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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20100426

Dossier : T-555-08

Référence : 2010 CF 448

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2010

En présence de monsieur le juge Phelan

 

ENTRE :

RYAN MURPHY et al.

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête sollicitant une somme forfaitaire à titre de dépens supérieurs au Tarif B, ou subsidiairement, une ordonnance pour des dépens taxés soit selon la colonne V du Tarif B, soit selon une combinaison des colonnes IV et V du Tarif B. Il y avait également une demande de prorogation du délai de présentation de la requête visant l'obtention de directives.

 

[2]               Le contrôle judiciaire sous-jacent était une contestation de demandes de renseignements (les DR) délivrées par des représentants de l'Agence du revenu du Canada (l’ARC) de Vancouver. La Cour a conclu que les DR étaient illégales en raison d'une délégation de pouvoir irrégulière et parce que les DR n'avaient pas été délivrées aux fins de l'administration et de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1. Dans sa conclusion, la Cour a déclaré que certains actes posés par des représentants de l'ARC ou pour leur compte étaient hautement illégitimes (Murphy c. Canada (Ministre du revenu national – M.R.N.), 2009 CF 1226). Les dépens ont été adjugés en faveur des demandeurs.

 

[3]               Les demandeurs tentent principalement d’obtenir une somme forfaitaire de 250 000 $ au titre des dépens, plus les débours, ce qui équivaut à environ 80 % des honoraires réels des avocats.

 

[4]               Les parties s'entendent sur un certain nombre de points :

-           une somme forfaitaire est préférable à la taxation de dépens détaillés; cependant, le fondement et le montant sont très contestés;

-           des dépens adjugés pour deux avocats sont légitimes;

-           la prorogation de délai pour l'obtention de directives est légitime;

-           la conduite des avocats pendant le litige ne donne pas lieu à une majoration des dépens adjugés.

 

[5]               La Cour est d’accord sur tous ces points.

 

[6]               Le défendeur soutient que les dépens devraient être établis selon la valeur la plus élevée de la colonne III du Tarif, et que, compte tenu de l'offre de règlement des demandeurs, ces dépens devraient être doublés en application de l'article 420 des Règles, à compter de la date de l'offre. Ainsi, le montant des dépens octroyés s'élèverait à environ 102 000 $, incluant les taxes et les débours. En supposant que le montant des débours, de 13 000 $ (estimation), demandé par les demandeurs est inclus dans le calcul du défendeur, les honoraires représenteraient environ 90 000 $.

 

[7]               En vertu de l'article 400 des Règles, la Cour possède un vaste pouvoir discrétionnaire pour fixer le montant des dépens. Ce pouvoir discrétionnaire doit cependant être pondéré en fonction du Tarif et des principes régissant l'adjudication des dépens.

 

[8]               Le fait que les demandeurs ont eu gain de cause ne leur donne pas droit, en soi, au remboursement de leurs honoraires d'avocats et de leurs débours. Ils ont droit à des dépens en vertu du Tarif et des Règles, à moins qu'il soit démontré qu'un comportement inqualifiable justifie l'adjudication de dépens majorés.

 

[9]               Il est important de garder à l'esprit que les dépens avocat-client ne doivent être adjugés que lorsqu'on franchit le seuil des circonstances exceptionnelles, c'est-à-dire lorsqu'on est en présence d'une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante qui a été adoptée au cours du litige ou qui est étroitement liée à celui-ci (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

 

[10]           Rien dans le présent litige ou dans son déroulement ne s'approche de ce seuil. Pour adjuger des dépens avocat-client en l'espèce, il faudrait conclure en quelque sorte à de la mauvaise foi de la part des représentants de l’ARC. Bien qu'il soit loisible aux demandeurs de faire valoir une telle prétention, une action fondée sur la conclusion de la délivrance illégale des DR est ce qu'il faut envisager lorsqu'il s'agit de ce genre de conduite et de la nature punitive de la réparation.

 

[11]           L'offre de règlement présentée par les demandeurs tôt dans le présent litige ne constitue pas en soi un facteur justifiant l'attribution de plus d'unités de dépens partie-partie prévues au Tarif. Le défendeur reconnaît que les demandeurs ont droit au double des dépens partie-partie, à compter de la date de l'offre, soit le 11 avril 2008.

 

[12]           En l'absence d'une telle conclusion ou d'une telle conduite, le bon point de départ de l'examen est le Tarif. La question est de savoir quelle colonne reflète le plus étroitement le fondement de l'adjudication d'une somme forfaitaire. Comme la Cour l'a signalé ci-dessus, et mentionné dans Dimplex North America Ltd. c. CFM Corp., 2006 CF 1403, l'adjudication de sommes forfaitaires est de plus en plus reconnue comme mode de règlement efficace et équitable des dépens.

 

[13]           Plusieurs facteurs justifient l’adjudication de dépens selon le maximum d'unités prévu par la colonne la plus élevée du Tarif, sans qu'il s'agisse d'accorder aux demandeurs l'indemnisation pour leurs honoraires d'avocats :

a)         La tentative du défendeur de minimiser l'importance de la présente affaire pour le public, comme étant une affaire [traduction] « unique » ou une affaire [traduction] « unique en raison de ses faits », nuit à la solidité de ses propres arguments selon lesquels le paragraphe 244(13) agit à titre de bouclier pour contrer toute contestation du public à l'égard de l'exercice de pouvoirs délégués.

b)         La position du défendeur aurait empêché toute contestation judiciaire concernant le pouvoir délégué par le ministre à ses représentants concernant certaines questions. La position du défendeur écarte également le débat concernant la question de savoir si le critère juridique pertinent à appliquer à la contestation de DR en général était la notion de l’« enquête sérieuse et authentique » ou celle de l’« objet prédominant ».

c)         Le défendeur soutient, sans présenter de preuve, que les questions de l’affaire ne visaient que le bureau de Vancouver. La perspective selon laquelle ce bureau pouvait ou pourrait agir d'une manière si différente des autres bureaux de l’ARC dans le pays soulève d'autres questions à propos du contrôle des pouvoirs importants et attentatoires à la vie privée que posséderaient les représentants de l’ARC.

d)         La prétention du défendeur selon laquelle l'affaire ne visait pas des questions juridiques et constitutionnelles complexes fait fi des arguments qu'il a présentés comme fondement juridique de la conduite précisément en cause et écarte les arguments constitutionnels et ceux fondés sur la Charte soulevés. Il n'a pas été nécessaire que ces questions soient tranchées, uniquement parce que la Cour a pu se prononcer sur ces questions en se fondant sur d'autres principes juridiques.

e)         Même si la conduite du défendeur n'atteint pas le seuil justifiant l'adjudication de dépens avocat-client, il y avait une apparence de mépris des droits du citoyen, dont la question de l'obligation de confidentialité imposée aux représentants de l’ARC, ce qui hausse la conduite illégale à une conduite qui mérite une certaine part de réprobation.

 

[14]           Ayant conclu que l'adjudication des dépens devait refléter les facteurs ci-dessus, y compris la gravité de la conduite du défendeur, la Cour a conclu que les dépens partie-partie selon les montants supérieurs prévus au Tarif sont appropriés. En conséquence, la colonne V est la mesure applicable à l'adjudication des dépens.

 

[15]           Il n'existe pas de formule magique pour la fixation du montant d'une somme forfaitaire. Toutefois, la Cour garde à l'esprit que le point de départ du défendeur se situait à la valeur supérieure de la colonne III et que l'élément montant des honoraires, porté au double en raison de l'offre de règlement, s'élève à environ 90 000 $.

 

[16]           Pour en arriver à ce montant, le défendeur a fait preuve d'une parcimonie indue dans la reconnaissance du temps alloué aux contre-interrogatoires et à d'autres questions semblables. À titre d'exemple, le défendeur a calculé, quoiqu’en l’arrondissant, la durée des contre-interrogatoires en fonction du démarrage et de l'arrêt de la machine du sténographe, plutôt qu'en fonction de la durée réelle de la présence des avocats aux contre-interrogatoires. Une certaine augmentation du montant évalué par le défendeur à 90 000 $ est nécessaire.

 

[17]           Ayant conclu que la valeur supérieure de la colonne V est la base applicable au calcul des honoraires, grosso modo la différence entre les unités attribuées en vertu de la colonne III et celles attribuées en vertu de la colonne V est d'environ 2 pour 1. Cela entraîne la multiplication par 2 du montant de l'adjudication des dépens rajustés (voir le paragraphe 16).

 

[18]           En conséquence, la Cour accorde aux demandeurs des honoraires de 200 000 $, plus des débours de 13 986,92 $. Les demandeurs ont droit à des dépens de 3 000 $ pour la présente requête, plus des débours de 500 $.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE : Des honoraires de 200 000 $, plus des débours de 13 986,92 $ sont adjugés aux demandeurs. Les demandeurs ont droit à des dépens de 3 000 $ pour la présente requête, plus des débours de 500 $.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-555-08

 

INTITULÉ :                                       RYAN MURPHY et al.

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 avril 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       le juge phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 avril 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Peters

 

POUR LES DEMANDEURS

Robert Carvalho

Ron Wilhelm

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Martin Peters

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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