qui n’est ni antériorisé ni évident.

 

[144]       Les deux se ressemblent, mais exigent des approches quelque peu différentes. L’antériorité, ou l’absence de nouveauté, signifie que le public est déjà en possession de ce qui est revendiqué comme une invention, abstraction faite du caractère inventif du concept. Une personne ne peut acheter un monopole avec quelque chose que le public a déjà. Par contre, l’inventivité suppose que l’invention va au-delà  de ce que le public a déjà en allant plus loin que l’on se serait attendu qu’aille la personne moyennement versée dans l’art, en apportant quelque chose de nouveau et d’utile ou en battant en brèche un vieux préjugé.

 

[145]       Un brevet n’est pas quelque chose qu’on acquiert simplement comme de droit. C’est un monopole demandé volontairement par un demandeur souhaitant obtenir de l’État une exclusivité d’une durée limitée. Le demandeur doit satisfaire aux exigences de la loi pour acquérir le monopole. Je cite le juge de Montigny au paragraphe 46 de la décision M. Systems Flash Disk Pioneers Ltd. c. Commissaire des brevets, 23 avril 2010, 2010 CF 441:

[46] Cela dit, je ne vois toutefois pas en quoi l’octroi d’un brevet peut être considéré comme un droit pour la demanderesse. Loin d’être un droit, un brevet correspond plutôt à un marché conclu volontairement par le breveté. Il s’agit d’une entente donnant, donnant aux termes de laquelle le breveté obtient de l’État une exclusivité d’une durée limitée pour son invention en échange de la divulgation de cette invention au public : Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), [1987] 2 C.F. 359, page 389 (C.A.F.). Si le demandeur ne respecte pas sa part du marché et ne satisfait pas aux exigences de la loi, il ne peut pas revendiquer l’exclusivité conférée par le brevet.

 

[146]       Il traitait d’une question de procédure, mais cela vaut également pour les questions de fond.

 

b)         Le brevet 457

[147]       D’abord, à propos de ce que le brevet 457 dit concernant la nouveauté et l’invention, on commence à comprendre, au début de la page 1, que l’invention porte sur le traitement de la calvitie androgénétique chez l’homme par le finastéride :

[traduction] La  présente invention concerne le traitement de l’alopécie androgénétique, notamment la calvitie androgénétique chez l’homme, avec des composés qui sont des inhibiteurs de l’isoenzyme 2 de la 5-alpha réductase.

 

 

[148]       Au bas de la page 1, et à la page 2, nous apprenons que l’agent appelé DHT, qui cause des problèmes, est décelé dans certains organes chez l’homme, comme la prostate, et que la DHT est produite par quelque chose appelé testostérone-5α-réductase. Nous apprenons, en outre, qu’il existe deux testostérone-5α-réductases, soit le type 1 et le type 2, et que le type 1 est principalement trouvé dans la peau, et le type 2, dans la prostate :

[traduction] Le principal médiateur de l’activité androgénique dans certains organes cibles, p. ex. la prostate, est la 5α‑dihydrotestostérone (DHT), formée localement dans l’organe cible par l’action de la testostérone-5α-réductase. Des inhibiteurs de la testostérone-5α-réductase serviront à prévenir ou à réduire les symptômes qu’entraîne une stimulation hyperandrogénique dans ces organes. Voir plus particulièrement le brevet américain no 4,377,584 cédé à Merck & Co., Inc., délivré le 22 mars 1983. On sait aujourd’hui qu’un deuxième isoenzyme de la 5α-réductase existe, lequel interagit avec les tissus cutanés, en particulier les tissus du cuir chevelu. Voir, p. ex., G. Harris, et coll., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, Vol. 89, p. 10787 à 10791 (nov. 1992). L’isoenzyme qui interagit principalement dans les tissus cutanés est par convention appelée 5α-réductase 1 (ou 5α-réductase de type 1), alors que l’isoenzyme qui interagit principalement dans les tissus de la prostate est appelée 5α-réductase de type 2 (ou 5α-réductase 2).

 

 

[149]       Par la suite, à la page 3, le lecteur apprend que le finastéride est un composé connu vendu dans le commerce pour le traitement de la prostate. Nous apprenons également que plusieurs brevets et demandes publiées divulguent l’utilisation du finastéride pour traiter à la fois la calvitie et les problèmes de prostate aux doses « indiquées », soit de 5 à 2 000 mg par jour :

[traduction] Le finastéride ou 17β-(N-tert-butylcarbamoyl)-4-aza-5α-androst-1-ène-3-one, qui est commercialisé par Merck & Co., Inc. sous le nom commercial PROSCARMD, est un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 et est connu pour être utile dans le traitement des affections hyperandrogéniques. Voir p. ex., le brevet américain nº 4,760,071. Le finastéride est actuellement commercialisé aux États‑Unis et dans le monde pour le traitement de l’hyperplasie bénigne de la prostate. L’utilité du finastéride dans le traitement de l’alopécie androgénétique et du carcinome de la prostate est aussi divulguée dans les documents suivants : EP 0 285,382, publié le 5 octobre 1988; EP 0 285 383, publié le 5 octobre 1988; le brevet canadien  nº 1,302,277, et le brevet canadien nº 1,302,276. Les doses figurant dans les divulgations susmentionnées variaient de 5 à 2 000 mg par patient par jour.

 

 

[150]       Le dernier paragraphe de la page 3 précise qu’il est souhaitable d’administrer la dose la plus faible possible pour traiter la calvitie et que les inventeurs ont découvert « de façon surprenante et inattendue » qu’une faible dose de finastéride est « particulièrement utile » pour traiter la calvitie.

[traduction] Dans le traitement de l’alopécie androgénétique, qui comprend la calvitie androgénétique chez la femme ainsi que chez l’homme et d’autres affections hyperandrogéniques, il serait souhaitable d’administrer la dose la plus faible possible d’un composé pharmaceutique à un patient tout en maintenant l’efficacité thérapeutique. Les demanderesses ont découvert, de façon surprenante et inattendue, qu’une faible dose d’un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 est particulièrement utile dans le traitement de l’alopécie androgénétique. En outre, une faible dose quotidienne d’un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 peut aussi être particulièrement utile dans le traitement d’affections hyperandrogéniques telles que l’acné vulgaire, la séborrhée, l’hirsutisme chez la femme et le syndrome des ovaires polykystiques.

 

[151]       L’exemple 4, qui commence à la page 12, décrit un test permettant de mesurer la pousse des cheveux – essentiellement par la prise de photos au cours d’une certaine période. Dans cet exemple, on conclut à la page 14 en affirmant que le test a été utilisé pour montrer que l’administration de finastéride, à la dose de 1 mg/jour ou de 0,2 mg/jour, est utile pour traiter la calvitie.

[traduction] En utilisant la méthodologie décrite ci‑dessus, il est possible de démontrer que l’administration d’inhibiteurs de la 5α-réductase de type 2, y compris le finastéride, à une dose inférieure à 5 mg/jour par patient, par exemple, 1 mg/jour ou 0,2 mg/jour, est utile dans le traitement de l’alopécie androgénétique et favorise la pousse des cheveux chez les patients présentant cette affection.

 

 

[152]       Nous devons bien prendre note qu’il s’agit là de toute l’information qui a été présentée à l’appui de l’énoncé de la page 3, à savoir qu’il y a eu une découverte « surprenante et inattendue » qu’une faible dose serait « particulièrement utile » pour traiter la calvitie. L’exemple 5 nous renseigne seulement sur le fait que la concentration de la DHT avait été considérablement réduite avec la dose précédemment indiquée, et peut-on présumer, aussi à la dose de 0,2 mg/jour et 1,0 mg/jour. Aucune donnée relative entre les trois doses n’a été donnée; aucune information établissant un lien entre la diminution de DHT et une amélioration de la calvitie n’est fournie. Aucune raison n’a été fournie justifiant que les trois doses, peu importe laquelle, y compris la dose précédemment indiquée en exemple, entraînent des résultats « surprenants et inattendus ».

 

[153]       Je reprends la revendication 5 dans la forme souvent mentionnée dans la présente :

5.         L’utilisation du finastéride pour la préparation d’un médicament adapté à l’administration par voie orale, utile pour le traitement de la calvitie androgénétique chez l’humain et dans laquelle la dose est d’environ 1,0 mg.

 

[154]       Le dernier exemple du brevet 457, l’exemple 5, informe le lecteur qu’un certain type d’essai a été réalisé à la dose précédemment indiquée, soit 5 mg/jour, de même qu’à deux autres doses, soit 0,2 mg/jour et 1 mg/jour, et les résultats de l’essai montraient une réduction significative de la DHT dans les tissus du cuir chevelu :

[traduction]

EXEMPLE 5

 

            Dans un autre essai, le finastéride a été administré par voie orale pendant 6 semaines à des hommes présentant une calvitie aux doses de 0,2 mg/jour, 1,0 mg/jour et 5,0 mg/jour. Les résultats de cet essai indiquent une baisse significative de la concentration de DHT dans les tissus du cuir chevelu des participants de l’essai.

 

c)         L’art antérieur

[155]       Pharmascience s’appuie sur certains éléments de l’art antérieur mentionnés à la page 2 du brevet de même que sur une demande de brevet publiée déposée par Upjohn, concurrente de Merck, qui font état des divulgations portant sur des travaux réalisés par Diani et coll. Les voici par ordre de date de publication :

i)          Brevet américain 4,760,071 (brevet 071)

 

            Ce brevet, délivré en 1988 à Merck (et son équivalent au Canada 1,314,541, délivré en mars 1993) constitue l’élément sur lequel se fonde Pharmascience pour montrer ce qui a été reconnu à la page 2 du brevet 457, à savoir qu’il a été établi que le finastéride était un composé connu pour être utile dans le traitement de maladies de la prostate. À la colonne 3 du brevet 071, figure une divulgation du fait que le médicament peut être pris sous la forme de comprimés ou de gélules, préférablement à une dose située entre 5 et 500 mg. La dose est habituellement d’environ 1 mg à 50 mg/kg par jour, ce qui correspond à environ 7 à 3 500 mg/jour pour une personne de 70 kg (160 lb).

 

            Merck reconnaît tout ce qui vient d’être mentionné, par le truchement de M. Russell et du Dr Shapiro, mais affirme qu’il n’existe pas de divulgation énonçant que le finastéride est utile pour traiter la calvitie chez l’homme, ni qu’il peut être efficace à des doses faibles.

 

            Les revendications de ces deux brevets sont énoncées de façon plus large que ne l’indiquerait l’examen qui précède. La revendication 3 du brevet 071 décrit l’utilisation du finastéride dans laquelle celui‑ci inhibe la testostérone-5α-réductase à une « quantité thérapeutiquement efficace ». La revendication 17 du brevet canadien 1,314,541 porte sur l’utilisation pour traiter une affection hyperandrogénique à l’aide d’une quantité de finastéride « thérapeutiquement efficace ».

 

 

ii)         Demande de brevet européen 0 285 382

 

            La demande de brevet européen 0 285 382, publiée en octobre 1988, est également un document de Merck et est citée à la page 2 du brevet 457.

 

            À la page 1, cette demande de brevet reconnaît que le finastéride est un composé connu et censé être utile pour traiter les affections hyperandrogéniques. L’invention présentée dans cette demande est l’utilisation du finastéride en tant qu’inhibiteur très puissant de la testostérone-5α-réductase. À la page 6, le traitement de l’alopécie androgénétique chez l’homme est expressément mentionné. De nouvelles formes posologiques, y compris les comprimés, les gélules et les solutions, sont indiquées. On soutient que les comprimés sécables, offrant une dose de 5 mg à 500 mg, constituent la forme à privilégier; la dose se situe habituellement entre 0,1 mg/kg à 50 mg/kg par jour (7 à 3 500 mg/jour pour une personne de 70 kg). Les revendications 6 et 7 disent, en effet :

 

6.         L’utilisation du finastéride pour la fabrication d’un médicament utile pour stopper et renverser l’alopécie androgénétique chez l’homme.

7.         Conformément à la revendication 6, dans laquelle le médicament contient 0,1 % à 15 % du total.

 

Merck, par le truchement de M. Russell et du Dr Shapiro, dit que cette demande de brevet ne divulgue pas, ni ne serait interprétée comme divulguant, des doses de l’ordre de 1,0 mg/jour.

 

iii)         Demande de brevet européen WO 92/02225 (Diani)

 

            La demande de brevet européen WO 92/02225 a été publiée le 20 février 1992. Le demandeur est Upjohn Company, et les inventeurs sont Diani et d’autres personnes. Cette demande porte sur « l’administration concomitante » de deux médicaments comme le minoxidil et le finastéride pour favoriser la pousse des cheveux. À la page 2, on dit que l’utilisation de deux médicaments ensemble a un effet synergique. La dose de finastéride administrée est présentée à la page 3 et se situe entre environ 0,001 et environ 10 mg/kg de poids corporel (pour une personne de 70 kg, elle correspond à une dose d’environ 0,7 à 700 mg). Aussi à la page 3, il est indiqué qu’un médicament peut être administré par voie orale et l’autre par voie topique. Par conséquent, nous avons de la divulgation de l’administration par voie orale du finastéride à la dose mentionnée à la revendication 5 du brevet 457, mais toujours en association avec le minoxidil. Pharmascience souligne qu’à la page 5 du brevet 457, on a décrit expressément l’utilisation du finastéride en association avec le minoxidil et soutient que la revendication 5 n’est pas limitée à l’utilisation du finastéride seul.

 

            Merck, par le truchement de M. Russell et du Dr Shapiro, affirme que la gamme de doses de 0,001 à 10 mg/kg est large et que, sans autres indications, une personne versée dans l’art ne saurait pas comment restreindre cette gamme. M. Russell mentionne également que les conclusions de Diani sont basées sur des études menées sur quelques singes et que les résultats ne peuvent pas nécessairement être transposés à une utilisation chez l’humain, et de plus, que les doses administrées aux singes se situaient hors de la gamme de doses faibles revendiquées dans le brevet 457. Merck soutient que l’enseignement de Diani doit être restreint à une utilisation du minoxidil en association avec le finastéride.

 

iv)        Brevet canadien 1,302,277

 

            Le brevet canadien 1,302,277 a été délivré à Merck en juin 1992. Ce brevet a déjà été examiné lorsqu’il a été question de double brevet. Comme il a été décrit à la page 2 du brevet 457, ce brevet décrit l’utilisation du finastéride pour traiter la calvitie chez l’homme; la gamme de doses données en exemple se situe de 5 à 2 000 mg/jour. Les revendications, en particulier les revendications 15, 19 et 23, sont axées sur une telle utilisation et la fabrication d’un médicament pour une telle utilisation sans autre limite quant à la dose. Pharmascience soutient qu’il s’agit d’une divulgation habilitante suffisante de ce qui est contenu dans la revendication 5 du brevet 457. Merck affirme que ce brevet divulgue des doses de 5 mg et plus uniquement, et non les doses de la revendication 5, et en permet la réalisation.

 

v)         L’article de Harris

            Un article scientifique rédigé par Harris et coll. (employés de Merck) intitulé « Identification and selective inhibition of an isozyme of steroid 5α-reductase in human scalp » a été publié en août 1992 dans Biochemistry. On trouve un renvoi à cet article à la page 2 du brevet 457. Cet article fait état de l’existence de deux formes de 5α-réductase, qui, au cours de la procédure, ont été appelées type 1 et type 2. Dans la conclusion de l’article, on apprend que les inhibiteurs efficaces contre un type peuvent ne pas l’être pour l’autre type. À la page 10790, on conclut ainsi :

[traduction] Les résultats présentés dans le présent article pourraient ne pas avoir de grande incidence sur la poursuite des travaux sur la stéroïde 5α-réductase comme agent thérapeutique. Il a été établi qu’un inhibiteur de la 5α-réductase est utile dans le traitement de l’hyperplasie bénigne de la prostate (34). Les inhibiteurs de la réductase peuvent également servir à traiter la calvitie androgénétique chez l’homme, l’acné et l’hirsutisme, car ces affections semblent aussi dépendre de la DHT.

 

Toutefois, les résultats de notre étude indiquent qu’un seul inhibiteur peut ne pas convenir, étant donné la différence qui existe entre les enzymes. Nous avons montré qu’il est possible de trouver des inhibiteurs propres au cuir chevelu, des inhibiteurs propres à la prostate et des inhibiteurs doubles.

 

            Selon Merck, cet article constitue un « lion sur le chemin » et aurait dissuadé un chercheur d’utiliser le finastéride à des doses faibles pour traiter des affections liées au cuir chevelu, comme la calvitie. Pharmascience soutient que l’article ne permet pas de tirer de conclusions et ne dit pas que le finastéride serait inefficace ou à quelle dose il serait inefficace.

 

vi)        L’article de Thigpen

            Un article scientifique rédigé par Thigpen et coll. (Université du Texas) intitulé « Tissue Distribution and Ontogeny of Steroid 5α-Reductase Isozyme Expression » a été publié en août 1993 dans le Journal of Clinical Investigation. L’article porte sur les isoenzymes de type 1 et de type 2 de la 5α-réductase. On ne fait pas mention de cet article dans le brevet 457.

 

            Dans cet article, les auteurs émettent des hypothèses sur l’occurrence du type 1 et du type 2 dans le cuir chevelu et leur influence sur la phase de régression du cheveu. À la page 909, ils affirment ceci :

[traduction] …Puisque les sujets sans 5α-réductase de type 2 présentent moins de régression des cheveux aux tempes (1-5), une stimulation de l’expression du type 2 dans le cuir chevelu pourrait influencer l’apparition de la calvitie plus tard dans la vie.

 

            Pour appuyer cette hypothèse portant sur l’expression du type 2, nous ne pouvions déceler de différence qualitative dans la concentration de 5α-réductase de type 1 à l’état d’équilibre chez l’homme dans le cuir chevelu normal et présentant un début de calvitie (Fig. 9), ni de différence dans l’expression régionale décelée dans le cuir chevelu se dégarnissant (Fig. 8). Par conséquent, vu la résolution obtenue dans ces études, rien n’indique qu’une expression anormale de l’isoenzyme de type 1 pourrait causer la calvitie androgénétique chez l’homme. L’interprétation de ces résultats doit être nuancée étant donné la nature qualitative des résultats. Nous ne pouvons écarter les faibles niveaux d’expression inférieurs à la sensibilité de détection obtenue avec nos anticorps (comme le montrent clairement les études sur l’ARNm et l’activité enzymatique [Fig. 3, Tableau I]), ni évaluer les changements touchant l’expression propre au type cellulaire. Il reste à voir si des résultats similaires seront obtenus avec l’hirsutisme (35, 36) et l’acné (37), deux affections concomitantes à la réapparition de l’expression de la 5α-réductase de type 1 dans la peau à la puberté.

 

 

            Les arguments de Merck et de Pharmascience au sujet de l’article de Thigpen sont les mêmes qu’au sujet de l’article de Harris. Merck soutient que la combinaison des articles de Thigpen et de Harris constitue un « lion sur le chemin » formidable.

 

d)         L’interprétation de l’art antérieur du point de vue de la personne moyennement versée dans l’art

 

[156]       Étant donné cet art antérieur, la Cour doit le considérer comme le ferait la personne versée dans l’art. Toutes les parties conviennent que la date pertinente pour examiner tant la nouveauté que l’inventivité est la « date de la revendication », soit la date du dépôt de la demande prioritaire sur laquelle se fonde la demande 457, à savoir le 15 octobre 1993. Tous les éléments d’art antérieur mentionnés ci-dessus sont antérieurs à cette date.

 

[157]       L’art antérieur indique clairement que le finastéride est utilisé pour le traitement de la calvitie. Les brevets axés sur le finastéride seul qui font partie de l’art antérieur ne revendiquent pas une dose ou une gamme de doses en particulier. Une gamme de doses allant de 5 mg/jour à 2 000 mg/jour est indiquée. Diani privilégie une faible dose commençant à environ 0,7 mg/jour, mais uniquement lorsque le finastéride est utilisé avec le minoxidil. Dans les articles publiés par Harris et Thigpen, un doute est soulevé quant à l’efficacité du finastéride dans le traitement de la calvitie chez l’homme, mais on ne discute pas de doses et de gammes de doses.

 

[158]       La première indication des compétences qu’une personne versée dans l’art est censée avoir se trouve dans le brevet 457 lui‑même, à la page 7. On s’attend à ce qu’une telle personne choisisse les doses en fonction d’une variété de facteurs :

 

[traduction] Le schéma posologique faisant appel aux composés de la présente invention est choisi en fonction d’un ensemble de facteurs, dont le type, l’espèce, l’âge, le poids, le sexe et l’état de santé du patient, la gravité de l’affection à traiter, la voie d’administration, la fonction rénale et hépatique du patient et le composé précis employé. Un médecin ou un vétérinaire moyennement versé dans l’art peut facilement établir et prescrire la quantité de médicament requise pour obtenir une efficacité permettant de prévenir, de neutraliser, d’arrêter ou de renverser l’évolution de l’affection. Pour obtenir avec une précision optimale une concentration de médicament située dans la gamme permettant d’obtenir une efficacité sans présence d’effets toxiques, il faut un schéma fondé sur la cinétique de la disponibilité du médicament aux endroits cibles. Cela nécessite une étude de la distribution, de l’équilibre et de l’élimination d’un médicament.

 

 

[159]       M. Russell, pour le compte de Merck, conclut au paragraphe 130 de son affidavit qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas pensé qu’il allait plus ou moins de soi que de faibles doses de finastéride auraient un effet et que, sur la base des articles de Harris et de Thigpen, elle aurait conclu que le finastéride serait inefficace pour traiter la calvitie chez l’homme. Le Dr Shapiro affirme sensiblement la même chose aux paragraphes 71 à 85 de son affidavit.

 

[160]       Pharmascience invoque le contre‑interrogatoire de M. Russell (pages 76 et 77) et du Dr Shapiro (page 68) pour faire valoir que des éléments de l’art antérieur, en particulier le brevet 277, revendiquent ce qui est visé à la revendication 5 du brevet 457 et que les articles de Harris et de Thigpen ne présentent pas d’indications fortement dissuasives (Russell, pages 176 et 177, 184; Shapiro, pages 91 et 92, 95). Pharmascience s’appuie aussi sur le Dr Taylor (paragraphes 161, 196) et M.  Steiner (paragraphe 124) pour soutenir que le choix de la dose faisait bien partie des compétences que l’on attend chez une personne moyennement versée dans l’art.

e)         Conclusions sur la preuve factuelle relative à la nouveauté et à l’inventivité

 

[161]       Après examen de l’ensemble de la preuve, notamment la preuve résumée ci‑dessus, j’ai tiré les conclusions suivantes en ce qui a trait aux faits pertinents en vue de l’examen de la nouveauté et de l’inventivité :

1.         La date pertinente pour cet examen est le 15 octobre 1993 – la « date de la revendication ».

 

2.                  À la date de la revendication, le finastéride était un médicament connu.

 

3.                  À la date de la revendication, le finastéride était vendu dans le commerce pour le traitement de la prostate.

 

4.                  Dans des brevets antérieurs, en particulier le brevet 277, on dit que le finastéride est utile pour traiter la calvitie chez l’homme. On y mentionne que le finastéride peut être pris sous une forme posologique à administrer par voie orale. Dans ces brevets, on fournit des exemples de doses, soit une gamme de doses située entre 5 et 2 000 mg/jour, mais on ne se restreint pas à des doses en particulier. Aucun brevet ne donne à entendre qu’une dose faible ne pourrait pas fonctionner.

 

5.                  La demande de brevet de Diani divulgue l’utilisation du finastéride sur une gamme de doses qui comprend la dose de 1 mg/jour pour traiter la calvitie chez l’homme, mais uniquement en association avec le minoxidil. Le finastéride pouvait être pris par voie orale, tandis que le minoxidil est appliqué topiquement. Le brevet 457 décrit aussi la possibilité d’utiliser les deux médicaments en combinaison.

 

6.                  Les articles de Harris et de Thigpen auraient pour effet d’orienter un chercheur vers d’autres travaux que ceux qui portent sur une utilisation du finastéride pour traiter la calvitie androgénétique chez l’homme.

 

[162]       Ces conclusions de fait posées, j’en viens au droit concernant la nouveauté et l’inventivité, dont une bonne partie a été récemment considérée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., [2008] 3 R.C.S. 265, 2008 CSC 62 (arrêt Sanofi). L’arrêt de la Cour suprême a été rédigé par le juge Rothstein.

 

 

f)          La nouveauté

 

 

i)          Le droit

 

[163]       Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada, pour son examen de la nouveauté, s’est fondée en bonne partie sur un arrêt de la Chambre des Lords, rendu par lord Hoffman, Synthon BV c. Smithkline Beecham plc, [2006] 1 All E.R. 685, [2005] UKHL 59. Dans l’arrêt Synthon BV, lord Hoffman a dit que, lorsqu’on l’examine en fonction de la nouveauté, il faut que l’antériorité à la fois divulgue ce qui est revendiqué dans le brevet examiné et en permette la réalisation. Dans l’arrêt Synthon BV, il a écrit aux paragraphes 32 et 33 :

[traduction]

[32] De même, le rôle de la personne versée dans l’art est différent par rapport à la divulgation et au caractère réalisable. Dans le cas de la divulgation, lorsque l’antériorité invoquée consiste (comme en l’espèce) en une description écrite, la personne versée dans l’art est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description a voulu dire. Ses connaissances générales courantes forment le contexte d’un exercice d’interprétation du genre de celui dont la Chambre a traité récemment dans l’arrêt Kirin-Amgen Inc c Hoechst Marion Roussel Ltd; Hoechst Marion Roussel Ltd c Kirin-Amgen [2004] UKHL 46, [2005] 1 All ER 667. Et il va de soi que le brevet lui-même doit être interprété selon des principes similaires. Mais une fois que la signification de la divulgation antérieure et du brevet a été établie, ou bien la divulgation porte sur une invention qui, si elle était réalisée, contreferait le brevet, ou bien elle ne porte pas sur une telle invention. La personne versée dans l’art n’a plus aucun rôle à jouer. S’agissant du caractère réalisable, par contre, la question n’est plus de savoir ce que la personne versée dans l’art estimerait que la divulgation veut dire, mais si elle serait capable de réaliser l’invention exposée, selon ce que la Cour a jugé, dans la divulgation.

 

[33] Il y a également un risque de confusion dans une affaire comme Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. c. HN Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76, où l’objet divulgué dans l’antériorité n’est pas identique à l’invention revendiquée, mais que, si l’invention est réalisée, il entraînera nécessairement une contrefaçon. Pour satisfaire à l’exigence relative à la divulgation, il faut démontrer qu’il y aura nécessairement contrefaçon de l’invention brevetée. Cependant, l’invention qui doit pouvoir être réalisée est celle qui est divulguée par l’antériorité. Cela n’a pas de sens de se demander si la divulgation antérieure permet à la personne habile de réaliser l’invention brevetée, étant donné que, par hypothèse, en pareil cas, la personne versée dans l’art ne se rendra même pas compte qu’elle le fait. Par conséquent, dans l’affaire Merrell Dow, la question de la mise à la disposition des moyens nécessaires dépendait de la question de savoir si la divulgation permettait à un homme habile de fabriquer de la terfénadine et de l’administrer aux personnes atteintes du rhume des foins, et non si cela lui permettait de fabriquer le métabolite acide.

 

[164]       Dans son examen de l’arrêt Synthon BV et des exigences du caractère réalisable et de la divulgation, dans l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a écrit aux paragraphes 25 à 27 :

[25] Lord Hoffmann explique que suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (par. 22) :

 

[traduction] Si je puis me permettre de résumer ce qui découle de ces deux énoncés fort connus [tirés de General Tire et de Hills c. Evans], l’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet. [… ] Il s’ensuit que, peu importe que cela aurait sauté ou non aux yeux de quiconque au moment considéré, lorsque ce qui est décrit dans la divulgation antérieure est réalisable et une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet, la condition de la divulgation antérieure est remplie.

 

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

 

[26] Lorsque l’exigence de la divulgation est remplie, le second élément établissant l’antériorité est le « caractère réalisable », à savoir la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention (par. 26). Lord Hoffmann conclut que le volet du critère de l’antériorité correspondant au caractère réalisable équivaut au critère du caractère suffisant suivant les dispositions législatives pertinentes du Royaume‑Uni. (Notre Cour n’a pas à statuer en l’espèce sur l’incidence du caractère réalisable de l’invention sur le caractère suffisant du mémoire descriptif du brevet pour les besoins de l’al. 34(1)b) de la Loi sur les brevets du Canada dans sa version antérieure au 1er octobre 1989, devenu l’actuel al. 27(3)b), et mon analyse du caractère réalisable ne vaut que pour le critère de l’antériorité. La question de savoir si, au Canada, le caractère réalisable de l’invention et le caractère suffisant du mémoire descriptif se confondent l’un et l’autre devra être tranchée une autre fois.)

 

[27] Dès lors que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Bien que de tels essais soient exclus à l’étape de la divulgation, ils ne le sont pas pour les besoins du caractère réalisable, car la question n’est plus de savoir si la personne versée dans l’art saisit la teneur de la divulgation du brevet antérieur, mais bien si elle est en mesure de réaliser l’invention.

 

 

[165]       Le juge Rothstein a ensuite examiné d’autres arrêts et, au paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi, a dégagé la conclusion suivante au sujet de la nouveauté :

[37] Au vu de cette jurisprudence, j’estime que les facteurs suivants – dont l’énumération n’est pas exhaustive et l’applicabilité dépend de la preuve – doivent normalement être considérés.

 

1.                  Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’antériorité est constituée de la totalité du brevet antérieur.

 

2.                  La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

 

3.                  Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

 

4.                  Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

 

ii)         L’application du droit aux faits de l’espèce – Nouveauté

[166]        Les éléments de l’art antérieur, en particulier le brevet 277, divulguent l’utilisation du finastéride qui traite la calvitie androgénétique chez l’homme. Il peut être administré par plusieurs voies, y compris la voie orale. Une gamme de doses, celle de 5 mg/jour à 2 000 mg/jour, est donnée en exemple. Ni la divulgation, ni les revendications ne sont limitées à de telles doses. Il est manifeste que si l’on fabriquait un médicament conformément à la revendication 5 du brevet 457, plusieurs revendications du brevet 277 seraient contrefaites.

 

[167]       Il entrerait dans les compétences attendues de la personne versée dans l’art, ainsi que le brevet 457 lui-même le reconnaît, de déterminer la dose appropriée pour une personne donnée. La détermination de la dose appropriée peut se faire « sans trop de difficultés » pour reprendre les termes du paragraphe 37(3) de l’arrêt Sanofi.

 

[168]       Je conclus que l’art antérieur, en particulier le brevet 277, divulgue ce qui fait l’objet de la revendication 5 du brevet 457, y compris le dosage, et en permet la réalisation.

 

[169]       Qu’en est-il alors des articles de Harris et de Thigpen? Ils ont été publiés plus tard que des éléments d’art antérieur comme le brevet 277. Merck attache beaucoup d’importance à la conclusion posée par la Cour d’appel au Royaume-Uni dans l’arrêt Actavis, au paragraphe 23:

[traduction]

23.       Au cours de l’argumentation, le lord juge Rimer a noté que la Commission a considéré qu’une nouvelle forme posologique serait suffisante pour conférer la nouveauté. M. Prescott a saisi cette observation, faisant valoir que la Commission a clairement envisagé qu’une nouvelle dose – même pour traiter une maladie ayant déjà été traitée par la même substance à une dose différente, était considérée comme une nouveauté. Nous souscrivons à cette position. Une revendication portant sur une pilule contenant une dose de l mg de finastéride constituerait une revendication d’une chose nouvelle. Personne n’a fabriqué ou proposé une telle chose, alors pourquoi serait-elle pas nouvelle? La question de savoir si elle serait évidente est une tout autre affaire. Puisque le brevet, en fait, ne présente pas de revendication à propos d’une pilule comportant une dose de 1 mg, il n’est pas nécessaire de poursuivre la discussion plus loin, bien que, compte tenu de notre conclusion sur l’évidence, il est possible qu’une telle revendication aurait été valide par elle‑même.

 

[170]       Merck cite également le lord juge Jacob dans un autre arrêt,  Pozzoli SPA c. BDMO SA [2007] EWCA Civ 588, aux paragraphes 26 à 29 :

[[traduction]

26.       J’ai exprimé la chose ainsi dans l’arrêt Union Carbide c. BP [1998] RPC 1, 13 :

 

« L’invention peut consister à découvrir qu’il faut faire ce qui, selon les personnes du métier, ne devrait pas l’être. Du point de vue de l’objet du droit des brevets, il serait singulier qu’on n’offre pas l’incitation du brevet à ceux qui font des recherches au sujet des préjugés de l’art antérieur. »

 

27.       La brevetabilité est justifiée parce que l’idée antérieure dont on pensait qu’elle ne fonctionnait pas doit, en tant qu’élément de l’art antérieur, être prise comme elle serait comprise par la personne versée dans l’art. Elle la lira avec les idées préconçues d’une telle personne. Ainsi, ce qui fait partie de l’état de la technique consiste réellement en deux choses combinées, l’idée et le préjugé qu’elle ne fonctionnerait pas ou serait irréalisable. Le breveté qui contribue un élément nouveau en montrant que, contrairement à un préjugé erroné, l’idée fonctionnera ou est réalisable a montré un élément nouveau. Il a montré que ce qui semblait être un « lion sur le chemin » n’est en fait qu’un tigre de papier. Sa contribution est donc nouvelle et non évidente et il mérite son brevet.

 

28.       Par contre, lorsque le breveté ne fait que breveter une vieille idée dont on pensait qu’elle ne fonctionnait pas ou n’était pas réalisable sans expliquer comment ni pourquoi, à l’encontre du préjugé, elle fonctionne ou est réalisable, la situation est différente. Dans ce cas, ce brevet ne contribue rien aux connaissances humaines. Le lion reste au moins apparent (il se peut même qu’il soit réel) et le brevet ne peut se justifier.

 

29.       Cette analyse n’exige pas qu’on examine le concept inventif d’une façon différente selon que le breveté a démontré ou non que le préjugé était injustifié, comme l’a dit le juge au paragraphe 67. C’est simplement que, dans le premier cas, le breveté a divulgué quelque chose de nouveau et non évident, mais non dans le second. Le concept inventif, comme je l’ai dit, est l’essence de ce que contient la revendication et ne dépend aucunement de la question de savoir si un préjugé a été vaincu.

 

[171]       Merck invoque aussi le propos du lord juge Jacob dans l’arrêt Dr Reddy’s Laboratories (UK) Limited c. Eli Lilly and Company Limited [2009] EWCA Civ 1362, aux paragraphes 26 à 30 :

[traduction]

26.    Commençons par les considérations a priori, abstraction faite de la jurisprudence. Une vieille devinette dit : « Où un homme intelligent cache‑t‑il une feuille? » Et la réponse est « Dans une forêt ». Il est au moins vaguement ridicule de dire qu’une feuille particulière est mise à votre disposition du fait qu’on vous a dit qu’elle se trouve dans la forêt de Sherwood. Une fois identifiée, vous pouvez bien sûr la voir. Mais si elle n’a pas été identifiée, vous ne connaissez que la proposition générale suivante : la forêt de Sherwood contient des millions de feuilles.

 

27.    L’argument est sans fin sur le plan logique. S’il y a une divulgation de l’olanzapine en l’espèce, pourquoi ne pas considérer une divulgation encore plus générale comme étant une divulgation de celle‑ci. Supposons que l’art antérieur avait été simplement « composés organique cycliques substitués en position 3? » Une telle description comprendrait des chiffres beaucoup plus grands que le 1019 de la formule I. Pourtant, la logique de l’argument resterait la même – c’est‑à‑dire qu’il existe une divulgation de chacun des membres de cette classe.

 

28.    J’ajouterais que je considère l’établissement de la liste d’un grand nombre de composés, par opposition à l’utilisation d’une représentation de Markush, de la même manière. Dire qu’un livre en particulier est identifié en disant « les livres de la Bibliothèque bodléienne » n’est pas différent de dire qu’on l’a identifié en donnant accès au catalogue de la Bibliothèque bodléienne.

 

29.    De même, il n’est pas logique d’affirmer qu’une description antérieure générale divulgue un élément en particulier couvert par celle‑ci. L’exemple du juge illustre ce point. Une divulgation antérieure de « procédés de fixation » ne constitue pas une divulgation d’un procédé de fixation en particulier, p. ex. la soudure ou le rivetage, même si on peut dresser une liste d’un grand nombre de procédés de fixation qui incluraient ces procédés.

 

30.    Par conséquent, selon la logique, il faut rejeter l’argument voulant qu’une divulgation d’une grande classe constitue une divulgation de chacun des membres de cette classe. Ce qui correspond également à la jurisprudence de l’OEB. M. Carr a accepté ce fait, si bien que je peux examiner l’affaire assez rapidement, en n’étudiant qu’une seule affaire, soit Hoescht Enantiomers T 0296/87, qui résume bien la jurisprudence antérieure. Il est dit :

 

6.1 La Chambre se laisse ici guider par des considérations qu’elle avait déjà développées auparavant dans sa décision T 181/82 "Composés spiro" (JO OEB 1984, 401) au sujet de la nouveauté d’individus chimiques appartenant à un groupe de produits de formule connue. Dans le cas des produits obtenus par réaction de certains composés spiro avec un bromure d’alkyle en C1 - C4 défini sous la forme d’un ensemble de produits, la Chambre a distingué de manière très stricte entre le contenu purement conceptuel d’une information d’une part et la teneur de l’exposé correspondant compris comme un enseignement concret en vue d’une action technique d’autre part. Seul cet enseignement technique peut détruire la nouveauté. Pour que cet enseignement existe dans le cas d’un produit chimique, il est nécessaire que celui-ci ait été préalablement décrit de manière individualisée.

 

Ainsi, ce qu’il faut rechercher comme anticipation, c’est une « description individualisée » du composé ou des composés revendiqués par la suite. La présente affaire est à des lieues de cela. Il est important de noter que l’application de ce principe aux énantiomères par la Chambre des recours a été spécifiquement suivie par la Cour dans l’arrêt Generics c. Lundbeck [2008] EWCA Civ 311; [2008] RPC 19, lord Hoffmann  au paragraphe [9].

 

 

[172]       Récemment, la juge Heneghan a entendu des arguments concernant cet arrêt dans l’affaire Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2010 CF 447, aux paragraphes 115 à 134, mais elle a jugé qu’elle n’avait pas à se prononcer à son sujet.

 

[173]       Pharmascience plaide que Merck a elle-même soutenu la position opposée devant la Cour dans l’affaire Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc. (1994), 59 C.P.R. (30) 133, où l’argument présenté par Merck a été accepté, soit que le choix d’une dose appropriée faisait partie des compétences d’une personne versée dans l’art. Le juge MacKay a examiné cet argument aux pages 179 et 180 :

Le deuxième argument principal de la défenderesse relativement aux revendications 8, 9 et 10 est que le mémoire descriptif du brevet de Merck ne précise pas ce qui constitue une quantité efficace des composés spécifiés, ingrédients actifs des revendications pour la composition. À cet égard, les mots « une dose de 5 à 500 mg administrée aux patients » (animaux et homme) [...] « pour un total de 5 à 2000 mg par jour » ne tiennent pas compte du fait que Merck produisait elle‑même des comprimés de Vasotec contenant 2,5 mg d’ingrédient actif et que la dose quotidienne maximale suggérée peut être quasiment toxique, selon un témoin. Néanmoins, je suis convaincu que les termes du mémoire descriptif ne visent pas seulement les produits Vasotec de Merck qui sont destinés à soigner les maladies de l'homme, car ils décrivent des doses de plusieurs composés revendiqués, certains plus actifs que d'autres et conçus pour traiter l’hypertension non seulement chez l’homme, mais aussi chez les animaux, dont des animaux de grande taille comme le cheval. Là-dessus, j’accepte le témoignage de MM. Patchett et Schwartz qui ont affirmé que, pour la personne versée dans l’art à qui s’adresse le mémoire descriptif, en l’occurrence à la fois un médecin clinicien et un chimiste de l’industrie pharmaceutique, du moins pour ce qui est de produire un produit fini destiné à traiter les maladies de l’homme, une fois que le produit a été découvert et que l’usage pour lequel il est conçu a été établi, la détermination de la quantité efficace à incorporer à un véhicule, c'est-à-dire le dosage, n’est pas une activité inventive même s’il exige une certaine expérimentation par des personnes qui ont de l’expérience et de l’habileté, extrapolant d’après d’autres produits connus destinés à des usages semblables, et d’après des expériences sur les animaux et des essais cliniques sur des sujets humains.

 

[174]       En outre, Pharmascience invoque la décision de la Cour Ratiopharm Inc. c. Pfizer Limited (2009), 76 C.P.R. (4th) 241, 2009 CF 711 aux paragraphes 177 à 180 et plaide que le brevet 457 se limite à employer des adjectifs comme « inattendu » ou « surprenant » et n’offre aucun fondement solide pour se démarquer par rapport à l’art antérieur, ne prenant ses distances à l’égard d’aucun préjugé antérieur :

[177] En l’espèce, l’examen de ces critères a pour but de déterminer si le sel de bésylate d’amlodipine a un « avantage spécial » à l’égard d’une « qualité spéciale » propre au bésylate.

 

[178] L’utilisation d’expressions telles que « de manière inattendue », « unique » et « exceptionnellement convenable » par la ou les personnes qui ont rédigé la demande ayant mené au brevet 393 est manifeste.

 

[179] Cependant, sans fondement solide, des adjectifs et des adverbes ne sont pas suffisants pour réussir à créer un « brevet de sélection » là où en fait il n’en existe pas. Comme on l’a vu dans les témoignages, il est difficile à partir de la seule description du brevet et pratiquement impossible, d’après les éléments de preuve, d’affirmer que le bésylate est suffisamment supérieur aux autres sels, par exemple au tosylate et au mésylate, pour qu’on puisse considérer qu’il est « unique », « exceptionnel » ou « particulièrement adapté ».

 

[180] Si la catégorie du brevet de « sélection » existe, le sel de bésylate de l’amlodipine ne mérite pas de faire partie de cette catégorie. Le brevet 393 est invalide pour cette raison également.

 

[175]       De plus, Pharmascience invoque la décision de la Chambre de recours de l’Office européen des brevets dans l’affaire Kos, déjà traitée et dont on a dit qu’elle avait été décidée après la décision Actavis, et les autres décisions invoquées par Merck. Pharmascience fait valoir que la décision Kos, particulièrement au paragraphe 6.3, exige qu’une invention postérieure qui tombe dans les divulgations plus larges contenues dans l’art antérieur doit se distinguer de manière à fournir [traduction] « un effet technique particulier par rapport à l’état de la technique » et que, dans l’examen d’une dose choisie dans une divulgation antérieure plus large, on tienne compte  de l’« effet technique nouveau » :

[traduction] En outre, si l’on suppose pour les besoins de l’argumentation, que les modalités revendiquées du schéma posologique ne consisteraient qu’en une sélection dans l’enseignement d’une divulgation antérieure plus large dans l’état de la technique, alors la nouveauté ne pourrait être reconnue que s’il a été satisfait aux critères élaborés par la jurisprudence des chambres de recours au sujet des inventions de sélection. Une question typique dans ces sortes d’affaires est de celle de savoir s’il a été établi que le schéma posologique défini dans la revendication fournit un effet technique particulier par rapport à ce qui était connu dans l’état de la technique.

 

Dans le passé, toute une jurisprudence s’est développée concernant la question de savoir à quel moment un effet technique d’une application thérapeutique revendiquée qui n’a pas été décrit antérieurement dans l’état de la technique peut être reconnu comme conférant la nouveauté à cette application et cette jurisprudence continue d’être applicable à l’appréciation des cas particuliers examinés (voir en particulier les décisions T 290/86, OJ EPO 1992, 414; T 1020/03, OJ EPO 2007, 204; T 836/01 du 7 octobre 2003; T 1074/06 du  9 août 2007).

 

De plus, si le trait distinctif d’une revendication visant à obtenir la protection du brevet pour un médicament connu à utiliser pour un traitement différent de la même maladie consiste dans le schéma posologique et est plus qu’une simple sélection dans une divulgation antérieure plus large, un nouvel effet technique causé par ce trait distinctif sera pris en compte dans l’examen de l’activité inventive selon l’article 56 CBE.

 

 

[176]       Je conclus, compte tenu de l’état du droit au Canada tel qu’il est exposé dans l’arrêt Sanofi, en particulier, que l’utilisation du finastéride dans un traitement oral de la calvitie masculine a été divulguée et que la sélection d’une gamme de doses entrait dans les compétences de la personne moyennement versée dans l’art. La revendication 5 du brevet 457 ne fait que confirmer que le médicament est efficace à une dose de 1 mg/jour. Aucun élément technique nouveau n’a été divulgué ou revendiqué. Dans la mesure où Harris et Thigpen donnent à entendre que le finastéride pourrait ne pas être efficace, il n’y a pas d’enseignement clair qu’il sera inefficace. En l’absence de Harris et Thigpen, la revendication 5 ne présente aucune nouveauté. Après Harris et Thigpen, le brevet 457, y compris la revendication 5, ne fait que confirmer, sans expérimentation excessive, ce qui était déjà connu.

 

[177]       La revendication 5 du brevet 457 n’est pas nouvelle.

 

g)         L’évidence (inventivité)

 

i)          Le droit

[178]       Pour déterminer si ce qu’on revendique comme une invention constitue vraiment une invention, et n’est pas évident pour une personne versée dans l’art, la Cour doit se placer dans la position de celle-ci à la date pertinente, en l’espèce la « date de la revendication », soit le 15 octobre 1993. Cette question a été longuement examinée dans l’arrêt Sanofi. Je reprends ce que le juge Rothstein a écrit aux paragraphes 67 à 70 :

[67] Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37 (p. 872), [2007] EWCA Civ 588, par. 23 :

 

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

(1)        a)         Identifier la « personne versée dans l’art ».

 

b)         Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

(2)        Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

(3)        Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

(4)        Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?  [Je souligne.]

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

i.  Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

 

[68] Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

 

ii.  « Essai allant de soi » : éléments à considérer

 

[69] Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?  Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?  Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

[70] Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’antériorité. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

 

[179]       À cette analyse, il faut ajouter l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc. (2009), 72 C.P.R. (4th) 141, 2009 CAF 8, au sujet de la motivation. Il traite la distinction entre « l’essai allant de soi » et « allant plus ou moins de soi » aux paragraphes 43 à 45 :

[43]     Selon le raisonnement avancé par le juge Laddie et approuvé par la Cour d’appel d’Angleterre, lorsque la motivation d’obtenir un résultat est très forte, le degré de succès attendu devient peu important. Dans ces conditions, la personne versée dans l’art peut se sentir poussée à poursuivre l’expérimentation même si les chances de succès ne sont pas particulièrement grandes.

 

[44]     C’est incontestablement le cas en l’espèce. Cependant, le degré de motivation ne peut convertir une solution possible en solution évidente. La motivation est pertinente pour décider si la personne versée dans l’art est justifiée de rechercher des solutions [traduction] « prévisibles » ou des solutions qui comportent [traduction] « des chances raisonnables de succès » (voir respectivement les extraits des arrêts KSR International Co. c. Teleflex Inc., 127 S. Ct. 1727 (2007) à la page 1742 et Angiotech Pharmaceuticals Inc. c. Conor Medsystems Inc., [2008] UKHL 49, au paragraphe 42, cités avec approbation dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, précité, aux paragraphes 57 et 59).

 

[45]     Au contraire, le critère qu’applique le juge Laddie apparaît rempli si l’état de la technique indique que quelque chose peut fonctionner et s’il existe une motivation telle qu’elle puisse faire que cette voie [traduction] « valait la peine » d’être explorée (décision Pfizer Ltd., précitée, paragraphe 107, citée au paragraphe 42 ci-dessus). À cet égard, on peut dire d’une solution qu’elle [traduction] « valait la peine » d’être explorée même si elle n’est pas un « essai allant de soi » ou, pour reprendre les mots du juge Rothstein, même si elle ne va pas « plus ou moins de soi » (Sanofi-Synthelabo, précité, paragraphe 66). À mon avis, cette approche fondée sur la chance que quelque chose puisse fonctionner a été expressément rejetée par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 66.

 

[180]       Outre le droit déjà discuté à l’égard de la nouveauté, il faut noter l’arrêt Actavis de la Cour d’appel du Royaume-Uni. Cet arrêt a statué que l’invention n’était pas évidente. La Cour d’appel a examiné de façon détaillée le témoignage de M. Russell et l’art antérieur aux paragraphes 109 à 118 et a conclu que la preuve établissait que l’effet des articles de Harris et de Thigpen suffisait pour conclure que la personne versée dans l’art estimerait les chances de succès concernant l’utilisation du finastéride pour le traitement de la calvitie si faibles qu’on n’entreprendrait jamais de recherches dans ce domaine. Au paragraphe 119, la Cour a reconnu que sa conclusion était [traduction] « un peu singulière » du fait que, dès lors qu’une personne a été mise en position de penser qu’une chose est évidente, elle peut par la suite être dissuadée :

[traduction] 119 Nous ajoutons un petit post-scriptum : superficiellement on peut penser que cette conclusion est un peu singulière étant donné que l’invention a déjà été évidente — on peut supposer que dès lors qu’une invention devient évidente, elle doit le rester par la suite. Mais cette supposition serait erronée : l’évidence doit s’apprécier à une date particulière. Il existe au moins un autre exemple bien connu montrant comment une invention qu’on pourrait juger évidente à une date donnée ne serait pas jugée évidente à une date postérieure. C’est lorsqu’il y a eu succès commercial par suite d’un besoin de longue date. Le moment où l’on se situe peut effectivement changer la perspective que l’on a. La perspective que la cour doit adopter est celle de la personne du métier à la date de priorité, et non à une date antérieure.

 

 

ii)         L’application du droit aux faits – l’évidence

[181]       En l’espèce, compte tenu que Pharmascience a la charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’invention n’était pas évidente, je juge que Pharmascience ne s’est pas acquittée de cette charge. En particulier, je juge, sur le fondement de la preuve, particulièrement du témoignage de M. Russell, que, en raison des articles de Harris et de Thigpen, un chercheur aurait été dissuadé de poursuivre la recherche dans ce domaine. En d’autres termes, la « motivation » aurait été perdue. Par conséquent, il n’a pas été prouvé que la revendication 5 du brevet 457 n’était pas évidente.

 

[182]       Je puis comprendre qu’à prime abord, la conclusion que la revendication 5 manque de nouveauté peut ne pas concorder avec la conclusion qu’elle est inventive. C’est un peu la même situation que la conclusion du juge de première instance dans l’affaire Actavis. La différence consiste dans le critère juridique de la nouveauté et de l’évidence. La nouveauté appelle un examen de la question de savoir si le public possédait déjà ce qui est revendiqué. Peu importe que cela soit inventé ou non. Ici, j’ai jugé que, selon les critères exposés dans l’arrêt Sanofi, le public possédait déjà ce qui est revendiqué dans la revendication 5 du brevet 457. Qu’il ait fallu surmonter le doute ou la dissuasion découlant des articles de Harris et de Thigpen n’est pas pertinent.

 

8.         La prédiction valable  et la portée excessive

[183]       Pharmascience plaide, dans son mémoire, aux paragraphes 116 à 120, que la revendication 5 est invalide en raison de la portée excessive et de l’absence de prédiction valable. Je reproduis les paragraphes 119 et 120 du mémoire :

[traduction]

119.     Par conséquent, dans la mesure où il n’était pas simplement évident qu’un inhibiteur de la 5α-réductase de type 2 à une dose faible constituerait un traitement efficace pour la calvitie androgénique chez l’homme, les inventeurs du brevet 457 n’ont fourni aucune autre information sur la façon dont on pouvait arriver à cette conclusion, et n’ont pas donné de nouvelles données établissant ou permettant de prédire que la dose de 1,0 mg de finastéride est efficace pour traiter véritablement la calvitie androgénétique chez l’homme (« stopper et/ou renverser l’alopécie androgénétique et favoriser la pousse des cheveux »). Donc, si la revendication 5 n’est pas considérée comme évidente, alors elle est invalide en raison de sa portée excessive et de l’absence de prédiction valable.

 

120.     En outre, si l’invention des inventeurs était l’utilisation du finastéride seul pour traiter la calvitie androgénétique chez l’homme, comme semble l’affirmer maintenant Merck, la portée de la revendication 5 est plus large que l’invention, car elle comprend l’utilisation du finastéride seul ou en association avec d’autres médicaments. Merck ne peut prétendre que l’invention concerne l’utilisation du finastéride seul (pour éviter l’antériorité de Diani) et se soustraire à la conclusion que la revendication 5 a une portée excessive.

 

 

[184]       Merck, citant ma décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., (2008), 63 C.P.R. (4th) 406, au paragraphe 58, déjà cité dans les présents motifs, dit que Pharmascience a l’obligation de mettre ces allégations « en jeu » dans son avis d’allégation, ce qu’elle n’a pas fait et qu’elle ne peut faire maintenant.

 

[185]       En outre, Merck signale que Pharmascience, dans sa preuve, nommément les affidavits du Dr Taylor et de M. Steiner, n’a présenté aucun élément à l’appui de ces allégations.

 

[186]       Pharmascience rétorque que Merck doit avoir compris que ces allégations étaient en jeu puisque son propre témoin, M. Russell prétend, dans son affidavit, traiter ces allégations aux paragraphes 194 et 195 :

[traduction]

PARTIE VII   PRÉDICTION VALABLE, UTILITÉ ET REVENDICATIONS DE PLUS GRANDE PORTÉE

 

X.        Doses faibles de finastéride pour traiter la calvitie androgénétique chez l’homme

 

194.     Le Dr Taylor et M. Steiner disent tous deux que l’exemple 5 du brevet n’enseigne rien à propos de l’efficacité du finastéride pour traiter la calvitie androgénétique chez l’homme, parce que les résultats de l’étude DHT/cuir chevelu n’ont pas été divulgués et également parce que le brevet n’évalue pas véritablement si les doses renversent la calvitie ou favorisent la pousse des cheveux. En dépit de ces observations, à la fois le Dr Taylor et M. Steiner soutiennent que les inventeurs de Merck possédaient néanmoins un fondement qui leur permettait de prédire que les faibles doses de finastéride seraient efficaces dans le traitement de la calvitie androgénétique chez l’homme. Ils affirment, toutefois, que le fondement de cette « prédiction » provient simplement du fait qu’ils estimaient qu’il était évident que les faibles doses de finastéride sont efficaces pour traiter la calvitie androgénétique chez l’homme. Enfin, selon eux, si l’invention du brevet n’est pas évidente, il n’existe pas de fondement permettant de faire cette prédiction.

 

195.     On m’a demandé de répondre à ces observations et de commenter les exemples du brevet. On m’a demandé de répondre aux questions suivantes :

 

(i)                  y avait-il un fondement factuel de la « prédiction » que les composés revendiqués sont efficaces pour le traitement de la calvitie androgénétique chez l’homme?

 

(ii)                à la date de la demande de brevet, l’inventeur avait-il un raisonnement clair et « valable » permettant de déduire du fondement actuel le résultat désiré?

 

(iii)               y a-t-il eu une divulgation suffisante du fondement factuel et du raisonnement?

 

[187]       J’ai examiné attentivement l’avis d’allégation de Pharmascience et je conviens avec Merck que l’avis ne traite pas ces questions par rapport à la revendication 5. Ces questions sont soulevées par rapport à d’autres revendications, non par rapport à la revendication 5. Le témoignage de M. Russell porte sur des points soulevés à propos d’autres revendications.

 

[188]       Je conclus que Pharmascience ne peut soulever cette question par rapport à la revendication 5. Elle avait l’obligation de soulever la question clairement dans son avis d’allégation. Elle ne peut invoquer maintenant des affirmations générales ou des éléments de preuve à caractère général relatifs à d’autres revendications dans une tentative de réorienter ces affirmations et ces éléments de preuve vers la revendication 5.

 

[189]       Faute d’un accord clair des volontés des parties de faire trancher la question, malgré le fait qu’elle n’avait pas été soulevée dans l’avis d’allégation, je ne suis pas disposé à permettre à Pharmascience de la traiter maintenant.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

 

[190]       J’ai conclu que l’allégation de Pharmascience portant que la revendication 5 du brevet 457 est invalide est justifiée dans le cadre du paragraphe 6(2) du Règlement AC. Cette conclusion a pour fondement que la revendication manque de nouveauté et constitue un double brevet compte tenu du brevet 277.

 

[191]       À l’audience, les avocats de parties ont convenu que les dépens devraient être adjugés à la partie ayant gain de cause. Les avocats ont indiqué qu’ils pourraient probablement s’entendre au sujet du montant, à défaut de quoi ils pourraient s’adresser à moi dans un délai raisonnable pour que je le fixe. Il n’y aura pas de dépens adjugés en faveur ou à l’encontre du ministre.

 

[192]       La demande sera rejetée et Merck est condamnée à payer les dépens à Pharmascience.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande est rejetée;

 

2.      Pharmascience a droit aux dépens qui seront à la charge de Merck. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre d’entre elles peut s’adresser à moi pour que je le fixe. Il n’est pas adjugé de dépens en faveur ou à l’encontre du ministre.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1476-08

 

INTITULÉ :                                       MERCK & CO., INC. ET MERCK FROSST CANADA LTD. c. PHARMASCIENCE INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 avril 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 11 mai 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Steven G. Mason

M. Steven Tanner

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

M. Nicholas McHaffie

M. Geoffrey J. North

M. Ryan Sheahan

 

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE

Personne n’a comparu

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tetrault LLP

Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Stikeman Elliott LLP

Barristers & Solicitors

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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