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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100428

Dossier : IMM-5080-09

Référence : 2010 CF 463

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2010

En présence de Monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

CHARLES MUKASI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Charles Mukasi, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Il conteste la décision de la Commission de rejeter sa demande d’asile parce qu’il a été complice de crimes contre l’humanité et qu’il ne peut donc pas bénéficier de l’asile en raison de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, transposé dans le droit canadien par l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

a.                   Contexte

[2]               M. Mukasi est Burundais. En 1981, il est devenu membre actif d’un parti politique très en vue au Burundi appelé « Union pour le progrès national » (UPRONA). Il n’est pas contesté que, après s’être joint volontairement au parti en 1981, M. Mukasi a gravi les échelons de l’UPRONA, où il a occupé successivement les postes suivants :

            a)         directeur de la Radio-Télévision Nationale (la station radiophonique publique);

            b)         secrétaire national du parti;

            c)         député de l’opposition à l’Assemblée nationale;

            d)         président du parti en 1994.

 

[3]               Il n’est pas contesté non plus que, depuis au moins les années 60, le Burundi a sombré dans un conflit ethnique entre les Hutus et les Tutsis, avec des périodes marquées de part et d’autre par des massacres de civils. La preuve documentaire soumise à la Commission indiquait très clairement que l’armée burundaise, dominée par les Tutsis, avait périodiquement été responsable du massacre aveugle de nombreux civils hutus. Ce sont là des faits que M. Mukasi n’a jamais contestés.

 

[4]               De 1962 à 1993, l’UPRONA a exercé au Burundi un pouvoir politique tantôt symbolique, tantôt réel. En 1993, elle a été défaite dans des élections démocratiques, mais, dans l’année qui a suivi, le président Ndadaye fut assassiné par une faction d’officiers tutsis. Dans un rapport


d’Amnistie Internationale daté du 22 mars 2001, la litanie des massacres ethniques au Burundi est décrite en détail, notamment la situation qui prévalait après l’assassinat du président :

À l’annonce de l’assassinat du président Ndadaye, des milliers de civils tutsi ainsi que des Hutu sympathisants de l’Union pour le progrès national (UPRONA), l’ancien parti au pouvoir, ont été tués lors d’opérations de représailles menées par des civils hutu. En représailles à ces meurtres, dans les quatre jours qui ont suivi le coup d’État, une vague de massacres aveugles a été menée contre de la population hutu par les forces de sécurité à dominante tutsi et par des civils tutsi. Des centaines de milliers de Hutu, ainsi que quelques Tutsi ont fui les violences, la plupart en direction de la Tanzanie et du Zaïre (devenu la République démocratique du Congo en 1998), et des centaines de milliers d’autres, principalement tutsi, ont été déplacés à l’intérieur du pays. Une majorité de réfugiés et de personnes déplacées n’ont pas encore regagné leur domicile.

 

Les responsables de l’UPRONA et leurs alliés se sont entendus pour éviter que le pouvoir ne revienne aux mains du FRODEBU. L’opposition politique tutsi, appuyée par l’armée à dominante tutsi et réticente à lâcher le pouvoir dont elle avait joui depuis l’indépendance, a continué de peser de tout son poids sur le gouvernement se réclamant du FRODEBU, afin d’obtenir des concessions politiques de ce gouvernement affaibli et incapable de renforcer ses positions. De jeunes Tutsi se sont mis à former des groupes armés au vu et au su des soldats tutsi, voire même avec leur aide. Ces groupes ont tué de nombreux sympathisants du gouvernement, principalement des Hutu. C’est pour contrecarrer cette violence et en réponse à ce qui était considéré comme une incapacité du gouvernement se réclamant du FRODEBU à protéger ses membres et ses sympathisants que des groupes armés hutu se sont créés dans la capitale burundaise et aux alentours et se sont rendus, eux aussi, coupables d’exactions. À partir de 1994, un certain nombre de groupes d’opposition armée à dominante hutu, officiellement alliés à des partis politiques en exil, ont déclaré une guerre ouverte aux forces armées à dominante tutsi et à leurs alliés politiques, tuant de nombreux civils tutsi non armés. Des milices tutsi sont également passées à l’action, souvent avec la complicité ouverte des forces armées : elles ont perpétré des assassinats politiques et procédé à des exécutions extrajudiciaires, visant surtout des personnalités hutu de premier plan. La violence s’est alors étendue à tout le pays et une fracture est apparue entre les communautés hutu et tutsi, qui auparavant cohabitaient, avec des centres urbains dominés par les Tutsi. Les groupes d’opposition armée et les forces armées se sont rendus responsables d’un grand nombre d’homicides de civils non armés.

 

Le gouvernement FRODEBU s’affaiblissait au fur et à mesure que les parlementaires et hauts responsables du FRODEBU étaient assassinés, arrêtés ou contraints à l’exil. Il a alors demandé à la communauté internationale qu’elle l’aide dans ses tâches de maintien de l’ordre, initiative à laquelle se sont violemment opposés l’UPRONA et les forces armées. En juillet 1996, le major Pierre Buyoya revenait au pouvoir à la suite d’un coup d’État perpétré avec le soutien des forces armées. Il a aussitôt justifié son geste par la nécessité de mettre un terme aux violations des droits humains et à la violence, mais bon nombre d’observateurs l’ont analysé pour leur part comme l’achèvement de la tentative de coup d’État d’octobre 1993. Ce changement politique a aussi mis fin au débat sur l’aide internationale relative au maintien de l’ordre. Au niveau national, le nouveau gouvernement a appliqué une politique de réinstallation forcée ou de « regroupement » de la population rurale hutu dans des camps une stratégie anti-insurrectionnelle visant à affaiblir les groupes d’opposition armée à dominante hutu par la création de zones militarisées et par la suppression de toute possibilité de trouver un soutien ou une base de repli dans la population. Des régions entières ont été dépeuplées ; les maisons et les plantations y ont été détruites. Par ailleurs, le conflit qui a éclaté fin 1996 au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) a non seulement entraîné le renvoi et le retour dans leur pays de dizaines de milliers de réfugiés burundais, mais il a aussi privé les groupes d’opposition armée de leurs bases dans l’est de ce pays et du soutien dont ils bénéficiaient directement et indirectement dans les camps de réfugiés. À partir de 1997, les zones de conflit ont été moins nombreuses.

 

[Notes de bas de page omises]

 

 

[5]               À la fin des années 90, des désaccords au sein de l’UPRONA sont apparus. M. Mukasi menait au sein du parti une faction radicale qui s’opposait aux aspects du plan du président Buyoya préconisant une résolution pacifique du conflit ethnique. Le résultat de ce désaccord politique, c’est que M. Mukasi fut perçu par les autorités burundaises comme un gêneur politique. Il a prétendu avoir fait l’objet, entre 1997 et 2005, de plusieurs arrestations et détentions à caractère politique. En septembre 2005, M. Mukasi a quitté le Burundi et, le 3 octobre 2005, il est entré au Canada depuis les États-Unis et a immédiatement demandé l’asile.

 

A.        La décision contestée

[6]               Les motifs de la Commission démontrent qu’elle a compris et appliqué le bon critère juridique pour savoir si, en tant que haut responsable de l’UPRONA, M. Mukasi devrait être déclaré irrecevable à demander l’asile en vertu de l’article 98 de la LIPR. La Commission a également conclu que l’UPRONA n’était pas une organisation visant des fins limitées et brutales. Elle a alors examiné la conduite de M. Mukasi, se demandant s’il avait été complice des atrocités et des actions génocidaires incontestées commises par l’armée burundaise.

 

[7]               Estimant que M. Mukasi avait été complice, la Commission a conclu qu’il avait dissimulé les nombreux massacres de civils hutus commis après octobre 1993 par l’armée, à prédominance tutsie. Elle a pris note de l’influence grandissante qu’il avait acquise au sein de l’UPRONA après 1989, notamment de ses postes de directeur de la Radio-Télévision Nationale, de secrétaire national du parti, de député de l’opposition à l’Assemblée nationale, de rédacteur de discours pour le président, et finalement de président du parti.

 

[8]               Elle a estimé que M. Mukasi était au courant du rôle des forces armées durant le coup d’État d’octobre 1993 et par la suite (y compris lors de l’assassinat du président Ndadaye), et elle a fait sienne une conclusion du HCNUR selon laquelle l’UPRONA avait été impliquée dans le coup militaire. Dans le passage suivant, la Commission a rejeté l’argument de M. Mukasi qui affirmait que l’UPRONA n’avait joué aucun rôle dans les crimes de guerre commis par les forces armées burundaises :

[38]      J’estime que le demandeur d’asile, en tant que haut responsable de l’UPRONA, était au courant de la situation susmentionnée et était en mesure de définir et de créer les politiques de l’UPRONA. À l’audience, lorsqu’il a été questionné relativement à la participation de l’armée aux massacres, le demandeur d’asile a soutenu que l’armée avait réagi à la crise à ce moment‑là. De plus, il a déclaré que l’armée était intervenue pour mettre fin au génocide et aux atrocités commises par les partisans du FRODEBU. Il a ajouté que la Constitution n’autorisait pas les membres de l’armée à se joindre à un parti politique; par conséquent, il ne serait pas juste de les associer à l’UPRONA. J’estime que le demandeur d’asile a fait ces déclarations pour minimiser les atrocités commises par l’armée. De plus, compte tenu du lien traditionnel entre l’UPRONA et l’armée, j’estime que les tentatives du demandeur d’asile de défendre l’armée et ses tentatives additionnelles de minimiser la relation entre l’UPRONA et l’armée ne sont pas crédibles ni étayées par les éléments de preuve documentaire. De plus, j’estime que, pendant la guerre civile, période pendant laquelle le demandeur d’asile occupait des postes très élevés au sein de l’UPRONA, il n’est pas fait état dans la documentation des efforts déployés par l’UPRONA, s’il en est, pour condamner les actes de l’armée ou pour y mettre fin. Pour cette raison et parce que le demandeur d’asile est réputé avoir été associé au coup d’État de 1993 et avoir continuellement remis en question l’accord de partage du pouvoir, j’ai des raisons de croire que le demandeur d’asile était très bien informé.

 

[Note de bas de page omise]

 

 

[9]               La Commission a finalement conclu que, alors qu’il savait que l’UPRONA faisait l’apologie de la violence, M. Mukasi s’était de son plein gré joint au parti en 1981, y était demeuré de son plein gré et avait de son plein gré gravi les échelons de l’organisation jusqu’à occuper en 1994 le poste de président du parti. La Commission a estimé qu’il existait des raisons sérieuses de conclure que M. Mukasi avait été complice de crimes contre l’humanité, ce qui le rendait irrecevable à demander l’asile. C’est contre cette décision que M. Mukasi a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.         Le point litigieux

[10]           La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa manière d’évaluer la preuve et, plus particulièrement, est-elle arrivée à sa décision en faisant une appréciation sélective de la preuve?

 

III.       L’analyse

[11]           Le point soulevé dans la présente demande est une question mixte de droit et de fait, qui doit donc être revue selon la norme de la décision raisonnable : voir la décision Murcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2006), 2006 CF 287, paragraphe 18, 146 A.C.W.S. (3d) 699.

 

[12]           On a fait valoir, au nom de M. Mukasi, que la Commission avait erré en concluant, par une prise en compte sélective de la preuve, à la complicité de M. Mukasi. M. Mukasi affirme avoir toujours été favorable à des solutions pacifiques dans les conflits ethniques qui ont marqué le Burundi lorsqu’il occupait des fonctions politiques. Il dit que la Commission a commis une erreur en se fondant sur de vagues liens, faits dans la preuve documentaire, entre l’UPRONA et l’armée burundaise, et plus précisément entre son rôle et le rôle de l’armée lorsqu’elle a mené de brutales campagnes de représailles contre des civils hutus.

 

[13]           La Commission n’a pas admis, et à juste titre, la tentative de M. Mukasi de dissocier son rôle politique au sein de l’UPRONA et les atrocités qui ont été commises par l’armée burundaise. Le dossier contenait de multiples preuves établissant un lien entre les forces militaires et les milices tutsies qui ont commis ces actes brutaux, M. Mukasi et l’UPRONA. À titre d’exemples, il y a les extraits suivants, tirés de sources indépendantes :

Ancien parti unique fondé en 1957 et reconnu légalement en 1960, l’UPRONA a conservé des liens étroits avec les forces armées sous les présidences de Michel Micombero, Jean Baptiste Bagaza et Pierre Buyoya. Il a été nettement battu par le Front pour la Démocratie au Burundi (FRODEBU), majoritairement composé de Hutu, au cours des premières élections multipartites organisées en 1993 au Burundi. L’UPRONA et les forces de sécurité, peu disposées à céder le pouvoir, ont été fortement impliquées dans les violences commises par les Sans échec et d’autres milices tutsi de 1993 à 1996. Des dirigeants de l’UPRONA, dont Charles Mukasi, Libère Bararuntyeretse et Alphonse Kadege, figuraient parmi les civils ayant participé au coup d’État de 1993. Charles Mukasi a également été accusé d’avoir remis en question l’accord de partage du pouvoir conclu en 1994 sous le nom de Convention de gouvernement, et d’avoir orchestré en partie l’escalade de la violence qui a permis à Pierre Buyoya de reconquérir le pouvoir en 1996.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Source : Amnistie Internationale, 22 mars 2001

 

[…]

 

[traduction]

UPRONA

Le troisième protagoniste de ce climat de violence est le parti de l’opposition officielle, l’UPRONA. Bénéficiaire d’une part disproportionnée du pouvoir dans la Convention de gouvernement de septembre 1994, il semble depuis lors résolu à en obtenir encore davantage, ce qui suscite des doutes sur sa réelle volonté de voir la Convention donner des résultats. Nombreux sont ceux qui croient que son but ultime est de regagner par tous les moyens le pouvoir qu’il a perdu par les urnes en juin 1993. Même si l’UPRONA ne saurait être totalement assimilée aux micro-partis extrémistes et aux milices tutsies armées, c’est aujourd’hui, sinon un parti d’extrémistes, du moins un parti mené par des extrémistes. Sa volonté affirmée de « résoudre la crise par des moyens pacifiques » semble, le moins que l’on puisse dire, déloyale. Par exemple, lorsqu’une mission de l’OUA est venue à Bujumbura à la mi-juillet pour tenter de lancer de nouveaux pourparlers entre les protagonistes du conflit politique, le président de l’UPRONA, Charles Mukasi, a invoqué le fait que la mission de l’OUA proposait Addis-Ababa pour la tenue des pourparlers comme prétexte pour refuser d’y assister et pour déclarer :

 

« Nous croyons que, si des gens ont des choses à se dire, ils devraient le faire à l’intérieur des frontières du Burundi… Nous n’avons rien à redire à rien. Nous sommes plutôt favorables à une idée, à savoir le processus de paix. Ce processus de paix devrait être établi et développé à l’intérieur des frontières du pays… Si la communauté internationale devenait exaspérée et perdait intérêt dans ce qui nous arrive, j’en serais très heureux parce que cela nous forcerait à aller de l’avant rapidement ».

 

Le président du FRODEBU, Jean Minani, qui appuyait l’idée de tenir les pourparlers à Addis-Ababa, a rétorqué que :

 

« il [Mukasi] sait très bien que des pourparlers ici au Burundi sont presque impossibles, alors que la ville de Bujumbura est tenue en otage par les milices tutsies qui patrouillent, qui font des rondes de nuit, qui tuent des gens tous les jours sans que la police, les gendarmes, ou l’armée ne puissent rien y faire ».

 

Les positions publiques de l’UPRONA sont pour l’essentiel du même genre, puisqu’elles semblent prétendre en permanence qu’il n’y a aucun problème grave, que les milices tutsies n’existent pas, que les partis extrémistes tutsis sont en réalité démocratiques et que c’est seulement la mauvaise volonté du FRODEBU qui bloque le dialogue politique. Dans un tel climat, son appel constant aux modérés du FRODEBU à partager avec eux le combat contre les extrémistes hutus du FDD semble manquer singulièrement d’objectivité.

 

Source : HCNUR, août 1995

 

[…]

 

[traduction]

Nos correspondants nous apprennent que M. Mukasi, un politicien apparemment soutenu par les purs et durs de l’armée, a refusé de participer aux pourparlers et a limogé les représentants du parti qui y ont participé. Les voisins du Burundi ont subordonné la levée des sanctions au progrès des pourparlers.

 

Source :  BBC News, 8 octobre 1998

 

[…]

 

[traduction]

La domination exercée par les Tutsis sur l’armée était au centre de la fragile situation du Burundi en matière de sécurité, et c’était l’armée qui désormais imposait les conditions d’un retour à la normale. Trois mois de pourparlers ont été nécessaires avant qu’un nouveau président ne soit choisi, la tenue d’élections étant hors de question. Durant ces négociations, l’UPRONA et d’autres partis d’opposition ont pu négocier un accord qui leur donnait 40 p. 100 des postes de direction. Le FRODEBU a accepté cet arrangement afin de rassurer la minorité tutsie. Cyprian Ntaryamira, le ministre de l’Agriculture, un homme plutôt sans éclat, fut finalement choisi comme président.

 

Le 6 avril 1994, Ntaryamira a trouvé la mort avec le président du Rwanda, M. Habyarimana, lorsque leur avion a été abattu au-dessus de Kigali. Le problème de la succession présidentielle a aujourd’hui refait surface. Le FRODEBU voulait comme président le populaire Sylvestre Ntibantunganya, mais l’opposition, menée par l’UPRONA, a fixé des conditions qui ont été acceptées le 10 septembre. L’UPRONA obtenait ainsi une influence encore plus grande au sein du pouvoir. La situation a aliéné l’aile radicale du FRODEBU, qui, en guise de protestation, s’est distanciée du président intérimaire et qui, en août, a institué le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) et son aile armée, menée depuis l’exil par Leonard Nyangoma.

 

Le FRODEBU a conservé la présidence, mais, craignant un autre coup d’État ou une autre guerre civile génocidaire, s’est trouvé contraint de concéder à l’UPRONA et aux autres partis d’opposition une part sans cesse croissante au sein du gouvernement et de l’administration. La prise de pouvoir couronnée de succès opérée par le Front patriotique rwandais (FRP), à prédominance tutsie, dans le Rwanda voisin en 1994, n’a fait qu’enhardir l’UPRONA et l’armée burundaise. Un accord politique, facilité par les Nations Unies et conclu le 11 septembre 1994, prévoyait que le poste de premier ministre, ainsi que dix autres postes du cabinet (sur un total de 23), iraient aux partis d’opposition. Les portefeuilles de la défense et de la justice devaient être occupés par des politiciens « neutres », ce qui voulait dire un militaire et un juge (en fait des Tutsis). À l’intérieur de l’administration locale et de la fonction publique, 45 p. 100 des postes étaient également réservés à des candidats de l’opposition. L’accord privait l’Assemblée nationale du pouvoir de défaire le gouvernement. Il instituait un Conseil national de sécurité, pour lequel le FRODEBU et l’opposition proposeraient chacun cinq membres, et qui exercerait un droit de véto sur l’exécutif. En résumé, la victoire électorale de 1993 était pour ainsi dire réduite à néant, et le président était empêché de réformer l’armée ou l’administration ou d’une autre manière de menacer ce que la minorité tutsie considérait comme ses intérêts vitaux. Même cela n’a pas suffi à dissuader le chef de l’UPRONA, Charles Mukasi, qui demeurait en dehors du gouvernement, de formuler des exigences additionnelles destinées à émasculer le FRODEBU. En fait, l’UPRONA semblait résolue à exploiter la crainte très plausible du gouvernement d’assister à un effondrement complet de la situation, et cela dans le dessein de compenser la perte de pouvoir subie aux élections de 1993. Cela supposait, de la part de l’UPRONA et de l’armée, une acrobatie bien calculée, qui, comme il fallait s’y attendre, a mené à la catastrophe.

 

Source : Africa Watch, Burundi: The politics of intolerance, African Security Review, vol. 8, n° 6, (1999)

 

[14]           M. Mukasi se plaint que les témoignages qu’il a présentés pour contredire les sources tierces n’ont pas bénéficié d’une attention suffisante de la part de la Commission. Je rejette cet argument. Les motifs de la Commission montrent que les pièces soumises par M. Mukasi ont été soigneusement étudiées, mais qu’elles ont été écartées au motif qu’elles n’étaient pas objectives. Il n’appartient pas à la Cour, dans un contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve, et il ne serait pas convenable pour moi de substituer ma propre appréciation de la preuve à celle de la Commission. Même si j’avais ce pouvoir, je ne serais pas arrivé à une autre conclusion que celle de la Commission. La propre défense de M. Mukasi était pour une large part extrêmement rhétorique, non équilibrée et, parfois, incendiaire.

 

[15]           La preuve soumise par M. Mukasi contrastait vivement avec les sources documentaires tierces et il y avait un solide fondement pour la conclusion de la Commission selon laquelle M. Mukasi avait été complice dans la série non contestée des crimes contre l’humanité commis par les forces armées burundaises, à prédominance tutsie, à l’époque où il exerçait une influence politique au sein de l’UPRONA, un parti contrôlé par les Tutsis.

 

[16]           L’argument de M. Mukasi selon lequel il y a eu manquement à l’équité procédurale n’a pas été poussé plus loin devant moi dans sa plaidoirie. C’est un argument qui n’a aucun fondement juridique et je le rejette sans hésiter.

 

[17]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[18]           Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question de portée générale, et aucune question du genre ne se pose ici.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5080-09

 

INTITULÉ :                                       MUKASI

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 AVRIL 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 28 AVRIL 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Tchupa Chibambo

 

POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tchupa Chibambo

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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