Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Federal Court

 

Cour fédérale


 

 

 

Date : 20100316

Dossier : T-819-09

Référence : 2010 CF 299

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

THOMAS BEARSS

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 22 avril 2009 par laquelle un arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a fait droit au grief de rémunération d’intérim du défendeur contre son employeur et a ordonné le rajustement du taux de rémunération annuel du défendeur rétroactivement au 1er juillet 2005, soit de 91 233 $ à 94 873 $.

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               Le défendeur, M. Thomas Bearss, est un fonctionnaire à la retraite qui a été au service du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Le demandeur représente l’employeur de M. Bearss. L’employeur a recalculé le taux de rémunération de M. Bearss à la suite de la conversion de son poste intérimaire à un niveau de classification supérieur, conformément au « Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique » (ci-après appelé le RCEFP ou la Politique). Cette politique a été intégrée à la convention collective régissant l’emploi de M. Bearss. Ce dernier a déposé un grief pour contester le recalcul de sa rémunération d’intérim et l’arbitre lui a donné gain de cause. Le demandeur souhaite maintenant que la décision de l’arbitre soit soumise à un contrôle judiciaire.

 

[3]               Les parties ont soumis à l’arbitre un exposé conjoint des faits. Les paragraphes pertinents qui exposent les faits à l’origine du litige sont les suivants :

[traduction
Introduction

Le présent grief a trait au taux de rémunération FS‑4 intérimaire auquel le plaignant a eu droit à compter du 1er juillet 2005.

Contexte

1. M. Thomas Bearss avait le niveau de titularisation CO‑02;

2. il est entré au service de la fonction publique le 19 février 1973;

3. il a travaillé pour Revenu Canada/Douanes et a d’abord servi à l’étranger à titre de représentant/attaché des douanes à CNGNI de 1975 à 1978;

4. en septembre 1988, il s’est joint au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) dans le cadre d’un détachement du ministère des Finances, où il travaillait à titre d’économiste ES‑5 à la Direction des finances et des échanges internationaux; le travail était toutefois semblable et équivalent à celui que faisaient les délégués commerciaux FS‑02 au sein de la Direction;

5. en février 1992, il a été muté au MAECI à titre de CO‑2 et il a continué d’exécuter les fonctions de délégué commercial FS‑02;

6. le 29 août 1998, il a été muté à Port of Spain (Trinidad) à titre de conseiller commercial – Même s’il occupait un poste FS‑2, il a continué de toucher la rémunération d’un CO‑2 car le taux de rémunération maximal du niveau CO‑2 était supérieur au taux de rémunération maximal du niveau FS‑2;

7. en 2001-2002, pendant une période de 8 mois, M. Bearss a occupé le poste de haut-commissaire intérimaire, un poste de niveau EX‑3;

8. à l’été de 2002, le groupe FS a signé une nouvelle convention collective, qui s’est soldée par une nouvelle structure de rémunération donnant lieu, pour les FS‑2, à un taux de rémunération maximal supérieur à celui des CO‑2; de ce fait, il a commencé à toucher une rémunération de FS‑2 intérimaire;

9. le 25 août 2002, M. Bearss a été muté à Buffalo à titre de consul/premier délégué commercial, un poste de niveau FS‑2 qu’il a occupé jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite le 29 août 2006;

10. par suite d’une conversion du groupe FS survenue le 1er juillet 2005, tous les postes de titularisation FS‑2 ont été convertis au niveau FS‑3;

11. le même jour, soit le 1er juillet 2005, le poste d’affectation de consul/premier délégué commercial a été converti du niveau FS‑2 au niveau FS‑4, conseiller principal DI, Étranger; à ce titre, il avait droit à une rémunération de FS‑4 intérimaire;

12. le taux de rémunération de FS‑4 intérimaire de M. Bearss, en date du 1er juillet 2005, a été recalculé à partir de son taux de rémunération au niveau de titularisation CO‑2, soit 84 908 $, en ajoutant l’augmentation d’échelon la plus faible de l’échelle des taux applicables au niveau FS‑4 (3 508 $) et en situant le taux de rémunération dans l’échelle du niveau FS‑4 qui était la plus proche de 88 416 $ (84 908 $ + 3 508 $), mais non inférieure à ce montant;

13. le 1er août 2005, son taux de rémunération a été majoré d’un échelon à 94 873 $;

14. des collègues, qui se situaient au niveau de titularisation FS‑02 avant la conversion (contrairement à M. Bearss, qui se situait au niveau de titularisation CO‑02) ont été convertis au niveau FS‑03. Pour les employés qui se situaient au niveau de titularisation FS‑03, le taux de rémunération applicable à un poste d’affectation au taux du niveau FS‑04 a été calculé à partir du salaire du niveau de titularisation FS‑03, ce qui, après application de la règle de promotion, a donné lieu à un taux FS‑04 intérimaire de 94 873 $, soit un échelon de plus que le taux FS‑4 intérimaire de 91 223 $ obtenu par M. Bearss;

15. M. Bearss a déposé un grief le 4 novembre 2005. Voir le formulaire de grief ci-joint.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[4]               Dans une décision de douze pages, l’arbitre a conclu que l’employeur s’était trompé et il a ordonné que le taux de rémunération annuel de M. Bearss soit haussé de 91 223 $ à 94 873 $, rétroactivement au 1er juillet 2005. Selon la décision visée par le présent contrôle judiciaire, M. Bearss avait droit à une augmentation annuelle additionnelle de 3 650 $. Il a pris sa retraite en 2006.

 

[5]               M. Bearss a fait valoir que l’employeur a mal calculé sa rémunération d’intérim à compter de la date où son poste intérimaire a été converti du niveau FS‑2 au niveau FS-4. Il a ajouté que l’employeur s’est trompé en ne tenant pas compte de la conversion des niveaux de « titularisation » FS‑2 à FS‑3, survenue elle aussi le 1er juillet 2005.

 

[6]               Le 1er juillet 2005, l’employeur a recalculé la rémunération d’intérim du défendeur en se reportant à la classification de titularisation de ce dernier - CO‑2 - conformément aux articles 24 et 26, à l’article 46B) et au sous-alinéa 46E)b)(ii) de la Politique. De ce fait, M. Bearss a touché une rémunération d’intérim inférieure à celle de ses collègues de niveau FS‑2, lesquels se situaient au niveau de « titularisation » FS‑2 quand leur poste a été converti au niveau FS‑3 le 1er juillet 2005, mais qui étaient des FS‑4 intérimaires.

 

[7]               L’argument principal que M. Bearss a invoqué devant l’arbitre était que le demandeur a commis une erreur en appliquant les articles 24 et 26, l’article 46B), et le sous-alinéa 46E)b)(ii) de la Politique pour recalculer son taux de rémunération car les deux facteurs suivants n’étaient pas présents :

1.      le demandeur n’avait pas été « nommé » le 1er juillet 2005; il occupait plutôt le même poste qu’il occupait depuis le 25 août 2002;

2.      le demandeur n’était pas tenu d’« exécuter d’autres fonctions ».

 

M. Bearss est donc d’avis que le demandeur aurait dû recalculer sa rémunération d’intérim en se reportant à l’article 46C), qui obligeait à recalculer la rémunération en tenant compte de la conversion de l’affectation intérimaire de M. Bearss à un niveau de titularisation.

 

[8]               L’arbitre a conclu que la Politique faisait partie intégrante de la convention collective et que, cela étant, il était compétent pour l’interpréter et décider si l’employeur l’avait appliquée correctement.

 

[9]               L’arbitre a fait remarquer que si M. Bearss avait été affecté à un nouveau poste, ou si ses fonctions avaient changé, la méthode de recalcul du demandeur aurait été exacte.

 

[10]           L’arbitre a conclu qu’entre 2002 et le 30 juin 2005, M. Bearss a été traité [traduction] « d’une manière conforme au RCEFP […] dans la mesure où l’on a tenu compte de son taux de rémunération, comme s’il était un FS‑02 ». Le 1er juillet 2005, deux faits se sont conjugués pour donner naissance aux circonstances de la présente espèce, lesquelles, de l’avis de l’arbitre, ont fait en sorte que les articles 24, 26, et 46B) et le sous-alinéa 46E)b)(ii) de la Politique, étaient inapplicables :

1.      le poste de consul/premier délégué commercial a été converti du niveau FS‑2 au niveau FS‑4;

2.      les FS‑2 de titularisation ont été convertis au niveau FS‑3, mais ils étaient des FS‑4 intérimaires.

 

[11]           En analysant les motifs de décision de l’arbitre, la Cour conclut que l’arbitre a tiré six conclusions distinctes :

 

1.                  le paragraphe 24(2) de la Politique ne s’appliquait que si M. Bearss avait été promu. Le 1er juillet 2005, M. Bearss a poursuivi son affectation sans changement de fonctions. De ce fait, il n’a pas été promu;

2.                  le paragraphe 26(2) de la Politique ne s’applique pas parce que M. Bearss n’a pas été « nommé » à un nouveau poste. Le 1er juillet 2005, il a conservé exactement le même poste que celui auquel il avait été nommé le 25 août 2002;

3.                  le sous-alinéa 46E)b)(i) de la Politique ne s’applique pas parce que M. Bearss n’était pas tenu d’« exécuter d’autres fonctions ». Il s’agit là d’une condition préalable à l’application de cette disposition;

4.                  l’article 46B) de la Politique ne s’applique pas parce que M. Bearss n’a pas été « muté » ou « nommé » à un nouveau poste. Il a conservé le poste auquel il avait été nommé le 25 août 2002;

5.                  l’alinéa 46C)2) de la Politique s’applique car il prévoit que les employés occupant un poste intérimaire ont droit « aux révisions salariales du niveau de classification supérieur »;

6.                  les collègues de M. Bearss qui occupaient un poste semblable au sien touchaient, à leur poste de niveau FS-4, une rémunération d’intérim de 94 873 $, plutôt que la somme de 91 223 $ que recevait M. Bearss. L’arbitre a conclu que l’employeur n’avait pas appliqué correctement la Politique dans ce cas précis. Au paragraphe 14 de l’exposé conjoint des faits, les parties ont reconnu que les collègues de M. Bears touchaient ce niveau de rémunération plus élevé aux postes intérimaires de niveau FS‑4 qu’ils occupaient.

 

[12]           L’arbitre a donc fait droit au grief et il a ordonné que le taux de rémunération annuel du défendeur soit rajusté, rétroactivement au 1er juillet 2005, jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en 2006.

 

LA POLITIQUE ET LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[13]           La présente demande oblige à interpréter certaines dispositions du Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique, qui fait partie d’un certain nombre de politiques publiées par le Conseil du Trésor et intégrées à la convention collective régissant l’emploi de M. Bearss.

 

[14]           La Politique définit comme suit les termes « mutation », « affectation intérimaire », « niveau de classification supérieur » et « niveau de titularisation :

mutation signifie l’affectation d’un fonctionnaire à un autre poste en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique;

[…]

affectation intérimaire désigne la situation de l’employé qui doit remplir temporairement les fonctions d’un niveau de classification supérieur pendant au moins la période d’admissibilité prévue dans la convention collective applicable ou dans les conditions d’emploi applicables à son niveau de titularisation;

[…]

niveau de classification supérieur, dans le cadre d’une affectation intérimaire, désigne le niveau dont le taux maximal de rémunération annuelle dépasse celui du niveau de titularisation de l’employé;

[…]

niveau de titularisation désigne le groupe et le niveau auxquels l’employé a été nommé ou muté en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, autre que dans une situation d’affectation intérimaire;

[15]           Les articles 22, 23, 24 et 26 du RCEFP décrivent la façon de calculer le taux de rémunération d’un employé au moment de sa nomination ou de sa promotion :

Taux de rémunération à la nomination ou mutation

22. Sous réserve du présent règlement et de tout autre édit du Conseil du Trésor, le taux de rémunération d’une personne nommée à un service de la partie I doit être le taux minimum applicable au poste auquel elle accède.

23. Le taux de rémunération à la nomination ou mutation d’un employé, d’un fonctionnaire, d’un membre de la Gendarmerie royale du Canada ou des Forces armées canadiennes à un poste auquel le présent règlement s’applique, doit être établi en conformité avec les règles régissant la promotion, la mutation et mutation par nomination ou la rétrogradation, selon le cas.

Taux de rémunération à la promotion

24.1) La nomination d’un employé désigné à l’article 23 constitue une promotion lorsque le taux de rémunération maximal applicable au poste auquel cette personne est nommée dépasse le taux de rémunération maximal applicable au niveau de titularisation de l’employé avant cette nomination :

a. d’un montant au moins égal à la plus faible augmentation prévue pour le poste auquel elle est nommée, lorsque le poste comporte plus d’un taux de rémunération; ou

b. d’un montant au moins égal à quatre pour cent du taux maximal pour le poste qu’elle occupait immédiatement avant cette nomination, lorsque le poste auquel elle est nommée ne comporte qu’un seul taux de rémunération.

24.2) Sous réserve des articles 27 et 28, à la promotion, le taux de rémunération sera le taux le plus proche du taux de rémunération auquel l’employé avait droit à son niveau de titularisation immédiatement avant la nomination qui lui vaut une augmentation tel que le stipule le paragraphe 1) du présent article; ou d’un montant au moins égal à quatre pour cent du taux maximal pour le poste auquel il est nommé, lorsque la rémunération du poste auquel se fait la nomination est fondée sur le rendement.

[…]

Taux de rémunération à la mutation ou mutation par nomination

26.1) Une personne désignée à l’article 23 est mutée ou mutée par nomination lorsque sa mutation ou nomination à un poste auquel le présent règlement s’applique ne constitue ni une promotion ni une rétrogradation.

26.2) Sous réserve des articles 27 et 28, la personne mutée ou mutée par nomination recevra le taux de rémunération qui se rapproche le plus, sans lui être inférieur, du taux de rémunération auquel elle avait droit à son niveau de titularisation immédiatement avant sa mutation ou nomination ou, si pareil taux n’existe pas, elle recevra le taux de rémunération maximum prévu pour le poste auquel elle est mutée ou nommée.

 

[16]           Les articles 46A), B) et C) de la Politique énoncent les règles qui régissent le calcul du taux de rémunération d’un employé affecté à un poste intérimaire :

Rémunération – Affectation intérimaire

46.A) Généralités

Tout employé à qui un administrateur général demande d’exécuter les fonctions d’un niveau de classification supérieur pendant au moins la période d’admissibilité prévue dans la convention collective applicable ou dans les conditions d’emploi applicables à son niveau de titularisation touche une rémunération d’intérim calculée à compter de la date à laquelle il a commencé à exercer lesdites fonctions.

46.B) Taux de rémunération

Le taux de rémunération d’intérim est identique au taux que l’employé recevrait s’il était muté ou nommé au niveau de classification supérieur, calculé conformément aux articles 24 ou 26 du présent règlement.

46.C) Nouveau calcul du taux de rémunération

1. L’employé qui touche une rémunération d’intérim a droit à un nouveau calcul du taux de la rémunération d’intérim, en vertu des articles 24 ou 26, lorsqu’il se produit des augmentations et des révisions salariales dans son niveau de titularisation. Si, à la suite du nouveau calcul, le taux de rémunération du niveau de classification supérieur est moindre que celui qu’il recevait juste avant ledit calcul, l’employé est rémunéré au taux de rémunération qu’il recevait avant le nouveau calcul.

2. Tout employé qui touche une rémunération d’intérim a droit aux révisions salariales du niveau de classification supérieur.

 

[17]           L’article 46E) de la Politique énonce les règles qui régissent le calcul de la rémunération des employés qui sont affectés à des postes intérimaires ultérieurs :

46.E) Affectations ultérieures

Tout employé qui touche une rémunération d’intérim et qui doit exécuter d’autres fonctions :

a. classées aux mêmes niveau et groupe que celles à l’égard desquelles la rémunération d’intérim est versée :

i. est rémunéré au même taux;

ii. à la fin de la période d’augmentation du niveau de classification supérieur, a droit à une augmentation conformément aux dispositions applicables à l’article 46 D).

b. classées dans un groupe et/ou un niveau supérieurs à celles à l’égard desquelles la rémunération d’intérim est versée :

i. est rémunéré au taux qu’il recevrait s’il était muté ou nommé à ce niveau supérieur, calculé conformément aux articles 24 ou 26. Si ce taux est inférieur au taux de rémunération par intérim antérieur, l’employé est rémunéré au taux du niveau supérieur le plus proche, mais non moindre que le taux précédent; et

ii. lorsqu’il reprend ses fonctions intérimaires précédentes, touche le taux de rémunération qui lui aurait été payé si les fonctions antérieures avaient été exécutées continuellement;

c. classées dans un groupe et un niveau inférieurs à celles à l’égard desquelles la rémunération d’intérim est versée :

i. est rémunéré au taux calculé conformément aux articles 24 ou 26;

ii. aux fins des augmentations, se voit créditer la période pendant laquelle il a occupé le poste de niveau supérieur à compter de la date du commencement des fonctions intérimaires dans ledit poste, conformément aux dispositions de l’article 46.D).

 

LA QUESTION EN LITIGE

[18]           Le demandeur soulève la question suivante :

1.      L’arbitre a-t-il rendu une décision déraisonnable en déterminant que le calcul du taux de rémunération du défendeur devrait être fondé sur le poste d’affectation intérimaire plutôt que sur son poste de titularisation?

 

[19]           Le défendeur a soulevé une objection préliminaire au sujet de l’affidavit du demandeur.

 

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[20]      Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a décrété au paragraphe 62 que la première étape de l’analyse de la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[21]           Il a récemment été conclu que l’interprétation des politiques administratives qui régissent l’emploi des employés du secteur public est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Spencer c. Canada (Procureur général), 2010 CF 33, le juge Near, au paragraphe 23.

 

[22]           Pour contrôler la décision de l’arbitre suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si le caractère raisonnable de cette décision « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et si « la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

[23]           Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 68, la Cour suprême du Canada a expressément reconnu « l’expertise relative de l’arbitre dans l’interprétation d’une convention collective » et a préconisé « le respect de sa décision à cet égard ». Elle a également décrété que l’on peut présumer que les arbitres nommés en vertu de la législation du travail possèdent une « expertise relative dans l’interprétation de la loi dont ils tiennent le mandat ainsi que des dispositions législatives connexes qu’ils sont souvent appelés à appliquer dans l’exercice de leurs fonctions ». De ce fait, la décision de l’arbitre dont il est question en l’espèce, relativement à l’interprétation de la Politique et de la convention collective, a droit à ce que l’on fasse preuve de différence dans le cadre de la norme de la décision raisonnable.

 

ANALYSE

L’objection préliminaire

[24]           M. Bearss s’oppose aux paragraphes 7 à 9 de l’affidavit de Mme Colette Lussier, qui vise à répondre à une observation formulée de vive voix devant l’arbitre et dans laquelle le défendeur a fait valoir que sa situation était [traduction] « unique ». Le demandeur a fait part de sa réponse à l’audience.

 

[25]           Le paragraphe 7 comporte les informations qui ont été soumises à l’arbitre à l’audience, à savoir que la situation présentée dans le dossier de M. Bearss n’était pas unique car d’autres employés avaient été traités de la même façon. Dans ce contexte, cette preuve est recevable.

 

[26]           Dans son affidavit, Mme Lussier déclare au paragraphe 8 que la situation du défendeur n’était pas unique en ce sens que l’employeur avait recalculé de la même façon le taux de rémunération de 161 employés. Cette preuve relative aux 161 employés n’a pas été produite devant l’arbitre et, dans ce contexte, elle a été soumise irrégulièrement à la Cour. Il n’est pas permis de produire de nouvelles preuves au stade du contrôle judiciaire afin d’étayer des observations faites devant le tribunal administratif. Le paragraphe 8 de l’affidavit de Mme Lussier sera donc radié.

 

[27]           Quoi qu’il en soit, l’interprétation que l’arbitre a faite de la Politique n’était pas fondée sur la question de savoir si la situation de M. Bearss était unique.

 

La question en litige :   L’arbitre a-t-il rendu une décision déraisonnable en déterminant que le calcul du taux de rémunération du défendeur devrait être fondé sur le poste d’affectation intérimaire plutôt que sur son poste de titularisation?

 

 

[28]           Les parties reconnaissent qu’il est question ici d’un sujet hautement technique qui oblige à interpréter une politique complexe dont le texte n’est pas limpide. À la difficulté qu’il y a à appliquer cette politique s’ajoute le fait que M. Bearss était en réalité un agent de commerce (CO‑2), qu’il avait été nommé à un poste « intérimaire » à titre d’agent du service extérieur et qu’il était demeuré à ce poste « intérimaire » pendant quatorze ans. Dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur soutient que l’arbitre a commis une erreur dans l’application de la Politique quand il a décidé que M. Bearss avait droit à des augmentations d’échelon annuelles de 3 650 $ entre le 1er juillet 2005 et la date à laquelle il a pris sa retraite en 2006. Au départ, la Cour convient avec le demandeur que l’arbitre s’est trompé en considérant à tort le poste « intérimaire » de M. Bearss comme son poste de « titularisation » pour le recalcul de son taux de rémunération. Cependant, cette erreur est de peu de gravité en ce sens qu’elle n’a pas d’incidence sur le résultat ultime.

 

Tout d’abord les faits

[29]           M. Bearss a exercé les fonctions « intérimaires » d’agent du service extérieur (FS) entre 1992 et la date à laquelle il a pris sa retraite en 2006. Son « poste de titularisation » était celui d’agent de commerce (CO).

 

[30]           En 2002, M. Bearss a été muté à Buffalo (New York) à titre de « consul/premier délégué commercial » à un poste de niveau FS‑2 « intérimaire », poste qu’il a conservé jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en 2006. Cependant, le 1er juillet 2005, son poste « intérimaire » a été converti à un poste de niveau FS‑4. En même temps, tous les postes FS‑2 de « titularisation » ont été convertis au niveau FS‑3.

 

La décision de l’arbitre

[31]           L’employeur se fonde sur les dispositions de la Politique qui figurent sous les rubriques « Taux de rémunération à la nomination ou mutation » et « Taux de rémunération à la promotion ». L’arbitre a décidé que ces dispositions ne s’appliquaient pas à M. Bearss car celui‑ci n’avait pas été « nommé » au poste de délégué commercial ou « promu » le 1er juillet 2005. La Cour a examiné les dispositions applicables de la Politique et elle conclut qu’il était raisonnablement loisible à l’arbitre de rendre cette décision. Ce dernier bénéficie d’une expertise dans l’interprétation des conventions collectives et des conditions d’emploi qui y sont intégrées. Il lui était raisonnablement loisible de tirer les six conclusions qui ont été mentionnées plus tôt.

 

[32]           En ce qui concerne la rémunération d’« intérim », la Politique indique ce qui suit à l’alinéa 46C)2) :

Tout employé qui touche une rémunération d’intérim a droit aux révisions salariales du niveau de classification supérieur.

 

Cela est clair. M. Bearss avait droit à une « rémunération d’intérim », conformément aux révisions apportées à l’échelle salariale du niveau de classification supérieur, soit le niveau FS‑4. Il était raisonnablement loisible à l’arbitre de se prononcer ainsi au vu de cette disposition.

 

[33]           En ce qui concerne le taux de rémunération approprié dans l’échelle ou les plages de rémunération applicables aux FS‑4, l’arbitre a considéré que des collègues de M. Bearss, qui accomplissaient le même travail que ce dernier et dont les postes FS‑2 de titularisation avaient été convertis à des postes FS‑3, mais qui étaient rémunérés aux taux du niveau FS‑4 parce qu’ils occupaient un poste FS‑4 intérimaire comme M. Bearss, touchaient un taux de rémunération d’un montant de 94 873 $, dans la plage des taux applicables au niveau FS‑4. Il s’agissait là d’un échelon de plus que le taux FS‑4 intérimaire de M. Bearss, soit 91 223 $. L’arbitre a donc convenu avec M. Bearss que le taux de rémunération que celui-ci devait toucher au poste FS‑4 intérimaire était le même que ses collègues. La Cour a passé en revue la Politique et n’y a rien trouvé qui traite de cette question. En outre, l’arbitre a conclu que les dispositions de la Politique sur lesquelles l’employeur s’était fondé ne concernaient pas M. Bearss car celui-ci n’avait pas été « nommé », n’avait pas été tenu d’exécuter de nouvelles fonctions et n’avait pas été « promu ». Comme M. Bearss avait continué d’exécuter les mêmes fonctions au sein du poste intérimaire, l’alinéa 46C)2) de la Politique s’appliquait et il avait droit à une « rémunération d’intérim » conformément aux révisions apportées à l’échelle salariale qui s’appliquait au niveau de classification supérieur.

 

[34]           L’avocat de l’employeur a formulé des observations des plus solides et a présenté à la Cour les façons dont l’employeur interprétait la Politique en rapport avec M. Bearss. Ces interprétations sont raisonnables et l’arbitre aurait pu les faire siennes s’il y souscrivait, mais la Cour conclut qu’il était raisonnablement loisible aussi à ce dernier de retenir son interprétation différente.

 

CONCLUSION

[35]           La Cour conclut que la décision de l’arbitre était raisonnable. Parallèlement, ce dernier aurait pu raisonnablement retenir aussi celle de l’employeur. Comme la Cour se doit de faire preuve de déférence envers l’arbitre, qui a une certaine expertise dans l’interprétation des conventions collectives et des politiques d’administration de la paye, elle ne peut intervenir car l’arbitre pouvait raisonnablement se prononcer comme il l’a fait.

 


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  le paragraphe 8 de l’affidavit de Mme Lussier est radié;

2.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-819-09

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. THOMAS BEARSS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 16 mars 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karl Chemsi

 

POUR LE DEMANDEUR

Phil Hunt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

Sheilds & Hunt

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.