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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20100225

Dossier : T-116-07

Référence : 2010 CF 213

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 février 2010

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

ENTRE :

LA CORPORATION DE SOINS DE SANTÉ HOSPIRA

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT RENDUS

LE 25 FÉVRIER 2010

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, S.R.C. 1985, ch. F-7, d’une lettre de décision de la Direction des produits thérapeutiques de Santé Canada (ou la Commission), datée du 19 décembre 2006, par laquelle la présentation de drogue nouvelle (PDN) déposée par la demanderesse était rejetée, au nom du ministre de la Santé, au motif que la PDN ne respectait pas les exigences du Réglement concernant les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, tel qu’il a été modifié (le Règlement).

 

[2]               La demanderesse sollicite la prise des mesures suivantes :

            1.         que sa demande soit accueillie avec dépens;

            2.         que la décision de Santé Canada rejetant sommairement sa PDN no de contrôle [omis] soit annulée;

            3.         qu’un avis de conformité (AC) soit délivré à la demanderesse pour [omis], après qu’un examen approfondi de la PND de la demanderesse portant sur le respect des exigences figurant à l’article C.08.002 (à l’exclusion toutefois de celles prévues aux alinéas g) et h)) aura été complété de façon acceptable par Santé Canada, cet examen devant être terminé dans les 120 jours des ordonnances prononcées dans le cadre de la présente demande; 

            4.         Subsidiairement aux mesures sollicitées au paragraphe 3, Santé Canada doit :

    1. traiter immédiatement la PND de la demanderesse,
    2. délivrer un AC avec conditions (AC(C)) à la demanderesse pour [omis], après qu’un examen approfondi de la PND de la demanderesse portant sur le respect des exigences figurant à l’article C.08.002 (à l’exclusion toutefois de celles prévues aux alinéas g) et h)) aura été complété de façon satisfaisante par Santé Canada;
    3. réunir un comité consultatif pour établir les conditions qu’il convient d’appliquer à l’AC(C);
    4. s’assurer qu’aucun membre du comité consultatif n’ait participé de quelque façon que ce soit à la prise de décision de refus qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire;
    5. terminer l’examen en cause dans les 120 jours des ordonnances prononcées dans le cadre de la présente demande;

            5.         Subsidiairement encore aux demandes formulées aux paragraphes 3 et 4, la demanderesse sollicite que Santé Canada :

 

              i.        examine immédiatement la PDN de la demanderesse quant au respect des exigences figurant à l’article C.08.002;

            ii.          réunisse un comité consultatif afin de définir des paramètres pragmatiques pouvant servir d’éléments de preuve supplémentaires pour étayer l’innocuité et l’efficacité de [omis];

            iii.         accorde à la demanderesse l’entière possibilité de répondre;

            iv.         s’assure qu’aucun membre du comité consultatif n’ait participé de quelque façon que ce soit à la prise de décision de refus qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire;

            v.         termine l’examen en cause dans les 120 jours des ordonnances prononcées dans le cadre de la présente demande.

 

Contexte

 

[3]               Il est obligatoire de déposer une présentation de drogue nouvelle (PDN) pour obtenir l’approbation réglementaire de Santé Canada et la délivrance par ce dernier d’un avis de conformité (AC). Une fois reçu, l’AC autorise le fabricant à vendre la drogue au Canada. Une PDN contient des renseignements scientifiques sur l’innocuité, l’efficacité et la qualité du produit. Cette information comprend les résultats d’études cliniques, des détails sur la fabrication de la drogue, son emballage et son étiquetage, ainsi que des renseignements sur sa valeur thérapeutique alléguée, ses conditions d’utilisation et ses effets secondaires.

 

[4]               La PDN de la demanderesse a pour objet le médicament appelé [omis]. [Omis]. Les défendeurs ne contestent pas que [omis] est largement utilisé dans les pays occidentaux et que c’est le médicament qui est maintenant reconnu comme le « traitement standard » pour [omis]. Même si le ministre défendeur n’a pas délivré d’AC pour [omis], le médicament avait été disponible au Canada [omis] via le Programme d’accès spécial (PAS) de Santé Canada. Le PAS permet d’avoir accès à des médicaments de remplacement lorsque la pharmacopée habituelle s’est révélée inefficace et Santé Canada doit approuver chacune de ces utilisations.

 

[5]               En 2004, Santé Canada a été consulté par la demanderesse concernant ses projets de distribution de [omis] au Canada. Étant donné l’absence d’AC pour [omis], Santé Canada a exprimé l’avis que la présentation réglementaire que la demanderesse devait déposée devait l’être sous forme d’une PDN, et non en vertu d’une PDN abrégée (PDNA). Il a été rapidement établi qu’il serait ardu de répondre aux exigences habituelles d’essai clinique pour [omis]. La demanderesse était d’avis que ces essais cliniques pour [omis] n’étaient pas nécessaires [omis]. En février 2005, les parties se sont rencontrées à nouveau pour discuter de la façon dont la demanderesse pourrait satisfaire aux exigences concernant les données tirées d’essai clinique pour [omis].

 

[6]               En mai 2006, les parties se sont encore une fois rencontrées. En dépit des éléments de preuve présentés par la demanderesse quant à l’innocuité et l’efficacité de [omis], Santé Canada a fait savoir qu’il jugerait inacceptable une PDN pour [omis] dont les éléments de  preuve sur l’innocuité et l’efficacité se limiteraient au dépôt de publications scientifiques. La demanderesse fait valoir qu’à l’occasion de ces consultations, Santé Canada s’était engagé à définir des critères et des spécifications visant le [omis] plutôt que d’exiger des essais cliniques indépendants complets. En d’autres termes, la demanderesse soutient que Santé Canada s’était engagé à définir ce à quoi je ferai référence comme étant une PDN innovante pour [omis].

 

[7]               La demanderesse soutient que Santé Canada est revenu sur son engagement dans une lettre datée du 17 août 2006, dans laquelle Santé Canada réitère qu’une PDN pour [omis ] doit contenir des données tirées d’essai clinique indépendant. Santé Canada a reconnu dans sa lettre l’« environnement clinique unique de [omis] » et avoir envisagé la présentation d’une PDN innovante, mais a expliqué qu’en raison de propositions formulées en vue de modifier la législation, [omis] la délivrance d’un AC pour le [omis] de la demanderesse.

 

[8]               Il semble que Santé Canada renvoyait au Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (protection des données), DORS/2006-241 (entré en vigueur

 

le 5 octobre 2006) et au fait qu’il savait que les propriétaires originaux de [omis] déposeraient une PDN peu de temps après l’entrée en vigueur du règlement. Le nouveau règlement empêcherait pour une période de huit ans la délivrance d’un AC à l’égard d’un produit générique. 

 

[9]               En dépit de l’avis exprimé par Santé Canada, la demanderesse a déposé une PDN pour [omis] le 27 octobre 2006, sur la foi de la preuve volumineuse disponible quant à l’innocuité et l’efficacité de [omis]. Elle a tenté de répondre à toutes les réserves sérieuses exprimées par Santé Canada en déposant un ensemble de publications scientifiques.

 

La décision de Santé Canada

 

[10]           Dans sa « Lettre de rejet à l’examen préliminaire », datée du 19 décembre 2006, Santé Canada a rejeté la PDN de la demanderesse pour [omis], sans qu’il ne soit porté atteinte au droit de déposer une nouvelle présentation. À la suite à l’examen préliminaire des documents soumis par  la demanderesse, Santé Canada a conclu que la PDN ne répondait pas aux exigences du Règlement.

 

[11]           La Commission a premièrement souligné que le processus d’approbation de la PDN exige le respect des dispositions de l’article C.08.002 du Règlement. Ensuite, la Commission a souligné qu’aucune donnée préclinique ou clinique n’avait été déposée dans le cadre de la PDN et que seuls des documents de référence et des données postérieures à la mise en marché avaient été produits.

 

[12]           La Commission a souligné que, lors de consultations antérieures avec la demanderesse, Santé Canada avait clairement signifié la nécessité de déposer des essais cliniques indépendants.

 

Historique des procédures

 

[13]           La demanderesse a présenté une requête enjoignant au ministre défendeur de produire des documents qui avaient été mentionnés dans une demande de production fondée sur

l’article 317 des Règles. En vertu d’une ordonnance rendue le 1er février 2008, la protonotaire Aronovitch a accueilli la requête en partie restreignant la production de documents à ceux jugés pertinents à la décision du 29 décembre 2006.  

 

[14]           La protonotaire a conclu que Hospira ne pouvait tenter d’étendre les motifs sur lesquels le présent contrôle judiciaire est fondé pour entreprendre une contestation incidente de la décision du ministre défendeur, datée du 17 août 2006, de ne pas approuver une PDN pour une drogue innovante ou de refuser d’en définir les paramètres. La protonotaire a jugé que la jurisprudence a restreint et a défini les documents pertinents en matière de contrôle judiciaire à ceux figurant dans le dossier dont le décideur est saisi au moment de la prise de décision visée par le contrôle judiciaire. Voici ce qu’elle a déclaré en ce qui a trait à la requête de la demanderesse :

[traduction]

Les allégations d’atteintes à l’équité procédurale sont soulevées à l’égard d’une question non pertinente, à savoir, le refus du ministre de formuler des critères. Dans la mesure où la requérante entend invoquer le refus du ministre pour procéder, elle est la personne le plus en mesure d’établir les faits. L’historique et la teneur des discussions, ou la conduite du ministre à cet égard ne sont toutefois pas pertinents, en ce sens que ces facteurs n’ont rien à voir avec la réparation demandée et qu’ils n’aideront pas la Cour à se prononcer sur le bien-fondé de la décision prise

le 19 décembre 2006.

 

[15]           La demanderesse a sollicité une ordonnance infirmant celle délivrée par la protonotaire.

 

[16]           Dans Hospira Healthcare Corp. c. Canada (Procureur général), 2008 CF 355, [2008] A.C.F. no 505 (QL) (Hospira I), le juge Beaudry a refusé d’infirmer l’ordonnance rendue par la protonotaire. Il a convenu que la décision datée du 17 août 2006 constituait une décision antérieure qui ne pouvait pas être contestée de façon indirecte en vertu de la présente procédure de contrôle judiciaire. La demanderesse a choisi d’examiner la décision du 19 décembre 2006 de Santé Canada, du 19 décembre 2006, laquelle ne tirait aucune conclusion quant à l’innocuité et l’efficacité de [omis]. La présentation a été rejetée parce qu’aucune donnée préclinique ou clinique n’avait été soumise, et parce qu’en fait, la PDN ne répondait pas aux exigences du Règlement.

 

Questions en litige

 

[17]           La demanderesse a soumis les questions suivantes à l’examen de la Cour :

            1.         Quelle est la norme de contrôle?

            2.         Le [omis] est-il une « drogue nouvelle » au sens de l’article C.08.001 a) du Règlement?

            3.         Les dispositions de l’article C.08.002 du Règlement prévoient-elles la présentation de données tirées d’essais cliniques dans le cadre d’une présentation de drogue nouvelle?

            4.         La décision de Santé Canada était-elle raisonnable?

            5.         Santé Canada a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers la demanderesse?

 

[18]           La deuxième question de la demanderesse n’a rien à voir avec la décision rendue le 19 décembre 2006. De plus, dans la décision Hospira I précitée, la Cour a statué que la cinquième question de la demanderesse est étrangère à la présente procédure de contrôle judiciaire. En conséquence, je reformulerais les questions en litige de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         Les dispositions de l’art. C.08.002 du Règlement rendent-elles obligatoire la présentation de données tirées d’essais cliniques dans le cadre d’une présentation de drogue nouvelle?

                        a.         Dans le cas contraire, le ministre a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’en tenant strictement à la politique d’exiger la présentation de données tirées d’essais cliniques?

            3.         La décision de Santé Canada était-elle raisonnable?

            4.         Le mandamus est-il un recours recevable?

 

 

 

Observations écrites de la demanderesse

 

[19]           La demanderesse soutient que les mots « données tirées d’essais cliniques » ou « précliniques » ne figurent pas à l’article C.08.002. Cet article accorde de la souplesse et confère au ministre le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour évaluer les rapports et les éléments de preuve présentés et juger s’ils étayent l’innocuité et l’efficacité. L’article C.08.003 autorise de plus le ministre à demander des renseignements supplémentaires.

 

[20]           La demanderesse soutient que lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est conféré au décideur, ce dernier ne peut en entraver l’exercice et ensuite invoquer, à l’encontre d’un contrôle judiciaire, l’immunité fondée sur la déférence que commande l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire (voir Delisle c. Canada (Procureur général), 298 F.T.R. 1, [2006] A.C.F. no 1230 (QL)).

 

[21]           La demanderesse soutient que Santé Canada a interprété l’article C.08.002 de façon restrictive et qu’il a posé en principe l’exigence de produire des données tirées d’essais cliniques, peu importe les circonstances. Un décideur ne peut invoquer des directives ou des politiques pour échapper à son obligation d’apprécier, au cas par cas, les faits et circonstances pertinents. Si cela se produit, le décideur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir Delisle, précité). En l’espèce, le fait que la PDN ait été rejetée sommairement témoigne de l’application aveugle d’une politique.

 

[22]           La demanderesse soutient que pour répondre au critère de raisonnabilité la décision doit être justifiée et le processus décisionnel empreint de transparence et d’intelligibilité. La décision n’est pas justifiée parce qu’elle repose sur l’application rigide d’une politique.

 

[23]           La demanderesse fait également valoir que la décision semble avoir été motivée par des préoccupations administratives pour éviter de créer un précédent en matière de dérogation aux politiques. La demanderesse soutient aussi que Santé Canada a préféré recevoir une observation des propriétaires initiaux du [omis]. Le recours à de telles stratégies internes constitue un exercice irrégulier d’un pouvoir décisionnel. Bien que l’on puisse prêter une certaine logique à des décisions fondées sur des considérations de commodité administrative, elles ne répondent pas à la norme de la décision raisonnable (voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, [2003] A.C.S.

n 28 (QL)).

 

[24]           La demanderesse soutient que la décision ne comporte pas non plus les attributs de l’intelligibilité, car Santé Canada savait qu’il ne serait pas éthique de répéter des essais cliniques conventionnels pour le [omis]. Exiger que de tels essais cliniques soient menés contrevient clairement à l’esprit du Règlement, soit la protection de la santé et de la sécurité du public canadien.

 

[25]           La demanderesse fait valoir que la décision ne fait pas partie des issues possibles acceptables, et ce, parce qu’elle a permis aux propriétaires initiaux d’établir un monopole sur le [omis], et qu’elle a aussi permis à son prix de doubler. Le législateur ne pouvait avoir souhaité que le Règlement soit interprété de façon à produire un tel résultat. Pour éviter d’en arriver là, trois mesures alternatives sont prévues dans le cadre du Règlement : (i) réexaminer la PDN sur le fond et délivrer un AC, (ii) réexaminer le bien-fondé de la PDN et délivrer un AC avec conditions (un AC(C)), suivant lequel la demanderesse présenterait des éléments de preuve additionnels au sujet de l’innocuité et de l’efficacité, ou (iii) réexaminer la PDN et établir des critères convaincants, précis et pragmatiques à l’égard d’éléments de preuve additionnels exigibles en matière d’innocuité et d’efficacité, ainsi qu’accorder à la demanderesse la possibilité de répondre. 

 

Observations écrites des défendeurs

 

[26]           Les défendeurs rappellent que la seule décision soumise au contrôle est celle du ministre, datée du 19 décembre 2006, rejetant la PDN de la demanderesse étant donné l’absence de données tirées d’essais cliniques et précliniques exigées par le Règlement. Notre Cour a déjà confirmé le cadre restreint de la présente demande de contrôle judiciaire (voir Hospira I, précité).

 

[27]           Les défendeurs ne croient pas que le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire aussi étendu que la demanderesse le laisse entendre. Dans  Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 (C.A.) (QL); confirmé par [1994] 3 R.C.S. 1100 (Apotex), le pouvoir discrétionnaire dont disposait le ministre en vertu du Règlement a été décrit comme étant « étroitement défini ». Lorsque le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire, la demanderesse soutient en l’espèce qu’il peut ou qu’il devrait tenir compte de facteurs tels que les coûts et les conditions de concurrence qui n’ont rien à voir avec l’innocuité et l’efficacité et qui, en conséquence, ne devraient avoir aucune incidence sur la décision du ministre quant à la façon dont il décide d’exercer son pouvoir discrétionnaire étroitement défini.

 

[28]           Les alinéas C.08.002(2)g) et h) prévoient clairement qu’il est nécessaire d’effectuer des essais cliniques en rapport avec une drogue nouvelle et qu’une PDN doit contenir des renseignements sur ces essais établissant à la satisfaction du ministre l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. Les termes « des preuves substantielles de l'efficacité clinique de la drogue nouvelle » utilisés à l’alinéa h) ne peuvent viser que des données illustrant les résultats d’essais cliniques conçus et réalisés afin d’établir l’efficacité de la drogue. La PDN de la demanderesse ne contenait aucun renseignement de cette nature et elle a donc été rejetée.

 

[29]           Les défendeurs font valoir que même si les dispositions législatives n’exigent pas spécifiquement de données cliniques, la décision du ministre suivant laquelle ces données sont implicitement nécessaires mérite certainement d’être traitée avec déférence. Le ministre est autorisé à prendre des décisions qui appartiennent à des issues possibles acceptables. Il est particulièrement raisonnable d’exiger des essais cliniques étant donné que le législateur a précisé que les renseignements devaient être suffisants pour permettre au ministre d’apprécier l’innocuité et l’efficacité de la drogue. La demanderesse semble reconnaître le bien-fondé de l’interprétation donnée par le ministre de ce que la loi exige. Plus particulièrement, la demanderesse sollicite de la Cour une ordonnance enjoignant au ministre de réexaminer sa présentation « quant au respect des exigences figurant à l’article C.08.002 (à l’exception toutefois de celles prévues aux alinéas g) et h) ».

 

[30]           Les défendeurs soutiennent que la demanderesse n’a pas rempli les conditions de délivrance d’un mandamus. Notamment, la demanderesse doit démontrer clairement qu'elle a le droit à l'exécution d'une obligation légale à caractère public qui existe envers elle au moment du procès. La demanderesse n’a porté à l’attention de la Cour aucune affaire dans laquelle un ministre avait été tenu de délivrer un AC en vertu d’un  mandamus sans qu’il soit convaincu de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue.  La demanderesse n’a pas non plus démontré que le ministre est tenu de procéder à un examen en se conformant à des conditions précises. Aucune disposition législative n’autorise le ministre à ne pas tenir compte des alinéas C.08.002(2)g) et h), comme la demanderesse le requiert. Une ordonnance de mandamus ne peut forcer un fonctionnaire à agir d’une manière donnée si ce dernier n’est pas tenu d’agir à la date de l’audience.

 

[31]           Enfin, les défendeurs font valoir que le mandamus est avant tout un recours discrétionnaire et qu’un juge peut refuser de l’accorder lorsque les risques possibles pour la santé et la sécurité publiques sont plus importants que le droit d'un individu de protéger ses intérêts personnels ou économiques (Apotex, précité, au paragraphe 101).

 

 

Analyse et décision

 

[32]           Question 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Il existe une présomption suivant laquelle y a lieu d’appliquer le critère de la décision raisonnable, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une question de fait, de pouvoir discrétionnaire ou de politique. La déférence est également de mise lorsque le décideur interprète et applique sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [2008] A.C.S. no 9 (QL), Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] A.C.S. no 12 (QL), au paragraphe 25).

 

[33]           Suivant la jurisprudence de la Cour, les décisions de Santé Canada portant sur des questions de fait et sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire visé par le Règlement (partie  C) commandent la déférence de la Cour (voir Technologies pharmaceutiques canadien international (C.P.T.) Inc. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 708, [2006] A.C.F. no 906 (QL), aux paragraphes 11 à 17). D’ailleurs, l’innocuité et l’efficacité d’une drogue nouvelle est une question que le législateur a laissé au ministre le soin de trancher. Ainsi, le caractère raisonnable est la norme appropriée aussi bien en ce qui concerne l’interprétation que le ministre fait du Règlement qu’en ce qui a trait à la décision finale du ministre à l’égard d’une PDN.

 

[34]           Question 2

            Les dispositions de l’art. C.08.002 du Règlement rendent-elles obligatoire la présentation de données tirées d’essais cliniques dans le cadre d’une présentation de drogue nouvelle?

La portée exacte du présent contrôle judiciaire

            Il existe un certain désaccord quant à la portée du présent contrôle judiciaire. Bien que la demanderesse souhaite examiner la décision de décembre 2006 rejetant sa PDN, elle souhaite également examiner la décision antérieurement prise par Santé Canada suivant laquelle le [omis] était une « drogue nouvelle » au sens du Règlement. La demanderesse tente également de contester de façon incidente la décision de Santé Canada, datée du 19 août 2006, de ne pas définir des critères propres à la PDN de la demanderesse pour le [omis] et, au contraire, de revenir à sa politique habituelle d’exiger des essais cliniques indépendants. Les défendeurs font valoir que la portée de la présente demande devrait être limitée à l’examen de la décision prise le 19 décembre 2006.

 

[35]           À mon avis, la portée du présent contrôle judiciaire est à juste titre limitée à la décision du 19 décembre 2006. En effet, notre Cour s’est déjà prononcée sur cette question dans

Hospira  I, affaire dans laquelle le juge Beaudry a maintenu la décision de la protonotaire suivant laquelle les documents de Santé Canada concernant la décision du 17 août 2006, l’innocuité et l’efficacité de la drogue ainsi que l’admissibilité de la drogue au PAS étaient sans rapport avec la décision rendue le 19 décembre 2006. La protonotaire s’est exprimée en ces termes :

[traduction]

[…]  ayant choisi de contester une décision, la demanderesse, à mon avis, ne peut se fonder sur les motifs du contrôle pour étendre la portée de la décision, y greffer d’autres décisions, ou utiliser les motifs du contrôle d’une décision contestée pour en attaquer une autre de façon incidente.

 

[…]

 

Les allégations de manquements à l’équité procédurale sont invoquées à l’égard d’un facteur n’ayant aucun lien avec l’affaire […]

 

Bien que je ne sois pas lié par les décisions rendues antérieurement, j’y souscris ainsi qu’à leurs conclusions.

 

[36]           Je vais maintenant examiner la décision du 19 décembre 2006 (le rejet de la PDN). Dans sa lettre de rejet, Santé Canada déclarait que la PDN était rejetée au stade de l’examen préliminaire en raison du défaut de la demanderesse de se conformer au Règlement. La lettre fait ensuite état de l’absence de donnée préclinique ou clinique et du fait que seules des publications avaient été déposées. Je reproduis les passages pertinents :

[traduction]

Conformément à l’article 5.4.2 des directives, nous vous informons, par la présente, que la présentation de drogue nouvelle pour [omis] est considérée comme rejetée sans qu’il ne soit porté atteinte au droit de déposer une nouvelle présentation.

 

Suite à l’examen préliminaire des renseignements et documents présentés, il a été jugé que la présentation ne répondait pas aux exigences du Règlement sur les aliments et drogues. Aucune solution n’a été proposée aux questions ou préoccupations suivantes :

 

1.   […] aucune donnée préclinique ou clinique n’a été fournie […]

 

 

[37]           Je vais citer le texte précis des dispositions législatives applicables à la présente demande. La Partie C du Règlement sur les aliments et drogues traite des drogues. Je reproduis

l’article C.08.002 :

C.08.002. (1) Il est interdit de vendre ou d'annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle que celui-ci juge acceptable;

b) le ministre a, aux termes de l'article C.08.004, délivré au fabricant de la drogue nouvelle un avis de conformité relativement à la présentation de drogue nouvelle ou à la présentation abrégée de drogue nouvelle;

c) l'avis de conformité relatif à la présentation n'a pas été suspendu aux termes de l'article C.08.006;

d) le fabricant de la drogue nouvelle a présenté au ministre, sous leur forme définitive, des échantillons des étiquettes—y compris toute notice jointe à l'emballage, tout dépliant et toute fiche sur le produit—destinées à être utilisées pour la drogue nouvelle, ainsi qu'une déclaration indiquant la date à laquelle il est prévu de commencer à utiliser ces étiquettes.

(2) La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d'évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

 

[…]

 

g) les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d'établir l'innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d'emploi recommandés;

 

h) des preuves substantielles de l'efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d'emploi recommandés;

 

[…]

 

(Non souligné dans l’original)

 

 

[38]           Il ressort du rejet de la PDN que, selon Santé Canada, le Règlement exige de joindre à la PDN des données précliniques et cliniques. Le ministre défendeur maintient sa position et affirme que, même si le Règlement n’exige pas explicitement des données précliniques et cliniques, il les requiert à tout le moins implicitement.

 

[39]           La demanderesse fait valoir au contraire que l’article C.08.002 n’exige pas la production de données provenant d’essais précliniques et cliniques. Il est plutôt prévu, en vertu de l’article C.08.002(2)g), que la PDN ne doit contenir que des « rapports détaillés » des épreuves effectuées pour contrôler l’innocuité et, en vertu de l’article C.08.002(2)h), que des « preuves substantielles » de l’efficacité clinique. La demanderesse soutient que le libellé explicite du Règlement donne au ministre une latitude considérable sur ce qu’il lui est loisible d’accepter comme éléments de preuve de l’innocuité et de l’efficacité d’une drogue. Elle affirme que cette souplesse qui lui est accordée dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire a été entravée indûment par l’application d’une politique de Santé Canada exigeant la production de données précliniques et cliniques.

 

[40]           Ni la demanderesse ni les défendeurs n’évoquent l’examen judiciaire des dispositions précitées.

 

[41]           Selon l’arrêt Dunsmuir précité, il est reconnu que la norme de la décision raisonnable et le principe de la déférence s’appliquent à l’interprétation, par un tribunal, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes. Le juge Binnie a formulé ce principe dans l’arrêt Khosa :

[25] […] Dans Dunsmuir, notre Cour a reconnu que, sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires.  Cette déférence s’étend non seulement aux questions touchant aux faits et à la politique, mais aussi à l’interprétation, par le tribunal administratif, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes étant donné « qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution, et que la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, par. 41).  Le principe de la déférence

« reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » (Dunsmuir, par. 49, citant le professeur David J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93). […]

 

 

[42]           En ce qui concerne l’application de la norme de la décision raisonnable lors de l’analyse d’une question d’interprétation législative, le juge Binnie a ajouté :

[44] […] Selon l’arrêt Dunsmuir (au par. 54), un décideur spécialisé ne commet pas d’erreur de droit justifiant une intervention si son interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée est raisonnable […]

 

(Non souligné dans l’original)

 

[43]           À mon avis, bien que l’interprétation que la demanderesse fait du Règlement puisse avoir un certain fondement, l’avis du ministre défendeur suivant lequel des données précliniques et cliniques sont implicitement requises constitue certainement une interprétation raisonnable du Règlement qui appartient aux issues possibles acceptables.

 

[44]           La position du ministre exigeant de produire des données précliniques et cliniques est renforcée lorsqu’on tient compte du fait que le législateur a précisé que la présentation doit contenir des renseignements suffisants pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. 

 

[45]           En effet, la demanderesse semble reconnaître le caractère raisonnable de l’interprétation que le ministre fait du Règlement. Dans son avis de demande, la demanderesse sollicite une ordonnance de notre Cour enjoignant au ministre de réexaminer sa PDN « quant au respect des exigences figurant à l’article C.08.002 (à l’exclusion toutefois decelles prévues aux alinéas g) et h) ». La demanderesse cherche manifestement à obtenir une exception à l’application de ce qui peut être vu comme étant les exigences spécifiquement prévues aux alinéas C.08.002(2)g) et h), sachant probablement que sans cette exception, sa PDN ne pourrait être jugée satisfaisante.

 

[46]           La décision contestée devrait donc être confirmée et elle ne devrait pas être modifiée en appliquant la norme de la décision raisonnable à l’interprétation que le ministre fait de sa loi habilitante et de ses règlements d’application.

 

[47]           Bien qu’il soit possible de trancher le présent pourvoi sur le fondement du caractère raisonnable de l’interprétation donnée au Règlement par le ministre, je vais poursuivre l’examen du bien-fondé des autres arguments soumis par la demanderesse. En particulier, je crois que l’exposé de la présente affaire commande une analyse des préoccupations procédurales exprimées par la demanderesse sur l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

[48]           Même si l’interprétation du ministre suivant laquelle il est nécessaire de produire des données précliniques et cliniques était jugée déraisonnable, le ministre dispose à tout le moins, en vertu de règlement, du pouvoir discrétionnaire de demander qu’une PDN contienne des données cliniques. La demanderesse soutient que le ministre a entravé l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en exigeant de produire des données cliniques dans toutes les situations, pour des raisons de politique générale, et cela, sans tenir compte de la situation de la demanderesse. 

 

[49]           La demanderesse soutient néanmoins que lorsqu’un pouvoir discrétionnaire est accordé à un décideur, ce dernier ne peut entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en invoquant une politique à laquelle il croit être lié. Si une telle situation se produit, le décideur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir Delisle précité).

 

[50]           Pour exposer un principe général en matière de droit administratif, l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une commission administrative ou d’un tribunal administratif ne peut être entravé par l’application d’une politique interne de façon mécanique. La question à trancher n’est pas de savoir si la politique a eu une incidence sur la décision, mais plutôt de savoir si le décideur tenait la politique pour obligatoire ou si celle-ci était concluante, sans qu’il soit nécessaire de prendre en compte d’autres facteurs, dont celui de déterminer si elle devrait être appliquée aux circonstances exceptionnelles de l'espèce (Voir Brown, Donald J. M. et John M. Evans, “Judicial Review of Administrative Action in Canada”, Toronto : Canvasback, 1998 (feuilles mobiles mises à jour jusqu’en juillet 2008, à 12 h 44).

 

[51]           Dans Delisle précité, plusieurs patients ont présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un directeur en application du PAS de Santé Canada. Cette décision a eu pour effet de modifier une politique pour que cesse progressivement l’accès à une drogue donnée via le PAS. Le juge Lemieux a conclu que le Règlement conférait au directeur une grande latitude pour délivrer des autorisations d’accès spécial au cas par cas. La nouvelle politique entravait illégalement ce pouvoir discrétionnaire parce que, bien qu’elle autorisait l’accès à la drogue en certaines circonstances, elle ne permettait pas de tenir compte de facteurs humanitaires et empêchait en réalité les nouveaux patients d’avoir accès à la drogue. De l’avis du juge Lemieux,  la mise en application d’une modification à une politique du PAS respectait les limites de la balance que le législateur avait tenté d’établir en créant le programme PAS. (voir Delisle au paragraphe 173).

 

[52]           Dans Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 452, [2009] A.C.F. no 577 (QL) (Apotex 2009), le juge Phelan examinait une question semblable. La PADN qu’Apotex avait soumise pour de l’aspirine avait été rejetée par le ministre parce que les données recueillies lors des deux essais cliniques en cause ne satisfaisaient pas aux normes du ministre qui étaient énoncées dans les lignes directrices publiées par Santé Canada. Apotex défendait son médicament, en faisant valoir que c’était le médicament de référence déficient qui était la cause des erreurs relevées. Un an plus tard, lors du réexamen, Santé Canada a confirmé ce rejet. Apotex a alors accusé le ministre d’avoir entravé son pouvoir discrétionnaire en adhérant rigoureusement aux lignes directrices. Le juge Phelan a exprimé son désaccord et a d’abord conclu que les lignes directrices qui avaient été publiées prévoyaient des exceptions et, en second lieu, que le ministre avait analysé les arguments d’Apotex et lui avait fait expressément part de ses réserves. Au paragraphe 35, il déclare :

Il n’est pas déraisonnable ni intransigeant de la part du ministre d’exiger le respect des lignes directrices en l’absence d’une indication claire que l’utilisation d’une autre approche est justifiée.

 

 

 

[53]           En l’espèce, il ressort à l’évidence du dossier que la décision d’exiger de la demanderesse de produire des données cliniques (si le Règlement ne l’exigeait pas) n’a pas été prise le 19 décembre 2006, mais qu’elle l’a été avant la lettre de Santé Canada du 17 août 2006. Comme je l’ai déjà mentionné, la demanderesse ne peut attaquer la décision du 17 août 2006 dans le cadre du présent contrôle judiciaire, parce que, comme il a été souligné dans Hospira I, les décisions du 17 août 2006 et du 19 décembre 2006 sont des décisions distinctes.

 

[54]           Même si l’on considère que la décision du 17 août 2006 et celle du 19  décembre  2006 sont à ce point liées qu’elles devraient faire l’objet d’un examen conjoint, l’argument que le ministre a entravé son pouvoir discrétionnaire ne peut être accepté. Il ressort du dossier que, tout comme dans l’affaire Apotex de 2009 précitée, la situation particulière de la demanderesse a été examinée à fond avant que le ministre décide finalement d’appliquer sa politique et exige des données cliniques. La demanderesse allègue avoir consulté Santé Canada pendant 22 mois pour savoir si celui-ci pouvait accepter d’autres critères en ce qui concerne sa PDN. En fin de compte, Santé Canada a décidé de ne pas définir et de ne pas accepter d’autres critères. Il n’est pas loisible à la demanderesse de prétendre maintenant que l’on n’a pas tenu compte de sa situation personnelle ou que le ministre était légalement tenu de faire une exception.

 

[55]           Il n’y a pas eu non plus de violation de l’équité procédurale étant donné que la procédure normale de Santé Canada exigeait des données cliniques, et que la demanderesse avait reçu un préavis explicite et suffisant l’informant que des données cliniques seraient exigées avant la présentation de sa PDN.

 

[56]           Question 3

            La décision du ministre défendeur de rejeter la PDN de la demanderesse était-elle raisonnable?

            La demanderesse soutient que la décision était injustifiée parce qu’elle reposait sur une application stricte d’une politique. La décision s’appuyait en réalité sur le fait que la demanderesse ne s’était pas conformée aux dispositions du Règlement, et ce même motif la justifie aisément.  

 

[57]           La demanderesse soutient que la décision manque de transparence parce qu’elle était fondée sur des motifs de politique interne. Cet argument renvoie toutefois à la décision du 17 août 2006, qui encore une fois n’est pas visée par le présent contrôle judiciaire. La demanderesse n’a pas analysé la façon dont la décision du 19 décembre 2006 manquait de transparence. 

 

[58]           La demanderesse soutient que la décision n’est pas suffisamment intelligible étant donné que Santé Canada savait qu’il serait problématique d’exiger des données cliniques pour [omis]. Encore là, cet argument vise à contester la décision du 17 août 2006, laquelle exigeait des données cliniques pour [omis].

 

[59]           Enfin, la demanderesse soutient que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables parce qu’elle a eu comme résultat de conférer aux propriétaires initiaux le monopole de la distribution de la drogue au Canada, permettant ainsi à son prix de doubler. 

 

[60]           Je ne crois pas que la décision n’appartienne pas aux issues possibles acceptables. Bien que les monopoles présentent certains aspects indésirables, en adoptant le Règlement sur les aliments et drogues, le législateur doit avoir pris en compte la possibilité que certaines décisions prises par Santé Canada donnent lieu à l’établissement de tels monopoles et il a accepté cette possibilité.

 

[61]           Compte tenu des conclusions que j’ai tirées, je n’ai pas à me pencher sur la question de savoir si le mandamus aurait été un recours recevable.

 

[62]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.

 


 

JUGEMENT

 

[63]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens en faveur des défendeurs.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente annexe.

 

Le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, tel que modifié :

 

C.08.002. (1) Il est interdit de vendre ou d'annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

 

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle que celui-ci juge acceptable;

 

b) le ministre a, aux termes de l'article C.08.004, délivré au fabricant de la drogue nouvelle un avis de conformité relativement à la présentation de drogue nouvelle ou à la présentation abrégée de drogue nouvelle;

 

c) l'avis de conformité relatif à la présentation n'a pas été suspendu aux termes de l'article C.08.006;

 

d) le fabricant de la drogue nouvelle a présenté au ministre, sous leur forme définitive, des échantillons des étiquettes—y compris toute notice jointe à l'emballage, tout dépliant et toute fiche sur le produit—destinées à être utilisées pour la drogue nouvelle, ainsi qu'une déclaration indiquant la date à laquelle il est prévu de commencer à utiliser ces étiquettes.

 

(2) La présentation de drogue nouvelle doit contenir suffisamment de renseignements et de matériel pour permettre au ministre d'évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue nouvelle, notamment :

 

a) une description de la drogue nouvelle et une mention de son nom propre ou, à défaut, de son nom usuel;

 

 

b) une mention de la marque nominative de la drogue nouvelle ou du nom ou code d'identification projeté pour celle-ci;

 

c) la liste quantitative des ingrédients de la drogue nouvelle et les spécifications relatives à chaque ingrédient;

 

 

d) la description des installations et de l'équipement à utiliser pour la fabrication, la préparation et l'emballage de la drogue nouvelle;

 

e) des précisions sur la méthode de fabrication et les mécanismes de contrôle à appliquer pour la fabrication, la préparation et l'emballage de la drogue nouvelle;

 

f) le détail des épreuves qui doivent être effectuées pour contrôler l'activité, la pureté, la stabilité et l'innocuité de la drogue nouvelle;

 

g) les rapports détaillés des épreuves effectuées en vue d'établir l'innocuité de la drogue nouvelle, aux fins et selon le mode d'emploi recommandés;

 

h) des preuves substantielles de l'efficacité clinique de la drogue nouvelle aux fins et selon le mode d'emploi recommandés;

 

 

i) la déclaration des noms et titres professionnels de tous les chercheurs à qui la drogue nouvelle a été vendue;

 

j) une esquisse de chacune des étiquettes qui doivent être employées relativement à la drogue nouvelle;

 

k) la déclaration de toutes les recommandations qui doivent être faites dans la réclame pour la drogue nouvelle, au sujet

 

(i) de la voie d'administration recommandée pour la drogue nouvelle,

 

(ii) de la posologie proposée pour la drogue nouvelle,

 

(iii) des propriétés attribuées à la drogue nouvelle,

(iv) des contre-indications et les effets secondaires de la drogue nouvelle;

 

l) la description de la forme posologique proposée pour la vente de la drogue nouvelle;

 

m) les éléments de preuve établissant que les lots d'essai de la drogue nouvelle ayant servi aux études menées dans le cadre de la présentation ont été fabriqués et contrôlés d'une manière représentative de la production destinée au commerce;

 

n) dans le cas d'une drogue nouvelle destinée à être administrée à des animaux producteurs de denrées alimentaires, le délai d'attente applicable.

 

(3) Le fabricant de la drogue nouvelle doit, à la demande du ministre, lui fournir, selon ce que celui-ci estime nécessaire pour évaluer l'innocuité et l'efficacité de la drogue dans le cadre de la présentation de drogue nouvelle, les renseignements et le matériel suivants :

 

a) les nom et adresse des fabricants de chaque ingrédient de la drogue nouvelle et les nom et adresse des fabricants de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

 

b) des échantillons des ingrédients de la drogue nouvelle;

 

c) des échantillons de la drogue nouvelle sous sa forme posologique proposée pour la vente;

 

d) tout renseignement ou matériel supplémentaire se rapportant à l'innocuité et à l'efficacité de la drogue nouvelle.

 

C.08.002. (1) No person shall sell or advertise a new drug unless

 

 

 

(a) the manufacturer of the new drug has filed with the Minister a new drug submission or an abbreviated new drug submission relating to the new drug that is satisfactory to the Minister;

 

(b) the Minister has issued, pursuant to section C.08.004, a notice of compliance to the manufacturer of the new drug in respect of the new drug submission or abbreviated new drug submission;

 

 

(c) the notice of compliance in respect of the submission has not been suspended pursuant to section C.08.006; and

 

(d) the manufacturer of the new drug has submitted to the Minister specimens of the final version of any labels, including package inserts, product brochures and file cards, intended for use in connection with that new drug, and a statement setting out the proposed date on which those labels will first be used.

 

 

 

(2) A new drug submission shall contain sufficient information and material to enable the Minister to assess the safety and effectiveness of the new drug, including the following:

 

 

(a) a description of the new drug and a statement of its proper name or its common name if there is no proper name;

 

(b) a statement of the brand name of the new drug or the identifying name or code proposed for the new drug;

 

 

(c) a list of the ingredients of the new drug, stated quantitatively, and the specifications for each of those ingredients;

 

(d) a description of the plant and equipment to be used in the manufacture, preparation and packaging of the new drug;

 

 

(e) details of the method of manufacture and the controls to be used in the manufacture, preparation and packaging of the new drug;

 

 

(f) details of the tests to be applied to control the potency, purity, stability and safety of the new drug;

 

 

(g) detailed reports of the tests made to establish the safety of the new drug for the purpose and under the conditions of use recommended;

 

(h) substantial evidence of the clinical effectiveness of the new drug for the purpose and under the conditions of use recommended;

 

(i) a statement of the names and qualifications of all the investigators to whom the new drug has been sold;

 

(j) a draft of every label to be used in conjunction with the new drug;

 

 

(k) a statement of all the representations to be made for the promotion of the new drug respecting

 

(i) the recommended route of administration of the new drug,

 

 

(ii) the proposed dosage of the new drug,

 

(iii) the claims to be made for the new drug, and

(iv) the contra-indications and side effects of the new drug;

 

 

(l) a description of the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold;

 

(m) evidence that all test batches of the new drug used in any studies conducted in connection with the submission were manufactured and controlled in a manner that is representative of market production; and

 

 

(n) for a drug intended for administration to food-producing animals, the withdrawal period of the new drug.

 

 

(3) The manufacturer of a new drug shall, at the request of the Minister, provide the Minister, where for the purposes of a new drug submission the Minister considers it necessary to assess the safety and effectiveness of the new drug, with the following information and material:

 

(a) the names and addresses of the manufacturers of each of the ingredients of the new drug and the names and addresses of the manufacturers of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold;

(b) samples of the ingredients of the new drug;

 

 

(c) samples of the new drug in the dosage form in which it is proposed that the new drug be sold; and

 

 

(d) any additional information or material respecting the safety and effectiveness of the new drug.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-116-07

 

INTITULÉ :                                     LA CORPORATION DE SOINS DE SANTÉ              HOSPIRA

 

                                                            - et –

 

                                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

            LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 septembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’KEEFE

 

DATE :                                               Le 25 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Susan D. Beaubien

 

POUR LA DEMANDERESSE

F. B. Woyiwada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Macera & Jarzyna, LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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