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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100316

Dossier : T-1052-09

Référence : 2010 CF 298

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

AREEJ HUSSEIN ELZUBAIR

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, à l’égard de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté a fait droit à la demande de citoyenneté de la défenderesse. 

 

[2]               Au vu de la fausse déclaration manifeste de la défenderesse quant à la fréquence et à la durée de ses absences du Canada durant la période de résidence pertinente, les motifs succincts du juge de la citoyenneté ne justifient pas suffisamment l’octroi de la citoyenneté. L’appel sera accueilli.

 

Le contexte

[3]               Areej Hussein Elzubair est citoyenne du Soudan. Elle est arrivée au Canada et elle a obtenu le statut de résidente permanente le 28 mai 2004. Le 3 juin 2008, elle a présenté une demande de citoyenneté. Un demandeur doit montrer qu’il s’est conformé aux obligations de résidence qui sont énoncées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, c’est-à-dire qu’au cours des quatre années précédentes il doit avoir « résidé au Canada » durant au moins 1 095 jours. Cela permet au demandeur de ne pas résider au Canada pendant 365 jours au cours de cette période.

 

[4]               La défenderesse a utilisé le calculateur de résidence « en ligne » du demandeur. Elle a fait état de deux absences du Canada, pour des voyages faits au Soudan et en Irlande pendant une période totale de 311 jours au cours des quatre années qui ont précédé la date de sa demande.

 

[5]               Le demandeur a demandé à la défenderesse de produire des documents justificatifs, dont son passeport, des renseignements fiscaux, des contrats de location et un questionnaire sur la résidence additionnel dûment rempli.

 

[6]               Dans le second questionnaire sur la résidence qu’elle a produit, la défenderesse a affirmé qu’elle s’était absentée du Canada à trois reprises distinctes, plutôt qu’à deux comme elle l’avait déclaré antérieurement, pendant une période totale de 359 jours, et non pas de 311. Ces absences avaient trait aux voyages précédemment mentionnés au Soudan et en Irlande, de même qu’à un voyage de plus au Soudan.

 

[7]               Le passeport que la défenderesse a produit donnait fortement à penser qu’elle s’était absentée à d’autres reprises du Canada, dont un voyage antérieurement non déclaré en Irlande.

 

[8]               La défenderesse a été convoquée à une audience devant un juge de la citoyenneté, mais elle ne s’y est pas présentée parce qu’elle ne se trouvait pas au Canada. L’audience a été reportée à une autre date et elle est revenue au Canada pour y assister.

 

[9]               Après l’audience, le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté de la défenderesse, concluant que celle-ci s’était absentée du Canada pendant une période totale de 312 jours au cours de la période pertinente. Les motifs qui étayent cette conclusion et l’octroi de la citoyenneté sont succincts :

                        [traduction]

Après avoir passé en revue les documents de la demandeure de la citoyenneté et les informations dont elle m’a fait part à l’audience le 25 mars 2009, je suis persuadé que celle-ci satisfait aux critères de résidence.

 

[10]           C’est cette décision-là que le ministre porte en appel.

 

Les questions en litige

[11]           Le ministre soulève les questions suivantes :

1.      Quelle est la norme de contrôle qui, lors d'un appel, s’applique à la décision tirée au regard de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté quant à la période de résidence?

2.      Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en concluant que la défenderesse satisfaisait aux exigences en matière de résidence que prévoit l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

 

Analyse

[12]           Compte tenu de la décision que la Cour a récemment rendue au sujet de la norme de contrôle à appliquer lors d’un appel relatif à la citoyenneté, dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Takla, 2009 CF 1120, le ministre n’a pas donné suite à la première question. Selon Takla, la raisonnabilité s’applique comme norme de contrôle à la décision d'un juge de la citoyenneté quant à la conformité aux exigences de résidence, tandis que les questions de compétence, d’équité procédurale et de justice naturelle doivent être contrôlées par rapport à la décision correcte.

 

[13]           Aux paragraphes 46 à 49 de la décision Takla, le juge Mainville a étayé de manière convaincante sa conclusion selon laquelle il ne devrait y avoir qu’un seul critère de résidence, même si la jurisprudence de la Cour dénote le contraire. Je souscris à son opinion. C’est donc dire que la démarche que les juges de la citoyenneté doivent suivre consiste à évaluer à titre préliminaire si la résidence a bel et bien été établie : Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 447, et ensuite, s’il y a eu établissement de la résidence, à évaluer, conformément au critère décrit dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), si cette résidence est suffisante pour satisfaire aux obligations décrites à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

 

[14]           Lorsqu’un juge de la citoyenneté arrive à la conclusion qu’un demandeur a été physiquement présent au Canada pendant une période d’au moins 1 095 jours, c’est-à-dire la période minimale requise, la résidence est dans ce cas prouvée et il est inutile de recourir au critère plus contextuel dont il est question dans Koo. Il n’y a lieu de se fonder sur ce critère que dans les cas où le demandeur a bel et bien résidé au Canada mais y a été physiquement présent pendant moins de 1 095 jours. Dans cette situation-là, les juges de la citoyenneté doivent appliquer le critère énoncé dans Koo pour déterminer si le demandeur était résident au Canada, même s’il n’y était pas physiquement présent.

 

[15]           En l’espèce, le juge de la citoyenneté a conclu que la demanderesse avait été physiquement présente au Canada pendant 1 148 jours au cours de la période pertinente; il était donc inutile d’évaluer sa résidence selon le critère énoncé dans Koo. Vraisemblablement, le juge a tout d’abord conclu que la défenderesse avait établi sa résidence au Canada, encore que cela ne soit pas mentionné dans ses motifs.

 

[16]           La lacune que comporte la décision du juge de la citoyenneté n’est pas sa façon d’appliquer le critère approprié, mais le fait d’avoir carrément omis d’expliquer comment il était arrivé à sa conclusion à propos de la présence physique de la défenderesse au Canada.

 

[17]           Le juge de la citoyenneté avait affaire à une personne qui avait produit deux questionnaires sur la résidence comportant une différence de 48 jours entre les totaux des absences du Canada, de même qu’un passeport qui donnait à penser qu’il y avait eu des absences du Canada non déclarées antérieurement. Les documents que la défenderesse a soumis au juge de la citoyenneté sont une preuve prima facie de fausse déclaration, et ils suscitent de sérieux doutes quant à savoir si la défenderesse satisfaisait aux obligations de résidence.

 

[18]           Le juge de la citoyenneté a déclaré que l’examen qu’il avait fait des documents de la défenderesse et des [traduction] « informations dont elle m'a fait part » l’amenait à conclure que cette dernière satisfaisait aux obligations de résidence. Il n’a pas mentionné de quelles informations il s’agissait ou de quelle façon celles-ci avaient permis de surmonter les doutes sérieux qu'avait dû susciter la preuve documentaire de la défenderesse. À cet égard, la décision du juge de la citoyenneté était insuffisamment motivée, et elle est donc déraisonnable.

 

[19]           Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dhaliwal, 2008 CF 797, au paragraphe 26, le juge suppléant Frenette a écrit :

Obtenir la citoyenneté canadienne est un privilège. Celui qui revendique ce privilège doit dire la vérité. Qui plus est, le fait que celui qui demande la citoyenneté a fait de fausses déclarations permet de douter de sa crédibilité, ce qui est susceptible d’avoir des incidences sur la valeur à accorder aux éléments de preuve qu’il présente à l’appui de sa demande.

 

[20]           Notant l’exigence selon laquelle les demandeurs de la citoyenneté canadienne doivent être honnêtes, le juge Lemieux a récemment confirmé un refus d’octroyer la citoyenneté dans une affaire où le demandeur satisfaisait aux obligations de résidence mais avait fait une fausse déclaration grave en vue d’activer le traitement de sa demande : Raslan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 189.

 

[21]           Le rôle du juge de la citoyenneté consiste en partie à veiller à ce que nul n’obtienne la citoyenneté en faisant une fausse déclaration. Lorsque la citoyenneté est accordée dans des circonstances où il semble, au vu du dossier, qu’une fausse déclaration a peut-être été faite, le juge de la citoyenneté doit expliquer et justifier pourquoi la citoyenneté est accordée; sans cela, on compromet la valeur même de la citoyenneté canadienne.

 

[22]           Dans l’état actuel des choses, les répercussions d’une fausse déclaration faite dans le cadre d’une demande de citoyenneté sont minimes. Un résident permanent qui pose un tel geste ne risque pas d’être interdit de territoire au Canada et de faire l’objet de mesures de renvoi. Le ressortissant étranger peut simplement redemander la citoyenneté. Cela contraste avec les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, lesquelles prescrivent qu’un résident permanent qui a fait une fausse déclaration peut être déclaré interdit de territoire et renvoyé du Canada ou, en d’autres circonstances, se trouver dans l’impossibilité de parrainer des membres de sa famille non déclarés auparavant, en vue de les faire entrer au Canada. D’aucuns diront qu’une fausse déclaration, dans le cadre d’une demande de citoyenneté, devrait être assortie de conséquences aussi sévères.

 

[23]           Dans l’état actuel de la loi, il n’y a aucune conséquence de cette nature et il est loisible à la défenderesse de redemander la citoyenneté canadienne.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que le présent appel est accueilli et que la décision par laquelle le juge de la citoyenneté a accordé la citoyenneté canadienne à la défenderesse est annulée.

 

                                                                                                                « Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1052-09

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. AREEJ HUSSEIN ELZUBAIR

                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 MARS 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 MARS 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Mendelzon

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nul n’a comparu

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

s.o.

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(NON REPRÉSENTÉE PAR AVOCAT)

 

 

 

 

 

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